Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Transports et des communications
Fascicule 4 - Témoignages du 25 octobre 2006
OTTAWA, le mercredi 25 octobre 2006
Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications se réunit aujourd'hui à 18 h 15 afin d'étudier, pour en faire rapport, le trafic du fret conteneurisé actuel et éventuel manutentionné par les ports à conteneurs de la porte d'entrée du Pacifique, les ports à conteneurs de la côte Est et les ports à conteneurs du Centre du Canada, ainsi que les principaux marchés importateurs et exportateurs desservis par ces ports et les politiques actuelles et futures à cet égard.
Le sénateur Lise Bacon (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, nous sommes heureux d'accueillir aujourd'hui notre témoin, M. Michael Ircha, Ph.D., de l'Université du Nouveau-Brunswick. Je vous remercie de votre patience, monsieur Ircha, et vous souhaite la bienvenue. Vous pouvez maintenant présenter votre exposé.
Michael C. Ircha, professeur de génie civil, Université du Nouveau-Brunswick, à titre personnel : Je vous remercie. Je voudrais vous parler de conteneurs et de conteneurisation à un niveau assez élevé. Vous avez entendu dans le passé des exposés d'autres témoins traitant des transports en Amérique du Nord. Il est important de reconnaître que la conteneurisation et les transports font partie d'un réseau de transport continental intégré en Amérique du Nord. Il y a des conteneurs qui arrivent au Canada en passant par des ports américains; d'autres partent des ports canadiens à destination du Midwest et du réseau américain. C'est un système poreux et très dynamique. On se demande s'il convient de créer plus de terminaux à conteneurs pour répondre aux besoins d'un commerce de plus en plus conteneurisé. Vous avez déjà entendu des témoignages établissant que ce secteur est en croissance rapide. Je crois que les ports canadiens peuvent contribuer à la solution du problème grandissant de la manutention de volumes toujours plus grands de biens conteneurisés en partance ou à destination de l'Amérique du Nord.
Selon votre intérêt et le temps dont je dispose, je me propose d'aborder les points suivants : la croissance de la conteneurisation, l'acheminement par le canal de Suez ou par le canal de Panama, les ports-pivot à conteneurs et leurs caractéristiques, la côte est du Canada plutôt que la côte ouest — je crois que vous avez entendu parler de cela auparavant — et les perspectives de création de ports-pivot à conteneurs dans le Canada atlantique, et enfin les politiques fédérales pouvant favoriser le développement et la croissance de la conteneurisation au Canada.
Le monde a connu une croissance considérable de la conteneurisation par rapport aux volumes du passé. Au cours de la dernière décennie, nous avons assisté à une évolution croissante du schéma du trafic, qui se faisait auparavant entre l'Europe et la côte Est des États-Unis. Dans les dernières décennies, le gros du commerce s'est déplacé vers l'Asie, les mouvements se faisant soient vers l'Est en direction de la côte ouest des États-Unis ou vers l'ouest à destination de l'Europe. Aujourd'hui, une partie de ce commerce atteint la côte est des États-Unis. Cette croissance de la conteneurisation reflète le développement de la mondialisation économique. Marc Levinson a récemment écrit un livre, The Box : How the Shipping Container Made the World Smaller and the World Economy Bigger. En se basant sur ses données et sur d'autres sources, l'Organisation mondiale du commerce a prouvé que le commerce mondial croît plus rapidement que le produit intérieur brut.
En examinant les indices mis au point par l'OMC en 2002, nous pouvons constater que si les exportations de 1950 représentaient 100, celles de 2002 se chiffrent à 10 140. Dans la même période, le PIB mondial n'est passé que de 100 à 704. Autrement dit, entre 1950 et 2002, les exportations se sont accrues à un rythme quatorze fois plus rapide que celui du PIB. On peut dire en même temps que la conteneurisation et le transport en conteneurs de biens manufacturés à faible volume et à grande valeur ont constitué une révolution qui a considérablement favorisé le commerce mondial. Comme nous pouvons le voir, la croissance a été énorme.
Je ne veux pas vous ennuyer avec trop de chiffres, mais je dirais quand même qu'en 1970, il y avait 450 000 conteneurs dans le monde. En 2004, le chiffre était passé à 19,3 millions. Pour ce qui est du trafic de conteneurs dans les ports, il s'élevait en 1970 à 7 millions d'équivalents vingt pieds, ou EVP. Un conteneur de 40 pieds représente 2 EVP. En 1970, nous avions donc 7 millions d'EVP, qui sont passés à 332 millions d'EVP en 2004. Le chiffre s'est donc multiplié par 46.
Aujourd'hui, les principaux groupes mondiaux de commerce conteneurisé vont de l'Asie vers l'est en direction de la côte ouest de l'Amérique du Nord, de l'Asie à destination de l'Europe par le canal de Suez et de l'Asie et l'Europe vers la côte est des États-Unis.
C'est donc essentiellement un trafic dans deux directions, l'une vers l'ouest par le canal de Suez et l'autre vers l'est en direction de la côte ouest, avec un certain trafic par le canal de Panama. Comme vous le savez, il est assez difficile pour les grands porte-conteneurs de traverser le canal de Panama, qui est limité à des bâtiments d'environ 4 500 EVP. Les porte-conteneurs d'aujourd'hui sont beaucoup plus grands et n'empruntent donc pas la route du canal de Panama. Vous savez que, dimanche dernier, un référendum s'est tenu à Panama au cours duquel la population a approuvé une expansion du canal qui permettra, d'ici 2015, le passage de porte-conteneurs de 10 000 à 12 000 EVP.
En septembre dernier, le grand porte-conteneurs le plus récent, l'Emma Maersk, a été lancé à Rotterdam. Il a une capacité de 11 000 EVP. À ma connaissance, c'est le plus grand du monde.
Lorsque j'ai regardé les spécifications techniques de l'Emma Maersk et les ai comparées au projet d'expansion du canal de Panama qui vient d'être approuvé, je me suis rendu compte qu'il ne pourra pas passer par les nouvelles écluses parce qu'il est trop large. Nous ne sommes qu'en 2006. Qu'en sera-t-il en 2015? C'est une grande question.
Le commerce conteneurisé constitue une importante part du commerce mondial : 50 p. 100 du commerce maritime, en valeur et non en tonnage, est transporté en conteneurs.
La croissance projetée est phénoménale. D'après Ocean Shipping Consultants Limited, que je mentionne dans mon document, nous pouvons nous attendre, à l'échelle mondiale, à atteindre 498 millions d'EVP en 2010 et 645 millions en 2015.
En Amérique du Nord, le trafic de conteneurs devrait passer à 57 millions d'EVP en 2010 et à 72 millions en 2015, ce qui représente une très forte croissance.
Comme vous pouvez vous en douter, cette croissance cause des difficultés dans les ports où les marchandises arrivent, notamment sur la côte ouest des États-Unis et du Canada. Il y avait de l'encombrement et des retards à Vancouver il y a deux ans. Une partie des problèmes a été réglée grâce à la coopération entre le CN et le CP et grâce à d'autres changements technologiques, comme l'installation de nouveaux types de matériel de manutention pouvant empiler les conteneurs à une plus grande hauteur dans les terminaux de Vancouver. Prince Rupert est en train d'être aménagé pour pouvoir s'occuper d'un trafic de 500 000 EPV d'ici 2007. D'autres mesures sont prises dans d'autres ports de la côte ouest pour régler les problèmes d'encombrement. Toutefois, cela ne suffira pas.
Doug Tilden, président et chef de la direction d'un grand terminal des États-Unis, estime que pour affronter la croissance du commerce entre l'Asie et l'Amérique du Nord, il faudra aménager chaque année un nouveau port de la taille de New York-New Jersey, qui a un trafic d'environ 4 millions d'EVP par an.
Les projets actuellement en cours ne permettront pas d'en arriver là.
L'idée d'un superport-pivot suscite des préoccupations : les expéditeurs tiennent beaucoup au principe de la diversité d'acheminement. Ils ne veulent pas être prisonniers d'un seul port. Ils ont vu quels problèmes la grève des camionneurs a occasionnés à Vancouver. Ils ont été témoins des effets des menaces de grève dans les ports américains. Ils ne veulent pas garder tous leurs œufs dans le même panier. Les grands expéditeurs, comme Wal-Mart, Canadian Tire et d'autres, disent : « Nous ne voulons pas tout expédier par le même port. Nous voulons avoir des centres de distribution dans deux ou trois ports d'Amérique du Nord. Ainsi, s'il y a un problème dans l'un d'eux, nous pouvons passer par un autre. » L'idée de la diversité d'acheminement prend donc de l'importance.
