Délibérations du comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 4 - Témoignages du 13 février 2008
OTTAWA, le mercredi 13 février 2008
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui à 18 h 15 pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous sommes prêts à commencer. Je crois savoir qu'un Aîné est prêt à prononcer une prière. Allez-y, monsieur.
[Un Aîné prononce une prière dans sa langue maternelle.]
Le président : Nous poursuivons, ce soir, notre étude de la mise en œuvre des accords sur les revendications territoriales globales. À la suite de l'audience publique, sénateurs, nous nous réunirons à huis clos pour discuter de questions administratives.
Le processus de revendication territoriale au Yukon a commencé en 1973. Depuis, 11 des 14 Premières nations du Yukon ont réglé leurs revendications territoriales en suspens. Chacun de ces accords sur les revendications territoriales s'accompagne d'un plan de mise en œuvre qui dicte les obligations des parties aux termes de l'accord. Les parties doivent aussi, en vertu du plan, procéder à un examen après cinq ans, et à nouveau après neuf ans, pour déterminer si les dispositions du plan sont toujours pertinentes et si le financement prévu est adéquat.
Comme les membres du comité le savent, nous avons déterminé qu'il était important de s'attaquer à cet aspect, et avons constaté que certains aspects du processus de mise en œuvre étaient désespérément lents. Nous espérons que le comité réussira, avec l'aide des divers témoins, à faire la lumière sur les aspects qui posent problème dans le but de recommander des améliorations.
Nous sommes heureux de compter parmi nous, pour nous aider à mieux comprendre cet enjeu, des représentants du Conseil des Premières nations du Yukon, des Premières nations autonomes du Yukon, du Conseil de la bande Ta'an Kwach'än, et des Premières nations des Champagnes et d'Aishihik.
Au cours des dernières années, le Conseil des Premières nations du Yukon a entrepris, en collaboration avec ses homologues du fédéral et des territoires, des examens de la mise en œuvre de plusieurs accords. Ces personnes ont constaté que le financement est inadéquat, et que certaines pratiques et politiques fédérales sont incohérentes, ce qui fait constamment obstacle à la mise en œuvre adéquate des accords.
Nous espérons ce soir pouvoir profiter de la présence de nos témoins et de leur expérience pour, au bout du compte, mieux comprendre ce qui fonctionne, les progrès réalisés, et les aspects à améliorer si nous voulons que les accords sur les revendications territoriales soient mis en œuvre adéquatement.
Chaque témoin présentera un exposé d'environ cinq minutes puis répondra aux questions des sénateurs.
Les personnes qui agiront à titre de témoins ce soir sont le chef Joe Linklater, des Premières nations des Gwitchin Vuntut; la chef Ruth Massie, du Conseil de la bande Ta'an Kwach'än; Fran Asp, haut fonctionnaire aux Affaires intergouvernementales, des Premières nations des Champagnes et d'Aishihik; et Albert Peter, haut fonctionnaire aux Affaires intergouvernementales, des Premières nations autonomes du Yukon.
Chers collègues, invités et témoins, je vous présente maintenant les sénateurs qui sont avec nous ce soir.
Je vous présente d'abord Tonina Simeone, analyste de la Bibliothèque du Parlement, qui est toujours présente à nos côtés pour travailler. Sont aussi présents le sénateur Hubley, de l'Île-du-Prince-Édouard, le sénateur Peterson, de la Saskatchewan, le sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest, qui est le vice-président du Comité, le sénateur Lovelace Nicholas, du Nouveau-Brunswick, et le sénateur Dallaire, un homme qui n'a pas besoin de présentation depuis qu'il a accompli des actes remarquables pour notre pays.
Je laisse maintenant la parole aux témoins.
Joe Linklater, chef, Premières nations des Gwitchin Vuntut : Je vous remercie de vous intéresser à cette question, qui est très importante pour le peuple du Yukon et, au bout du compte, pour le peuple canadien. J'aimerais commencer par présenter notre personnel et dire quelques mots au sujet de chacun.
Fran Asp est l'une de nos hauts fonctionnaires. Elle a joué un grand rôle dans l'examen de la mise en œuvre de nos accords. Elle appartient aux Premières nations des Champagnes et d'Aishihik. Albert Peter appartient à la Première nation des Nacho Nyak Dun et a aussi joué un grand rôle dans l'examen de nos accords. Ils sont ici aujourd'hui pour répondre aux questions de nature technique, questions auxquelles nous aurions peut-être de la difficulté à répondre en tant que membres de la classe politique. Ma collègue la chef Massie, du Conseil de la bande Ta'an Kwach'än, est aussi présente. Elle appartient à l'une des rares Premières nations urbaines du Yukon.
J'aimerais commencer par rappeler à certains sénateurs et à des membres de l'assistance que nous nous apprêtons à fêter le 35e anniversaire du voyage qu'a fait un groupe de chefs jusqu'à Ottawa pour remettre un document au Premier ministre du Canada de l'époque. Il s'agissait du document Together Today for our Children Tomorrow, qui énonçait un certain nombre d'enjeux que les Premières nations souhaitaient voir régler dans le cadre d'un processus exhaustif de revendication. On comptait, au haut de la liste de ces enjeux, la question de l'autosuffisance et de l'autodétermination, que l'on désigne aujourd'hui par le terme « autonomie gouvernementale ».
Il s'est écoulé 22 ans avant que les quatre premiers accords définitifs soient conclus. Le 14 février 1995, les quatre premiers traités entraient en vigueur sur le plan légal et étaient suivis, trois ans plus tard, de trois autres traités. Plus récemment, au cours des dernières années, quatre autres traités ont été conclus.
La mise en œuvre des traités a présenté de nombreuses difficultés. Comme l'a mentionné le sénateur St. Germain, l'une de ces difficultés concernait le fait que les politiques du gouvernement fédéral limitent la mise en œuvre pleine et entière des traités. Ces politiques nous imposent donc des limites à nous aussi, gouvernements autochtones, à titre de partenaires.
L'une des raisons pour lesquelles les peuples autochtones ont négocié l'autonomie, c'était pour se défaire de l'oppression de la Loi sur les Indiens afin d'être en mesure de participer pleinement à l'économie canadienne et d'adopter le mode de vie des Canadiens. Malheureusement, bon nombre des politiques liées à la Loi sur les Indiens ont survécu à mesure que nous nous éloignions de la Loi et nous ont empêchés d'avancer, comme l'ont révélé les examens.
Quand nous avons négocié pour récupérer les programmes et les services, nous avons constaté que les programmes visés étaient inadéquats au départ. Nous avons récupéré des programmes qui étaient sous-financés, ce qui signifie que, par nos accords sur l'autonomie gouvernementale, nous avons pris des programmes sous-financés et les avons appliqués à un nombre encore plus grand de personnes.
Selon la Loi sur les Indiens, les Indiens non inscrits ne sont pas reconnus comme un groupe ayant droit au financement du gouvernement. Pourtant, à titre de Premières nations autonomes, nous finançons des programmes pour les Indiens et les Indiens non inscrits. Nous avons récupéré des programmes sous-financés en plus de financer d'autres programmes, ce qui, dans certains cas, a entraîné un dédoublement.
Nous avons apporté plusieurs documents dont nous souhaitons vous faire part, y compris le document d'origine, Together Today for our Children Tomorrow, et le rapport d'examen de la mise en œuvre.
D'autres documents viendront. Nous venons tout juste de terminer le rapport sur les accords de transfert financier. Nous procédons actuellement à un exercice de détermination de nos dépenses brutes afin de connaître précisément le manque à gagner auquel nous faisons face à la suite des accords et qui nous empêchent de mettre en œuvre les accords dans leur intégralité.
Je dois aussi souligner que nous avons eu de nombreuses rencontres positives, au cours de la dernière semaine, avec des parlementaires et des membres du Cabinet. Ils étaient tous d'accord pour dire que nos accords ont été conclus non pas avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, mais bien avec le Canada.
Nous nous présentons devant vous non pas à titre de groupes des Premières nations, mais à titre de gouvernements. Nous sommes autonomes, et nous formons des gouvernements. Nous sommes venus à Ottawa pour discuter d'égal à égal avec le gouvernement du Canada.
