Aller au contenu
LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 4 - Témoignages - Séance de l'après-midi


OTTAWA, le mardi 5 septembre 2006

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, auquel a été renvoyé le projet de loi C- 2, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation, se réunit ce jour à 13 h 5 pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Donald H. Oliver (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je déclare ouverte la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-2, couramment appelé le projet de loi fédéral sur la responsabilité.

Comme le savent les membres du comité et les témoins, de même que notre auditoire, ce projet de loi constitue un élément central du programme du nouveau gouvernement en plus d'être l'une des mesures législatives les plus importantes dont le Parlement ait été saisi ces dernières années. Je ne doute pas que notre comité va examiner ce projet de loi avec toute l'attention et le soin qu'il mérite.

Nos audiences, qui ont débuté en juin, porteront sur la reddition de comptes, l'éthique, les conflits d'intérêts et le financement des partis politiques. Nos audiences se poursuivront au cours des prochaines semaines et porteront sur d'autres aspects importants du projet de loi. Pour la présente réunion, nous nous attarderons surtout à la question de la reddition de comptes, dont M. Mitchell et M. McCandless ont traité ici ce matin.

Nous accueillons cet après-midi deux personnalités éminentes. Notre premier invité se passe pratiquement de présentation. Il y a peu de personnes qui se spécialisent dans les questions de la question de la fonction publique qui soient plus connues que le professeur Ned Franks. Professeur émérite à l'Université Queen's, M. Franks est l'un des plus grands spécialistes constitutionnels et parlementaires du pays. M. Franks a travaillé comme conseiller recherchiste principal auprès du juge John Gomery.

Un autre professeur d'une compétence indiscutable, Peter Aucoin, de l'Université Dalhousie, se joint à M. Franks. M. Aucoin, dont l'enseignement et la recherche ont aidé à façonner des politiques publiques et inspiré des fonctionnaires, est l'un des scientifiques du domaine politique les plus respectés du Canada. M. Aucoin enseigne au Département de sciences politiques de l'Université Dalhousie depuis 1970. Il est reconnu, tant à l'échelle nationale qu'internationale, pour être un théoricien de premier plan sur la pratique et la réforme de la fonction publique, y compris la gouvernance du cabinet fédéral et des partis politiques.

C'est un honneur pour le comité d'accueillir cet après-midi ces témoins.

[Français]

Le comité tient à vous remercier de votre présence. Je vous cède maintenant la parole et ensuite, nous passerons à une période de questions et de discussions qui seront très utiles pour les membres du comité.

[Traduction]

C.E.S. (Ned) Franks, professeur émérite, Université Queen's : Merci. Le projet de loi est tellement volumineux que je me demande s'il est possible pour une seule personne de l'assimiler. Je n'y suis pas parvenu, et je n'y parviendrai pas non plus. Mes remarques porteront principalement sur les aspects de ce projet de loi liés à la responsabilité et à la reddition de comptes, mais attendez-vous à des digressions occasionnelles.

Pour rester positif, je considère que le projet de loi représente un pas énorme en avant aux chapitres de la responsabilité et de la reddition de comptes du gouvernement du Canada. La raison d'être de ce projet de loi découle d'une grave erreur dans la façon de penser du gouvernement, jusqu'à la présentation de ce projet de loi, à savoir que les ministres étaient comptables devant le Parlement de tout ce qui se passait dans leur ministère, peu importe qu'ils en aient eu ou non la responsabilité législative. Il est évident que des lois comme la Loi sur la gestion des finances publiques et d'autres attribuent la responsabilité de gestion et des secteurs très importants non pas aux ministres mais aux sous-ministres. Je suis convaincu que le fait que le gouvernement ait refusé de reconnaître que les ministres ne peuvent pas rendre compte de ces attributions de gestion et qu'il appartient aux sous-ministres de le faire, a semé la confusion et mené directement au gâchis mis au jour par la Commission Gomery.

À cet égard, la Commission Gomery a recommandé que les sous-ministres soient comptables devant les comités parlementaires de leurs attributions administratives — et non pas qu'ils leur en rendent compte. Sauf erreur, la loi telle que révisée par la Chambre stipule qu'ils sont comptables devant les comités du Sénat et de la Chambre des communes du Canada. Le projet de loi précise les deux chambres, et je pense que c'est important. J'y reviendrai plus tard.

Si je mets en contraste le cadre de référence français de la Commission Gomery et le cadre de référence anglais, la version anglaise dit « the respective responsibilities and accountabilities of Ministers and public servants ». Pour sa part, la version française est beaucoup plus précise puisqu'elle indique « la responsabilité des ministres et » « sous- ministres » je pense. Autrement dit, la responsabilité dans ce sens comprend la reddition de comptes, et j'en suis fermement convaincu. Vous ne pouvez pas avoir de responsabilité dans le véritable sens du mot sans devoir en rendre compte d'une façon ou d'une autre, et vous ne pouvez pas rendre compte de quoi que ce soit qui ne relève pas de votre responsabilité, dans le sens que vous devez vous assurer que les choses sont faites correctement.

« Responsabilité » a d'autres significations. Celle que je trouve la plus pratique est celle d'une mère qui pourrait dire à plusieurs enfants : « Qui a fait ce gâchis? Qui en est responsable? » L'autre signification de « responsable » a le sens d'agir de façon responsable, qui est en fin de compte la façon dont nous voulons que le gouvernement se comporte. La question est de savoir comment y parvenir.

Dans la loi fédérale sur la responsabilité, il y a ce que je considère être un profond changement, même si d'autres ne sont peut-être pas d'accord, dans la responsabilisation des fonctionnaires et des sous-ministres plus particulièrement. On y dit que les sous-ministres seront désignés les administrateurs des comptes et, à ce titre, ils seront comptables devant les comités. « Administrateur des comptes » est une expression qui vient du système britannique, que le comité sénatorial a de toute évidence examiné. Dans ce système, les sous-ministres doivent défendre eux-mêmes ce qu'ils ont fait.

Un autre problème est que même si nous pouvons modifier la déclaration de responsabilité officielle prévue par la loi, nous devons quand même le faire de façon à ce que ce soit efficace. Je suis convaincu qu'au Canada, un problème réel est que les sous-ministres ne restent pas en poste assez longtemps et qu'ils sont nommés dans le cadre d'un processus plutôt obscur et caché, ce qui d'après moi met davantage le fardeau sur le premier ministre que d'autres systèmes parlementaires.

Nous avons raison d'être inquiets. Entre 1985 et 2005, le Canada a connu six greffiers du Conseil privé, huit secrétaires du Conseil du Trésor, dix sous-ministres de l'Industrie, dix de l'Environnement et neuf des Affaires indiennes. La durée moyenne en poste d'un sous-ministre a été légèrement inférieure à trois ans. En juillet de cette année, neuf des 22 sous-ministres, soit 41 p. 100, occupaient leur poste actuel depuis moins de sept mois, seulement un était à son poste depuis plus de trois ans, et la durée moyenne en poste était de 1,7 année.

L'ancien greffier du Conseil privé, Gordon Osbaldeston, a réalisé une étude de la reddition de comptes. Un commentaire très intéressant tiré de cet examen est qu'il faut de deux à trois années à un sous-ministre pour s'adapter à un ministère. Si nous disons que c'est trois ans, nous avons seulement six sous-ministres sur vingt en ce moment qui ont été suffisamment longtemps en poste pour diriger efficacement leurs ministères. En fait, M. Osbaldeston a constaté que les présidents-directeurs généraux du secteur privé ont été étonnés de ce taux de roulement chez les sous-ministres et ne pouvaient pas comprendre qu'un gouvernement puisse fonctionner dans de telles conditions. Je n'en dirai pas plus et je laisserai au professeur Aucoin le soin de développer cet aspect.

Je vais parler de questions qui ont trait à la responsabilité et à la reddition de comptes, y compris de la Commission des nominations publiques qui est proposée. Cette commission, qui a à l'origine été présentée à la Chambre, possède un mandat vague. On y dit que « le gouvernement peut constituer la commission », etc., ce qu'il continue de faire que je sache. Personne ne savait ce que devait faire la commission ni quelle norme elle devait faire respecter.

Dans mes remarques écrites, je laisse entendre que le modèle qu'on avait alors à l'esprit était celui du Bureau du commissaire des nominations publiques d'Angleterre qui compte 10 employés et supervise au cours d'une année plusieurs milliers de nominations, que nous appellerions ici des nominations du gouverneur en conseil. Pour ce faire, ils ont recours à des évaluateurs qui aident les ministères dans ce processus. Nous devons examiner les normes suivies par le Bureau du commissaire des nominations publiques d'Angleterre, notamment : la responsabilité ministérielle; les nominations fondées sur le mérite; un processus qui comporte un examen indépendant; des chances égales pour tous les groupes de personnes et tous les membres du grand public; des organismes publics qui s'engagent à faire respecter les principes et les valeurs de la fonction publique; l'ouverture et la transparence du processus; et la proportionnalité au sens de s'assurer que la nomination est pertinente par rapport à l'importance du poste. Autrement dit, le président de la Société Radio-Canada devrait être nommé dans le cadre d'un processus beaucoup plus exhaustif et minutieux qu'un membre ordinaire d'un conseil plus ou moins anonyme.

Jusqu'à maintenant, au Canada, notre processus des nominations publiques a été fermé. Nous n'en connaissons pas les principes. Le système britannique ne peut pas être importé au Canada parce que la plupart des nominations ici sont faites par le gouverneur en conseil tandis qu'en Angleterre, elles sont faites par les ministres en vertu des lois sur les ministères, et le Bureau du commissaire des nominations publiques joue son rôle par l'entremise d'un organisme central, le secrétariat du cabinet, et supervise le travail des divers ministères dans le cadre du processus des nominations. Il y aura une question de reddition de comptes du Bureau du commissaire des nominations publiques qui est proposé, et dont je ne traiterai pas davantage pour l'instant.

Finalement, la loi crée un plus grand nombre d'agents ou de mandataires du Parlement — « mandataires » étant le mot plus exact — tels que le vérificateur général, le commissaire aux langues officielles, etc. Nous sommes en train de créer une pléthore de mandataires du Parlement. Je crois qu'il y en a dix parmi eux qui ont de nombreuses fonctions et rien de vraiment clair pour ce qui est de leur relation avec le Parlement sur les plans des rapports et de la reddition de comptes. L'éventail des fonctions découlant du quasi-judiciaire est tout simplement trop vaste pour tout simplement faire des commentaires. Il y a la question de savoir si la Commission de la fonction publique devrait être un mandataire du Parlement. Elle estime en être un, même si d'autres ne le pensent pas. Il faudra tôt ou tard clarifier ce point.

Il y a un cadre pour un régime amélioré de responsabilisation. Cela nécessitera énormément de travail de la part du Parlement et de la fonction publique. Le Conseil du Trésor lui-même doit entreprendre une réforme radicale. Je suis convaincu que le Sénat a un rôle à jouer dans cette réforme. Je me suis souvent demandé si le comité des comptes publics devrait, à l'instar du Comité mixte permanent d'examen de la réglementation, être un comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat pour que l'expérience et la persévérance du Sénat puissent faire en sorte que le gouvernement rende des comptes.

Peter Aucoin, professeur, Département de sciences politiques et École d'administration publique, Université Dalhousie : Merci de m'avoir invité à comparaître devant vous. C'est un honneur, en partie en raison de l'importance de ce projet de loi. C'est aussi un honneur puisque, comme vous, monsieur le président, et le professeur Franks l'avez signalé, il s'agit d'un projet de loi exhaustif portant sur un vaste éventail de sujets — dans une certaine mesure un pot-pourri de sujets — et je veux traiter de seulement quelques-uns d'entre eux.

Je limiterai mes observations, comme je l'ai fait dans ma déclaration écrite, à la reddition de comptes au Parlement et au public; aux pouvoirs, à la responsabilité et à l'obligation de rendre compte des sous-ministres; à la dotation et à la gestion de la haute fonction publique, les sous-ministres; et à la dotation et à la gestion des sociétés d'État et des conseils d'administration de même qu'aux PDG des sociétés d'État.

Je commencerai par une observation générale sur l'obligation de rendre des comptes au Parlement et au public. Pour un auditoire tel que le vôtre, nul besoin de dire que le Parlement est l'institution clé de reddition de comptes publics du gouvernement. Cependant, il faut insister sur ce point parce que nous nous sommes rendu compte qu'il n'y a pas de substituts efficaces à la reddition de comptes. Bien que les médias soient essentiels, ils ne peuvent pas agir à titre officiel pour entreprendre l'examen du gouvernement. Nous nous sommes rendu compte au cours des 10 dernières années que des rapports améliorés fondés sur des résultats au Parlement ou au grand public ne le feront tout simplement pas. Bien que nous sachions que les élections sont importantes, elles ne suffisent pas à garantir la reddition de comptes.

Nous savons aussi que du point de vue comparatif et du point de vue canadien, le Parlement fonctionne le mieux lorsque le gouvernement ne peut pas imposer sa direction et la discipline de parti. Dans le contexte canadien, il existe plusieurs graves problèmes en ce qui concerne notre situation. Cependant, la faiblesse de notre Parlement canadien au plan comparatif ne découle pas d'un manque de ressources mais plutôt d'une inégalité du pouvoir entre le gouvernement et l'opposition. Dans ce contexte, et je rejoins en partie ce qu'a dit le professeur Franks, l'amélioration côté ressources n'aura pas une incidence importante tant que certains problèmes d'inégalité du pouvoir n'auront pas été réglés. Par exemple, bien que je réserve un bon accueil à la création d'un bureau indépendant du budget parlementaire pour faire l'analyse détaillée dont les députés ont besoin, cette initiative a autant de chances d'avoir une importante incidence que les rapports axés sur les résultats ont eue en l'absence d'un régime de reddition de comptes plus vigoureux. Par exemple, le Bureau du vérificateur général du Canada est de toute évidence l'organe de vérification générale qui dispose des meilleures ressources au monde et pourtant, le Parlement canadien n'en tire pas pleinement parti.

La plupart des questions sur la façon d'améliorer la reddition de comptes du Parlement à cet égard ne font pas partie de la présente discussion. Cependant, il est impératif que l'on envisage à un moment ou un autre des façons par lesquelles les minorités au sein des comités pourraient avoir davantage leur mot à dire dans la détermination des examens à entreprendre, des témoins qui comparaissent et de la façon dont les témoins sont interrogés. Lorsque les majorités peuvent contrecarrer et gêner les demandes légitimes de reddition de comptes, l'importante responsabilité du Parlement est compromise. Cette situation a été très bien illustrée en Australie au cours des 18 derniers mois, depuis que le gouvernement d'Australie a pris le contrôle du Sénat australien, l'institution qui jouait probablement le rôle le plus efficace pour obliger le gouvernement d'Australie à rendre des comptes. Le premier jour où le gouvernement a pris effectivement le contrôle du Sénat australien, une enquête d'envergure sur le comportement du gouvernement dans une affaire importante a été réduite au silence par la majorité gouvernementale.

J'aimerais revenir à la question de la reddition de comptes au public et au Parlement parce que d'autres aspects de la reddition de comptes de la fonction publique ne fonctionneront pas bien en l'absence d'un Parlement efficace. Je ne répéterai pas les observations de M. Franks sur les pouvoirs, la responsabilité et l'obligation de rendre des comptes des sous-ministres. Le projet de loi à l'étude rejette la doctrine officielle traditionnelle voulant que les sous-ministres ne soient pas comptables devant la Chambre des communes ou ne rendent pas de comptes à cette dernière par le biais d'un comité parlementaire pour toutes les questions qui relèvent de leur compétence personnelle parce que les sous-ministres ont reçu les pouvoirs et que ces pouvoirs échappent aux ministres. Traditionnellement, il s'est créé un vide au plan de la reddition de comptes parce que les sous-ministres n'étaient pas tenus comptables devant le Parlement. Pourtant, de toute évidence, leurs ministres ne pouvaient pas rendre de comptes à leur place, ni pour les pouvoirs qu'ils détenaient.

Dans ce cas, le fait nouveau important est que le scandale des commandites a mis à nu l'absence d'une compréhension cohérente et appropriée de l'obligation de rendre des comptes des sous-ministres au Canada. À cet égard, le juge Gomery a eu raison dans pratiquement tous les aspects de son analyse et de ses conclusions quant à qui était responsable. Le Parti conservateur et le gouvernement actuel ont raison en ce qui concerne le bureau ou le régime de responsabilisation qui est proposé dans le projet de loi C-2. Le point important est que les sous-ministres doivent être tenus comptables devant un comité parlementaire, qu'ils doivent rendre des comptes à un comité parlementaire et qu'un comité parlementaire peut les obliger à rendre des comptes.

Sur la question de la dotation et de la gestion de la fonction publique, il est important d'insister sur le fait que pour qu'un régime de responsabilisation soit efficace, le régime de gouvernance doit également l'être. Dans le contexte canadien, dans le cas des ministres, le régime de gouvernance est efficace, le premier ministre étant responsable de l'orientation pour ce qui est des mesures disciplinaires prises à l'endroit d'un ministre ou de sa destitution. Dans ce sens, la structure est appropriée. Cependant, dans le cas des sous-ministres, la structure de gouvernance est non seulement plus complexe, elle suscite un manque de confiance. C'est le premier ministre qui nomme les sous-ministres, qui leur confie des attributions et qui les démet de leurs fonctions; les conseils sont donnés par le greffier et ce dernier peut être conseillé par un comité de hauts fonctionnaires, quoique la responsabilité incombe au premier ministre et que le premier ministre peut assumer cette responsabilité et le fait effectivement.

En même temps, les sous-ministres sont les premiers dirigeants de leurs ministères. Ils dirigent ce que nous appelons une « fonction publique professionnelle », qui est censée être une fonction publique professionnelle et non partisane, mais les sous-ministres ne font pas partie de la fonction publique dont la dotation se fait de façon indépendante selon le principe du mérite et sous l'égide de la Commission de la fonction publique. Voilà la faille de notre système, ou ce qui est devenu la faille au cours des dernières années. Il est dans l'intérêt des sous-ministres de se plier en tout temps aux directives politiques, même lorsque celles-ci sont inappropriées; et nous l'avons vu très nettement dans le scandale des commandites.

La relation traditionnelle de gouvernance entre les ministres et la fonction publique est maintenant rompue, comme l'a soutenu le professeur Donald Savoie dans son importante étude intitulée Breaking the Bargain : Public Servants, Ministers, and Parliament. Je n'ai entendu personne s'opposer à cette conclusion. J'ajouterais, pour insister sur ce point, que cette situation n'est pas propre au Canada. Tous les systèmes de type Westminster comparables à celui du Canada — Grande-Bretagne, Australie et Nouvelle-Zélande — comportent une forte concentration de pouvoirs. La Nouvelle-Zélande a un système différent pour nommer ses administrateurs et, en conséquence, entretient une meilleure relation. La mesure motivation pour les sous-ministres de bien gérer vient loin en deuxième place à leur motivation d'obtenir la faveur du premier ministre. Cette motivation s'applique à un important groupe de sous-ministres associés et à tous les fonctionnaires qui veulent gravir les échelons pour parvenir à ces deux niveaux. À cet égard, la Commission Gomery soutient à juste titre qu'il faut doter de façon indépendante l'effectif des sous-ministres, même si quelques questions subsistent quand au processus précis recommandé pour le faire.

Comme les sénateurs ou certains peut-être le savent, ces recommandations ont été rejetées par un groupe d'éminents Canadiens comme étant « un gouvernement contrôlé par les non-élus ». Cependant, je prétends que ce n'est pas ce que le projet de loi prévoit. En fait, la nomination des sous-ministres en vertu d'un processus indépendant est précisément le genre de structure de gouvernance nécessaire pour assurer une administration et une gouvernance publiques plus efficaces. Ce processus indépendant permet également d'insister sur le fait que le Parlement, le Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique ont donné leurs pouvoirs aux sous-ministres, pas seulement aux ministres, dans le but de promouvoir une bonne administration publique. À cet égard, l'amélioration qu'apporte le régime des administrateurs des comptes proposé dans le projet de loi C-2 est limitée par le fait que la principale motivation pour les sous-ministres est de rester comme ils sont. Cette motivation envoie tout de même un puissant message aux fonctionnaires qui aspirent aux plus hauts échelons.

Pour ce qui est de la dotation de la fonction publique, je fais une remarque en passant au sujet de la nomination du personnel de cabinet des ministres. Le projet de loi C-2 propose d'éliminer l'embauche préférentielle du personnel de cabinet des ministres, mesure qui aurait dû être prise il y a longtemps. Le Canada a été le seul régime à procurer un tel avantage au personnel politique pour entrer dans la fonction publique professionnelle, ce qui contredit de toute évidence les principes de la dotation indépendante au sein de la fonction publique. Cependant, je ne crois pas qu'il soit du tout de l'intérêt public de permettre au personnel politique d'avoir accès aux concours accessibles uniquement aux fonctionnaires, et donc inaccessibles à tous les autres Canadiens. Bref, le personnel politique aura encore un accès privilégié injustifié à la fonction publique, comme on le constate dans le projet de loi C-2.

Lorsqu'il a comparu devant votre comité, le président du Conseil du Trésor a déclaré, inconsciemment peut-être, que le personnel politique sera désormais « traité de la même façon que les fonctionnaires ». Le problème est qu'ils sont toujours, d'une certaine façon, traités de la même façon que les fonctionnaires, et cela constitue toujours une porte arrière, même s'il y a un concours. Ces personnes qui savent à quel point il est difficile de gérer un processus concurrentiel indépendant pour des postes savent qu'il y a encore un avantage au système, et un avantage perçu au système.

Finalement, sur la question de la dotation et de la gestion des conseils d'administration des sociétés d'État et des PDG, nous avons ici aussi une situation où le Parlement a donné le pouvoir à des personnes autres que les ministres pour la conduite des affaires publiques. La tradition a toujours voulu que l'on suppose que les ministres ne sont pas responsables ou comptables des questions qui relèvent des attributions et des pouvoirs prévus par la loi qui sont conférés aux sociétés d'État. Cependant, le plus récent effort du Conseil du Trésor, mené en 2005 sous la direction du gouvernement précédent, en vue de formuler une nouvelle doctrine officielle sur la reddition de comptes des sociétés d'État a, d'après moi, brouillé encore plus toute la situation.

Le Conseil du Trésor suggère maintenant que les conseils d'administration rendent compte uniquement aux ministres et qu'une hiérarchie rigoureuse désormais prévaut selon laquelle les conseils d'administration rendent compte aux ministres et les ministres rendent compte au Parlement — encore une fois, même pour les questions qui relèvent de la compétence des sociétés d'État. Par conséquent, nous revenons à la situation bizarre à laquelle a fait allusion le professeur Franks, où le Parlement donne des pouvoirs à un organe et nous supposons en quelque sorte alors que les ministres sont responsables lorsque cet organe exerce ses pouvoirs. Cette situation faisait partie d'un effort déployé par le Conseil du Trésor pour resserrer les choses.

Des questions sur la bonne gouvernance publique consciente de ses responsabilités civiles ont été soulevées en réaction au scandale des commandites. À cet égard, les recommandations de la commission Gomery rehausseraient la bonne gouvernance publique et la reddition des comptes publics. Les recommandations sont légèrement différentes de celles contenues dans la loi fédérale sur la responsabilité et je pense que l'approche ici est, dans une certaine mesure, importante.

Le juge Gomery a recommandé que les conseils d'administration des sociétés d'État remplacent eux-mêmes les administrateurs lorsque des postes se libèrent. Le projet de loi C-2 propose la mise sur pied d'une commission des nominations publiques, si je me fie à la lecture du projet de loi, pour surveiller le processus des nominations faites par les ministres. Les titulaires de ces postes sont toujours nommés par des ministres, et la plupart surtout par le premier ministre.

Ce changement n'améliore pas nécessairement la situation. L'approche adoptée par le projet de loi C-2 prévoit toujours que des personnes partisanes — c'est-à-dire les ministres — font la sélection, même si c'est à partir d'une liste. Si vous examinez les questions qui ont été soulevées au sujet des sociétés d'État, de la gouvernance et de l'administration des sociétés d'État, au Canada comme ailleurs, il n'y a pas grand-chose qui nous indique qu'au Canada la compétence est le principal problème. Par exemple, dans le scandale des commandites, lorsque des sociétés d'État étaient en cause, le problème n'était pas la compétence, mais plutôt le copinage partisan.

Si l'on jette un coup d'œil au système britannique qui a été mis en place avec une Commission des nominations publiques, la critique là aussi n'a pas trait à la compétence mais plutôt au copinage qui n'a pas été éliminé. Comme vous pouvez facilement l'imaginer, les personnes qui sont nommées par le gouvernement travailliste portent l'étiquette de « copains de Tony ». Les commissaires eux-mêmes ont critiqué le rôle des ministres dans le processus de nomination.

