Délibérations du Sous-comité sur la Santé des populations
Fascicule 3 - Témoignages du 2 mai 2007
OTTAWA, le mercredi 2 mai 2007
Le Sous-comité sur la santé des populations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 h 4 pour étudier les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé, et en faire rapport.
Le sénateur Wilbert J. Keon (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, tout le monde. Merci à tous d'être venus; bon nombre d'entre vous avez traversé tout le pays pour être ici avec nous.
L'étude sur la santé des populations vise essentiellement à examiner tous les facteurs qui ont une incidence sur la santé, y compris le système de soins de santé, mais il existe au moins 13 grands déterminants que nous avons maintenant cernés au Canada et dans le reste du monde. Nous espérons analyser ces déterminants en détail et formuler des recommandations concernant l'état de santé de certains segments de notre population, qui n'est pas aussi bon qu'il devrait l'être. Nous espérons que nos recommandations permettront d'apporter des améliorations dans ce sens.
Sans plus tarder, nous allons commencer. Nous accueillons d'abord la professeure Sylvia Abonyi, chaire de recherche pour la santé des Autochtones au Canada, Saskatchewan Population Health and Evaluation Research Unit, Université de la Saskatchewan.
Sylvia Abonyi, chaire de recherche pour la santé des Autochtones au Canada, Faculté de recherche, Saskatchewan Population Health and Evaluation Research Unit : Je vous remercie infiniment de votre invitation. Je suis très honorée d'avoir été invitée ici aujourd'hui pour faire part de mes expériences au comité.
Comme je vous ai donné mes notes, j'ai cru qu'il pourrait être utile de vous parler de moi pour que vous connaissiez le contexte dans lequel se situent mes commentaires.
J'ai la chance de travailler depuis sept ans à la Saskatchewan Population Health Evaluation Research Unit — la SPHERU — et de travailler auprès des collectivités du Nord de la Saskatchewan pour examiner leurs points de vue sur les déterminants de la santé. Je vous ferai part aujourd'hui de cette expérience.
Il est important de mentionner d'entrée de jeu que je ne suis pas Autochtone. Je suis une Canadienne de première génération dont les parents étaient des immigrants réfugiés. C'est à titre de chercheure ayant travaillé auprès de quelques-unes de ces collectivités que je m'adresse à vous aujourd'hui. Je possède un doctorat en anthropologie de l'Université McMaster. Les témoins réunis aujourd'hui ont un bagage passablement diversifié, alors il peut être utile de savoir quelle est notre formation.
Comme je l'ai dit, au cours des sept dernières années, j'ai occupé un poste à la SPHERU et je travaille aussi au département de santé communautaire et d'épidémiologie de l'Université de la Saskatchewan. Mon exposé d'aujourd'hui est fondé sur les études que j'ai réalisées et les relations communautaires que j'ai nouées dans le cadre de mon travail à la SPHERU. Notre service se compose d'une équipe de recherche interdisciplinaire de 11 membres, dont la mission consiste à promouvoir l'équité en matière de santé en examinant et en comprenant les disparités sur le plan de la santé dans le cadre d'études stratégiques. Nous avons cerné trois thèmes principaux en Saskatchewan sur lesquels nous nous concentrons : la santé des habitants du Nord et des Autochtones, la santé des enfants et la santé en milieu rural. Diverses personnes dirigent les travaux dans ces secteurs.
Je sais que le comité sénatorial s'intéresse, entre autres, aux interventions. Nous reconnaissons qu'il y a de multiples niveaux d'interventions qui s'articulent autour des déterminants de la santé des populations, allant des interventions auprès des personnes à risque aux interventions à l'échelle de la collectivité. Par ailleurs, nous considérons l'approche de la recherche que nous effectuons comme une sorte d'intervention, puisqu'elle est axée sur la capacité, le contrôle partagé et la pertinence culturelle des travaux que notre service effectue.
Lorsque j'ai demandé quelles questions le comité pourrait nous poser aujourd'hui, l'une d'elles portait sur les déterminants de la santé chez les populations autochtones du Canada. Vous seriez peut-être intéressés de savoir comment ces déterminants diffèrent des 13 principaux facteurs qui touchent la santé des Canadiens en général. Comment ces déterminants de la santé sont-ils liés? Quelle est la capacité du gouvernement d'influer sur les déterminants de la santé, et quels sont les secteurs prioritaires?
Quand nous abordons ce sujet en Saskatchewan, nous parlons tout d'abord des problèmes de santé auxquels les gens s'identifient. Les problèmes de santé mentale et de toxicomanie, les taux de suicide élevés, les maladies chroniques comme le diabète et les maladies cardiaques, les taux élevés de blessures et de mortalité attribuables à des blessures évitables ainsi que les taux élevés de violence sont quelques-uns des facteurs que les gens associent à un piètre état de santé.
Les gens disent aussi qu'ils s'occupent peu de la prestation des services de santé au niveau local et qu'ils n'ont pas le pouvoir d'assumer la responsabilité de leur propre santé, aux niveaux individuel, familial et communautaire.
Par ailleurs, il y a aussi des points forts importants dans le Nord de la Saskatchewan qui constituent un terrain fertile pour les partenariats novateurs, dont je vous parlerai plus tard.
Dans l'ensemble, il existe une tradition bien ancrée de partenariat dans la province, un solide sentiment d'unité dans un groupe pourtant très diversifié, un profond sentiment d'appartenance à la communauté dans le Nord et un vif désir de régler quelques-uns des problèmes de santé dont j'ai brièvement fait allusion.
Concernant notre rôle de chercheurs et la façon dont nous avons commencé nos travaux dans le Nord de la Saskatchewan, nous avons d'abord fait une évaluation des transferts relatifs à la santé pour un des organismes de la province — une évaluation doit être faite tous les cinq ans simplement pour avoir les services pour lesquels ils ont un contrôle et un financement. Les choses ont donc commencé ainsi. Durant la même période, nous avons travaillé aussi avec l'Inuit Tapiriit Kanatami, qui nous avait demandé d'examiner les indicateurs de la santé dans un cadre qui serait pertinent.
Nos travaux auprès de ces groupes ont fait ressortir des préoccupations communes au sujet de l'importance d'examiner et de comprendre les déterminants de la santé de la population à partir de cadres tenant compte des notions culturelles de santé et de bien-être dans les collectivités locales. Au cours de l'exécution des deux contrats, les collectivités ont soulevé des questions plus générales auxquelles nous ne pouvions pas répondre au moyen des indicateurs fondés sur des regroupements d'expériences individuelles. Elles voulaient savoir comment tous leurs programmes et services — et non seulement les programmes de santé, les services sociaux et la justice, par exemple — interagissaient pour créer une communauté plus en santé. Comment ces choses correspondaient à leur perception d'une collectivité en santé? De même, elles remettaient en question la façon dont nous mesurions le progrès dans ces domaines avec les indicateurs que nous utilisions. Ces indicateurs devaient aussi être définis au niveau de la collectivité et tenir compte des définitions locales de la santé et du bien-être.
Ces travaux ont mené à un projet de recherche que nous venons tout juste de terminer auprès des collectivités du Nord de la Saskatchewan. Nous avons travaillé avec elles pour définir les principaux domaines de la santé, qui ressemblaient beaucoup aux déterminants de la santé, et pour cerner certains indicateurs. Il y a un diagramme dans les documents que j'ai distribués, et les collectivités du Nord ont convenu ensemble que ce diagramme correspond à la façon dont elles voient la santé des collectivités.
Nous nous sommes penchés sur le fait qu'il existe ce cadre commun, mais en reconnaissant la diversité, nous sommes arrivés à une série de mesures que les collectivités pouvaient appliquer dans chacun de ces secteurs déterminants pour la santé; les collectivités nous ont dit que quelques-unes de ces mesures étaient pertinentes pour elles, mais que d'autres ne l'étaient pas. Pour mesurer le progrès en matière de culture et d'identité, une collectivité peut utiliser trois ou quatre mesures, tandis qu'une autre pourrait utiliser deux de ces mesures et deux autres différentes. La façon dont elles évaluent leur situation dans un domaine particulier varie.
En proposant ces mesures, nous voulions aussi examiner les données qui étaient déjà recueillies dans les enquêtes à l'échelle nationale et ce qui pouvait être comparé. Nous avons identifié certaines données ainsi que les domaines où des données existaient déjà.
Nous voulions être en mesure de comparer les collectivités les unes aux autres et non seulement face à elles-mêmes, l'idée étant d'avoir un ensemble commun d'indicateurs, avec certaines variables qui seraient propres à chacune des collectivités, pour que celles-ci puissent savoir un peu comment elles se situent.
Dans certains domaines, il existe de bons indicateurs que les gens mesurent déjà dans le cadre d'enquêtes. Dans d'autres domaines, comme la culture et l'identité, des mesures adéquates n'ont pas encore été élaborées, et il est nécessaire d'en concevoir.
Je tenais à dire également que ces mesures et ces indicateurs ne sont que des données. Quant à leur signification et leur interprétation, le débat doit se tenir à de multiples niveaux, y compris auprès de la collectivité, pour que vous sachiez au contact de ses membres ce que cela signifie quand on dit « X p. 100 de la population parlent notre langue », « Y p. 100 de la population ont accès à une certaine activité physique ».
Le cadre que j'ai proposé présente certains domaines déterminants pour la santé et certaines mesures pouvant être utilisées. Or, on ne sait pas encore exactement comment ces déterminants de la santé peuvent interagir, et des travaux sont encore nécessaires à ce chapitre. Il reste à savoir pourquoi nous voulons mesurer ceci par rapport à cela. Qu'est-ce que cela nous dit sur une situation donnée? Comment les choses que nous mesurons relativement à l'identité et la culture interagissent avec ce que nous voyons dans les services et les infrastructures?
Il est difficile de comprendre cette dynamique au niveau local en partie parce que les indices sont élaborés à une échelle plus vaste, où toute une série de mesures sont groupées et pondérées d'une façon particulière pour en arriver à un certain sens du bien-être collectif; ce travail est très important, mais il faut savoir qu'en regroupant les mesures à ces niveaux, certaines nuances peuvent être perdues quand on songe à certains indicateurs individuels. Il importe de souligner que les indicateurs et les indices que l'on relève à l'échelle nationale sont importants, mais la dimension communautaire doit aussi être prise en considération. Cet avis est partagé par l'Institut canadien d'information sur la santé.
On s'est demandé également quelle est la capacité de l'État d'encourager une approche globale de la santé des populations autochtones. Je ne m'occupe pas directement de cette question, mais j'aimerais proposer deux pistes de solution. Il y a d'abord des partenariats plurigouvernementaux en matière de santé de la population qui sont fructueux dans le Nord de la Saskatchewan et qui pourraient servir de modèles. L'autre piste consiste à examiner ce qui se passe dans le milieu de la recherche ainsi que le rôle du gouvernement fédéral.
Parlons d'abord de la stratégie de santé dans le Nord, que la Commission Romanow sur l'avenir des soins de santé au Canada a reconnue comme étant un partenariat fructueux en matière de santé. Le groupe de travail de la stratégie de santé dans le Nord comprend des représentants de l'administration fédérale, de six Premières nations, de six administrations provinciales et d'un organisme de santé plurigouvernemental, qui est l'autre partenariat en santé pouvant servir de modèle.
