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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule 17 - Témoignages du 6 juin 2007


OTTAWA, le mercredi 6 juin 2007

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères, auquel a été renvoyé le projet de loi C-293, Loi concernant l'aide au développement officielle fournie à l'étranger, se réunit aujourd'hui, à 16 h 8, pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Peter Stollery (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Honorables sénateurs, nous avons le quorum. Je voudrais souhaiter à tous la bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Nous poursuivons aujourd'hui notre examen du projet de loi C-293, Loi concernant l'aide au développement officielle fournie à l'étranger.

[Français]

Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui deux témoins que nous avons accueillis en 2005, lors de notre étude sur l'Afrique.

Notre premier témoin sera M. Gerry Barr, président-directeur général du Conseil canadien pour la coopération internationale. Le CCIC est une coalition d'organisations du secteur bénévole canadien œuvrant à l'échelle internationale et cherchant à mettre fin à la pauvreté dans le monde et à promouvoir la justice sociale et la dignité humaine pour tous.

[Traduction]

M. Barr répondra aux questions en compagnie d'Aaron Freeman, un professeur à temps partiel de la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa.

Nous entendrons ensuite le témoignage de Molly Kane, directrice générale de Inter Pares, un organisme canadien de justice sociale oeuvrant au Canada et dans le monde, qui s'attache à faire connaître les causes et les effets de la pauvreté et de l'injustice et à soutenir les actions débouchant sur un changement socio-économique véritable. Des représentants d'Inter Pares ont déjà comparu de nombreuses fois devant le comité et leurs témoignages nous ont été des plus utiles.

Bienvenue à cette réunion du Sénat du Canada. Je suis le sénateur Peter Stollery, vice-président. L'horaire du sénateur Di Nino ne lui a pas permis de se joindre à nous.

Monsieur Barr, vous avez la parole.

Gerry Barr, président-directeur général, Conseil canadien pour la coopération internationale : En plus d'être membre du Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI), je participe à la campagne Abolissons la pauvreté, qui a pour devise : « Une aide accrue, mais également de qualité ». Nous sommes d'avis que le projet de loi C-293 porte justement sur l'efficacité de l'aide.

Beaucoup de Canadiens et d'organismes non gouvernementaux (ONG) du domaine, qui oeuvrent partout dans le monde, souhaitent que le Canada améliore ses résultats dans le dossier de l'aide étrangère. Le projet de loi C-293 apporte une clarté et une constance du but aux dépenses d'aide, deux éléments essentiels à la responsabilisation. Aucune responsabilisation n'est possible en matière de dépenses d'aide sans avoir des objectifs clairement définis, qui permettent d'établir les dépenses et d'évaluer leurs effets.

C'est pourquoi le projet de loi obtient l'appui des ONG, ainsi que de la campagne Abolissons la pauvreté et de la campagne du défi Micah au Canada. Cela représente des centaines de milliers de Canadiens qui espèrent que le projet de loi C-293 sera adopté. Le projet de loi établit les normes appropriées en matière d'aide au développement officielle, de réduction de la pauvreté, de respect des normes internationales en matière de droits de la personne et, notamment, de respect des idées et des priorités des personnes qui vivent réellement dans la pauvreté.

Le sénateur Andreychuk a demandé la raison pour laquelle on vise la réduction de la pauvreté. L'aide au développement international a toujours eu cet objectif. C'était le cas en 1969, quand M. Pearson a publié son rapport intitulé Vers une action commune pour le développement du tiers-monde : Rapport de la Commission d'étude du développement international, dans lequel il a établi que 0,7 p. 100 du revenu national brut (RNB) devait être consacré à l'aide. C'était le cas en 2000, au moment où l'Assemblée générale des Nations Unies s'est réunie pour fixer les Objectifs du Millénaire pour le développement. L'assemblée avait alors déterminé qu'il ne fallait ménager aucun effort pour changer et atténuer les effets déshumanisants de la pauvreté extrême dans le monde et que les États membres devaient s'engager à utiliser leurs ressources pour lutter contre la pauvreté.

Les pays donateurs ont toujours accordé la priorité à la lutte contre la pauvreté. Mais de quelle façon cette priorité se traduit-elle dans la pratique pour les donateurs? Le sénateur Dallaire a parlé hier du Comité d'aide au développement (CAD) au sein de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et du concept de croissance économique favorable aux pauvres. Ce concept a son importance, car le développement ne doit pas viser uniquement la croissance : il doit aussi donner des résultats pour les pauvres. C'est ce critère de croissance économique favorable aux pauvres qui doit servir à justifier et à évaluer l'aide dépensée, qui vise à faciliter l'établissement d'accords commerciaux ou à consolider les infrastructures favorisant le développement économique d'un pays. Il ne faut pas s'arrêter à la croissance économique, qui, bien entendu, n'influence pas nécessairement l'équité ou la distribution des richesses.

Les donateurs utilisent l'aide de multiples façons, qui posent parfois problème. Il y a des tendances passagères. Il y a aussi des façons d'utiliser l'aide qui créent des effets pervers. Les donateurs se servent parfois de l'aide comme monnaie d'échange pour conclure des accords commerciaux allant à l'encontre des intérêts des économies des pays en développement. En se servant de l'aide conditionnelle, ils effectuent une ponction à même les fonds d'aide, en choisissant des fournisseurs inutilement coûteux dans les pays donateurs; ce faisant, ils diminuent de 35 à 40 ¢ la valeur de chaque dollar investi en aide. Parfois, l'aide répond à de réels besoins, mais elle ne contribue pas à réduire la pauvreté dans le monde. C'est le cas notamment de l'aide qui sert à payer les coûts d'établissement des réfugiés au Canada. Cette aide, bien que nécessaire, ne contribue pas à lutter contre la pauvreté dans le monde.

Selon certaines des dispositions du projet de loi C-293, toute dépense qui ne réduit pas la pauvreté dans le monde et ne satisfait pas aux normes énoncées ne sera pas considérée comme une aide. Rien n'empêche le pays d'effectuer ladite dépense et d'allouer des ressources à l'objectif visé, mais cette dépense ne pourra pas être qualifiée d'aide. Il ne devra donc pas être question d'aide dans ce cas. Le projet de loi encourage la transparence et la confiance en matière de dépenses d'aide.

Le projet de loi C-293 prévoit que le Canada élaborera des stratégies de programme après avoir tenu des consultations et des discussions auprès de la société civile canadienne et des organismes internationaux, comme la Banque mondiale et les pays partenaires bénéficiaires. Cette exigence fait en sorte que le Canada tienne compte du débat mondial sur le développement et des besoins essentiels des économies des pays en développement.