Nous avons reçu un appui formidable du gouvernement territorial du Yukon. Le premier ministre a participé à chacune de nos réunions, a présenté le sujet et nous a aimablement permis de nous présenter comme un gouvernement. Au Yukon, il est reconnu que nous avons le pouvoir d'élaborer des lois, ainsi que les compétences législatives de tout gouvernement. Nous exécutons nos activités en partenariat avec le Yukon, dans un contexte intergouvernemental, à titre de gouvernements qui collaborent dans le but de placer le Yukon en meilleure position sur les plans économique, social et environnemental. Je crois que nous avons connu plusieurs cas de réussites dont nous pourrons faire part au Sénat et aux Canadiens, au besoin.
Nous avons fait face à de nombreuses difficultés, entre autres parce que le Canada n'avait jamais connu ce type de gouvernement autonome. C'est pourquoi, au début de la mise en place du gouvernement autonome, nous avons décidé de procéder à des examens du processus de mise en œuvre. Le premier examen a été effectué après cinq ans, et le second, après neuf ans.
Il nous a fallu quatre ans pour réaliser l'examen de la neuvième année. Il s'agit d'un examen véritablement approfondi qui s'attarde à chaque aspect et à chaque détail de l'accord sur l'autonomie gouvernementale et de l'accord définitif, ainsi qu'aux plans de mise en œuvre de l'accord sur l'autonomie gouvernementale, aux plans de mise en œuvre des accords définitifs, et de l'Accord-cadre définitif, qui s'applique au Yukon en entier.
Je me montre peut-être optimiste, mais nous nous sommes entendus à l'unanimité sur bon nombre des conclusions, ce qui signifie que les gouvernements du territoire, du Canada et des Premières nations s'entendent au sujet des recommandations. Nous avons hâte d'entreprendre le processus de mise en œuvre de ces aspects.
Les recommandations à propos desquelles nous ne nous sommes pas entendus à l'unanimité feront l'objet de négociations. Si nous nous sommes rendus à Ottawa, c'est, entre autres, pour faire connaître en détail le contenu de ces recommandations aux membres du Cabinet, et pour discuter de ce qui doit être fait. Nous devons maintenant faire en sorte que le gouvernement fédéral, le gouvernement territorial et le gouvernement des Premières nations définissent leur mandat en fonction des conclusions tirées à la suite du processus d'examen de la mise en œuvre. Le mandat doit refléter les conclusions de l'examen de la mise en œuvre et servira à renégocier les accords de transfert financier qui régissent le financement de la mise en œuvre de nos accords sur l'autonomie gouvernementale et de notre accord définitif. C'est à ce moment que nous espérons régler le problème du manque de financement et éliminer bon nombre des problèmes liés aux politiques qui empêchent la mise en œuvre adéquate et entière des accords sur l'autonomie gouvernementale.
Nous estimons que les accords sur l'autonomie gouvernementale constituent un aspect important de la santé et du bien-être du peuple du Yukon, plus particulièrement des membres des Premières nations autonomes du Yukon. À la lumière de mon expérience de chef au cours des dix dernières années et de la mise en œuvre des accords au cours des dix dernières années, j'estime qu'il est juste d'affirmer que la qualité de vie de nos membres et de nos collectivités s'est améliorée. Les programmes sont peut-être sous-financés, mais ils ne sont plus dirigés à partir d'Ottawa ou de Whitehorse. Ils sont dirigés par la collectivité. Les personnes directement responsables de l'exécution de ces programmes et de la prestation de ces services se trouvent dans la collectivité. En outre, nous pouvons affecter le financement limité dont nous disposons aux secteurs qui en ont le plus besoin. Nous pouvons déterminer les priorités de notre collectivité, puis avoir une incidence sur sa santé en affectant les ressources là où elles sont requises. Malheureusement, nous ne réussissons pas à rentabiliser nos dollars autant que nous le souhaiterions.
Nous avons entendu parler du problème de pauvreté que vivent les peuples autochtones partout au Canada, de l'état de leur santé physique et spirituelle, des conditions déplorables dans lesquelles ils vivent, de la situation déplorable de l'eau potable, et tout le reste. Nous estimons que, si nos accords recevaient un financement adéquat, nous pourrions, à titre de gouvernements autochtones dans nos collectivités, régler ces problèmes directement. Nous n'avons pas besoin que le gouvernement fédéral s'en occupe à notre place. Nous pouvons nous en occuper nous-mêmes.
L'une des difficultés à laquelle nous faisons face, et que j'ai mentionnée plus tôt, dans la mise en œuvre de nos accords, c'est la présence de politiques qui nous nuisent. Nous avons récupéré des programmes et des services simplement parce que les politiques ne nous ont pas permis de prendre les mesures nécessaires dans nos collectivités. Malgré le sous-financement des programmes, nous avons réussi à en tirer profit et à modifier les politiques parce que l'argent nous revient, maintenant. Nous avons pu apporter aux politiques les changements qui nous semblaient pertinents, et nous avons été témoins de grandes réussites en ce qui concerne les programmes et les secteurs dont j'ai parlé.
J'aimerais ajouter une dernière chose. Au Yukon, l'autonomie gouvernementale est perçue de façon de plus en plus positive. Cette évolution semble plus lente dans la capitale, ici, à Ottawa. Elle est toutefois présente, et elle est positive. Je crois que les Premières nations autonomes du Yukon ont maintenant une importante longueur d'avance sur les autres Premières nations grâce à leur expérience de la mise en œuvre de l'autonomie gouvernementale. Le rapport que nous vous avons présenté consiste en une étude détaillée des dix années d'autonomie gouvernementale au Canada, et je crois qu'il fait ressortir de nombreuses réussites, ainsi que la possibilité d'en connaître encore plus.
Nous serons heureux de répondre à vos questions, mais j'aimerais d'abord préciser que ma collègue Ruth Massie est la chef d'une Première nation qui n'a pas encore pu procéder à un examen de la mise en œuvre. En conséquence, bon nombre des conclusions que nous tirons dans notre examen permettront à la chef Massie et à d'autres collectivités qui n'ont pas encore procédé à l'examen de profiter du travail effectué et d'améliorer bon nombre de nos conclusions sur la mie en œuvre.
Le président : De quelle région du Yukon venez-vous? Du Nord, du Sud, de l'Est ou de l'Ouest?
M. Linklater : Je viens d'une collectivité qui s'appelle Old Crow et qui est située tout au nord du Yukon, et nous appartenons à la Première nation des Vuntut Gwitchin.
Le président : Chef Massie, d'où venez-vous?
Ruth Massie, chef, Conseil de la bande Ta'an Kwach'an : Notre territoire traditionnel comprend la ville de Whitehorse. Nous sommes une Première nation urbaine et vivons au cœur de Whitehorse, tout comme la Première nation des Kwanlin Dün.
Notre Première nation est l'une des quatre dernières à avoir signé un accord sur l'autonomie gouvernementale, et nous serons les prochains à procéder à un examen des accords de transferts financiers. Nous devons, après cinq ans, procéder à un examen, et nous nous intéressons grandement à l'examen effectué après neuf ans. Cet examen vous est présenté aujourd'hui par les sept Premières nations à avoir signé les premières un accord. Notre Première nation est la première des sept qui feront l'objet d'un examen.
Nous tirerons profit de l'examen effectué après neuf ans puisque le travail est déjà fait mais, en tant que Première nation en région urbaine, nous faisons face à quelques enjeux qui ne sont pas visés par l'examen sur les collectivités effectué après neuf ans. Nous avons hâte d'entreprendre notre nouveau mandat.
M. Linklater : J'aimerais maintenant remercier les sénateurs d'avoir pris le temps d'écouter notre exposé. En tant que chef depuis dix ans, j'ai appris, au fil du temps, que nous devons vous écouter, et nous sommes vraiment très heureux de répondre à toute question que vous pourriez avoir.
Le président : J'aimerais vous remercier, au nom du comité, d'avoir fait ce long voyage pour être avec nous ce soir.
Nous avions prévu tenir notre audience de ce soir en bas, dans une autre salle où il aurait été possible de diffuser la séance du comité à la télévision afin que les membres de vos collectivités aient pu suivre ce qui se passait, mais la technologie nous a fait défaut, et nous avons été incapables de la rétablir à temps. Nous avons donc dû déplacer la rencontre dans cette salle, et nous nous en excusons. J'ai toutefois le ferme espoir que vous reviendrez une autre fois.