Je pense que la recommandation du juge Gomery est la meilleure et qu'il faut la développer comme étant la démarche souhaitable. On pourrait avoir recours efficacement à une commission — peut-être la Commission de la fonction publique du Canada devrait jouer ce rôle — pour surveiller le processus si les conseils d'administration des sociétés d'État comblent eux-mêmes ces postes. À cet égard, de même que pour ce qui est de la nomination des sous- ministres — un point que j'aurais dû faire valoir plus tôt —, il faut toujours un mécanisme de protection, et le premier ministre de même que le Cabinet devraient avoir un droit de veto sur les nominations lorsqu'elles sont faites de façon indépendante, mais le premier ministre et le Cabinet ne devraient pas avoir de pouvoir de nomination.

Il s'ensuit que si l'on songe à un meilleur processus de gouvernance pour les nominations au sein des sociétés d'État, il est évident que les sociétés d'État devraient nommer leurs propres présidents-directeurs généraux, comme cela se fait dans le secteur privé et qui constitue une pratique judicieuse.

Dans le contexte canadien, la reddition de comptes s'améliorera dans la mesure où nous aurons reconnu que dans notre système nous avons conféré des pouvoirs aux ministres — c'est la pierre angulaire —, mais nous avons de toute évidence conféré des pouvoirs prévus par la loi aux sous-ministres et aux sociétés d'État.

La question critique est de savoir si les ministres ont suffisamment de pouvoirs pour diriger et gérer les affaires de l'État. Pour ce qui est de la fonction publique et des sociétés d'État, en bout de compte elles ont suffisamment de pouvoirs d'émettre des instructions pour s'assurer qu'elles peuvent être tenues responsables au même titre qu'un gouvernement.

Ce point peut sembler évident, mais à mon avis il y a des situations où ce n'est pas le cas. Bien que cela n'ait pas principalement trait aux préoccupations de votre comité, la vérificatrice générale et moi-même en sommes venus à la conclusion, à plusieurs reprises, que plusieurs fondations indépendantes, comme la Fondation canadienne pour l'innovation, qui ont été mises sur pied par le gouvernement libéral précédent, ne satisfont pas pleinement au critère de la responsabilité ministérielle à cet égard. Un gouvernement distributif peut aller trop loin.

Dans le cas des sociétés d'État ou des sous-ministres nommés de façon indépendante, le gouvernement actuel ne va pas trop loin. Cependant, il faut avoir la structure de gouvernance qui convient; et je pense qu'il faut une plus grande indépendance dans le contexte de notre système pour la fonction publique, à la fois pour ce qui est de la bonne gouvernance publique et de la bonne gestion publique.

À mon avis la gouvernance démocratique sera renforcée, non pas affaiblie, par ces mesures. La gouvernance démocratique a toujours été renforcée par des freins et contrepoids efficaces dans le système. Le simple attrait d'avoir des ministres qui sont toujours en contrôle est un attrait populiste qui se vend peut-être bien dans certaines dictatures d'Amérique latine, mais pas lorsqu'il s'agit d'un gouvernement démocratique. La répartition des pouvoirs est un élément important de la gouvernance démocratique, et la capacité du Parlement — la Chambre des communes et le Sénat — de pouvoir contrôler le gouvernement est essentielle. La Loi fédérale sur la responsabilité contribue beaucoup à ce point.

Je conclus en précisant, comme l'a fait le professeur Franks, qu'une utilisation plus efficace du Sénat, en particulier pour ce qui est de la reddition de comptes de la fonction publique, est un aspect qui serait avantageux pour notre Parlement étant donné les points forts que le Sénat peut contribuer à cette question.

Le président : Merci à tous les deux de ces excellents survols. Nous sommes heureux et honorés d'avoir parmi nous des universitaires aussi distingués. Avant de céder la parole au sénateur Day, j'ai une question à vous poser.

Le professeur Franks a dit que les sous-ministres passent souvent d'un ministère à l'autre et il a donné des statistiques qui sont maintenant au compte rendu. Étant donné que les sous-ministres changent de poste, que pensez- vous de la notion prévue dans le nouveau projet de loi C-2 voulant que les administrateurs des comptes qui étaient auparavant dans un autre ministère puissent être convoqués devant un comité parlementaire pour rendre compte de ce qui s'est passé dans leur ancien ministère? Cette question me chicotte depuis un certain temps et j'aimerais savoir ce que vous en pensez tous les deux.

M. Franks : Cette question me chicotte également. Le problème est qu'une fois qu'un sous-ministre, ou un ministre, quitte ses fonctions, le sous-ministre ou le ministre n'a plus de responsabilités à l'égard de ces fonctions. Il répond à titre personnel en tant que personne qui a détenu la responsabilité, mais il n'a plus le pouvoir d'agir ou de donner des instructions. Le comité ou peu importe qui le tient comptable n'a d'autre choix que de dire, vous avez fait tout un fouillis il y a cinq ans et vous avez mal agi, mais il n'y a rien que nous puissions faire étant donné que quelqu'un d'autre assume les fonctions de sorte que tout ce que nous pouvons faire c'est de vous punir ou de vous en blâmer.

Le système de la reddition de comptes fonctionne lorsqu'il établit un lien entre le blâme et la responsabilité. Voilà pourquoi toute la question de la brève durée d'exercice des fonctions des sous-ministres et d'autres m'a tant préoccupé. Cela veut dire que la plupart du temps, même lorsqu'un problème est soumis au Comité des comptes publics, le temps qu'il faut au vérificateur général pour le découvrir, le signaler et le rendre public, le sous-ministre qui est maintenant en poste peut dire qu'il y a eu un problème et qu'il est réglé. Si le sous-ministre précédent comparaît devant le comité, il s'agit alors d'une personne qui peut dire qu'effectivement cela s'est produit. On a recommandé — et le comité des comptes publics l'a lui-même recommandé — que la responsabilité et l'obligation de rendre des comptes restent attachées à une personne lorsque cette dernière quitte ses fonctions.

Le président : Pour une période indéterminée, trois ans?

M. Franks : C'est ce qu'a suggéré le comité. Je peux comprendre pourquoi il a dit cela. Je préfère de beaucoup ma solution ou celle du juge Gomery ou la solution de Peter Aucoin, à savoir que le sous-ministre devrait rester en poste plus longtemps. La recommandation du juge Gomery fait état d'une nomination pour cinq ans. Je pense que cela permettrait de résoudre le problème à 90 p. 100.

M. Aucoin : Une partie de la difficulté réside dans le fait que l'une des principales raisons pour lesquelles on réaffecte de façon importante et trop souvent les sous-ministres est que l'on devrait accorder moins d'attention à la gestion des ministères. Je pense depuis longtemps que les ministres et les administrateurs des comptes devraient toujours être tenus de comparaître devant des comités pour rendre des comptes.

Le président : Pour rendre des comptes ou pour être comptables?

M. Aucoin : Non, pour rendre des comptes détaillés, même s'ils ne sont plus le ministre ou le sous-ministre d'un ministère; même s'ils ne sont plus au sein du gouvernement. Tant qu'ils sont en vie et en mesure de comparaître devant un comité, ils devraient donner un compte rendu parce que le problème dont il est question est toujours un problème de savoir ce qui s'est produit il y a un certain temps.

En fait, c'est ce qui pourrait se passer s'il s'agissait d'un sous-ministre qui a exercé ses fonctions pendant 10 ans et le lendemain que le problème est soumis à un comité parlementaire. C'est ce que nous avons clairement vu dans le contexte de l'examen effectué par le comité des comptes publics dans le cadre du scandale des commandites ainsi que dans l'examen fait par le juge Gomery de ce scandale. Ce qu'il est important de faire dans un grand nombre de ces cas, c'est de désigner une personne — et, pour le dire carrément —, de la blâmer et de l'humilier. Il est évident que si la personne en question n'occupe plus les fonctions, elle ne peut pas prendre de mesures correctives. Pour ce qui est de la reddition de comptes, rendre des comptes veut dire justifier ou défendre, de même qu'expliquer ou répondre à des questions au sujet de ce qui s'est passé. Il appartient alors au comité de porter un jugement ou d'évaluer la reddition de comptes. Ces comptes sont-ils satisfaisants ou non? Ce n'est pas une cour de justice dans ce sens où vous trouvez quelqu'un coupable, mais vous passez un jugement. De toute évidence, le comité des comptes publics a passé un jugement; la Commission Gomery a passé un jugement. On doit pouvoir établir un lien entre cela et les mesures correctives qu'il faut prendre. Si la question ne se règle toujours pas, c'est un problème. Il est important que nous oubliions une fois pour toutes la notion qui veut que les gens ne peuvent pas être tenus comptables une fois qu'ils ont quitté leurs fonctions. Ils pourraient être morts et pouvoir être tenus totalement comptables.

Le sénateur Cools : On a exhumé Cromwell et on l'a pendu à nouveau.

M. Franks : Je ne suis pas contre le fait de rendre des comptes. Même en Grande-Bretagne, où les gens occupent leur poste pendant cinq ans, le comité peut toujours inviter un administrateur des comptes précédent ou quelqu'un d'autre à rendre des comptes.

Par contre, je pense que le type ultime de responsabilité et de reddition de comptes que nous devons chercher à avoir est un sens de responsabilité chez les personnes qui assument la responsabilité. Pour encourager ce sens de responsabilité, il n'y a rien de mieux que de rester suffisamment longtemps en poste pour vivre avec les conséquences de vos actions ou de votre inaction. Je pense que notre système n'y parvient pas. Pire, je m'inquiète parfois que le système agisse de façon délibérée pour éviter précisément cela. Je peux vous donner un exemple de quelque chose que le comité des comptes publics examine en ce moment, ou examinait en juin, à savoir comment on a pris la décision d'exclure une dépense légitime du Budget supplémentaire des dépenses et des comptes publics. Les témoignages que le comité a entendus laissaient entendre que c'était pour éviter au gouvernement d'être embarrassé en période préélectorale. Pourtant, le sous-ministre qui a pris cette décision et qui en a accepté la responsabilité a été démis de ses fonctions quelques mois avant que cette situation devienne publique et a été promu à un poste supérieur au Bureau du Conseil privé. On envoie le mauvais message aux sous-ministres et à d'autres qui devrait être de faire passer la reddition de comptes au Parlement et la primauté du droit avant le devoir d'éviter de mettre le ministre ou le gouvernement dans le pétrin. Il y a une façon moins polie de le dire, mais je vous en fais grâce.

Je pense qu'il y a véritablement un problème auquel nous devons nous attaquer.

Le président : Je vous remercie tous les deux de vos réflexions à ce sujet. J'aimerais maintenant céder la parole au sénateur Day qui, en plus d'être le porte-parole de l'opposition concernant ce projet de loi, est également le président du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Il est très au fait des questions que vous avez abordées.

Le sénateur Day : J'accepte votre compliment, mais vous êtes mon ancien président du comité des finances nationales au Sénat. Premièrement, pour ce qui est des finances nationales, je pense que vous comprenez, monsieur Franks, que les comités des comptes publics ont tendance à s'intéresser aux choses une fois qu'elles sont survenues et nous, au Sénat, nous essayons de le faire avant qu'elles ne surviennent et nous posons des questions au lieu de demander pourquoi vous faites ceci, à quoi cela mène. Nous avons tendance à attacher beaucoup plus d'importance et à déployer beaucoup plus d'efforts lorsqu'il s'agit des finances nationales que des comptes publics. Votre suggestion, c'était un comité des comptes publics combiné. Je tenais à vous faire savoir quelle était notre façon de penser en ce moment à cet égard.

Suite à la question de notre président au sujet de ce sens de responsabilité au sein de la fonction publique et chez les hauts fonctionnaires, est-ce que nous y parviendrions si nous suivions votre recommandation, à savoir que les nominations soient faites par une personne ou un groupe autre que le premier ministre et le Cabinet du premier ministre?

M. Aucoin : Je n'attache pas beaucoup d'importance au système qui compte sur les gens pour qu'ils reconnaissent volontairement leur responsabilité, sauf dans le sens de reconnaître qu'ils ont le pouvoir. Souvent, le problème dans notre système est de tenir effectivement les gens comptables. Nous avons vu — et je continue d'y faire référence — dans le scandale des commandites des quantités de gens qui ont refusé d'accepter la responsabilité et qui ont mis le blâme sur d'autres. Une des tâches des comités parlementaires est d'écouter ce que disent les gens et de les obliger alors à rendre des comptes, qu'ils acceptent ou non la responsabilité. C'est là la dynamique des freins et contrepoids qui agissent dans le système. C'est très pratique que des gens se présentent et disent qu'ils sont responsables, mais le système ne suppose pas à l'avance que les gens vont se sacrifier eux-mêmes, il faudrait peut-être les y pousser en les obligeant à rendre des comptes.

Quand on parle de gens dotés d'un bon sens de la responsabilité, notamment dans la fonction publique, on parle de gens disposés à fournir un compte rendu complet et à le faire notamment à l'interne, et de gens qui ne tenteront pas de se soustraire à la responsabilité en l'attribuant à d'autres. C'est pourquoi, comme l'a fait remarquer le professeur Franks, il est si important de savoir qui a le pouvoir et la responsabilité dans notre système. Lorsque le ministre Gagliano, par exemple, a attribué une bonne partie du blâme au sous-ministre de son ministère, à mon avis, il avait tout à fait raison. Il se peut que le ministre lui-même ait été responsable d'autres choses, mais paradoxalement, il a correctement défini la structure.

Je ne pense pas que nous voulions d'un régime de responsabilisation où les gens doivent volontairement dénoncer des actes. C'est pourquoi des comités parlementaires se chargent de cet examen. C'est pourquoi le comité des comptes publics est si important pour déterminer ce qui s'est passé et qui était responsable. Bien qu'il soit important pour les comités d'être proactifs, demander des comptes à des gens, j'en ai peur, consiste toujours à regarder en arrière. La reddition de comptes vaut pour ce que vous avez fait.

Le sénateur Day : Votre emploi des termes « responsabilité » et « reddition de comptes » exige probablement une forme quelconque de définition parce que les gens utilisent ces termes de différentes manières. Quand vous dites « refuser d'endosser la responsabilité », s'agit-il de refuser d'endosser la responsabilité des conséquences d'une action ou d'une inaction? Il existe une responsabilité déléguée pour faire une chose en particulier, pour gérer, pour faire ceci ou cela. Un genre de responsabilité consiste à agir, et l'autre responsabilité concerne les résultats.

M. Aucoin : Malheureusement, en anglais du moins, « responsibility » signifie les deux, et cela porte à confusion. Souvent, quand les gens disent que vous êtes responsable, ils essaient de dire que vous avez le pouvoir d'agir et, donc, que vous devez rendre compte. Vous pouvez dire que vous avez le pouvoir d'agir, et votre pouvoir d'agir concerne ces attributions, qui seraient comme une série de devoirs ou fonctions, et vous devez en rendre compte.

Cependant, nous l'utilisons des deux façons. Quand nous disons que vous avez la responsabilité, notamment de la façon dont le professeur Franks l'utilisait, à savoir que vous occupez une charge, cela signifie que s'il se produit quelque chose que vous voulez corriger, vous avez le pouvoir de le faire. Vous êtes encore en poste. Cela signifie également que vous êtes responsable dans le sens que vous êtes coupable. Vous n'allez pas dire : « quelqu'un a mis la pagaille dans mon bureau, mais ce n'est pas ma faute » : ce n'est que répondre de ses actes. La « responsabilité » signifie que vous êtes coupable. Vous aviez le pouvoir, vous étiez responsable et quelque chose a mal tourné sous votre supervision. Vous devez maintenant en rendre compte.

Il y a peut-être des circonstances atténuantes, si bien que vous n'allez pas être pendu pour cela parce que vous avez fourni un compte rendu approprié. Par ailleurs, si vous ne pouviez pas faire et n'avez tout simplement pas fait ce que vous étiez censé faire, ou si vous avez fait ce que vous n'auriez pas dû faire, alors vous êtes totalement responsable dans le sens que vous êtes coupable.

Il n'est pas tout à fait incorrect de décrire la responsabilité en disant qu'elle consiste à désigner les coupables, à les blâmer et à les humilier parce que bien que nous ne puissions condamner des gens comme le ferait une cour de justice, il est important d'attribuer la responsabilité dans toute la force du mot. Il importe de souligner que j'estime que les sous- ministres, dans ce contexte, doivent être tenus de rendre compte par les comités parlementaires. Les sous-ministres ne peuvent pas recevoir d'ordre des comités parlementaires qui ne peuvent pas non plus les destituer, mais leurs actes peuvent être dénoncés par des comités parlementaires.

Je vous rappelle que les comités parlementaires ont exactement les mêmes pouvoirs envers les ministres. Ce sont les premiers ministres, et non pas des comités ou des parlements, qui destituent les ministres. Il est erroné, en ce sens, de supposer que les sous-ministres, quand ils comparaissent, entretiennent envers vous une relation différente de celle des ministres. Vous ne pouvez destituer des sous-ministres ou des ministres. Vous ne pouvez donner d'ordres à un ministre, et vous ne pouvez donner d'ordres à un sous-ministre. Si j'insiste sur ce point, c'est pour souligner l'obligation des comités parlementaires d'obtenir le compte rendu : pas seulement d'écouter. La responsabilité ce n'est pas faire rapport soi-même. Ce n'est pas venir dire : « Je suis responsable ». Les comités parlementaires sont censés obtenir le compte rendu de la part de la personne. C'est pour cela qu'ils posent des questions.

Le sénateur Day : Passons au sens du terme « responsabilité ». De la façon dont vous utilisez ce terme, il comprend la culpabilité. Nous avons parlé plus tôt de la nécessité d'agir, de divulguer et de se donner des objectifs et des systèmes de gestion. Si quelqu'un est un administrateur des comptes et a l'obligation de rendre compte devant un comité — je vais essayer de ne pas utiliser ce mot, responsabilité — cet administrateur des comptes est-il obligé de parler de ce qui a mal tourné?

M. Aucoin : L'administrateur des comptes a l'obligation de rendre compte de ce qui s'est passé. Étant donné ce que j'ai dit, il importe que le comité essaie de découvrir ce qui s'est passé. Il est clair que quelqu'un qui rend compte devant un comité parlementaire ne devrait pas mentir ou tromper. Il est clair que ces personnes essaieront probablement de présenter la situation sous son meilleur jour, étant donné le temps dont ils disposent pour faire le compte rendu. Au bout du compte, la « reddition de comptes » signifie que vous répondez aux questions, mais qu'en y répondant, vous ne donnez pas seulement des descriptions factuelles de ce qui s'est passé. Vous justifiez ou défendez ce que vous avez fait.

L'accent que certaines personnes mettent sur l'obligation de rendre compte est trompeur. Rendre compte signifie que vous avez le pouvoir et la responsabilité, et que vous devez défendre ce que vous avez fait. C'est cela rendre compte.

Si vous comparaissez au nom d'un ministre en votre qualité de fonctionnaire, comme le font la plupart des fonctionnaires qui comparaissent devant un comité comme celui-ci, alors vous ne faites que répondre aux questions posées, parce qu'il ne s'agit pas de votre pouvoir. Vous n'avez pas à rendre compte dans le sens de défendre ou de justifier parce que le ministre a pris la décision, ou peut-être votre sous-ministre, mais pas vous.

Quand un ministre répond de ce qui s'est passé dans un ministère, quand le ministre ne savait pas et qu'on ne devrait pas s'attendre qu'il sache, c'est simplement pour vous donner une réponse à une question que vous avez peut-être posée sur un sujet. Cependant, dès que la question est posée et que le ministre a répondu, à partir de là, le ministre est pleinement comptable parce qu'il peut maintenant agir parce qu'il sait.

La même chose s'applique dans le cas des ministres qui répondent à des questions de la part des sociétés d'État. Si la question porte sur un sujet dont est responsable la société d'État, le ministre ne répond qu'à titre de relais pour fournir l'information au Parlement.

Si la question porte sur un sujet pour lequel un ministre pourrait émettre une directive publique, et peut-être devrait le faire, le ministre devient comptable en ce sens parce que la gestion et la gouvernance des sociétés d'État incombent en partie à la société et en partie aux ministres et au gouvernement dans son ensemble. L'obligation de rendre des comptes peut être utilisée dans ce contexte, mais dans le contexte canadien, elle embrouille souvent les choses.

Le sénateur Day : Y a-t-il une obligation, et quelle est-elle? S'il y en a une, quel est le niveau d'obligation le plus grand et le plus élevé pour un administrateur des comptes par rapport à un ministre qui ne fait que répondre aux questions posées?

M. Franks : Il va me demander de répondre à cette question.

Le sénateur Day : Pas de problème.

M. Franks : La responsabilité première du ministre est vaste par rapport au parti parce qu'au bout du compte il doit défendre le dossier en période électorale. Les attributions d'un administrateur des comptes en vertu de la loi sont limitées à la gestion.

J'ai dit à de nombreuses reprises, et M. Aucoin a dit la même chose dans d'autres tribunes, que nous avons ici un squelette auquel nous devons donner corps. Une chose doit être clarifiée, et c'est l'étendue des attributions des sous- ministres en matière de gestion. M. Aucoin a utilisé ce mot pour la première fois dans une publication, la Commission Gomery l'a également utilisé et je l'ai certainement fait moi-même : ce dont on a besoin, c'est d'un protocole ou d'un document qui précise et fixe les limites des attributions des sous-ministres en matière de gestion, et qui précise là où la responsabilité du ministre prend préséance. Je ne pense pas que cette responsabilité puisse être gravée dans la pierre à ce moment-ci, et je suis sûr que quel que soit le document créé, il sera modifié, mais nous avons besoin de quelque chose de ce genre. À mon avis, le document doit être approuvé tant par le comité des comptes publics que par le Conseil du Trésor.

Ce document accroît également le poids du Conseil du Trésor car ce dernier est dans ce cas-là le partenaire faible. Le rôle qu'il joue pour s'assurer que les ministères se conforment à ses propres règlements n'est pas impressionnant. Le document donne au Conseil du Trésor le pouvoir de dire aux ministères : « Étant donné que le Parlement tiendra les administrateurs des comptes responsables de cela, vous feriez mieux de bien vous acquitter de votre tâche. En cas de problème, venez nous parler ».

De même, quand le sous-ministre n'est pas d'accord avec une instruction que lui donne le ministre ou un organisme central ou Dieu sait qui, la loi clarifie cette situation dans une certaine mesure. Je n'ai pas le libellé exact, mais il est dit dans la loi que si un sous-ministre a des inquiétudes au sujet d'une instruction, il peut demander des précisions au Secrétariat du Conseil du Trésor : concernant une directive, une politique ou une règle du Conseil. Si le ministre n'est pas satisfait de la réponse, il peut interjeter appel auprès du Conseil du Trésor. Cela va très loin, mais il reste des domaines résiduels où un ministre pourrait vouloir faire quelque chose qu'un sous-ministre estime répréhensible. Il me semble qu'on doit ajouter ici quelque chose pour renforcer le rôle d'appel auprès du Cabinet, que ce soit par le biais du ministre ou du Conseil du Trésor, pour qu'il soit clair que la responsabilité incombe à un ministre plutôt qu'à un fonctionnaire.

Je vais vous donner un exemple. Il existe deux domaines. J'ai déjà donné comme exemple la nécessité d'un budget supplémentaire quand, à mon avis, il me semblait qu'il ne faisait aucun doute qu'il en fallait un, au lieu de quoi on a décidé du contraire.

Un autre domaine auquel je me suis intéressé, a été le contrat d'entretien des avions de chasse qui a été accordé à Montréal plutôt qu'à Winnipeg. C'était en 1985. D'après les rumeurs, dont certaines d'après moi étaient fondées, le comité technique avait fortement recommandé que Winnipeg obtienne le contrat. Le sous-ministre adjoint a déclaré que c'était là que le contrat allait être accordé, et quelqu'un au niveau politique n'était pas d'accord. Le sous-ministre adjoint a déclaré que conformément aux règles du Conseil du Trésor, il devait le faire. Le sous-ministre adjoint est parti ailleurs et a été remplacé. D'après la rumeur que j'ai entendue, le deuxième sous-ministre adjoint a dit la même chose, et il a été remplacé par un troisième sous-ministre adjoint qui a fait ce qu'on voulait.

Ce n'est pas la bonne façon de procéder. Il vaut beaucoup mieux que le ministre puisse renverser une décision, mais il faut garder un compte rendu du moment où le ministre ou les ministres du cabinet prennent la décision plutôt que les administrateurs des comptes. En procédant de cette façon, avec les années, nous disposerons d'un dossier montrant comment définir les attributions des ministres et des sous-ministres et les délimiter. Il me semble que cette précision est nécessaire. Cela prendra beaucoup de temps.

M. Aucoin : Je n'ai que deux choses à dire concernant le régime des administrateurs des comptes et la façon dont vous avez soulevé la question.

De la façon dont je lis le projet de loi C-2, la divergence d'opinions entre un ministre et un sous-ministre se limite aux questions qui relèvent de la compétence du Conseil du Trésor. Je n'ai pas parlé aux rédacteurs de la loi, mais à mon avis, c'est très important. Cela signifie que la question doit relever de la compétence du Conseil du Trésor.

S'agissant de la compétence du sous-ministre, il existe des pouvoirs au-delà des pouvoirs délégués par le Conseil du Trésor. Il y a les pouvoirs de la Loi sur la gestion des finances publiques et d'autres lois qui ne passent pas par le Conseil du Trésor; elles vont directement du Parlement au sous-ministre, si bien qu'elles sont muettes là-dessus.