Selon une déclaration de la ministre Verner reproduite aujourd'hui dans l'hebdo d'informations Embassy, les dispositions en matière de consultation du projet de loi embourberaient le processus d'approbation de l'Agence canadienne de développement international (ACDI) et empêcheraient d'apporter des améliorations aux projets. J'espère que le journaliste n'a pas rapporté fidèlement le point de vue de la ministre, qui n'a pas été citée intégralement, car il serait faux d'affirmer que les dispositions en matière de consultation auront cet effet.

Le sénateur Segal : Comment le savez-vous?

M. Barr : Je le sais parce qu'il existe déjà de nombreuses lois qui prescrivent une obligation statutaire en matière de consultation.

Le sénateur Segal : Elles emploient souvent le verbe « pouvoir » plutôt que « devoir » dans leur formulation.

Le vice-président : Laissez le témoin terminer son exposé, sénateur Segal.

M. Barr : Le sénateur a raison. De nombreuses lois emploient le verbe « pouvoir » dans leur formulation, mais beaucoup d'autres ne l'utilisent pas. Beaucoup de lois prévoient une obligation impérative de consultation, dont notamment la Loi sur l'aéronautique, la Loi sur les aires marines nationales de conservation du Canada, la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale et la Loi canadienne sur la protection de l'environnement de 1999, pour ne nommer que celles-là. Au Canada, la consultation est une mesure fréquemment exigée dans le cadre des politiques et des programmes du gouvernement; elle devrait également être exigée pour l'aide étrangère. La nature de la consultation ne doit pas être énoncée dans la loi; c'est au ministre concerné de le faire. Le projet de loi doit être formulé de sorte que le ministre ne soit pas tenu de faire des consultations pour chacune de ses décisions, bien que cela soit le cas de certaines lois. Le projet de loi prévoit que le ministre a un devoir de consultation en matière d'aide au développement, dont il peut clairement s'acquitter pour chaque programme ou pour chaque décision. C'est au ministre de décider, pourvu que des consultations se tiennent et que les planificateurs de programme orientent leurs décisions en fonction des besoins et des possibilités réelles qui y sont exprimés. Cette procédure instaurera la confiance parmi la population canadienne et les organismes non gouvernementaux concernés par ces consultations.

Les mesures concernant les rapports sont très bien reçues. Elles rassemblent au même moment et au même endroit un ensemble de rapports. Plusieurs de ces rapports étaient déjà produits, mais à des moments différents, ce qui ne permettait pas d'avoir une vue d'ensemble de l'aide.

La loi prévoit également la publication obligatoire d'un rapport statistique sur l'octroi d'aide au développement officielle, un an après la fin de l'exercice. Ce rapport est d'une grande utilité pour les analystes en matière d'aide. Environ deux ans (18 à 24 mois) après la fin de son exercice, l'ACDI n'a toujours pas publié son analyse statistique; sans ces chiffres, il est extrêmement difficile, voire impossible, d'établir avec exactitude la nature et l'ampleur de l'engagement d'aide du Canada. Cette information est pourtant importante.

Ce retard est probablement à l'origine de la controverse soulevée ces deux derniers jours en Allemagne sur la possibilité de doubler l'aide destinée à l'Afrique, alors qu'on ne parvenait pas à obtenir l'année de base et le rendement de l'ACDI. De fait, nous n'avons appris qu'hier que le rendement du Canada en 2005-2006 s'élevait à 1,7 milliard de dollars. Nous ne disposions d'aucun point de référence pour juger de la pertinence de la stratégie canadienne, si ce n'est les propos rassurants des fonctionnaires.

Nous appuyons sans réserve ces propositions, que nous jugeons utiles, satisfaisantes et réalisables.

Le vice-président : Merci, monsieur Barr, pour votre concision et votre excellente présentation.

Molly Kane, directrice générale, Inter Pares : Je trouve encourageant le fait que le comité poursuive son examen attentif des défis posés par le développement. Je vous demande avec instance de prendre en considération le progrès que représenterait cette loi pour le Canada en matière de responsabilisation et d'aide au développement. Ceux d'entre nous qui observent la politique du Canada en matière d'aide et de développement attendaient cette loi depuis longtemps. Nous sommes très heureux qu'elle soit maintenant soumise à l'examen du Sénat.

Nous tenons à l'adoption de ce projet de loi, qui est l'aboutissement d'un très long processus d'obtention d'un consensus autour de chacun des éléments de la loi. Ces éléments forment un tout indissociable visant principalement la réduction de la pauvreté, la prestation d'une aide répondant réellement aux besoins exprimés par les pauvres et le respect des obligations en matière de droits de la personne. De fait, la plupart des Canadiens partagent probablement cette vision de l'aide. Beaucoup seraient surpris d'apprendre que cette loi n'existe pas encore et ils donneraient leur appui à une aide qui contribue à la lutte contre la pauvreté.

Je ne partage pas entièrement le point de vue de mon collègue concernant la finalité de l'aide : la lutte contre la pauvreté a peut-être toujours été l'objectif officiel de l'aide, mais le comité sait pertinemment, pour s'être penché sur la question, que l'aide, notamment en Afrique subsaharienne, a historiquement accentué les problèmes de gouvernance, en renforçant les élites et en appuyant les gouvernements en place. À l'époque, l'aide était d'abord utilisée à des fins géopolitiques, reléguant la réduction de la pauvreté au second plan, et il n'existait aucune mesure de responsabilisation pour rendre compte au public de l'utilisation faite de l'aide.

Nous devons faire de la lutte contre la pauvreté l'objectif prioritaire de l'aide et fournir un cadre d'évaluation des résultats de l'aide et des dépenses en la matière.

Au cours des cinq ou six dernières années, beaucoup d'efforts ont été faits en vue d'accroître l'efficacité de la prestation de l'aide des pays de l'OCDE. La bonne gouvernance et la prise en charge locale font partie des principes mis de l'avant. On doit orienter l'aide vers la réalisation de ces objectifs. Il faut mettre l'accent sur la lutte contre la pauvreté et se doter d'un cadre de responsabilisation, sous peine d'encourager la perception voulant que l'aide continue d'être déviée et mal utilisée dans les démocraties encore fragiles.

L'autre principe concerne les droits de la personne. Les Canadiens sont en droit de croire que leur pays soutient déjà les droits de la personne. Le Canada est en effet signataire de conventions sur les droits de la personne; il a l'obligation de respecter ces droits à l'échelle internationale et le désir de faire respecter les normes internationales. La pauvreté est à la fois un symptôme et la cause des violations des droits de la personne. Si le Canada ne s'attaque pas aux inégalités flagrantes dans les pays en développement, il n'améliorera jamais la gouvernance. Les gens doivent disposer des moyens de participer à ce processus.