Maintenant, je voudrais aborder rapidement la question du canal de Suez par opposition au canal de Panama. Nous avons parlé des biens partant de l'Asie vers l'est par le canal de Suez. C'est une route viable. Les autorités égyptiennes envisagent d'élargir le canal pour permettre le passage simultané de deux convois de navires, dans les deux sens. En ce moment, le passage ne peut se faire que dans un seul sens à la fois. Cela permettra le passage de navires plus efficaces. Comme je viens de le dire, Panama envisage aussi d'agrandir son canal, qui devrait pouvoir ainsi assurer un meilleur service, mais il ne pourra pas accueillir les très grands porte-conteneurs, qui devront encore utiliser les grands ports- pivot aménagés dans différentes parties du monde.
Les grands navires futurs devront tenir compte de ce qu'on appelle la limite de Malacca. Le détroit de Malacca entre la Malaisie et l'Indonésie constitue la principale voie maritime vers l'ouest à partir de Singapour. Les études réalisées à l'Université de Delft ont abouti à la conclusion que le plus grand porte-conteneurs pouvant emprunter le détroit aurait une capacité de 18 000 EVP. Nous nous attendons donc à ce que ce chiffre représente la capacité maximale des navires qui seront construits. Nous en sommes actuellement à 11 000 EVP, mais nous avançons dans cette direction.
Mon troisième sujet est celui des ports-pivot à conteneurs et des caractéristiques à rechercher pour les choisir. Le premier critère est l'emplacement. C'est un peu comme dans le domaine de l'immobilier : l'emplacement est le critère le plus important. Je travaille pour le port de Saint John, qui est un port à conteneurs, mais qui n'a pas un grand trafic parce qu'il est à l'écart des grandes routes maritimes. Pour utiliser Saint John, les porte-conteneurs doivent faire un détour de 12 à 15 heures dans chaque direction, alors que le détour par Halifax n'est que de deux à trois heures. C'est donc Halifax qui reçoit le trafic de la route de l'Atlantique Nord. Les détours coûtent cher. Il importe donc d'être proche des grandes routes maritimes, c'est-à-dire des routes orthodromiques menant vers l'Europe ou l'Asie.
Prince Rupert a une situation géographique avantageuse parce qu'il est plus proche de l'Asie que Vancouver. C'est la raison pour laquelle Prince Rupert est en train de créer un terminal à conteneurs. Un port doit être proche d'une grande route maritime ou constituer le terminus de ce que nous appelons une boucle pendulaire, c'est-à-dire un itinéraire partant d'Asie pour aboutir au dernier port. Dans ce cas, le détour n'est pas important parce que le navire ne va pas plus loin. Les ports terminus peuvent être à l'écart des grandes routes maritimes.
La sécurité, la diversité d'acheminement et la diversité des ports sont en train de se transformer en grands défis. Ces concepts ont beaucoup évolué avec le temps.
Les grands navires ne peuvent pas rester trop longtemps dans un port. Les bâtiments sont coûteux et ne font de l'argent que lorsqu'ils naviguent en mer. Ils doivent être chargés et déchargés très rapidement. Nous devons parler de la façon d'accueillir de grands navires. Certains des témoignages que vous avez reçus vous ont appris par exemple que les ports canadiens ne fonctionnent pas 24 heures sur 24 et sept jours par semaine.
Dans le cas des ports-pivot, nous devons considérer un certain nombre d'éléments : la profondeur d'eau, qui doit être de 15 mètres ou plus pour accueillir les grands navires — je crois que l'Emma Maersk a un tirant d'eau de 14,5 mètres —; la longueur du quai — l'Emma Maersk est plus long que le Queen Mary II — ainsi que le nombre des portiques portuaires de chargement et de déchargement et leur portée, c'est-à-dire la hauteur à laquelle ils peuvent aller au-dessus du navire.
Aujourd'hui, les ports achètent des portiques super post-Panamax — Halifax en attend deux et Vancouver en a commandé plusieurs — conçus pour manutentionner des conteneurs empilés en rangs de 22 à bord des navires. Dans le temps, les bâtiments ordinaires pouvaient transporter 13 conteneurs, et nous pensions qu'ils étaient grands. Maintenant, nous nous orientons vers 22 ou plus. Cela nécessite un portique d'une très grande portée. Il faut également tenir compte de la hauteur au-dessus du navire. Pour desservir rapidement ces bâtiments, on a besoin de deux, trois ou quatre de ces portiques, selon leur longueur. Par conséquent, l'achat des portiques super post-Panamax peut coûter très cher.
De toute évidence, c'est une question de productivité : à quelle vitesse peut-on charger et décharger les conteneurs? Le nombre de mouvements par heure d'un portique portuaire est un facteur important. Il y a des moyens technologiques d'augmenter la productivité.
Quand un grand porte-conteneurs, d'une capacité de 10 000 EVP par exemple, arrive au port, il faut décharger la plus grande partie de sa cargaison et empiler les conteneurs quelque part parce qu'il est impossible de les expédier vers l'intérieur au fur et à mesure qu'ils sont déchargés. Les conteneurs restent en effet au port pendant trois à cinq jours. Il faut donc disposer d'une grande capacité d'entreposage pour les conteneurs d'arrivée et de départ. Enfin, il faut avoir une bonne installation de transbordement, des liaisons routières et ferroviaires et des moyens de transport maritime à courte distance pour livrer les conteneurs à d'autres destinations le long de la côte. C'est un problème à résoudre tant au Canada qu'aux États-Unis. J'y reviendrai tout à l'heure.
Lorsqu'on parle de port-pivot, il faut considérer la densité d'entreposage, la hauteur à laquelle il est possible d'empiler les conteneurs et le genre de densité. J'ai mentionné que Vancouver avait converti son matériel de manutention des conteneurs, passant des chariots cavaliers aux portiques automoteurs montés sur pneus pour être en mesure d'empiler les conteneurs à une plus grande hauteur dans l'aire d'entreposage. Cela est très coûteux. Il y a un problème de rendement, surtout en ce qui concerne les conteneurs d'importation. Lorsqu'un camionneur arrive pour ramasser un conteneur, celui-ci se trouvera inévitablement au bas de la pile plutôt qu'au sommet. Par conséquent, plus la pile est haute, plus il y aura de conteneurs à déplacer pour accéder à celui qu'on cherche. L'achat de nouveau matériel permet d'augmenter la densité d'entreposage, mais la productivité baissera à moins que des décisions stratégiques ne soient prises au sujet de la hauteur d'empilage des conteneurs d'importation.
Nous avons parlé de la productivité des portiques. Dans le passé, on parlait d'une trentaine de mouvements à l'heure. Aujourd'hui, nous visons 50 mouvements à l'heure. Il y a des moyens d'y parvenir.
La durée d'entreposage des conteneurs est un sujet assez controversé dans les ports de la côte ouest. Il s'agit en particulier de déterminer pendant combien de temps un conteneur peut rester au port sans être assujetti à des frais d'entreposage. Il est question de passer de six à trois jours et de prévoir des encouragements pour amener les destinataires à venir chercher leurs conteneurs le plus tôt possible.
Pour ce qui est de la rotation des camions, c'est-à-dire le temps qu'il faut pour qu'ils entrent au port et en sortent, nous avions l'habitude de considérer qu'un délai de 60 minutes était raisonnable. J'ai entendu dire récemment que Vancouver envisage de passer à une rotation de 20 minutes, ce qui est phénoménal.
Les ports canadiens offrent l'accès ferroviaire à quai, ce qui permet de charger les conteneurs sur deux niveaux à bord des convois et de les sortir rapidement du port. Voilà donc quelques-unes des caractéristiques que nous recherchons.
Je vais maintenant passer aux ports du Canada atlantique. Ceux de la côte ouest sont déjà encombrés. Les compagnies de transport maritime sont maintenant à la recherche d'autres routes pour éviter les encombrements de la côte ouest des États-Unis. Il y a un certain temps, Singapour était la limite entre le transport vers l'ouest par le canal de Suez à destination de l'Amérique du Nord et le transport vers l'est à destination de la côte ouest des États-Unis. Les navires en partance de la Thaïlande empruntaient le canal de Suez. Au départ de la Chine, ils allaient vers l'ouest. La limite semble maintenant se déplacer le long de la côte chinoise. Elle se trouve actuellement à Pearl River, à Hong Kong. Certains biens en partance de Hong Kong empruntent la voie de l'ouest par le canal de Suez, tandis que d'autres passent par le Pacifique. Il est même question de déplacer encore la limite plus loin le long de la côte chinoise. L'encombrement des ports de la côte ouest des États-Unis et du Canada oblige les expéditeurs à prendre une route plus longue dans l'espoir de décharger plus rapidement dans les ports de la côte est. Par conséquent, le commerce lui-même évolue pour s'adapter à l'encombrement de la côte ouest.