Je dirais que pour ces questions, quand le sous-ministre dit non au ministre, cela s'arrête là. Le ministre ne peut renverser la décision parce qu'il n'a pas le pouvoir de le faire. Comme l'a fait remarquer le professeur Franks, ces questions sont limitées, mais elles sont terriblement importantes. Elles engloberaient la plupart des choses qui ont fait l'objet du scandale des commandites, par exemple.

Il y a un autre domaine qu'il importe de mentionner pour finir.

Le sénateur Day : Monsieur Aucoin, pourriez-vous en rester là? J'allais soulever la même chose. Recommanderiez- vous de modifier la loi à cet égard pour élargir la portée du mécanisme de règlement des différends?

M. Aucoin : Non, sénateur, je la laisserais telle quelle. Si l'on accepte le principe de la loi, elle est bien faite en ce sens que le Parlement a déclaré qu'il existe des domaines où les sous-ministres devraient pouvoir dire non et il existe des domaines où, en cas de désaccord avec le ministre, le Conseil du Trésor devrait prendre une décision parce qu'il s'agit d'une de ses politiques, ou de son interprétation.

Le sénateur Day : Aux fins du compte rendu, nous parlons du projet d'article 16.5 de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Le sénateur Milne : Ce renseignement demeure confidentiel et n'est jamais rendu public.

M. Aucoin : S'il s'agit d'une question intéressant le Conseil du Trésor, oui. J'ai entendu d'autres points de vue quant à savoir ce que cela signifierait. Il me semble que, ce faisant, il devient difficile pour un sous-ministre de comparaître comme administrateur des comptes et de fournir une explication complète. Si quelqu'un donne une explication complète en guise de défense, cela signifie que quelqu'un doit dire ce qui s'est passé. Si la décision de quelqu'un a été renversée et que le fait doit rester confidentiel, que fait-on dans ce cas?

Concernant la délégation, j'allais parler notamment de la Commission de la fonction publique. De toute évidence, un ministre ne peut contester l'utilisation que fait un sous-ministre des pouvoirs qui lui ont été délégués par la Commission de la fonction publique.

J'aimerais dire une dernière chose à cet égard. Je crois qu'il est juste de dire que dans le contexte britannique quand un ministre annule la décision d'un secrétaire permanent comme administrateur des comptes, cela est approprié. Je crois comprendre qu'en Grande-Bretagne, l'exécutif fonctionne la plupart du temps sur la base de la prérogative royale et que le ministre détient le pouvoir au bout du compte. Quand le ministre donne un ordre au secrétaire permanent, ce dernier doit s'exécuter. Dans le contexte canadien, quand un ministre dit la même chose à un sous-ministre, si la question relève de la Loi sur la gestion des finances publiques, elle relève clairement du pouvoir du sous-ministre, ce qui fait que le ministre n'a pas le pouvoir de renverser la décision.

Vous pourriez arguer qu'il s'agit d'un pouvoir qui court-circuite notre système de responsabilité ministérielle, et je dirais que vous avez raison, mais il s'agit de l'un de ces cas où nous avons contourné le principe de la responsabilité ministérielle sous prétexte de mieux servir l'intérêt public.

La responsabilité ministérielle n'englobe pas tout. C'est pourquoi je ne suis pas tout à fait sûr de ce que l'expression « sous la responsabilité ministérielle » signifie dans ce cas-ci. C'est soit une tentative de dire que nous n'avons pas vraiment changé la doctrine officielle, ce qui à mon avis n'est pas possible, étant donné ce qui s'ensuit alors, ou c'est une tentative de dire que le ministre dispose d'un pouvoir suffisant pour administrer et gérer un ministère même si le sous-ministre peut, à l'occasion, dire non.

Le président : Le sénateur Cools avait une question supplémentaire à poser concernant le point précédent.

Le sénateur Cools : J'avais une question supplémentaire, mais il y a longtemps que nous avons laissé le sujet. Je la poserai quand viendra mon tour. Elle était pertinente dans la mesure où vous en parliez, mais vous avez probablement perdu le fil de votre pensée.

Le sénateur Day : Merci, sénateur Cools. Je vais finir en abordant le point que vous avez soulevé, professeur Aucoin.

À l'article 259 de la Loi sur la gestion des finances publiques, le projet de paragraphe 16.4(1) stipule que « Dans le cadre des attributions du ministre compétent — notamment en ce qui concerne la gestion et la direction du ministère — ... L'article poursuit en exposant les responsabilités de l'administrateur des comptes sous réserve de la responsabilité ministérielle prépondérante.

M. Mitchell et M. McCandless ont clairement affirmé que ce projet de loi ne modifie pas la responsabilité ministérielle, telle que nous l'avons connue, telle que nous en avons hérité du Royaume-Uni. Ils ont clairement affirmé que toute cette procédure de contestation concernant certains postes du Conseil du Trésor ne se situe que dans les zones nébuleuses relevant de la responsabilité ministérielle, qui vient en bout de ligne. Le ministre peut être tenu de rendre des comptes et en fait rend des comptes au Parlement pour quelque chose pour laquelle l'administrateur des comptes rend compte à un comité. La même question se retrouve à deux niveaux de responsabilité.

M. Franks : Puis-je intervenir? Je ne peux pas dire cela au nom de mon collègue, parce que je ne suis pas tout à fait d'accord avec lui.

Je ne pense pas que la question en droit soit aussi claire qu'on puisse penser. Je ne suis pas d'accord avec Jim Mitchell et d'autres, qui disent que toute responsabilité est ministérielle aux termes de la Loi d'interprétation et donc, que ce que vous voyez ici n'est qu'un vernis apposé sur cette doctrine; que la Loi sur la gestion des finances publiques et la Loi sur la fonction publique attribuent toutes les deux clairement la responsabilité aux sous-ministres. Quand on en arrive à la délimitation des pouvoirs, on ne sait pas clairement à qui incombe la responsabilité. C'est la raison pour laquelle je conviens avec vous qu'un mécanisme de règlement des différends est nécessaire.

Au bout du compte, nous devons savoir qui prend la décision en cas de litige, parce que c'est cette responsabilité qui était si mal définie dans l'affaire des commandites et dans bien d'autres, comme dans le cas du contrat d'entretien des avions de chasse, etc. La clarté est nécessaire pour savoir qui avait le devoir de faire les choses correctement, et si la décision de quelqu'un a été renversée, comment ils ont traité la situation. Cette question a été soulevée devant la commission Gomery lors d'une des réunions du comité consultatif et cela figure dans leur rapport : comment les ministres peuvent-ils avoir toute cette responsabilité quand la Loi sur la gestion des finances publiques attribue clairement la responsabilité aux sous-ministres, comme le fait la Loi sur la fonction publique? Un ancien greffier du Conseil privé a déclaré qu'il poserait la question au Conseil du Trésor. Celui-ci a répondu que les attributions du ministre aux termes de la Loi d'interprétation l'emportent sur les attributions du sous-ministre aux termes de la Loi sur la gestion des finances publiques, et cetera. Dans son rapport, le juge Gomery dit — je me réfère à ce qui a été dit au comité consultatif — qu'une loi ne peut avoir préséance sur une autre. Elles doivent toutes deux être considérées comme indépendantes.

Ce domaine n'est pas du tout clair. Je suis persuadé que nous avons besoin d'un mécanisme de règlement des différends qui va beaucoup plus loin que ce qui figure dans la loi. Le mécanisme n'a pas à être précisé dans la Loi fédérale sur la responsabilité. Il faut cependant reconnaître que pour que nous sachions clairement qui a la responsabilité des décisions quand la responsabilité officielle prévue par la loi n'est pas tout à fait claire, le mécanisme doit préciser qui a pris la décision pour que nous ne nous retrouvions pas dans la situation où personne n'est responsable, comme ce qui s'est passé devant la commission Gomery.

Le sénateur Day : Je crois comprendre que nous avons besoin dans ce projet de loi de précisions concernant l'aspect règlement des différends. Puis-je également présumer étant donné que vous n'êtes pas d'accord avec deux de vos collègues, M. Mitchell et M. McCandless, concernant l'interprétation du projet d'article 16.4, que cet article a besoin d'être précisé?

M. Franks : Je ne sais pas jusqu'où vous pouvez aller à ce moment-ci sans entrer dans des questions impénétrables liant la Loi d'interprétation à la Loi sur la gestion des finances publiques et à d'autres lois. Il me semble que la loi doit « obéissance » à la responsabilité ministérielle mais essaie de définir quelque chose pour les administrateurs des comptes. C'était une question d'équilibre. Je ne suis pas convaincu que cela puisse être précisé à ce moment-ci. Je vois cette loi comme un bon point de départ. Il doit ensuite y avoir un protocole pour définir les attributions des administrateurs des comptes devant le comité et leurs limites.

Le mécanisme de règlement des différends est utile dans la mesure où il traite des directives et politiques du Conseil du Trésor, mais il ne précise pas les cas où les attributions d'un ministre aux termes de la Loi d'interprétation devraient avoir préséance sur l'avis d'un sous-ministre sur ce qui figure dans la Loi sur la gestion des finances publiques. Il semble que ce soit là que le bât blesse.

La plupart de ces questions ne seraient probablement pas des questions relevant de la légalité. C'est tout à fait clair. Cependant, ce sont des questions de comportement bienséant, où les règlements du Conseil du Trésor disent que vous devez optimiser l'argent des contrats ou quelque chose comme cela. En Grande-Bretagne, l'expérience a montré que les grandes questions tendent à tourner autour des comportements bienséants plutôt que de la légalité.

Par ailleurs, il ne fait aucun doute que pratiquement tout ce qui a mal tourné dans le scandale des commandites relevait non seulement d'un comportement bienséant mais également de la légalité.

M. Aucoin : Je suis d'accord avec votre conclusion que nous ne sommes pas d'accord avec les deux témoins précédents. La responsabilité ministérielle ne peut pas tout englober si des lois du Parlement accordent le pouvoir à d'autres. Cette question est seulement une mauvaise utilisation de la langue anglaise d'après mon évaluation.

Je conviens avec le professeur Franks que la loi n'est pas toujours claire, et dans ce cas, le règlement des différends entre parties, dont chacune prétend avoir le pouvoir — un ministre et un sous-ministre — est utile. Un tel mécanisme figure dans la loi.

Je conviens avec le professeur Franks que le problème avec celui qui figure dans la loi fait qu'il s'agit par conséquent d'un renseignement confidentiel du Cabinet. Si l'on veut disposer d'un mécanisme plus efficace, il doit y avoir une dimension publique parce que ce différend n'est pas seulement une lutte interne entre des ministres et des sous- ministres. Ce différend est une question qui concerne la bonne gouvernance et la bonne gestion publique et en fin de compte, le Parlement doit en être saisi. Le Parlement doit intervenir.

C'est pourquoi j'ai au départ voulu faire valoir dans mes remarques l'importance de la reddition de comptes au Parlement. Au bout du compte, aucun tribunal ne va trancher la question de la légalité. Il s'agit de gens qui attribuent des responsabilités aux ministres et aux sous-ministres. Cette ultime attribution de responsabilités relève du Parlement, du Sénat et de la Chambre des communes.

La question ne peut être résolue en droit. Les protocoles nécessaires évolueront avec le temps, mais ils ne le feront pas s'il n'y a pas reconnaissance de la nécessité pour la Chambre des communes de demander aux gens de rendre des comptes. Autrement, ce ne seront que des exercices rhétoriques. Les protocoles n'auront de sens que s'ils sont importants de façon que lorsque, disons, le comité des comptes public sera saisie d'une question, il aura la capacité d'en arriver à une évaluation et à une conclusion raisonnée de ce qui s'est passé. Le comité ne sera pas tenu de se fier entièrement aux individus pour dire qu'ils sont responsables ou non, mais il pourra déterminer que quelqu'un est responsable.

À la fin, le comité devra également examiner les lois. Le comité devra examiner ce que dit la Loi sur la gestion des finances publiques, par opposition à d'autres lois qui accordent le pouvoir aux ministres.

Le sénateur Day : À la décharge de M. Mitchell, étant donné que j'ai mentionné son nom, comme exception à la responsabilité ministérielle, il a effectivement parlé, comme exception à la responsabilité ministérielle, du cas où une délégation prévue par la loi était directement accordée au sous-ministre.

Le sénateur Campbell : J'aimerais commencer par le modèle britannique de la commission des nominations publiques. Vous avez soulevé cette question et il me semble qu'à la fin vous l'avez torpillée. N'est-ce pas?

M. Franks : Nous divergeons peut-être tous les deux d'opinion parce que je suis d'accord avec cette question.

Le sénateur Campbell : Professeur, je vais commencer avec vous puis, je m'adresserai à M. Aucoin. Nomment-ils des pairs?

M. Franks : Non, ni de sénateurs. C'est totalement différent.

Le sénateur Campbell : Je vais en rester là.

Monsieur Aucoin, puis-je connaître votre avis? D'une part, nous utilisons le modèle britannique comme exemple. D'autre part, nous disons qu'il ne fonctionne pas non plus. Je pense que vous les avez qualifiés de flagorneurs, n'est-ce pas?

M. Aucoin : De petits amis. Ce sont d'autres qui les ont appelés ainsi.

Le problème, ici, c'est qu'il existe deux moyens de nommer à des charges publiques des gens qui ne sont pas élus. Il y a les nominations par les ministres ou la dotation indépendante. Dans le contexte canadien, nous avons longtemps craint que les nominations ministérielles conduisent à du favoritisme et à la nomination de personnes non qualifiées. On s'est penché sur ce problème de diverses manières. D'autres pays se sont inquiétés de la même chose.

Ma crainte c'est qu'en majeure partie, les questions de compétences ont été traitées d'autres façons et c'est la Commission des nominations publiques qui s'en occuperait. Cependant, pour ce qui est d'une bonne gouvernance publique et d'une bonne gestion publique, notamment dans le cas des organismes indépendants, l'élément clé consiste à éviter ce que j'appelle le copinage ou l'influence partisane. La raison en est que je ne m'oppose pas à ce que des amis d'un parti participent à la vie publique, mais, plutôt, que lorsque des organisations indépendantes comme des sociétés d'État se voient confier le pouvoir d'agir, elles ont l'obligation d'agir. Ceux d'entre vous qui siégez à des conseils d'administration de sociétés privées connaissent les obligations qui vous incombent à cet égard.

Dans le contexte gouvernemental canadien, quand des gouvernements veulent enjoindre des sociétés d'État de faire des choses qui favorisent la politique gouvernementale, ils peuvent compter sur des mécanismes publics. Ils ne devraient pas le faire autour d'un café ou lors d'une partie de golf avec les administrateurs des sociétés d'État. C'est là que le copinage entre en jeu. C'est là où vous vous butez aux genres de problèmes que nous avons connus dans le scandale des commandites. C'est là qu'une approbation tacite peut suffire pour que le gouvernement intervienne de façon inappropriée.

À la décharge du juge Gomery, on aurait peut-être aimé pouvoir reformuler dans son rapport les choses légèrement différemment quand il a utilisé l'expression « intervention ministérielle ». Il voulait dire par là une « intervention ministérielle inappropriée » et non pas l'usage dans les formes du « pouvoir ministériel ». L'intervention à laquelle nous avons assisté concernant les sociétés d'État était inappropriée. De bons candidats des partis peuvent réussir à se qualifier par le biais d'un processus de nomination indépendant. Nous n'avons pas besoin de nominations ministérielles.

M. Franks : J'aimerais ajouter deux choses. Premièrement, le Bureau du commissaire aux nominations publiques de la Grande-Bretagne supervise un processus qui aboutit à l'établissement d'une liste de trois candidats à partir de laquelle le ministre fait la nomination. Certains ont fait valoir qu'il ne devrait y avoir qu'une seule recommandation. Cependant, je ne vais pas m'engager dans cette voie.

L'autre avenue que je considère plus intéressante en ce qui concerne le deuxième point du professeur Aucoin, c'est qu'il existe une disposition dans la Loi sur la gestion des finances publiques permettant aux ministres de donner des directives aux sociétés d'État. Je crois qu'elles doivent être déposées au Parlement. J'ai demandé aux archivistes du Parlement s'ils pouvaient trouver un exemple du dépôt d'une telle directive et ils n'en ont pas trouvé. Il existe peut-être des exemples que nous n'avons pas trouvés. Autrement dit, il existe une disposition mais on fait comme si elle n'existait pas. À cet égard, je partage les inquiétudes de M. Aucoin selon qui l'influence, le copinage et le favoritisme deviennent une activité pernicieuse possible et cachée.

Le sénateur Campbell : Le professeur Aucoin a déclaré que les députés eux-mêmes sont la principale faiblesse dans la reddition de comptes au public. Il a poursuivi en disant qu'ils ne procèdent pas à un examen sérieux, mais se lancent des invectives défensives et offensives.

Nous avons dit ce matin que si les députés et les sénateurs connaissaient mieux les dossiers et savaient où chercher, nous n'aurions pas besoin d'une grande partie de ce projet de loi. Êtes-vous d'accord?

M. Aucoin : Non. Je crois qu'une bonne partie du projet de loi est nécessaire. Je crois que la partie concernant l'administrateur des comptes est importante. Toute mesure visant à renforcer la capacité d'agir du Parlement est importante. Les recommandations relatives au poste de directeur du budget parlementaire sont importantes à cet égard. Je ne m'inquiète pas tant d'une prolifération d'organismes au Parlement. On pourrait remettre en question l'existence du bureau des achats, mais il s'agit moins d'un organisme parlementaire que d'un organisme gouvernemental. Je ne m'inquiète pas que les pouvoirs des bureaux comme celui du vérificateur général soient accrus. Si vous les examinez attentivement, vous constaterez qu'on ne fait que les étendre aux sociétés d'État afin de suivre la trace de l'argent.

Le problème à l'intérieur du système dont ont parlé de nombreuses personnes est le gel qui s'est répandu dans le système. Cela, parce que les fonctionnaires de carrière sont réticents à faire ce qui doit être fait en matière de saine gestion parce que, d'après ce qu'ils déduisent, il ne doit pas y avoir d'erreurs d'administration. Ce genre de gel ne provient pas nécessairement du projet de loi. Il provient du sentiment que la fonction publique n'est pas suffisamment indépendante pour exercer ses responsabilités en matière de gestion.

Le sénateur Campbell : J'ai un rapport publié par l'École de la fonction publique du Canada que vous avez rédigé avec Mark Jarvis. Vous y dites que les députés sont la principale faiblesse dans la reddition des comptes au public. Je ne parle pas des fonctionnaires eux-mêmes qui ne rendent pas compte de leurs actes; je parle des députés et sénateurs qui siègent à des comités dont les Canadiens leur ont confié le mandat d'examiner ces questions et d'en rendre compte. Vous dites que leur examen n'est pas sérieux. D'après notre discussion de ce matin, comment en arriver à les sensibiliser à ce qu'ils devraient faire et à la façon de faire leur travail?

M. Aucoin : Si les députés, et non pas tant les sénateurs parce qu'il y a de l'expérience au Sénat, ne sont pas efficaces pour ce qui est de demander des comptes au gouvernement, c'est en fait en raison du déséquilibre des forces. Quand le gouvernement était minoritaire, nous avons assisté à un accroissement de la reddition de comptes. Pour ce qui est des gouvernements minoritaires au Canada, à l'exception peut-être de la Nouvelle-Écosse, la seule limitation, c'est la probabilité qu'un gouvernement majoritaire prenne le pouvoir. Ce n'est pas comme dans le cas des gouvernements minoritaires engendrés par des systèmes de représentation proportionnelle, par exemple, où le gouvernement doit faire avec. J'ai mentionné la Nouvelle-Écosse parce que, de toute évidence, les gouvernements là-bas en sont venus à la conclusion que l'électorat veut le genre de Chambre qu'ils ont maintenant si bien qu'ils doivent s'accommoder d'un gouvernement minoritaire et le rendre efficace. Cela incite davantage l'opposition à demander des comptes au gouvernement.

Dans ce cas, si on compare le Canada avec l'Australie, la Nouvelle-Zélande et la Grande-Bretagne, on constatera que les députés n'ont pas été aussi efficaces pour ce qui est de demander des comptes. Cela est dû en partie à l'équilibre des forces et au roulement élevé lié à d'autres aspects de notre système électoral. C'est aussi en partie une question de culture. Par exemple, quand on a modifié le processus du comité des comptes publics et celui du comité du budget lors de la législature précédente, certains députés ont demandé pourquoi ils devraient s'intéresser au passé. Ces jours ne sont-ils pas révolus? Comme je l'ai dit plus tôt en réponse au sénateur Day, demander des comptes à des gens c'est regarder le passé.

M. Franks : Avec les années, je me suis notamment inquiété du rapide roulement à la Chambre des communes. Il n'a pas été aussi rapide que le roulement chez les sous-ministres, mais il est encore très rapide. Restant en moyenne quatre ans et demi à la Chambre, les députés ne restent tout simplement pas assez longtemps pour faire le travail ou se familiariser avec le système. Ce roulement a diminué ces dernières années. La raison que j'y vois est, peut-être, étonnante. Disons que le taux de roulement par élection se situe entre 30 et 40 p. 100. Historiquement, la moitié en a été attribuée aux députés qui décident de ne pas se représenter et l'autre moitié, à la défaite électorale.

À l'heure actuelle, le nombre de ceux qui décident de ne pas se représenter a diminué. J'attribue cela à un niveau de rémunération décent des députés.

Le sénateur Campbell : Pas du service?

M. Franks : Le service est une chose merveilleuse, mais cela ne nuit pas de recevoir une rémunération qui vous permet d'offrir à votre famille le style de vie qu'elle mérite. En ce sens, j'estime que cela a été une grande amélioration dans le système qui a vraiment eu un impact sur la durée des mandats des députés.

Le sénateur Campbell : Il y avait cette idée...

Le président : Est-ce votre dernière question, sénateur Campbell?

Le sénateur Campbell : Non, j'en ai d'autres.

Le président : Il y a d'autres sénateurs qui aimeraient aussi poser des questions.

Le sénateur Campbell : Très bien. J'imagine que nous allons devoir poursuivre ou faire revenir ces messieurs. Je n'entends pas m'interrompre seulement en raison du temps.

Le président : Veuillez poursuivre.

Le sénateur Campbell : M. Mitchell a déclaré que le juge Gomery n'a pas vu juste en ce qui concerne les notions de pouvoir et de responsabilité. Après vous avoir écoutés, je ne crois pas que ce soit vrai. Je crois que nous parlons de deux choses différentes. Nous parlons de délaisser le système de Westminster et de nous engager dans un genre différent de responsabilité. M. Mitchell regarde le système de Westminster et dit que le juge Gomery ne l'a pas bien compris. Parlez- vous de modifier le système de Westminster comme on l'a fait en Nouvelle-Zélande et en Australie plutôt que dans le sens de la pureté que recherche M. Mitchell?

M. Franks : Mes remarques ne seront pas charitables. M. Mitchell regarde une notion mythologique du XIXe siècle de la responsabilité ministérielle, qui n'a jamais existé.

Le sénateur Campbell : À savoir le système de Westminster?

M. Franks : La notion d'administrateur des comptes a été adoptée à Westminster en 1872, et notre système est censément basé sur le modèle de Westminster, ce qui signifie que les changements heureux qui se produisent dans ce système peuvent se produire dans le nôtre.

Pour être précis, la responsabilité de ceux à qui le Parlement a délégué des pouvoirs ne contrevient pas au système de Westminster. Comme M. Aucoin l'a dit si clairement, notre loi délègue des pouvoirs à de nombreuses personnes différentes, dont les sous-ministres ne sont pas les moindres, aux dirigeants des sociétés d'État et, en Grande-Bretagne, aux administrateurs des comptes. J'imagine qu'à un moment donné on délèguera des pouvoirs aux administrateurs des comptes au Canada.

Le sénateur Campbell : Monsieur le président, ce sera ma dernière question pour le moment, mais j'en ai d'autres.

J'ai de la peine à comprendre la notion. Si nous appelons le sous-ministre le PDG, faute d'un meilleur mot, j'ai de la difficulté à comprendre pourquoi nous imposerions une limite à la durée pendant laquelle il est responsable. Autrement dit, si je suis le PDG d'une société publique et que je fais quelque chose de mal, que je quitte cette société publique et que six ou sept ans plus tard une vérification est faite et qu'on constate que j'ai fait quelque chose de mal, je suis responsable de cette erreur. Ce que nous disons ici c'est que si vous pouvez vous en tirer pendant quatre ans et que vous n'êtes pas découvert, vous n'avez rien à craindre. Je ne comprends pas ce concept. Il me semble que si vous êtes responsable maintenant vous l'êtes encore cinq ou six ans plus tard. Il se peut que vous n'occupiez plus le poste, mais vous êtes encore responsable.

M. Franks : Vous devez faire la distinction, je pense, entre la responsabilité criminelle et des erreurs de jugement.

Le sénateur Campbell : Je parle de jugement. J'ai porté ce jugement, et cinq ans plus tard, c'est toujours le même jugement. Il ne change pas, à moins que vous ne disiez : « à cette époque, c'est ce que j'ai fait ».