Comme nous le savons tous et comme l'illustre votre étude sur l'Afrique, l'aide au développement ne suffit pas à susciter le développement démocratique ou à mettre fin à la pauvreté. Elle est néanmoins essentielle. Son influence peut être extrêmement dommageable ou amorcer des changements durables, selon qu'elle est utilisée à bon ou à mauvais escient, comme en témoigne notre expérience au Canada. L'aide internationale est une forme d'imposition internationale qui peut être investie dans des infrastructures publiques, sociales et économiques. Sans cette aide, il serait difficile de provoquer certains des autres changements dont il a été question en matière d'amélioration des relations commerciales et d'annulation de la dette. Il faut examiner ce processus dans son ensemble.

Nous représentons un groupe d'organismes œuvrant au Canada et en lien avec des Canadiens et des personnes qui soutiennent le développement par leurs dons ou leurs impôts. Nous devons être à l'écoute des habitants des pays en développement qui participent au développement démocratique de leur pays, en respectant leurs opinions et en leur rendant des comptes dans le cadre de nos propres politiques et dépenses publiques.

Le sénateur Segal : J'aimerais approfondir la notion de consultation. Selon vous, les gouvernements des pays bénéficiaires ciblés seraient-ils consultés? Je veux m'assurer de bien saisir cette notion.

M. Barr : Le projet de loi mentionne les gouvernements. Je suppose que cela englobe les pays bénéficiaires et les pays donateurs.

Le sénateur Segal : Supposons que, dans un avenir rapproché, nous ayons une disposition législative allant dans ce sens et que le ministre d'une autre appartenance politique, estimant le régime du Zimbabwe trop répressif et fasciste, lui retire son appui. Imaginons maintenant que l'ambassadeur du Zimbabwe déclare au ministre : « Vous avez remis de l'argent à des ONG que nous désapprouvons. Ils tiennent peut-être des œuvres de charité chrétiennes sur place à l'intention des personnes en difficulté. Or, la disposition législative prévoit la tenue d'une consultation. Vous avez donc violé votre propre loi. » Si le Zimbabwe entame une procédure contre le ministre pour s'opposer à la subvention, diriez-vous que nous avons renforcé notre capacité à distribuer de l'aide aux plus démunis dans le cadre de la lutte contre la pauvreté?

M. Barr : Je voudrais partager mon temps de réponse avec M. Freeman sur cette question.

Aaron Freeman, professeur à temps partiel, Faculté de droit, Université d'Ottawa, à titre personnel : Il s'agit ici d'établir la validité de l'interprétation du devoir de consultation. Il est possible d'interpréter l'énoncé de la loi comme une obligation de consulter tout le monde sur chaque dollar dépensé. Mais existe-t-il d'autres interprétations valables et incontestables de la loi? Serait-il valable d'interpréter l'article comme un devoir de consultation du ministre au niveau des programmes, plutôt qu'au niveau de chaque dollar dépensé, qui concernerait un nombre restreint d'intervenants ne comprenant pas nécessairement des gouvernements?

Si nous retenons la dernière interprétation, alors le scénario que vous venez d'évoquer ne met pas le ministre en fâcheuse posture. N'êtes-vous pas d'accord avec moi?

Le sénateur Segal : J'apprécie vos commentaires. Nous connaissons tous la capacité des fonctionnaires à rédiger un projet de règlement ou des définitions qui confèrent tout son sens à la loi. Nous savons également que, pendant que nos différents tribunaux dégagent une interprétation raisonnable de la proposition, des avocats représentant un ONG ayant subi une compression budgétaire pour une raison quelconque présentent une pétition ou un bref de mandamus ou s'adressent aux tribunaux ou entament Dieu seul sait quelle autre procédure, à laquelle réplique le procureur de la Couronne jusqu'à ce que la question se règle éventuellement d'elle-même. Dans l'intervalle, certains pourraient affirmer que nous alourdissons la bureaucratie de l'ACDI, qui fonctionne déjà au ralenti. Ce n'est pas notre intention. Il est ici question d'une conséquence involontaire du projet de loi.

Croyez-vous que nous pourrions atteindre le but de la consultation, que toutes les personnes ici présentes semblent approuver, si nous clarifions la définition statutaire? Je ressens toujours un malaise à l'idée de laisser des juges et des fonctionnaires trancher la question, mais peut-être y parviendront-ils?

M. Freeman : Ce n'est pas ce que je suggère.

Le sénateur Segal : Si je vous comprends bien, vous ne semblez pas foncièrement convaincu de la pertinence de définir le but de la consultation, qui est à la fois noble et convaincant, en vue d'atténuer les risques envers la mise en œuvre du programme normatif, en appui aux objectifs énoncés dans le projet de loi.

M. Freeman : Cela me semble totalement inutile. Si, pour reprendre votre exemple, un État en litige tente d'entraver le processus, il n'y parviendrait pas. En effet, on peut clairement dégager de la formulation de la disposition et de l'intention du Parlement, qui sont les deux aspects examinés par les tribunaux, que la consultation se rapporte aux programmes. En effet, les autres lois qui prévoient des consultations pour des décisions précises, comme la Loi sur les produits antiparasitaires, mentionnent très clairement dans leur énoncé le devoir de consultation pour une décision donnée.

Le cas échéant, le ministre est tenu de procéder à une consultation en matière d'aide au développement officielle. En examinant plus en détail la formulation de la disposition proposée et le débat qu'elle a suscité ailleurs, on se rend vite compte que l'intention n'est pas de faire appel à la consultation pour chaque dollar dépensé, mais plutôt de tenir des consultations au sujet des programmes, ce que confirmera sans doute la jurisprudence.

Le sénateur Smith : Lorsque j'écoute un témoin, j'aime savoir à qui j'ai affaire. Je connais déjà un peu le Conseil canadien pour la coopération internationale et Inter Pares. Parlez-moi de vos membres. Sont-ils nombreux? Quelles sont leurs sources de financement? Quels commentaires recevez-vous des personnes qui ont acquis une expérience directe dans ce domaine?

J'aimerais juste savoir qui le conseil représente, même s'il ne compte que trois membres qui se réunissent tous les lundis soirs autour d'une table de cuisine en prenant une bière.