Sur la côte est, Halifax et, dans une certaine mesure, Montréal sont touchés par la concurrence de New York-New Jersey, qui a un trafic annuel de 4,8 millions d'EVP. Ce trafic a augmenté de 7 p. 100 entre 2004 et 2005. Halifax reçoit des conteneurs à destination du Midwest américain, qui auraient dû aller à New York, mais qui sont déchargés à Halifax à cause des limites de profondeur d'eau de New York. Il a fallu que New York-New Jersey attende 10 ans les approbations environnementales nécessaires avant de procéder au dragage nécessaire pour approfondir les mouillages. Les approbations ayant finalement été données, le port consacre actuellement 750 millions de dollars à des travaux de dragage qui lui permettront d'accueillir la prochaine génération de porte-conteneurs.
Cela aura des répercussions sur Halifax, qui peut recevoir des navires allant jusqu'à 17 mètres de tirant d'eau. New York fait du dragage pour atteindre 15 mètres et pourra donc accueillir les plus grands porte-conteneurs d'aujourd'hui. Mais New York a d'autres problèmes : congestion urbaine, impossibilité de s'étendre dans la zone urbaine voisine, transport intermodal, etc. Toutefois, New York est un concurrent de taille pour Halifax.
Comme les témoins qui ont comparu vous l'ont dit, Halifax ne fonctionne pas actuellement à pleine capacité. Ses deux terminaux manutentionnent beaucoup moins de conteneurs qu'ils ne pourraient le faire. Nous devons trouver des moyens d'augmenter le trafic de conteneurs passant par Halifax. Je reviendrai à cette question plus tard.
À l'heure actuelle, Halifax se classe 21e parmi les 50 ports à conteneurs d'Amérique du Nord, d'après une liste établie par l'Association américaine des autorités portuaires en fonction du trafic en EVP. Dans cette liste, Los Angeles occupe la première place, Long Beach la deuxième, New York la troisième, Vancouver la 10e, Montréal la 13e et Fraser River la 23e. En 2005, Vancouver et Fraser River aurait eu ensemble un trafic dépassant légèrement les 2 millions d'EVP et se seraient ainsi classés en sixième position en Amérique du Nord, entre Seattle et Tacoma.
Halifax est un port de trop-plein, en ce sens qu'il cherche à recevoir des cargaisons de grands navires passant par la route de l'Atlantique Nord, qui feraient un détour par Halifax pour réduire leur charge et, partant, leur tirant d'eau avant d'aller à New York. Une fois que les travaux de dragage auront été terminés à New York, Halifax risque d'avoir une forte baisse du trafic à moins que nous ne prenions des mesures pour en faire un port-pivot.
Nous pourrions établir des ports-pivot à d'autres endroits de la côte est. Sept-Îles, sur le Saint-Laurent, pourrait constituer un port-pivot terminus à conteneurs. Le port est en eau très profonde et a l'expérience des grands navires. Il peut servir de point de ravitaillement pour les navires qui remontent le Saint-Laurent à destination des Grands Lacs ou qui voyagent le long de la côte est du Canada et des États-Unis, si nous pouvons régler le problème du transport maritime à courte distance.
Le port de Canso est une autre possibilité. Il est en eau profonde, a de grands bassins d'évitage et dispose aux alentours d'un grand espace pour le développement industriel et portuaire futur. Il a aussi une liaison ferroviaire, mais les voies doivent être rénovées jusqu'au terminal de Truro. Canso a donc tout ce qu'il faut pour créer de nouveaux terminaux à conteneurs.
Halifax, qui a deux terminaux actuellement sous-utilisés, devrait commencer par atteindre sa pleine capacité avant d'envisager la construction d'un nouveau terminal. Le port a néanmoins songé à construire de nouvelles installations. Vous savez peut-être qu'il y a quatre ou cinq ans, Maersk Sealand avait demandé à Halifax de soumissionner pour un nouveau terminal à conteneurs devant concurrencer New York-New Jersey et Baltimore.
Halifax a également envisagé un nouveau terminal de 750 000 EVP qui prolongerait le terminal actuel de Fairview Cove dans le bassin Bedford. Ce projet pourrait occasionner des problèmes environnementaux. Le port se trouve en face de zones résidentielles assez huppées. Je ne suis pas sûr que les gens aient compris quels effets environnementaux aurait la construction d'un terminal à conteneurs.
L'ancienne base militaire de Shearwater est une autre possibilité. L'eau y est très profonde, mais il y a une différence de niveau entre le terrain d'aviation et le quai, qui pourrait occasionner des difficultés opérationnelles.
Le port de Saint John est également un excellent candidat de la côte est pour un grand terminal à conteneurs. Il a un chenal très profond menant à la haute mer entre les ports actuels et l'île Partridge. Le plan d'ensemble à long terme de Saint John prévoit un déplacement dans cette direction pour bénéficier de l'eau profonde. Le port est relié au Maine et aux États de la nouvelle Angleterre par le chemin de fer du Sud du Nouveau-Brunswick ainsi qu'aux voies du CN.
Il y a d'autres concurrents le long de la côte est des États-Unis : Quonset Point, à Rhode Island, New York-New Jersey même et peut-être Norfolk, en Virginie, et Savannah, en Géorgie. Il y a également lieu de mentionner Freeport, aux Bahamas, qui a construit un port offshore en eau profonde pouvant recevoir un million d'EVP à transborder à destination des États-Unis.
Pour terminer, je passe à la politique portuaire fédérale. Il y a dans ce domaine des questions qui méritent d'être examinées par votre comité. La première réside dans les restrictions financières, ou plus précisément dans les limites sur les emprunts de capital imposées aux autorités portuaires canadiennes par la Loi maritime du Canada. De plus, les autorités portuaires ne sont pas admissibles à un soutien financier direct de n'importe quelle activité qu'elles souhaiteraient entreprendre.
Ces questions ont été bien exposées et ont fait l'objet de recommandations claires lors de l'examen de la Loi maritime du Canada réalisé il y a deux ans. Depuis que les résultats de l'examen ont été transmis au gouvernement, les ports attendent des mesures concrètes. Les recommandations portent sur beaucoup des questions que j'ai abordées et proposent des mesures qui permettraient aux ports de jouer un rôle plus direct dans le développement de leurs installations.
Avec les restrictions actuellement imposées sur leur pouvoir d'emprunter du capital, les autorités portuaires ne peuvent rien entreprendre d'important. Je crois savoir qu'à Prince Rupert, le CN consacre plus de 100 millions de dollars à l'amélioration de ses voies, que le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral font chacun une contribution de 30 millions de dollars et que des investisseurs privés et les terminaux de New York avancent 60 millions de dollars. Le port lui-même n'investit que 25 millions de dollars. Il ne joue donc qu'un petit rôle dans ses propres activités et son propre avenir. Nous devons nous attaquer au problème du pouvoir d'emprunt des autorités portuaires. C'est un aspect important que le gouvernement fédéral doit reconnaître pour profiter de la possibilité pour les ports canadiens de desservir le marché nord-américain, en plus du marché canadien. Nous pouvons aider les Américains en les débarrassant de certains de leurs problèmes de sécurité.
Vous vous souviendrez qu'il y a quelques mois, des sénateurs ou d'autres membres du Congrès américain avaient proposé un projet de loi imposant des restrictions sur les conteneurs. Le projet de loi aurait interdit l'entrée aux États- Unis de tout conteneur qui n'aurait pas été inspecté et passé aux rayons X et au détecteur de radiations. Si le projet de loi avait été adopté, les ports canadiens auraient eu l'occasion d'inspecter tous les conteneurs à destination des États- Unis. Nous pouvons encore leur assurer de la sécurité.
La construction ou l'aménagement d'un nouveau terminal à conteneurs dans de nouveaux sites près de petites agglomérations urbaines ou dans des régions isolées présente un certain danger. Les Américains craignent qu'une bombe sale n'arrive à New York ou à Los Angeles dans un conteneur. Je ne dis pas que nous voulons faire entrer une bombe sale dans un petit port du Canada, mais les dommages seraient beaucoup moins importants que dans un grand port urbain des États-Unis. Il y a peut-être une occasion à saisir pour les Canadiens. Nous devrions en discuter avec les Américains.
L'autre question à considérer est celle du transport maritime à courte distance. Je n'en parlerai pas très longuement car elle fait l'objet de discussions dans le cadre de l'ALENA. Deux conférences ont eu lieu en avril et en juin, je crois, et ont abouti à une déclaration des trois parties disant qu'elles établiraient un cadre de discussion pour parler du développement du transport maritime à courte distance. C'est un premier pas important parce que c'est la première fois que les Américains nous ont permis de mettre la question sur la table.