Le partenariat de la stratégie de santé dans le Nord a permis de concevoir le projet Shared Paths for Northern Health, qui a été financé au moyen du Fonds pour l'adaptation des soins de santé primaires, l'enveloppe Autochtone, ce qui a permis de mettre sur pied des comités consultatifs techniques qui étaient organisés autour de quelques-uns des grands enjeux en matière de santé identifiés précédemment. Ces comités se composaient de fournisseurs de services et de résidents bénéficiaires de ces services. Ils ont travaillé ensemble pour élaborer des plans destinés aux collectivités du Nord, aux collectivités autochtones, celles des Premières nations, aux collectivités métisses et provinciales.
Les comités consultatifs techniques chargés des enjeux ont été soutenus par d'autres comités qui se concentraient sur les ressources humaines, la technologie de l'information et la gestion de l'information sur la santé, ainsi que par d'autres comités et éléments du projet chargés des questions pangouvernementales. Tandis qu'ils se posaient des questions sur la façon dont ces choses devaient fonctionner et la façon dont leur plan devait être mis en œuvre, ils pouvaient s'adresser à ces comités lorsqu'ils rencontraient certains obstacles. L'autre partenariat en matière de santé était l'Athabasca Health Authority.
Concernant les domaines prioritaires, il faut notamment examiner comment ces partenariats en santé fonctionnent dans le Nord de la Saskatchewan et peuvent servir de modèles novateurs. Il faut aussi continuer de financer des initiatives comme le Fonds pour l'adaptation des soins de santé primaires, qui a aidé la stratégie de santé dans le Nord dans ses activités de planification. Il y a aussi le Fonds pour l'adaptation des services de santé à l'intention des Autochtones, qui existe depuis trois ans, mais les collectivités n'ont encore rien reçu. Les choses commencent à peine à bouger. Trois ans plus tard, les propositions formulées par les collectivités sont à l'étape de l'évaluation maintenant, alors la mise en œuvre se fait très lentement.
Il faut également poursuivre les études sur les cadres et les indicateurs de la santé des collectivités autochtones, en particulier sur les interconnexions entre les déterminants de la santé. L'approche à adopter ici est un partenariat axé sur la collectivité. Je vais m'arrêter ici.
Le président : Merci. J'aimerais vous poser quelques questions, mais je le ferai après que les autres témoins auront pris la parole.
Dr Kue Young, professeur, Département des services de santé publique, Université de Toronto : C'est un honneur pour moi également d'être invité ici. Je n'ai jamais témoigné, dans aucun cadre, alors c'est une première pour moi.
J'ai déjà présenté le chapitre d'un livre sur les déterminants de la santé. Je suis ici également pour déposer le reste du livre, alors vous pourrez le commander pour tous les autres.
Je ferai seulement quelques observations générales sur les déterminants de la santé de la population autochtone du Canada. C'est encourageant de voir que le sous-comité sénatorial s'intéresse à cette question. Je ne crois pas qu'il faille insister sur le fait qu'il y a des écarts considérables entre l'état de santé des peuples autochtones et celui des autres Canadiens. Beaucoup de recherches ont documenté ces écarts et ont démontré qu'ils ont pour origine de vastes déterminants socioéconomiques et comportementaux.
Je vous adresse la parole à titre de chercheur en milieu universitaire qui a passé près de 30 ans de sa vie professionnelle dans le domaine de la santé des Autochtones. J'ai commencé ma carrière comme omnipraticien à Sioux Lookout, dans le Nord-Ouest de l'Ontario, alors que je n'avais pas de cheveux gris. Je travaillais dans un petit hôpital rural desservant des patients des Premières nations et je me rendais par avion dans des collectivités éloignées pour travailler côte à côte avec des infirmières et des représentants en santé communautaire afin de donner des soins de santé primaires à la population. Pour moi qui suis originaire de l'Extrême-Orient, où la population est très dense, ce fut une expérience exaltante de m'initier à une pratique différente de la médecine et, surtout, de faire connaissance avec les peuples autochtones et leur culture. Depuis cette époque, j'ai travaillé dans les secteurs de l'administration de la santé publique, de l'enseignement et de la recherche, dans le Nord du Canada et dans des pays en développement. J'ai effectué beaucoup de recherches sur la santé des Autochtones, et mes travaux actuels sont axés sur la prévention du diabète.
Ce que je vais dire maintenant sera plus contrariant. Il y a 30 ans, je pensais connaître la solution au problème des écarts entre l'état de santé des Autochtones et celui des autres Canadiens. Aujourd'hui, je ne suis plus trop certain qu'il existe des solutions toutes faites. Nous connaissons tous les problèmes et nous sommes assez certains des causes, mais malgré des quantités énormes de ressources, tant humaines que financières, les écarts ne se sont pas rétrécis. Dans certaines collectivités du Nord-Ouest de l'Ontario que j'ai visitées à plusieurs reprises au fil des années, je suis triste de conclure que non seulement la santé et le bien-être des habitants ne se sont pas améliorés, mais que, dans de nombreux cas, la situation s'est aggravée. Il y a quelques semaines, le Globe and Mail a publié une page complète sur une collectivité du Nord-Ouest de l'Ontario, que je connais très bien. Cet article, publié en 2007, aurait pu être publié en 1977 sans qu'un seul mot ne soit changé, ni même le nom de la collectivité.
Je serais heureux de m'entretenir avec vous sur quelques-uns des enjeux et quelques idées qui pourraient contribuer à rétrécir cet écart.
Le président : Merci beaucoup, docteur Young. Nous écouterons maintenant la porte-parole de l'Organisation nationale de la santé autochtone.
Carole L. Lafontaine, directrice générale intérimaire, Organisation nationale de la santé autochtone (ONSA) : Bonjour. C'est un honneur pour moi d'être ici encore une fois. L'ONSA est ravie de pouvoir comparaître devant le comité aujourd'hui.
L'ONSA est un organisme conçu et contrôlé par des Autochtones, qui tente d'influencer et de faire avancer la santé et le bien-être des peuples autochtones par des activités et des stratégies fondées sur la connaissance. Chez les Premières nations, les Métis et les Inuits, les concepts de santé comprennent les dimensions mentale, physique, spirituelle, affective et sociale de la santé. De plus, la santé et le bien-être des personnes et des collectivités sont interdépendants et tout aussi importants.
Au Canada, plus d'un million de personnes s'identifient comme Autochtones, ce qui représente 3,3 p. 100 de la population totale. De ce nombre, 62 p. 100 sont des membres des Premières nations, 30 p. 100 sont des Métis et 5 p. 100 sont des Inuits. Chaque groupe est distinct l'un de l'autre et a une histoire qui lui est propre. Il existe également une grande diversité au sein de chaque groupe. En comparaison avec la population canadienne en général, la population autochtone est jeune — 50 p. 100 ont moins de 25 ans — elle augmente rapidement, ayant le plus haut taux de natalité au Canada, et elle est mobile, ayant de larges segments de plus en plus concentrés dans des zones urbaines.
Pour comprendre la nature interactive des déterminants sociaux de la santé, il faut une approche holistique devant les dilemmes complexes auxquels sont confrontés les Premières nations, les Inuits et les Métis. Mis ensemble, les quelques indicateurs sociaux correspondant aux Premières nations, aux Inuits et aux Métis influent sur la qualité de vie et l'état de santé des peuples autochtones.
De plus, les facteurs tels que la géographie et l'accès aux services de santé exercent une influence sur la santé des Premières nations, des Métis et des Inuits. Par exemple, le profil de santé d'une collectivité inuite du Nord du Québec est bien différent de celui d'une collectivité des Premières nations située à 20 kilomètres d'une zone urbaine; ce profil est tributaire de l'accès aux services de soins de santé, tant mentale que physique, de l'accès à des aliments sains abordables, de l'accès aux études postsecondaires et des possibilités d'emploi. Les considérations d'ordre géographique rendent les approches panautochtones inappropriées.
Tandis que les déterminants sociaux et généraux de la santé offrent un portrait plus global des facteurs menant à certains écarts relativement à l'état de santé des peuples autochtones, la situation particulière des Premières nations, des Inuits et des Métis nécessite un éclairage qui leur est propre et des solutions qui tiennent compte de leur réalité historique et contemporaine.
Voici quelques exemples montrant comment les déterminants sociaux de la santé interagissent et affectent certaines populations en particulier. Pour les Inuits, le coût élevé des aliments conjugué au faible revenu des familles contribue à créer une insécurité alimentaire dans le Nord du Canada. Je vais vous donner un exemple extrême : en 2006, un litre de jus d'orange McCain coûtait 21,69 $ à Pond Inlet, alors qu'il se vendait environ 3 $ partout ailleurs au Canada. Un projet pilote sur la nutrition et la sécurité alimentaire mené au Nunavut a permis de constater que cinq foyers inuits sur six vivaient dans l'insécurité alimentaire.
Le faible taux de scolarité que l'on observe chez les jeunes Inuits a un effet sur leurs choix de vie. Un haut niveau d'alphabétisation donne aux gens la possibilité d'acquérir les connaissances et la compréhension dont ils ont besoin pour étudier, occuper un emploi et s'adapter, et il est le meilleur garant d'une vie saine.
La surpopulation des logements contribue aux problèmes de santé mentale et physique, comme les maladies respiratoires, cutanées et intestinales. Les investissements dans le logement peuvent contribuer à la santé mentale des familles inuites, mais un investissement complémentaire dans les infrastructures éducatives et communautaires peuvent contribuer à améliorer la santé globale de la collectivité.
Concernant les Métis, les données limitées dont on dispose sur les Métis en général font en sorte qu'il est difficile de mesurer précisément les déterminants sociaux de la santé des Métis. Les meilleures sources d'information sont les recensements et l'Enquête auprès des peuples autochtones, dans laquelle on trouve un supplément sur les Métis.
L'Enquête auprès des peuples autochtones de 2001 révèle que les Métis sont désavantagés dès l'enfance. Le fait d'avoir un faible revenu et le fait de vivre dans un foyer monoparental compromettent l'accès à des aliments nutritifs et à un logement de qualité, deux déterminants fondamentaux de la santé qui ont un impact précis sur le développement de l'enfant.
Ajoutons que l'emploi et le revenu façonnent la qualité de vie globale tant en milieu rural qu'en milieu urbain.
Pour les Premières nations, les faibles taux de diplomation et les revenus inadéquats engendrent une forte dépendance à l'aide sociale. Le fait de vivre dans un logement surpeuplé et non conforme aux normes peut exacerber les problèmes de santé mentale chez les Premières nations en favorisant la tension sociale et la dépression. Lorsqu'ils font appel aux services de santé, les membres des Premières nations se butent souvent à des obstacles linguistiques et culturels dans leur contact avec les fournisseurs de services. La formation de fournisseurs de soins de santé culturellement compétents peut augmenter la qualité des soins et des services de santé offerts aux Premières nations.