Le sénateur Sibbeston : Je vous souhaite aussi la bienvenue à Ottawa. De nombreuses personnes du Yukon sont ici ce soir, et je leur souhaite aussi la bienvenue. J'espère que nous réussirons un peu à vous faire sentir chez vous et à vous faire comprendre que nous sommes vos amis et que nous ferons tout notre possible pour vous aider.
Au fil des décennies, de nombreuses personnes du Nord — des Territoires du Nord-Ouest, du Yukon, et, récemment, du Nunavut — sont venues à Ottawa et ont connu plus ou moins de succès. J'ai toutefois eu l'impression que, plus souvent qu'autrement, elles ont eu peu de succès. C'est si gros, Ottawa, et le gouvernement doit s'occuper d'un grand nombre d'enjeux. Nous, qui venons du Nord, avons l'impression que nos enjeux sont très importants, mais, dans le contexte général des choses qui se passent à Ottawa, ils sont parfois perçus comme peu importants, et cela est un problème auquel nous avons fait face. Je suis donc heureux de vous voir ici aujourd'hui avec le sourire. Vous avez dit que vos rencontres avec le gouvernement s'étaient révélées positives. Ce n'est pas ce que nous avons l'habitude d'entendre, mais cela fait plaisir. Les choses ont peut-être changé, ou il y a peut-être quelque chose qui explique votre réussite. J'aimerais entendre parler de vos réussites parce que notre étude porte sur les problèmes de mise en œuvre.
Depuis les années 70, à l'époque où la Convention de la baie James et du Nord québécois a été conclue, et que de nombreux accords sur les revendications territoriales dans le Nord, et, dans certains cas, dans le Sud, ont suivi, il y a eu des problèmes de mise en œuvre. Comme nous l'ont dit des responsables de l'Alliance des revendications territoriales, les peuples autochtones, quand ils concluent un accord, le font avec une grande confiance et beaucoup d'espoir. Quand des accords sont conclus, les Autochtones entrevoient plus particulièrement l'avenir avec l'espoir que le gouvernement respectera les accords. Cependant, dans certains cas, cela n'a pas été le cas. Nous nous retrouvons maintenant avec une alliance ou une coalition de revendicateurs territoriaux qui sont mécontents parce que les accords n'ont pas été mis en œuvre le mieux ou le plus efficacement possible.
C'est le problème que nous souhaitons régler. Nous avons eu des revendications territoriales, mais le gouvernement n'a pas respecté les accords ou ne les a pas mis en œuvre de la façon prévue.
Le comité aimerait savoir pourquoi vous êtes contents. Racontez-nous comment s'est déroulée la mise en œuvre des accords jusqu'à maintenant afin que nous puissions comprendre votre situation.
M. Linklater : Comme je l'ai dit, nous fêterons, demain, le 35e anniversaire du jour où nous avons présenté pour la première fois le document Together Today for our Children Tomorrow, dont nous sommes très fiers. Les Premières nations avaient élaboré le document dans le but de le présenter au Premier ministre du Canada. Il a fallu 22 ans pour négocier les quatre premiers accords. Pendant dix ans, nous nous sommes éreintés à tenter de mettre en œuvre les accords, en procédant bien souvent à l'aveuglette, et il nous a fallu quatre ans pour effectuer les examens. Pendant cette période, nous avons dépensé littéralement des centaines de millions de dollars, et avons abandonné des milliers de milles carrés de territoire pour obtenir l'autonomie gouvernementale. En 1980, le gouvernement du Canada a offert 600 millions de dollars et plusieurs milliers de milles carrés de territoire pour régler les revendications territoriales globales du Yukon. Je ne sais pas comment on peut refuser 600 millions de dollars, mais c'est pourtant ce qu'ont fait nos Aînés et nos leaders parce que l'offre du gouvernement ne leur accordait pas l'autonomie gouvernementale ni le droit à l'autodétermination.
Comme je l'ai mentionné plus tôt aujourd'hui, notre voyage ici nous a coûté bien plus qu'un billet d'avion, et nous avons travaillé fort pour nous préparer. Nous avons prouvé que nous n'irons nulle part. Nous sommes chez nous au Yukon. Les revendications des leaders d'hier sont celles des leaders actuels et seront celles des leaders futurs. C'est pourquoi nous sommes confiants d'en arriver à nos fins en ce qui concerne la mise en œuvre des accords définitifs. Nous n'abandonnerons pas. Il s'agit de la vision de notre peuple, et nous vous en faisons part aujourd'hui.
En ce qui concerne nos expériences positives, nous pouvons mentionner d'abord le rapport d'examen de la mise en œuvre. Au départ, quand nous avons entrepris l'examen, le gouvernement ne voulait pas que nous nous penchions sur le financement ou sur d'autres aspects politiques. Nous avons toutefois réussi à le faire changer d'idée. L'examen devait prendre un an, mais il nous a fallu quatre ans pour le terminer. Il nous a coûté très cher parce que nous avons dû prolonger nos accords de transfert financier par étapes et que nous avons perdu des possibilités. Nous avons dû payer les examens. Nous ne réussissions pas toujours à obtenir ce que nous voulions, alors nous devions prolonger le temps consacré aux examens. Au bout du compte, nous disposons d'un document détaillé et exhaustif qui ne peut être laissé de côté. Voici les enjeux et voici les difficultés.
On dit que si vous pouvez trouver la cause d'une maladie, vous êtes déjà à mi-chemin de la guérison. Nous sommes à mi-chemin. Nous avons reçu des réponses positives du gouvernement fédéral. Nous pensons que le gouvernement fédéral pourrait profiter de l'occasion pour s'inspirer de notre modèle d'autonomie gouvernementale pour aider d'autres Premières nations qui sont dans une situation terrible à régler leurs propres problèmes sans que quelqu'un, dans un bureau, à Ottawa, tente de trouver une solution à un problème dans une réserve.
Mentionnons, comme autre exemple, la Loi sur l'évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon. Compte tenu des nouveaux pouvoirs et des nouveaux régimes territoriaux au Yukon, une nouvelle loi sur l'évaluation environnementale devait être rédigée pour le Yukon, et il s'agit d'une loi fédérale. Il nous a fallu quelques années pour rédiger cette loi. Le gouvernement du Yukon et les Premières nations du Yukon ont participé à la rédaction de cette loi fédérale, ce qui était très inhabituel. Grâce à l'autonomie gouvernementale, entièrement appuyée par le gouvernement du Yukon à l'époque, nous avons le pouvoir de formuler des lois sur les terres visées par le règlement. Ces pouvoirs l'emportent sur toutes les lois du Yukon, et le gouvernement du Yukon appuie cette façon de faire.
Nous pouvons donc exercer une véritable influence au Yukon. Le gouvernement du Yukon s'adresse à nous de façon coopérative et ne se contente pas de nous consulter mais nous aide aussi à rédiger les lois. Il sait que, si les Premières nations du Yukon ne sont pas d'accord avec ses lois, elles peuvent rédiger leurs propres lois pour leurs territoires. Selon nos accords sur l'autonomie gouvernementale, si une loi des Premières nations et une loi du Yukon ne disent pas la même chose, le gouvernement du Yukon doit modifier sa loi, ce qui nous donne un très grand pouvoir.
Le gouvernement du Yukon continue d'être d'accord avec cette façon de faire. Les mesures législatives sur la régie coopérative s'appliquent à l'Assemblée législative du Yukon. Si, dans l'avenir, un gouvernement souhaite mettre fin à cette relation, il devra s'adresser à l'assemblée législative du Yukon pour faire éliminer cette loi, ce qui ne serait pas une très bonne idée.
Bon nombre de nos collectivités ont connu une bonne croissance économique. Bon nombre des communautés des Premières nations connaissent actuellement un développement économique positif. Grâce à un fonds d'indemnisation, nous disposons de l'argent requis pour investir et pour établir des partenariats avec d'autres entreprises.