Le transport maritime à courte distance s'inscrit dans le commerce côtier. Il permettrait la création au Canada de grands ports-pivot à partir desquels les marchandises seraient réexpédiées vers les ports américains et canadiens sans que soient soulevées les questions de cabotage. Nous devons continuer à progresser sur ce front.
Nous devons prouver aux Américains qu'il peut être rentable pour eux de recourir aux ports canadiens pour augmenter le trafic de conteneurs. Ce serait une solution très économique parce que les ports américains seraient obligés d'entreprendre de grands travaux de dragage pour construire d'importants terminaux à conteneurs. Or le dragage est pratiquement impossible aux États-Unis, compte tenu des restrictions environnementales imposées. Au Canada, beaucoup de nos ports n'ont besoin d'aucun dragage, ce qui nous permet d'avoir les installations en eau profonde dont nous avons besoin pour accueillir les grands navires.
Le gouvernement du Canada devrait continuer d'envisager le concept de porte d'entrée dans le Canada atlantique. Nous avons besoin pour cela d'améliorer les liaisons ferroviaires reliant les Maritimes à la côte est des États-Unis et aux États de la Nouvelle-Angleterre. Les lignes du CN vont jusqu'à Saint John. Nous avons également les lignes des chemins de fer du sud du Nouveau-Brunswick qui relient Saint John et Brownville Junction, dans le Maine, et rejoignent les lignes de Bangor et Aroostook, lesquelles s'étendent jusqu'à Boston et même New York. Nous devons améliorer ces voies ferrées privées. Nous devons également améliorer nos postes frontaliers et nos routes et nous attaquer enfin à la question du transport maritime à courte distance.
Il faudrait en outre que le gouvernement fédéral maintienne et renforce son soutien des partenariats publics-privés. Il serait impossible de construire ces terminaux-pivot à conteneurs sans la participation du secteur privé. Plusieurs entreprises internationales, ayant pour la plupart des liens avec des ports existants ou des lignes maritimes, construisent de grands terminaux à conteneurs, mais elles tiennent à une participation gouvernementale à leurs projets.
Donc, de grandes compagnies, telles que Hutchison Whampoa de Hong Kong, exploitent des terminaux à conteneurs partout dans le monde. L'administration portuaire de Singapour a établi une société privée, la PSA, qui exploite des conteneurs partout dans le monde. La NYK, grande ligne maritime japonaise, exploite actuellement le terminal Ceres de Halifax, je crois.
Beaucoup de grands investisseurs s'intéressent aux terminaux à conteneurs, mais nous devons trouver un moyen de les mettre au courant de ce que le Canada a à offrir. C'est exactement ce qui s'est passé à Prince Rupert, une entente entre partenaires privés et publics pour exploiter une excellente occasion.
Je crois enfin qu'il est important de continuer à prendre des mesures de rationalisation des ports. Des discussions sont actuellement en cours entre les conseils d'administration des autorités portuaires de Vancouver, de Fraser River et de North Fraser en vue de regrouper toutes les installations portuaires de Vancouver afin d'éviter la concurrence, de rationaliser les services et d'accroître la capacité de manutention des marchandises. J'en suis vraiment très heureux. Beaucoup d'entre nous, dans le secteur portuaire, ont discuté de cette possibilité, au désespoir des directeurs de port avec lesquels nous devons traiter. Je crois que le ministre est intervenu pour dire que c'est une bonne idée. Depuis, il y a des choses qui se produisent.
C'est tout ce que j'ai à dire pour le moment. Je préfère à ce stade répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Ircha.
Dans votre document intitulé «Characteristics of Tomorrow's Successful Port,» vous dites à la page 3 qu'à cause de l'augmentation constante de la taille des porte-conteneurs purs, nous avons besoin de chenaux d'entrée plus profonds et d'aires d'entreposage beaucoup plus étendues.
Vous mentionnez également qu'un expert, Gustaaf de Monie, a affirmé en 1996 qu'« une flotte mondiale de porte- conteneurs de 15 000 EVP n'aurait besoin que de quatre grands ports-pivot pour les desservir », dont « un sur la côte est et un autre sur la côte ouest de l'Amérique du Nord ».
Est-ce qu'un port canadien comme Vancouver ou Halifax peut constituer l'un de ces grands ports-pivot de l'Amérique du Nord?
M. Ircha : Je suis heureux que vous posiez cette question parce que je n'ai pas eu le temps de l'aborder dans mon exposé.
Gustaaf est un collègue. Je le connais bien. La situation a évolué depuis qu'il a écrit cet article. Il s'agissait d'un document de travail destiné à amener les gens à réfléchir. En 1996, le simple fait de parler de porte-conteneurs de 15 000 EVP était assez révolutionnaire. Les gens ne croyaient pas à la possibilité de construire des navires de cette taille.
Dans son article, Gustaaf a parlé de construire des superports-pivot, l'un sur la côte est et l'autre sur la côte ouest des États-Unis pour desservir respectivement l'Asie et l'Europe. Il avait ajouté que, par suite des restrictions sur le tirant d'eau imposées dans les ports américains, il fallait construire des terminaux à conteneurs offshore, un peu comme l'aéroport d'Osaka, pour qu'ils soient en eau profonde.
Il a un peu travaillé dans ce sens à Freeport, où il a aidé les autorités bahamiennes à construire un port dans une île artificielle aménagée au large de Freeport.
J'en ai discuté avec Gustaaf dans le passé. Plusieurs autres collègues ont d'ailleurs écrit des articles semblables sur les moyens d'affronter la croissance massive de la conteneurisation et d'accueillir ces superporte-conteneurs.
En 2001, j'ai écrit un article préconisant une solution canadienne. Dans cet article, qui a servi de base à tous les autres documents que vous avez reçus, j'ai arrêté mon choix sur quatre ports possibles : Prince Rupert et Vancouver sur la côte ouest et Canso et Halifax sur la côte est. Ce sont des ports en eau profonde dotés de grands bassins d'évitage et de liaisons ferroviaires, c'est-à-dire de toutes les caractéristiques voulues pour établir des ports-pivot. Par conséquent, pourquoi ne pas vanter la solution canadienne, au lieu d'envisager de construire une île artificielle au large, ce qui serait extrêmement coûteux, pour faire le transbordement à destination des États-Unis? Je crois que l'idée a commencé à faire son chemin dans l'industrie.
La présidente : Contrairement à beaucoup des grands ports du monde, les ports canadiens ne sont pas tous ouverts 24 heures sur 24 et sept jours par semaine. Cela réduit l'efficacité et la productivité. Pouvez-vous nous donner plus de détails au sujet du programme Pier Pass mis en œuvre aux ports de Los Angeles et Long Beach? Le Canada a-t-il des leçons à tirer de cette initiative?
M. Ircha : L'initiative Pier Pass n'a pas été facile à réaliser à Los Angeles-Long Beach. Il y a eu, en fait, beaucoup de résistance. Je crois que les camionneurs ont fait une grève d'une journée et ont menacé d'en faire d'autres.
Le programme Pier Pass est un outil de gestion de la demande qui impose une surtaxe de 40 $ US par EVP pour déplacer les conteneurs dans le port pendant les heures de pointe. En dehors de ces heures, c'est gratuit.
Les entreprises de camionnage ont donc intérêt à se présenter au port le soir ou à minuit au lieu de venir dans la journée. Le terminal reste donc ouvert à la réception et à l'expédition des conteneurs aux heures creuses.
Les camionneurs se sont opposés à ce programme en disant qu'ils ont l'habitude de travailler le jour et que cela les oblige maintenant à travailler la nuit. Ils n'y voyaient aucun intérêt parce qu'ils ne reçoivent aucun supplément pour le travail de nuit ou les heures supplémentaires. Quoi qu'il en soit, le différend s'est réglé.
Le programme Pier Pass fonctionne bien maintenant. Il a entraîné un changement des heures d'utilisation des ports. Il n'y a plus de pointes de trafic, qui est assez également réparti.
Le port de Vancouver a quelque chose de semblable. Il n'a pas établi un programme de surtaxe, mais il a prolongé les heures d'ouverture et a créé un système de réservation en ligne sur Internet. Cela explique en partie la rotation de 20 minutes des camions que le port a réussi à réaliser. Les responsables savent d'avance l'heure à laquelle les camions doivent arriver.
Autrement dit, l'entreprise de camionnage réserve une heure d'arrivée sur Internet pour ramasser les conteneurs X, Y et Z. Ainsi, les autorités du port peuvent préparer les conteneurs pour que le camion puisse les charger aussitôt arrivé. Auparavant, le camion arrivait sans préavis concernant l'heure et les conteneurs à ramasser. Il fallait ensuite une vingtaine de minutes pour trouver les conteneurs et les déplacer. Pendant ce temps, le camion attendait, polluant l'air et retardant d'autres camions.
