Délibérations du Sous-comité sur la Santé des populations
Fascicule 4 - Témoignages du 30 mai 2007
OTTAWA, le mercredi 30 mai 2007
Le Sous-comité sur la santé des populations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 16 h 20 pour étudier les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement déterminants sociaux de la santé, et pour faire rapport sur ce sujet.
Le sénateur Wilbert J. Keon (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous accueillons cet après-midi trois excellents témoins. Nous allons écouter avec intérêt ce que vous avez tous à nous dire.
Nous vous sommes reconnaissants de nous accorder de votre temps. Vous allez contribuer à la préparation de notre rapport et nous sommes ravis de la façon dont celle-ci progresse. Le moment semble convenir parfaitement parce que, avec les développements survenus au cours des dix dernières années, nous disposons maintenant au Canada d'une excellente plate-forme dans les domaines des sciences et de la santé pour aller de l'avant. Nous avons les ressources nécessaires pour obtenir l'information nécessaire et les systèmes permettant de changer les choses jusqu'à la base.
Nous allons débuter avec M. Hillel Goelman. Il est directeur du CHILD Project — Consortium of Health, Intervention, Learning and Development — et directeur adjoint, Human Early Learning Partnership (HELP). Il a une excellente réputation à l'Université de Colombie-Britannique.
Hillel Goelman, directeur, The CHILD Project, et directeur adjoint, Human Early Learning Partnership (HELP), Council for Early Child Development : Je suis ravi d'avoir l'occasion de vous rencontrer aujourd'hui pour discuter de la santé, du bien-être et du développement des enfants canadiens. Je me félicite que ce comité ait décidé de se pencher sur les moyens par lesquels la population et le gouvernement du Canada peuvent contribuer à la vie des enfants. Outre ce qui figure sur mon curriculum vitae, sachez que je m'adresse également à vous comme un enseignant, qui a exercé à la fois auprès des jeunes enfants et de leurs enseignants. Je m'exprime également comme père de deux jeunes hommes que ma femme et moi avons élevés. Cela fait fort longtemps que je suis concerné, à titre privé et professionnel, par les conditions de vie des jeunes enfants.
Sachez que je parle de la santé des enfants au sens large. Nous sommes probablement tous trois d'accord pour dire qu'il ne s'agit pas simplement de l'absence de maladie, et que nous nous intéressons tous à des façons de favoriser la croissance, le développement et le bien-être des enfants dans tous les domaines possibles.
Je vais utiliser une présentation en PowerPoint pour résumer les points qui me paraissent les plus importants à aborder pendant les quelques minutes dont nous disposons.
Je m'adresse à vous comme directeur adjoint du Human Early Learning Partnership, HELP en abrégé. Nous travaillons à l'acquisition de nouvelles connaissances en procédant à des recherches interdisciplinaires, à faire la promotion de ces connaissances et à les appliquer pour aider les enfants à réussir. L'une des principales questions que nous nous posons dans notre travail est de savoir ce qui agit sur le développement des jeunes enfants. L'un de mes collègues qui œuvre dans le domaine des interventions précoces avec les jeunes enfants exposés à des risques estime que je me trompe et que la vraie question devrait être : que pouvons-nous faire autrement pour faire la différence? En d'autres termes, nous n'étudions pas ce qu'il advient des jeunes enfants pour le simple plaisir d'étudier, mais bien pour apprendre comment nous pouvons agir. Monsieur le président, en reprenant votre formule, que pouvons-nous faire à la base pour que les choses changent. C'est là l'objet de notre recherche. J'aimerais vous faire part de certains résultats. Nous savons ce qui peut être efficace et en quoi nous pouvons agir sur la vie des jeunes enfants.
Un grand nombre de programmes différents permettent de travailler avec les jeunes enfants. Nos travaux et ceux réalisés aux États-Unis, ainsi que dans d'autres pays, nous ont montré que les programmes pour les enfants dans lesquels les parents sont impliqués, dont les activités sont fréquentes et durables, et dont le personnel a suivi une formation intensive, donnent de bons résultats. Nous savons de façon fiable ce qui fait la différence. C'est ainsi que nous savons avec certitude que l'immersion d'un enfant dans un excellent cadre d'apprentissage et de soins préscolaires fait une différence. Je vais résumer trois de ces études.
L'une d'elles, réalisée par Stephen Barnett, économiste à la Rutgers University, a étudié les effets des programmes préscolaires, avant la maternelle, dans cinq États américains. Il a observé que ces programmes ont des effets marqués et significatifs, d'un point de vue statistique, sur l'apprentissage précoce de la langue, de la lecture et des mathématiques chez les enfants. Il a observé que les enfants qui fréquentent les programmes préscolaires financés par les États obtiennent de meilleures notes en vocabulaire et en mathématiques.
Les programmes préscolaires financés par les États se révèlent très efficaces pour permettre aux enfants de maîtriser les concepts de l'écrit, qui jouent un rôle important dans la littéracie. Un dénominateur commun de tous ces programmes est que tous les enseignants qui y travaillent, ou presque tous, ont un diplôme qui a nécessité quatre ans d'études collégiales, avec une spécialisation dans le domaine de la petite enfance.
Il y a une étude fantastique réalisée en Nouvelle-Zélande qui a suivi des enfants, ayant aujourd'hui 14 ans, depuis l'âge préscolaire. Elle a montré que le contexte préscolaire a des répercussions directes sur le développement des enfants. Ce qui m'intéresse tout particulièrement, pour avoir enseigné en maternelle, est non seulement de savoir que ces enfants ont suivi des programmes préscolaires mais aussi que, dans le cadre de ces programmes, le personne a réagi au comportement des enfants, les a guidés de façon précise, leur a posé certains types de questions ouvertes qui ont stimulé leur curiosité, s'est joint à leurs jeux et que tout cela a fait une différence. Tout cela a fait de ces programmes des outils d'une grande qualité. Si je devais mettre en exergue deux mots de ma présentation, ce serait « grande qualité ». Nous ne pouvons pas nous contenter d'offrir aux enfants des programmes de qualité moyenne, ou intermédiaire ou médiocre. Les enfants méritent des programmes de la plus grande qualité possible.
Ces programmes néo-zélandais donnent de meilleurs résultats quand ils visent à bien préparer les enfants à l'école.
Cette diapositive présente les données sur les coûts, la qualité et les résultats obtenus par une étude importante réalisée aux États-Unis et portant sur des centaines de garderies. Une fois encore, les programmes de garderie précoces ont un effet favorable sur le développement des jeunes enfants.
Pendant trop longtemps, j'ai eu le sentiment que la politique canadienne en la matière prenait la forme d'interventions ponctuelles des gouvernements successifs, qui se trouvaient alors des défenseurs de certaines idées ou de certaines idéologies. J'insiste auprès du comité sur l'importance de la pérennité, du besoin de disposer d'un plan stratégique qui s'applique en longue période pour que nous n'ayons pas à dépendre de l'énergie momentanée de ces champions. Je pense ici à des pays comme la Nouvelle-Zélande qui ont un plan stratégique sur dix ans, qui a été signé par tous les partis politiques. Dans ce pays, les enfants ne sont plus des pions entre les mains des politiciens, et ne font pas l'objet de négociations pour déterminer si le gouvernement va tenir le cap ou en changer. Dans ce pays des antipodes, tous les partis se sont ainsi engagés à venir en aide aux jeunes enfants.
L'absurdité de notre situation est que la plupart des éléments dont je viens de vous parler, qui sont appliqués États- Unis et en Nouvelle-Zélande, ne le sont pas au Canada. Seulement 12 à 15 p. 100 de tous les enfants d'âge préscolaire ont de la place dans les établissements préscolaires détenteurs d'un permis au Canada. Cette diapositive traite précisément de la Colombie-Britannique, mais les pourcentages sont les mêmes dans l'ensemble du pays.
Que ce soit dans les garderies ou dans les programmes de préparation à la maternelle, nous n'offrons pas assez d'activités préscolaires de grande qualité à nos tout-petits. Nous ne touchons qu'une faible minorité. Je suis gêné lorsque je participe à des conférences internationales. Je me rends dans d'autres pays industrialisés, comme ceux qui sont membres de l'OCDE, dont les rapports ont montré la même chose. Le Canada n'a consacré que 0,2 p. 100 de son produit intérieur brut aux jeunes enfants alors que, dans des pays comme l'Italie, la Norvège et la Suède, ce pourcentage avoisine les 2 p. 100. Nous sommes un pays riche, mais nous ne consacrons qu'une petite partie de cette richesse à nos jeunes enfants.
J'ai suggéré au gouvernement de la Colombie-Britannique de modifier les choses en effaçant tout simplement des parties de texte de la School Act. Cette loi précise actuellement que le gouvernement doit offrir des programmes aux enfants à compter de l'âge de cinq ans. Je lui ai proposé de le modifier. Commençons par élargir les programmes gratuits et universels, que nous avons à la maternelle, en en faisant bénéficier les enfants de quatre ans. Il y a en Ontario des maternelles pour petits. Dans une large mesure, le Québec a des programmes préscolaires, des services de garderie et l'Alberta offre des services destinés à la petite enfance, mais ce sont là plutôt des exceptions que la règle dans l'ensemble du pays.
Nous devons commencer à préparer un plan stratégique canadien qui tienne compte de la diversité de ce pays, de ses dimensions multiculturelles et de son histoire. Vous ne pouvez pas lire les détails ici, mais j'ai essayé d'insister auprès du ministère de l'Éducation de la Colombie-Britannique sur le fait qu'il n'est pas possible de tout faire en une seule fois, mais qu'il faut bien commencer. Commençons par préparer un plan, une carte routière, comme si nous utilisions MapQuest. Comment pouvons-nous nous doter d'un programme universel de grande qualité pour la petite enfance? Et que pourrions-nous faire l'année suivante? Comment pouvons-nous commencer à élaborer les programmes dont nos enfants ont besoin?
Je terminerai avec ce graphique de mon collègue Clyde Hertzman, le directeur du Human Early Learning Partnership. Il nous arrive souvent d'opposer à tort deux arguments. Nombreux sont ceux qui affirment que nous devrions commencer en ciblant les enfants les plus malheureux. D'autres disent que nous devrions commencer par mettre en place des mesures universelles répondant aux besoins de tous les enfants. Je suis d'accord avec les deux. Nous devons disposer de certains programmes universels, comme des programmes de garderie et d'éducation préscolaire universels, mais nous ne pouvons pas non plus ignorer le fait qu'il y a des enfants qui sont confrontés à des défis particuliers.
Au Canada, nous avons le Programme d'aide préscolaire aux Autochtones. Je viens tout juste de terminer l'analyse d'une partie des données de 14 programmes relevant de celui-ci en Colombie-Britannique. On relève des différences importantes. Les enfants autochtones âgés de 3 et de 4 ans qui ont suivi ces programmes d'aide préscolaire sont maintenant beaucoup mieux préparés à l'école.