M. Barr : Le Conseil canadien pour la coopération internationale (CCCI), qui existe depuis environ 40 ans, est un organe central, un organisme dont les membres constituent la base. Il comprend une centaine d'organismes non gouvernementaux de grande et petite taille qui travaillent activement en développement international et en coopération internationale. Ils interviennent dans un grand nombre de pays dans le monde. Le CCCI compte notamment parmi ses membres la Croix-Rouge, Vision mondiale et Oxfam, ainsi que des petits groupes qui se spécialisent dans des secteurs de dépenses et se consacrent à l'éducation pour le développement ou à la citoyenneté mondiale au Canada sur des enjeux internationaux.

Nous travaillons régulièrement sur le volet de la politique, en examinant les enjeux en matière de qualité et de quantité de l'aide canadienne. Notre action se fait dans le cadre de groupes de travail du conseil et de groupes de référence; nous nous efforçons de représenter le plus fidèlement possible la position du secteur sur des dossiers comme ceux qui sont traités aujourd'hui.

Le CCCI défend la position de la grande majorité des ONG, qui appuient le projet de loi et qui soutiennent traditionnellement les objectifs de ce genre. Notre financement provient des cotisations des membres et du gouvernement du Canada, par l'entremise de l'ACDI.

Mme Kane : On m'a présenté comme faisant partie d'Inter Pares, qui est un organisme membre du CCCI, mais je tire mon expérience d'un réseau plus large. J'ai été pendant cinq années la présidente du Forum Afrique Canada, un groupe de travail du CCCI qui réunit 40 organismes membres œuvrant en Afrique. Ce forum visait à fournir une tribune nous permettant de jeter un regard critique sur nos propres pratiques et sur les questions de politiques qui concernent l'Afrique.

Je siège aussi au conseil de l'organisme African Centre for the Constructive Resolution of Disputes (ACCORD) installé à Nairobi, qui œuvre dans 18 pays africains et emploient environ 500 personnes. Mon avis se base sur la façon dont ces questions sont perçues en Afrique.

Le sénateur Smith : Monsieur Freeman, parlez-vous uniquement en votre nom?

M. Freeman : J'ai conseillé le CCCI sur ce dossier pendant deux ou trois ans. J'enseigne à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa. Depuis cet automne, j'occupe le poste de directeur des politiques de Protection environnementale Canada, mais ce n'est pas à ce titre que je m'exprime ici.

Le sénateur Corbin : L'actuel projet de loi concerne l'aide au développement officielle fournie à l'étranger. Quelles sont les lacunes du mode de fonctionnement de l'ACDI, l'un des principaux fournisseurs d'aide au développement du gouvernement du Canada?

M. Barr : Je dispose de combien de temps pour répondre?

Le vice-président : Pas beaucoup.

M. Barr : En bref, l'expérience des ONG au Canada et dans le monde montre qu'il est préférable, pour les États donateurs, de faire parvenir l'aide par l'entremise d'institutions dont c'est le mandat, comme l'ACDI. Selon nous, l'ACDI est en principe la voie à suivre en matière d'attribution de l'aide.

Nous croyons que la succession ininterrompue de ministres de second rang à la tête de l'ACDI a nui au fonctionnement de l'Agence. Chaque ministre n'est resté en poste que très peu de temps, en procédant à chaque fois à un changement d'orientation et en marquant le dossier de l'aide de son empreinte. Ce manque de continuité a drainé beaucoup de ressources de l'Agence.

À notre avis, un mandat conféré par la loi renforcerait l'ACDI. Dans son rapport sur l'Afrique, le Sénat a étudié la possibilité d'un pareil mandat, que nous croyons opportun. Le projet de loi actuel n'interdit pas de procéder en ce sens. Il s'agit d'une mesure plutôt modeste : établir les priorités des dépenses d'aide, sans égard aux personnes qui engagent ces dépenses. L'aide est évidemment dépensée non seulement par l'ACDI, mais également par le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, ainsi que par le ministère des Finances.

Au cours des dernières années, l'ACDI s'est beaucoup plus concentrée sur l'efficacité de l'aide. L'Agence y a consacré beaucoup de ressources et elle a obtenu d'excellents résultats. La stratégie adoptée par l'ACDI à ce jour comporte certaines faiblesses, dont notamment une compréhension insuffisante du rôle des organisations civiques, des mouvements sociaux et des organismes non gouvernementaux, tant au nord qu'au sud, dans le cadre de projets de développement. On remarque depuis peu une tendance de plus en plus marquée vers le concours budgétaire.

D'un autre côté, il importe de soutenir la capacité des gouvernements des pays en développement d'agir en tant qu'agents de développement. Au cours des 15 dernières années, les programmes d'ajustement structurel ont entravé cette capacité en retirant aux gouvernements des pays en développement certaines des compétences nécessaires pour agir en tant qu'agents de développement.

Mme Kane : J'approuve tous les propos de M. Barr. La question de la conditionnalité de l'aide, liée aux politiques des institutions de Bretton Woods, pose encore problème à l'ACDI en ce qui concerne l'établissement de sa propre orientation. Parfois, les objectifs de ces institutions sont en contradiction avec nos objectifs en matière de démocratisation et de renforcement des capacités des institutions démocratiques.

Le sénateur Corbin : Lorsque vous parlez de « nos » objectifs, faites-vous référence à vous-même?

Mme Kane : Je parle du Canada. Dans l'énoncé de nos objectifs, qui sont sincères, nous disons vouloir soutenir les pays qui font preuve de bonne gouvernance. Cependant, les politiques des institutions financières internationales priment souvent sur les parlements, les tribunaux et les organisations civiques; ces institutions financières peuvent nuire à la démocratisation dans le cadre d'un processus de développement. Il faut examiner cette question de l'harmonisation de notre aide, par l'entremise de l'ACDI, aux stratégies de lutte contre la pauvreté imposées par le Fonds monétaire international.

Le sénateur Corbin : Je suppose que les témoins, vu leurs champs d'intérêt, ont dû lire l'article du National Post de ce matin intitulé « Le programme antidrogue pour l'Afghanistan est retardé ». Le Canada participe à ce programme. L'argent provient de l'ACDI.

Si vous avez lu cet article, pouvez-vous me faire part de vos commentaires sur le fait que l'argent de l'ACDI n'est pas nécessairement investi dans la réduction de la pauvreté, mais qu'il sert également à atteindre d'autres buts de nature géopolitique.

M. Barr : Je ne l'ai pas lu.

Le sénateur Corbin : Il semblerait que l'ACDI se retrouve dans un bourbier. Son argent est lié à un programme qui ne peut être mis en œuvre, les structures n'étant pas en place.

Le vice-président : Nos témoins se demandent s'il s'agit réellement d'un programme de développement et si les crédits de développement devraient servir à cette fin. C'est du moins la façon dont j'interprète les commentaires et le ton des témoins.