M. Franks : J'ai vu de nombreux cas d'erreurs de jugement de la part de PDG qui se font virer et qui reçoivent encore leur pension, leurs actions et tout le reste.

Le sénateur Campbell : Je dis que cela demeure votre décision. Vous devrez en rendre compte, quel que soit le moment.

M. Franks : Le comité britannique des comptes publics peut inviter un ancien administrateur des comptes à venir s'expliquer — à donner un compte rendu, comme M. Aucoin l'a dit, ou à répondre — mais la responsabilité, de l'avis du comité, appartient au titulaire du poste en titre. Il ne s'agit pas de prendre le blâme mais d'agir si le problème n'a pas été corrigé. Je crois que cela est vrai aussi dans le monde des affaires.

Le sénateur Zimmer : Je vous remercie tous les deux, professeurs, non seulement d'avoir comparu aujourd'hui devant notre comité mais aussi pour vos déclarations claires et concises. À l'époque où je fréquentais l'université, il y a bien des années, je me serais senti nerveux en présence de professeurs aussi éminents. Aujourd'hui, après bien des années je me sens plus à l'aise et je me réjouis de siéger de ce côté-ci pour vous poser des questions.

Le sénateur Day et le sénateur Campbell ont abordé ma première question qui concerne le processus de nomination. La responsabilité des sous-ministres demeure insuffisante dans le processus actuel d'emploi, s'il est maintenu. Professeur Aucoin, vous avez dit que la motivation principale des sous-ministres est de servir les intérêts du premier ministre plutôt que de bien gérer l'administration publique. Le professeur Franks observe que la durée du mandat des sous-ministres canadiens est en moyenne d'environ 1.7 an. La Commission Gomery a recommandé un processus de nomination des sous-ministres ouvert et concurrentiel, ce qui a déclenché une controverse. Quelles dispositions, au besoin, le projet de loi C-2 devrait-il renfermer concernant le mode de nomination et le mandat des sous-ministres? Deuxièmement, si la nomination de ces sous-ministres échappe au contrôle du premier ministre, cela rendrait-il plus difficile la tâche du premier ministre de fournir une orientation d'ensemble à la fonction publique, messieurs?

M. Aucoin : La recommandation de la Commission Gomery d'avoir un processus indépendant de nomination des sous-ministres se fonde sur le principe que ces derniers doivent être nommés de manière indépendante et non relever de l'autorité du premier ministre. La recommandation actuelle n'est pas entièrement claire à mon avis. Elle fait allusion au modèle de l'Alberta qui à mon avis n'est pas entièrement claire. J'ai eu une discussion au sujet de la recommandation en fait du juge Gomery parce que mon interprétation de ses propos c'est que le ministre doit choisir les sous-ministres d'après la courte liste au lieu du premier ministre. Il n'est pas évident que ce processus corresponde au modèle de l'Alberta qui, quoi qu'il en soit, ne figure pas dans une mesure législative.

Si l'on veut établir un processus de nomination indépendante des sous-ministres, je ne pense pas qu'il faille transférer cette responsabilité du premier ministre au ministre. C'est un changement qui à mon avis ne règle rien et probablement aggrave la situation. Il faut envisager une sorte de système de nomination indépendante. Permettez-moi de vous signaler brièvement ce que j'ai recommandé à la Commission Gomery parce que j'ai rédigé le chapitre sur cette question.

J'ai recommandé que l'on adopte une formule qui s'inspire du modèle néo-zélandais. Le recrutement indépendant des sous-ministres en Nouvelle-Zélande s'est produit par accident parce qu'en vertu du système antérieur, les sous- ministres étaient nommés par le cabinet mais essentiellement c'était un club de vieux copains. Si vous avez déjà vu l'émission télévisée, Yes Minister, c'était un documentaire sur des pays comme la Nouvelle-Zélande. Ce n'était pas une comédie. Pour rendre le processus plus ouvert aux influences politiques, on proposait que le State Services Commissioner, qui se compare à notre commissaire de la fonction publique à certaines fins, solliciterait le conseil des ministres ou des observations sur la nomination des administrateurs généraux, comme on les appelait, et le commissaire prendrait ces observations en considération. Ce processus permettrait aux ministres d'exprimer leurs opinions sur le genre de personnes qu'ils voulaient voir occuper ces emplois mais pas nécessairement des opinions sur les personnes elles-mêmes.

Le processus des concours est désormais ouvert, selon lequel le State Services Commissioner fait une recommandation unique au Cabinet — pas au premier ministre mais au Cabinet. Le Cabinet peut refuser la recommandation s'il le veut mais il doit déclarer publiquement qu'il l'a fait et le nom de la personne peut aussi être révélé. Le Cabinet ne l'a jamais fait pendant les 20 années et quelques depuis que ce système fonctionne. La raison c'est que le gouvernement a fini par accepter ce processus comme le moyen le plus productif. La fonction publique considère que c'est une méthode productive à adopter et même les universitaires sont arrivés à la même conclusion. C'est un moyen productif en ce sens que la fonction publique est dotée de chefs qui font suffisamment en sorte de conseiller les ministres, ce qui fait partie de leur rôle mais aussi de gérer l'administration publique. On a également reconnu que l'on doit demeurer dans ce poste, comme l'a signalé le professeur Franks, pour bien faire les deux choses.

Ma recommandation pour s'engager dans cette voie, c'est de s'assurer que les leviers de commande de la fonction publique professionnelle non partisane possèdent les bonnes motivations, nécessaires à son fonctionnement. En ce sens, le système à mon avis pose un problème. Je n'identifie pas des premiers ministres, ministres en particulier pas plus que des sous-ministres. À mon avis ce processus ne suscite aucun problème au premier ministre parce que lui, le cabinet et les ministres en particulier disposent amplement de pouvoirs pour établir et mettre en œuvre leur programme. Il ne s'agit pas avec ce processus d'établir une fonction publique qui empêche les ministres de mettre en œuvre leurs programmes. Tant que les ministres sont en mesure de présenter leur programme au Parlement — leurs politiques publiques fondées sur le droit — les sous-ministres et la fonction publique doivent adopter une attitude totalement positive envers ce programme.

Il ne s'agit pas en aucun cas d'une proposition obstructionniste. Elle vise à établir, à titre d'agent comptable, en se fondant sur des principes établis depuis longtemps, qu'un vaste domaine d'intérêt public existe dans l'administration et que les ministres en ont la responsabilité. C'est une affaire d'administration compétente et la loi accorde aux sous- ministres les pouvoirs pour y parvenir.

Il ne s'agit pas non plus d'un cas où les premiers ministres ont besoin de gens auxquels ils peuvent faire confiance pour occuper ces postes. Les fonctionnaires de profession devraient avoir la confiance du premier ministre, qu'ils soient nommés pas lui ou pas. En fait si un premier ministre ne peut pas faire confiance à un sous-ministre nommé de manière indépendante, ce dernier ne peut pas faire confiance à l'entière fonction publique jusqu'au niveau des simples bureaucrates qui souvent font preuve de plus de jugement que les sous-ministres.

Une fonction publique efficace nommée de façon indépendante est une pratique que le Canada a établie au cours du dernier siècle. En fait, le processus de nomination des sous-ministres essentiellement était indépendant. Depuis 20, 30 ou 40 ans il est devenu moins indépendant étant donné les pressions exercées sur les premiers ministres et les ministres pour faire exécuter leurs ordres, donc ce n'est pas une critique d'un régime particulier. Même si on a parlé souvent de la dictature amicale de Jean Chrétien, cela s'est produit dans chaque régime qui s'inspire du modèle de gouvernement britannique, y compris le gouvernement américain qui est un niveau différent de gouvernement.

Ces pressions sont toutes d'une certaine sorte et elles ne vont pas disparaître, ce qui est une raison d'avoir une commission indépendante de dotation des sous-ministres.

M. Franks : Je m'incline devant l'éloquence de mon collègue sur ce sujet. Je partage ses préoccupations et la nécessité de procéder ainsi, et je trouve regrettable que le libellé de la recommandation de la Commission Gomery ait jusqu'ici fait perdre de vue la véritable question de la manière dont les sous-ministres sont nommés et envers qui et selon quels principes ils sont responsables et doivent rendre des comptes. Très simplement, dans notre système la responsabilité ministérielle est une doctrine fondamentale. Nous avons la suprématie du Parlement et la suprématie du droit, et je crois que les sous-ministres doivent traiter les trois sur un pied d'égalité. Dans le système actuel, à mon avis, le privilège est une responsabilité ministérielle et la responsabilité envers le premier ministre prime sur les deux autres et j'estime qu'il faudrait rectifier la situation.

Le sénateur Zimmer : Professeur Aucoin, dans votre document intitulé « Désigner, blâmer et humilier » vous déclarez :

Indépendamment du fait qu'une ou plusieurs dispositions de la Loi fédérale sur la responsabilité, dont est actuellement saisi le Parlement, des changements tels que ceux apportés à la Loi électorale du Canada concernant les contributions aux campagnes, ont peu ou rien à voir à la responsabilité du gouvernement.

Proposez-vous que le financement électoral ne figure pas ne figure pas dans la loi sur la responsabilité?

M. Aucoin : J'ai été très surpris en voyant la disposition concernant le financement électoral dans la Loi sur la responsabilité. Je ne parviens pas à voir comment il peut s'agir d'une question de responsabilité, à moins que tout devienne affaire de responsabilité, ce qui ne veut pas dire que je m'oppose à l'inclusion de cette disposition en particulier dans ce projet de loi. L'inconvénient qu'elle figure dans ce projet de loi c'est qu'il renferme certaines dispositions qui ne se rapportent pas directement à la question de la responsabilité.

J'ai déjà fait du travail auparavant ayant trait aux finances électorales à titre de directeur de la recherche pour la commission Lortie sur la réforme électorale et le financement des partis. L'un des grands avantages qu'offre le système canadien, indépendamment de ce qui s'est produit lors du scandale des commandites, c'est que nous avons mis au point le meilleur système de financement électoral au monde et que nous avons d'habitude considéré les questions de financement électoral dans le cadre d'autres aspects du financement électoral. Même si cette disposition pourrait être un nouvel élément efficace de la Loi électorale du Canada, j'aurais aimé qu'on en discute dans le contexte d'autres aspects de la Loi électorale du Canada, en particulier la disposition concernant la limite des dépenses.

Chaque fois qu'on réduit la capacité du système de recueillir des fonds, on devrait judicieusement considérer les problèmes concernant la capacité de dépenser. Nous devons maintenir ces capacités en équilibre parce qu'on est aux prises avec un système très compétitif. Lorsque des scandales se sont produits au sujet du financement électoral dans d'autres pays, et peut-être dans une certaine mesure au Canada, c'est toujours lorsqu'il y a eu des excès. Il faut considérer la Loi électorale du Canada en tant qu'une entité à cet égard.

Le sénateur Zimmer : Professeur Franks, dans un article que vous avez rédigé intitulé « From Gomery to the Accountability Act : the devil is in the details » vous sous-entendez que la loi fédérale sur la responsabilité semble dénoter implicitement une profonde méfiance. Pourriez-vous nous en dire un petit peu plus long à ce sujet s'il vous plaît?

M. Franks : On en revient à ce que je disais plus tôt à savoir que ce qu'il faut c'est un sens des responsabilités, et qu'il existe une mentalité qui vise à diriger, contrôler et punir, ou comme le veut la vieille expression britannique, « Choisir judicieusement et se confier sans réserves. » Je crois que notre système, en fin de compte, à partir du principe de la responsabilité ministérielle en descendant, est fondé sur le principe d'un choix judicieux. Les premiers ministres ont en réalité plus de pouvoirs que les présidents dans bien des régimes, et les moyens de contrôle qu'offre le régime n'empêchent pas les premiers ministres d'exercer quantité de ce pouvoir. C'est ultimement le rôle du Parlement dans le processus de responsabilité et les élections qui sont les moyens de contrôle.

J'ai fait cette remarque aussi dans le contexte d'une recommandation de la Commission Gomery, qui à mon avis est très pertinente, à savoir que nous avons déjà suffisamment de règles et de règlements mais qu'en réalité on ne les applique pas et qu'un régime qui en renfermerait plus est inutile. La loi sur la responsabilité est tellement volumineuse qu'il est difficile de savoir vraiment ce qu'il en est. Je le répète, j'approuve vraiment les dispositions concernant l'agent comptable parce qu'il me semble qu'elles aident à préciser la responsabilité et la reddition de comptes dans un système moderne de gouvernement. Quand j'aborde d'autres sujets, y compris certains des emplois accordés aux mandataires du Parlement, certaines des questions relatives aux finances électorales et aux dénonciateurs, même s'il y a eu quelques changements à cet égard, je deviens un peu nerveux à l'idée que nous nous engageons trop loin dans la voie qui consiste à diriger, contrôler et punir, au lieu d'inculquer un sens de la responsabilité aux titulaires de charge publique.

Le sénateur Stratton : Vos observations très réfléchies m'intéressent. Nous craignons tous une direction et un contrôle excessifs, mais on aurait eu tort de ne pas agir après les événements du scandale des commandites, etc. — et je ne parle pas d'événements survenus sous un gouvernement en particulier. Le public exigeait que des mesures soient prises, non seulement pour donner suite aux conséquences du rapport de la Commission Gomery mais aussi aux conséquences connexes du problème relatif au contrôle des armes à feu. Le financement électoral a joué un rôle critique pour dire au public canadien précisément et clairement ce que nous faisions. Le public ne voulait pas traiter d'une question ici et d'une autre là. Ne pas agir de la sorte aurait été un échec de la part du gouvernement actuel. Comment réagissez-vous à cette affirmation?

M. Franks : Je réagis de la façon suivante à savoir que le problème essentiel c'est l'échec de la fonction publique à faire son devoir. Le problème en grande partie tenait surtout au fait que le fonctionnaire le plus haut placé a manqué à ses devoirs. La loi en traite admirablement dans la mesure, je le répète, où le squelette est transféré dans un organe de véritable responsabilité. C'est l'élément crucial de toute l'affaire. C'est peut-être plus abstrait que de dire que l'on impose telle ou telle amende aux gens, que l'on limite tel droit ou qu'on les récompense pour autre chose, mais je crois que c'est le changement de système qui s'impose.

M. Aucoin : J'ajoute une observation dans l'espoir de corriger l'échec dont a fait mention le professeur Franks. Je devrais peut-être rappeler que lorsque j'ai parlé du scandale des commandites, j'ai fait allusion à la mauvaise administration qui s'est produite plutôt qu'à la corruption qui en avait découlée. C'est la mauvaise administration qui a permis à la corruption de se produire et l'énorme échec en a donc découlé. La situation est corrigée en grande partie par le régime britannique des agents comptables proposé dans le projet de loi C-2. Voilà pourquoi j'estime que la prochaine étape, soit la dotation indépendante, des sous-ministres est nécessaire. Cela se produire également avec le temps.

Je conviens avec vous qu'il faut s'attaquer au problème sous tous ses aspects. À propos de la Loi électorale du Canada, je ne voulais pas dire que le gouvernement n'aurait pas dû s'en occuper mais le fait de l'inclure dans le projet de loi C-2 va peut-être minimiser son étude proprement dite. Le public canadien doit être irrité par le fait que les sous- ministres détiennent des pouvoirs législatifs mais assez curieusement ils n'ont pas à rendre de comptes au Parlement, et que d'anciens ministres et sous-ministres, comme l'a fait remarqué le sénateur Campbell, peuvent s'en tirer à bon compte parce qu'ils ne sont plus en poste. C'est ridicule.

Le sénateur Stratton : J'en conviens.

M. Aucoin : Le Parlement doit exercer ses pouvoirs et tenir ces gens responsables, qu'ils le veuillent ou non.

Le sénateur Stratton : Certains sénateurs sont ici depuis assez longtemps pour se souvenir que dans bien des cas on avait posé une question à un ministre en place à propos d'un problème survenu dans le passé et qu'on l'avait entendu répondre qu'il n'était pas là à ce moment-là. Le sous-ministre donnait la même réponse et les sénateurs demeuraient impuissants. Il faut vraiment que cela change.

M. Aucoin : Je ne suis pas d'avis que les sénateurs sont impuissants.

Le sénateur Stratton : Dans la majorité des cas, les ministres et les sous-ministres s'en tirent à bon compte.

Le sénateur Cools : Je remercie les témoins de comparaître devant le comité. Professeur Aucoin, vous avez comparu l'année dernière devant le Comité sénatorial permanent des finances nationales et vos observations pour la plupart étaient les mêmes que celles que nous avons entendues aujourd'hui.

J'ai plusieurs idées à vous soumettre. Souvent, je reçois des appels téléphoniques de journalistes. Je donne plusieurs entrevues chaque année. Ils me demandent toujours comment on peut améliorer la reddition des comptes. Je leur réponds qu'il faut que le gouvernement, le premier ministre et le Cabinet permettent aux deux chambres de fonctionner en tant que Parlement et pas simplement de s'acquitter d'une charge. Je suis sincère. Votre témoignage, professeur Aucoin porte essentiellement sur le déséquilibre du pouvoir — la concentration du pouvoir entre les mains du premier ministre et de son Cabinet, ainsi que l'élargissement de la compétence du premier ministre.

Je fais allusion à vos observations d'il y a quelques minutes, professeur Franks, exhortant les personnes qui occupent des postes d'autorité à faire preuve du sens des responsabilités pour prendre des décisions morales — vous avez bien parlé du « sens des responsabilités ». Vous nous avez exposé le phénomène que je qualifierais de « fondement moral et éthique du système », en insistant énormément sur l'obligation morale qui accompagne les postes ou fonctions qui exigent la confiance du public.

Qui a le rôle au sein du gouvernement de proclamer et de défendre ces principes de comportement moral? Réfléchissez bien, s'il vous plaît, avant de répondre parce qu'on aurait du mal à trouver des députés et des sénateurs capables d'exprimer les 12 premiers principes environ du système de responsabilité ministérielle. Quel ministre est responsable de la conduite morale des titulaires de charge ou de personnes en situation de confiance?

M. Franks : Il n'existe pas un seul responsable ou gardien de la moralité de notre système. Le rapport de la Commission Gomery ne l'a pas avoué mais l'on y trouve une citation provenant d'un document britannique où l'on dit que lorsque les agents comptables éprouvent des doutes quant à l'opportunité — un autre mot pour « moralité » — d'un acte qu'on se propose de prendre, ils devraient se poser deux questions. D'abord, ils devraient se demander s'ils peuvent défendre de façon acceptable la décision devant le comité des comptes publics; et deuxièmement, puisque le comité des comptes publics représente le Parlement et le public, ils doivent se demander s'ils pourraient défendre de façon acceptable la décision lors d'une réunion publique. Cela ne fait appel en aucune manière à des règles morales abstraites. La politique est l'art du possible et non l'art de l'idéal, et il ne faut pas l'oublier. Premièrement, la moralité est une affaire personnelle car on doit avoir le sentiment de pouvoir justifier son action aux yeux d'autrui. Deuxièmement, la moralité en politique consiste en un lien entre le gouvernement et les administrés. En fin de compte, c'est au public que l'on doit rendre des comptes et être responsable de ses actes et c'est vrai à bien des égards pour les professeurs comme les hommes politiques parce que nous avons un devoir envers la collectivité. Voilà qui ne répond pas à votre question sur le plan idéaliste mais cela y répond sur le plan de la démarche et de ce que j'appelle un sentiment de responsabilité. Autrement dit, il faut avoir le sentiment de pouvoir faire confiance à la décision de l'action qu'on a prise.

Le sénateur Cools : Monsieur Franks, vous êtes en train de décrire la notion de la responsabilité ministérielle qui dans les années 1700, alors que le système évoluait, devait, croyait-on, susciter la moralité politique qui était nécessaire pour éviter la corruption à la Chambre des communes. Le roi et les responsables à l'époque utilisaient leurs postes pour obtenir les résultats qu'ils souhaitaient. Je reconnais que la plupart de ces problèmes proviennent du manque de compréhension des principes moraux fondamentaux qui dominaient le système.

Quand certains événements se produisent, comme celui qui a mis en cause David Emerson, j'ai reçu bien des appels téléphoniques. Pourquoi est-ce répréhensible? Vous le saurez. Je parle souvent aux gens au sujet des principes et je les renvoie à une source. Le problème c'est que bien peu de ministres se renseignent au sujet de ces anciens principes parce qu'il faut fouiller pas mal dans la littérature pour les trouver. Par exemple, le principe selon lequel l'harmonie doit exister entre les deux chambres, fournit le moyen de faire adopter les projets de loi par le Parlement. Cependant, je me rappelle qu'un ministre libéral et, il y en a eu d'autres, attaquait publiquement le Sénat sans discontinuer.

Quand de nouveaux sénateurs deviennent membres de cette remarquable institution, où apprennent-ils ces principes? Quand une jeune personne en bonne santé devient membre de la fonction publique ou du gouvernement, où cette personne apprend-elle ces principes? Franchement, que je sache, personne en fonction d'autorité n'énonce ces principes. Je compatis avec vous et je suis d'accord.

M. Franks : Je pourrais prétendre que de dire simplement que lorsqu'on est aux prises avec une décision difficile, on devrait se demander si l'on pourrait défendre cette décision devant un comité des comptes publics c'est là un principe philosophique général. Il s'agit, d'un point de vue pragmatique, de l'expression opérationnelle de l'impératif catégorique de Kant. Il faut agir de manière à ce que vos décisions soient conformes aux principes généraux. C'est une pensée très profonde dans un sens.

Le problème que j'entrevois dans le scandale des commandites — sans vouloir le banaliser — c'est que pour le meilleur ou pour le pire, à tort ou à raison, le gouvernement fédéral entrevoyait un problème considérable qui exigeait une solution d'urgence. Malheureusement, elle est devenue impossible à maîtriser et a fait l'objet d'un usage abusif.

Qualifier la situation d'urgente est affaire de jugement. Je peux ne pas accepter que la situation présentait une urgence aussi grave qu'on l'a dit ou que le gouvernement aurait dû se lancer dans la sorte de programme qu'il a entrepris. Cependant, c'était sa prérogative. Le problème s'est posé quand les personnes qui avaient le devoir de veiller à ce que le programme soit proprement administré, ne l'ont pas fait. Il faut faire une distinction entre les deux.

Le sénateur Cools : Vous vous orientez dans la même voie que moi d'une façon particulière. Une fois que ces problèmes ont été découverts, pourquoi n'a-t-on pas demandé au Parlement de s'en occuper? Le refus de porter un jugement par l'une ou l'autre des deux Chambres du Parlement caractérise la façon dont toute l'affaire du scandale des commandites a été traitée.

M. Franks : C'était aussi une façon d'éviter d'informer le Parlement au sujet du programme.

Le sénateur Cools : Oui, en plus. Incontestablement la situation était très grave mais les mesures prises pour y remédier étaient tout aussi déplorables parce qu'elles visaient toutes à éviter à la Chambre de porter un jugement. J'essaie de rejoindre l'argument du professeur Aucoin au sujet de la faiblesse du Parlement.

Certains de ces problèmes ont des origines politiques. Sans aucun doute, le scandale des commandites avaient de graves implications politiques. Je crois sincèrement que si le Parlement avait eu son mot à dire et avait formulé une opinion sur ces personnes, le pays aurait été mieux servi. C'est ce que je pense personnellement.

M. Franks : Rétrospectivement je partage votre opinion avec une seule réserve. Le fait que le gouvernement ait établi une commission et considéré...

Le sénateur Cools : Et éviter le Parlement?

M. Franks : Non, ce n'est pas ce que je veux dire. Bien des gens ont dit au juge Gomery et à la commission que le fait qu'un Canadien anglais n'est éprouvé aucun remords en s'adonnant à des abus si offensants pour le Canada français, cela avait redonné une certaine confiance dans le système.

Le sénateur Cools : Le croyez-vous? Pour moi c'était le spectacle le plus démoralisant de ma vie.

M. Franks : Préféreriez-vous qu'il ne se soit pas produit?

Le sénateur Cools : Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'aurais préféré que le Parlement s'en occupe. Le Parlement aurait été autorisé à se prononcer sur le personnel politique et les fonctionnaires en cause.

J'ai été élevée avec la conviction que notre système parlementaire était le joyau du constitutionnalisme universel. Sans vouloir révéler des discussions de caucus etc., je dirais que j'appartenais à ce groupe de personnes qui voulaient qu'on traite ce scandale au lieu de le faire disparaître pour éviter des élections et le confier à une soi-disant commission royale. Lorsque le Parlement s'exprime et rend un jugement, d'habitude c'est un jugement plus judicieux, je crois.

Le président : Professeur Franks, voudriez-vous faire en sorte que ce soit votre dernière observation parce que deux autres sénateurs attendent patiemment?

Le sénateur Cools : J'ai une autre question. Nous devons trouver un moyen de diviser notre temps. Ceux qui ont posé des questions au début ont eu amplement de temps.

Le président : Le sénateur Day est le critique de l'opposition et on lui accorde toujours amplement de temps.

Le sénateur Cools : J'ai présenté une motion comme quoi nous devrions demander à nos témoins de revenir.