Même si on se heurte à de nombreuses difficultés lorsqu'on cherche des moyens de combler l'écart qui existe entre les Premières nations, les Métis et les Inuits et le reste de la population canadienne, des données précises peuvent permettre de trouver des solutions qui correspondent aux réalités de chacun de ces peuples. Les politiques publiques seront mieux adaptées si elles s'appuient sur des données précises qui révèlent l'ampleur des besoins des Premières nations, des Inuits et des Métis. La fragmentation des compétences, le manque de communication et des chevauchements dans la recherche nuisent à l'application de l'approche globale qui s'impose.
Compte tenu des liens qui existent entre les déterminants sociaux, afin d'améliorer la santé des Premières nations, des Inuits et des Métis, il faut établir des objectifs à court, à moyen et à long terme qui concernent les diverses priorités de chacun de ces peuples.
Je vous remercie d'avoir invité l'ONSA à formuler ses observations à propos du sujet étudié par le sous-comité sur la santé des populations. Nous vous sommes reconnaissants de mener ces travaux. Si vous croyez que nous pouvons vous fournir de l'information supplémentaire, veuillez communiquer avec nous. Parmi la documentation que nous vous avons remise, vous trouverez des documents d'information ainsi que des propositions quant à d'autres sujets de recherche.
Le président : Merci. Nous allons maintenant entendre le Dr Michael J. Chandler, professeur à l'Université de la Colombie-Britannique et chercheur émérite des Instituts de recherche en santé du Canada et de la Fondation Michael- Smith pour la recherche en santé. Je connaissais très bien Michael Smith; il était un homme extraordinaire.
Dr Michael J. Chandler, professeur au département de psychologie de l'Université de la Colombie-Britannique et chercheur émérite des Instituts de recherche en santé du Canada et de la Fondation Michael-Smith pour la recherche en santé : Je vous remercie de me faire l'honneur de m'inviter à m'adresser au comité. J'ai lu avec intérêt les comptes rendus des séances lors desquelles certains de mes collègues, qui sont tous des dirigeants, ont comparu. Je ne suis pas un dirigeant, mais je suis tout de même ce qu'on appelle étrangement un chercheur motivé par la curiosité.
Cela étant dit, je vais vous parler d'un projet qui a été entrepris il y a au moins une douzaine d'années en Colombie- Britannique. Il s'agit d'une étude sur les déterminants sociaux liés au suicide chez les jeunes Autochtones. Mon exposé comprendra quatre points.
Premièrement, même si l'étude dont je vais vous parler est menée en Colombie-Britannique et qu'elle porte sur le suicide, je vais tenter de démontrer que les constatations peuvent permettre, contrairement à ce qu'on pense, de faire des déductions non seulement par rapport à la situation qui existe dans d'autres provinces, mais aussi en ce qui concerne d'autres problèmes de santé observés chez les Autochtones. Deuxièmement, je vais parler de ce que j'appelle la fiction actuarielle sur laquelle on s'appuie pour faire des affirmations à propos du suicide au sein des communautés autochtones. Troisièmement, je vais vous expliquer une notion que j'appelle la continuité culturelle afin de vous persuader qu'il est essentiel que les Autochtones développent un sentiment d'appartenance à leur culture traditionnelle et qu'ils aient le contrôle de leur avenir, car c'est seulement cela qui pourra nous permettre d'espérer combler les écarts qui existent sur le plan de la santé. Quatrièmement, je vous citerai quelques répercussions sur les mesures et les politiques que pourraient avoir ces travaux.
Je serai aussi bref que possible, et je tiens à vous rappeler que les données dont je vais vous faire part concernent le suicide en Colombie-Britannique.
Il est intéressant de comparer le suicide chez les jeunes au canari du houilleur. Je suis le fils d'un houilleur gallois, et comme vous le savez, les houilleurs emmenaient avec eux des canaris dans les mines de charbon. Lorsque les canaris mourraient, tout le monde savait qu'il était alors temps d'agir parce que cela signifiait que les dangers étaient nombreux. Le suicide est comparable à cela. Lorsque les communautés ne réussissent pas à créer un milieu au sein duquel les jeunes ont le sentiment que la vie vaut la peine d'être vécue, nous savons alors que de graves problèmes touchent leur santé et leur bien-être.
Pour ce qui est du fait que je vais parler des données recueillies en Colombie-Britannique, je tiens à vous dire que je sais, d'après ce que j'ai lu, que le comité est grandement préoccupé par le problème que posent les unités d'analyse. Vous pensez qu'il n'est probablement pas judicieux de parler du suicide ou de tout autre problème de santé en s'appuyant sur des données qui portent sur l'ensemble du Canada. Vous avez demandé d'obtenir des comparaisons entre les Autochtones qui vivent en milieu urbain et ceux qui habitent dans les réserves ainsi qu'entre les Métis, les Inuits et les Premières nations. Tout comme vous, les scientifiques se demandent quel serait le niveau approprié d'analyse. D'un côté, il est possible qu'on se retrouve avec une multitude d'anecdotes si nous nous penchons sur des cas individuels; et d'un autre côté, si nous parlons en fonction de l'ensemble des Autochtones du Canada, nous avons le sentiment que ce n'est pas exactement ce qu'il faut faire. Selon nous, le meilleur niveau d'analyse est probablement celui qui tient le mieux compte de la culture autochtone. Par conséquent, nous avons décidé de procéder à une analyse des données pour chaque bande.
Les bandes en question vivent en Colombie-Britannique, province où on en trouve près de 200. Il s'agit d'une population extrêmement diversifiée, où on recense 14 langues différentes ainsi que des conditions de vie et des passés très variés. Dans un instant, je vais vous parler de notre tentative d'examiner le problème du suicide chez les jeunes au sein de ces 200 bandes.
Auparavant, je vais aborder la question des affirmations génériques au sujet du suicide au Canada, que je qualifie de fictions actuarielles. Lorsqu'on divise le nombre de suicides chez les jeunes au Canada par le nombre de jeunes Autochtones et que nous obtenons un taux de suicide qui est de 5 à 20 fois supérieur à la moyenne nationale, il s'agit tout de même d'une statistique intéressante et exacte, mais en même temps, elle est largement dépourvue de signification, et en plus, le fait d'associer les Autochtones au suicide, ce que la presse fait souvent, constitue une forme subtile de racisme. C'est ce que je vais tenter de faire valoir. Je crois que deux graphiques vous ont été distribués. L'un d'eux est intitulé « Figure 1 ». Si vous ne l'avez pas sous les yeux, je vais vous le décrire.
Sur la ligne verticale, on trouve les taux de suicide et sur la ligne horizontale, le nom des bandes. S'il s'avérait que la bande dont vous faites partie n'a eu aucune influence sur la possibilité que les jeunes de cette communauté se suicident, la ligne de ce graphique serait plate; ce serait le cas pour toutes les collectivités. J'attire votre attention sur le fait que ce n'est pas du tout le cas. La ligne du graphique est en dents de scie, et on peut observer que, dans bien des cas, le taux de suicide est nul. Dans d'autres cas, on peut voir que le taux est des centaines de fois plus élevé que la moyenne nationale.
Ce qu'il faut constater à partir de ce graphique, c'est que 90 p. 100 du nombre extrêmement élevé de suicides en Colombie-Britannique ont eu lieu au sein de 10 p. 100 des bandes seulement. C'est donc dire que la moitié des bandes de la province n'ont connu aucun suicide depuis 13 ans.
On peut dire à propos de ces données qu'elles sont intéressantes et alarmantes. À la lumière de ces statistiques, il devient impossible d'affirmer que les Autochtones sont suicidaires. Il est évident que nous ne pouvons tout simplement pas prétendre que le suicide constitue un problème chez les Autochtones; nous devons en parler comme étant un problème qui touche certaines communautés uniquement.
Cela étant dit et bien compris, j'ose espérer, permettez-moi de passer au troisième point de mon exposé. J'en suis rendu à vous expliquer la notion de continuité culturelle. Après avoir examiné le graphique dont je viens de vous parler, les esprits curieux se poseront les questions suivantes : qu'est-ce qui explique le taux de suicide nul chez certaines bandes? Qu'est-ce qui les distingue des bandes qui enregistrent un taux de suicide qui peut être jusqu'à 800 fois supérieur à la moyenne nationale? Si nous pouvions le déterminer, ce serait un bon point de départ. La majorité des recherches que mes collègues et moi-même menons vise à répondre à ces questions.
Je tiens à souligner que, malheureusement, la façon habituelle de procéder pour essayer de trouver des réponses à ces questions consiste à parcourir des milliers de données recueillies par Statistique Canada, en espérant tomber sur certaines qui permettraient d'établir une corrélation avec la différence qui existe entre les bandes qui ont un taux de suicide élevé et les autres. Si on choisit de procéder ainsi, il est probable qu'on n'en retire rien, mais si on ne le fait pas, on ne pourra rien faire des résultats qu'on a obtenus. Il faut avoir une raison motivée par une théorie pour chercher ce qui pourrait expliquer l'écart extrême qui existe entre ces bandes.
Je n'aurai pas assez de temps pour vous expliquer comment mon groupe de recherche en est venu à se pencher là- dessus. Je peux vous dire brièvement que nous avons d'abord mené des recherches pendant une dizaine d'années — non pas sur les communautés autochtones, mais bien sur les jeunes en général — en vue de déterminer ce qui distinguait les enfants suicidaires de ceux qui ne l'étaient pas. Cette recherche nous a amenés à examiner ce que nous appelons la continuité personnelle. Selon cette notion, un jeune qui vit dans un monde en rapide évolution doit comprendre qui il est pour pouvoir continuer d'être la même personne et il faut qu'il soit prêt à être la personne qu'il est en voie de devenir. Sinon, il n'aura aucune confiance ni aucun espoir envers l'avenir.
La recherche dont je veux vous parler vise à transférer cette notion de continuité sur le plan de la culture et à déterminer ce qu'elle signifie pour une culture qui elle aussi peut uniquement exister parce qu'elle a un passé et un futur. La question à poser est celle-ci : qu'est-ce qui fait que certaines communautés, contrairement à d'autres, ont réussi à développer un sentiment de continuité culturelle qui leur permet de faire un lien entre leur passé et leur avenir?
Le problème, c'est que nous devions trouver des données portant sur ces éléments. Nous avons procédé en deux étapes. Dans un premier temps, nos recherches ont porté sur une période de cinq ans, c'est-à-dire de 1987 à 1992. Nous avons tenté de déceler des facteurs qui témoignaient selon nous des efforts déployés par des communautés pour développer un sentiment d'appartenance à leur culture traditionnelle et d'avoir le contrôle sur leur avenir. Nous en avons dénombré une demi-douzaine. On compte notamment — et je sais qu'il s'agit d'un sujet qui intéresse particulièrement le comité — l'autonomie gouvernementale, le contrôle à l'égard des services de santé, de l'éducation et des services de police et l'existence d'éléments visant à préserver la culture, par exemple des installations comme des centres communautaires.