Voilà le genre de mesures que les ports prennent pour augmenter la productivité et essayer de prévenir les retards que nous avons connus en 2004.
Le sénateur Tkachuk : Nous faisons de notre mieux au Sénat pour acquérir une certaine expertise en matière de ports — c'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons entrepris cette étude — parce que tant de ce que nous faisons au Canada dépend du commerce. À ma connaissance, le Sénat n'a pas tenu depuis longtemps de débat ou de discussions sur les ports. Je suis donc très intéressé par ce que vous avez à dire.
Nos ports ont beaucoup d'inconvénients. Par exemple, Halifax n'a pas une très grande population. Par conséquent, lorsqu'un conteneur plein de téléviseurs est livré, ce n'est pas comme à New York où il y a une grande clientèle pour des télés. Toutefois, nous avons des ports en eau profonde et des chemins de fer. J'ai été fasciné d'apprendre que les ports américains ne sont pas desservis par des voies ferrées comme les nôtres. Ce sont là deux grands avantages pour l'Amérique du Nord.
Croyez-vous que les ports devraient jouir de la même indépendance que les aéroports au niveau de l'exploitation?
M. Ircha : Oui.
Le sénateur Tkachuk : C'était une de mes questions. J'en ai quelques autres, mais je vais commencer par celle-ci. On semble avancer très lentement pour tirer parti de ce qui constitue, à mon avis, des avantages assez importants par rapport aux autres ports d'Amérique du Nord.
M. Ircha : Vous avez dit en premier lieu que le Sénat ne s'est pas beaucoup occupé des ports. En fait, bien peu de gens à Ottawa se sont beaucoup occupés des ports, et pour cause. Vous avez mentionné que le commerce est très important pour le Canada, mais 80 p. 100 de notre commerce se fait avec les États-Unis et la plupart des biens échangés sont transportés par la route ou par chemin de fer. Par conséquent, à Transports Canada, les domaines les plus importants lorsque nous avons affaire aux Américains sont les routes et les voies ferrées.
Bien sûr, les ports sont importants. Ils sont importants pour des gens comme moi qui travaillent dans ce secteur. Toutefois, comme certains de mes collègues, je comprends bien pourquoi vous n'y portez pas une grande attention... En fait, nous sommes très reconnaissants que vous y portiez maintenant une certaine attention.
Le sénateur Tkachuk : Dans les régions céréalières dont je suis originaire, cela est très important pour nous.
M. Ircha : Pour certains, c'est très important, mais pour d'autres, ce n'est pas le cas. J'ai une histoire à vous raconter. Je ne sais pas si c'est un mythe urbain ou non, mais cela se passe dans l'un de ces talk-shows américains. L'un des invités disait : « Je ne veux pas de tous ces conteneurs sur nos routes. Ils font beaucoup trop de bruit et dérangent tout le monde. Nous n'avons pas besoin de conteneurs. Je ne veux pas de conteneurs. Moi, j'achète toutes les choses dont j'ai besoin chez Wal-Mart. »
Ce n'est presque pas croyable. Les gens ne comprennent pas tout cela. Ils ne connaissent pas les éléments de la chaîne logistique.
Vous avez parlé de la profondeur d'eau et des voies ferrées qui arrivent jusqu'aux quais. Vous avez parfaitement raison. Nous avons l'avantage d'avoir des chemins de fer qui arrivent jusqu'aux quais. Certains ports américains commencent à en avoir ou cherchent à trouver d'autres solutions.
À Los Angeles-Long Beach, les autorités ont dépensé 2,1 milliards de dollars afin de construire le corridor d'Alameda, qui sert uniquement à transporter les conteneurs du port jusqu'à la cour de triage, à 20 milles de là, pour essayer d'accélérer le processus. C'est vraiment très coûteux.
Au sujet de la structure d'organisation des ports, vous avez fait une observation très intéressante : Devraient-ils être traités comme les aéroports? Avant l'adoption de la Loi maritime du Canada — je m'occupais de très près du processus à cette époque —, le ministre des Transports d'alors, Doug Young, a fait des visites à plusieurs endroits et a dit aux responsables des ports qu'il avait l'intention de déposer un projet de loi pour créer des ports sur le modèle des autorités aéroportuaires. Il se trouve que je connais bien ces autorités parce que je fais partie du conseil d'administration de l'autorité aéroportuaire du Grand Fredericton. Je peux donc voir la différence entre ce que nous pouvons faire à l'aéroport et ce qui se passe au port de Saint John, par exemple. Parce que ce sont des agences fédérales, les autorités portuaires canadiennes sont soumises à bien plus de restrictions que les autorités aéroportuaires. Comme on peut s'y attendre, c'est un peu différent.
Au départ, l'intention initiale était d'accorder aux ports les mêmes pouvoirs qu'aux aéroports. Toutefois, quelque chose s'est passé entre le moment où Doug Young a parlé du projet de loi pour la première fois et celui où la Loi maritime du Canada a été adoptée, quatre ans plus tard. Il y a eu beaucoup de consultations, de lobbying et de discussions. Nous avons donc fini par avoir une version diluée de ce qui avait été prévu à l'origine. Le rapport d'examen de la Loi a tenté de remédier à la situation en proposant de donner aux ports des pouvoirs semblables à ceux d'une entreprise privée. Les auteurs du rapport sont-ils allés assez loin? Je ne suis pas en mesure de le dire.
Le sénateur Tkachuk : Il est évident que ce n'est pas le cas. Vous avez parlé, il y a quelques instants, de la capacité d'emprunt des ports. Comment résoudre ce problème sans leur accorder plus d'indépendance pour qu'elles puissent former des partenariats avec des gens d'affaires? Si on attend que les gouvernements interviennent, l'attente risque d'être très longue. Entre-temps, une autre ville d'Amérique du Nord aura fait la même chose.
M. Ircha : Les restrictions imposées aux autorités portuaires canadiennes les empêchent d'emprunter en utilisant des terres fédérales comme garantie. Ces terres appartiennent à l'État. Par conséquent, les autorités ne peuvent emprunter que sur la base des recettes qu'elles tirent des activités qui se déroulent sur ces terres. Elles ne peuvent pas offrir les terres en garantie. Elles disposent donc d'actifs immobiliers valant 100 ou 200 millions de dollars qu'elles n'ont pas le droit d'utiliser pour garantir des emprunts à cause de règles du gouvernement fédéral ou du Conseil du Trésor qui sont probablement justifiées, mais qui limitent sérieusement leurs activités. À part ces restrictions, il y a un plafond. Une fois la Loi maritime du Canada adoptée, les lettres patentes délivrées au port de Halifax précisaient qu'il ne pouvait pas emprunter plus de 25 millions de dollars. Même si les autorités portuaires sont en principe indépendantes, le gouvernement fédéral craint toujours les détournements de fonds. Il croit que si le port avait de graves difficultés financières, des gens malhonnêtes trouveraient des moyens de se remplir les poches. Il a donc dit : « Non, nous ne vous permettrons d'emprunter qu'à concurrence du plafond qu'à notre avis, vous pouvez gérer. » Le port de Vancouver à une limite beaucoup plus élevée parce qu'il a trafic nettement supérieur.
Le sénateur Tkachuk : D'après ce que j'ai lu, le transport ferroviaire est considérablement moins cher que le transport par camion. Pourtant, les conteneurs sont déchargés autant sur des camions que sur des wagons de chemin de fer. Quel genre de conteneurs sont transportés par camion? Autrement dit, sur quels critères économiques se fonde la décision d'expédier un conteneur par camion plutôt que par rail, quand le transport ferroviaire est beaucoup moins cher?
Nous essayons de suivre ces conteneurs pour déterminer les moyens les plus efficaces de les transporter entre le port et le marché. Où vont ces conteneurs? Nous avons beaucoup entendu parler de terminaux intérieurs. Pour moi, c'est un concept assez vague, ce qui n'empêche pas qu'il y en a un en construction à Edmonton pour les légumineuses. Quels genres de produits se prêtent à l'acheminement vers des terminaux intérieurs?
M. Ircha : L'un des buts de la conteneurisation est de réduire la manipulation des biens transportés. Si vous expédiez des ordinateurs d'Asie, par exemple, vous les mettrez dans un conteneur qui sera empoté à l'usine et ne sera pas rouvert avant d'arriver à l'entrepôt à partir duquel les ordinateurs seront distribués au Canada. Le conteneur ne devrait être dépoté à aucun endroit le long du chemin, à moins que ce ne soit à des fins d'inspection douanière. On ne peut tirer parti des avantages de la conteneurisation que si le conteneur va du point d'origine au point de destination sans être dépoté en chemin.
Nous avons effectivement un certain nombre de plates-formes intérieures de dédouanement qui, comme vous l'avez mentionné, sont essentiellement des ports intérieurs.