Le sénateur Di Nino : Monsieur Barr, vous nous avez dit que votre organisme est financé en partie par l'ACDI. Pouvez-vous nous décrire votre budget de fonctionnement et la part qui provient de l'ACDI?

M. Barr : Environ deux millions de dollars par an, dont plus de 80 p. 100 provient de l'ACDI, qui nous finance de la sorte depuis des décennies.

Le sénateur Di Nino : Savez-vous si d'autres ONG ou organismes entretiennent une relation de ce genre avec l'ACDI?

M. Barr : Nous sommes beaucoup plus dépendants financièrement de l'ACDI que la plupart des organismes non gouvernementaux. Vision mondiale Canada, notamment, amasse beaucoup plus de fonds qu'il n'en reçoit de l'ACDI par le truchement de la participation à ses programmes. D'autres ONG emploient différents modes de financement et certains dépendent également de l'ACDI. Je ne peux pas vous faire une répartition statistique, mais je peux certainement me procurer ces renseignements si vous le voulez.

Le sénateur Di Nino : Nous pourrons poser cette question aux représentants de l'ACDI quand ils viendront témoigner. C'est probablement la meilleure façon de procéder.

Je suppose que vous avez envoyé un courriel à un grand nombre de personnes pour les inciter à demander avec insistance au Sénat d'adopter le projet de loi.

M. Barr : Oui.

Le sénateur Di Nino : Vous avez dû le diffuser dans un large secteur. Une phrase de votre courriel m'a semblé familière, celle sur la compatibilité de l'obligation du Canada avec les normes internationales en matière de droits de la personne. On peut lire à l'alinéa 4(1)c) du projet de loi C-293 : « [...] compatible avec les normes internationales en matière de droits de la personne ».

Le mot « normes » peut éventuellement poser problème pour le Canada, qui aura peut-être à considérer des traités et des conventions qu'il n'aura pas signés. Je vous soumets cette opinion.

Aviez-vous l'intention de nous proposer une autre formulation pour cet alinéa?

M. Barr : « Normes » est le terme le plus approprié. Les normes internationales en matière de droits de la personne correspondent traditionnellement aux obligations des États nations à l'égard de leurs habitants, en vertu des traités et des conventions dont ils font partie. « Normes » est probablement le terme qui s'applique le mieux dans les cas où des programmes d'aide sont mis en oeuvre en conformité avec les normes.

Le sénateur Johnson : Vous avez préconisé que le ministre nomme un comité consultatif sur le mandat, qui fournirait une évaluation du rendement de l'ACDI et des autres ministères concernés par l'octroi de l'aide.

À la Chambre des communes, un processus de pétition a été retiré du projet de loi. Quelle est la justification derrière ce processus et que pensez-vous de son retrait de la loi?

M. Barr : Ce processus visait l'établissement d'un mécanisme de consultation qui soit utile au ministre et qui puisse être mis en place à son gré. Il permettait la création d'un cadre régulier de discussion consultative. Comme vous le savez, ce processus a été retiré à l'étape de l'examen à la Chambre des communes, principalement à la suite d'une décision de la présidence voulant qu'un mécanisme permanent de ce genre entraîne des dépenses injustifiées pour un projet de loi d'initiative parlementaire, sachant que le gouvernement n'était pas disposé à approuver la disposition.

C'est une façon d'aborder la question de la consultation. Mais ce n'est certainement pas la seule façon.

Le sénateur Johnson : Selon son auteur, le député John McKay, ce projet de loi a été considérablement amendé. Avez-vous des commentaires à faire sur ces changements? Y a-t-il des éléments que vous aimeriez ajouter au projet de loi?

M. Barr : Les députés de la Chambre des communes ont retiré deux éléments principaux du projet de loi. L'un de ces éléments était le comité consultatif relevant de la ministre.

J'ajouterais que la ministre crée parfois des comités d'experts pour la conseiller. Je fais moi-même partie d'un de ces comités, mis sur pied il y a plus d'un an. Ce n'est donc pas nouveau.

L'autre élément qui a été retiré consistait en une sorte de mécanisme d'application de la disposition concernant la prise en compte respectueuse de l'opinion des personnes vivant dans la pauvreté. En vertu de cette disposition, les habitants des pays en développement pouvaient présenter une pétition à l'ACDI si sa stratégie d'aide ne leur convenait pas, afin que l'Agence réexamine les programmes offerts.

Mais on a retiré cet élément, car on craignait que son application soit trop coûteuse.

En ce qui concerne les éléments que nous aimerions voir inclus, il s'agit d'un projet de loi plutôt modeste. Il ne comprend que dix paragraphes et, comme le faisait remarquer un sénateur, il tient sur quatre pages. Il définit les critères et les normes dont le ministre doit tenir compte — quel que soit le ministre qui prend les décisions en matière d'aide — ainsi que certains mécanismes de communication. Sans plus. Nous considérons que l'entrée en vigueur de cette loi constituerait un progrès remarquable. Quoi qu'il en soit, il est important de noter qu'il existe, dans une certaine mesure, un consensus parlementaire de tous les partis de la 38e législature sur les éléments concernant les normes. Ces éléments se sont légèrement édulcorés depuis le début du processus d'adoption, mais ils doivent demeurer réunis dans cette loi.

Nous sommes convaincus que ce projet de loi s'inscrit dans une stratégie efficace de développement axée sur les droits, qui améliorera les programmes de développement du Canada.

Le sénateur Johnson : Je me rends compte que le but principal de cette loi, à savoir la réduction de la pauvreté, est peut-être trop restreint pour le travail que vous faites, madame Kane. Cela ne vous préoccupe-t-il pas? On peut lire sur votre site Web que vous travaillez actuellement sur les questions suivantes : migration, citoyenneté, violence envers les femmes, paix et démocratie, contrôle des ressources, santé, alimentation, souveraineté et économie démocratique. Votre champ d'intervention va bien au-delà de la réduction de la pauvreté. Qu'en pensez-vous?

Mme Kane : C'est une bonne question. Nous avons discuté longuement entre nous de la pertinence de donner notre appui à cette loi, puisque nous croyons que l'on ne peut limiter la coopération internationale à la réduction de la pauvreté. L'ajout de la promotion des droits de la personne et de la prise en compte de l'opinion des pauvres était pour nous un élément essentiel pour que l'aide serve à réduire la pauvreté et qu'elle fasse l'objet d'un débat public. Il faut examiner ces questions. Il doit y avoir une responsabilité devant le Parlement, afin que les citoyens puissent se prévaloir de leurs droits.