Je veux maintenant attirer votre attention sur le deuxième graphique, qui vise à démontrer que, si on calcule combien de ces six facteurs existent chez chacune des 197 communautés autochtones de la Colombie-Britannique, le résultat pourrait varier entre 0 et 6. Le graphique montre bien que les communautés où tous ces facteurs sont présents n'affichent aucun suicide. À l'inverse, les communautés où tous ces facteurs sont absents enregistrent un taux de suicide 150 fois supérieur à la moyenne nationale.
Si je puis dire, c'est une constatation tout à fait incroyable. Si une communauté a tous ces facteurs, elle ne connaîtra pas de suicide, tandis qu'une autre qui n'en a aucun présentera un taux de suicide élevé.
Dans un deuxième temps, nous avons recueilli les mêmes données pour la période allant de 1997 à 2000, mais nous avons recensé trois nouveaux facteurs. Le premier est le contrôle à l'égard des services de protection de l'enfance. Le deuxième est le fait que la moitié des membres du conseil tribal sont des femmes. Je peux vous expliquer si vous le voulez pourquoi ce facteur est important. Chez les Autochtones et dans d'autres sociétés, les femmes sont traditionnellement des protectrices de la culture et de la famille. Enfin, nous avons récemment recueilli des données au sujet de la mesure dans laquelle les collectivités s'efforcent de préserver leurs langues autochtones. Il s'avère que ces trois facteurs — le contrôle à l'égard des services de protection de l'enfance, le nombre de femmes au sein du gouvernement autochtone et les efforts afin de préserver la langue — sont aussi étroitement liés au taux de suicide, et encore une fois, on a constaté que les bandes où tous ces facteurs sont présents ne connaissent aucun suicide, alors que celles où ils sont tous absents affichent un taux de suicide alarmant.
Si le temps le permet, je vais parler brièvement de certaines répercussions de ces constatations selon moi sur les politiques et les mesures. Il est évident qu'il existe une très grande différence entre les divers taux de suicide de chaque communauté — et je vous rappelle à ce sujet que la moitié des collectivités autochtones de la Colombie-Britannique ne connaissent aucun suicide. Il est donc clair qu'il est tout simplement insensé d'essayer d'appliquer une solution unique à l'ensemble des bandes. Il est inutile de vouloir régler des problèmes qui n'existent pas dans certaines communautés ou d'appliquer la même solution à des problèmes qui n'évoluent pas de la même façon dans toutes les collectivités. Nos efforts d'intervention doivent par conséquent être adaptés en fonction des communautés.
Deuxièmement, il faut penser au savoir autochtone. J'ai déjà réfléchi au contenu d'un livre qui expliquerait comment devenir un bon colonisateur. Le premier chapitre pourrait s'intituler par exemple « La violence épistémique ». Il s'agit de déclarer nul le savoir autochtone détenu par les membres de la communauté que l'on veut coloniser. Ainsi, on aurait le droit de considérer ces gens comme des biens personnels et de dicter des ordres aux enfants, pour leur bien, en principe. Dans de nombreux cas, c'est exactement ce qui s'est produit.
Ce qui ressort clairement des données présentées dans le premier graphique — qui montre que chez la moitié des communautés, il n'y a pas de suicide ou le taux de suicide est plus bas que dans le reste de la population en général — c'est que ces communautés en question savent comment gérer une collectivité au sein de laquelle les jeunes estiment que la vie vaut la peine d'être vécue. Nous avons des choses à apprendre d'elles et elles peuvent également apprendre l'une de l'autre.
Cela m'amène d'ailleurs à mon troisième point, qui porte sur la notion galvaudée qu'est le transfert des connaissances et l'échange des pratiques optimales. Dans mon domaine, où on doit demander des subventions, il faut passer beaucoup de temps à expliquer comment les connaissances seront transférées. Habituellement, les connaissances proviennent des universitaires — des gens comme moi — qui les transmettent à des personnes au sein des gouvernements et ailleurs, qui elles essaient de les passer à leur tour aux gens qui devront les utiliser. Il s'agit d'une méthode de transfert descendante.
Il y a deux ou trois problèmes — et c'est ce qu'a affirmé le Dr Young quand il a fait remarquer que cette communauté est identique à ce qu'elle était il y a 30 ans. Cette méthode ne fonctionne pas très bien pour diverses raisons. Premièrement, il y a un manque d'information à propos des conditions sur le terrain, et deuxièmement, il existe un profond ressentiment. Les gens n'aiment pas que des connaissances émanant d'Ottawa ou de New York leur soient en quelque sorte balancées; ils n'aiment pas ça et ils les critiquent souvent.
La méthode de transfert descendante fonctionne rarement bien. S'il est vrai que la moitié des communautés, du moins en Colombie-Britannique, détiennent un savoir autochtone suffisant pour faire en sorte qu'il n'y ait aucun suicide chez elles — ce qui est mieux que dans la population en général — c'est donc dire qu'elles détiennent des connaissances. Qu'en est-il du transfert latéral des connaissances d'une communauté à une autre?
Cela aussi pose des problèmes. Il y a aussi du ressentiment et de la compétition, comme c'est le cas dans l'ensemble des milieux autochtones dans le monde. Cependant, comme les connaissances existent, je serais prêt à parier qu'il y aurait moins de résistance face au partage du savoir autochtone qu'à la transmission de connaissances qui proviennent directement d'Ottawa.
Le président : Je vous remercie beaucoup, monsieur Chandler. C'était un témoignage tout à fait fascinant.
Avant de donner la parole aux sénateurs, j'ai deux commentaires à faire. Ce qu'on a entendu dire jusqu'à maintenant, c'est que, dans la position où nous sommes, nous ne pourrons pas avoir une grande influence sur la santé des populations. C'est au niveau des communautés que les choses se passeront. Nous avons aussi entendu dire, aujourd'hui comme lors de séances précédentes, que la gouvernance est un élément très important pour les peuples autochtones. Lorsqu'ils peuvent agir de façon autonome, ils semblent bien s'en tirer, mais lorsque ce n'est pas le cas, ils sont confrontés à d'énormes problèmes.
Avant de permettre aux sénateurs de poser leurs questions, j'aurais une précision à vous demander en vue de nos audiences futures, madame Abonyi. Vous avez indiqué que votre cadre structurel est conforme à l'initiative de l'Institut canadien d'information sur la santé dont nous entendrons parler au cours du prochain mois. Dans quelle mesure se rapproche-t-il des composantes structurelles des Instituts de recherche en santé du Canada, à savoir l'Institut de la santé des Autochtones et l'Institut de la santé publique et des populations? Travaillez-vous en synchronisation avec ces organisations?
Mme Abonyi : Je dirais que oui. Je voulais notamment faire valoir que l'Institut de la santé des Autochtones, notamment, a reconnu la valeur de ce type de cadre ainsi que l'approche utilisée pour le mettre en place. Cette reconnaissance a grandement contribué à notre capacité d'intervention en ce sens.
Le sénateur Callbeck : Madame Abonyi, j'aimerais avoir un éclaircissement au sujet du Fonds pour l'adaptation des soins de santé primaires. J'avais cru comprendre que la Stratégie en matière de santé dans le Nord était financée au moyen de ce fonds. Vous avez souligné l'importance de ce fonds, mais vous avez aussi indiqué qu'il exigeait beaucoup de formalités et était difficile d'accès en plus de noter l'insuffisance des sommes disponibles.
Mme Abonyi : Dans le second cas, je faisais référence à l'Accord de Kelowna de 2004, une nouvelle initiative. Pour ce qui est du Fonds pour l'adaptation des soins de santé primaires, je ne pourrais pas beaucoup vous parler de l'enveloppe prévue pour les Autochtones. Les partenaires avec lesquels nous avons collaboré dans le cadre de la Stratégie en matière de santé dans le Nord nous ont notamment fait part des difficultés associées à la rédaction des propositions requises, à l'évaluation de ces propositions en temps opportun et au versement des fonds accordés.
Le sénateur Callbeck : Voilà qui nous permet de mieux comprendre.
Docteur Young, vous possédez certes une vaste expérience; vous avez notamment travaillé dans le Nord-Ouest de l'Ontario. Vous avez dit devoir conclure avec regret que la santé et le bien-être des Premières nations, des Métis et des Inuits ne se sont pas améliorés et que, dans bien des cas, la situation s'est même détériorée. Vous nous avez brossé un tableau fort triste et déprimant de la situation. Y a-t-il des déterminants de la santé qui sont vraiment pris en charge de manière adéquate?
Dr Young : D'abord et avant tout, je veux dire que je n'ai pas brossé un tableau plus pessimiste qu'il ne le fallait. Ce n'était probablement que passager; la plupart du temps, je suis beaucoup plus agréable.
Si l'on examine quelques indices, on constate que l'espérance de vie augmente. Mais comme elle est également à la hausse même dans les pays subsahariens les plus mal en point de la planète, il n'y a pas lieu d'en tirer une fierté particulière. Le taux de mortalité infantile est à la baisse, mais la disparité demeure.
Il y a quelques autres déterminants à considérer. En général, le niveau de scolarité augmente. Du côté de l'emploi, la situation n'a guère évolué. Si on se fie à certaines de ces mesures sommaires qui sont habituellement compilées, on obtient un portrait très varié, mais ce n'est pas vraiment là que les choses se passent. Les recherches de M. Chandler portent en fait sur différents types de déterminants. C'est là où ça devient intéressant. Certaines choses se sont, sans l'ombre d'un doute, nettement améliorées. Il y a des communautés qui demeurent fonctionnelles et conservent leur cohésion. Cependant, il y a eu au Canada de nombreux cas où des communautés ont été mises sur pied à partir du néant, où des gens sont déplacés d'un endroit à un autre; on érige de nouvelles écoles, de nouvelles routes et de nouveaux édifices et, en l'espace de cinq ans, tout cela est rasé. C'est le genre de situation qui nous incite à nous demander s'il n'y aurait pas lieu de privilégier d'autres solutions.
Nous avons aussi tendance à ne pas faire valoir les histoires de réussite. Nous faisons l'erreur de toujours présenter le mauvais côté de la médaille. Il y a des communautés qui s'en tirent très bien. Au fil des ans, elles sont parvenues à demeurer viables malgré des attaques de toutes sortes en provenance de l'extérieur.
Il y a donc du pour et du contre, mais il faut surtout comprendre qu'il n'existe pas de solution unique. Il n'y a pas de formule magique qui ferait en sorte que tout le monde pourrait bien se porter.
Le sénateur Callbeck : Monsieur Chandler, combien de communautés sont représentées sur votre graphique de la deuxième page?
M. Chandler : Cent quatre-vingt-dix-sept.
Le sénateur Callbeck : Nous voyons également le chiffre « 6 ». Je suppose que cela signifie qu'en présence des six qualités dont vous avez parlé au sein de la communauté, il n'y a pas de suicide. Combien de communautés se retrouveraient dans ce groupe?