Il faut aussi se doter de programmes cliniques pour les enfants qui ont des besoins particuliers. Je tiens à affirmer que nous pouvons et nous devrions mettre à la disposition de nos enfants les meilleurs programmes possibles qui feront une différence.
Je me ferai maintenant un plaisir de répondre aux questions que vous pourriez avoir ou aux commentaires que vous voudriez faire.
Stuart Shankar, professeur, président, Council for Early Child Development : À titre de président de ce conseil, permettez-moi de dire combien j'appuie tout ce que M. Goelman vient de dire. J'ignore si vous le savez mais M. Fraser Mustard a pris sa retraite en septembre et m'a demandé de prendre la suite. Nous sommes là au cœur du rêve de M. Fraser pour le Canada.
Nos connaissances des origines de la santé mentale et de la santé physique sont en pleine révolution. Je suis d'accord avec le président pour dire que le Canada se trouve dans une situation unique pour nous permettre de capitaliser sur cette explosion de connaissances scientifiques.
Je vais débuter par ce graphique pour une raison bien précise. Cet équipement a été mis au point il y a une dizaine d'années. Nous avions alors un problème réel en neuroscience du développement. Nous ne pouvions en effet observer le cerveau d'un tout jeune enfant que lorsque sa vie était menacée. Un Américain, Don Tucker, a conçu ce système. Il s'agit pour l'essentiel d'une version améliorée d'un électroencéphalogramme, mais il est si puissant que, en utilisant les modèles informatiques qui conviennent, on peut observer ce qui se passe en profondeur dans le cerveau. Nous pouvons maintenant le faire d'une façon non invasive sur tout enfant à partir de la naissance mais nous pouvons de plus le faire simultanément sur un aidant qui interagit avec son bébé.
Nous avons maintenant la possibilité de voir comment le cerveau se développe réellement. C'est là quelque chose d'extraordinaire pour nous parce, dans notre institut, nous étudions entre autres les enfants qui souffrent de certains troubles du développement, psychologiques ou de comportement. Nous voulons savoir, avec toutes les interventions que nous faisons auprès des jeunes enfants, si nous intervenons dans certaines parties du cerveau qui sont en bon état ou si nous aidons réellement le cerveau à guérir. Aidons-nous les enfants à établir des connexions manquantes ou défaillantes pour leur permettre de reprendre une trajectoire saine de développement neurologique?
Nous apprenons deux choses. Tout d'abord, nous sommes capables de le faire. Nous pouvons ramener des enfants vers un cheminement de développement sain. Nous ne savons pas encore dans quel pourcentage nous allons y parvenir, mais il devrait se situer aux alentours de 50 p. 100. Je ne veux pas faire preuve d'un optimisme exagéré.
La seconde chose que nous apprenons est que plus rapidement nous pouvons nous occuper d'un enfant et plus nos interventions sont efficaces. M. Michael Kramer et moi parlions de ces questions en attendant l'ouverture de la séance. Il me faisait remarquer qu'il semble y avoir un genre de fenêtre. Celle-ci ne se ferme pas mais il devient de plus en plus difficile quand le temps passe pour nous d''intervenir de façon efficace avec ces très jeunes enfants. Actuellement, nos recherches semblent indiquer que cet âge se situe entre trois et cinq ans.
Il est passionnant que le Canada soit devenu l'un des leaders dans le monde dans l'élaboration de protocoles repérant de façon fiable les bébés ayant des problèmes à l'âge de 12 mois. Je connais les gens qui travaillent sur ce sujet et ils vont ramener ce délai à six mois. Tout ce que je peux dire est que, en travaillant avec un bébé âgé de 6 à 12 mois, il faut beaucoup moins d'effort pour ramener le cerveau sur la bonne voie, pour que les connexions nécessaires se forment.
Les scientifiques cherchent, alors que nous essayons de dessiner le portrait de la santé de la population au XXIe siècle, est d'insister sur la prévention. Nous voulons savoir si nous sommes en mesure de détecter ces problèmes rapidement et de prendre des mesures efficaces, qui sont relativement rentables, pour empêcher que cela ne devienne un problème grave. Les problèmes dont je parle vont de l'autisme et des troubles d'hyperactivité avec déficit de l'attention jusqu'au trouble du comportement et à la dépression, en passant par toute une gamme de troubles physiques comme l'obésité et les troubles de l'immunodépression.
Tous les aspects de la santé ayant trait au développement, à la psychologie, au comportement et à la santé physique s'efforceront de détecter rapidement les signes de difficulté ou de risque et de prendre alors les mesures correctrices qui conviennent.
Cette révolution s'accompagne d'un second élément important dont vous devez être informés. Lorsque j'étais étudiant, on nous enseignait que tout ce qui arrive à un enfant ou à une famille est le résultat de leurs gènes. Si les membres d'une famille ont des problèmes cardiaques, souffrent de dépression, de troubles bipolaires, ont de faibles revenus ou une intelligence médiocre, c'est à cause de leurs gènes qui ont été transférés de génération en génération. Ce modèle brut que l'on appelait le déterminisme génétique a été renvoyé aux oubliettes.
Les Canadiens ont joué un rôle déterminant dans ce domaine. Michael Meaney a eu un rôle de leader dans le monde en expliquant comment il est exact que l'on observe des prédispositions génétiques qui se transmettent dans les familles, mais qu'il faut des contextes particuliers pour déclencher ou empêcher l'apparition de ces problèmes génétiques. C'est là le premier point.
Le second point important est que ces éléments génétiques sont liés à des manifestations infimes de nos caractéristiques biologiques. Il n'y a donc pas un gène qui détermine l'intelligence ou un autre qui est à l'origine de la dépression. L'influence de gènes est très faible dans notre biologie, et ce n'est qu'associée à certains types d'expériences qu'elle aboutit aux problèmes de santé que nous observons.
C'est là la signification des diapositives que je vous ai présentées : la nature et l'éducation. Nous observons maintenant qu'un enfant n'est pas prédestiné à être en mauvaise santé, déprimé ou quoi que ce soit d'autre. Nous pouvons modifier, de façon sensible la trajectoire de l'enfant si nous pouvons détecter les risques.
Ce sont les genres de choses qui obéissent à la génétique. Ce sont les genres de difficultés qui peuvent aboutir à divers troubles de santé mentale ou physique que nous voyons aujourd'hui. Ce sont des indices de faible niveau. Je vais vous donner un exemple.
Pour chacun d'entre nous, il y a dans cette pièce des choses que notre système sensoriel aime et n'aime pas. C'est ainsi que, à mes yeux, c'est une pièce très agréable parce que vous y disposez d'une lumière naturelle. Ma sensibilité à la lumière est un peu faible, ce qui fait que je ne supporte pas les éclairages fluorescents et que j'ai besoin de beaucoup de fenêtres. Je suis par contre, hypersensible aux sons et je n'irais jamais écouter un concert rock. Chacun de vous a ses propres sensibilités, avec des choses qu'il aime et qu'il n'aime pas. Par contre, tout au long de votre vie, vous avez appris à gérer votre profil sensoriel. Aujourd'hui, nous observons une hausse importante du nombre de jeunes enfants ayant des problèmes sensoriels qui vont au-delà des frontières de la normalité. Ils sont si sensibles à la lumière ou au son que ceux-ci ont des effets néfastes sur eux.
Je ne traiterai pas de ce sujet aujourd'hui. Nous avons diverses hypothèses sur l'origine de ces problèmes. Toutefois, nous pensons qu'il y a une raison pour le nombre élevé de cas que nous observons avec divers troubles mentaux et physiques. C'est là un domaine problématique. Si vous avez des questions dans ce domaine, nous pourrons y revenir plus tard.
Le point essentiel ici est que deux modèles se font concurrence aujourd'hui dans le monde scientifique. L'ancien modèle, que l'on peut qualifier de médical, estimait que tout provenait des gènes. Le nouveau modèle en est un de cheminement qui estime que les enfants viennent au monde avec diverses inclinations ou faiblesses au traitement sensoriel ou de l'information, et que la nature des expériences auxquelles ils sont exposés, alliés à cette propension ou à ces faiblesses donnera tel ou tel problème de santé. Nous voulons étudier les nouveau-nés et les jeunes enfants pour voir si l'on peut observer chez eux ces types de compromis biologiques et intervenir ensuite comme il convient pour aider l'enfant à corriger les faiblesses de n'importe quel système, tout en utilisant les systèmes qui sont efficaces pour déclencher des interactions.
Le développement d'un cerveau sain repose pour l'essentiel sur les interactions entre l'aidant et l'enfant. C'est ce qui pousse le cerveau au développement. C'est aussi simple que cela. Si une caractéristique biologique nuit à ces interactions entre l'aidant et l'enfant, nous verrons les problèmes apparaître par la suite. Nous essayons aujourd'hui de cibler ces problèmes dès que nous les voyons et d'aider l'enfant à développer sa propre biologie pour déclencher les interactions en question.
Si vous réfléchissez à ceci, vous allez constater que ce que je vous dis, tout comme M. Goelman, est que les parents doivent être la cible prioritaire de toute mesure de prévention en santé. Tout programme qui veut réussir doit s'appuyer sur le rôle des parents et leur fournir les outils nécessaires pour affronter ce type de défis, et pas uniquement dans leur dimension biologique, mais également en tenant compte de l'évolution du stress et des modèles de comportement de la société du XXIe siècle.
Nous parlons au Conseil de nous doter du genre de ressources que M. Goelman décrivait dans le contexte préscolaire, qui permettent aux parents de disposer des outils nécessaires pour être essentiellement des véhicules efficaces pour le développement sain de leurs enfants. Je ne sais pas si j'ai été clair, mais c'est là le principe de base.
Mon partenaire, M. Stanley Greenspan, et moi avons réalisé une étude pour le Center for Disease Control and Prevention d'Atlanta. Nous voulions connaître la gravité du problème aujourd'hui. Nous avons constaté qu'environ 17 p. 100 de la population des régions urbaines des États-Unis fait preuve de troubles cliniques d'un genre ou d'un autre. Cela correspond à nos données pour le Canada. Ce que nous avons trouvé de plus surprenant est qu'environ 20 p. 100 de ces enfants étaient confrontés à ce que nous appelons un défi fonctionnel ou un problème biologique qui aurait probablement pu être résolu si nous nous en étions occupés plus tôt. Ce pourcentage de 20 p. 100, quand ils entrent à l'école, correspond aux enfants qui ne se feront jamais d'amis et qui ne comprendront jamais ce que l'enseignant essaie de dire. Ce ne sont pas pour autant des enfants mauvais ou fainéants, mais il se peut qu'ils ne traitent pas cette information. Ils peuvent ne pas comprendre que l'enseignant s'efforce de retenir leur attention.