M. Franks : En 1923, le Parlement britannique a formulé la même objection à l'égard d'événements qui étaient financés secrètement par des fonds privés. Le comité des comptes publics a formulé des recommandations qui ont été suivies depuis lors, à savoir que des événements pourraient être financés seulement pendant un nombre limité d'années sans obtenir l'approbation du Parlement. Cette règle n'existe pas encore au Canada.

Le sénateur Cools : Ce que je m'attendais à vous entendre dire également c'est que la Loi sur les enquêtes publiques a grand besoin d'être révisée. C'est parce que le gouvernement a utilisé cette loi pour désigner la Commission royale qu'il a pu éviter de consulter le Parlement sur un grand nombre de ces questions. Au Royaume-Uni, les commissions, l'une après l'autre, doivent encore s'adresser au Parlement mais ce n'est plus le cas au Canada.

Je voudrais en terminant vous demander de développer deux points, si possible. D'abord, dans vos observations vous avez déclaré qu'un groupe très en vue de Canadiens s'opposaient ou condamnaient les recommandations de la Commission Gomery.

M. Franks : C'était le professeur Aucoin.

Le sénateur Cools : Pourriez-vous commenter cette déclaration? Deuxièmement, pour ce qui est de renforcer le rôle des députés et permettre au Parlement de remplir son rôle, auriez-vous quelque chose à dire sur ce que je qualifierais du fonctionnement pratique journalier du Parlement? Par exemple, dans la société actuelle, le premier ministre ou le gouvernement choisit les membres du comité et le président de celui-ci. Souvent, ces personnes sont choisies pour leur faiblesse, complicité et que sais-je. Dans la collectivité actuelle, ils ne sont pas payés. Quand nous avons été saisis du projet de loi nous demandant de rémunérer les présidents et vice-présidents du comité personnellement je m'y suis opposé. Pourriez-vous faire des observations à ce sujet?

On est aux prises avec un élargissement de la compétence et des pouvoirs que détiennent non seulement les premiers ministres mais les personnes de son entourage, élargissement inconnu jusqu'ici. Nous voulons rendre le Parlement plus fort. Comment s'attaquer à la situation qui s'est présentée il y a quelques années lorsque le premier ministre a annoncé qu'il allait se débarrasser de 75 ou 80 députés qui lui causaient des ennuis, en refusant de signer leurs documents de nomination?

M. Franks : Je ne commenterai pas les lois électorales. Sur les autres points, je crois que les membres des comités, et il en va de même pour les présidents des comités, devraient être nommés pour la durée d'une législature. Nous sommes aux prises avec le même problème que nous avons rencontré avec les sous-ministres en vertu du système actuel : à savoir que ce sont des nominations de favoritisme.

Le gouvernement n'est pas le seul à le faire. Les partis de l'opposition en font autant. Je crois que nous avons pris un mauvais départ. J'aimerais que les choses changent.

Si l'on dit que les pouvoirs du premier ministre sont ancrés dans la communauté des sous-ministres, les pouvoirs des dirigeants de parti le sont tout autant pour ce qui est du contrôle du comportement, des récompenses et des châtiments à la Chambre des communes, en particulier.

Le sénateur Cools : C'est un problème colossal. Je crois sincèrement que nous sommes voués à la catastrophe à moins que le Parlement ne commence à fonctionner comme tel. Merci beaucoup. J'ai lu toute votre documentation, professeur Aucoin.

Le sénateur Milne : Je ne sais pas au juste lequel de vous, messieurs, a proposé des comités mixtes : c'est-à-dire avoir un comité des comptes publics ou un comité des finances nationales, établi en tant que comité mixte. Je veux vous mettre en garde contre cette façon de procéder. Tous les deux vous avez comparu devant les comités des deux chambres et vous connaissez la différence entre les deux. Les comités mixtes d'habitude fonctionnent en vertu des règles des comités de la Chambre des communes. C'est assez dire.

C'est ce qui fait que l'on ne procède jamais au genre d'interrogatoire approfondi que fait un comité du Sénat. C'est tout simplement impossible étant donné la façon dont la Chambre des communes attribue les questions.

Professeur Franks, vous avez dit que la plupart des sous-ministres n'étaient pas en poste pendant suffisamment de temps pour subir les conséquences de leurs décisions, de leurs actes et échecs. Cette loi ne comporte aucune disposition concernant les procédures de nomination et les mandats des sous-ministres. La réforme dans ces deux domaines est essentielle si la réforme concernant la responsabilité et la reddition de comptes des ministres et des sous-ministres proposée dans la loi, doit réussir. Que recommandez-vous?

M. Franks : L'approche du professeur Aucoin me plaît, avec la réserve qu'à mon avis un sous-ministre devrait être nommé pour une période de cinq ans. Si les sous-ministres sont révoqués, le Parlement devrait en être notifié. Des documents devraient être fournis pour expliquer les raisons de la révocation — j'hésite à parler de motifs mais la révocation ne devrait pas être une mesure sans importance. Les sous-ministres ont le droit d'occuper une position de pouvoir d'une certaine durée pour exercer leur autorité et accomplir leurs responsabilités et leurs devoirs. Je ne pense pas que cela se produise dans le mode de sélection dont a discuté admirablement le professeur Aucoin.

Le sénateur Milne : Professeur Aucoin, vous avez signalé qu'au Royaume-Uni, dans le cas de désaccords, un agent comptable doit demander une instruction par écrit au ministre. Ai-je raison?

M. Aucoin : Oui.

M. Franks : Je vais volontiers répondre à cette question parce que j'ai rédigé un mémoire sur ce sujet à l'intention de la commission. Le ministre dit « Je veux que vous fassiez ceci. » Le sous-ministre est désigné du nom de secrétaire permanent au Royaume-Uni. D'abord, une longue discussion s'engage. À la fin du compte, quand le ministre insiste, le député déclare « Je ne peux adhérer à cette décision parce qu'elle va l'encontre de mes responsabilités à titre d'agent comptable. » Le ministre, qui vraisemblablement a consulté des collègues — ce qui est le cas depuis 40 ans pour toute question importante, répond par écrit au sous-ministre en disant « J'insiste pour que vous le fassiez parce que c'est nécessaire dans l'intérêt public » — ou pour quelque autre raison. Le sous-ministre alors s'exécute mais quand le comité des comptes publics en prend connaissance, celui-ci convoque le sous-ministre et lui demande « Avez-vous écrit au ministre? » Il répond « Oui, je l'ai fait. » Parfois la correspondance a un caractère privé et c'est alors que la question du secret du Cabinet se pose. Le président du comité des comptes publics demande alors « Le comité a-t-il rejeté votre décision à ce sujet. » Le sous-ministre répond « Oui, c'est le cas. » Le président lui demande alors « Par conséquent, le ministre a la responsabilité de prendre la décision? » ce à quoi le sous-ministre répond affirmativement. Croyez-le ou non, le comité des comptes publics s'en tient là parce que ce qui l'intéresse c'est de renforcer les positions des sous- ministres. L'enquête du comité à partir de ce moment-là se déroule dans un autre comité parlementaire.

Le sénateur Milne : L'enquête passe alors à un autre comité parlementaire?

M. Franks : Oui : les questions importantes ont été traitées de cette manière.

Le sénateur Milne : La réponse est donc oui, à moins qu'ils ne soient protégés par le secret du Cabinet?

M. Franks : C'est toujours le cas. Parfois des députés ont interjeté appel de la décision quand la question était tenue pour confidentiel. Alors l'homologue de votre agent d'information l'a examiné et il s'est prononcé soit en faveur soit contre.

Il n'y en a pas eu beaucoup. Des deux qui ont été rendues publiques — et elles figurent en appendice à mon étude de la Commission Gomery — l'une a causé un tort énorme au gouvernement Thatcher. La deuxième avait l'appui du public et du gouvernement, parce qu'il s'agissait d'une question où la responsabilité du secrétaire permanent qui était d'assurer une bonne utilisation des deniers publics, aurait fait que l'industrie britannique n'aurait pas obtenu un avantage auquel le gouvernement estimait qu'elle avait droit. Autrement dit, un contrat portant sur des achats militaires aurait été accordé à un autre pays.

Le sénateur Milne : D'après vous, est-ce qu'une variante de cette disposition pourrait être incluse dans le contexte parlementaire canadien?

M. Franks : Assurément. Cependant, je partage les mises en garde formulées par le professeur Aucoin. Je ne m'empresserai pas de le faire parce que d'après moi nous devons réfléchir à ce concept. Ce qui m'inquiète surtout c'est que le Parlement, et en particulier les comités parlementaires accordent assez d'importance au système qui comprend les sous-ministres : la façon dont ils sont nommés et la durée de leur mandat et les questions dont le Parlement les tient responsables c'est-à-dire la définition de leurs responsabilités, leur point de départ et leur point d'arrivée, et comment les ministres tranchent les différends. Il faut que la priorité englobe tout cela avant que nous ayons un système qui fonctionne réellement. Cela ne se produira pas du jour au lendemain.

Le sénateur Joyal : Professeur Franks et professeur Aucoin, je suis ravi de vous revoir. Je dois révéler que je me trouve en conflit d'intérêts avec le professeur Franks car j'ai travaillé avec lui pendant plusieurs années.

J'aimerais revenir à l'une de vos déclarations préliminaires comme quoi notre système est organisé selon le principe de la diffusion des pouvoirs comportant divers éléments. Je voudrais revenir au Parlement proprement dit.

Professeur Aucoin, vous avez signalé que l'une des caractéristiques du régime canadien est un déséquilibre des pouvoirs entre le gouvernement et le Parlement. Professeur Franks, vous avez été un ardent observateur du fonctionnement du Parlement — c'est-à-dire des deux chambres. La façon dont je conçois le projet de loi et la dynamique qu'il comporte, je ne pense pas qu'il résoudra ce déséquilibre proprement dit entre le gouvernement et le Parlement. Selon moi, vous et la Commission Gomery ont fait ressortir le rôle du comité des comptes publics. Cependant, ce comité est comme le service des incendies : il intervient lorsque l'alarme est sonnée. Cependant, la commission devrait empêcher l'incendie de se produire. Essentiellement, il s'agit de l'étude des crédits. Grâce au processus d'examen des crédits, le Parlement peut exiger que le gouvernement rende des comptes.

Si l'on examine la façon dont les crédits sont traités — et je crois que vous deux l'avez observé — on ne les discute même pas parce qu'ils doivent probablement être adoptés à une certaine date. Par sa nature même, le Parlement a abandonné son rôle qui consistait à examiner à la loupe les crédits, parce qu'ils doivent être adoptés à la fin mai. Ce rôle global du Parlement et la responsabilité d'examiner tous ces rapports provenant de ces six agents environ que l'on entasse dans le système, ne modifieront pas la façon de procéder du Parlement. Ce désistement aura des répercussions sur la fonction publique parce que, toutes choses étant égales, on ne peut pas établir une structure sans avoir provoqué une réadaptation du système ou une réaction à ce dernier.

Cependant, en ce qui concerne le Parlement, rien dans ce projet de loi ou dans les mesures annoncées par le gouvernement jusqu'ici ne modifiera la façon dont le déséquilibre des pouvoirs que vous avez décrit entre le gouvernement et le Parlement sera réglé.

À vrai dire, la Chambre des communes a plus ou moins la faculté de nommer les présidents des comités au moyen d'élections. Comme vous le savez, la première initiative qu'a prise le gouvernement actuel a été de mettre cette faculté de côté et de nommer le président contrairement à vos conclusions dans le rapport Gomery. Le minimum d'indépendance que possédait déjà le comité a été plus ou moins écarté.

On ne s'est pas penché fondamentalement sur la question générale du déséquilibre. Dans les années à venir, nous conclurons probablement que nous ne sommes pas arrivés à une solution qui changerait certains des éléments fondamentaux de la façon dont le système a fonctionné.

M. Franks : Je vois un problème avec la nomination du directeur parlementaire du budget parce notre pays est doté d'un système parlementaire de gouvernement responsable. Dans le cadre de ce système le gouvernement est responsable du budget. C'est le programme du gouvernement. Le budget est un énoncé de principe fondamental et un document de contrôle de l'administration. Je suis complètement d'avis que tous les comités parlementaires ont besoin de plus de soutien dans la mesure où ils peuvent l'utiliser, et à cet égard j'approuve entièrement le rapport du juge Gomery. Il ne s'agit pas simplement d'un directeur parlementaire du budget et pas simplement du budget. Comme vous le savez, les documents budgétaires, il est question ici du Budget des dépenses principal, c'est-à-dire les crédits. En outre, les rapports ministériels sur le rendement et tout le reste doivent faire l'objet d'un examen plus approfondi — pas chacun d'entre eux, mais en faire l'examen — afin que quelqu'un puisse identifier les questions qui posent problème et qu'on puisse en discuter.

En fin de compte, le gouvernement a la responsabilité de proposer des mesures et de les défendre. Le Parlement et les comités parlementaires m'irritent vraiment. Par contre, notre système de gouvernement est extraordinaire et il fonctionne bien. Dans toutes nos discussions, il faut ne pas perdre de vue le sens des proportions : à savoir que le programme des commandites représentait un centième de 1p. 100 des dépenses du gouvernement du Canada. Le reste pour la plupart a satisfait aux critères appropriés. Avec cette faiblesse, on rejoint les rangs des autres gouvernements du monde. Il ne s'agit pas d'un régime dirigé par des saints, des érudits et des sages. Nous sommes dirigés par un gouvernement d'êtres humains qui sont faillibles.

Plus j'ai examiné le cas des deux Chambres du Parlement au cours des ans, plus j'ai acquis de respect pour l'engagement des gens. Parfois, le régime fait obstacle à cet engagement. Je pourrais vous parler pendant une heure ou deux de la réforme des comités. C'est ce qui a été à l'origine de l'intérêt que je porte au Parlement — la Saskatchewan dans les années 1960 — mais je ferais grâce aux honorables sénateurs de cet historique et je vais céder la parole à mon collègue qui a été un critique beaucoup plus ardent que moi du Parlement.

M. Aucoin : Je fais notamment des études comparatives. On peut dire sans crainte que la culture et la tradition politiques du Canada font du régime politique canadien l'un des meilleurs au monde, pour bien des raisons.

Nous avons été en partie chanceux. Vous avez parfaitement raison au sujet du déséquilibre des pouvoirs. Nous gérons un régime qui dépend énormément de la façon d'agir exemplaire du gouvernement et des fonctionnaires. Les moyens de contrôle dont nous avons doté le régime ont soit perdu de leur efficacité ou n'ont jamais été très efficaces au Canada.

Si l'on compare notre système à d'autres, par exemple la Grande-Bretagne, on constate que la Chambre des communes de ce pays compte beaucoup plus de députés, ce qui lui permet de faire énormément de bon travail. Il existe une tradition à la Chambre des communes britannique selon laquelle un fort pourcentage des députés — moins de la majorité, — mettent en tête de leurs priorités l'obligation du gouvernement à rendre des comptes. Il y a 10 ou 15 ans, le Parlement canadien a envoyé un comité à la Chambre britannique et a été étonné de constater que le grand nombre de députés britanniques considèrent comme objectif prioritaire l'obligation d'exiger que le gouvernement rende des comptes. Les études effectuées au Canada révèlent que cette préoccupation figure en bas de la liste. Le sujet n'est même pas d'actualité. La Grande-Bretagne dispose aussi du régime des agents comptables.

L'Australie a eu la chance, même si son régime politique est plus turbulent, d'avoir un Sénat puissant. Sa Chambre des représentants ne souffre pas la comparaison avec notre Chambre des communes, mais son Sénat est puissant et il a pour rôle de veiller à la reddition des comptes. Cela s'explique en partie en raison du fait qu'un grand nombre de sénateurs sont en place depuis si longtemps. Leur système électoral fait que leur Sénat est une institution puissante et bien informée.

Le système en Nouvelle-Zélande était probablement le plus faible des quatre, jusqu'à ce que le pays adopte la représentation proportionnelle. Du coup, le déséquilibre du pouvoir a changé énormément, même avec les gouvernements de coalition qui tendaient à être des gouvernements minoritaires de coalition. La Chambre des représentants, qui était avant un parlement faible, s'est renforcé et a commencé à utiliser efficacement les ressources qui étaient toujours à sa disposition, comme le vérificateur général.

Dans le cas du Canada, ce que nous avons fait avec le projet de loi sur la responsabilité, c'est une amélioration marginale. Le concept de l'agent d'imputabilité est important; certains aspects relativement à l'aide au Parlement sont importants. Nous n'avons pas abordé la question de l'indépendance de la fonction publique, qui se pose à tous les paliers.

Et nous n'avons certainement pas abordé la question fondamentale, soit la question sur le budget des dépenses. Si le Parlement ne s'intéresse pas beaucoup au budget des dépenses, il ne s'intéressera probablement pas beaucoup aux comptes. Et ainsi, il ne pourra pas relever les choses importantes. Où était le Parlement durant toute l'affaire? Pourquoi n'a-t-on pas posé ces questions plus tôt? Et lors du scandale des commandites, pourquoi le comité des comptes publics n'a-t-il pas été plus efficace? Après un certain temps, ce fût la pagaille. Tout cela s'explique par les traditions, les cultures et les pratiques.

Il faut préciser une chose une fois pour toutes, surtout pour les spécialistes en politique comme moi qui utilisent des termes comme « gouvernement du premier ministre » et « pouvoir du premier ministre » : il est important de se rappeler que le premier ministre du Canada a plus de pouvoir que tout autre premier ministre dans le monde. Margaret Thatcher a été amenée à démissionner au plus fort de son règne. Bob Hawke, en Australie, aussi. Et David Lange, en Nouvelle-Zélande, a aussi été amené à démissionner. On ne voit pas ce genre de choses ici. Nos premiers ministres ont du pouvoir, surtout en raison de leur position sécuritaire au sein du parti. Tony Blair a survécu surtout parce que le système du Labour Party qui traite ses chefs, et notamment le premier ministre, d'une manière qui ressemble beaucoup au système traditionnel du Canada. Ils peuvent amener un chef à démissionner, mais cela prend des mois. Tony Blaire a pu survivre, contrairement à Margaret Thatcher, qui a été appelée à démissionner en 24 heures, littéralement.

On parle ici du premier ministre qui peut faire fi de la sélection indépendante des présidents, de même que de la disparition, après les élections, d'un système qui favorise le votre libre. Ce genre de choses existe dans notre système en raison du pouvoir que possède notre premier ministre. Le pouvoir ne réside pas dans la personne qui occupe le poste, mais dans le poste lui-même.

Le sénateur Cools : Le professeur n'a pas fait de commentaires sur ce qu'il a déclaré, au sujet des Canadiens de haut rang qui ont rejeté les recommandations du juge Gomery. Pourrait-il le faire, d'ici la fin de la séance?

M. Franks : Je m'excuse.

Le sénateur Cools : Vous êtes pardonné. Je vous pardonnerais n'importe quoi.

M. Franks : Je crois que l'on a fait un travail de sabotage avec le rapport, en faisant ressortir certaines choses qui n'étaient pas très solides — notamment, M. Aucoin en a parlé, le processus de nomination des sous-ministres — et en attaquant ces choses au point où l'on ne tient pas compte de ce que le juge Gomery disait. Par exemple, les ministres ne devraient pas témoigner devant une commission des comptes publics, car la commission devient alors partisane. Et lorsqu'elle devient partisane, elle ne s'acquitte plus des responsabilités des sous-ministres. Elle devrait le faire et obliger la fonction publique à respecter ses responsabilités, etc.

La Commission Gomery a recommandé que l'on tienne des comptes rendus des décisions. Regardez la question dont est saisi le comité des comptes publics actuellement. Quand a-t-on décidé que certaines choses n'allaient pas dans le budget des dépenses? On n'a pas le compte rendu de cette séance, et diverses versions sont véhiculées pour expliquer ce qui s'est produit.

Il s'agit de questions sérieuses, et j'ai senti qu'un groupe de personnes s'opposait aux demandes voulant que les sous- ministres deviennent responsables et obligés de rendre des comptes dans un cadre public. J'ai raconté ma version de l'histoire, moi aussi, à l'époque. On a cité mes propos lorsque j'ai dit que c'était Kroeger et les Notables, comme je les appelle, un groupe rock quelconque, qui avait fait cela. Je sais que M. Kroeger a comparu devant ce comité et j'ai le plus haut respect pour lui, mais je ne peux m'entendre sur le contenu de cette discussion ni sur l'ensemble des arguments. J'apprécie le fait de pouvoir comparaître devant le comité et de pouvoir offrir un point de vue différent.

Le sénateur Baker : Lorsque le professeur Aucoin a parlé du système britannique et a fait des comparaisons, je me suis rappelé qu'en 1974, Stanley Knowles et moi-même, qui étions alors membres du comité, avions été en Grande- Bretagne et dans d'autres pays pour examiner les structures de reddition de compte, comme la période de questions, les comités, et cetera. Nous en avions tiré deux recommandations. La première recommandation proposait de permettre aux comités de déterminer leur mandat et la deuxième, de nommer un organisme externe constitué de membres du monde universitaire et des médias dont le mandat consisterait à recommander les changements devant être apportées aux règles, par exemple, les règles de la période de questions et celles des comités.

Je pense qu'il y a encore un comité distinct et externe dans le système britannique. Autrement dit, ils disent qu'il ne faut pas se fier aux politiciens pour modifier les règles qui les régissent en vue de rendre le système responsable. Que pensez-vous de cela?

M. Franks : Je peux vous répondre au sujet de la première recommandation. Lorsque les comités ont eu comme mandat de se pencher sur le budget des dépenses — et je crois que c'était en 1968 — le président, à mon étonnement, n'a pas voulu accepter de rapports volumineux sur la question. Le comité des pêches, en particulier, a voulu rédiger des rapports sérieux, mais ceux-ci n'ont pas été acceptés, sous le prétexte que le budget des dépenses ne demandait qu'un vote au sujet de sommes d'argent. Cela a changé il y a quelques années seulement, alors il a fallu plus de 20 ans pour que les travaux que vous avez faits avec M. Knowles portent des fruits. Cela signifie que les comités peuvent maintenant entreprendre leurs propres enquêtes. Il est regrettable que jusqu'à présent, ils n'aient pas été très actifs à ce titre. Il est terrible de dire cela, mais à chaque fois que je prends connaissance des travaux d'un comité parlementaire, je trouve que les comités sénatoriaux peuvent être cités en exemple sur la question d'entreprendre des enquêtes. Il y a eu de bons comités du côté de la Chambre, mais je peux probablement vous énumérer cinq rapports provenant de comités sénatoriaux pour chaque rapport provenant d'un comité de la Chambre qui est digne de mention.

M. Aucoin : Je suis d'accord avec cela. Je suis en faveur avec l'idée de donner plus de pouvoir aux comités, même aux membres des partis minoritaires, afin qu'ils puissent examiner les questions à la loupe et demander des comptes. Il n'est pas possible de faire cela dans le cas des comités législatifs, parce qu'il faut respecter le principe de la majorité, mais pour les comités qui demandent des comptes au gouvernement ou qui effectuent des examens, il est important d'être aussi solides et indépendants que possible. De nos jours, la majorité de ces travaux doivent être faits par les comités; ils ne peuvent être faits sur le parquet de la Chambre ou du Sénat. On peut mesurer l'efficacité et l'efficience du Parlement en vérifiant si les comités parlementaires peuvent effectuer ce type de travail sans être dirigé par le gouvernement, et c'est particulièrement vrai lorsque la discipline de parti est forte.

Pour ce qui est de la question d'avoir des organismes extérieurs qui recommandent les règles, pour la même raison que nous avons fait d'énormes progrès au Canada comparativement à d'autres pays, en utilisant des mécanismes comme les commissions de délimitation des circonscriptions électorales pour régler la question de l'intérêt partisan des députés, il est toujours utile d'avoir recours à des organismes de l'extérieur. Les partisans sont en conflit d'intérêts lorsqu'ils s'occupent de ces questions. Il y a les intérêts partisans par rapport aux intérêts de la population, et les intérêts sont faussés parfois. Les organismes de l'extérieur permettent, comme je l'ai dit, d'équilibrer le système, ce qui est très utile. Si vous examinez ce qui se passe dans d'autres pays, en ce qui a trait à la délimitation des circonscriptions, vous pouvez voir qu'il y a de la sagesse dans l'approche du Canada.

Le président : Merci beaucoup, messieurs les témoins. Vous avez fait d'excellentes interventions. Je sais que vous avez, tous les deux, déjà eu l'occasion de comparaître devant des comités du Sénat et de la Chambre, et à chaque fois que vous présentez vos points de vue devant un comité sénatorial, nous sommes tous renseignés sur le sujet à l'étude grâce à votre capacité de nous présenter les choses clairement. Aujourd'hui, nous nous penchons sur le projet de loi C- 2. Je vous remercie de vos interventions et votre capacité d'expliquer clairement certains articles difficiles qui portent sur la responsabilité. C'est très apprécié.

Honorables sénateurs, je dis au revoir aux deux témoins et je les remercie. Il y a en a d'autres, mais avant de suspendre nos travaux, je dois laisser la parole au sénateur Milne, qui veut présenter une motion.