Ma Première nation possède une société de développement à but lucratif. Nous avons mis sur pied un fonds commercial qui agit à titre d'institution gouvernementale distincte, ce qui fait que la branche politique ne peut exercer d'influence. Nous avons investi dans une compagnie aérienne qui se rend dans les villes de Vancouver, d'Edmonton et de Calgary, ainsi que dans le Nord. Cela nous permet d'en apprendre plus sur le monde des affaires en général, mais aussi sur l'industrie du transport aérien, ce qui permet à des Autochtones et à des Yukonnais d'avoir accès à des emplois et à des perspectives de carrière. D'autres ont investi dans l'immobilier ou dans d'autres secteurs, ce qui a certainement permis d'insuffler de l'énergie à l'économie du Yukon et de fournir des emplois à tous les Yukonnais, et pas seulement aux Yukonnais autochtones. Nous avons vécu de bonnes expériences.
Le sénateur Dallaire : Le processus de mise en œuvre m'intéresse particulièrement. Vous avez conclu des accords sur l'autonomie gouvernementale et des accords sur les revendications territoriales de façon distincte. Pour financer ces revendications, chaque nation a reçu un financement unique. Vous avez l'argent, et les zones territoriales ont été arpentées. Vous en êtes à l'étape de la mise en œuvre.
Quand vous avez négocié les accords, une série d'éléments étaient associés à la mise en œuvre : les exigences sociales, le développement, et cetera. Est-ce que, pour chacun de ces éléments, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, qui, je crois, dirige l'exercice, a effectué une analyse de rentabilisation de chacun de ces éléments?
M. Linklater : Il s'agit d'un des premiers problèmes auxquels nous avons fait face dans le cadre du processus de mise en œuvre. La première offre, si vous voulez l'appeler ainsi, était une offre à prendre ou à laisser du ministère. Sa politique était qu'il n'y aurait pas d'argent neuf pour les programmes et les services. Comme je l'ai déjà dit, au départ, de nombreux programmes étaient sous-financés. À l'époque, le Canada faisait face à des déficits énormes et était obligé de réduire les dépenses dans de nombreux secteurs. Évidemment, les Affaires indiennes ne faisaient pas exception à la règle.
La politique de l'époque, qui est peut-être encore en vigueur aujourd'hui, c'était qu'il n'y aurait pas d'argent neuf pour les programmes et les services. De plus, les estimations concernant les programmes que nous avons récupérés des Affaires indiennes — l'aide sociale, par exemple — étaient fondées sur le nombre d'Indiens inscrits qui reçoivent de l'aide sociale. Dans nos accords sur l'autonomie gouvernementale, il est dit que nous sommes responsables de nos citoyens, et on compte, parmi nos citoyens, des Indiens non inscrits.
Le problème, c'est que nous avons récupéré des programmes sous-financés destinés aux Indiens inscrits, puis nous avons ajouté les Indiens non inscrits à notre population. Nous avons constaté ce problème très tôt dans le processus et l'avons souligné, mais, comme je l'ai mentionné, l'offre faite par le gouvernement fédéral à l'époque était à prendre ou à laisser. Selon la politique, il n'y avait pas d'argent.
Le sénateur Dallaire : Vous avez affirmé que certaines politiques empêchaient le gouvernement fédéral de mettre en œuvre les plans de mise en œuvre. Je suis un peu pointilleux. Vous aviez conclu un accord. L'accord était associé à un certain montant d'argent et à un plan de mise en œuvre qui ne comportait aucune date de fin; cela continuait jusqu'à la fin des temps.
Aucun processus n'a été établi selon lequel les Affaires indiennes, ou n'importe quel autre ministère touché, avaient une responsabilité de vous fournir du financement pour la mise en œuvre jusqu'à la fin des temps. Dites-vous que c'est ainsi que ça vous a été présenté : « Voilà les programmes; nous les modifierons et nous vous en offrirons des parties, mais c'est ce que nous pouvons faire de mieux »? Est-ce que c'est essentiellement comme ça que ça s'est passé?
M. Linklater : Oui. Vous cernez très bien la question. Nous avons conclu des accords sur l'autonomie gouvernementale et des accords définitifs. Les accords définitifs sont protégés constitutionnellement; ils font donc partie de la Constitution canadienne. La Constitution l'emporte sur toutes les lois et politiques, et c'est là le problème. Nous pensions que nos accords réglaient le problème. L'une des clauses stipule que nous serons en mesure d'exécuter des programmes et d'offrir des services comparables à ceux des autres administrations du Yukon, et que nous pourrons adopter cette clause avec nos autres partenaires, dont le gouvernement fédéral.
Le gouvernement du Yukon a offert beaucoup de soutien en fournissant des renseignements sur ce qu'il en coûte pour l'administration au Yukon. Cependant, personne ne semble reconnaître que nos accords nous confèrent des pouvoirs constitutionnels. Les hauts fonctionnaires et les bureaucrates n'en ont que pour la politique; celle-ci guide toutes leurs décisions. Si la politique dit qu'il n'y a pas d'argent, et qu'un accord protégé par la Constitution dit que nous serons en mesure d'offrir des services comparables à ceux offerts par n'importe quel autre gouvernement au Yukon, le problème ne nous concerne pas; c'est un problème de politiques. C'est pourquoi nous disons que les politiques doivent être modifiées.
Notre expert technique, M. Peter, peut vous expliquer cette question plus en détail.
Albert Peter, haut fonctionnaire, Affaires intergouvernementales, Premières nations autonomes du Yukon : Le chef a raison. J'ai participé au processus au moment où les négociations avaient lieu. Essentiellement, nos accords comptent un chapitre sur la mise en œuvre, et nous pensions que ce chapitre nous fournirait certaines garanties concernant les relations financières à long terme. Nous avons entrepris un processus visant à déterminer les responsabilités, qui en était responsable et à quel moment ceux-ci devaient s'en acquitter, dans le but, justement, d'établir le coût de chacune de ces responsabilités, comme vous l'avez dit. Malheureusement, le gouvernement de l'époque a tout simplement choisi un nombre au hasard et, comme l'a dit le chef, c'était à prendre ou à laisser.
Les leaders de l'époque ont décidé que, compte tenu des dispositions que nous avions intégrées à l'accord concernant les examens après cinq ou neuf ans — la capacité de récupérer des responsabilités supplémentaires relatives aux programmes, qui serait associée à du financement, et la capacité de générer des recettes par nous-mêmes et de payer pour notre propre gouvernement — le risque en valait la peine.
Nous avons maintenant plus de dix ans d'expérience, et nous avons effectué un cycle complet. L'examen révèle que nous ne disposions pas de suffisamment de financement pour nous acquitter des obligations. Il ne faut pas oublier que les programmes que nous avons récupérés étaient fondés sur les Indiens inscrits vivant dans des réserves. Au Yukon, il y a un nombre limité de réserves et, aux termes du traité, nous avons maintenant la responsabilité de tous nos citoyens, y compris des personnes non inscrites qui n'étaient pas visées par les programmes des Affaires indiennes. Certains de nos citoyens n'habitaient pas dans les réserves ou sur la terre mise de côté que nous trouvons dans la plupart des collectivités du Yukon, ce qui signifie qu'ils n'étaient pas pris en compte dans la formule, si vous voulez.
En ce qui concerne les politiques, il y a de nouvelles initiatives qui sont limitées aux Indiens inscrits ou vivant dans des réserves. Au Yukon, nous avons des citoyens et nous avons une terre octroyée par l'entente, ce qui fait que, dans certains cas, nous ne sommes pas admissibles à certaines nouvelles initiatives ou certains programmes continus, même si nous pensions que des dispositions de notre accord nous permettaient d'y avoir accès.
Vous avez parlé du financement. Le gouvernement a été en mesure de calculer un financement ponctuel. Il y a un financement continu concernant certains organismes de cogestion au sujet duquel nous nous étions entendus, mais ce financement ne va pas aux Premières nations. Il va aux organismes de cogestion avec lesquels nous avions accepté de collaborer, en tant que gouvernements, et qui devaient nous fournir des recommandations.
Il y a aussi le financement continu de nos administrations. Encore une fois, comme le Yukon faisait figure de pionnier, nous ne disposions d'aucune méthode ni d'aucun exemple pour déterminer combien il en coûte pour diriger un gouvernement des Premières nations. Comme l'a dit le chef, nous avons maintenant terminé l'examen après neuf ans. L'un des exercices effectués dans le cadre de ce processus consistait à établir une base de dépenses brutes. Nous avons utilisé les chiffres du gouvernement territorial concernant les salaires et les autres coûts de l'administration du gouvernement afin que nos chiffres reflètent la réalité au Yukon.