Ce dernier point fait peur. Un quart des enfants que nous voyons maintenant ont souffert de dépression à un très jeune âge. Ils souffrent de troubles affectifs. Ce sont là des problèmes qui, pratiquement, peuvent être sensiblement atténués si vous pouvez vous occuper de l'enfant avant qu'il n'ait trois ans. Cela devient beaucoup plus difficile à partir du moment où il va à l'école.
Environ 62 p. 100 de la population des centres urbains — cette étude porte uniquement sur les milieux urbains — va à l'école avec des problèmes dont la gravité varie beaucoup mais qui auraient pu être empêchés ou réduits sensiblement. C'est ce que nous essayons de faire dans notre étude.
L'avenir se dessine exactement comme l'a dit M. Goelman. Nous voulons voir le genre de centres qu'il a décrit. Nous voulons voir de telles expériences préscolaires. Nous avons également besoin de faire de la formation. Il a indiqué qu'il veut voir des éducateurs de la petite enfance ayant suivi un programme de formation de quatre ans. Les meilleurs programmes que nous pouvons examiner, ceux de Nouvelle-Zélande et de Cuba, imposent un minimum de quatre ans de formation avec un encadrement constant. Il est intéressant d'observer que cette formation englobe la pédiatrie du développement, c'est-à-dire tout ce dont j'ai parlé, la psychologie du développement, un peu de neuroscience du développement et la collaboration avec papa et maman parce que, pour que ces programmes de santé soient efficaces, nous devons penser à formuler tout ce que nous savons en des termes compréhensibles, et assimilables par les parents, qu'ils puissent mettre en pratique. Il ne faut pas être didactique. Il ne s'agit pas de donner des conférences à des parents. Au lieu de cela, il nous faut des contextes dans lesquels nous pouvons surveiller étroitement les enfants afin de détecter les problèmes dès qu'ils apparaissent et de permettre aux parents d'acquérir les compétences dont ils ont besoin pour s'attaquer à ces constrictions, quelle que soit leur nature.
Le président : C'était fascinant, monsieur Shankar. Je connais le Dr Mustard depuis plus de 40 ans. En vérité, j'ai collaboré avec lui dans le domaine scientifique à l'époque où il était spécialisé dans les plaquettes.
M. Shankar : C'est ce qu'on m'a dit.
Le président : Je dois dire qu'il a encore été une fois brillant en vous demandant de le remplacer quand il s'est retiré de ce domaine. J'aurais quelques questions intéressantes pour vous par la suite, mais je ne veux pas paralyser tout le comité.
Notre prochain témoin, fort intéressant aussi, est le Dr Michael Kramer, directeur scientifique de l'Institut du développement de la santé des enfants et des adolescents de l'Université McGill et associé, bien sûr, aux Instituts de recherche en santé du Canada.
Dr Michael Kramer, directeur scientifique, Institut du développement et de la santé des enfants et des adolescents, Instituts de recherche en santé du Canada : Je vous remercie, mesdames et messieurs les sénateurs, de cette occasion de vous entretenir aujourd'hui. Outre mon poste aux Instituts de recherche en santé du Canada, que j'occupe depuis quatre ans, j'ai également passé trois décennies à faire activement de la recherche dans le domaine de la santé des mères et des enfants. Vous ne serez donc pas surpris que mes priorités soient différentes de celles de mes deux prédécesseurs de cet après-midi. Je vais mettre l'accent sur les besoins en recherche dans le domaine de la santé des enfants et des jeunes, et plus précisément, non pas sur ce que nous savons, mais sur ce que nous ne savons pas.
Je vais vous répéter une grande partie de ce que j'ai déjà dit au Sommet sur la santé des enfants qui a eu lieu il y a environ un mois, ici à Ottawa. Ce sommet était organisé en partenariat par l'Association médicale canadienne, la Société canadienne de pédiatrie et le Collège des médecins de famille du Canada. Ces commentaires sont également résumés dans cette brochure dont j'ai laissé un certain nombre de copies à votre greffier, qui va plus en détail que je n'aurai le temps de le faire aujourd'hui.
Si je souscris pleinement à l'importance du développement du cerveau et du comportement sur lesquels ont insisté mes deux collègues, mes commentaires seront un peu plus vastes en englobant toute une gamme de problèmes de santé qui touchent les enfants et les jeunes. Je vais les traiter sous quatre titres, soit l'environnement social, l'environnement physique, l'obésité et l'inactivité physique, et enfin les blessures.
Je place l'environnement social au premier rang, non seulement parce que c'est l'un des thèmes centraux du mandat du sous-comité, mais aussi parce que je crois que c'est le plus important facteur affectant aujourd'hui la santé des enfants et des adolescents du Canada et des autres pays industrialisés. Je ne vais pas vous surprendre en vous disant qu'un enfant canadien sur six vit en dessous du seuil de la pauvreté selon Statistique Canada et que les enfants qui se trouvent dans cette situation sont exposés à des risques plus élevés de toute une gamme de problèmes de santé, y compris de certains mentionnés par mes deux collègues comme l'hyperactivité, les troubles émotifs et l'échec scolaire, mais que cet état conduit également à des comportements malheureux pour la santé comme une mauvaise alimentation, l'inactivité physique, une stimulation insuffisante, l'exposition à la violence, l'absence de bons modèles de rôles familiaux et de voisinage et des écoles médiocres.
La situation des communautés autochtones est encore pire que celle des zones pauvres en milieu rural ou urbain dans le reste du pays. Par exemple, le taux de tabagie chez les adolescents des Premières nations du Canada vivant sur des réserves est de 3 à 4 fois plus élevé que chez les adolescents non autochtones.
Voilà ce que nous savons, mais nos connaissances présentent encore de grandes lacunes. L'une des plus grandes lacunes est l'absence de données sur les effets que les programmes de garderie, ou d'autres programmes destinées aux jeunes enfants, peuvent avoir sur le développement du cerveau et sur le comportement. Comme l'ont indiqué mes collègues, on a fait beaucoup de recherches dans ce domaine en procédant à des interventions à grande visibilité dans plusieurs contextes de recherche, mais quand on examine comment cela s'est concrétisé dans les garderies, par exemple, à travers l'ensemble du pays, on observe que c'est la plus vaste expérience non contrôlée jamais réalisée sur des enfants canadiens.
Nous devons en savoir plus sur ses effets, bénéfiques et néfastes, et nous devons en particulier savoir comment des éléments comme l'âge auxquels les enfants commencent à fréquenter la garderie, le type de structures de garderie et les caractéristiques qui font qu'il s'agit de bonnes ou de mauvaises garderies contribuent à ces effets.
Nous devons également en apprendre plus sur les facteurs de risque, liés à la collectivité et à la famille, pour la santé mentale et la toxicomanie des enfants et des adolescents. Bien qu'un grand nombre de programmes de santé publique aient été élaborés avec les meilleures intentions afin d'améliorer le développement des enfants, nous devons appliquer à ces programmes des normes d'évaluation strictes, d'un point de vue scientifique, afin de pouvoir élargir ou renforcer ceux dont il est démontré qu'ils ont un effet bénéfique, et mettre un terme à ceux qui s'avèrent inefficaces ou nuisibles. C'est là un thème sur lequel je reviendrai de façon récurrente dans la suite de mes commentaires.
Bien que je croie que l'environnement social soit de première importance, si vous demandez leur avis aux enfants et aux adolescents canadiens, et à leurs parents, ils placent systématiquement l'environnement physique au premier rang de leurs soucis en matière de santé. Que cela soit justifié ou non, le Canada doit se donner les moyens de savoir quels sont les multiples risques d'exposition physique et chimique pouvant affecter, à court ou à long terme, la santé et le développement des fœtus, des nourrissons, des enfants et des adolescents canadiens.
Que savons-nous déjà? Nous savons que l'embryon, le fœtus et le nourrisson en cours de développement sont particulièrement vulnérables aux éventuels effets néfastes des dangers environnementaux. Qui plus est, les comportements des nourrissons et des enfants — ramper, se mettre des objets dans la bouche — les amènent en contact étroit avec des substances potentiellement toxiques et accroissent leur exposition à ces substances. Nous savons aussi que les dommages causés durant ces périodes de développement critiques peuvent être irréversibles, et entraîner de problèmes à long terme. Là encore, les enfants autochtones et les enfants vivant dans la pauvreté présentent des risques accrus d'expositions aux dangers environnementaux.
Nous savons qu'il y a eu beaucoup de changements au cours des dernières décennies dans la construction, l'isolation, le chauffage et la ventilation des maisons canadiennes, et que ces modifications ont eu des effets sur la qualité de l'air intérieur des maisons canadiennes. C'est là que les bébés et les jeunes enfants passent la vaste majorité de leur temps.
Que devons-nous apprendre dans ce domaine? Même si la probabilité qu'un quelconque agent physique ou chimique ait un effet nuisible est faible, nous devons en savoir plus sur les effets que de faibles expositions à tout un éventail de substances toxiques peuvent avoir sur le développement de l'embryon, du fœtus ou du nourrisson, et, notamment, sur les risques d'anomalies congénitales ou d'issue défavorable de la grossesse, ainsi que sur leurs possibles effets à long terme sur le développement du cerveau et sur le comportement. Une fois ces lacunes comblées, nous pourrons appliquer ces connaissances nouvellement acquisses à la réglementation de la qualité de l'air, de l'eau, des aliments, et d'autres produits de consommation, afin de réduire les risques d'exposition aux substances nuisibles, et rassurer le public sur ceux qui n'ont pas d'effets néfastes.
Nous devons également savoir si les modifications récentes à la qualité de l'air intérieur, dont j'ai déjà parlé, jouent un rôle dans les épidémies d'asthme et d'allergies que nous observons, tout comme les autres pays industrialisés. Si tel est le cas, nous pourrons réduire l'exposition aux substances chimiques, aux moisissures et aux allergènes, dont il est démontré qu'ils accroissent les risques d'asthme ou d'allergies en établissant de nouvelles normes de construction, d'isolation et de ventilation des foyers canadiens.
Je suis sûr que le sous-comité a dû, à de nombreuses reprises, entendre parler de l'épidémie d'obésité qui sévit dans la population canadienne et, notamment, chez les enfants et chez les adolescents. Vous avez également peut-être appris que, pour la première fois dans l'histoire du pays, les enfants canadiens risquent d'avoir une espérance de vie inférieure à celle de leurs parents. Comme nombre de mes collègues, je suis d'avis que cette épidémie d'obésité, d'inactivité physique et de diabètes de type 2, ne peut être jugulée que dans le cadre d'actions sociales et collectives, et non dans le cadre de l'éducation publique, ou d'interventions ponctuelles auprès des enfants et de leurs parents. Nous devons adopter le même type d'approche sociétale coordonnée que dans les cas du tabac, des ceintures de sécurité automobiles, et des casques pour les cyclistes. Nous devons en apprendre plus sur les particularités des quartiers, des collectivités et des régions où prédominent les risques d'obésité et les modes de vie sédentaire, puis élaborer et mettre à l'essai, au niveau des foyers, des écoles et de la collectivité, des mesures d'incitation et d'intervention visant à réduire l'apport énergétique et à accroître l'activité et la condition physiques.