Je viens de parler de conteneurs complets, c'est-à-dire de conteneurs remplis d'un produit expédié à un seul destinataire. Beaucoup de conteneurs arrivant au Canada peuvent ne pas être complets. Il est possible de remplir un conteneur de deux ou trois genres de produits. Cela se produit souvent au port. Certains expéditeurs peuvent envoyer au centre d'empotage un ou plusieurs camions chargés d'un produit. Celui-ci est placé dans un conteneur allant par exemple à Singapour. Là, le conteneur est dépoté, c'est-à-dire qu'il est ouvert, que les marchandises sont déchargées dans un centre de conteneurs, puis chargées dans des camions et livrées localement.
Dans le cas d'un port intérieur comme Edmonton, Montréal ou Toronto, les conteneurs étrangers arrivent à Halifax, sont chargés sur des wagons à deux niveaux, puis expédiés à Toronto. Les conteneurs ne s'arrêtent jamais à Halifax. Au port intérieur de Toronto, ils sont déchargés dans le centre de conteneurs, dépotés et distribués aux clients de la région torontoise. S'ils sont destinés à Winnipeg, ils restent à bord du train pour être dépotés à Winnipeg même.
Nous avons actuellement une situation assez bizarre dans la région de l'Atlantique : des conteneurs complets partent de Halifax par rail à destination de Toronto ou de Montréal, où ils sont chargés sur des camions, après avoir été dépotés ou non, pour être réexpédiés vers la région de l'Atlantique. Certains de mes collègues envisagent un centre de conteneurs à Halifax même, à l'extérieur du port, où les camionneurs pourraient apporter les conteneurs pour dépoter ceux qui sont destinés à la région, au lieu de leur faire faire l'aller-retour à Toronto. La dynamique de ce processus est très différente de ce que vous pensez.
Vous voulez savoir pourquoi les conteneurs sont transportés par camion ou par rail. Les expéditeurs préfèrent le camion, qui leur fait gagner de la souplesse et du temps. Les chemins de fer ont des horaires qui entraînent des retards. Une entreprise de camionnage livre le conteneur aussi rapidement que possible, sans compter qu'elle le livre directement au destinataire, ce qui évite d'avoir à organiser du transport entre la gare et l'entrepôt du destinataire. Le camion offre un service plus personnalisé, ce qui présente des avantages de nos jours.
Dans le monde traditionnel du transport, la limite se situe aux alentours de 900 à 1000 kilomètres. Si la distance à parcourir est inférieure à 900 kilomètres, le camion peut être préférable. Si c'est plus de 900 kilomètres, le rail est plus rentable.
Les camions qui desservent le port de Vancouver ou celui de Halifax vont en général livrer dans la région, tandis que le train va beaucoup plus loin, soit à Edmonton ou à Chicago, puis dans le Midwest. Il y a donc de nombreux mouvements différents.
Ai-je répondu à vos questions?
Le sénateur Tkachuk : Oui, je vous remercie.
Le sénateur Phalen : Merci beaucoup de votre exposé. Mes questions porteront sur le Canada atlantique. D'après Transports Canada, Halifax est le seul port canadien qui fasse du transport maritime à courte distance à destination des États-Unis.
M. Ircha : Oui.
Le sénateur Phalen : Le transport maritime à courte distance semble avoir de nombreux avantages : moins de pollution, moins d'encombrement sur les routes, grand rendement énergétique, sécurité, etc. Pourtant, l'expérience européenne nous montre que des stimulants financiers sont nécessaires pour encourager cette forme de transport.
Quels changements réglementaires le gouvernement canadien devrait-il faire, à votre avis, pour encourager le transport maritime à courte distance?
M. Ircha : C'est une question difficile parce que le gouvernement canadien n'est pas le seul en cause. Le gouvernement des États-Unis doit lui aussi être de la partie.
Permettez-moi de remonter un peu dans le temps. Lors de la négociation de l'ALENA, dont je suivais de près le compte rendu, tout semblait aller très bien. Nous étions en procédure accélérée. Vous vous souviendrez que l'ALENA devait être approuvé au plus tard en novembre de cette année pour que les Américains puissent appliquer la procédure accélérée.
Au cours de l'été, les négociateurs du Canada ont parlé à leurs homologues des États-Unis de l'ouverture du cabotage aux navires canadiens et de la possibilité de les traiter comme des navires américains, pour qu'ils puissent se rendre dans plusieurs ports américains, tandis que les navires américains seraient autorisés à aller dans de multiples ports canadiens. Tout cela s'inscrivait bien dans le cadre d'un accord de libre-échange.
La documentation montre cependant que le secteur américain du transport maritime s'est réveillé cet été-là. J'ai commencé à voir des articles et des éditoriaux se demandant si les gens avaient toute leur tête lorsqu'ils parlaient d'éliminer ou d'affaiblir le Jones Act.
Aux États-Unis, cette loi constitue un symbole sacré pour le secteur du transport maritime, qui réagit très mal face à quiconque essaie d'y toucher, bien que cela commence à se faire aujourd'hui. La loi avait été adoptée en 1916 ou 1918. Pendant la Première Guerre mondiale, les Américains, qui ne faisaient pas partie des belligérants, se sont aperçus qu'ils ne pouvaient pas trouver des navires pour transporter leurs marchandises. Ils ont donc estimé qu'ils devaient avoir un secteur protégé de transport maritime pour être sûrs de toujours disposer de navires, même en temps de guerre. C'est ainsi qu'a été adopté le Jones Act.
C'est une loi très restrictive. Le Canada en a une semblable concernant le cabotage. Les navires américains ne peuvent pas aller à leur gré dans les ports canadiens, pas plus que nos navires ne peuvent aller dans les ports américains.
Nous devons donc avoir des discussions sérieuses avec les Américains pour leur montrer qu'à cause des avantages que vous venez d'énumérer du transport maritime à courte distance, du besoin de créer des ports-pivot à conteneurs et d'expédier des marchandises aux ports, nous devons assouplir les règles s'appliquant aux navires canadiens et américains faisant du commerce le long de la côte. Il faudra à cette fin des discussions, qui ont déjà commencé.
En avril de cette année, les ministres des Transports se sont entendus, au cours d'une conférence tenue à Vancouver, pour que le Canada, le Mexique et les États-Unis établissent un cadre général de discussion du transport maritime à courte distance. Les Américains commencent à se rendre compte des besoins dans ce domaine.
La route I-96 allant des Maritimes jusqu'en Floride est très encombrée. Les États-Unis ont beaucoup de difficultés à l'agrandir à cause des problèmes environnementaux connexes. Nous pouvons donc soit nous en tenir à une route souvent bloquée par des bouchons de circulation, soit chercher une solution comme le transport maritime à courte distance.
Le sénateur Phalen : Est-il vrai que nous ne pouvons actuellement aller que dans un seul port des États-Unis?
M. Ircha : Nous pouvons aller dans beaucoup de ports, mais nous ne pouvons pas y prendre des marchandises pour aller les livrer ailleurs, c'est-à-dire participer au commerce. Nous avons, par exemple, la Kent Line partant de Saint John. Il y a eu une société qui expédiait des rouleaux de papier de Saint John à destination de plusieurs ports de la côte est des États-Unis, New York, Norfolk et des ports de la Floride. Les navires déchargeaient les rouleaux de papier et ne ramassaient rien d'autre. La société en question ne l'a pas fait très longtemps avant de déposer son bilan. Ce n'était vraiment pas très rentable.
Le sénateur Phalen : Vous avez mentionné dans vos documents la possibilité d'établir un terminal de 750 000 EVP à Rockingham. Vous avez également parlé des inconvénients de cette option, comme l'encombrement. Ce projet a-t-il vraiment des avantages?
M. Ircha : Établir un terminal à Rockingham, dans le bassin de Bedford?
Le sénateur Phalen : Oui.
M. Ircha : Il y avait des avantages et des inconvénients. Les avantages étaient dus à la disponibilité de beaucoup de terrain aux alentours. La zone d'estran pouvait être aménagée et il y avait un terminal à conteneurs qui pouvait être agrandi. Le terminal se trouvait près de la cour de triage du CN, ce qui lui assurait un bon accès ferroviaire de Halifax jusqu'au Canada central et au Midwest américain.
Parmi les inconvénients, il y avait le fait que la zone d'estran ne faisait pas partie des terres publiques. Pour une raison ou une autre, elle appartenait au CN, qui était partenaire dans l'affaire et souhaitait en discuter.