Un autre problème, c'est qu'il existe de nombreux écarts importants entre les collectivités du Yukon. La collectivité du chef Linklater est une collectivité éloignée dans laquelle on peut se rendre uniquement par avion. La plupart des autres collectivités sont reliées par des routes. Nous faisons face à des différences sur le plan géographique, et la composition des collectivités varie. Certaines comptent une majorité de membres des Premières nations, tandis que d'autres sont constituées d'Autochtones et de non-Autochtones. Toutes ces variations représentent des défis en matière de financement du gouvernement que nous devons relever.
J'espère que cela répond à votre question.
Le sénateur Dallaire : C'est une explication limpide.
J'aimerais souligner deux choses à ce sujet : d'abord, un budget sera déposé d'ici quelques semaines. Est-ce que quelqu'un vous a dit si le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien avait l'intention de rajuster son financement de façon à répondre aux exigences énoncées dans votre examen après quatre ans? Est-ce que quelqu'un vous a dit : « Nous avons prévu un poste pour nous acquitter de nos engagements »? Ou prévoiront-ils un tel poste dans votre examen après deux, trois ou quatre ans? Ont-ils été jusque-là dans leurs discussions avec vous au sujet de l'examen?
M. Linklater : Non. Il y a des signes positifs, mais nous devons terminer l'examen de la base de dépenses brutes. Pour l'instant, ce que nous tentons d'obtenir, d'abord et avant tout, c'est le mandat.
Nous ne sommes pas ici, à Ottawa, pour déterminer à l'avance une entente négociée. Nous voulons un mandat du gouvernement fédéral qui reflète les conclusions de l'examen. Ce mandat deviendra un mandat pour négocier un nouvel accord de transfert financier. Nos accords de transfert financier avec le Canada arrivent à échéance en mars 2009. Nous devons donc procéder à la négociation du nouvel accord avant cette date.
Pour l'instant, nous ne tentons pas de déterminer à l'avance un chiffre négocié. Nous voulons qu'ils s'en occupent.
Le sénateur Dallaire : À combien estimez-vous le delta brut que vous avez épongé? Je sais que vous n'avez pas le compte final — un nombre pourrait suffire — mais quelles sont les répercussions, pour votre peuple, du fait que vous ne disposez pas du financement requis pour assumer ce que vous considérez être les responsabilités liées à la mise en œuvre?
Avez-vous vraiment constaté une dégradation? Vous avez parlé de certains programmes qui ont été réduits, mais, de façon générale? Par exemple, êtes-vous passés du 162e rang au 195e rang sur la liste des pays qui offrent la meilleure qualité de vie des Nations Unies, ou quelque chose comme ça? Avez-vous des preuves? Avez-vous une opinion sur la façon dont la qualité de vie s'est dégradée dans vos nations? S'est-elle dégradée de façon importante?
M. Linklater : Non. Depuis que nous avons l'autonomie gouvernementale, je crois que la qualité de vie s'est améliorée. Maintenant que nous avons récupéré les programmes, nous pouvons élaborer des politiques afin d'affecter les ressources limitées aux secteurs où elles auront la plus grande incidence. Ce n'était pas le cas auparavant.
Il y a eu un effet négatif pour les collectivités; c'est qu'elles ont perdu des possibilités. Si nous avions un financement adéquat, nous aurions pu, par exemple, mettre sur pied des programmes qui nous auraient aidés à protéger notre culture et nos langues.
Le sénateur Dallaire : Il s'agit d'un delta important. Vous n'êtes plus en mode survie, mais vous n'avez certainement pas encore atteint l'état stable d'une société, n'est-ce pas?
M. Linklater : C'est tout à fait exact.
Le sénateur Hubley : Nous avons été représentés par un sénateur formidable du Yukon, le sénateur Ione Christensen. Elle s'est révélée une grande partisane du Yukon et a transmis au comité sénatorial permanent de nombreuses connaissances sur les peuples autochtones, pour lesquels elle éprouve une grande affection. Si vous la connaissez, saluez-la pour nous.
Quelle est la composition du groupe d'examen de la mise en œuvre? Qui fait partie de ce comité, et de quoi est-il composé?
M. Linklater : Le groupe d'examen de la mise en œuvre est composé de hauts fonctionnaires des Premières nations autonomes du Yukon. Leurs accords de transfert financier arriveront à échéance en 2009. Cela inclut sept Premières nations autonomes, dont les quatre premières et les trois qui ont suivi. Elles se sont réunies pour ce faire. Le groupe inclut le gouvernement territorial du Yukon, des hauts fonctionnaires du Secrétariat des revendications territoriales et des hauts fonctionnaires — parfois pas si hauts que ça, d'Ottawa et du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien.
Ils ont passé en revue les accords sur l'autonomie gouvernementale et les accords définitifs, de même que l'Accord- cadre définitif et les plans de mise en œuvre, article par article, et ils ont formulé des recommandations sur la façon d'améliorer les choses, en plus de formuler des commentaires sur les accords et les plans de mise en œuvre. Comme je l'ai dit, c'est ce qu'ils font depuis près de 40 ans.
Le sénateur Hubley : Cela dit, des délais ont-ils été fixés? Si le groupe d'examen de la mise en œuvre formule des recommandations ou des préoccupations, je suppose que celles-ci sont transmises au gouvernement. Y a-t-il des délais? Le gouvernement dispose-t-il d'un certain temps pour réagir à ces recommandations ou à ces préoccupations, ou s'il s'en occupe en fonction du temps dont il dispose?
M. Linklater : L'examen après neuf ans constituait le premier délai; il devait avoir lieu en 2004, et devait prendre environ un an à effectuer. Cela fait maintenant quatre ans qu'il a été entrepris. Un mandat qui tient compte des conclusions de l'examen a été formulé à la suite de celui-ci. Cela n'a pas encore été fait à ce jour. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous sommes ici, à Ottawa, à discuter avec le ministre des Finances et avec divers autres ministères du cabinet qui nous aideront à établir le mandat.
Nous n'avions aucun délai concernant le moment où le rapport serait accepté par les gouvernements ou transmis par le groupe de travail au gouvernement. Nous pouvons donc, maintenant, commencer à discuter, d'un point de vue politique, des conclusions du rapport. Ça a été fait, mais nous n'avions pas de délai précis.
Nous espérons que tout le travail qui a été fait depuis le début — l'étude des examens, la mise en œuvre, les accords — permettra de réduire la durée des négociations puisque nous aurons fait tous nos devoirs.
Je crois que Mme Asp a quelque chose à ajouter.
Fran Asp, haut fonctionnaire, Affaires intergouvernementales, Premières nations Champagne et Aishihik : Bonsoir, et merci. C'est un honneur d'être ici.
Comme l'a mentionné le chef, il a fallu quatre ou cinq ans pour effectuer les examens. Pendant cette période, nous avons dû, entre autres, négocier une prolongation de notre accord de transfert financier. Nous avons dû le prolonger à cause du temps requis pour effectuer les examens.
Les examens ont été terminés en juin 2007 puis transmis au gouvernement du Canada et à toutes les parties. L'un de nos problèmes, c'est que le Canada n'a pas véritablement déterminé ce qu'il ferait avec ces examens. L'examen requis après cinq ans a été effectué cinq ans après la signature de nos accords. Ces examens comportent aussi des recommandations, mais celles-ci n'ont pas vraiment été suivies. Dans l'examen après neuf ans, nous nous sommes attardés à des questions qui n'avaient pas été abordées dans l'examen après cinq ans.
Comme je l'ai dit, nous avons dû négocier une prolongation de deux ans de nos accords de transfert financier. Nos accords de transfert financier prolongés doivent maintenant arriver à échéance en mars 2009. D'ici là, nous devrons négocier de nouveaux accords financiers. C'est l'une des raisons qui nous a poussés à venir ici.
Nous découvrons que bon nombre des obligations mentionnées dans ces accords ne concernent pas seulement le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien; bon nombre d'entre elles concernent d'autres ministères. Ils représentent le Canada. Nous supposons que bon nombre de ces ministères sont occupés, et qu'ils ne comprennent pas tout à fait l'ampleur de leurs obligations.