Le quatrième et dernier thème que je souhaite aborder en matière de santé des enfants et des adolescents canadiens est celui des blessures, tant intentionnelles que non intentionnelles. Comme vous le savez très probablement, les blessures constituent la première cause de décès et de handicap chez les enfants et chez les adolescents canadiens. Les principales causes de blessures non intentionnelles sont les collisions de véhicules motorisés, bien que le nombre des chutes, ou autres blessures sur les terrains de sport ou de jeu, des noyades, des blessures liées au feu et des empoisonnements soit également important. Outre le nombre élevé des décès, plus de 25 000 enfants canadiens de moins de 14 ans sont hospitalisés chaque année en raison de blessures graves. Toutes ces blessures ne sont pas non intentionnelles. La violence envers les enfants, au cours des dernières années, a fait l'objet d'une sensibilisation du public, mais nous ne savons pas si cette dernière a eu une incidence sur l'augmentation du nombre des cas signalés. Ce que nous savons par contre, c'est que les sévices physiques et sexuels peuvent avoir des répercussions profondes et durables sur la santé et le bien-être mentaux. Le suicide, qui constitue une autre cause majeure de blessures intentionnelles, se classe, juste après les accidents de véhicules motorisés, au deuxième rang des causes de décès chez les Canadiens âgés de 15 à 24 ans. Une fois encore, le problème est plus sévère chez les adolescents canadiens autochtones, qui ont cinq à six fois plus de risques de se suicider que les adolescents canadiens non autochtones.
Que devons-nous savoir dans ce domaine? Nous devons concevoir et mettre à l'essai des dispositifs améliorés de retenue des enfants dans les automobiles, et nous assurer qu' ils sont correctement utilisés, et faire de même pour les équipements des terrains de jeux et de sport. Nous devons également en apprendre davantage sur les facteurs de risque qu'il est possible de modifier concernant la maltraitance et le suicide chez les enfants et chez les jeunes. Enfin, de nombreux soi-disant « programmes de prévention » des blessures et du suicide ont été lancés, et ce, avec les meilleures intentions, mais leur efficacité n'a encore jamais fait l'objet d'aucune évaluation rigoureuse.
Je conclurai en disant que le Canada pourrait devenir un leader mondial en santé des enfants, mais que nous devons d'abord combler les écarts, et pas uniquement les écarts entre ce que nous savons et ce que nous faisons, mais également les lacunes dans nos connaissances. En d'autres termes, nous devons entreprendre plus de recherches, et de meilleures recherches. Notre pays doit investir plus, et avec plus de discernement, qu'il ne l'a fait jusqu'à présent. Le Canada dépense d'énormes sommes d'argent en programmes de santé publique pour les enfants et pour les adolescents dans les quatre domaines que j'ai abordés, mais ce, sans savoir véritablement si ces programmes produisent les effets désirés. Il est difficile d'interrompre de tels programmes, une fois qu'ils ont été lancés. Nous ne nous donnons pas les moyens de savoir quels programmes fonctionnent ou ne fonctionnent pas, ni de nous assurer que l'argent des contribuables est utilisé à bon escient.
Je vous remercie de m'avoir offert cette occasion de vous faire part de mes commentaires. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions ou de réagir à vos préoccupations.
Le président : Merci.
L'une des choses sur lesquelles le Dr Mustard a insisté les dernières fois où j'ai eu l'occasion de lui parler est que nous avons dû remonter avant la naissance et commencer à réfléchir au développement intra-utérin au point que cela nous coûte très cher maintenant. La réunion médicale de la fin de semaine dernière a été très intéressante. C'est ainsi que l'une des choses que l'on découvre maintenant, à laquelle j'ai consacré ma vie est que les maladies cardiaques, et en particulier les maladies cardiaques congénitales, sont pour l'essentiel un effet de la mauvaise nutrition de l'enfant quand sa mère le portait. Le cœur ne peut pas grossir, on voit des trous y apparaître, des valves marchent mal, et cetera parce que les éléments nutritifs qui permettent la croissance normale du cœur ne sont pas présents. Cela fait bien sûr longtemps que nous avons entendu dire cela, en particulier en santé mentale, et au sujet de quantités d'autres troubles comme le syndrome de l'alcoolisme fœtal, et cetera.
Je soulève cette question parce que j'aimerais que le sous-comité entende certains vrais spécialistes dans ce domaine. Il ne semble pas qu'il se passe grand-chose dans ce domaine au Canada actuellement. Avant que vous ne partiez, si l'un d'entre vous connaît des personnes compétentes travaillant n'importe où dans le monde dans ce domaine, veuillez, s'il vous plaît, me le dire. Je vais maintenant donner la parole aux autres sénateurs.
Aimeriez-vous formuler un commentaire? Sentez-vous libre de le faire.
M. Shankar : Nous pourrons vous donner plus tard les noms de quelques scientifiques canadiens qui font ce type de recherches.
Le président : Si vous voulez entrer davantage dans les détails et faire des commentaires sur ces questions, faites-le, mais le sénateur Pépin a également quelques questions à poser.
Le sénateur Pépin : Je vous remercie d'être venus. Je vais essayer de m'exprimer en anglais pour éviter d'avoir à passer au français.
Les trois exposés que nous avons entendus étaient très intéressants et nous aiderons à rédiger nos recommandations. Ma première question est destinée à M. Shankar.
Vous avez indiqué qu'il est dorénavant possible d'examiner le cerveau d'un enfant, à compter de l'âge de 6 ou de 12 mois, ou peut-être entre quatre et six mois. Combien de centres médicaux ou d'hôpitaux disposent de la technologie dont vous parlez?
Nous savons que ces enfants doivent probablement être référés par un médecin pour accéder à ce service. Comme la majorité des parents ignorent que cette technologie existe, cela veut-il dire qu'ils vont vous voir parce qu'ils ont le sentiment que leur enfant est malade ou parce qu'ils vous sont référés par un médecin? Où cette technologie est-elle disponible? Est-elle couverte par l'assurance-maladie? De quel type d'environnement avons-nous besoin pour empêcher ceci? Que devrions-nous faire pour disposer de ce genre de technologie dans tous les hôpitaux du pays?
M. Shankar : Toutes vos questions sont fort intéressantes. Puis-je vous raconter comment le Dr Mustard a réussi à me convaincre de prendre sa suite?
C'est une question importante sur laquelle le Dr Kramer a mis le doigt. Dans l'institut dans lequel je travaillais à York, nous recevions cinq millions de dollars d'une fondation privée. J'ai dépensé 60 000 $ par an pour chaque enfant venu dans ma clinique. Les enfants ont besoin d'au moins deux ans pour retirer les avantages du traitement, parfois trois ou quatre, et il en coûte donc entre 120 000 et 250 000 $ pour un enfant.
Le Dr Mustard m'a convoqué dans son bureau et m'a demandé combien d'enfants je peux traiter et comment il serait possible d'adapter cela à un programme s'appliquant à l'ensemble de la population du pays, parce que vous ne pouvez pas faire ce que nous faisons, n'est-ce pas? Y a-t-il une façon pour nous de faire appel aux connaissances scientifiques et de les convertir en un modèle que nous ne pourrions pas appliquer sur une base de population.
Ce dont nous avons parlé avant le début de la réunion, était que le Dr Mustard a eu des réunions à Cuba depuis plusieurs années. En 1961, Castro a mis sur pied des garderies et a fait précisément ce que le Dr Kramer indiquait comme nécessaire à faire. Il a demandé aux scientifiques de son pays d'examiner l'objet en précisant qu'il ne s'agissait pas là simplement d'une occasion pour maman d'avoir un travail. C'est là une expérience sur les enfants, et vous devez donc étudier tous les aspects de leur vie.
Les Cubains ont fait ceci. J'ai lu les documents. Ils les ont étudiés soigneusement et ont obtenu de très bons résultats.
Au milieu des années 1980, Castro a demandé s'il était possible de passer de l'étape des garderies et des jardins d'enfants, qui ne desservaient qu'environ 20 p. 10 de la population, à un programme touchant l'ensemble de la population? Il en fait le grand défi de la fin des années 1980 pour tous les scientifiques et les pédiatres faisant du travail de développement. Ils ont commencé à étudier comment utiliser éventuellement les parents comme notre première ligne pour transmettre les connaissances cliniques et fournir les services cliniques dont nous disposons dans mon institut.
Ils ont aujourd'hui un programme totalement bénévole auquel le taux d'adhésion est de 99 p. 100. En d'autres termes, tous les habitants du pays sont couverts par ce programme. Ils ont pris leurs cliniciens et leurs éducateurs de la petite enfance et les ont formés à faire tout ce que je fais, et ont ensuite commencé à se demander s'il leur était possible de simplifier le tout et de produire des documents et de fournir l'information dans une présentation compréhensible par tous. Il s'est avéré que ce n'et pas si difficile que cela.
Nous utilisons ces tests sophistiqués pour étudier nos enfants, et les cliniciens demandent aux parents si leur enfant de quatre ou six mois est à l'origine d'interactions. C'est brillant. Une chose que nous savons est qu'un enfant ayant des problèmes peut bien réagir s'il évolue dans un contexte riche en affection. Si vous travaillez avec l'enfant pour l'amener à agir, mais que l'enfant ne prend pas d'initiative. À la fin de la journée, c'est cette absence de prise d'initiative qui peut laisser entrevoir un problème éventuel par la suite.
Maintenant, l'éducateur de la petite enfance collabore avec maman et avec papa qui disent que l'enfant est heureux, mais ils leur demandent s'il prend des initiatives à la maison. Nous sommes rendus là au point où papa et maman observent les comportements auxquels nous consacrons nos études. Les parents reviennent la semaine suivante et nous disent que, en pratique, l'enfant ne prend pas d'initiative.
Et maintenant, que faits-vous? Nous avons dépensé beaucoup d'argent à former des cliniciens et le problème est qu'un clinicien ne peut jamais faire aussi bien qu'une mère ou qu'un père. Il y a de nombreuses raisons à cela. Il y a un effet de dose et l'intimité que l'on a avec un père et une mère. Chacun de nous a également des façons idiosyncrasiques de communiquer, comme je le fais maintenant. Les enfants comprennent les attitudes non verbales de leur mère et de leur père mais ont de la difficulté à interpréter des gestes similaires des autres.
Nous n'avons pas été impressionnés par notre performance dans notre clinique, et nous avons lors invité les parents à y venir, et nos cliniciens sont dorénavant simplement des instructeurs qui essaient d'insuffler des connaissances aux parents. C'est ce que Cuba a fait à l'échelle nationale et avec un budget minime.