M. Chandler : Près de la moitié des 197. C'est le côté de la médaille dont vous n'entendez jamais parler; c'est à cela que le Dr Young faisait allusion. Si nous n'arrivons pas à bien comprendre la situation, c'est parce que ces statistiques sont présentées dans une perspective trop générale. On entend parler du taux de suicide chez les Autochtones, mais nous nous intéressons à bien d'autres aspects de leur situation. Nous nous penchons également sur le taux de décrochage scolaire, le taux d'accident et bien d'autres facteurs, et le portrait est toujours le même. Pour tous ces aspects négatifs, les résultats varient énormément d'une communauté à l'autre. En parlant du suicide, on attire l'attention des médias, mais on crée également cette illusion de désespoir.
Ce que je note tout particulièrement, c'est que bon nombre de ces communautés qui ont été couvertes d'infamie et amèrement critiquées ont réussi à survivre remarquablement bien. Dans notre recherche d'une solution, il faudrait d'une manière ou d'une autre porter notre attention sur ces communautés qui se tirent si bien d'affaire contre toute attente. À ce chapitre, il est important de noter que plusieurs des mesures prises par ces collectivités qui sont reliées à de bons résultats en matière de santé n'ont pas été mises en œuvre dans ce but particulier. À ma connaissance, aucune communauté n'a tenté d'accéder à l'autonomie gouvernementale en se disant que cela allait permettre de réduire le suicide chez les jeunes. On croyait peut-être d'une manière générale que les conditions de vie s'en trouveraient améliorées pour l'ensemble des aspects. Beaucoup d'efforts et d'argent ont été consacrés à des mesures comme la prévention du suicide, alors même que la plupart des informations disponibles indiquaient que les actions qui semblent d'une certaine manière assurer la meilleure protection contre des problèmes comme le suicide chez les jeunes ont été entreprises en visant des objectifs plus généraux. C'est donc un enseignement dont il faut s'inspirer dans la détermination de l'approche à adopter. Il ne fait aucun doute que la leçon a été retenue par les Autochtones. Ils parlent d'approches holistiques. Il serait peut-être bon que nous adoptions la perspective autochtone dans ce dossier.
Le sénateur Callbeck : Vous avez dit que la moitié des communautés est incluse dans ce groupe, mais combien se retrouve à l'autre extrémité du graphique — le « 0 »?
M. Chandler : Dans le groupe où la situation est la plus précaire, il n'y a probablement que deux ou trois communautés. L'un des problèmes pour les chercheurs vient du fait que dans les petites communautés, et je pense à certaines bandes qui ne comptent que 200 ou 500 personnes, un seul suicide peut faire grimper en flèche le taux d'incidence pour la communauté. Nous avons essayé de contourner le problème en considérant les conseils de bande, plutôt que chacune des bandes individuellement. Les conseils, tout au moins en Colombie-Britannique, regroupent généralement entre 12 et 15 bandes. Toutes les données que je vous ai soumises sont valables tant pour les conseils que pour les bandes elles-mêmes, mais je peux vous préciser qu'environ 15 p. 100 des conseils de bande n'ont connu aucun suicide. Il suffit d'une seule personne dans une bande au sein du conseil pour changer la situation.
Le sénateur Callbeck : Voilà qui est fort intéressant. Madame Lafontaine, vous nous avez parlé des Premières nations, des Inuits et des Métis. Y a-t-il des déterminants de la santé qui se rapportent davantage à l'un ou l'autre de ces groupes, ou sont-ils à peu près équivalents?
Mark Buell, gestionnaire, Politiques et communications, Organisation nationale de la santé autochtone (ONSA) : Dans notre documentation, nous vous fournissons certains renseignements généraux sous le titre « Déterminants généraux de la santé dans un contexte autochtone ». Ces données proviennent de travaux menés par l'ONSA en 2001. Les déterminants reconnus par Santé Canada s'appliquent tous aux Premières nations, aux Inuits et aux Métis; il faut cependant noter que le contexte est différent pour ces trois groupes par rapport à la population canadienne en général. Nous voulons également souligner qu'il convient aussi de prendre en considération d'autres déterminants de nature plus vaste. Ils comprennent des facteurs comme la colonisation, la globalisation, la mobilité, étant donné que la population autochtone est de toute évidence en train de s'urbaniser, la continuité culturelle — dont M. Chandler vous a entretenu longuement. Le territoire est également un déterminant à prendre en compte. Étant donné ses liens avec le savoir et les traditions autochtones, le territoire est relié à tous les autres déterminants, y compris l'autodétermination, le développement économique et la pauvreté. Parmi les autres déterminants de la santé, on note l'accès aux services de santé et à l'éducation — des déterminants étroitement associés à la situation géographique — la pauvreté, et nous savons à quel point les Autochtones sont confrontés d'une manière générale à des taux de pauvreté élevés, et l'autodétermination. Tous ces déterminants s'appliquent à la fois aux Premières nations, aux Inuits et aux Métis. Comme M. Chandler l'a fait valoir, je dirais que la mesure dans laquelle ils vont s'appliquer dépend davantage de la communauté elle-même que de la population qui la constitue.
Le sénateur Johnson : Vous avez dit que ces déterminants s'appliquaient aux Inuits et aux Métis.
M. Buell : Et aux Premières nations, oui.
Le sénateur Eggleton : Je vais essayer de vous poser trois brèves questions, en commençant par le Dr Young.
Vous avez indiqué que nous connaissons tous les problèmes qui se posent et que nous avons également une très bonne idée de leurs causes, mais que, malgré les énormes ressources humaines et financières qui y sont consacrées, on n'arrive pas à éradiquer ces disparités. Vous avez souligné qu'il n'y avait pas de formule magique. On pourrait en conclure que la solution ne réside pas nécessairement dans l'injection de ressources humaines ou financières additionnelles. Pourquoi les efforts consentis ne produisent pas les résultats escomptés? Est-ce une question d'organisation? Quelle est la solution?
Dr Young : Je vais me montrer prudente dans ma réponse, car je ne voudrais pas donner l'impression qu'une injection de ressources ne pourrait pas améliorer la situation en matière de santé. Ce n'est pas ce que je veux dire. Je veux simplement faire valoir que l'on n'améliorera pas les choses en se contentant d'augmenter la quantité de ressources. Il est tout aussi important de déterminer la façon dont ces ressources sont utilisées, réparties et ciblées, et quel groupe en bénéficie.
D'un point de vue plus philosophique, et en quelque sorte théorique, on pourrait se dire que la santé est une responsabilité individuelle. Pour améliorer la situation en matière de santé, il faut sensibiliser les gens pour les inciter à adopter de bons comportements. À l'autre extrême, il y a la perspective sociétale ou macro-environnementale. Il faut changer la société pour que la situation s'améliore au chapitre de la santé. Nous avons tendance à aller de l'un de ces extrêmes à l'autre.
Je travaille dans ce secteur depuis suffisamment longtemps pour avoir compris que la véritable solution ne passe pas par ces deux extrêmes, car on doit, de toute évidence, satisfaire à certaines conditions préalables pour améliorer la santé. À l'échelon sociétal, certaines mesures doivent être prises, mais chaque citoyen doit également adopter certains comportements, ce qui fait que le système de santé a un rôle à jouer en se montrant efficace sous différents aspects. Je ne suis pas sûre que notre système de santé, dans sa forme actuelle, s'acquitte bien de ce rôle.
Si l'on examine l'analyse économique, et il faut malheureusement regretter le peu d'études qui sont menées sur les facteurs économiques liés aux soins de santé pour les Premières nations, les dépenses par habitant dépassent vraiment de beaucoup celles consenties pour le reste de la population canadienne. Si l'on se limite à une optique de rentabilité, on peut dire que nous n'en avons pas pour notre argent. Compte tenu de ce que nous dépensons, nous n'obtenons pas de résultats suffisants en matière de santé.
La solution ne consiste donc pas à injecter davantage de fonds, mais bien à utiliser l'argent de façon judicieuse dans les secteurs où les effets sont les plus sentis. C'est là qu'entre en jeu toute cette question des services de santé et de la médecine fondée sur des preuves. Nous nous contentons bien souvent de répéter les interventions du passé sans considérer leurs effets. Est-ce que les lignes téléphoniques pour la prévention du suicide fonctionnent vraiment? Il faut évaluer les mesures de ce genre pour déterminer si elles produisent effectivement des résultats.
On parle ici de mesures à prendre dans une perspective très ciblée, mais nous devons également, à l'autre extrémité du spectre, changer certaines choses au sein de la société pour permettre une telle évolution.
Le sénateur Eggleton : Lorsque vous nous parlez des systèmes de santé, faites-vous uniquement référence à la province de l'Ontario où vous avez travaillé ou est-ce que vos commentaires sont valables pour l'ensemble du Canada?
Dr Young : J'hésiterais à affirmer que mes observations peuvent s'appliquer à l'ensemble du pays. Parlons un instant des régions éloignées, c'est-à-dire des territoires et des parties septentrionales des provinces. À l'heure actuelle, le Canada se montre très efficace dans certaines de ses interventions. Nous sommes les chefs de file mondiaux quant à l'utilisation d'infirmiers et d'infirmières praticiennes qui jouent le rôle de médecins dans les régions isolées. Nous ne semblons toutefois pas vouloir nous en vanter beaucoup.
De toute évidence, la technologie peut nous être utile en permettant le recours à la télémédecine. Il s'agit de solutions technologiques qui ne sont pas nécessairement applicables dans tous les secteurs.
Le sénateur Eggleton : Ma deuxième question s'adresse à Mme Lafontaine. À notre dernière réunion, M. John O'Neil nous a indiqué dans son exposé que le principal déterminant social de la santé des communautés autochtones est l'autonomie gouvernementale. Êtes-vous d'accord avec cette affirmation? Si l'autonomie gouvernementale est un facteur clé parmi les déterminants sociaux de la santé pour les Autochtones vivant dans les réserves, qu'en est-il de ceux qui résident en milieu urbain, où l'on retrouve un grand nombre de bandes? Comment les choses se passent-elles à ce niveau, si l'on s'en tient aux observations de M. O'Neil?
Mme Lafontaine : Je ne crois pas que cette question relève de mes compétences, pas plus que de celles de l'ONSA d'ailleurs. Elle s'inscrit davantage dans le contexte politique. Il est préférable que les organisations politiques autochtones s'occupent de ce genre de questions. Je ne sais pas. Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Buell?
M. Buell : Nous voulons surtout faire valoir qu'il n'y a pas un déterminant qui soit plus important que les autres. Ce qui compte d'abord, c'est la manière dont ces déterminants interagissent dans un contexte autochtone. Au lieu d'interventions fondées sur des déterminants isolés, il vaudrait mieux concentrer nos efforts sur l'interaction entre les déterminants. Nous serions favorables à des mesures qui cibleraient ces interactions et moduleraient nos interventions en conséquence.