Cette semaine, nous avons entre autres rencontré ces ministères et leur ministre pour leur expliquer la signification de ces accords pour nous. Il est important de leur faire comprendre ce que suppose le fait d'obtenir un mandat pour ces négociations afin que les accords sur l'autonomie gouvernementale se poursuivent pour les cinq prochaines années.
Le sénateur Hubley : Je suis déçue d'apprendre que vous devez convaincre les ministères de la légitimité de vos actes. De toute évidence, certains liens ont été coupés entre vous et certains ministères. Cela doit être très décourageant pour vous. Nous avons pris acte de ce message, et je vous remercie de votre réponse éclairante.
Le sénateur Peterson : Pour mettre les choses en perspective, vous avez signé l'accord il y a 13 ans. Vous avez commencé à travailler il y a 35 ans, et je crois que vous avez dit que vous aviez la moitié du chemin de fait. Combien de temps pensez-vous qu'il vous faudra pour parvenir à destination?
M. Linklater : La première délégation de chefs est descendue il y a 35 ans pour présenter au gouvernement du Canada le document Together Today for Our Children Tomorrow. Vingt-deux ans plus tard, nous signions les quatre premiers accords définitifs et accords sur l'autonomie gouvernementale. Dix ans plus tard, nous entreprenions un processus d'examen. Quatre ans plus tard, nous voilà ici, aujourd'hui.
La mise en œuvre de ces accords ne sera jamais terminée, comme l'a souligné le sénateur Dallaire. Elle se poursuivra jusqu'à la fin des temps. Nous continuerons, j'en suis sûr, à découvrir des lacunes et des obstacles. À titre de gouvernements au Yukon, nous tentons d'établir des partenariats avec les autres ordres de gouvernement au Yukon pour pouvoir agir avec eux de façon beaucoup plus efficiente et efficace quand nous faisons face à ces obstacles. Nous ne voulons pas attendre encore 22 ans, dix ans ou quatre ans pour régler ces problèmes. Ensuite, nous serons en mesure de nous asseoir et de discuter d'égal à égal entre gouvernements.
J'espère que, d'ici six mois environ, le gouvernement fédéral nous accordera le mandat de commencer à régler ces problèmes et à négocier des niveaux de financement adéquats.
Bien sûr, il y a encore le problème des politiques. Ces politiques associées à la Loi sur les Indiens nous suivent à titre de Premières nations autonomes. Elles ne s'appliquent pas aux gouvernements provinciaux, ni au gouvernement du Yukon, mais elles s'appliquent, d'une certaine façon, à nos gouvernements. Cette situation me paraît injuste, et nous devons trouver une solution. Pour ce faire, nous devons absolument obtenir le point de vue de personnes qui ont une vision et qui ressentent le besoin de changement dans ce pays.
Comme je l'ai dit, nous faisons du surplace. Nous espérons être en mesure de régler ces problèmes à un moment donné. Nous pourrions réintégrer les politiques dans la Loi sur les Indiens et les y laisser de façon à ce que nous puissions diriger nos gouvernements, ou modifier les politiques de façon à ce que la bureaucratie fédérale soit en mesure de régler ces problèmes autochtones de façon beaucoup plus efficace et efficiente.
Pour répondre à votre question, nous n'avançons pas, tout comme la mise en œuvre de nos accords. Nous n'abandonnerons pas tant que nous serons vivants.
Le sénateur Peterson : Le problème, pour le moment, semble être un problème d'argent. Cela semble être le principal obstacle, et cela me pousse à me demander si vous ne devriez pas dépendre du Conseil du Trésor plutôt que du MAINC.
Quelle est la structure de votre gouvernement? Vous dites qu'il s'agit d'une autonomie gouvernementale.
M. Linklater : Comme l'a souligné M. Peter, il y a diverses structures. Nous comptons huit groupes linguistiques au Yukon. Prenons par exemple le Conseil de Teslin Tlingit. Sa structure est calquée sur sa structure de régie traditionnelle. Le Conseil compte divers clans, représentés chacun par un porte-parole. L'un de ces porte-parole est désigné pour jouer le rôle d'un chef. C'est là la structure de régie de ce conseil.
La structure de régie de la Première nation des Gwitchin Vuntut s'inspire de la gouvernance publique. Nous avons pris la Loi sur la gestion des finances publiques du gouvernement du Yukon et en avons fait notre propre loi. Nous avons mis sur pied un processus qui nous permet d'adopter des lois : nous procédons à trois lectures, et, à la suite de la troisième lecture, nous adoptons la loi.
Comme nous n'avons pas de parti d'opposition, nous présentons le projet de loi à la collectivité. Tout se fait devant la collectivité : la lecture du projet de loi et son adoption. La collectivité peut formuler des commentaires sur le projet de loi tout au long du processus. S'il y a des préoccupations particulièrement importantes, nous nous penchons de nouveau sur le projet de loi et le modifions jusqu'à ce que la collectivité soit satisfaire.
Par exemple, nous nous occupons actuellement de notre loi d'affectation. Notre budget a été adopté devant la collectivité. Le salaire du chef et des membres du conseil sont régis par la loi. Si une personne, au conseil, souhaite obtenir une augmentation salariale, le processus ne se déroule pas derrière des portes closes, comme c'était le cas il y a peut-être cinq ans. Elle doit se présenter devant la collectivité et demander que la loi soit modifiée pour augmenter son salaire.
Le processus en entier est d'une grande transparence, repose sur la collectivité et force la reddition de comptes. La collectivité a un grand rôle à jouer. Nous souhaitons faire connaître à notre collectivité la question de l'autonomie, ainsi que la façon dont notre gouvernement a été composé, et la structure qui le caractérise.
Le sénateur Peterson : Pour ce qui est de vos sources de revenu, annuellement, combien proviendrait du gouvernement? Vous avez dit que vous avez des entreprises qui réalisent des profits. À combien s'élèvent-ils, approximativement?
M. Linklater : L'entente de transfert financier que notre collectivité a conclue est d'environ 5,4 millions de dollars. Notre collectivité compte 300 membres et plus de 800 bénéficiaires. Une partie de cet argent est destinée à des personnes résidant au Yukon, tandis qu'une autre partie est réservée aux résidents de la collectivité d'Old Crow, située sur une terre désignée.
Notre budget annuel est d'environ 10 millions de dollars. Comme nous sommes une collectivité autonome, nous devons rédiger des propositions pour environ la moitié du budget et nous battre parfois les uns contre les autres pour l'obtenir. À ma connaissance, aucun autre gouvernement n'a à faire cela. Nous devons soumettre des propositions, conclure des accords de contribution et faire rapport sur l'utilisation de cet argent, ce qui est injuste.
Nous avons trois institutions gouvernementales distinctes : le corps politique, la fiducie commerciale et la fiducie qui investit les indemnisations que nous avons touchées en vertu des ententes. Nous avons bien investi cet argent, et nos entreprises ont été profitables.
Je ne peux parler au nom des autres collectivités, mais, l'an dernier, la nôtre a affiché un bilan d'environ 56 millions de dollars. Là encore, nous avons prouvé que le fait d'assumer nos responsabilités représente bien davantage pour nous. En nous responsabilisant, nous sommes en mesure d'obtenir des résultats très positifs.
Toutefois, au chapitre des affaires gouvernementales, nous devons prendre des décisions difficiles sur les façons d'exercer nos activités de manière responsable et d'équilibrer le budget. Si nous devons équilibrer notre budget, certains programmes et services vont peut-être en souffrir.
Nous avons fait beaucoup de sacrifices pour devenir des gouvernements responsables. En même temps, nous sommes fiers de montrer que nous sommes capables de gérer nos affaires. Malheureusement, nous ne pouvons pousser cette gestion aussi loin que nous le voudrions, parfois en raison de niveaux de financement inadéquats.
Le sénateur Peterson : Lorsqu'ils vous auront donné tout l'argent qu'ils vous doivent à juste titre, que vous aurez réduit l'écart et que vous générerez tous les fonds vous-mêmes, vous considérerez-vous comme autonomes? Est-ce ce que vous qualifieriez de réussite?
M. Linklater : Nous sommes autonomes.
Le sénateur Peterson : Je sais, mais je pense à quand vous n'aurez plus besoin de leur soutien et de leur argent. Allez- vous toujours avoir besoin de cet argent?