Quels sont les résultats? Je vais vous en donner un. Nous procédons actuellement à une vaste étude sur ce qui se passe à Cuba. Nous avons au Canada un taux d'autisme de 0,66. Il se peut qu'il ne soit pas aussi élevé que cela parce que beaucoup de diagnostics erronés sont posés. Quoi qu'il en soit, le taux d'autisme est passablement élevé. Un enfant sur 151 est autiste. Cuba fait état de 0,042 p. 100.
J'ai examiné les données de Cuba. Elles ont l'air plutôt bonnes. La seule façon pour nous de le vérifier est d'y aller et d'analyser nous-mêmes la situation. Ils nous ont autorisés à le faire. Il semble que, en faisant appel aux parents, vous pouvez détecter des problèmes beaucoup plus jeunes et soit empêcher le problème de se manifester, soit l'atténuer de façon importante, jusqu'à un niveau où l'enfant est en mesure de fonctionner normalement dans un contexte scolaire.
Cela répond-il à vos questions sur la façon dont nous envisageons de procéder? En tout cas, c'est ce que nous faisons et les résultats ont été bons avec les parents et les enseignants. Il n'est pas possible de procéder de la même façon que je le fais à York; c'est trop coûteux.
Le sénateur Pépin : Y a-t-il un centre fonctionnant de cette façon actuellement?
M. Shankar : Il y a environ trois centres au pays.
Le sénateur Pépin : Je réalise fort bien que nous devons éduquer les parents. Nous avons travaillé sur les garderies pendant tant d'années. Je siégeais à la Chambre des communes au début des années 1980 et je me battais alors en faveur de ces garderies. Nous pourrons peut-être éduquer les parents quand les enfants vont à la garderie, parce que c'est là une occasion de les joindre.
M. Shankar : J'aimerais poursuivre dans le prolongement de ce que disait le Dr Kramer. J'ai apprécié ce qu'il a dit des garderies. C'est une expérimentation sociale, mais personne ne l'a perçue comme cela. Les parents ont été éliminés du processus, et il n'y avait donc pas d'éducation parentale comme élément de base de tout ceci.
Quand nous examinons ce dont parlait le Dr Kramer, toutes ces toxines qui peuvent nuire au fœtus, à l'embryon et au nouveau-né, l'autre question dont nous commençons à nous inquiéter est que nous vivons aujourd'hui dans une société où près de 83 p. 100 de notre population vit dans des villes. La situation est très différente de celle du Canada, d'il y a 30 ou 40 ans.
Je vis à la campagne. Je vis sur une île et j'ai un enfant de cinq ans et un autre de deux ans. Ils sont heureux parce qu'ils peuvent aller dehors et qu'il n'y a pas de voitures. Lorsque j'amène mes enfants à Toronto, je constate qu'ils sont submergés par tout ce qu'ils découvrent et je les vois se replier sur eux-mêmes. Je me demande s'il ne s'agit pas là d'un autre élément de ce que décrivait le Dr Kramer, les agressions du milieu urbain sur un jeune cerveau et un jeune esprit en train de se développer, et je me demande ce qu'il en est de nos attentes envers nos enfants. Celles-ci sont très différentes de ce qu'elles étaient pour la dernière génération.
Le président : Docteur Kramer, nous ne voulons pas manquer cette occasion d'exploiter au maximum l'intervention du sénateur Pépin. Que pouvons-nous faire à l'avenir avec les parents?
Le sénateur Pépin : Quelle serait la meilleure façon?
Dr Kramer : Je ne suis pas sûr que nous le sachions. Certains principes généraux sur l'implication des parents semblent assez clairs. Nous ignorons beaucoup de choses sur ce que les parents devraient faire et quant à savoir ce que devraient faire les garderies, les enseignants et les autres, ils devraient non seulement optimiser le développement mais également tous les autres aspects de la santé des enfants. Nous avons cette double norme scientifique surprenante, qui veut que nous ne puissions mettre sur le marché un médicament, ce avec quoi je suis d'accord, sans avoir procédé à des essais aléatoires rigoureux. Cela veut dire qu'on traite quelques personnes souffrant de la maladie que ce médicament doit soigner, et en même temps nous mettons en œuvre tous ces programmes parce que c'est de cette façon que les cliniciens avaient l'habitude de procéder. Il semble que nous allons faire ceci et ceci parce qu'on a l'impression que cela devrait fonctionner. La norme scientifique pour un programme qui touche tous les enfants d'une collectivité ou d'un pays n'est pas aussi rigoureuse que celle que nous imposons pour les médicaments. C'est là une norme scientifique que je trouve difficile à défendre.
J'esquive votre question parce que je ne connais pas la réponse. Je crois que ces gens ont probablement une meilleure idée que moi sur ce que les parents devraient faire ou ne pas faire. Nous ne faisons pas un assez bon travail pour nous assurer que les programmes, qui sont financés et très difficiles à interrompre, ont en réalité les effets souhaités. Je ne parle pas du genre de recherches faites dans un laboratoire de recherche.
Le président : Si nous avions les réponses, nous ne travaillerions pas à ce projet d'une durée de deux ans. Nous justifions notre existence.
M. Goelman : J'ai réalisé en faisant mon exposé que je parlais des avantages pour les enfants. Si j'avais disposé de deux à cinq minutes de plus, je vous aurais parlé des avantages pour les parents et pour les familles également. Un bon service de garderie est un programme de soutien à la famille. Il apporte une aide cognitive, sociale et émotionnelle aux enfants. Nous avons des faits précis qui étayent cette affirmation. Les États-Unis ont réalisé de bonnes études longitudinales qui étudient les centres de garderie. Ceux-ci ont également un effet positif sur la famille. C'est un excellent moyen pour l'éducation de la famille, l'information sur la vaccination des enfants, la détection hâtive des handicaps et de tous les signaux avertisseurs que peuvent relever les gens qui prennent soin des enfants.
Nous observons qu'il y a certains résultats mesurables du développement des enfants, mais aussi en ce qui concerne le réseautage des familles dans la collectivité, avec les nouvelles familles de la région, et que cela permet, par exemple, de savoir qui est l'infirmière en santé publique du quartier. Un service de garderie a des effets d'entraînement, qui commencent à se manifester chez l'enfant mais qui vont au-delà. On dispose de bonnes données d'origine américaine et canadienne dans ce domaine.
Le sénateur Gustafson : J'espère que mes questions sont assez directes pour que nous ne nous enfermions pas ici dans la rectitude politique.
La société qui est la nôtre aujourd'hui demande aux parents de sortir de la maison. L'accent est mis sur les garderies. Vous avez rappelé que la prochaine génération ne vivra probablement pas aussi longtemps que la génération actuelle. Est-il possible de remplacer la mère ou le père à la maison? Je vous vois hocher la tête.
M. Goelman : Je ne le crois pas, et je crois qu'aucun d'entre nous ne serait partisan d'une telle solution. À nos yeux, la garderie ne remplace pas les parents mais leur vient en aide. On voit à la une du Globe and Mail d'aujourd'hui que le taux de chômage est plus faible qu'il ne l'a jamais été. Tout le monde travaille et nous sommes pris dans ce système. Cela ne va pas changer, mais il est important de prendre la question dans l'autre sens et de nous demander comment la garderie peut apporter un appui aux parents qui travaillent. Comment peut-elle apporter aux parents l'aide dont ils ont besoin?
Dr Kramer : J'ai deux remarques à faire. La première est que la prédiction voulant que les enfants d'aujourd'hui ne vivent pas aussi longtemps que leurs parents pourrait s'avérer inexacte. Il ne faut pas sous-estimer l'efficacité des percées médicales et scientifiques pour modifier une telle prédiction. Cela s'applique davantage à l'épidémie d'obésité. Il est certain qu'aujourd'hui les enfants sont beaucoup plus gros et beaucoup moins actifs que leurs parents l'étaient il y a une génération. À ce que nous savons, c'est un problème qui touche toute la société et, à moins que nous y apportions une solution, même s'ils vivent aussi longtemps que leurs parents, ils auront à subir beaucoup plus de problèmes de santé. Cette situation est critique. Ce problème est sans lien avec les garderies, avec le travail des mères ou avec l'évolution de la structure familiale.
Il me semble peu probable d'assister dans un proche avenir au Canada, ou dans tout pays industrialisé au renversement de la tendance voulant que les femmes retournent au travail rapidement après avoir donné naissance ni que des femmes et des enfants à un âge plus avancé et se consacrent à leur carrière avant d'avoir des enfants. Étant donné ces changements, il y a un certain nombre de choses que nous pourrions faire comme société pour améliorer la situation. La Suède, la France et d'autres pays européens ont adopté des législations beaucoup plus généreuses sur les congés de maternité que nous au Canada. Qu'il s'agisse des garderies ou de l'interruption de l'allaitement maternel, une question très importante pour le développement des enfants et pour leur santé, à trois mois parce que les parents doivent retourner au travail ou choisir entre le retour au travail et la perte de revenu. C'est là un problème dont le Canada pourrait et devrait s'occuper. Un grand nombre de pays ont connu plus de succès dans ce domaine. Nous ne pouvons pas inverser les grandes tendances sociétales mais nous pouvons apporter quelques améliorations à notre société qui contribueront à atténuer les effets néfastes de ces tendances.
Le sénateur Gustafson : J'ai une autre question et on connaît assez bien la réponse. Au Canada, nous concentrons notre population dans quatre grandes villes. Par certains côtés, c'est devenu un cauchemar politique. C'est là que se trouvent les électeurs et donc là que les députés portent avant tout leur attention et c'est la tendance.
Un pays comme le Canada ne devrait pas se comporter de cette façon. Nous avons un pays offrant beaucoup de grands espaces et de possibilités. Pensez-vous que cela a de répercussions sur le développement de la petite enfance et sur la vie des jeunes? Je suis agriculteur. Essayez de trouver quelqu'un pour venir travailler sur une ferme aujourd'hui? Vous n'y arriverez pas. Je suis prudent en disant ceci, parce que vous pourriez mal l'interpréter, mais vous voyez une personne qui a réussi et vous vous demandez comment elle y est arrivée? Elle y est arrivée parce qu'elle s'est heurtée aux dures réalités de la vie. Nous avons entendu hier soir en comité le sénateur Mahovlich qui nous expliquait pourquoi les meilleurs joueurs de hockey semblent venir des régions rurales du pays. C'est parce qu'ils se sont heurtés aux dures réalités de la vie. Nous étions des durs. Il a cité Gordie Howe, Bobby Hull et quelques-uns des plus grands athlètes de ce pays.
Est-ce que cela cadre ou non avec ce que vous disiez?