Le sénateur Eggleton : Monsieur Chandler, je dois vous dire — vous pourrez répondre également à la question — que ces données sont stupéfiantes. Vous nous présentez beaucoup d'informations qui nous brossent un tableau très sombre de la situation — espérance de vie moindre pour les Premières nations, taux de mortalité infantile plus élevé, taux de maladies chroniques supérieur pour les Autochtones. Quant au taux de suicide, on nous dit qu'il est cinq ou six fois supérieur, dans l'ensemble, pour les Premières nations et 11 fois plus élevé pour les Inuits. Votre graphique indique que près de 40 p. 100 des communautés n'ont enregistré aucun décès par suicide. Il y a deux choses que j'aimerais savoir. Premièrement, comme votre étude portait sur la Colombie-Britannique, croyez-vous que la situation soit la même dans les autres régions du pays, dans une mesure à peu près semblable, plus ou moins? Pourriez-vous nous indiquer comment ces communautés sont arrivées à ces résultats? De plus, si vous pouviez prendre les chiffres sur le taux de suicide que vous nous avez fournis tout à l'heure et les ramener à zéro, comme l'ont fait 40 p. 100 des communautés autochtones, est-ce que ces autres éléments — espérance de vie, chômage, maladies chroniques — sont également moins présents dans ces communautés?
M. Chandler : Les données viennent de la Colombie-Britannique. Nous venons tout juste de décrocher une subvention fédérale pour essayer d'appliquer ce modèle au Manitoba. Avec un peu de chance, nous serons en mesure d'indiquer de façon concluante si ce schéma fonctionne également là-bas. Ce n'est pas sans raison que nous avons choisi le Manitoba. On y retrouve de nombreux Autochtones et bien des problèmes au sein de ces communautés. Le moment venu, je pourrai vous fournir une réponse bien étayée à ce sujet.
Si vous me demandez des hypothèses, je vous réponds que je crois que les données de la Colombie-Britannique peuvent être généralisées pour les autres provinces et territoires. Dans un premier temps, le taux général de suicide pour l'ensemble du Canada, et c'est la même chose pour n'importe quel autre problème lié à la santé, est disproportionnellement élevé au sein des communautés autochtones, mais il s'agit encore là d'un tableau brossé à grands traits. Je pense, sans toutefois pouvoir l'affirmer, qu'un examen de la situation du suicide, ou de tout autre problème de santé, dans n'importe quelle région du Canada, révélerait des variations entre les communautés. Plutôt que 40 ou 50 p. 100 des collectivités n'ayant pas de problèmes, vous n'en trouveriez peut-être que 20 p. 100, mais elles seraient tout de même là.
Dans la recherche d'une solution, l'étude des différences entre les communautés, selon qu'elles soient ou non aux prises avec le problème, n'est pas nécessairement l'avenue unique et incontournable, mais c'est une façon judicieuse de déployer les énergies. Il faut voir quelles sont les différences, par exemple, entre les communautés qui éprouvent des problèmes d'obésité ou de diabète et celles qui en sont épargnées. Il n'y a pas nécessairement de collectivité qui n'enregistre un taux de diabète élevé, mais je dirais que cela est possible.
À titre d'approche générale, il s'agit d'une stratégie efficace. Vous vous retrouvez ainsi en meilleure position pour dégager les pistes de solutions possibles, mais cela contribue également à soulager ces collectivités du désespoir qui les accable et à faire en sorte que le reste du pays ne croit plus qu'il s'agit d'un problème irrésoluble.
Si vous me permettez de me prononcer quant à l'affirmation de John O'Neil à l'effet que l'autonomie gouvernementale serait le déterminant principal, je vous dirais que je comprends certes les motifs qui l'incitent à dire cela, mais que j'aurais une opinion légèrement différente. Je pense qu'il y a deux ensembles de forces qui se manifestent au sein des communautés autochtones que je connais personnellement. Il y a d'une part différentes espérances ou attentes qui s'inscrivent dans une volonté de retrouver les traditions perdues. À l'opposé, il y a tous ceux qui soutiennent qu'il faut oublier le passé et essayer, à titre de société, d'exercer un certain contrôle sur l'avenir. En fait, ces forces opposées donnent souvent lieu à des querelles intestines au sein des communautés quant à la meilleure façon de procéder, une situation qui est souvent à l'origine d'un manque de respect entre les différents groupes.
Quand j'essaie de faire valoir l'idée que la continuité de la culture est préférable au concept d'autonomie gouvernementale, c'est vraiment parce que le concept de la continuité est un concept à deux faces. Il est axé à la fois sur le passé et l'avenir. D'une certaine façon, il contribue à combler un fossé entre ces deux types de communautés.
Nous avons des données très rigoureuses qui nous portent à croire que les tentatives de rétablissement des langues autochtones sont très liées à la baisse du taux de suicide. Il n'est pas rentable de rétablir une langue autochtone. Si l'OMS a raison, même si on y travaille avec acharnement, trois générations plus tard, elle va être disparue. Ce n'est pas une économique, mais c'est un moyen de tirer un sens profond de son passé.
Je dirais que l'autonomie gouvernementale est une manifestation de la tentative d'une communauté de se situer dans le temps. Elle a ces deux caractéristiques : elle lie les gens à leur passé tout en les rendant maîtres de leur avenir.
Le président : C'est extrêmement intéressant, monsieur Chandler. Je dois dire que l'information qui ressort est extrêmement intéressante pour le comité.
Dans le fond, quand on regarde la situation d'en haut, on se demande pourquoi c'est sur cette terre immensément riche où vit une petite population que le Canada occupe le 14e rang au monde quant à la santé de la population. Si l'on étudie bien la situation, on voit que nous ne sommes pas vraiment quatorzièmes au monde. À certains égards, nous sommes deux centièmes au monde et à d'autres, nous faisons bien meilleure figure que le reste du monde. Il est bon de savoir que la science commence à nous apporter des réponses.
[Français]
La question que je vais poser concerne les jeunes autochtones. Il est important de s'occuper de la petite enfance, mais aussi des jeunes autochtones âgés de 8 à 16 ans. Plusieurs d'entre eux manquent de scolarité et se retrouvent sur le chômage. Souvent, ils vivent dans la pauvreté et souffrent de discrimination.
Selon vous, quels seraient les principaux déterminants de la santé pour la jeune population autochtone? Quel accent doit-on mettre sur la stratégie de la jeunesse? Doit-on avoir la même approche avec les jeunes autochtones des milieux urbains? Comment pourrait-on coordonner tout cela? Je crois qu'il est très important de s'occuper de ces jeunes autochtones.
[Traduction]
M. Chandler : Je n'ai pas compris le début de ce que vous avez dit, donc je ne sais pas à qui votre question s'adresse.
[Français]
Le sénateur Pépin : Pas de problème, vous pouvez répondre.
[Traduction]
M. Chandler : Mon groupe vient de terminer une étude pour laquelle il s'est penché sur les facteurs mêmes qui nous permettent de prévoir les taux de suicide par communauté : l'autonomie gouvernementale, le contrôle de la santé et de l'éducation, le bien-être, et cetera. Nous voulions voir s'ils étaient indicateurs également du taux de décrochage scolaire. En Colombie-Britannique, environ 30 p. 100 des jeunes Autochtones terminent leurs études secondaires. En fait, dans la population générale, il n'y en a que 70 p. 100 qui les terminent, ce qui est ahurissant. Même s'il y a de quoi être gêné que seulement 70 p. 100 des membres de la population générale décrochent un diplôme d'études secondaires, il est encore plus tragique que seulement 30 p. 100 des Autochtones y arrivent. Si l'on analyse ces données communauté par communauté, on se rend compte que dans beaucoup de collectivités de la Colombie-Britannique, jamais un élève n'a terminé ses études secondaires, jamais, alors que dans d'autres collectivités, bien que le taux de diplomation ne soit pas le même que dans la population générale, il est très près.
Le sénateur Pépin : Je n'avais jamais rien entendu de tel.
M. Chandler : Encore une fois, si nous avions un graphique illustrant le taux de diplomation d'études secondaires, les courbes seraient vraiment en dents de scie. Nous savons déjà qu'il y a des facteurs communautaires qui nous indiquent quelles collectivités font le meilleur travail. Cela ne répond pas complètement à votre question, mais c'est un premier pas. Cela nous indique que si les ressources socioculturelles sont mises en place, les enfants vont terminer leurs études.
La question de fond à nous poser, c'est pourquoi certaines communautés s'en tirent mieux que d'autres. Même si nous ne pouvons pas tout à fait répondre à cette question, nous pouvons émettre quelques hypothèses. Ce n'est pas une question de pauvreté, même si je dois faire attention en le disant, parce que tout le peuple autochtone est très désavantagé socioéconomiquement en comparaison avec le reste de la population. Oublions un instant le reste de la population et tournons-nous vers le monde autochtone lui-même. Leurs divers indicateurs de statut socioéconomique ne permettent pas de prévoir le taux de suicide ou de décrochage scolaire, et je peux vous expliquer pourquoi. La première intuition, c'est que c'est une question d'argent, mais l'argent ne semble pas justifier les différences dans le taux de diplomation ou de suicide d'une collectivité à l'autre. On pourrait également présumer qu'il y a des différences entre les régions très rurales et les régions plus urbaines, mais ce n'est pas concluant non plus.
Je ne prétends pas que nous avons toutes les réponses à toutes ces questions, mais nous avons une stratégie de solution, c'est-à-dire une façon de voir qui produit des résultats et qui réduit certaines attentes possibles qui ne tiennent pas la route.
Si j'ai bien compris votre question, vous soulignez l'importance de mettre l'accent sur les jeunes des communautés autochtones. C'est tout à fait vrai, mais nous n'avons pas à le faire en menant des petits programmes pour chaque enfant. Nous croyons plutôt qu'il faut restructurer la communauté.
Le sénateur Pépin : Je suis renversée parce que nous entendons tellement parler du suicide chez les jeunes Autochtones et de leur difficulté à vivre comme les autres jeunes. Vous nous dites qu'en Colombie-Britannique, seulement 30 p. 100 d'entre eux obtiennent un diplôme d'études secondaires. Nous devons connaître et comprendre votre stratégie.
[Français]
Maintenant, en ce qui concerne la santé des femmes autochtones, leur situation est tout à fait différente de celle des autres femmes canadiennes. Plusieurs d'entre elles ont des problèmes de santé très importants.
Quels seraient les principaux déterminants de la santé pour les femmes autochtones? Quelles sont les lacunes en matière d'information des principaux déterminants? Enfin, quels sont les indicateurs et les mesures que nous devons prendre pour combler ces lacunes?
[Traduction]
Dr Young : Les mêmes déterminants de la santé s'appliquent aux hommes et aux femmes; il y a notamment la situation socioéconomique, le tabagisme et l'activité physique. Chez les femmes, il y a aussi tout ce qui concerne la santé de la reproduction et la violence conjugale, qui est très importante. Sur le plan de la santé de la reproduction, par exemple, la population autochtone a un taux de fertilité et de grossesse chez les adolescentes particulièrement élevé. Cela donne une dimension particulière aux problèmes de santé, tant pour la femme que pour ses enfants. Bien entendu, la violence conjugale est un grave problème, mais malheureusement, nous n'avons pas assez de bons renseignements pour déterminer à quel point elle est répandue.
Si l'on veut souligner deux ou trois choses qui sont d'une importance particulière pour les femmes, je dirais qu'il y a la violence conjugale et la santé de la reproduction.