Notre organisme peut s'attaquer à d'autres problèmes que la pauvreté. Nous en assumons la responsabilité. Toutes nos activités ne requièrent pas nécessairement une aide financière provenant du gouvernement canadien ou de l'aide au développement officiel. Nous sommes une organisation caritative. La loi ne nous pose pas de problème tant que nous pouvons réaliser nos activités dans un but charitable. Selon nous, c'est le manque d'imputabilité de l'aide qui crée des problèmes. Nous ne sommes qu'une goutte dans l'océan.

Le sénateur Johnson : Je comprends votre point de vue. Comme vous êtes une personne très engagée, je me disais que vous aviez dû en discuter au sein de votre groupe.

Vous offrez également des consultations aux femmes victimes de violence parrainées par l'État. Un important financement est destiné à cette question. Si l'on se fie à votre site web, vous accordez de l'importance à cette question. Une collectivité saine se doit de prendre soin des personnes maltraitées. Je crains que ce projet de loi ne nuise à des activités de ce genre.

Avez-vous autre chose à dire à ce sujet?

Mme Kane : Je n'ai rien d'autre à ajouter.

Le sénateur Johnson : Vous réalisez beaucoup d'activités pour les femmes.

Mme Kane : Oui. Nous savons que les femmes composent la majorité des pauvres dans le monde. En s'attaquant aux inégalités et à la pauvreté, on touche directement la vie des femmes; il faut donc être à leur écoute. Toute stratégie visant à mettre fin à la pauvreté doit intégrer leurs points de vue.

Les femmes éprouvent des problèmes qui ne sont pas directement liés à la pauvreté. En tant qu'organisme de promotion de la justice sociale, nous tentons sans cesse de résoudre ces problèmes et nous espérons que nos partenaires continueront de nous appuyer.

Nous entretenons des réserves en ce qui concerne l'utilisation de l'aide publique canadienne et le rôle du Canada dans le monde, en tant que donateur officiel. Le Canada poursuit des objectifs semblables aux nôtres, mais par d'autres moyens.

Le sénateur Johnson : Monsieur Barr, l'un de vous deux veut-il ajouter quelque chose à ce commentaire?

M. Barr : Je suis d'accord avec Mme Kane. Les activités fondées sur l'égalité des genres sont essentielles aux stratégies de lutte contre la pauvreté. De même, une stratégie de développement axée sur les droits est essentielle aux activités fondées sur l'égalité des genres. La prise de parole des citoyens, pour faire valoir leurs droits, est au coeur de la lutte contre la pauvreté. La pauvreté n'est pas accidentelle : elle résulte de relations sociales qui doivent être remises en question par les personnes vivant dans la pauvreté. Comme l'a fait remarquer Mme Kane, les femmes comptent pour au moins les deux tiers de la population pauvre.

Le vice-président : Nous avons traité suffisamment de ce point. J'aimerais souligner la présence du parrain du projet de loi, le ministre McKay, qui est assis à l'arrière.

Le sénateur Mahovlich : Bob Geldof a récemment critiqué le Canada. Je ne sais pas s'il comprend notre mode de fonctionnement et la manière dont l'ACDI verse de l'argent aux organismes. Bob Geldof se fait passer pour un expert et les gens lui prêtent attention.

Qu'en pensez-vous?

M. Barr : Je ne connais pas l'étendue des connaissances de Bob Geldof, mais je me dois de dire que les critiques de la communauté internationale à l'égard du Canada sont, en grande partie, justifiées. Le Canada est un donateur retardataire, dont la lenteur à intervenir est chronique. La politique actuelle du Canada, qui prévoit une hausse des dépenses d'aide de 8 p. 100 par an, ne lui permettra pas, loin de là, d'atteindre l'objectif de 0,7 p. 100 du revenu national brut d'ici à 2015 ou même 2025.

Selon nos estimations, basées sur la stratégie actuelle du Canada, le budget alloué à l'aide ne dépassera pas 0,33 p. 100 du RNB en 2010, soit le même pourcentage consacré actuellement. Nous sommes bloqués. Il nous faut un nouvel essor et une nouvelle stratégie en matière de réinvestissement de l'aide. Nous avons besoin du projet de loi C-293, une loi qui conférera à notre stratégie d'aide au développement une clarté, un but et une cohérence.

Les propos de M. Geldof sont peut-être durs, mais le Canada doit savoir qu'il a besoin d'améliorer son rendement. Notre économie est parmi les plus dynamiques de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et même du G8, mais nous tardons pourtant à engager nos dépenses d'aide. Notre faible rendement ne peut donc pas être justifié.

Le sénateur Mahovlich : Vous vous êtes associé à combien de pays qui ne pratiquaient pas la bonne gouvernance? Venez-vous en aide aux pauvres dans ces pays? Le Canada leur fournit-il une quelconque aide ou se tient-il éloigné des pays qui ne sont pas gouvernés adéquatement?

M. Barr : Le Canada intervient souvent dans les pays dont la gouvernance pose problème en passant par l'intermédiaire d'organismes non gouvernementaux et de groupes de la société civile, ce qui n'est pas une mauvaise façon de procéder. Il est bon de mettre en doute la pertinence de limiter son aide aux pays qui pratiquent la bonne gouvernance. Dans le monde en développement, la situation peut évoluer très rapidement. Ce n'est pas sans raison que le développement est bloqué dans cet environnement difficile. Lier obligatoirement notre participation au sein de ces économies à l'exigence d'une bonne gouvernance pourrait priver d'aide un grand nombre de personnes extrêmement démunies.

J'utiliserais cette stratégie avec circonspection. Il est manifestement important de promouvoir la bonne gouvernance, de la mettre en valeur et de la rechercher, mais je ne crois pas que j'en ferais la première condition pour l'octroi d'aide.

Le sénateur Mahovlich : Cela ne favoriserait pas la transparence.

M. Barr : La transparence pose également problème.

Le sénateur Smith : Le Zimbabwe obtient les pires résultats en matière de bonne gouvernance. Les ONG devraient-elles faire affaire avec le Zimbabwe?

Cette question vous met-elle mal à l'aise?

M. Barr : Non, pas du tout. Il faudrait examiner minutieusement la possibilité de soutenir financièrement le Zimbabwe. La meilleure façon de procéder consisterait probablement à faire appel à des intervenants de la société civile, qui peuvent fournir une aide efficace sur place.

Le sénateur Smith : Il faudrait donc passer par l'intermédiaire des ONG sans entrer en contact avec le gouvernement?