Le sénateur Milne : Je propose que les motions qui se rapportent à l'examen du projet de loi C-2 en comité, Loi prévoyant des règles sur les conflits d'intérêts et des restrictions en matière de financement électoral, ainsi que des mesures en matière de transparence administrative, de supervision et de responsabilisation, ne soient mises aux voix qu'une fois que tous les témoins ont été entendus.

C'est la pratique habituelle du comité de ne jamais voter tant que les témoins n'ont pas tous été entendus. Je voulais simplement mettre cette pratique par écrit, comme cela a déjà été fait.

Le sénateur Stratton : Quelqu'un désire-t-il intervenir au sujet de cette motion?

Le sénateur Cools : Je me demande seulement pourquoi vous estimez que cela est nécessaire. Vous dites que cela a déjà été fait par le passé, mais il n'est pas obligatoire de le faire parce que cela a déjà été fait. Pour quelle raison estimez- vous que c'est nécessaire?

Le sénateur Milne : Je propose simplement cette motion pour que, des deux côtés, nous puissions relaxer et pour que personne ne se sente obligé, par une motion, de passer tout de suite à l'étude article par article.

Le sénateur Stratton : Alors, vous voulez dire qu'en adoptant cette motion, madame le sénateur, vous pouvez rester à l'écart?

Le sénateur Milne : Non, vous pouvez rester à l'écart.

Le sénateur Stratton : Ça aussi. Vous le faites de toute manière presque tout le temps. Vous avez de la difficulté avec cela.

J'aimerais proposer un amendement à cette motion, si vous me le permettez, car nous avions eu une entente, plus tôt, selon laquelle, peu importe ce que dit la motion du sénateur Milne, nous devons remettre le projet de loi C-2 au Sénat au plus tard à la séance du jeudi 26 septembre. Le comité directeur a conclu une entente — sous forme écrite — portant que le projet de loi doit être remis d'ici le 26 septembre. C'est dans trois semaines. Nous pouvons entendre tous les témoins possibles en trois semaines. Cependant, je propose cette motion qui modifie votre motion, sénateur Milne.

Le sénateur Campbell : Puis-je vois cette entente écrite? On me dit qu'il n'y a pas d'entente écrite. C'est la première fois que j'en entends parler et j'aimerais voir ce document.

Le sénateur Day : Je me demande si c'est approprié de modifier la motion précédente de cette manière.

Le sénateur Cools : Ce n'est pas un amendement. C'est une nouvelle proposition.

Le sénateur Stratton : Je suppose que la question fondamentale est la suivante : De quoi avez-vous peur?

Le sénateur Campbell : Je n'ai peur de rien. Je veux simplement m'assurer que nous allons entendre tous les témoins. Nous aurons peut-être terminé d'ici là, mais je ne vais pas siéger 24 heures sur 24 pour y arriver à tout prix. J'ajouterais que lorsque les libéraux ont proposé ce projet de loi, il a fallu au Sénat quatre mois pour l'examiner. C'était un Sénat libéral. Il leur a fallu quatre mois. C'est logique.

Le sénateur Stratton : Pourquoi le comité n'a-t-il pas siégé cet été, alors? Nous aurions eu ces quatre mois.

Le sénateur Campbell : Pour quelle raison aurions-nous siégé durant l'été?

Le sénateur Stratton : Nous aurions eu quatre mois.

Le sénateur Campbell : Quelle est l'urgence?

Le sénateur Stratton : C'est urgent, et vous savez pourquoi tout autant que moi.

Le sénateur Campbell : Personne ne mourra si nous n'arrivons pas à faire notre travail selon le délai demandé. Je ne vois pas l'urgence. Il y a une grande urgence en Afghanistan, où des personnes sont tuées. Personne ne va mourir si nous n'arrivons pas à faire notre travail d'ici le 26 septembre. Le premier ministre, les conservateurs, veulent, par le truchement de ce comité, embarrasser le Sénat, et franchement, je ne veux pas aller dans le même sens. Ils diront : « Ah, ils se traînent les pieds. Voilà un autre exemple de personnes qui ne veulent rien faire. » Je suis prêt à siéger six heures par jour pour entendre les témoins et pouvoir leur parler.

Le sénateur Stratton : Si nous siégeons huit heures par jour pendant trois semaines...

Le sénateur Campbell : Je ne siège pas la semaine prochaine.

Le sénateur Stratton : Cinq jours par semaines, huit heures par jour, combien d'heures cela fait-il?

Le sénateur Campbell : Cent vingt heures, mais je ne siège pas la semaine prochaine, car nous nous sommes entendu pour siéger la première et la troisième semaine.

Le sénateur Cools : J'aimerais dire quelque chose, monsieur le président. Je ne suis pas au courant de cette entente, et je ne pense pas que le comité directeur puisse conclure une entente au nom des autres.

Nous devons peut-être, monsieur le président, avoir une discussion approfondie sur la relation entre le comité directeur et le comité élargi. Puisque nous disons ce que nous avons à dire, je veux dire que je fais partie des personnes qui ne savent même pas comment les témoins sont choisis ni quelle est la participation des membres du comité dans ce choix. Lorsque je reçois simplement une note nous informant que des séances sont fixées à telle et telle date, que nous devons venir le plus tôt possible, et qu'on nous précisant la liste des témoins, ce n'est pas suffisant pour moi.

Les questions s'empilent sur la table, mais la première question dont nous sommes saisis, c'est l'amendement, qui n'est pas un amendement à la motion. C'est une nouvelle proposition.

Le sénateur Milne : Je suis d'accord avec le Sénateur Cools. Ce n'est pas un amendement adéquat, mais j'aimerais que les deux membres du comité directeur qui étaient présents lorsque je n'y étais pas interviennent à ce sujet.

Le sénateur Stratton : J'aimerais savoir pourquoi, selon vous, mon amendement n'est pas approprié. Il précise une date limite.

Le sénateur Milne : Demandez à votre collègue. Cet amendement ne modifie pas ma motion, d'aucune façon. C'est un autre sujet.

Le sénateur Cools : Une motion est une proposition distincte, et votre amendement, en tant que proposition, est valide, alors nous ne parlons pas de sa validité. Cependant, il aurait dû être présenté comme une motion indépendante et non comme un amendement à une motion.

Le sénateur Stratton : Je ne m'objecte pas contre cela, et je voudrais proposer cette motion à titre de motion distincte, si cela convient à la salle.

Le sénateur Campbell : J'attends toujours cette entente écrite.

Le président : Quelqu'un voudrait-il ajouter quelque chose?

Le sénateur Joyal : D'après ce que je me souviens, et je vais dans le même sens que le sénateur Campbell, lorsque le gouvernement a proposé que nous siégions les deux premières semaines de juillet, et cette proposition a été faite aux membres du comité directeur, le sénateur Day et moi-même avions convenu finalement en comité de ne pas proposer au comité de siéger les deux premières semaines de juillet. Nous allions plutôt siéger deux semaines avant que le Sénat reprenne ses travaux, c'est-à-dire cette semaine et la troisième semaine de septembre, car à ce moment, on savait que le président n'était pas disponible la semaine du 11 septembre. Nous avons tenu compte de cela. On nous avait informés que le président n'allait pas être la.

Le président : La semaine du onze quoi?

Le sénateur Joyal : La semaine du 11 septembre. C'est ce qu'on nous a dit.

Le président : Qui vous a dit cela, sénateur?

Le sénateur Joyal : Sénateur Olivier, vous avez dit que le comité n'allait pas siéger la semaine du 11 septembre.

Le président : Et vous avez dit que j'allais être absent?

Le sénateur Joyal : Que vous n'étiez pas disponible. Je ne sais pas pour quelle raison exactement, mais on nous a dit que vous n'étiez pas disponible la semaine du 11.

Le président : C'est faux.

Le sénateur Joyal : C'est l'impression que nous avions eue.

Le président : Ce n'est pas une bonne impression.

Le sénateur Joyal : Si nous nous sommes trompés, mon intention n'était pas de vous offenser. C'est l'impression que j'ai eue, et je m'en excuse, si je me suis trompé. Nous avions convenu qu'au lieu de siéger deux semaines en juillet, nous allions siéger en septembre, avant que le Sénat reprenne ses travaux. C'est pour cela que nous siégeons aujourd'hui et le reste de la semaine. Et c'est la raison pour laquelle nous devons siéger la semaine du 18 septembre. C'est ce qui a été convenu, et c'est pour cela que les membres du côté du gouvernement sont ici, tout comme les membres du côté de l'opposition.

Le sénateur Cools : Je n'ai pas besoin d'être ici? Dois-je conclure que je n'étais pas obligée d'être ici aujourd'hui parce que le sénateur Oliver était disponible la semaine prochaine?

Le sénateur Joyal : Non, nous avons eu une entente, et c'est la raison pour laquelle une liste de témoins a été constituée et les témoins ont été invités à témoigner cette semaine et la semaine du 18 septembre, selon la procédure habituelle. Nous avons convenu de cela, et tout le monde était d'accord, il n'y a pas eu de discussion. Au contraire, je crois que cela montre que le comité veut examiner le projet de loi sérieusement et lui accorder l'importance que nous lui avons accordée, avec les témoins qui ont comparu devant nous. Je crois que c'est ainsi que le comité devrait continuer à fonctionner.

Le sénateur Cools : En ce qui a trait à l'entente écrite officielle, vous voulez parler de vos souhaits et vos intentions sur, peut-être, la manière dont le comité devrait procéder, ce qui est différent d'une entente officielle signée.

Le sénateur Joyal : C'est ce que nous pensons, essentiellement. Bien sûr, le comité est toujours maître de sa décision et il peut décider du moment où il doit siéger.

Le président : Sénateur Campbell, avant de vous laisser parler, j'aimerais dire que, tout comme le sénateur Joyal l'a dit, les comités sénatoriaux sont maîtres de leur calendrier et les membres du comité peuvent décider de la façon de procéder lors des examens, au sujet des projets de loi, etc. Ce n'est pas un sous-comité qui prend les décisions, mais l'ensemble du comité. Cependant, il faut que tous les membres du comité sachent qu'il y a eu quatre mois de négociations intentes au sujet des témoins, oralement, par écrit, par téléphone et dans les bureaux. Ces négociations ont été menées par ce que l'on appelle le comité directeur, ou le comité qui s'occupe des budgets et de l'administration du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Des ententes ont été conclues par ce sous- comité au sujet des séances que nous avons tenues aujourd'hui.

Il me semble que la plupart des comités sénatoriaux traitent habituellement de la question des témoins, etc., non pas à la télévision devant les Canadiens, mais lors de rencontres du comité directeur, qui se réunit, prépare une liste et remet cette liste aux honorables sénateurs afin qu'ils l'examinent. Je ne sais pas pourquoi nous devons faire cela en public, montrer que nous sommes en désaccord. Il me semble qu'il convient de faire cela dans le cadre d'un comité approprié, soit le qui s'occupe des budgets et de l'administration, qui est chargé de sélectionner et de convoquer les témoins. Ils préparent une liste des témoins avec l'heure de leur audience et présentent cette liste au comité. Et cela a été fait, après quatre mois de négociation qui se sont soldées par certaines ententes.

Je voulais que cela figure au compte rendu.

Le sénateur Campbell : Je n'essaie pas de m'élever contre quiconque. Tout ce que je dis, c'est que lorsque nous nous sommes rencontrés en juillet, on m'a dit — c'est peut-être par écrit, je vais vérifier mes documents — que nous devions siéger la première et la troisième semaine de septembre. On ne m'a pas dit qu'il fallait avoir terminé nos travaux d'ici le 26 septembre. J'ai consulté la liste des témoins, et il y en a beaucoup. Et j'ai demandé pour quelle raison nous devions siéger en septembre, et l'on m'a dit qu'une entente avait été conclue à cet effet, c'est-à-dire que nous allions siéger la première et la troisième semaine et que nous n'allions pas siéger en juillet. On m'a dit que tout le monde était d'accord, alors j'ai accepté. C'était bien pour moi, et maintenant, je comprends. Cependant, je n'ai rien vu au sujet du délai du 26 septembre. On me dit maintenant qu'il y a eu une entente écrite, alors j'aimerais voir ce document.

Si le comité est maître de sa propre destinée, alors il peut annuler ou modifier n'importe quelle décision.

Le président : C'est parfaitement clair.

Le sénateur Campbell : Je ne remets pas votre jugement en doute, monsieur le président. J'accepte tout ce que vous et le sénateur Stratton avez dit. Nous sommes au courant de tout cela depuis juillet au moins.

Le président : Comme je l'ai dit, les pourparlers se poursuivent depuis quatre mois.

Le sénateur Campbell : En juillet, nous avons convenu de siéger la première et la troisième semaines de septembre. Nous n'avons rien dit à propos du 26 septembre.

Le président : Ce n'est pas vrai.

Le sénateur Campbell : Excusez-moi, monsieur le président. M'accusez-vous de mentir?

Le président : Non.

Le sénateur Campbell : Je vous garantis, sur mon honneur, que je ne sais rien des plans du 26 septembre. Je n'ai rien vu ni entendu à ce sujet pour que nous nous réservions cette matinée. J'ai appris ce matin que nous devions siéger le 26 septembre.

Le sénateur Cools : Lorsque j'ai parlé de la relation entre le comité de direction et l'ensemble du comité, je ne voulais absolument pas remettre en doute l'intégrité de quiconque ni les bonnes intentions de mes collègues. Je ne remettais en doute ni l'essence ni l'opportunité du choix de l'horaire des activités du comité ni même le choix des témoins. J'essayais seulement de préciser que le comité de direction travaille et agit au nom du comité. Le comité de direction jouit d'un pouvoir délégué et doit recevoir l'approbation du comité dans son ensemble en tout temps. Monsieur Oliver, si vous qualifiez cela d'usage au Sénat, je le conteste vigoureusement. À tous les comités auxquels j'ai siégé, le comité de direction demande l'approbation du comité dans son ensemble pour tous ses plans.

Le président : J'ai dit que c'était la procédure.

Le sénateur Cools : C'est ce que vous avez dit. Ce que vous voulez dire par là est-il ce que vous avez expliqué?

Le président : Continuez.

Le sénateur Cools : Vous m'avez interrompue. Vous pourriez au moins terminer et me dire pourquoi.

Le président : Veuillez prendre la parole, madame le sénateur Cools.

Le sénateur Cools : Je l'ai prise. Vous m'avez interrompue.

Certains comités avaient l'habitude de préparer un rapport écrit dans lequel ils présentaient la liste de témoins et l'horaire proposés. Je pense que cela favorise une bonne cohésion sociale, sans parler de la bonne politique; cela assure que les membres du comité participent au processus que je considère comme le bon fonctionnement du comité.

Il n'y a aucun témoin parmi ceux que j'ai entendus aujourd'hui dont je n'aurais pas approuvé la candidature avec joie. Cependant, je pense que le président du comité et les autres personnes responsables doivent veiller à ce que les membres du comité soient informés et à ce qu'on leur demande d'approuver les activités du comité de direction. L'habitude est une drôle de chose. Certaines personnes adoptent une façon de faire pendant un an ou deux, puis affirment qu'il s'agit d'un usage beaucoup plus ancien. Cela arrive bien souvent ici. Si ces habitudes sont devenues des usages, laissez-moi vous dire que je ne les accepte pas. Je ne les accepte pas. Je m'attends à être consultée, à ce qu'on me présente les témoins et les plans du comité, à huis clos ou en séance publique, pour que je participe au processus. C'est ainsi que je veux que les choses fonctionnent. Le greffier du comité a peut-être une opinion différente, mais je l'accepte aussi.

J'aurais voulu pouvoir exprimer mon approbation à la venue des témoins qui sont ici aujourd'hui, dire qu'ils étaient les bienvenus. Ce sont d'excellents témoins. Je n'essaie pas de faire la difficile, mais je crois que tout comité devrait fonctionner sur la base que tous les sénateurs sont égaux et que tous les sénateurs ont le droit de participer aux décisions du comité. C'est ce principe qui rend le comité maître de ses propres délibérations plutôt que de se plier aux caprices et aux volontés d'une ou deux personnes.

Je tiens à ce que l'on respecte les principes.

Le président : Merci, madame le sénateur Cools.

Mesdames et messieurs les sénateurs, j'aimerais vous rappeler que lorsqu'un comité du Sénat est constitué au départ, il est d'usage qu'il nomme un sous-comité pendant sa réunion d'organisation. Le libellé de la motion constituant le sous-comité se lit comme suit :

Que le sous-comité soit autorisé à prendre des décisions au nom du comité relativement au programme, à inviter les témoins et à établir l'horaire des audiences.

C'est son pouvoir.

Le sénateur Baker : Je suis tout à fait d'accord avec vous, monsieur le président. Nous faisons attendre un témoin. Peut-être pourrions-nous reporter cette discussion à plus tard, de sorte que le témoin puisse terminer et que la CPAC puisse se retirer sans assister à cette discussion.

Le président : Monsieur Day, vouliez-vous dire quelque chose?

Le sénateur Day : Je suis d'accord.

Le sénateur Stratton : On a proposé de prendre environ trois minutes pour les deux votes.

Le sénateur Baker : S'il ne nous faut que trois minutes, pourquoi ne les prendrions-nous pas après le départ du témoin?

Le sénateur Stratton : Sénateur, le public attend une réponse. Le public mérite de la connaître. Il mérite de l'avoir maintenant.

Le président : Le sénateur Milne a proposé sa motion.

Le sénateur Milne : Je l'ai proposée deux fois.

Le président : Que tous les sénateurs qui sont en faveur de la motion du sénateur Milne lèvent la main.

Qui est contre?

La motion est adoptée.

Sénateur Stratton, votre motion.

Le sénateur Stratton : Je propose que le projet de loi C-2 soit renvoyé au Sénat au plus tard l'après-midi du mardi 26 septembre 2006.

Le président : Que tous ceux qui sont pour lèvent...

Le sénateur Campbell : J'ai une question.

J'attends toujours de voir le document signé.

Le sénateur Stratton : La question a été mise aux voix.

Le président : Que tous ceux qui sont pour...

Le sénateur Campbell : Vous nous faites taire.

Le président : Non, je ne vous fais pas taire.

Le sénateur Campbell : Vous avez mis la question aux voix.

Le sénateur Stratton : Monsieur, la question a été mise aux voix.

Le sénateur Campbell : Vous avez mis la question aux voix. Vous nous empêchez de poursuivre le débat.

Le président : Qui est pour?

Que ceux qui sont contre lèvent la main.

Qui s'abstient?

La motion est rejetée.

Mesdames et messieurs les sénateurs, je suis maintenant ravi de vous présenter Leslie A. Pal, professeur de politique publique et d'administration à l'Université Carleton. Monsieur Pal a enseigné pendant dix ans à l'Université de Calgary et travaille à l'Université Carleton depuis 1992. Il a siégé aux conseils d'administration nationaux de l'Association canadienne de science politique, de l'Institut d'administration publique du Canada, de l'Institut sur la gouvernance et du Forum sur le rendement et la planification. Pendant plusieurs années, il a travaillé au sein de l'Institut de formation et de perfectionnement de la fonction publique du gouvernement de Hong Kong afin de former des hauts fonctionnaires. De plus, il a travaillé à des projets de réforme du secteur public en Ukraine, en Russie, en Arménie et en Géorgie.

Leslie A. Pal, professeur de politique publique et d'administration, Université Carleton : Merci infiniment. J'aimerais commencer par remercier le comité de me donner l'occasion de partager avec lui quelques réflexions sur ce projet de loi très important. C'est ma première comparution devant un comité sénatorial, et il n'est pas facile de prendre la parole après Ned Franks et Peter Aucoin. Je ne sais pas trop ce que je peux ajouter à ce qu'ils ont dit, mais je vais vous faire part de quelques réflexions générales. Je vais faire ma déclaration en anglais.

Je vous ai remis un petit article qui se veut une tentative d'analyse du concept de la responsabilité. Mes observations visent principalement la partie 4 du projet de loi, qui porte sur la relation entre les administrateurs généraux ou les sous-ministres et les ministres, soit sur les attributions et l'obligation de rendre compte des ministres.

Je constate de la discussion précédente que vous savez très bien que la proposition du concept de l'administrateur des comptes est au cœur de la restructuration des rapports entre les sous-ministres et les ministres qui est proposée dans le projet de loi. Je suis favorable à cette idée et j'appuie la façon dont elle est articulée dans le projet de loi.

Je suis également d'accord avec M. Franks, qui a dit qu'avant d'entreprendre tout effort pour renouveler cette relation, nous devons faire très attention à la façon dont elle se structure et dont elle est mise en place. Nous devons faire très attention, parce que même si elle ne diffère pas beaucoup en pratique des obligations de reddition de comptes que les hauts fonctionnaires ont devant le Parlement actuellement, elle changerait la philosophie de la relation entre les élus et les fonctionnaires nommés. Elle modifierait l'étendue des obligations de reddition de comptes et de la responsabilité personnelle que les hauts fonctionnaires devraient assumer devant les comités parlementaires.

D'autres personnes n'ont pas appuyé le concept de l'administrateur des comptes, à tout le moins de la façon dont il a été proposé dans le rapport Gomery. On y a fait allusion dans la discussion précédente. Je pense que le projet de loi actuel présente un bon équilibre en introduisant l'idée que l'administrateur des comptes soit intégré dans la tradition générale ou le cadre général de la responsabilité ministérielle. Pour ceux qui, au départ, étaient sceptiques ou inquiets quant aux incidences constitutionnelles potentielles de ce changement, cela semble les avoir apaisés dans une certaine mesure. Cependant, vous en serez les meilleurs juges, parce que vous recevez un plus grand éventail de témoins devant vous. Je pense toutefois qu'en pratique, quelle que soit la terminologie utilisée, cela représente un grand changement dans la philosophie entourant les responsabilités et obligations des fonctionnaires nommés envers le Parlement.

Le cœur du débat comporte deux volets. Je présente la première question comme suit dans mon article : la responsabilité consiste-t-elle en tout ou rien? Doit-elle être organisée hiérarchiquement jusqu'au ministre, uniquement par le ministre envers le Parlement et de façon plus vaste, ensuite, envers l'électorat en général?

Selon mon interprétation, ceux qui avaient des réserves à l'égard du concept de l'administrateur des comptes étaient rebutés par l'idée d'un seul canal ou d'une seule voie de reddition de comptes par la fonction publique, par l'intermédiaire du ministre, et finalement, envers le Parlement. Surtout, ils voyaient la reddition de comptes politique envers le Parlement comme une affaire de tout ou rien, indivisible d'une certaine façon. La démarche que j'avance dans mon article, c'est que nous pourrions peut-être commencer à réfléchir aux responsabilités et aux obligations d'une façon plus compliquée ou complexe. J'utilise le terme « intendance conjointe » à la fin de mon article pour désigner une autre façon de réfléchir au partenariat entre les politiciens élus et les fonctionnaires nommés dans leurs responsabilités et obligations collectives envers le Parlement et le peuple canadien.

Comme je le mentionne dans l'article, selon la façon classique et rigide de voir la responsabilité ministérielle, celle-ci est indivisible et d'un point de vue constitutionnel, juridique et pratique, elle s'intègre en la personne du ministre, qui doit rendre compte au Parlement et devant lui.

Le second élément qui est au coeur du débat, c'est la question de savoir si la doctrine classique de la responsabilité ministérielle se prête au modèle de gouvernance contemporain du Canada. Même si nous ne voulions pas le changer de façon radicale, que nous ne voulions pas nous engager sur la voie du concept de l'administrateur des comptes, si nous conservions la conceptualisation classique de la responsabilité ministérielle, ce modèle s'applique-t-il bien aux structures et aux usages de la gouvernance contemporaine au Canada? Je ne crois pas. Je pense que dans une certaine mesure, le débat sur le principe de l'administrateur des comptes et le début de réflexion sur les responsabilités et obligations d'une façon plus complexe nous portent à nous pencher sur la réalité d'un gouvernement beaucoup plus complexe. Nous essayons d'intégrer l'idée que les membres nommés de l'exécutif doivent rendre compte de leurs décisions et en répondre eux-mêmes au Parlement dans une certaine mesure.

J'ai consacré une partie de mon article à l'étude des éléments de base de la responsabilité ministérielle, et je suis certain que tous les membres de ce comité les connaissent. Comme je l'ai dit, l'interprétation classique s'articule autour de l'idée que la responsabilité est exercée par le ministre au Parlement et éventuellement, envers l'électorat. Si nous acceptons cette théorie, comment s'applique-t-elle en pratique? La gouvernance contemporaine met à rude épreuve cette conception classique des attributions et de l'obligation de rendre compte des ministres. L'énorme taille du gouvernement rend évidemment difficile pour les ministres de répondre de chacune des choses qui se passent dans leur ministère.

Il y a une tendance, ironique d'une certaine façon, qui vise une dépolitisation accrue de certains aspects de la gouvernance. Le recours à des organismes indépendants comme les fondations qui ont été établies depuis quelques années au Canada fait en sorte qu'il est difficile de concilier le concept classique de la responsabilité ministérielle avec les formes organisationnelles qui sont dorénavant un hybride, en quelque sorte, des formes de ministères. Ces organismes relèvent directement du ministre ou d'autres parties indépendantes, et les ministres demeurent tenus de rendre compte à certains égards pour ces organismes, mais ceux-ci ne déterminent pas leurs activités de la même façon qu'ils détermineraient leurs activités, en théorie ou d'un point de vue constitutionnel, s'ils faisaient partie intégrante de leur ministère.