L'autre inconvénient était la présence, à l'arrière, de Clayton Park, de l'Université Mount Saint Vincent et d'autres lotissements assez huppés. Je ne suis pas sûr que les gens se rendaient compte des conséquences. Je m'en suis aperçu en discutant avec la présidente de l'Université Mount Saint Vincent, qui m'a dit que les autorités portuaires lui avaient offert d'installer un vitrage triple sur toutes les fenêtres de l'université donnant sur le port. Cette mesure était censée atténuer les effets environnementaux.
Mais le problème ne se limite pas au bruit. Il y a aussi la perte d'une vue panoramique, les lumières du port pendant la nuit, le bruit, la pollution atmosphérique due à la poussière et ainsi de suite. Nous avons constaté les conséquences environnementales néfastes à beaucoup d'endroits du monde où on a essayé d'aménager des terminaux à conteneurs dans un milieu urbain. En Australie, des terminaux ont été fermés à cause de la croissance urbaine aux alentours.
Le sénateur Phalen : Cela m'amène à la question suivante. Vous avez dit que Canso est un port en eau profonde assez grand pour un bassin d'évitage. Quelle est la profondeur du port? Peut-il accueillir les très gros porte-conteneurs?
M. Ircha : Oui. Je crois qu'il a une profondeur d'eau de 20 à 30 mètres. Je sais qu'il est plus profond que Halifax. Il reçoit actuellement des pétroliers de 350 000 tonnes.
Le sénateur Phalen : Vous dites dans vos documents que Saint John, au Nouveau-Brunswick, n'est pas situé sur la principale route de navigation. Est-ce que Canso se trouve sur cette route?
M. Ircha : Le port se trouve sur la même route de navigation que Halifax. Elle passe au sud de Terre-Neuve, au large du cap Race, puis vire vers le sud en direction de New York. C'est la route orthodromique entre l'Europe et New York. Elle tourne vers le bas le long de la côte sud de la Nouvelle-Écosse. Un détour sur Canso est équivalent à un détour sur Halifax. Il y a peut-être une petite différence, mais elle est minime.
Le sénateur Phalen : Y aurait-il un avantage à ce que le port de Halifax ait des opérations satellites à Canso?
M. Ircha : Cela nous ramène à la question de la rationalisation des ports. Nous avons une première initiative de rationalisation à Vancouver, Fraser et North Fraser. Si elle réussit, nous pourrons réunir ces intervenants et tenter de rationaliser encore. Je crois que le succès ouvrirait de nouvelles perspectives de rationalisation.
Je sais qu'on a déjà parlé de Halifax et Canso. Au Nouveau-Brunswick, les gens ont discrètement évoqué Saint John-Belledune. Il y a donc plusieurs possibilités.
Le sénateur Mercer : Je pouvais voir le terminal de Fairview Cove, à Halifax, de chez moi lorsque j'étais jeune. Mon père a grandi à peu de distance de là et avait l'habitude d'aller à la pêche et de se baigner à Fairview Cove, là où se trouve maintenant le terminal. Je connais donc bien ce coin.
On nous a dit à plusieurs reprises que les deux terminaux de Halifax ne fonctionnent qu'à 40 p. 100 de leur capacité et que les 60 p. 100 restants représentent en gros la capacité maximale de Prince Rupert.
M. Ircha : Oui, en gros.
Le sénateur Mercer : J'ai de la difficulté à comprendre qu'on parle d'agrandir des ports lorsque nous avons de très bons terminaux à Halifax qui sont loin d'avoir atteint leur capacité maximale.
Ce matin, aux actualités, le chef du Bloc québécois disait que Québec pourrait faire partie de la porte d'entrée de l'Atlantique. Il s'est corrigé ensuite en ajoutant que cela n'excluait pas Halifax.
Compte tenu de la capacité inutilisée de 60 p. 100 à Halifax et du fait que le port se trouve sur la principale route de navigation, serait-il sensé de créer un grand terminal à Québec?
M. Ircha : C'est une question intéressante. Je ne peux pas confirmer l'utilisation à 40 p. 100. J'ai appris de plusieurs sources que le port est sous-utilisé, mais je ne sais pas dans quelle mesure.
Vous dites que la capacité inutilisée de 60 p. 100 est équivalente à la capacité du terminal de Prince Rupert. C'est exact, elle équivaudrait en gros à la capacité de la première phase, mais le terminal de Prince Rupert doit être développé en plusieurs étapes pour passer de 500 000 EVP au départ à 1,7 million d'EVP plus tard.
La question concernant Québec est intéressante. À ma connaissance, Québec ne peut pas accueillir de grands navires à cause des restrictions de profondeur dans le Saint-Laurent. Je crois que la limite s'arrête à 4 500 ou 5 000 EVP.
Dans le passé, on avait parlé dans le secteur portuaire d'une relation entre Québec et Montréal semblable à celle entre Halifax et New York. Québec pourrait servir de port de trop-plein, en ce sens que les grands porte-conteneurs pourraient faire escale à Québec, y décharger un certain nombre de conteneurs qui seraient expédiés par chemin de fer vers le Canada central, puis poursuivre leur route vers Montréal pour y décharger le reste de leurs conteneurs.
Je ne suis pas au courant de tout ce qui se passe dans les ports, mais ces discussions n'ont abouti à rien. Le problème de Québec réside dans sa profondeur d'eau. Voilà pourquoi les gens envisagent plutôt Sept-Îles comme port de transbordement vers Montréal et peut-être même vers les Grands Lacs.
Le sénateur Mercer : L'un des nombreux avantages des deux terminaux de Halifax réside dans la proximité de la liaison ferroviaire. En fait, le chemin de fer est vraiment sur place. De plus, le terminal de Fairview Cove est très grand et, comme le port vient d'acheter le terrain voisin, il pourrait doubler ou tripler sa capacité actuelle.
Vous avez dit dans votre exposé quelque chose qui m'a inquiété. C'est le fait que les conteneurs restent entre trois et cinq jours au terminal. Il me semble que plus ce temps est court, mieux tout le monde s'en porte. Une fois qu'ils sont déchargés à Halifax, les conteneurs sont transportés par camion ou par rail. Le transport ferroviaire est préférable parce qu'il est plus respectueux de l'environnement, est moins coûteux et ne nécessite pas une grande infrastructure. Pourquoi ne pouvons-nous pas sortir les conteneurs en moins de trois à cinq jours?
M. Ircha : Je vais tenter d'expliquer cela de deux façons. Permettez-moi de parler du transport ferroviaire d'abord.
Lorsqu'on charge des conteneurs sur un navire, les plus lourds doivent être placés le plus bas possible, et les plus légers au sommet. Si un porte-conteneurs transporte beaucoup de conteneurs sur le pont, il est probable que la plupart d'entre eux sont vides et sont ramenés quelque part pour y être chargés. Lors du déchargement du navire, les plus légers sortent ordinairement en premier.
La même chose se produit dans le cas des wagons à deux niveaux : le conteneur le plus lourd doit être en bas, et le plus léger en haut, pour éviter les accidents dans les virages. Par conséquent, les conteneurs légers sont d'abord sortis du navire et placés à terre. Ensuite, les conteneurs lourds sont sortis et placés sur le wagon. À l'étape suivante, on revient chercher les conteneurs légers pour les placer dans le wagon par-dessus les lourds. C'est une description simplifiée du processus.
Il faut donc décharger les conteneurs et les placer quelque part dans la cour de triage. Il y a tout un problème de zonage pour déterminer où les placer et comment les manutentionner. Les douaniers voudront ordinairement inspecter 4 à 5 p. 100 des conteneurs venant d'outre mer en les passant au détecteur de radiations ou en les ouvrant pour vérifier la concordance entre le manifeste et le contenu.
Une partie du retard est donc dû aux douanes. Si les conteneurs doivent être livrés par camion, il y a également des retards. Il faut prendre contact avec le consignataire, qui doit de son côté s'arranger pour trouver un camion. Tout cela prend du temps.
Si les conteneurs doivent être acheminés par rail vers un port intérieur, comme Toronto ou Montréal, l'inspection douanière peut se faire à destination. Il n'est pas nécessaire de retenir les conteneurs si les douanes permettent de les garder sous caution.
Dans ce cas, aucun contact n'est nécessaire avec le consignataire parce que les conteneurs sont chargés sur les wagons et directement expédiés. Nous obtenons une productivité élevée dans le cas du transport par rail, et une productivité moindre dans le cas du transport par camion, mais il y a toujours des retards. Lorsque 1 000 conteneurs sont sortis d'un navire, il n'y en a pas nécessairement 1 000 autres qui quittent le port au même moment. Encore une fois, il y a des retards.
L'objectif, comme vous le dites à juste titre, est de réduire au minimum la durée d'entreposage. Les consignataires vérifient auprès de l'autorité portuaire ou de l'exploitant du terminal la politique appliquée en matière de temps d'entreposage gratuit. Ce temps peut aller de 6 à 10 jours. Si le consignataire n'a pas besoin de la marchandise tout de suite, il peut trouver préférable de la laisser au port, où elle est en sécurité.