M. Linklater : Oui. Encore une fois, je ne peux que m'exprimer au nom de ma collectivité. La réussite, pour nous, est une collectivité saine, c'est-à-dire une collectivité qui offre un système d'éducation convenable et d'excellents débouchés économiques, où les jeunes font des choix de vie sains sur le plan physique, mental et spirituel, et qui dispose d'une bonne assise territoriale. Par réussite, on entend le développement économique, la réussite économique et la richesse. D'un point de vue autochtone, cela suppose aussi un milieu de vie sain et des populations aquatique et faunique en santé.
Nous voulons également que nos enfants bénéficient de toutes les possibilités du monde, et nous voulons que notre culture soit forte. Nous voulons que leur identité soit forte. Nous voulons que nos langues survivent, car elles constituent une grande part de notre culture, mais nous souhaitons aussi que nos enfants aient accès à un enseignement de qualité.
Nous travaillons dur pour parvenir à nos fins, mais les ressources dont nous disposons sont plutôt limitées. Par exemple, nous ne pouvons embaucher qu'un nombre limité de personnes qui travailleront à réaliser certains de nos projets. Mais pour mettre en œuvre ces accords dans leur intégralité, il faut le personnel nécessaire. Pour que ces gens puissent travailler, il faut leur fournir des installations. Cela nous mène à la question des capitaux, et nous devons tenir compte de cet aspect de l'équation. Il y a aussi la question du logement. Nous devons être en mesure de loger les personnes qui viennent travailler pour nous.
Vous pouvez constater quelles sont les conséquences des niveaux de financement inadéquats sur nous. Il ne s'agit pas seulement de fournir des programmes et des services; il s'agit de procurer aux gens un endroit où travailler et se loger. Les problèmes liés au financement insuffisant ont tendance à faire boule de neige.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Selon vous, à quoi devrait ressembler l'accord idéal, celui qui permettrait de résoudre les problèmes auxquels se heurtent les Premières nations?
M. Linklater : Ma réponse n'est peut-être pas très objective, mais je crois que l'accord actuel se rapproche assez de cet idéal. C'est très difficile à dire parce que nous n'avons pas encore pu explorer toutes les possibilités des accords définitifs sur l'autonomie gouvernementale. Toutefois, les succès que nous avons remportés au Yukon, comme le fait d'avoir obtenu que le gouvernement du Yukon crée une tribune nous permettant de discuter ensemble des façons de réaliser le programme du gouvernement, montrent le potentiel de ces accords. Si nous pouvons régler les deux questions principales, soit celle de la politique gouvernementale et celle des niveaux de financement suffisants, je vois un potentiel illimité pour le Yukon.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Avez-vous des partenaires commerciaux à l'extérieur de vos collectivités? Formez- vous des partenariats?
M. Linklater : Oui, certainement. Je crois que toutes les Premières nations autonomes établissent des partenariats, que ce soit entre elles — pour mener divers projets — ou avec d'autres entreprises. Je pense à l'exploitation minière et à l'exploration pétrolière et gazière. Ici encore, parce que nous avons un certain pouvoir au Yukon, les membres de ces industries ressentent le besoin de venir consulter les Premières nations pour s'assurer que nous sommes satisfaits du niveau de consultation et des débouchés économiques. Ils investissent des millions de dollars et ils veulent faire en sorte que rien ne vient entraver cet investissement. Quand ils constatent que nous avons du pouvoir, ils croient qu'il est avantageux d'investir temps et argent pour consulter les Premières nations et s'assurer que nous sommes satisfaits de leur engagement.
Le sénateur Lovelace Nicholas : Vous disposez d'une assise territoriale assez importante pour accueillir d'autres collectivités et avoir d'autres endroits où investir. Vous avez de nombreuses terres. Les louez-vous? Est-ce de cette façon que vous formez des partenariats?
M. Linklater : Oui, mais ce n'est pas seulement le territoire qui nous intéresse. Comme je l'ai dit, nous touchons des indemnisations. Nous avons fait en sorte que ces indemnisations nous rapportent de l'argent, et bon nombre de Premières nations ont fait des investissements lucratifs. Je dirais que la majorité des Premières nations autonomes n'ont pas encore mené d'activités industrielles sur leur territoire et elles font tout de même de bons profits.
Par exemple, nous n'avons fait aucun développement industriel sur notre territoire, mais nous disposons tout de même de bonnes sources de revenu, car nous avons diversifié nos activités commerciales et nous avons investi nos indemnisations sur les marchés nationaux et internationaux pour obtenir de bons rendements. Cet argent est géré en bloc pour l'ensemble de la collectivité. Nous ne le diviserons pas, et tout produit de placement sert à améliorer les programmes d'éducation et les programmes visant à renouer avec la terre. Par exemple, nous investissons dans notre association de chasse et de trappage, ainsi que dans les programmes culturels comme la danse et l'apprentissage des langues. L'argent tiré des investissements est consacré à notre collectivité pour que nous puissions offrir nos propres programmes et services.
Le président : Nous revenons tout juste d'un voyage aux États-Unis, où nous avons visité les Mescalero-Apaches, les Pueblos d'Albuquerque et les Navajos. Le voyage a été très intéressant. Vous dites que vous négociez de gouvernement à gouvernement. Joe Shirley Jr., président de la nation Navajo, qui compte 300 000 personnes, a déclaré qu'il négociait de nation à nation et non de gouvernement à gouvernement. Il affirme qu'il est non pas un Indien, mais un Autochtone américain. Il soutient qu'il habite non pas dans une réserve, mais sur une terre ancestrale. Il a développé sa pensée — chose que je ne ferai pas ici, faute de temps —, car il croit que les réserves sont en fait pour les animaux.
Vous avez affirmé que vous devez embaucher des gens pour la mise en œuvre. Pourquoi cela ne se fait-il pas automatiquement? Selon moi, beaucoup trop d'argent sert à payer les experts-conseils et les avocats de ce monde quand il s'agit de questions touchant les Premières nations, alors que les sommes devraient aller aux personnes qui habitent sur le territoire ou aux membres des différentes collectivités.
La vérificatrice générale a examiné trois accords sur les revendications territoriales : celui du Nunavut, celui des Gwichin et celui des Inuvialuit. Dans chacun des cas, elle est parvenue aux mêmes constatations que celles qui se trouvent dans votre examen.
Si la mise en œuvre n'a pas lieu, à part venir à Ottawa demander l'aumône à une bande de bureaucrates et à un ministère qui est souvent dysfonctionnel, à mon avis, quel autre recours s'offre à vous? Une fois de plus, selon toute probabilité, vous devez payer des avocats et des spécialistes qui peuvent franchir le mur de la bureaucratie. Pouvez- vous me donner une réponse? Peut-être que Mme Massie voudrait répondre également. Si nous n'abordons pas cette question, je ne crois pas que nous pouvons venir à bout du problème.
M. Linklater : Aujourd'hui, nous vivons dans un monde judiciarisé. Je peux vous affirmer que nos aînés ont une connaissance intrinsèque des rouages du gouvernement. Il ne s'agit pas d'un nouveau concept pour eux. Ils savent jusqu'où ils peuvent aller. Ce dont nous avons parfois besoin — et tout gouvernement, toute entreprise en a besoin —, c'est la diligence raisonnable.
Oui, nous embauchons des avocats et des experts-conseils de temps à autre. Selon moi, nous les utilisons de façon stratégique. Il n'y a rien de mal à cela. Nous sommes un gouvernement, certes, mais nous sommes également réalistes et parfois, les services de telles personnes sont nécessaires. Au Yukon, nous sommes fiers de ne pas avoir eu à aller devant les tribunaux pour régler nos différends.
Sur les conseils de nos aînés, nous avons abordé les gouvernements en tant que gouvernement. Nous avons discuté avec eux comme le ferait tout autre gouvernement, qu'il s'agisse d'un gouvernement étranger ou d'une administration locale. Nous avons cherché à parvenir à un accord grâce au dialogue. Nous ne croyons pas que les tribunaux parviendraient à une meilleure solution que la nôtre dans les mêmes circonstances. Nous sommes d'avis qu'il ne s'agit pas d'une bonne façon d'utiliser notre temps et nos ressources.
Nous considérons notre voyage à Ottawa comme un investissement dans les futurs résultats de tout ce que nous avons entrepris.
Avant de terminer, je veux seulement souligner que les Navajo font partie du peuple Athabaskan; il n'est donc pas surprenant que nous pensions de la même façon.