M. Barr : C'est ce que je suggère.

Mme Kane : Nous utilisons parfois différentes définitions de la « bonne gouvernance ». S'il est uniquement question des institutions gouvernementales, il peut s'avérer difficile de choisir des pays en fonction de la bonne gouvernance, en raison du manque de transparence de ces institutions. On ne peut regarder les choses uniquement sous cet angle. L'Éthiopie a notamment figuré pendant un certain temps sur la liste des donateurs comme étant un pays pratiquant la bonne gouvernance, mais le gouvernement a commencé à jeter en prison les détracteurs de ses politiques. On disait souvent à ces gens qu'ils n'avaient pas le droit de protester, car le gouvernement avait déjà reçu le sceau d'approbation de la communauté internationale en tant qu'État pratiquant la bonne gouvernance.

Si le gouvernement d'un pays fonctionne bien, le Canada peut également soutenir les organisations civiques en vue de renforcer la gouvernance et le processus démocratique. Il faut étendre cet appui non seulement aux ONG, mais aussi à la presse libre et aux diverses institutions mises à mal sous certains régimes en place pendant des décennies.

Le vice-président : Lors de notre passage à Addis Abeba, en Éthiopie, le premier ministre nous a demandé de lui faire un chèque d'un montant considérable. Des émeutes ont éclaté tout de suite après notre départ et le gouvernement a commencé à arrêter des gens. Le comité est au fait de la situation survenue il y a environ un an et demi.

Le sénateur Merchant : J'écoute avec attention en vue de décider de mon vote sur ce projet de loi.

Nous avons dans notre dossier une lettre écrite par les chefs de l'opposition en place à l'époque. Le gouvernement a changé depuis. Que pense le gouvernement actuel de ce projet de loi?

M. Barr : Il serait préférable de leur poser la question. Le comité a déjà répondu à la principale objection soulevée à la Chambre des communes sur le projet de loi C-293, à savoir les dispositions concernant le comité consultatif et le processus de pétition. On a également répondu aux autres inquiétudes exprimées durant le processus du comité à la Chambre des communes.

J'ai entendu deux inquiétudes de la part de représentants du gouvernement. J'ai tenté de répondre à celle portant sur la consultation. Bien que le ministre semble avoir réglé cette question, je suis convaincu, consultation juridique à l'appui, que cette inquiétude est sans fondement. Notre interprétation de la loi est fondée.

En second lieu, le gouvernement craint que le projet de loi limite sa capacité d'utiliser l'aide étrangère de façon à promouvoir les intérêts du Canada dans le monde. C'est probablement le cas et, selon nous, ce devrait l'être. Il s'agit après tout d'aide ne pouvant servir à d'autres fins. Il faut donc en restreindre l'utilisation. Cet argent est destiné aux pauvres de la planète et doit donc servir à cette fin. Si le Canada désire engager des dépenses dans d'autres dossiers, il pourra bien sûr le faire. Le projet de loi n'interdit aucunement d'investir en coopération internationale des crédits à d'autres fins. La capacité du Canada à dépenser des fonds d'aide doit être ciblée, c'est-à-dire que des restrictions doivent être inhérentes à cette capacité. Les restrictions ont leur raison d'être.

Le sénateur Merchant : Il faut faire la distinction entre un bon gouvernement et de bonnes politiques. Cela peut parfois porter à confusion. Lorsque les gens changent de poste, ils voient les choses différemment. Cette loi s'inscrit-elle dans une bonne politique, un bon gouvernement ou les deux à la fois? Comment évalueriez-vous ce projet de loi en particulier?

M. Barr : Le projet de loi C-293 est modeste : il énonce les concepts de base plutôt qu'une liste de mesures. Il définit trois concepts de base en matière de dépenses d'aide. Il établit les premières conditions pour une responsabilisation efficace en matière de dépenses d'aide. Il s'agit donc d'un modeste projet de loi d'initiative parlementaire. Il apportera une contribution très valable au Canada en matière d'aide au développement. Sans qu'il n'en coûte rien, ce projet de loi contribuera à améliorer la qualité et l'efficacité des dépenses d'aide du Canada.

Mme Kane : En augmentant l'influence de son aide au développement, le Canada améliorera son image à l'étranger et se fera remarquer par sa sincérité et sa sollicitude. Dans les pays en développement, beaucoup perçoivent avec cynisme les motivations des pays qui engagent des dépenses en développement et en aide, car ils ont pu constater que cette aide servait à d'autres fins. Le Canada sera vu comme un pays qui essaie sincèrement d'empêcher que l'aide ne soit détournée de son but premier; il mettra sur pied un mécanisme de responsabilisation pour veiller au respect de cet objectif. La loi ne garantit pas la résolution de tous les problèmes, mais elle fournit un cadre propice à améliorer la situation actuelle.

La communauté internationale appréciera l'effort fourni par le Canada et l'influence accrue du Canada sur l'échiquier mondial lui sera très bénéfique.

Le sénateur Segal : J'aimerais connaître votre opinion sur un processus d'aide « dévoué exclusivement » à la réduction de la pauvreté. Je ne parle en aucune façon au nom de mes collègues, qui ont participé à la production du rapport sur l'Afrique bien avant que je ne sois nommé au Sénat, et qui ont recueilli les témoignages de plus de 400 personnes sur une période de deux années, dans 80 lieux distincts en Afrique, en Europe et ailleurs. Je retiens de ces témoignages que les Africains ne veulent ni de l'aide, ni des programmes de réduction de la pauvreté. Ils veulent faire du commerce et participer aux marchés en toute équité. Ils veulent sortir de la pauvreté par leurs propres moyens. Ils ne veulent pas d'une aide perpétuelle. De fait, ils cherchent à devenir autosuffisants.

Je ne suis donc pas certain qu'il soit opportun de se concentrer uniquement sur la lutte contre la pauvreté. J'aimerais connaître votre avis à ce sujet : ne sommes-nous pas, dans les faits, en train de perpétuer — pour toutes sortes de bonnes raisons, je ne doute pas une seconde de la noblesse des intentions des donateurs à cet égard — le genre de situation qui entrave la capacité de l'ACDI de répondre aux différentes circonstances par des moyens différents, à la fois rapides, efficaces et porteurs de réels progrès? Ce progrès nous permettrait de dire que ces deux ou trois pays, où nous avons investi des sommes importantes et travaillé en collaboration avec plusieurs autres organismes de qualité, s'acheminent vers les niveaux de développement des pays de l'OCDE en fonction du revenu par tête. Peut-être pourrions-nous alors rediriger nos fonds vers d'autres pays dans le besoin et vers d'autres secteurs que la réduction de la pauvreté? J'aimerais connaître votre opinion sur ce sujet.