Dans quelques-uns des cours que je donne, j'explique aux étudiants que la politique du port doit refléter la recherche de l'efficacité et réduire le temps d'entreposage à 3 ou 4 jours ou à la période qui convient dans les circonstances. La politique peut donc prévoir que l'entreposage devient payant après quatre jours.
Les autorités de Los Angeles-Long Beach ont ramené le temps d'entreposage gratuit de 6 à 3 jours, il y a environ un an. Elles facturent maintenant 100 $ par jour d'entreposage supplémentaire, ce qui encourage les consignataires à sortir leurs conteneurs le plus tôt possible.
Le sénateur Mercer : Est-ce que le recours à des terminaux intérieurs contribuerait à résoudre le problème? Une longue période d'entreposage provoque de l'encombrement dans les terminaux. S'il était possible de décharger les conteneurs et de les charger immédiatement sur les wagons pour les expédier ailleurs, on pourrait réduire l'encombrement dans le terminal. Dans le cas de Fairview Cove, on pourrait envisager d'expédier les conteneurs à Truro, ce qui pourrait être plus efficace. L'inspection douanière pourrait se faire là.
M. Ircha : D'autres ports ont essayé et utilisent différents moyens, comme c'est le cas à Vancouver. Ils peuvent entreposer les conteneurs vides à l'extérieur, n'importe où. Il existe de nombreuses techniques pour accroître la productivité lorsque des problèmes de capacité commencent à se poser. À Halifax, ces problèmes n'existent pas. Les autorités n'ont actuellement aucune difficulté à entreposer les conteneurs.
Le sénateur Mercer : J'espère qu'elles auront des difficultés de ce genre à l'avenir.
Le sénateur Eyton : Je voudrais poser un certain nombre de questions relativement simples.
Tout d'abord, pour ce qui est des ports, quels sont les volumes relatifs qui passent par la côte est et la côte ouest?
M. Ircha : Je n'en suis pas sûr.
Le sénateur Eyton : Avez-vous une idée des volumes? Je parle de la côte est et de la côte ouest du Canada.
M. Ircha : Voulez-vous parler du trafic à chaque endroit?
Le sénateur Eyton : Oui, le trafic de conteneurs.
M. Ircha : Vancouver-Fraser River était à environ 2 millions d'EVP par an en 2005, Halifax était à 550 000 EVP la même année, et Saint John à environ 50 000. En gros, le volume était de 600 000 EVP sur la côte est et de 2 millions d'EVP sur la côte ouest.
Montréal avait 1,25 million d'EVP en 2005. Est-ce que cela répond à votre question?
Le sénateur Eyton : La proportion entre les ports américains et canadiens reste-t-elle généralement la même? Avons- nous notre juste part du trafic de conteneurs en Amérique du Nord?
M. Ircha : Il faudrait que je fasse une analyse de ce tableau, mais je ne le crois pas. Je ne fais qu'essayer de deviner parce que je n'ai pas examiné les chiffres. Je peux vous les fournir, mais j'ai l'impression que nous obtenons moins de 10 p. 100 du trafic total à destination de l'Amérique du Nord. Nous pourrions en obtenir davantage.
Montréal reçoit 1,25 million d'EVP. La plupart de ces conteneurs sont destinés au Midwest américain. Nous avons réussi à détourner une partie du trafic.
Je sais que vous avez examiné les chiffres de Vancouver. Dans ce cas, le détournement n'est pas aussi important, à cause de la concurrence de Seattle et Tacoma, grands ports à conteneurs qui se trouvent tout près de Vancouver. Les Américains font venir leurs marchandises dans ces deux ports, tandis que les Canadiens font venir les leurs à Vancouver.
Il y a des raisons pour lesquelles le détournement n'est pas aussi important à Vancouver. Si vous allez parler aux responsables de l'autorité portuaire — je suis sûr que vous le ferez —, ils vous diront que les règles du jeu ne sont pas tout à fait équitables entre Vancouver, Seattle et Tacoma. Les autorités portuaires canadiennes doivent restituer au Trésor fédéral un pourcentage de leurs recettes brutes et acquitter des impôts fonciers.
Seattle et Tacoma n'ont pas d'impôts fonciers à payer. Au contraire, les deux ports sont investis du pouvoir d'imposer des taxes aux municipalités locales, qui contribuent ainsi à leurs frais d'exploitation. De plus, ils n'ont rien à restituer au gouvernement de leur État.
Les autorités du port de Vancouver peuvent vous montrer des statistiques à ce sujet. Cela explique que le port ne voit pas passer beaucoup de conteneurs américains par sa porte d'entrée. Les frais à acquitter sont nettement supérieurs.
Le sénateur Eyton : Nous avons parlé des transports maritimes canadiens et américains. Je voudrais maintenant vous demander de nommer un port où tout va parfaitement bien. À votre avis, en considérant le monde entier, quels sont les ports qui se débrouillent le mieux? Pouvez-vous aussi nous donner en une centaine de mots les raisons pour lesquelles il en est ainsi?
M. Ircha : Je commencerai par dire que parmi les grands ports à conteneurs du monde, ce sont ceux de Hong Kong et de Singapour qui se débrouillent le mieux. Il s'agit cependant dans les deux cas de ports de transbordement. Ils sont extrêmement efficaces. Ils manutentionnent plus de 20 milliards d'EVP par an. La plupart des conteneurs d'arrivée sont directement chargés à bord d'autres navires. Les responsables savent que des conteneurs sont déchargés. Ils les font empiler très haut dans l'aire d'entreposage, puis les font charger sur des navires en partance. Ils ne fonctionnent pas de la même façon que les ports généraux.
En Amérique du Nord, le port le plus efficace est probablement celui de Los Angeles-Long Beach. Vancouver aussi compte parmi les meilleurs.
Le sénateur Eyton : Les ports ne sont qu'un élément de l'équation.
M. Ircha : Oui.
Le sénateur Eyton : Nous avons quelques bons ports, dotés de bonnes installations. Mais, à eux seuls, ils ne représentent pas grand-chose. Il leur faut des gens, des contrats, des routes, des chemins de fer et ainsi de suite. Je pense que tout cela est très complexe et très coûteux. Vous avez mentionné tout à l'heure un scénario possible comprenant deux ports sur la côte ouest et deux autres sur la côte est. À mon avis, pour éviter de trop dépenser, nous devrions envisager un seul port sur la côte ouest, qui serait vraiment bien organisé, bien appuyé et doté d'une infrastructure adéquate, ainsi qu'un autre port sur la côte est qui aurait les mêmes avantages.
M. Ircha : Je ne le conteste pas. Vous m'avez mal compris, ou alors je me suis mal exprimé. Lorsque j'ai parlé de deux ports sur la côte ouest et de deux autres sur la côte est, je ne faisais que mentionner des choix possibles. Nous avons, sur chacune des deux côtes, au moins deux ports qui pourraient devenir des superports-pivot. Je n'ai pas dit que nous avons besoin de deux, même si nous en avons deux sur la côte ouest. Je disais simplement qu'il y a des endroits que nous pourrions aménager plutôt que de laisser les Américains construire une île artificielle offshore.
Le sénateur Eyton : Je vais poser une question un peu étrange, à laquelle vous ne pourrez peut-être pas répondre. Pourquoi n'avez-vous jamais mentionné dans votre témoignage le passage du Nord-Ouest, qui pourrait s'ouvrir à la navigation par suite des bienfaits du réchauffement de la planète?
M. Ircha : C'est une possibilité. Je n'ai pas examiné la situation. Dans le cas du passage du Nord-Ouest, il faudrait des navires un peu différents. Seuls les navires équipés pour les glaces peuvent emprunter le passage. La plupart de nos navires porte-conteneurs ne le sont pas, à part ceux qui desservent Montréal et doivent passer par la voie maritime pendant l'hiver. C'est un genre différent de navire qui doit être construit à cette fin particulière.
Je vous donne cette réponse sans y avoir vraiment réfléchi.
Le sénateur Eyton : Je n'étais pas tout à fait sérieux, mais le réchauffement de la planète est bien là.
La présidente : Merci, monsieur Ircha. Vous avez fait de ce sujet un dossier intéressant ce soir. Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation à si bref délai. N'hésitez pas à nous envoyer d'autres renseignements si vous croyez devoir le faire.
M. Ircha : J'ai réuni très rapidement les documents que je vous ai fait parvenir. Je vais voir ce que je peux trouver d'autre, maintenant que j'en sais un peu plus sur les sujets qui vous intéressent. N'hésitez pas de votre côté à faire appel à moi si vous en avez besoin.
La séance est levée.