M. Goelman : Mon collègue, Clyde Hertzman, vous dirait que nous avons procédé à des évaluations dans diverses régions de la Colombie-Britannique. Dans de nombreuses collectivités rurales, les statistiques économiques révèlent que les résultats concernant les enfants ne sont pas extraordinaires, mais, en réalité, ils sont bons. Quant on étudie ces collectivités de façon plus attentive, on voit qu'elles ont beaucoup de choses à offrir à ces enfants, comme une plus grande cohésion sociale, des gens qui se connaissent entre eux, qui ont confiance entre eux, leur père connaissait leurs grands-parents et leurs oncles respectifs. Ils n'avaient pas besoin de garderies parce qu'il y avait des réseaux informels. Ce que vous dites est étayé par la recherche dont je parle. Dans les régions du Canada rural qui ont réussi, ces collectivités sont solides et nous, qui vivons dans les grandes régions urbaines, sans ces raisons informelles, avons besoin d'apprendre ce que le Canada rural peut nous enseigner. Cela repose davantage sur des impressions que sur des faits précis, mais je suis certainement d'accord avec ce que vous dites.
M. Shankar : Je vais essayer d'ajouter quelque chose à ce qu'a dit le Dr Kramer. Je crois qu'il a mis le doigt sur ce qui me paraît le commentaire le plus profond que nous pourrions faire aujourd'hui. Il parle de créer une science de la santé de la population, qui étudierait ces questions sur la base de faits scientifiques. Il utilise le modèle de ce que nous avons fait pour le tabagisme. Jusqu'à maintenant, ce débat a été très politisé, comme celui sur le tabagisme, jusqu'à ce que la science finisse par être assez affirmative en la matière. J'ai réagi à sa remarque subtile. J'aime vivre à la campagne. Je ne peux pas imaginer quelqu'un qui veuille vivre à Toronto. Je peux par contre imaginer vouloir vivre à Ottawa aujourd'hui. Je suis optimiste au sujet de cette ville pour demain soir. Notre travail est d'analyser tout cela de façon scientifique pour parvenir à ce que le pays étudie ces questions sur une base scientifique. Nous disposons des outils pour étudier ce que M. Goelman vient juste de décrire. Nous avons divers types d'outils, comme des outils pour le cerveau et des outils pour faciliter le développement communautaire. Nous ne l'avons toutefois pas fait. Votre question est intéressante.
Concrètement, c'est la réalité d'aujourd'hui. Nous avons assisté à l'effondrement de la famille élargie. Nous voyons des parents qui se présentent à notre clinique et qui ne savent pas comment allaiter un enfant. Nous avons dû, au sens propre, embaucher une spécialiste de l'allaitement. Cela nous coûte 50 000 $ par année. Vous pouvez essayer d'exercer une influence sur le processus qui nous permet de traiter ces questions sérieusement, et de recruter les compétences scientifiques qui existent partout au pays pour pouvoir donner des réponses éclairées, étant donné la réalité à laquelle nous sommes confrontés.
Le sénateur Fairbairn : J'ai moi aussi été époustouflée tout au long de ma vie par le Dr Mustard dans le cadre du travail dont je me suis occupée pendant des années en matière d'alphabétisation. C'est une autre question dont ce comité traite presque simultanément avec les autres.
Pour en revenir aux enfants, je me souviens que le Dr Mustard disait, il y a de nombreuses années, dans son premier rapport que, étant donné les possibilités et les aides, un enfant, au moment où il aura atteint 18 mois, aura toutes ses connexions en état de marche et sera prêt à aller beaucoup plus loin. Il voulait que les parents et les enfants se servent de cette expérience pour apprendre toutes les façons possibles, y compris enlisant et en comprenant la petite enfance, et tout ce genre de choses. Il n'y a pas si longtemps qu'il parlait de tout cela et c'était une approche novatrice et utile pour le milieu de l'alphabétisation. Et encore aujourd'hui, nous sommes envahis par la technologie et, où que l'on se tourne il est possible d'apprendre et de progresser, quel que soit votre âge.
L'un d'entre vous a parlé des enfants qui entrent en première année et de la nécessité d'être connecté et de suivre un certain cheminement. Si ce n'est pas le cas, les choses deviennent alors de plus en plus difficiles pour eux au fur et à mesure qu'ils avancent dans le système scolaire.
Que pouvons-nous faire alors que nous savons tant de choses en plus sur les sciences de la santé? Que pouvons-nous faire pour aider les parents parce que ce sont eux les premiers enseignants, que cela leur plaise ou non? Dans certaines provinces, comme la Nouvelle-Écosse, le Manitoba et l'Alberta, cela fait de nombreuses années que des fondations ont été mises sur pied, mais pas par les gouvernements, pour offrir des programmes. C'est ainsi qu'un hôpital ne laissera pas les parents partir avec un nouveau-né sans leur avoir fait suivre un programme rigoureux et leur avoir remis un dossier d'information sur l'importance de ceci et de cela et en leur expliquant que s'ils ne le font pas ou ne peuvent pas le faire, leur enfant est déjà pénalisé.
Comment cela cadre-t-il avec le genre de choses que vous faites? Cela devrait être simple mais ce ne l'est pas. Maintenant, malgré la technologie dont nous disposons, cela ne semble pas plus efficace ni plus facile à faire. Avez- vous des commentaires à faire dans ce domaine?
M. Shankar : Je vais vous raconter une histoire au sujet de Baby Einstein. La connaissez-vous? Baby Einstein est une vidéo qui a été préparée par une psychologue. Il s'agissait pour elle d'un outil. Elle expliquait au début que celle-ci était destinée aux parents pour interagir avec leurs enfants et qu'elle donnait de bons résultats uniquement s'ils l'utilisaient comme base pour mettre en marche des interactions plaisantes dans les deux sens avec leurs enfants. C'était une bonne vidéo et Disney l'a achetée. Je veux faire le lien avec ce que disait le Dr Kramer. Je m'inquiète des effets toxiques de notre voisin du sud parce qu'ils font beaucoup de choses qui ne sont pas géniales pour les enfants.
Malheureusement, ce que Disney a fait de Baby Einstein est une leçon de ce qui se produit avec notre technologie. Ils ont fait des enquêtes de marketing et constaté que 90 p. 100 des parents qui achetaient la vidéo le faisaient parce qu'elle leur permettait de disposer de 35 minutes pour faire la cuisine ou autre chose. C'est la raison pour laquelle ils achetaient la vidéo. Ces enquêtes ont également permis d'apprendre que ces gens avaient un problème parce que les bébés s'habituaient à Baby Einstein et trouvaient la vidéo ennuyeuse et que l'espoir des mères de disposer de 35 minutes pour faire autre chose était déçu. Ils ont alors eu l'idée de ne faire avancer les images qu'au bout de quelques secondes. J'assistais à une conférence il y a quelques semaines aux États-Unis avec un groupe de neuroscientifiques. Ils ont affirmé qu'il n'est plus possible d'utiliser la vidéo pour faire ce genre de travail, parce que, avec Baby Einstein, ces enfants ont été conditionnés à soutenir leur attention pendant une seconde. Nous devons trouver de nouvelles façons de le faire parce que nous avons maintenant une population qui a) ne lit pas aux enfants et b) ne prend pas ses enfants dans ses bras. Nous disposons d'études réalisées il y a 30 ans qui montrent que plus on lit d'histoires à un enfant et plus tôt et mieux il pourra lire. Nous avons maintenant la télévision et les vidéos.
M. Goelman : Il y a quelques excellentes émissions. L'une d'entre elles qui est diffusée partout au pays maintenant est appelée Parent-Child Mother Goose, dans laquelle les parents viennent avec leurs enfants et apprennent des chants, des rimes et à claquer des doigts. L'intérêt réel de tout ceci est, comme nous l'enseigne la neuropsychologie, que les enfants et leurs mères plongent tous deux leur regard dans les yeux de l'autre et réagissent. Nous savons également que, lorsque les enfants grandissent et changent, les enfants ou les parents doivent apprendre de nouveaux pas de danse... c'est une danse d'interaction. À partir de cette interaction, les enfants apprennent l'importance du langage et pas uniquement de bruits aléatoires. Le langage a une signification, est agréable et c'est quelque chose qui vous permet d'interagir. La lecture du langage écrit n'est qu'un prolongement de cela.
Des données fort intéressantes vont être publiées par l'Université de Toronto qui montrent que des émissions comme Parent-Child Mother Goose permettent de parler plus longtemps et d'accroître la taille du vocabulaire et fait que les enfants utilisent la langue de façon intelligente. Nous en avons fait une évaluation. Nous avons recueilli tous les nombres et parlé aux parents et leur avons demandé ce qu'ils en avaient retiré. Ils ont répondu des choses comme « Je me sens plus à l'aise avec mon bébé maintenant ». Je dispose d'une trousse à outils plus importante, je me sens davantage appuyée, je ne panique pas quand mon bébé crie parce que je sais que j'ai d'autres outils.
Les parents ont fait état de ces autres effets qui les aident dans leur interaction avec leurs enfants. J'ai évoqué auparavant les effets d'entraînement. Ce sont des choses que nous pouvons mesurer de façon quantitative, mais les parents font aussi part de leurs réactions à des émissions comme celle-ci.
Les enfants aiment regarder les adultes lire. Ils apprennent beaucoup en observant. Yogi Berra a dit qu'on peut beaucoup observer en regardant. Les enfants perçoivent leurs parents comme des lecteurs. Ils lisent parce que les choses ont un sens, ils rédigent des listes d'épicerie, ils lisent ces listes, ils affichent des notes sur le réfrigérateur et ils parlent de la façon dont ils communiquent en famille grâce à la maîtrise de la langue. Il ne s'agit pas simplement de s'asseoir et de lire un dictionnaire, mais la littéracie est utile dans le contexte de la vie.
Nous disposons de données sans équivoque qui montrent que nous pouvons modifier l'attitude des enfants ainsi que leurs compétences pour maîtriser rapidement la littéracie.
Dr Kramer : L'activité physique est une autre manifestation des changements intervenus avec la technologie. Celle-ci a pour effet de stimuler, de façon insuffisante, ou beaucoup moins, la personne la plus importante, la mère, mais elle conduit également à faire moins d'activités physiques et à l'obésité et à toutes les conséquences que cela a. Tout cela a des conséquences aussi bien sur le développement que sur le physique.
Le sénateur Fairbairn : Avec toutes ces connaissances scientifiques, il arrive que nous ayons des difficultés également.
M. Goelman : Certaines nouvelles technologies nous posent des difficultés importantes. Lorsque j'étais enfant, mon instituteur à l'école primaire s'est plaint à ma mère que je lisais trop de bandes dessinées. Ma mère a répondu que, au moins, je lisais. J'avais maîtrisé cette technologie de la bande dessinée parce que ma mère réalisait ce qu'elle signifiait pour moi. J'ai aussi pu aussi comprendre les moyennes au bâton — c'est comme cela que j'ai progressé en mathématiques et dans d'autres domaines comme celui-là.