Mme Abonyi : L'autre facteur qui semble émerger, c'est la différence quant à la contamination par les maladies transmissibles sexuellement. Les taux de contamination par le VIH et d'autres maladies sont plus élevés dans la population féminine que dans la population masculine.
Le sénateur Pépin : Avez-vous des recommandations particulières à nous faire sur la façon de corriger cette situation?
Mme Abonyi : J'aimerais ajouter une chose à ce que j'ai entendu de la bouche des autres. Il faut étudier les interactions entre ces déterminants et comprendre ce qui se passe; il faut observer ce qui se passe là où ces problèmes ne semblent pas présents, c'est-à-dire examiner comment ces déterminants s'entrecroisent pour produire des populations en santé plutôt que d'essayer d'analyser leurs interactions quand ils minent la santé des populations.
M. Chandler : Je n'ai pas grand-chose à ajouter, mais je voudrais souligner deux choses. Premièrement, pendant deux ans en Colombie-Britannique, il n'y a pas une seule jeune femme qui s'est suicidée. En règle générale, le taux de suicide chez les femmes est bien inférieur à celui chez les hommes, et cela est vrai non seulement dans le monde autochtone, mais dans la population en général aussi. Il est peut-être trop tôt pour tirer des conclusions, mais le taux de suicide semble diminuer en général dans la province, ce qui est principalement attribuable à la baisse du taux chez les femmes. Si je devais deviner pourquoi il baisse, je dirais que quand on a perdu tout contact avec sa culture, il continue d'y avoir des rôles qui ont du sens pour les femmes, des rôles qui ont toujours existé dans l'histoire, et la question de la grossesse chez les jeunes adolescentes n'est peut-être pas étrangère à tout cela.
J'ai l'impression que les jeunes hommes autochtones n'ont pas de place culturelle dans le monde. Nous commençons à peine une étude dans le cadre de laquelle nous examinons les bandes où les hommes ont un rôle à jouer qui a un prestige traditionnel, comme de pêcher, et d'autres bandes, où les Autochtones cueillent des fruits, ce qui n'a rien à voir avec leur histoire. Certains déterminants sociaux, comme les taux de suicide et de décrochage sont plus marqués dans les collectivités où il n'y a plus de rôle respectable culturellement pour les hommes.
Le président : Je me rappelle être allé à Iqaluit, où un jeune homme qui témoignait devant nous a dit exactement la même chose. Il a dit : « Il ne reste plus rien pour nous. Avant, nous étions chasseurs et cueilleurs, mais ce n'est plus nécessaire. Les femmes ont une place dans la société, mais nous n'en avons pas. » C'est très déprimant.
Le sénateur Cochrane : J'ai une autre question à vous poser dans la foulée de la première question de ma collègue. Vous avez dit que seulement 30 p. 100 des Autochtones terminaient leurs études secondaires. Quand je parle avec plusieurs enseignants qui se rendent dans des collectivités isolées pour enseigner aux enfants autochtones, ils me disent qu'il y a des périodes où ils ne peuvent pas enseigner parce qu'il n'y a que un ou deux enfants à l'école, parce que leurs familles les amènent chasser, entre autres. Peut-être devrions-nous envisager de leur offrir un système scolaire différent.
M. Chandler : Encore une fois, le système scolaire destiné à la population générale, dans lequel les gens sont en congé l'été, a été conçu en fonction des normes agricoles de la population générale. Nous savons quoi faire. Nous n'avons pas pris la peine de nous demander comment adapter le cadre scolaire à la vie des différents groupes culturels. Ce n'est pas sorcier, nous pourrions le faire si nous le voulions. S'il y avait une volonté politique en ce sens, ce serait possible.
Mme Abonyi : Dans l'une des écoles du Nord de l'Ontario où j'ai travaillé, l'horaire a été organisé en fonction de congés au printemps et à l'automne pour la chasse à l'oie, afin qu'il n'y ait pas d'école pendant ces périodes. Les élèves restent à l'école plus longtemps l'été, mais ils ont un congé de chasse à l'oie. Ils n'ont pas à choisir entre une dimension de leur santé culturelle et leur santé éducative, par exemple.
Le sénateur Cochrane : Est-ce que cela fonctionnait?
Mme Abonyi : Cela fonctionnait très bien, oui.
Dr Young : Je tiens à vous mettre en garde contre le risque de présumer que toutes les communautés autochtones veulent conserver leur mode de vie traditionnel. Ils vivent dans l'ère de la mondialisation du XXIe siècle. Ils doivent apprendre à utiliser l'ordinateur et l'Internet. Ils vont se trouver des emplois dans le monde des affaires. On ne peut pas leur dire : « Devenez chasseurs. » Cela ne va pas fonctionner pour eux. Ils doivent décider quel type d'éducation leur convient le mieux. Peut-être qu'aujourd'hui, la majorité d'entre eux choisiraient d'avoir un ordinateur dans toutes les classes plutôt que d'avoir un congé pour chasser.
Le sénateur Fairbairn : Votre témoignage est très instructif.
Comme je travaille beaucoup dans le domaine de l'alphabétisation et de l'éducation, j'aimerais creuser un peu le sujet. Monsieur Chandler, j'ai remarqué dans vos observations qu'en Colombie-Britannique, il y a des collectivités qui ont acquis l'autonomie gouvernementale dans une certaine mesure, qui ont été vites à revendiquer des titres autochtones sur leurs terres ancestrales, qui favorisent la présence des femmes au pouvoir et qui appuient la construction d'établissements pour la préservation de la culture. Tout cela mis ensemble témoigne d'un certain niveau d'éducation. Madame Lafontaine, vous avez lancé le chiffre de 90 p. 100 dans votre exposé sur l'alphabétisation et les difficultés.
Si l'on regarde la situation dans son ensemble, l'éducation et l'alphabétisation sont-elles des solutions fondamentales aux parties négatives de la vie autochtone, qui comprennent évidemment le suicide à tout âge? Est-ce que le manque d'apprentissage, de désir d'apprendre ou encore d'incitation à apprendre est à la source du problème?
M. Chandler : Pour répondre de façon réfléchie à votre question, il me faudrait des renseignements que je n'ai pas. Quand on observe ces collectivités, on a l'impression que celles qui se sont battues pour obtenir l'autonomie gouvernementale dans une certaine mesure et qui ont revendiqué des titres autochtones sont également celles où le niveau de scolarisation était le plus élevé. C'est peut-être vrai, mais je ne peux pas vous répondre. Je serais porté à croire que très souvent, il est étonnant de voir à quel point il faut peu de gens dans une bande pour que le déclic se fasse. Je n'ai pas de données en main, mais si l'on analysait le niveau de scolarité de ces groupes il y a 30 ans, les groupes qui ont réussi le mieux ne seraient pas nécessairement ceux ayant la meilleure éducation. La clé, c'est plutôt qu'il y a un groupe de leaders qui s'est démarqué, d'une façon qui ne s'explique presque pas, dans une situation très mauvaise et qui a été un moteur de progrès dans ces collectivités.
Je suis tout à fait persuadé que si nous augmentions le niveau de scolarité des Autochtones, cela ne ferait pas une grande différence. Nous n'avons peut-être pas besoin d'attendre 30 ans pour cela. Il semble que cela arrive ici et là et que ce n'est pas parce que les gens se sont secrètement instruits d'une façon ou d'une autre. Je ne connais vraiment pas la réponse à votre question. Si vous me demandez pourquoi certaines communautés arrivent à produire ces indicateurs de succès et d'autres non, la meilleure réponse que je peux vous donner, c'est que les raisons qu'on serait porté à donner ne sont pas les bonnes, comme le fait que ces communautés ont de l'argent à leur disposition. Je ne sais pas si elles étaient mieux éduquées. Je ne le pense pas.
Il y a un homme à Harvard, du nom de Stephen Cornell, qui écrit sur un lien intéressant entre les formes traditionnelles de gouvernement et la forme de gouvernement imposée par le gouvernement fédéral ou provincial du moment. C'est particulièrement clair aux États-Unis, où la conquête du continent s'est faite à un rythme assez régulier et où la politique fédérale a changé constamment au fur et à mesure où les colonisateurs rencontraient de nouvelles bandes toujours plus à l'ouest. C'était presque une rencontre accidentelle d'une certaine similitude entre des formes traditionnelles de gouvernement et les modèles qui étaient imposés. Dans tous les cas où ce type de mélange approprié a été établi, des bandes qui semblaient ne pas avoir de ressources ont extrêmement bien réussi. D'autres bandes qui avaient à portée de main une mine d'or de ressources sont tombées dans la décrépitude. C'est une question très complexe. Le travail de Cornell et de ses collègues est un pas dans la bonne direction, mais personne ne peut vraiment répondre à la question que vous posez.
Mme Lafontaine : Il est important de favoriser l'éducation chez nos jeunes. L'ONSA a un programme intitulé le Programme national des modèles autochtones dans le cadre duquel nous sélectionnons 12 personnes modèles chaque année : quatre des Premières nations, quatre Inuits et quatre Métis. Ces 12 modèles ont le mandat pendant toute une année de se rendre dans les collectivités pour faire la promotion de l'éducation et de leurs réalisations. C'est ici, à Ottawa, que la gouverneure générale a annoncé les derniers modèles. Ce programme semble porter fruit. Quand nous l'avons lancé, il y a trois ans, nous avons reçu peut-être 50 ou 60 candidatures. Nous venons tout juste de clore un appel de candidature, et nous en avons reçues plus de 150. C'est vraiment excitant. Ce programme génère une attitude très positive parmi les jeunes. Il y a de l'intérêt; ils veulent rencontrer ces modèles et leur parler. Nous recevons plusieurs demandes pour que ces modèles participent à des événements dans la communauté, qu'ils se présentent et présentent leurs réalisations. C'est un outil très positif, qui permet aux jeunes de voir qu'il y a quelque chose pour eux et qui fait en grande partie la promotion de l'éducation.
Le sénateur Cochrane : Est-ce qu'il y a des garçons et des filles?
Mme Lafontaine : Oui.
M. Buell : Concernant ce que vous avez dit sur l'alphabétisme, Mme Lafontaine a mentionné dans son exposé que tout dépendait de la définition qu'on donnait à l'alphabétisme. En 2004, l'ONSA a publié des résultats de recherche sur l'alphabétisme dans un contexte exclusivement inuit. Les chercheurs se sont penchés sur l'idée de définir l'alphabétisme comme l'acquisition de compétences analytiques élevées pour faire des choix éclairés dans sa vie et pas nécessairement comme des compétences en lecture ou en écriture.
Le sénateur Cook : Je suis la dernière sur la liste. Beaucoup de choses ont été dites, et il y a beaucoup à faire.
J'essaie de comprendre. Je viens de Terre-Neuve-et-Labrador. Quand j'ai entendu parler pour la première fois des problèmes des peuples des Premières nations, c'était dans le contexte des pensionnats. Je fais partie de l'Église Unie du Canada. J'ai eu une grande courbe d'apprentissage pour essayer de comprendre ce phénomène dans des endroits si éloignés de mon île isolée.