Il y a eu divers changements dans la philosophie de gestion et les réflexions sur la gestion au cours des dernières années afin de donner aux sous-ministres plus de pouvoir au sein de leur ministère sur le plan de la gestion. Nous nous sommes engagés dans cette voie et avons essayé, à la fin des années 70, avec la Commission Lambert et auparavant, avec le rapport Glasco, de parler de la nécessité de laisser les gestionnaires gérer. S'ils sont responsables des pratiques de gestion dans leur ministère de façon plus générale, il semble logique de leur imposer également les obligations de reddition de comptes qui conviennent. Le fait est que les sous-ministres répondent des pratiques administratives de leur ministère et en font rapport dans leur ministère et devant le Parlement.

Comme nous l'avons vu dans l'affaire Gomery, la façon dont les fonctionnaires et les hommes et femmes politiques rendent compte de leurs actes soulève des inquiétudes. J'ai inscrit dans mon article une longue citation du rapport Gomery qui conclut qu'en fait, ce n'était pas un système de reddition de comptes, mais plutôt un système de déni mutuel dans le programme des commandites.

Si elle ne semble pas fonctionner particulièrement bien en théorie, pourquoi devrions-nous continuer de nous fier à l'interprétation classique de la responsabilité ministérielle? Je ne pense pas que le fait de concevoir des responsabilités séparées ou complémentaires, pour l'administration ou la gestion, puis pour les politiques subséquentes, pose problème. On peut défendre les deux positions quant au risque que les ministres refusent de répondre aux questions sur la gestion et pointent du doigt les hauts fonctionnaires en disant qu'il s'agit de leur responsabilité.

Je présente le concept de l'intendance conjointe vers la fin de mon article pour dire que nous pourrions commencer à songer à des moyens de renforcer mutuellement les responsabilités au sein de l'appareil exécutif tout en réfléchissant à une structure plus complexe et équilibrée pour les relations entre les diverses personnes nommées au sein de cet appareil et les élus. Je pense que c'est ce vers quoi nous nous dirigeons graduellement, bien que je sois d'accord avec ce que M. Franks a dit, c'est-à-dire qu'il faut réfléchir attentivement aux incidences de tout cela dans la pratique à long terme.

Le dernier aspect que j'aborde dans mon article est le problème des désaccords. Si les hauts fonctionnaires avaient des obligations de rendre compte plus personnelles et officielles, qu'arriverait-il lorsqu'il y a désaccord? M. Franks a parlé du modèle du Royaume-Uni. Selon ce modèle, s'il y avait désaccord, il faudrait présenter des lettres officielles à des autorités externes et le conflit serait résolu par le Conseil du Trésor.

Pour conclure, à tout le moins en ce qui concerne cette question, le projet de loi est raisonnablement bien réfléchi. Je pense qu'il est assez réaliste dans ses propositions. Il est temps d'aller de l'avant dans notre réflexion sur la responsabilité, et il ne faut pas nous laisser hypnotiser par le concept classique de la responsabilité ministérielle, qui s'avère difficile à appliquer à la gouvernance contemporaine en pratique. Nous avons des exemples d'autres administrations qui nous montrent qu'il est possible, dans un système parlementaire britannique, d'organiser ces relations différemment pour assurer une meilleure transparence et une meilleure reddition de comptes.

Le président : Je vous remercie de cet excellent résumé. Je vais commencer la période de questions par le porte-parole de l'opposition sur ce projet de loi, le sénateur Day.

Le sénateur Day : Monsieur Pal, nous avons déjà consacré beaucoup de temps à cette question étroite qu'est celle du projet de loi fédéral sur la responsabilité. M. Franks a indiqué que personne ne pouvait saisir tous les aspects différents de ce projet de loi. Malheureusement, c'est exactement la tâche qui est confiée au comité.

Concernant l'administrateur des comptes, dont il est question à l'article proposé 16.4 de la partie 1.1 de la Loi sur la gestion des finances publiques, à la page 187 du projet de loi soumis au comité, le projet de loi dicte ce qui suit :

16.4 (1) Dans le cadre des attributions du ministre compétent — notamment en ce qui concerne la gestion et la direction du ministère — et de son obligation de rendre compte au Parlement, l'administrateur des comptes...

Comment interprèteriez-vous les mots « dans le cadre de » et « notamment en ce qui concerne » dans le contexte de la responsabilité ministérielle?

M. Pal : La loi vise un équilibre entre la définition classique par mention particulière des attributions du ministre et de son obligation de rendre compte dans la loi et une nouvelle formule qui rendrait officielle la façon de rendre compte au Parlement. Je crois que M. Kroeger, qui s'était d'abord opposé à l'ajout du concept de l'administrateur des comptes dans le contexte de la responsabilité ministérielle, dans son témoignage devant le comité de la Chambre des communes, a indiqué qu'il pourrait composer avec cette forme d'équilibre entre la responsabilité ministérielle, d'une part, et le concept d'administrateur des comptes, d'autre part. À mon avis, c'est le but visé dans ce projet de loi.

S'il est adopté sous la forme que vous voyez, sénateur, il va être intéressant de voir ce que cela va signifier dans la pratique : quelle incidence va-t-il avoir sur le rendement des hauts fonctionnaires et leur obligation de rendre compte devant les comités parlementaires. Et j'ajouterais, je présume, quelle incidence va-t-il avoir sur la perception par les comités parlementaires de leur pouvoir et de leur devoir d'inviter des fonctionnaires à comparaître pour rendre compte.

Le sénateur Day : Nous avons reçu deux groupes de témoins aujourd'hui. Le premier groupe a indiqué que le ministre, en raison de sa responsabilité ministérielle, ainsi que le sous-ministre ou l'administrateur des comptes pourraient être tenus de rendre compte d'une même chose devant un comité. L'administrateur des comptes devrait rendre des comptes devant un comité du Parlement, mais le ministre rendrait compte également au Parlement en général, sur la même question. Est-ce l'interprétation de l'intendance conjointe dont vous parlez ou est-ce un chevauchement, en quelque sorte? Acceptez-vous cette idée?

M. Pal : Pouvez-vous me dire si vous trouvez cela problématique?

Le sénateur Day : J'aimerais comprendre ce que cet article signifie vraiment. Si l'article proposé ne définit pas clairement ce que les rédacteurs voulaient, il est de la responsabilité du comité, avant de soumettre ces dispositions à l'interprétation d'un juge, de faire en sorte que cet article dicte clairement ce qu'on veut dire et ce qui est souhaitable.

M. Pal : Il ne sera jamais possible d'établir des distinctions précises entre ce dont un ministre rendrait compte et ce dont un administrateur des comptes rendrait compte. Il serait illusoire de croire qu'un projet de loi ou des directives pourraient suffire à séparer ces sphères d'influence et de responsabilité entre les deux.

Le libellé du projet de loi vise à accentuer, à souligner ou à mettre en relief l'obligation personnelle et particulière du haut fonctionnaire de rendre compte d'une façon qui n'était pas reconnue auparavant. Comme les sénateurs le savent bien, la pratique est telle que les hauts fonctionnaires sont appelés à rendre compte ou à répondre de leurs décisions devant les comités. Ce projet de loi vise à officialiser cette obligation personnelle des hauts fonctionnaires de rendre compte tout en maintenant l'équilibre avec la compréhension générale c'est le ministre qui demeure obligé, selon la constitution, de rendre compte au Parlement de tout ce qui se passe. Certains opposants au projet de loi s'inquiètent de la solidité de cet équilibre dans le cas où un politicien élu ou un fonctionnaire nommé dirait qu'il est de la responsabilité de l'autre de rendre compte pour un aspect ou un autre d'une politique ou d'une décision administrative.

Je n'ai pas beaucoup de craintes en ce sens, parce que selon l'usage au gouvernement, particulièrement dans les hautes sphères du pouvoir, il y a entente. Les ministres et les sous-ministres doivent travailler en étroite collaboration et leurs méthodes de travail contrebalancent toute lacune possible dans le régime de responsabilisation.

Le sénateur Day : Endossez-vous l'opinion que le concept de la responsabilité ministérielle englobe tout ce qui se passe au sein d'un ministère et qu'il s'agit comme d'une sous-classe de responsabilité, selon la définition contenue dans le projet de loi? De cette façon, il n'y aura jamais de lacune, parce que le ministre devra assumer une responsabilité complète et totale, mais non exclusive. Est-ce votre position et est-ce ce que vous voulez dire par « intendance conjointe »?

M. Pal : L'intendance conjointe consiste à essayer de reconnaître que l'administrateur des comptes et les fonctionnaires ont des responsabilités importantes quant à la gestion non politique de leurs ministères et organismes. Dans ce contexte, l'intendance conjointe précise clairement qu'ils devront rendre compte et répondre au Parlement de façon personnelle. C'est un bon pas en avant, à mon avis. L'idée, c'est d'adopter une structure incitative qui créera une obligation officielle de leur part de préserver des normes appropriées dans l'administration de leurs ministères.

Le sénateur Day : Je ne sais toujours pas avec certitude lequel des deux points de vue vous adoptez : la reddition de comptes par un administrateur des comptes à un comité du Parlement ou la reddition de comptes par le ministre au Parlement. Ces deux formules sont-elles exclusives ou se chevauchent-elles?

M. Pal : En fin de compte, la reddition de comptes par le ministre est politique, il s'agit d'une responsabilité politique. Dans un monde idéal, nous pourrions faire la distinction linguistique entre la direction politique et la dichotomie de l'administration politique. Dans la pratique, ce serait difficile, parce que les deux se chevauchent. J'aimerais que nous avancions avec prudence en ce sens. Nous ne pouvons pas apporter des changements si importants sans faire très attention. L'équilibre entre la responsabilité politique de la part du ministre et la responsabilité de la gestion quotidienne de la part des sous-ministres est logique d'un point de vue conceptuel. Dans la pratique, c'est ce que nous faisons. La théorie classique de la responsabilité ministérielle entretient le mythe que le ministre est ultimement responsable de tout, qu'il doit rendre compte de tout. Je ne pense pas que cela concorde avec la gouvernance contemporaine et nos méthodes de travail dans la réalité. De façon modeste, il s'agit d'une reconnaissance de la réalité.

Si vous me demandez si je serais d'accord avec la nomination d'un administrateur des comptes sans utiliser les mots qu'on trouve ici, qui intègrent sa responsabilité à la responsabilité ministérielle, je vous dirais que oui, je serais plutôt d'accord avec cette nomination. On essaie ici de trouver l'équilibre entre les deux et d'une certaine façon, d'intégrer la responsabilité ou la responsabilisation directe de l'administrateur des comptes dans le cadre plus général de la responsabilité ministérielle. Je ne sais pas ce que cela va signifier dans la pratique, mais je pense qu'on va constater une officialisation du processus et une précision des détails, même si l'on juge qu'il s'agit de responsabilités et d'obligations de rendre compte déléguées à des fonctionnaires.

Le sénateur Day : En adoptant le terme « administrateur des comptes », qui vient d'une loi du Royaume-Uni de 1872 qui a suscité beaucoup d'enthousiasme ici il y a quelque temps, on laisse entendre qu'il y a deux domaines, les politiques et les ministres. Si le ministre se fait poser une question au Parlement sur l'administration du ministère, il va dire que c'est son sous-ministre qui va répondre à ces questions, devant un comité des comptes publics.

M. Pal : Je ne suis pas certain que ce doit être la façon de faire. Je pense qu'il serait tout de même acceptable que nous décidions que les ministres doivent rendre compte dans une certaine mesure ou du moins qu'ils finissent par répondre dans une certaine mesure, parce que de toute évidence, des fonctionnaires nommés ne peuvent pas comparaître dans les chambres. Cela signifierait qu'au quotidien, toute la reddition de comptes sur la gestion se ferait devant des comités d'enquête et d'examen sur l'administration. Je sais que d'une certaine façon, cela semble contradictoire, mais je ne vois pas pourquoi il ne serait pas tout de même possible d'exercer les prérogatives du Parlement à la Chambre en ce qui concerne la responsabilité ministérielle.

Ma perception de la responsabilité est plus élastique. Je ne souhaite certainement pas dénigrer une longue tradition d'idées universitaires et constitutionnelles sur ce en quoi consiste la responsabilité ministérielle, mais selon ma revue de la littérature, je crois que l'usage ou la vision canadiennes sont un peu trop fragiles. Les défenseurs de cette formule vous diront que nous devons être extrêmement prudents avec les principes constitutionnels et que nous ne devrions pas les changer sans y réfléchir attentivement. Comme les témoins précédents l'ont indiqué, notre système dans son ensemble fonctionne extrêmement bien, donc s'il n'y a pas de problème, n'essayons pas de trouver une solution.

Le sénateur Day : Pour vous, la responsabilité est-elle l'obligation de rendre compte ou va-t-elle plus loin?

M. Pal : Dans l'article, j'essaie de faire la distinction entre les différents types de responsabilités, d'obligations de rendre compte. La responsabilité consiste à la fois à tenir quelqu'un responsable de quelque chose, à l'obliger à s'occuper de quelque chose ainsi qu'à l'obliger à répondre aux questions, aux enquêtes et aux examens menés par ceux à qui il ou elle doit rendre compte. C'est à la fois une responsabilité et une obligation de rendre compte. C'est pourquoi je crois que le concept de la responsabilité dont il est question ici est un concept plus robuste et sérieux en comparaison avec les autres types de relations qu'on voit en gouvernance ou en gestion.

Le sénateur Day : Les responsabilités des sous-ministres existaient avant ce projet de loi, du moins en pratique, et par conséquent, leur obligation de comparaître devant les comités des deux Chambres du Parlement l'était aussi. Qu'est-ce que ce projet de loi apporte-t-il de plus?

M. Pal : Il officialise le tout. Nous appliquions des conventions constitutionnelles concernant ces responsabilités et obligations de reddition de comptes. Les personnes qui sont contre ce projet de loi y voient un grand changement dans les relations constitutionnelles entre les hauts fonctionnaires et les politiciens élus, les ministres élus, donc on peut y voir un changement assez radical. Si l'on considère que le concept classique de la responsabilité ministérielle est au cœur de notre système constitutionnel, le moindre changement, si modeste soit-il, pourra être perçu comme assez radical.

L'autre façon de voir, c'est qu'il s'agit d'un assez petit ajout qui officialise un type de relation et souligne l'obligation constitutionnelle des fonctionnaires nommés de rendre compte dans certains domaines. Par ailleurs, en plus d'offrir un processus de résolution des désaccords, ce projet de loi officialise une façon de faire. Elle existait déjà, mais découlait surtout d'une convention informelle qui consistait à recourir au greffier en cas de mésentente entre les ministres et les sous-ministres. Cela viendrait officialiser une démarche écrite ou mettre en évidence un désaccord. Le projet de loi prévoit un processus de résolution plus transparent et visible, et la responsabilité première demeure celle des politiciens élus en bout de ligne.

Encore une fois, c'est l'une des différences avec les propositions de monsieur Gomery, qui soulèvent encore une certaine opposition de la part de ceux qui croient que les responsabilités constitutionnelles ultimes de gouvernance dans notre système doivent toujours demeurer presque exclusivement celles des élus.

Le sénateur Day : En pratique, s'agit-il seulement d'officialiser et d'inscrire dans la loi une façon de faire qui existait déjà?

M. Pal : Je pense qu'en grande partie, oui, mais le projet de loi pourrait aussi avoir comme effet de renforcer la perception, du moins parmi les élus, qu'ils ont des obligations particulières et officielles de rendre compte, en plus de la façon établie de faire rapport au Parlement.

Le sénateur Day : Le juge Gomery voulait aller plus loin en ce qui concerne la résolution des conflits. À cet égard, le projet de loi se limite aux directives du Conseil du Trésor, comme vous le voyez. Il pourrait y avoir des conflits, et il est fort probable qu'il y en ait à l'occasion, entre le sous-ministre et le ministre sur des questions autres que celles visées par les directives du Conseil du Trésor. Il n'y a aucun mécanisme de résolution des conflits prévu pour ces circonstances. Le reconnaissez-vous?

M. Pal : Je l'ai peut-être mal lu, monsieur le sénateur.

Le sénateur Day : L'article proposé 16.5 se lit comme suit : « [...] ne s'entendent pas sur l'interprétation ou l'application de quelque politique, directive ou norme établie par le Conseil du Trésor, l'administrateur des comptes demande l'avis écrit... » Cela se limite au Conseil du Trésor, il s'agit donc d'une application limitée.

Certains témoins ont dit que ce mécanisme devrait s'appliquer à beaucoup plus grande échelle, alors que d'autres ont dit qu'il ne devrait rien y avoir du tout. On semble opter pour une solution mitoyenne, tout comme pour l'autre article que nous venons de lire.

M. Pal : Encore une fois, il s'agit de type de désaccord très précis concernant des principes de gestion et non des politiques.

Le sénateur Day : Oui, cela concerne les règles de gestion du Conseil du Trésor.

M. Pal : On ne peut pas s'attendre à ce qu'il y ait un mécanisme de résolution des conflits en matière de politique, parce que les politiques relèvent du ministre.

Le sénateur Day : La gestion va bien au-delà des directives du Conseil du Trésor, c'est ce que j'essaie de vous dire.

M. Pal : C'est juste.

Le sénateur Day : Il n'y a que les directives du Conseil du Trésor qui sont visées par ce mécanisme de résolution des conflits.

M. Pal : Oui.

Le sénateur Campbell : Monsieur, sommes-nous en train de proposer la fin du modèle parlementaire britannique? Je vais finir par obtenir une réponse.

Il y a beaucoup de choses dans le projet de loi que j'aime. On propose presque d'adopter un modèle d'entreprise, un modèle selon lequel certaines personnes dans une organisation sont chargées de prendre certaines décisions et qu'elles en assument la responsabilité. Il ne fait aucun doute que c'est la personne en haut de l'échelle qui a le pouvoir de décision ultime, bien que ce ne soit pas nécessairement comme cela ici, et je vais l'expliquer tout de suite. Sommes-nous en train de nous éloigner du modèle britannique?

M. Pal : Je ne pense pas. J'ai fait état de certaines inquiétudes exprimées par les personnes qui critiquent publiquement certaines recommandations du juge Gomery. Elles ont critiqué directement ces recommandations sous prétexte qu'elles constitueraient une révolution constitutionnelle. Je ne pense pas qu'elles l'aient dit en ces termes, mais ce serait un changement fondamental à notre système parlementaire britannique.

Pour ces raisons, je ne suis pas d'accord, comme je l'ai déjà dit au sénateur Day. Les autres parties du projet de loi contiennent des changements plus substantiels, fondamentaux, organisationnels et institutionnels. Cependant, ces dispositions-là semblent être des modifications relativement modestes qui officialisent certaines relations et se veulent une modeste tentative de séparer légèrement les responsabilités et obligations ou de créer un meilleur équilibre pour nous donner une idée plus claire et ferme du fait que les hauts fonctionnaires sont tenus responsables de certains éléments de gestion interne. Je considère cet objectif relativement modeste.

Il faut aussi se demander à quel point on estime central cet ensemble de relations dans le système britannique en général. Évidemment, vous savez mieux que moi qu'il s'agit d'un système qui se caractérise, au Canada, par les rôles et responsabilités respectifs de la Chambre des communes et du Sénat, notre système de comités, nos partis politiques, ainsi que les conventions, l'usage et l'histoire qui entourent le fonctionnent de notre gouvernement. Non, il serait difficile pour moi d'imaginer que ce système extrêmement complexe puisse s'effondrer ou être fondamentalement modifié ou changé pour toujours en raison d'une modification relativement modeste comme celle-ci.

Le sénateur Campbell : Ma seconde question vise à mettre au clair une différence entre le ministre et le sous-ministre, par exemple. Dans cette version, c'est un comité du cabinet qui prend la décision ultime.

La question est peut-être hypothétique, mais quel serait l'effet sur un ministre du fait que l'une de ses décisions soit annulée parce que le comité du cabinet a décidé que c'était le sous-ministre qui avait raison? Selon notre système britannique, quel est le choix du ministre?

M. Pal : Tout dépendrait de la gravité du désaccord. Tout cela est hypothétique, mais si une mésentente se rendait jusque là, elle devrait être assez grave, il ne s'agirait pas de petites mésententes sur la gestion. Selon ce scénario, l'annulation de la décision du ministre indiquerait un certain manque de confiance, probablement de la part des collègues du ministre qui siègent au Cabinet. Encore une fois, tout dépendrait de la nature de la mésentente et de la décision.

Si le conflit portait sur un sujet sur lequel des personnes raisonnables peuvent ne pas être d'accord ou qu'il s'agissait d'une stricte question de gestion, je ne sais pas si elle mènerait nécessairement à la démission du ministre, puisque cela semble être ce dont vous parlez. Cependant, si le conflit découlait d'un manque de jugement, d'un certain degré de culpabilité ou même d'un petit écart de conduite ou d'un jugement politique douteux concernant une question administrative, alors il se pourrait que le premier ministre demande au ministre de démissionner.

Le sénateur Campbell : La décision du comité du Cabinet devrait-elle rester secrète?

M. Pal : Le secrétaire du Conseil du Trésor et le Conseil du Trésor lui-même formeraient le comité du cabinet. D'après ce que je comprends du projet de loi, la décision du Conseil du Trésor serait présentée au vérificateur général. Honnêtement, je ne suis pas certain si cette décision serait rendue publique.

Le sénateur Milne : Monsieur Pal, vous avez parlé de responsabilités complémentaires. En réponse au sénateur Day, vous avez dit que ce projet de loi était une solution partielle qui constituait à établir un système de responsabilités complémentaires.

Selon mon expérience, lorsqu'un sous-ministre comparaît devant un comité, il affirme souvent qu'il s'agit d'une question politique et qu'il ne peut pas en répondre. Le comité doit alors demander au ministre. Qu'arrivera-t-il si l'on pose une question au ministre à la Chambre des communes et que le ministre répond que la question relève entièrement de son sous-ministre, que le Parlement a conféré cette responsabilité au sous-ministre? Un député de la Chambre des communes, un sénateur ou un membre du public ne peut pas sommer un sous-ministre de comparaître devant un comité sur une question en particulier. Pour cette raison, cette solution serait inefficace.

J'ai aussi certaines réserves concernant le fait que les divergences entre un ministre et un administrateur des comptes soient réglées par le Conseil du Trésor, qui en fera ensuite rapport au vérificateur général. Toutefois, un dossier du cabinet peut être protégé par le secret du Cabinet, et ni le public ni les députés ne sauront ce qu'il en est. La question peut être réglée sans trop de remous derrière des portes closes, mais le processus ne rend pas les choses plus claires ni plus transparentes aux yeux du public. Cette partie du projet de loi me préoccupe beaucoup.

M. Pal : Voulez-vous que je fasse des commentaires à ce sujet?

Le sénateur Milne : Oui, je vous prie.

M. Pal : Je ne veux pas nécessairement paraître en faveur de ces dispositions. J'essaie de cerner la logique sous- jacente. En général, j'aime l'idée, parce qu'on apporte une certaine clarté et qu'on reconnaît une certaine réalité. En conséquence, j'appuie cette mesure.

Le sénateur Milne : C'est là où la logique ne tient pas.

M. Pal : Il est difficile d'imaginer qu'au moment d'être questionné sur la gestion de son portefeuille ou de son ministère au Parlement, un ministre refuserait tout simplement de répondre en montrant du doigt le sous-ministre. En fait, c'est exactement ce que le juge Gomery et ces dispositions législatives visaient à éviter, parce que c'est ce qui semblait se produire dans l'ancien régime. Les politiciens s'accusaient l'un l'autre ou accusaient leurs fonctionnaires et vice versa. Cette démarcation dans l'administration des politiques n'a jamais été claire; elle ne peut pas vraiment l'être. Toutefois, comme il n'y avait aucune formalité rattachée à la responsabilité des questions administratives, il est devenu plus difficile de suivre une piste.

Vous avez peut-être raison, mais je crois que cette disposition vise à régler ce problème. J'ai peine à imaginer que des ministres refuseraient simplement de répondre aux questions. Compte tenu de la structure établie ici — et cela revient à la question donnée au sénateur Day — le cadre des attributions ministérielles précisées dans la loi est bien défini ici. Un ministre ne peut échapper complètement à l'obligation de rendre compte, si ce n'est à sa responsabilité au jour le jour, devant le Parlement. Si cet équilibre était atteint — c'est-à-dire si les ministres n'essayaient pas de se soustraire aux questions d'ordre général sur leurs responsabilités et aux questions plus précises, s'il y avait des allégations de malversation — le ministre ferait tout de même rapport sur les conseils et avec l'appui du sous-ministre. Le sous- ministre est responsable devant les comités, qui se penchent sur les activités et les pratiques de gestion des ministères.

Je n'entrevois pas nécessairement ce scénario. Il pourrait se produire, mais je crois bien franchement que la chose est improbable. J'aimerais ajouter une précision à ce que le professeur Franks a dit. Nous avons ici une disposition législative. Ce qui importe le plus, c'est la façon dont nous élaborons et étoffons ces dispositions législatives dans un ensemble de pratiques et de conventions. Comme vous le savez très bien, l'établissement de conventions, de pratiques et d'accords est difficile et prend du temps.