Je peux vous raconter comment j'aurais pu gagner des millions de dollars. J'ai été approché, il y a quelques années, par une entreprise de logiciel. Il voulait écrire un logiciel pour les enfants de deux ans. À deux ans, ils n'ont pas besoin de logiciel. Ils ont besoin de peindre avec leurs doigts, de boue, de sable. Ils sont besoin de se salir sous les ongles, dans leur bouche et dans leurs oreilles. C'est cela apprendre. L'entreprise s'est adressée à quelqu'un d'autre pour concevoir le logiciel et ma femme ne me l'a jamais pardonné.
Le sénateur Gustafson : J'ai appris aux nouvelles, il y a quelques jours, qu'un enfant peut réellement apprendre deux langues et décider ensuite laquelle est la plus utile. Comment pouvez-vous expliquer cela?
M. Goelman : Vous évoquez le travail de Janet Werker, une de mes collègues à UBC. Elle est passée à l'émission The National de la Société Radio-Canada et un article est paru dans le Globe and Mail. Elle a montré que les bébés pouvaient faire la différence entre leur langue maternelle et une langue seconde. Elle précisait que notre sensibilité au langage est programmée dans une large mesure tôt dans notre vie. La conclusion que j'en tire est que cela cadre avec ce que l'on sait de la neuropsychologie et de la santé des enfants. Les enfants apprennent dès leur plus jeune âge. Ils sont très réceptifs et savent capter des signaux dans leur environnement. Je ne dirais pas que nous devons commencer à enseigner aux enfants de cette façon, à cause de ce résultat de recherche, mais cela montre bien que les jeunes enfants apprennent très activement très tôt.
Ils font des hypothèses. Il y a un livre fort intéressant intitulé The Scientist in the Crib. Il traite des bébés qui font des hypothèses et qui les valident ensuite. À six mois, et c'est ce que Mme Werker a montré, les enfants peuvent faire la distinction entre leur langue maternelle et une langue qu'ils n'ont jamais entendue auparavant.
Le sénateur Pépin : À propos de langues, les enfants apprennent la langue de leurs parents et celle de leur voisinage. À quatre ans, ils peuvent être bilingues. Si les voisins sont anglophones, ils parleront anglais. C'est vraiment surprenant par rapport à ce qui se passe pour nous. Il nous faut beaucoup plus longtemps.
En 1996, le gouvernement fédéral et les premiers ministres des provinces se sont réunis et ont affirmé vouloir lancer un programme prioritaire d'actions consacré aux adolescents et aux enfants. Je me demande si cette collaboration existe toujours. Si les choses vont un peu lentement, quelle est la nature du problème et que pouvons-nous faire pour obtenir une meilleure collaboration, pour avoir de meilleurs programmes pour les enfants et pour les adolescents? En vous écoutant, je crois que nous n'avons pas le choix. Il faut que ce soit une priorité dès la petite enfance. Je me demande si vous avez de l'information dans ce domaine ou si vous pourriez nous suggérer sur quoi travailler avec le gouvernement?
M. Goelman : Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par « collaboration »?
Le sénateur Pépin : Le premier ministre, le gouvernement fédéral et les divers premiers ministres des provinces avaient mis sur pied, en 1996 un programme affirmant que les enfants et les adolescents devaient être une priorité.
M. Goelman : Le Programme d'action nationale pour les enfants.
Le sénateur Pépin : À quelle étape en est ce programme et pourrions-nous contribuer à son renouvellement ou collaborer de quelque façon que ce soit?
M. Goelman : Vous nous demandez notre avis sur les relations fédérales-provinciales?
Le sénateur Pépin : Vous avez les deux pieds sur terre.
Le président : Vous ne voulez pas être élu?
M. Goelman : Demain, je vais à Victoria pour une séance comparable avec le gouvernement de Colombie- Britannique.
Dr Kramer : Tout comme je crois que nous n'allons pas modifier l'orientation générale de la société, comme l'âge auquel les femmes ont des enfants et le fait que les hommes et les femmes privilégient leur carrière, et je suis peut-être là aussi naïf, mais je n'imagine pas non plus que le système politique fédéral-provincial va être modifié dans un avenir proche. Je crois savoir que la plupart des programmes, qu'il s'agisse de ceux concernant les garderies, l'éducation, la santé publique, la stimulation de la petite enfance font l'objet de planification et de mise en œuvre par les gouvernements provinciaux, régionaux ou locaux grâce à des fonds venant des provinces.
L'un des domaines dans lequel le gouvernement fédéral joue un rôle important, que les provinces ne contestent même pas est celui de la recherche. Il incombe au gouvernement fédéral de financer la recherche, de trouver ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Les provinces peuvent ensuite mettre en œuvre de façon différente les résultats de cette recherche. Elles savent que certains de ces programmes sont actuellement en cours d'exécution. Il est évident que notre institut s'efforce de collaborer avec les gouvernements provinciaux et les décideurs pour s'assurer que nos recherches répondent à leurs questions, aux questions dont ils ont besoin de connaître les réponses pour mettre en œuvre les programmes au niveau local. Certaines provinces ont leurs propres organismes de recherche. C'est le cas du Québec et de l'Alberta, et de la Colombie-Britannique dans une certaine mesure, même si les provinces ont plutôt tendance à financer des infrastructures que des projets.
Je ne dis pas que c'est là le seul rôle du gouvernement fédéral, mais la recherche en est un qui soulève manifestement peu de désaccord. Nous devons le prendre au sérieux.
M. Goelman : Je vous incite à maintenir votre appui. Il est certain que le programme d'aide préscolaire aux Autochtones est l'un d'eux. On peut aussi évoquer le Programme canadien de nutrition prénatale et le Programme d'action communautaire pour les enfants. Ce sont des programmes fédéraux destinés à la petite enfance et nous disposons de faits précis qui justifient ces programmes. La seule contrainte est l'argent. J'aimerais que le gouvernement fédéral continue à apporter son appui à ces programmes et élargisse leur portée. Ils atteignent les résultats souhaités. Ils donnent de bons résultats dans les collectivités très désavantagées, autochtones et non autochtones. Il y a deux versions du Programme d'aide préscolaire aux Autochtones, pour ceux qui vivent sur réserve et hors réserve. Tous deux donnent de bons résultats et s'adaptent aux besoins des collectivités. Celui qui est mis en place à Saskatoon est différent en apparence de celui appliqué à Yellowknife, ou au Nunavut. Dans ce domaine, il y a certaines distinctions claires. Certains programmes sont mis en œuvre par le gouvernement fédéral et je suis un ferme partisan de conserver ceux-ci et d'élargir leur portée. Ils font la différence
M. Shankar : Nous avons tous trois le même type de réponse initiale. Il serait très facile pour nous d'attaquer ce qui se passe mais, en réalité, le pays a obtenu quelques résultats importants au cours des dix dernières années. Il faut s'en féliciter. Le Dr Mustard et moi avons publié une nouvelle édition de l'étude Early Years dont le sénateur Fairbairn a fait état, dans laquelle nous essayons d'attirer l'attention sur les programmes qui donnent de bons résultats. Permettez- moi de parier deux cents sur la raison pour laquelle les instituts de recherche en santé du Canada sont importants. Je ne sais pas si le Dr Kramer sera d'accord avec moi. Ils font apparaître toute une gamme de changements dans les universités canadiennes. Les milieux universitaires canadiens n'étaient pas très attentifs aux besoins de notre société et on peut se demander comment agir dans ce domaine? Comment amène-t-on ces professeurs à considérer leurs subventions comme un à-côté et non pas à les faire penser qu'ils sont rémunérés par notre société et qu'ils ont une responsabilité envers elle? J'ai le sentiment que les IRSC réalisent deux choses importantes. L'une est que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux demandent à juste titre comment pouvons-nous prendre des engagements envers des programmes sans disposer de preuve? Comment pouvons-nous décider d'aller de l'avant sans recherche? En second lieu, les IRSC évoluent et je peux l'observer avec nos jeunes universitaires qui reviennent maintenant aux valeurs que l'on observait au Canada, et dans les milieux universitaires canadiens, dans les années 1960. Il y a le sentiment que nous sommes ici pour servir notre société. Je souhaite que l'on fête les progrès importants qui ont été obtenus. Cela pourrait être un point important pour ce comité.
Le sénateur Gustafson : J'ai un commentaire à faire sur cette expérience vraiment maison. Notre ferme a dû acheter un nouveau semoir pneumatique, qui utilise la technologie de pointe. Mon fils me montrait son fonctionnement. Il a dit « appelez les enfants ». Ils font tout le temps cela sur l'ordinateur. Ils saisissent cela très rapidement, comme cela. Quand ce fut enfin mon tour, je suis devenu un assez bon opérateur. C'est là un exemple de ce que ces enfants ont fait — ils ont pu convertir cela en quelque chose de très utile dans la société. Vous pourriez créer une race de super champions.
Le président : J'aimerais aborder un sujet très important avant que vous partiez. Nous allons enfin conclure nos auditions d'ici quelque temps et nous attaquer aux recommandations. J'aimerais vous entendre tous les trois. Si nous allons effectivement jeter les bases avec des programmes efficaces de santé pour la population destinés à modifier l'état de la santé des Canadiens, nous devons débuter par une approche ciblant simultanément la santé et l'éducation. J'ai été intéressé d'entendre l'un de vous suggérer que les programmes d'éducation commencent à s'appliquer à partir de quatre ans. Je suis tout à fait d'accord. Les enfants peuvent apprendre énormément de choses à quatre ans et nous pourrions ainsi les faire sortir de l'école secondaire beaucoup plus tôt, parce que les études universitaires s'allongent. Les programmes éducatifs doivent comporter un élément de vie saine. Cela doit faire partie de l'éducation. Cela doit faire partie de notre mode de vie quand ils grandissent.
Dites-moi donc d'abord, s'il vous plaît, si vous êtes d'accord avec ceci et, ensuite, essayer de nous dire comment il faudrait procéder pour que nous puissions l'inscrire dans notre rapport.
M. Shankar : Oui, je suis d'accord. Nous avons enregistré certains progrès dans notre pays. Il est intéressant d'observer ce qui a été fait en Saskatchewan avec la fusion du ministère de l'éducation et de celui du développement de la petite enfance. Quand nous examinons l'exemple de Cuba, ce qui nous frappe est que les programmes s'appliquent pour l'essentiel de 0 à 17 ans. Ce n'est pas de 0 à 3 ou à 6 ans. Il s'agit du programme que M. Goelman a décrit, avec des spécialistes bien formés travaillant avec la population âgée de 0 à 4 ans. C'est ce que les Cubains font maintenant avec l'école primaire. L'enseignant reste avec le même groupe d'élèves pendant quatre ans et cela donne d'excellents résultats. Ils demandent à l'enseignant de tenir lieu de parents. Vous devez connaître votre famille. Comment pouvez- vous enseigner à un enfant si vous ne savez pas ce qui se passe chez lui? Ils ont maintenant lancé une autre expérience. Celle-ci a connu un énorme succès. Les Cubains veulent savoir s'ils peuvent procéder de la même façon à l'école secondaire. Serait-il possible que les enseignants de 9e ou de 10e année restent avec le même groupe d'étudiants pendant quatre ans? Oui, cela pose des problèmes, mais les résultats sont que la relation enfant-enseignant est transformée et en devient une de connaissance et de confiance mutuelle, tout autant que d'éducation.