Je suis toujours inquiète des répercussions de cette époque. Je me demande combien d'enfants ont été touchés. L'envoi dans les pensionnats a-t-il créé un exode de la population? J'essaie toujours de le comprendre. Comment peut- on assurer sa continuité culturelle quand on se fait prendre sa culture?
Hier soir, on pouvait voir au téléjournal que le gouvernement s'est excusé de ce sombre chapitre de notre histoire. Le chef voulait quand même plus. Le Parlement s'est excusé, mais le chef aurait voulu que le gouvernement le fasse.
Comment est-il possible pour cette génération d'oublier? Cette question me préoccupe. Est-ce qu'elle se manifeste chez ces personnes?
Ma question est un peu comme un souhait. Étant donné que 50 p. 100 des Autochtones ont moins de 25 ans et que leur population croît rapidement, alors que la population des Blancs est plus âgée et que les Blancs ont moins d'enfants, si chacun d'entre vous devait prendre une première mesure et utiliser toute sa sagesse pour aider ces groupes, que feriez-vous? Comment utiliseriez-vous votre sagesse pour aider ces gens à se sortir de cette impasse?
Dr Young : Parlez-vous des survivants des pensionnats?
Le sénateur Cook : Vous pouvez me répondre d'après vos connaissances, votre compréhension de la situation et votre expérience.
J'ai assisté à une conférence sur la pauvreté donnée dans mon église il y a une vingtaine d'années. Il y avait des tables rondes, des discussions et des dialogues. Il y avait une aînée de la bande de Cypress Hills qui n'avait pas parlé pendant trois jours. Le dernier atelier s'intitulait Who will roll away the stone? Nous devions prendre une pierre et proposer une solution en la rendant. Quand elle a remis sa pierre, elle nous a tous regardés — nous étions surtout des Caucasiens. Elle a dit : « Vous, les Blancs, parlez trop. » Je crains que nous essayions de comprendre; vous avez tous acquis de la sagesse et de l'expérience. Un moment donné, il faut se mouiller et faire quelque chose. C'est ce que je demande. Quelle serait la première chose que vous feriez pour régler ces problèmes?
M. Chandler : Tout le monde regarde par terre.
Dr Young : Je suis trop gênée pour m'attaquer à cette question.
Le sénateur Cook : Quelqu'un doit le faire. Il le faut.
M. Buell : C'est une question très difficile. Si j'avais la réponse, je ne serais probablement pas assis ici aujourd'hui.
Cela me fait penser à une chose qu'a dite Mme Lafontaine : il faut célébrer les réussites des jeunes Autochtones grâce à des initiatives comme le programme des modèles, mais également étudier les collectivités qui se portent bien et comprendre pourquoi 50 p. 100 des collectivités de la Colombie-Britannique se portent bien. C'est la même chose dans tout le pays. Il y a beaucoup de choses difficiles qui arrivent à beaucoup de personnes. Il y a des personnes qui se remettent plus vite que d'autres. Quel est le facteur de rétablissement? C'est mon opinion personnelle.
M. Chandler : Je vais commencer par répondre à la question que je trouve la plus simple : comment peut-on se rebrancher à un passé culturel qui s'est pour ainsi dire évaporé avant sa naissance?
Il y a un livre magnifique intitulé Harmony Ideology, qui a été écrit par une femme du nom de Nader. C'est la sœur de Ralph Nader. Dans ce livre, elle parle des Amérindiens du Sud-Ouest et du Nord du Mexique. Dans son analyse, elle montre que beaucoup d'aspects considérés très importants dans la culture du Sud-Ouest n'existaient pas avant la colonisation, mais qui sont nés en réponse à la colonisation. Ils n'ont pas une histoire de 10 000 ans, mais une histoire de 200 ans.
En Colombie-Britannique, je vois des gens réinventer la culture. Souvent, ils s'inspirent d'eux-mêmes pour inventer la culture. Je pense au mouvement panamérindianiste. Il y a des gens en Colombie-Britannique qui mettent en application des façons de faire des Indiens des Plaines. Ils se façonnent une culture issue des pensionnats. Nous le faisons tous. Ce n'est pas un trait propre aux Autochtones. Nous façonnons tous notre culture. À mes yeux, ce n'est rien d'impossible. Historiquement, nous avons tous façonné notre culture. Pour moi, à tout le moins, ce n'est pas un véritable problème. Il y a des gens qui réussissent à résoudre ce problème.
Après des décennies à mettre l'accent sur les maux des Autochtones, il est important de mettre l'accent sur les réussites. Il est indéniable que ce programme qui vise à célébrer les réalisations de jeunes Autochtones qui réussissent bien nourrit les conversations des gens toute l'année. C'est important. C'est un sous-élément d'une stratégie générale qui consiste à jouer sur les forces.
J'aurais une seule mise en garde concernant l'expression « force mentale », car elle a une connotation négative. Il y a 30 ou 40 ans, on a fait beaucoup de recherches en psychologie sur la résilience et on a observé que c'était les gens qui manquaient de force de caractère qui étaient blâmés. Certaines personnes n'étaient pas fortes mentalement et ne pouvaient donc pas s'en sortir. À mon avis, il ne faut pas regarder la force d'un individu en soi, mais plutôt la force d'une culture et d'une communauté. Bien sûr, cela ne nous donnera pas la solution à nos problèmes, mais bien une stratégie pour nous y attaquer. Cela nous permettra de savoir comment faire pour obtenir des réponses.
Mme Abonyi : Je réfléchis sérieusement à la question. Je pense à certains des processus auxquels nous prenons part lorsque nous travaillons avec les communautés. Ces questions que nous nous posons, tout comme ces approches que nous adoptons, viennent aussi des Autochtones. Beaucoup de propositions émanent des partenariats que nous établissons avec les communautés et des capacités que nous développons de part et d'autre et pas d'instances supérieures. Répondre aux questions et examiner un problème au moyen de mesures élaborées localement permet de voir le problème en question sous un autre jour, car certaines communautés locales ont des outils de mesure qui ne correspondent pas à nos indicateurs habituels. Nous avons parlé de l'éducation. Les groupes avec qui nous travaillons sont favorables au modèle d'éducation occidental, mais ils veulent aussi élaborer des indicateurs permettant d'intégrer l'enseignement traditionnel. Il faut s'intéresser aux interconnexions.
Au fond, ce que je veux dire, c'est qu'il faut travailler avec les communautés, dans le cadre d'un partenariat, pour trouver des solutions, plutôt que de nous contenter de les observer sans les consulter. Ces communautés se posent les mêmes questions. Qu'est-ce qui se passe, pourquoi est-ce ainsi et quoi faire pour y remédier? Comment voyons-nous la santé? Quels éléments de nos programmes contribuent à l'améliorer? Où faut-il investir davantage?
Le sénateur Cook : L'isolement est aussi un facteur. Le sénateur Cochrane et moi-même avons grandi à Terre- Neuve, où les routes étaient rares; quand nous voulions aller quelque part, il fallait prendre le bateau. Dans mon enfance, j'ai vécu un peu les mêmes problèmes, à part le stress lié à la communication.
Nous devons intervenir, parce que j'ai l'impression que cette population en particulier n'a pas une grande estime d'elle-même. On ne peut pas accomplir grand-chose, encore moins s'attaquer à des enjeux importants, quand on n'est pas bien dans sa peau. Vous ne vous soucierez pas d'avoir de l'eau potable ou un terrain de jeu pour votre enfant. Oui, nous vivons dans un village planétaire, et les bonnes choses doivent être accessibles à tous.
Je crois fermement que ces gens ont le droit d'habiter où ils veulent, mais il y a des limites. Dans les années 1960, dans ma province, le gouvernement de l'époque avait mis sur pied un programme de réinstallation. Celui-ci avait ses bons et ses mauvais côtés — mais, à bien y penser, il était assez réussi. De petites communautés sont tout simplement devenues une grande communauté. On veut tous avoir un chez-soi, mais il faut tenir compte de la pauvreté et des autres déterminants en matière de logement. Docteur Young, avez-vous autre chose à ajouter?
Dr Young : Vous avez utilisé le mot « sagesse », et cela m'a fait peur, car je ne suis pas aussi sage que vous le prétendez. Je suis tout à fait d'accord sur ce qui a été dit. Nous pouvons miser sur la sagesse des communautés. J'hésite à vous donner des conseils d'expert. Nous pouvons toujours examiner les choses d'un point du vue théorique ou scientifique, mais il y a d'autres façons d'acquérir des connaissances, et les solutions devraient venir de là.
Le sénateur Cook : Pour la profession, vous serez toujours le médecin volant, même si on a maintenant des routes et des services améliorés. Je pense que les femmes — les infirmières praticiennes — régleront probablement le problème.
Le président : Madame Abonyi, vous avez dit qu'il existait d'excellents modèles de partenariats en matière de santé de la population dans le Nord de la Saskatchewan. À votre avis, qu'est-ce qui fait que ces modèles donnent des résultats?
Mme Abonyi : L'un des modèles auxquels j'ai fait référence, l'Athabasca Health Authority, est assez récent. L'autre, la Stratégie de santé dans le Nord, existe depuis plus longtemps. La Commission Romonow s'était penchée sur ce modèle et avait observé que les groupes intersectoriels et plurigouvernementaux présentaient des plans susceptibles de régler les problèmes de santé d'une population diversifiée dans le Nord, qui comprend les Métis, les Premières nations, les collectivités vivant dans les réserves comme à l'extérieur et les non-Autochtones. Ces organismes étaient chargés d'offrir à tous des soins de santé. Étant donné que certains de ces organismes sont nouveaux, ils veulent savoir quels partenariats ont réussi, avec qui nous travaillons et quelles ententes nous avons pu négocier. Ce sont quelques-uns des succès les plus récents. Ces partenariats sont déjà établis. Qu'est-ce que cela donnera en fin de compte en matière de santé? C'est ce que nous verrons dans cinq ans ou plus.
Certains indicateurs sont encourageants, mais nous saurons, à la fin, quels auront été les effets sur la santé.
Le président : Autrement dit, vous ne connaissez pas encore les résultats, mais vous êtes bien placés pour les mesurer.
Votre temps est écoulé. Je vous remercie beaucoup. Cette séance a été très motivante. Dans le cadre de cette étude, si nous voulons faire des recommandations utiles pour les prochaines années, nous devrons décortiquer le problème comme nous l'avons fait aujourd'hui. Nous nous sommes trop perdus dans les généralités. Je ne peux pas préjuger de la situation, mais je suppose que nous aurons toujours besoin de programmes universels de vaccination et de santé publique, et cetera, mais en même temps, nous devons vraiment nous concentrer sur les communautés et les petites populations.
Le sénateur Fairbairn : Il y a une chose dont nous n'avons pas parlé lorsqu'il était question du taux de suicide, et c'est de la fréquence des problèmes d'alcool et de drogues dans les réserves et la mesure dans laquelle cela joue un rôle dans ces situations tragiques.
M. Chandler : Sans avoir de preuve à l'appui, je suis convaincu que toutes les communautés qui ont un taux de suicide élevé connaissent aussi beaucoup de problèmes de drogue et d'alcool. Y a-t-il un lien de causalité? Là est la grande question.
Le président : Merci encore.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.