Je comprends les gens qui sont préoccupés par les conséquences que pourrait avoir la loi. Nous aimerions faire exactement ce que vous faites : entrevoir toutes les incidences éventuelles et garantir dans toute la mesure du possible qu'il n'y aura pas d'effet négatif.

Le sénateur Milne : Dans ce cas, monsieur Pal, quels aspects du projet de loi — peut-être celui-ci — le comité devrait-il examiner plus à fond avant de terminer ses audiences? Y a-t-il des articles précis du projet de loi où des améliorations peuvent être apportées afin que les fonctionnaires et le ministre puissent s'acquitter pleinement de leurs responsabilités envers les Canadiens?

M. Pal : Mon mémoire porte précisément sur la partie 4, et je n'ai pas examiné en détail d'autres éléments du projet de loi. Le rôle du commissaire à l'intégrité du secteur public et les dispositions sur les dénonciateurs pourraient faire l'objet d'un examen plus approfondi. Je crois que les dispositions originales du projet de loi portant sur le système de récompense des dénonciateurs ont été modifiées à la Chambre. Il y a là, et je le dis sous toute réserve parce que je ne m'y suis pas arrêté, la question de confiance au sein de la fonction publique, de façon plus générale.

On pourrait reprocher au système qui sera mis en place suivant ce projet de loi, s'il est adopté, de créer l'impression que les fonctionnaires et les représentants élus sont plus corrompus ou incompétents qu'ils ne le sont en réalité, ce qui est plutôt paradoxal. On créerait l'illusion que tous ces mécanismes sont nécessaires dans les activités de tous les jours pour faire en sorte que les gens se comportent correctement alors que, en pratique, ces comportements étaient des aberrations. M. Gomery l'a bien souligné. Ces comportements s'éloignaient des règles et des pratiques de tous les jours.

En général, bon nombre de ces mesures sont bien accueillies. Elles permettent de préciser des relations qui n'avaient pas été définies ou qui l'avaient été de façon différente par le passé. La préoccupation philosophique que j'ai, c'est que, au bout du compte, nous pourrions saper la confiance du public dans une certaine mesure, alors que nous essayons d'apaiser les inquiétudes qu'ont soulevées ces événements passés.

Le sénateur Milne : Sommes-nous en train de jeter le bébé avec l'eau du bain?

M. Pal : C'est possible. Que je sache, si toutes les dispositions sont approuvées, le projet de loi permettra de mettre en place l'un des régimes de responsabilité les plus robustes qui soit dans une démocratie occidentale, en touchant au financement électoral, au lobbying, aux relations internes entre les fonctionnaires et les représentants élus, à certains aspects du Parlement et des comptes à rendre en matière de budget et de finances. Il en résultera une architecture beaucoup plus baroque. À cet égard, si le texte de loi ne sape pas entièrement le système britannique, lorsque toutes les pièces du casse-tête seront rassemblées, il touchera le système d'une manière qu'on ne peut prévoir pour l'instant, mais qui pourrait avoir un impact cumulatif plus grand que la somme des différents morceaux.

Le sénateur Cools : J'aimerais souhaiter la bienvenue au témoin d'aujourd'hui et je voulais vous dire, monsieur Pal, que vous avez un nom très intéressant.

M. Pal : Il est d'origine hongroise.

Le sénateur Cools : Est-ce la forme abrégée d'un autre nom?

M. Pal : C'est un nom assez répandu en Hongrie, où je vais à l'occasion. C'est l'équivalent de Smith ici.

Le sénateur Cools : En anglais, votre nom favorise les familiarités.

Les dispositions du projet de loi portant sur le commissaire à l'éthique posent un certain défi. Je ne sais pas si vous y avez réfléchi, mais essayons de voir ce qu'il en est.

Selon ce projet de loi, une nouvelle créature constitutionnelle, qu'on appellera le commissaire à l'éthique, verra le jour et, compte tenu de la méthode prévue pour sa nomination, ce sera un fonctionnaire de la Couronne. Comme vous le savez, depuis plus d'une centaine d'années maintenant, le Parlement n'est pas à l'aise avec les fonctionnaires de la Couronne en son sein. Je suis certain que vous savez qu'il a fallu 100 ans pour expulser du Parlement les titulaires de charge, même à tel point que jusqu'à environ 1935, je crois, les ministres de la Couronne au Canada devaient démissionner et, pour se présenter à nouveau, devaient obtenir la permission de leurs électeurs pour devenir ministres. Très peu de gens le savent maintenant, mais c'était la loi. Un député ne pouvait être ministre de la Couronne aussi facilement. C'était une affaire difficile. C'était aussi une affaire dangereuse.

À la Chambre des communes, il n'y a pas réellement de haut fonctionnaire ou d'agent du Parlement. C'est une grande illusion, une sorte de fiction intellectuelle qui s'est perpétrée. Toutefois, chaque Chambre — le Sénat et la Chambre des communes — a ses propres hauts fonctionnaires, notamment le greffier du Sénat, le greffier de la Chambre et les légistes.

Le projet de loi prévoit donc cette nouvelle créature. Non seulement il s'agit d'un titulaire de charge qui est fonctionnaire de la Couronne, mais cette créature porte aussi le nom de « commissaire », ce qui en fait un fonctionnaire de Sa Majesté. Dès que vous entendez le mot commissaire, vous savez qu'on touche à la Constitution.

Je dois vous avertir que ce n'est pas facile de trouver des gens à qui poser ces questions, puisque le droit du Parlement et son jumeau, le droit de la prérogative, constituent probablement le domaine d'étude le plus négligé. Toutefois, si vous examinez les articles du projet de loi qui créent ce nouveau commissaire et en fait une créature conjointe, ce qui est encore plus original, je me demande si vous pouvez comprendre que cette nouvelle créature constitutionnelle aura tous les pouvoirs, privilèges et immunités du Sénat. Chose intéressante, chaque sénateur n'aurait pas ces pouvoirs puisque les privilèges parlementaires ou les privilèges des sénateurs ont la particularité d'être détenus collectivement. Ces privilèges sont différents de ceux des juges. Dans le cas du Parlement, ce sont des privilèges collectifs, que je détiens avec tous les autres sénateurs.

Le paragraphe 86(2) proposé dit ceci, en parlant du commissaire :

Lorsqu'il s'acquitte de ces fonctions, il agit dans le cadre de l'institution du Sénat et possède les privilèges et immunités du Sénat et des sénateurs.

Cela signifie que les privilèges du Sénat sont conférés à une seule personne.

C'est très intéressant. On retrouve cela dans une autre section du projet de loi. Si vous regardez l'article 48, à la page 26 — avez-vous un exemplaire du projet de loi sous les yeux?

M. Pal : Oui.

Le sénateur Cools : Au paragraphe 48(1), on voit que le commissaire a le pouvoir d'assigner devant lui des témoins. Aucun sénateur ne peut le faire. Un comité sénatorial peut le faire, le Sénat dans son ensemble peut le faire, mais une telle décision prise collectivement devient une motion. C'est pourquoi la procédure de destitution est si lourde, puisque chaque élément doit être proposé par voie de motion et doit être débattu avant qu'un vote ne soit pris.

Ces articles sont très troublants puisqu'il s'agit ici de donner à une personne le poste constitutionnel de fonctionnaire de la Couronne. Puis vous conférez à cette personne tous les pouvoirs, privilèges et immunités du Sénat. Cette personne est ensuite censée faire une évaluation et porter un jugement sur la conduite des membres.

Je me demande ce que vous en pensez. À mes yeux, cette créature est très épeurante. Je dirais qu'elle est inconstitutionnelle.

Le président : Il y a une question pour vous.

Le sénateur Cools : Vous êtes nombreux à comparaître devant nous et vous êtes des témoins extraordinaires. Nous sommes choyés de pouvoir profiter de vos connaissances. Très peu de personnes examinent le libellé des textes de loi pour veiller à ce que j'appelle la conformité au principe et au droit du Parlement. Je peux vous dire qu'il y a 60 ans, quiconque aurait rédigé ce texte aurait été à l'encontre de ce principe.

M. Pal : Je dois admettre que vous connaissez la procédure parlementaire beaucoup mieux que moi. Je n'ai pas examiné très attentivement cet article du projet de loi.

Le sénateur Cools : Tandis que vous y êtes, regardez les dispositions concernant la révocation, aux environs de l'article 82, je crois. Le paragraphe proposé 82(1) de la Loi sur le Parlement du Canada porte sur la durée des fonctions du commissaire. Nous avons ici un mélange de toutes les formes de mandat réunies en une. Par exemple, on lit à l'article 82 proposé « le commissaire exerce ses fonctions à titre inamovible pour un mandat de sept ans. » Or, on exerce des fonctions soit à titre inamovible, soit pour une période déterminée. En outre, s'il s'agit d'une période déterminée, on précise aussi « sauf révocation motivée par le gouverneur en conseil ». La révocation motivée est un concept différent de la révocation sur motion, sur une adresse en particulier, du Sénat et de la Chambre des communes. Cette personne ne pourra pas être révoquée — ne vous méprenez pas à ce sujet — puisque toutes les formes de mandat ont été insérées dans cet article.

Ce dont je parle est plutôt difficile à comprendre pour bien des gens, mais croyez-moi, je me suis fait un devoir d'étudier cela et ce que nous avons ici, c'est une nouvelle créature constitutionnelle dotée de pouvoirs extraordinaires, qui sera pratiquement inamovible. Toute tentative de la part du gouvernement de révoquer cette personne forcera invariablement un vote de confiance et sa défaite. C'est truffé de problèmes, et je ne trouve personne pour examiner cela. Si vous n'y avez pas réfléchi, je peux le comprendre, mais lorsque vous retournerez chez vous, voyez si vous pouvez y jeter un coup d'œil.

M. Pal : Je ne vois pas nécessairement de contradiction entre le fait d'occuper un poste à titre inamovible pour un mandat de sept ans et la possibilité d'une révocation motivée. Je conviens qu'une adresse conjointe peut être difficile à obtenir, à moins d'un comportement vraiment extrême. Une nomination pour une période déterminée et le fait d'exercer des fonctions à titre inamovible pendant ce mandat ne semble pas être contradictoire.

Concernant l'autre point que vous avez soulevé, le paragraphe 86(3) précise ceci, en parlant du commissaire : « Il est placé sous l'autorité générale du comité du Sénat que celui-ci constitue ou désigne à cette fin. » C'est la même chose pour la Chambre des communes. Je suppose que cette disposition est ajoutée par mesure de sécurité, mais on lit au paragraphe 87(5) « [...] le présent article n'a pas pour effet de restreindre de quelque façon les pouvoirs, droits, privilèges et immunités de la Chambre des communes et des députés. »

Je suis perplexe, mais je me demande s'il n'y a pas un certain équilibre ici. Je ne veux pas me perdre en conjectures puisque, comme je l'ai dit, je n'ai pas examiné cet aspect attentivement.

Le sénateur Cools : Je vous demande simplement d'y réfléchir. Si vous voulez revoir l'article proposé pour comprendre le problème, on dit « [...] sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes ». Eh bien, les adresses sont faites au gouverneur général, et non au gouverneur en conseil. Cet élément même est une irrégularité, puisqu'on s'est inspiré de l'article de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 qui porte sur la révocation des juges, lesquels exercent leurs fonctions à titre inamovible, mais peuvent être révoqués sur adresse. Il est écrit très clairement « par le gouverneur général ». Dans toute sa sagesse, le Parlement ne présente pas d'adresse au gouverneur en conseil. C'est là l'idée même d'une adresse. C'est la voie qu'empruntent les Chambres pour communiquer avec le souverain.

M. Pal : Je serais ravi de réfléchir à ce sujet.

Le sénateur Cools : Il s'agit d'une créature constitutionnelle étrange, originale et unique. On essaie ensuite de me convaincre qu'il s'agira d'un fonctionnaire du Parlement. Ce n'est pas vrai. Je contesterais même l'utilisation du terme « agent parlementaire » ou « haut fonctionnaire du Parlement ». Ce sont des termes nouveaux qui ont été lancés récemment. Même l'utilisation de ces mots crée beaucoup de confusion. Si vous trouvez quelque chose, je serais ravie d'en parler avec vous, parce que je suis consternée par cela.

M. Pal : J'en serais ravi.

Le sénateur Cools : Merci. Vous voyez, nous allons devenir familiers.

Le sénateur Joyal : Monsieur Pal, j'aimerais revenir à l'article proposé 16.4 de la Loi sur la gestion des finances publiques. Le sénateur Day a soulevé cette question. Voici ce qu'on lit :

Dans le cadre des attributions du ministre compétent — notamment en ce qui concerne la gestion et la direction du ministère — et de son obligation de rendre compte au Parlement, l'administrateur des comptes visé à la partie I de l'annexe VI est comptable devant les comités compétents du Sénat et de la Chambre des communes...

Puis, on énonce quatre éléments dont il doit rendre compte.

J'ai deux questions. La première porte sur le libellé de l'alinéa proposé 16.4(1)a) de la modification de la Loi sur la gestion des finances publiques, qui se lit comme suit dans le texte anglais :

(a) the measures taken to organize the resources of the department to deliver departmental programs in compliance with government policies and procedures;

Selon moi, une politique gouvernementale a la teneur du programme du gouvernement, si vous voulez. Dans la version française du projet de loi, toujours à l'alinéa 16.4(1)a), on lit ceci :

[...] en conformité avec les règles et méthodes administratives applicables;

Il est dont clair que nous parlons ici d'administration.

Dans la version anglaise toutefois, les politiques gouvernementales semblent davantage être une façon dont le sous- ministre organise les ressources du gouvernement afin de mettre en œuvre les politiques gouvernementales, qui peuvent prendre la forme d'un programme pour la prestation d'un service ou d'un avantage offert à un certain groupe de citoyens. Ce serait la responsabilité du sous-ministre, réputé être un administrateur des comptes, d'organiser correctement les ressources du ministère, que ce soit les installations, les ressources humaines et ainsi de suite.

J'essaie de comprendre cet article. Évidemment, lorsque je lis la version française, il semble y avoir un doute. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

Plus substantiellement, si quelque chose se produit dans un ministère relativement aux ressources ou à des questions administratives, par exemple si des actes répréhensibles sont commis, si le ministère n'offre pas ses services à temps ou fait l'objet de critiques, le ministre ne serait-il pas tenté d'envoyer le sous-ministre devant le comité pertinent et de dire que la responsabilité revient au sous-ministre, conformément à l'article 16.4 de la loi? Le sous-ministre a l'obligation de rendre compte, il est responsable et donnera une explication au comité. Ne croyez-vous pas, comme vous l'avez dit dans vos observations, qu'il s'agit ici de conséquences imprévues? Aujourd'hui, nous pouvons toujours tenir le ministre responsable des actes répréhensibles commis au sein du ministère. Toutefois, dès que vous attribuez une responsabilité précise à un sous-ministre dans une loi du Parlement, qui le force à rendre des comptes devant un comité compétent, vous introduisez un élément qui permet à un ministre se retrouvant dans une situation difficile d'essayer de reléguer le problème au sous-ministre. Le ministre dira au sous-ministre d'expliquer le problème au comité choisi de la Chambre ou du Sénat, parce que c'est le sous-ministre qui est responsable, et non le ministre.

Comme vous l'avez dit, il s'ensuivra une convention par laquelle le ministre essayera d'échapper à la responsabilité alors qu'à l'heure actuelle, il a l'obligation de rendre compte puisqu'il est convenu, comme vous le savez, que le ministre est présumé responsable de ce qui se passe en général au sein de son ministère.

M. Pal : Je suis tout à fait d'accord avec vous sur le premier point. Le texte français est plus précis en ce qui a trait aux pratiques et méthodes administratives. Il y a une certaine ambiguïté dans le texte anglais, j'en conviens.

Concernant le deuxième point, j'ignore quel type de scénario vous avez en tête, mais cela ne me paraît pas nécessairement problématique. Il est rare que les ministres démissionnent par suite de pratiques administratives répréhensibles au sein des ministères. Comme vous le savez très bien, les ministres ont tendance à démissionner presque exclusivement en cas de malversation évidente ou de culpabilité de leur part.

Si l'administrateur des comptes est en effet responsable des pratiques administratives, comme l'est le sous-ministre, et que ces pratiques, politiques et mesures administratives visant à maintenir des systèmes efficaces de contrôle interne au sein du ministère n'ont pas été correctement mises en place, je ne vois pas pourquoi ce sous-ministre ne comparaîtrait pas devant un comité et n'aurait pas à répondre des fonctions énumérées ici.

À mon avis, le ministre n'échappe pas à ses responsabilités pour autant. Je crois plutôt que la responsabilité et l'obligation de rendre compte visent plus précisément la gestion et les activités du ministère. Si un sous-ministre n'exerce pas correctement les attributions qu'il a relativement à la gestion du ministère, je ne vois pas en quoi il serait problématique qu'il en assume la principale responsabilité.

Le sénateur Joyal : Je n'ai aucune objection à ce qu'un sous-ministre comparaisse devant un comité, que ce soit le comité des finances nationales, des comptes publics ou tout autre comité qui se penche sur une question du Parlement. J'essaie simplement de comprendre comment le système va fonctionner lorsqu'on aura codifié un secteur précis pour lequel le sous-ministre sera maintenant responsable.

Je ne suis pas contre l'idée de faire comparaître le sous-ministre devant un comité. Bon nombre de comités entendent des sous-ministres qui représentent l'administration. Ce qui me préoccupe, c'est la dynamique politique que vous introduisez dans le système en disant clairement dans une loi du Parlement que l'administrateur des comptes, c'est-à- dire le sous-ministre, est maintenant responsable devant les comités pertinents. Si j'étais ministre, je serais tenté de dire au sous-ministre de comparaître devant le comité et de lui donner des explications puisque la loi précise que c'est sa responsabilité. En quoi le ministre est-il alors responsable devant le Parlement pour la saine et bonne gestion d'un ministère?

M. Pal : On pourrait poser des questions pour savoir pourquoi le ministre n'était pas au courant ou pourquoi il vient à peine d'être mis au courant de certaines irrégularités, par exemple, au sein du ministère. Ce serait des questions légitimes à poser au ministre. Ce dernier pourrait répondre qu'il ne savait rien parce qu'on ne l'a pas mis au courant. Autrement dit, le sous-ministre ne s'est pas acquitté de ses responsabilités en s'assurant que le ministre était dûment informé, mais je crois que cette situation peut se produire de toute façon. Vous pouvez ajouter des étapes dans le processus, mais cela ne veut pas nécessairement dire que le ministre s'en tire à bon compte.

Puis-je lancer cette idée, purement hypothétique? Selon le régime de responsabilité ministérielle que nous connaissons à l'heure actuelle, les ministres sont responsables de tout ce qui se passe au sein de leur ministère, ce qui est une fiction. Nous savons que la réalité est différente. Les ministres ne peuvent pas tout savoir. Une dynamique politique, si vous voulez, tend à prendre forme lorsque même de petites erreurs d'administration sont montées en épingle et sont décriées, parce que le ministre est soi-disant responsable. Quand l'avez-vous su? Quand l'avez-vous découvert? Pourquoi n'avez-vous pas été mieux informé? Qu'allez-vous faire à cet égard? Même les problèmes d'administration relativement mineurs sont amplifiés et sont utilisés de façon partisane parce qu'il est possible de blâmer les ministres ou de les tenir responsables tout le temps.

Peut-être — et c'est une hypothèse — qu'en attribuant à l'administrateur des comptes des responsabilités plus formelles, bien que limitées, vous permettez aux ministres d'éviter d'être attaqués démesurément pour des problèmes d'administration relativement mineurs. Vous recentrez peut-être la responsabilité du ministre là où elle réside probablement davantage, c'est-à-dire sur les politiques gouvernementales et les questions d'État. Vous pouvez, en fait, dépolitiser ainsi le processus à certains égards, simplement en clarifiant un peu plus quelles sont les responsabilités respectives de chacun.

Le sénateur Baker : L'honorable sénateur a parlé d'une disposition concernant les politiques et procédures gouvernementales.

Un peu plus loin, au même article, il est écrit « [...] en répondant aux questions des membres [du comité] [...] »

Comme vous le savez, nous n'avons pas de règlement à la Chambre des communes qui force un ministre à répondre à une question. Diriez-vous que ce serait une bonne chose d'exiger qu'un ministre réponde à une question au cours de la période des questions?

Ce que nous avons ici maintenant est une disposition dans une loi du Parlement qui exige que la personne réponde aux questions qui lui sont posées sur les politiques gouvernementales, comme le sénateur Joyal l'a souligné. Comme vous connaissez bien la procédure parlementaire, prévoyez-vous que des controverses pourraient être soulevées à savoir si quelqu'un a répondu ou non à une question, comme ce projet de loi l'obligera à le faire? Recommanderiez- vous que la même chose soit exigée des ministres?

M. Pal : Je crois comprendre qu'une convention constitutionnelle exige que les ministres répondent aux questions posées à la Chambre. Cela ne veut pas dire qu'ils doivent y répondre à la satisfaction des personnes qui les interrogent. Ce serait le cas également avec cette disposition. Vous pouvez répondre simplement en disant « Je ne sais pas ». Voilà une réponse. Ce n'est pas éclairant, mais c'est une réponse.

Le sénateur Baker : Seule la Loi sur la preuve au Canada peut forcer quelqu'un à répondre à une question. Un ministre n'est pas tenu de le faire.

Ce que le sénateur Joyal faisait valoir, c'est que lorsque vous êtes obligé de traiter d'une politique gouvernementale qui a trait à vos fonctions et que la loi précise ensuite que vous devez répondre aux questions qui vous sont posées, c'est une exigence de plus.

M. Pal : Je ne suis pas tout à fait d'accord. Les ministres ne sont pas tenus par la loi de répondre, mais la convention constitutionnelle sous-jacente à la responsabilité ministérielle fait en sorte que quelqu'un doit répondre des portefeuilles et des activités du gouvernement.

L'idée qu'un ministre pourrait refuser de répondre indéfiniment serait une entrave directe à un aspect constitutionnel...

Le sénateur Baker : Vous arrive-t-il de regarder la période des questions?

M. Pal : Oui.

Le président : Merci, sénateur Baker. La dernière question revient au sénateur Zimmer.

Le sénateur Zimmer : Merci de votre exposé. Vous avez dit précédemment que ce que le juge Gomery a relevé était une aberration plutôt que la norme. Ma question a trait au financement électoral.

On propose que les contributions individuelles passent de 5 000 $ à 1 000 $. C'est une diminution plutôt draconienne dans tous les cas. En 2003, de nouvelles règles ont été proposées par le premier ministre Chrétien. Depuis, aucune analyse n'a été effectuée sur l'efficacité de ces règles. Même M. Kingsley a dit qu'il était trop tôt parce que nous n'avons fait aucune analyse des contributions moyennes et nous ne savons pas s'il y a eu des abus. À ma connaissance, depuis 2003, il n'y a pas eu d'abus pour ce qui est du niveau de 1 000 $ imposé aux sociétés.

Ma question est la suivante : c'est une question de perception. Comment passe-t-on de 5 000 $ à 1 000 $? Quelle est la raison de cette décision? Si vous posiez la question à tout le monde dans cette salle, je soupçonne que chacun aurait un chiffre différent. On semble croire que plus on diminue, mieux c'est. Un ancien premier ministre m'a déjà dit que si les gens croient que vous êtes matinal, vous pouvez dormir jusqu'à midi. C'est probablement vrai.

Comme le sénateur Milne l'a dit précédemment, sommes-nous en train de jeter le bébé avec l'eau du bain? Comment voyez-vous la diminution de cette contribution alors qu'aucune analyse n'a vraiment été faite depuis 2003?

M. Pal : À cet égard, je déplore le fait que M. Chrétien ait fixé ces limites et je suis contre cet aspect du projet de loi. C'est simplement une question de croyance personnelle. Selon moi, un des éléments les plus fondamentaux d'une démocratie consiste à permettre aux gens de soutenir des partis politiques et des personnes qui représentent leurs intérêts politiques.

J'irais dans la direction opposée. La loi contient cette proposition qui fait partie de nos pratiques depuis un certain nombre d'années, sous le gouvernement précédent. C'est simplement une question de philosophie politique, si vous voulez. Je ne suis pas un expert en matière de financement électoral.

Je crois que les raisons sont passablement simples. Le parti politique au pouvoir est plus en mesure de recueillir des contributions individuelles que ses concurrents. Pour dire franchement, l'imposition de ces limites est bien vue politiquement. Elle est bien accueillie aussi d'un point de vue stratégique compte tenu des capacités du gouvernement actuel. D'autres partis politiques devront changer leurs techniques de financement pour être compétitifs.

Le président : Monsieur Pal, votre mémoire s'intitule « Responsabilité : Les principaux enjeux ». Les questions que vous ont posées les sénateurs ont été tantôt très générales, tantôt très précises. Vous avez répondu à toutes ces questions avec brio. Au nom de tous les sénateurs, je tiens à vous remercier énormément d'avoir comparu devant le comité.

La séance est levée.


Haut de page