M. Barr : Mme Kane prendra également la parole. Le sénateur Dallaire nous a donné une perspective intéressante sur cette question hier. Il a comparé la croissance économique favorable aux pauvres à la croissance économique proprement dite. L'aide et les stratégies d'aide en matière de réduction de la pauvreté concernent les questions d'équité et de répartition des richesses. Les catégories d'activités n'entrent pas en ligne de compte. Aucune catégorie d'activités n'est exclue lorsque l'objectif visé est la lutte contre la pauvreté. Nous devons faire une distinction entre l'objectif visé et les activités touchées par la réduction de la pauvreté.

Il n'y a donc pas lieu de s'inquiéter d'une restriction du champ d'intervention.

Le sénateur Segal : On se doit de souligner l'important investissement de l'ACDI en matière de formation juridique, en vue d'établir un ordre judiciaire honnête, bien formé, à même de comprendre et de faire progresser l'administration de la justice dans le respect des droits de la personne, dans le cadre d'un système judiciaire indépendant. Sans vouloir exagérer, quelqu'un pourrait néanmoins se demander ce que ces mesures ont à voir avec la réduction de la pauvreté : « Pourquoi dépenser de l'argent dans un pays A pour former des membres de l'ordre judiciaire quand vous pourriez investir dans le pays A en matière de réduction de la pauvreté, puisque la nouvelle loi dit qu'il faut axer l'aide sur la réduction de la pauvreté?

Cela vous préoccupe-t-il?

M. Barr : Cette question pourrait être soumise au ministre au moment où il ou elle se présentera devant le Parlement muni du rapport prévu dans le projet de loi; il appartiendra alors au ministre de faire une distinction entre cette activité et la lutte contre la pauvreté. Si il ou elle y parvient, la question sera réglée. Sinon, les députés le ou la talonneront de questions. C'est la bonne façon de procéder.

Mme Kane : Il n'y a rien dans le projet de loi qui peut prévenir cela. Nous ne disons pas que toutes les activités de réduction de la pauvreté doivent toucher directement les personnes pauvres. Ce serait une caricature du genre de restrictions que nous aimerions voir imposer à l'aide. Dans un pays comme le Ghana, par exemple, les moyens de subsistance des agriculteurs jouent un rôle essentiel en matière de réduction de la pauvreté. Je ne connais aucun organisme d'agriculteurs qui soutient que les moyens de subsistance des agriculteurs sont insuffisants en raison d'un manque d'aide. Ils devraient savoir que, dans les faits, ce sont les règles commerciales qui protègent leurs moyens de subsistance et permettent un développement qui favorise la réduction des inégalités dans la société ghanéenne.

L'aide peut contribuer à financer plusieurs outils de développement de l'agriculture et différents types d'infrastructure sociale et légale qui permettraient aux agriculteurs de se prévaloir de leurs droits.

Je ne crois pas que le fait de restreindre l'aide à la lutte contre la pauvreté équivaut à dire que l'aide est la solution à la pauvreté. Selon nous, il faut limiter les objectifs de l'aide en tant qu'outil de développement.

M. Freeman : Il est important de mettre en contexte le champ d'application de cette loi. Je ne saurais dire si la formation juridique s'inscrit dans l'objectif de la réduction de la pauvreté tel que défini par la loi, mais la loi fournit une liste des éléments que le ministre doit contrôler. Un degré raisonnable de retenue est alloué au ministre à cet égard. Au paragraphe 4(1), le projet de loi précise : « si le ministre compétent est d'avis », ce qui confère au ministre la retenue nécessaire pour administrer les programmes, et ce, non pas pour réduire la pauvreté, mais plutôt pour contribuer à la réduction de la pauvreté. Il s'agit d'un contrôle. Le ministre doit pouvoir dire tout simplement qu'à son avis, ledit projet ou ledit programme s'attaque suffisamment à la pauvreté.

Le projet de loi permet donc un large éventail d'activités de développement. Même si la formation juridique s'avérait exclue par cette loi, le gouvernement du Canada pourrait inclure cette activité dans l'enveloppe de l'aide internationale, plutôt que dans celle de l'aide.

Le sénateur Corbin : Cela me dérange que ce projet de loi, censé être issu d'un consensus, n'ait pas l'appui du gouvernement actuel. Je ne connais pas la raison de ce rejet, mais nous poserons la question aux représentants du gouvernement lors de leur comparution.

Cependant, vous semblez dire que le projet de loi n'est pas perfectible. Vous semblez satisfait de la formulation actuelle du projet de loi, même s'il a été amendé à plusieurs reprises. Je crois qu'il peut encore être amélioré.

Cela me dérange que ce projet de loi passe pour une mesure législative distincte, surgie de nulle part et sans lien avec les démarches d'autres gouvernements ou d'autres entreprises privées en vue d'aider l'Afrique et le reste du monde dans le besoin. Il n'est ici aucunement fait mention de la participation des entreprises privées canadiennes. Il faut examiner cette question.

Je ne peux pas parler au nom de mes collègues, mais en ce qui me concerne, je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour inclure des intervenants d'horizons divers dans ce projet de loi. J'approuve ce projet de loi sur le plan moral. J'ai d'ailleurs fait de la responsabilisation mon cheval de bataille depuis des années. Cependant, en ce qui concerne la réduction de la pauvreté, je ne crois pas que la formulation actuelle du projet de loi permettra d'atteindre rapidement les résultats escomptés. Il y a d'autres façons de relever les défis. J'aimerais connaître votre opinion.

M. Barr : Je vous accorde que le consensus sur ce projet de loi s'est effrité à mesure qu'il se rapprochait de l'étape de la promulgation. Cependant, les fondements de ce projet de loi obtiennent certainement l'assentiment de tous les partis, qui lui ont manifesté leur appui à plusieurs reprises, tant au comité qu'à la Chambre des communes, par voie de vote. Nous croyons que cela est très important.

Cet appui multipartite revêt une grande importance à nos yeux et prendrait une importance capitale dans l'éventualité d'un nouvel amendement du projet de loi et d'un renvoi à la Chambre des communes, où la question du consensus entrerait de nouveau en jeu. Toute fragilisation du consensus pourrait remettre en question la survie du projet de loi. Cette question est délicate.

Selon nous, ce projet constitue sans l'ombre d'un doute un important progrès. Il serait terrible de permettre « au mieux de devenir l'ennemi du bien » et, pour un motif ou un autre, de faire des modifications qui remettraient en question le projet de loi en prolongeant indéfiniment les débats à la Chambre des communes.

Le vice-président : Je vous remercie d'être venus.

Le commis m'a rappelé que les émeutes avaient commencé à Addis-Abeba avant notre arrivée. L'ambassadeur m'avait alors téléphoné pour m'avertir du danger et me déconseiller de partir. J'ai malgré tout autorisé notre visite, qui s'est très bien déroulée.

La séance est levée.


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