Je partage de tout cœur tout ce que nous avons dit aujourd'hui. Il faut l'appliquer tout au long de l'éducation.
Le président : C'est un heureux hasard, mais je dois rencontrer l'ambassadeur de Cuba et trois médecins cubains dans mon bureau demain.
M. Shankar : J'ai essayé de déplacer une réunion, mais ce fut impossible, et c'est donc vous qui allez les recevoir.
Le président : Êtes-vous en ville demain? Pourquoi ne venez-vous pas me rejoindre à mon bureau à midi? C'est deux étages au-dessus, à la pièce 902.
M. Shankar : J'aimerais beaucoup.
Le président : Allez-vous déjeuner avec eux après?
M. Shankar : Non, je prends l'avion pour Edmonton.
Le président : Il y a un déjeuner mais je ne crois pas pouvoir y assister. Le sénateur Pépin est vice-présidente de ce comité et elle y assistera avec eux.
M. Shankar : Il y a un livre qui a été publié il y a deux semaines par Martin Carnoy et qui est intitulé Cuba's Academic Advantage. C'est un excellent ouvrage qui traite directement de votre question. Nous ne voulons pas tenter de mettre en place un système cubain ici, mais une chose que nous pouvons apprendre de ce qu'ils ont fait est la façon dont ils ont abordé les questions d'argent et celles dont nous pourrions améliorer un système d'éducation qui éprouve des difficultés.
Le président : Je me penche sur cette situation depuis un certain temps. Cela fait longtemps que je m'intéresse à la santé de la population. J'ai consacré ma vie entière à travailler sur une maladie que l'on peut éviter dans 90 p. 100 des cas. Il y a un institut qui absorbe 140 millions de dollars par année du système pour traiter une maladie qui est parfaitement évitable. C'est ce qui m'a incité à m'intéresser à ces questions dans un sens beaucoup plus large.
Je me suis beaucoup intéressé à ce qui a été fait en Chine et à Cuba en matière de santé de la population. Ils ont beaucoup d'avance sur nous. Leurs systèmes de santé ne sont pas impressionnants mais la santé de leur population est fantastique. Dans tous les cas, j'espère que vous pourrez vous joindre à nous demain midi.
Le sénateur Fairbairn veut vous poser une question, mais lorsqu'elle aura fini, pourriez-vous revenir sur le sujet et nous dire dans quels domaines les programmes combinés de santé et d'éducation fonctionnent au Canada? Quels sont les prototypes que nous pourrions examiner attentivement et intégrer à nos recommandations?
Le sénateur Fairbairn : C'est davantage un commentaire qu'une question et cela s'inscrit dans la suite de ce que le président vient de dire. Cuba a fait un travail incroyable. L'un de nos anciens collègues, Jacques Hébert, était très impliqué de diverses façons avec Cuba.
M. Shankar : Oui, son livre est merveilleux.
Le sénateur Fairbairn : Il y a quelques années, il s'est rendu à une réunion importante à Cuba qui était consacrée en totalité à l'apprentissage des enfants. Il ne s'agissait pas de savoir si vous vouliez le faire ou non, mais ils avaient mis en place ce processus incroyable. Il était là et vous alliez le mettre en œuvre; les parents allaient prendre les petits et ils allaient débuter. Ils invitaient des gens d'autres pays à venir, et ce fut apparemment surprenant à observer.
M. Shankar : J'ai eu la chance qu'on m'ouvre quelques portes à Cuba et, vous allez rire, ils m'ont expliqué que la raison pour laquelle ils voulaient travailler avec nous était qu'ils aiment les Canadiens, et ils m'ont donné le livre de M. Hébert.
Le sénateur Fairbairn : Quand il est revenu, il a dit que c'était absolument étonnant. Dans un pays que nous considérons comme pauvre, ils s'étaient attaqués au problème à la base. Ces enfants vont percer et leurs parents auront des difficultés s'ils ne les font pas avancer.
M. Shankar : M. Goelman a dit quelque chose au début que je ne voudrais pas laisser passer. Cela répondait directement à votre préoccupation. Il a signalé que, quand nous examinons cette situation, nous ne cherchons pas tout simplement à empêcher l'apparition de troubles, quels qu'ils soient, mais également à améliorer la santé d'ensemble de ces enfants. Ce qui me frappe quand je vais à Cuba est que je n'y ai pas vu un seul enfant obèse et qu'ils continuent à rire et à être heureux.
Le sénateur Fairbairn : Ils ont du plaisir à apprendre. Vous avez un travail passionnant.
M. Shankar : C'est fabuleux.
Le président : Monsieur Shankar, comme cela m'arrive environ 20 fois par jour, l'information que je vous ai donnée était erronée. La réunion à mon bureau a lieu à 9 h 30. Pouvez-vous toujours venir?
M. Shankar : Je pourrais arriver un peu plus tard. J'ai une réunion à 9 h 15 sur la Colline du Parlement qui doit durer jusqu'à 9 h 45. Puis-je venir à 10 heures?
Le président : Bien sûr, vous pouvez, mais si vous ne rencontrez qu'un député, ce n'est pas important.
Le sénateur Pépin : Au début des années 1980, je siégeais à la Chambre des communes et nous avons travaillé très fort pour obtenir des garderies. À cette époque, un député est venu me voir et m'a dit « ma femme est comme vous ». Elle reste à la maison et s'occupe de ses enfants au lieu de se battre pour les garderies. Je lui ai dit qu'il avait peut-être raison mais que quand sa fille aurait 20 ans ou serait mariée, elle lui demanderait où sont les garderies. Il a dit qu'il attendrait ce jour.
Quand j'ai été nommée au Sénat il y a quelques années, il est revenu me voir et m'a dit, Lucie, vous aviez raison. Ma fille a deux enfants et elle veut des garderies. En vous écoutant, j'espère qu'il y a de l'espoir mais, comme vous l'avez dit, il n'y en a pas assez. Le nombre d'enfants qui n'ont pas accès aux garderies est incroyable.
Le sénateur Fairbairn : C'est bien là le problème. Pourquoi n'y arrivons-nous pas au Canada alors qu'ils le font à Cuba?
M. Goelman : Cela nous ramène à la question du sénateur Keon au sujet des éléments qui donnent de bons résultats? Dans quels domaines les choses peuvent-elles fonctionner? Où y a-t-il une volonté politique pour les faire fonctionner. Un endroit au Canada où les choses fonctionnent bien est sous le règne du gouvernement provincial du Manitoba. Ils ont un comité du Cabinet appelé Healthy Child Manitoba. À l'endroit d'où je vis en Colombie-Britannique, il faut s'adresser à un bureau pour les programmes de garderie, à un autre pour la formation, encore un autre pour les subventions, et bien évidemment à un autre pour l'aide préscolaire, pour l'éducation et tout le monde dit « Nous n'avons pas la réponse, il faut aller la chercher de l'autre côté de la rue ».
Healthy Child Manitoba a permis de regrouper tous les intervenants. Au lieu de se renvoyer la balle, ils font le tour de la table à laquelle siègent le sous-ministre de l'éducation, le sous-ministre de la santé et le sous-ministre du bien-être. Je ne sais pas grand-chose sur Cuba, mais je crois savoir que leur système de planification est plus centralisé. Peut-être cela a-t-il de bons et de mauvais côté, mais beaucoup d'entre nous sont fatigués de voir le fédéral et les provinces se renvoyer la balle. Les responsables de la province me disent que ceux du gouvernement fédéral ne vont pas décider de l'utilisation que nous faisons de l'argent et les responsables fédéraux affirment ne pas pouvoir faire confiance aux responsables provinciaux pour investir l'argent au bon endroit. Je crois qu'il faudrait certaines modifications des infrastructures.
Nous avons beaucoup de gens intelligents et beaucoup d'énergie et d'informations, mais le système est fragmenté. Ce serait fort bien si votre rapport pouvait d'une certaine façon favoriser l'intégration. J'ai parlé auparavant du programme d'aide préscolaire aux Autochtones, d'excellents programmes mis en place sur les réserves et hors réserve, mais il n'y a pas d'échanges entre eux et c'est une honte parce que tous deux font un excellent travail. La collaboration permettrait de réaliser des économies mais également d'acquérir des capacités. Je ne tiens pas à en désigner en particulier mais c'est là un autre exemple d'un excellent travail qui est fait mais qui ne supprime pas la nécessité d'une volonté politique pour que les choses fonctionnent encore mieux.
Le président : Nous avons une réunion avec eux vendredi matin. Nous allons essayer d'être là vendredi de 9 heures à 15 heures. L'un des objectifs est d'essayer de s'attaquer à cette question. Les problèmes sont si énormes, mais cette dichotomie pose un problème particulier.
M. Goelman : La personne à qui j'aimerais vous adresser au Manitoba, est Rob Santos, le fonctionnaire chargé du fonctionnement de ce comité du Cabinet. C'est un trésor national.
M. Shankar : Oui, je le ferais venir ici.
Le président : Nous allons le faire. Y a-t-il d'autres personnes de ce genre à qui vous pouvez penser au pays?
M. Shankar : Nous pourrions vous proposer Tom Boyce de l'Université de la Colombie-Britannique.
M. Goelman : Il travaille sur le lien entre nutrition et développement. Nous l'avons attiré des États-Unis pour venir à UBC. C'est un excellent chercheur qui fait à la fois preuve de passion et de compassion. Il s'exprime de façon très éloquente et fait de la recherche de grande qualité. Quant au volet concernant la mère et l'enfant que vous avez évoqué auparavant, le Dr Tim Oberlander est un pédiatre spécialisé en développement qui travaille beaucoup sur la santé maternelle pendant la grossesse et sur ses répercussions sur les enfants.
Le président : Nous voulons consacrer réellement du temps à cette question.
M. Shankar : Puis-je vous donner un autre nom? M. Goelman en parlait il y a quelques instants, nous avons élaboré au Canada des modèles montrant comment passer du chaos à la cohérence. Ce sont d'excellents modèles des processus que les collectivités doivent suivre étape par étape pour parvenir à intégrer tous les services. Il y a une personne qui siège à notre conseil qui s'appelle Jane Bertrand. Elle est excellente pour amener les personnes défendant des points de vue divergents à parler entre elles, à s'asseoir à la même table.
Le président : À ce sujet, je vous remercie sincèrement tous les trois. Vous avez été très utile et ce fut un vrai plaisir de s'entretenir avec vous. Vous transformez le travail en plaisir et donc nous vous remercions beaucoup.
M. Goelman : Merci de votre travail acharné dans ce domaine.
La séance est levée.