Le président : J'ai une autre petite question en ce qui concerne les membres inscrits et les membres non inscrits des Premières nations. Qu'en est-il des Inuits et des Métis? Comment s'inscrivent-ils dans ce programme, ou le programme s'applique-t-il premièrement à eux? Sont-ils dans une classe à part? Des membres de ces peuples se trouvent-ils sur vos terres ancestrales?
M. Linklater : Non. Quand les Premières nations ont commencé à faire des revendications territoriales, ce qu'on appelle les Métis du Yukon se sont joints au Yukon Native Brotherhood. Je crois que l'organisation s'appelait comme ça à l'époque. C'est à ce moment-là que nous nous sommes débarrassés de ces notions d'Indien inscrit et d'Indien non inscrit. J'aurais probablement été considéré comme un Métis si un tel changement n'avait pas eu lieu, mais je suis maintenant considéré comme un Gwitchin Vuntut. Il n'est pas question d'Indiens inscrits ou non inscrits ou de Métis au Yukon. Tout s'est amalgamé.
Nous sommes partis du principe selon lequel une personne est Gwitchin Vuntut ou ne l'est pas. Nous procédons de cette façon depuis le tout début, et nous ne sommes aucunement éloignés de ce principe.
Il n'y a aucune collectivité inuite au Yukon. Il existe un territoire traditionnel inuit le long du versant nord du Yukon, mais on n'y trouve aucune collectivité.
Mme Massie : Notre collectivité s'apparente beaucoup à celles des autres Premières nations. Nous avons une constitution qui régit notre Première nation. Elle contient un code de citoyenneté qui définit nos citoyens. Nous ne faisons aucune distinction parmi les personnes admissibles à titre de citoyen du Conseil de la bande de Ta'an Kwach'än parce que notre citoyenneté correspond à notre ascendance.
Le sénateur Gustafson : Pour ce qui est des ressources naturelles, vous dites que vous avez des mines, du pétrole et du gaz naturel. Y a-t-il des activités traditionnelles de chasse? Où en êtes-vous rendus sur la question des ressources, et quelles ressources retrouve-t-on sur votre territoire? Je vais utiliser l'exemple de la Saskatchewan. En ce qui concerne l'uranium, le pétrole, le gaz naturel et la potasse, nous connaîtrons peut-être notre jour de gloire un de ces quatre matins. Je suis certain que vous surveillez tout ça de près pour obtenir votre part des affaires qui se brassent sur les terres riches en ressources, car c'est très important.
M. Linklater : Je vais vous expliquer un aspect important de ce qui se passe au Yukon avant de répondre à la première partie de votre question.
En 1999, le gouvernement du Yukon, avec le soutien des Premières nations du Yukon, a signé une entente sur le transfert des responsabilités avec Ressources naturelles Canada. En vertu de cette entente, le gouvernement du Yukon touche une partie des redevances provenant de l'exploitation des ressources au Yukon. Ce n'est pas le meilleur régime de redevances qui soit. Seul un très petit pourcentage des redevances totales est versé au Yukon, car la majeure partie va au gouvernement du Canada. Toutefois, cette entente prévoit que nous, les Autochtones, touchons une part des redevances du gouvernement du Yukon, ce qui nous encourage à poursuivre et à développer nos activités.
Le sénateur Gustafson : Par exemple, obtenez-vous un baril de pétrole sur dix ou sur douze ou un pourcentage?
M. Linklater : Je n'ai pas les chiffres exacts en tête. Peut-être que M. Peter le sait. Nous recevons un pourcentage des sommes perçues, et l'argent est réparti entre les Premières nations autonomes et le gouvernement du Yukon. Il s'agit d'un partage. Je crois que le montant équivaut à 2 p. 100.
M. Peter : Le pourcentage varie selon le montant des redevances perçues. Il s'agit ici des redevances provenant de l'exploitation gazière dans le sud-est du Yukon. Je crois que les Premières nations reçoivent jusqu'à 2 millions de dollars de tout pourcentage réservé au gouvernement territorial. Évidemment, les redevances totales sont partagées avec le gouvernement fédéral.
Vous avez posé une bonne question parce qu'elle met en évidence une anomalie. Nous avons convenu en principe de financer notre propre gouvernement et, avec le temps, de tendre vers cet objectif. Nous pensions que le fait de négocier une part tant des redevances que des recettes fiscales provenant de l'exploitation des ressources sur notre territoire traditionnel serait l'un des moyens d'y parvenir.
Cependant, nous ne sommes pas actuellement en mesure de négocier une part de l'impôt des sociétés. Par exemple, près d'une de nos collectivités se trouve une mine située sur des terres désignées. On a maintenu les droits acquis, car la terre avait été jalonnée avant l'entente, et nous avons respecté cette décision. Seulement, parce que nous ne pouvons toucher une part de l'impôt des sociétés, nous ne pouvons accéder aux ressources qui proviennent de l'exploitation de nos propres terres. Nous espérons corriger la situation avec le temps, et nous en avons fait part au gouvernement fédéral.
Le chef souhaiterait peut-être répondre au second volet de votre question.
Nous avons en effet le droit d'exploiter les ressources présentes sur notre territoire ancestral. Dans certains cas, nous jouissons de droits d'exploitation exclusifs pour certaines de nos terres désignées. Évidemment, c'est nous qui gérons ces droits, et toute personne peut exploiter les ressources de nos terres avec notre accord. Il s'agit d'un outil de gestion.
Cette réponse renvoie à une question précédente sur la décision de ne pas recourir au développement industriel. Nous tentons de protéger notre territoire pour que les membres de nos collectivités aient le choix. Ils peuvent opter pour une économie moderne, un mode de vie moderne, ou ils peuvent conserver leur mode de vie traditionnel. Voilà pourquoi nous insistons sur l'importance de notre assise territoriale, de la protection de l'environnement et de notre culture et d'une instruction convenable pour nos membres.
Le sénateur Gustafson : Quelle proportion des membres de votre collectivité travaillent sur des projets pétroliers, gaziers et miniers?
M. Peter : Ça varie selon les projets. Toutefois, comme l'a précisé le chef, parce que nous sommes autonomes et avons nos propres administrations et notre territoire, nous remarquons que les entreprises viennent désormais nous rencontrer pour négocier des ententes sur les répercussions, qui traiteraient des possibilités d'emploi et d'autres retombées découlant du projet, comme la formation et, dans certains cas, des bourses d'étude pour certaines personnes. Les modalités varient selon l'entente négociée avec chaque entreprise.
Il s'agit d'une des réussites que nous pouvons souligner. Par le passé, quand la gestion des terres au Yukon relevait de la compétence du gouvernement fédéral, les entreprises nous ignoraient et demandaient au gouvernement fédéral la permission de mener leurs activités. Maintenant, elles viennent nous consulter et, dans certains cas, elles le font avant d'aller voir les autres gouvernements. À mon avis, c'est une réussite qui résulte de l'accord.
Le sénateur Gustafson : Il me semble que notre premier ministre a des visées sur le Nord. Je présume que l'exploitation de ces vastes territoires mettra au jour des ressources que nous ne pouvons même pas imaginer à l'heure actuelle. Il sera très important que vous ayez signé des ententes vous permettant d'obtenir une part de ces ressources ainsi que les recettes tirées de leur exploitation.
M. Linklater : Comme je l'ai mentionné plus tôt, ce sont nos membres qui décident ce qu'ils entendent par richesse et santé. Nos accords obligent le gouvernement et les industries à nous consulter à divers degrés. Certaines personnes parlent de consultation avec un grand « C » et de consultation avec un petit « c ». Il y a des accords de ce genre.
Nous disposons également du pouvoir de légiférer sur nos terres. Nous avons notre propre vision de l'avenir du Nord, et je crois qu'il faut discuter de cette question sur le plan politique avant de déterminer comment le Nord évoluera. Je crois que c'est ce qu'on visait à l'origine en encourageant la négociation d'accords pour le Nord.
Le sénateur Sibbeston se souviendra de l'époque où nous avons déclaré que nous voulions déterminer comment le Nord évoluerait et comment il finirait par faire partie du paysage canadien, et j'espère que nous nous rapprochons de notre but.
Le président : Sur une note plus légère, votre réponse était électrisante.
Le sénateur Sibbeston : Vous avez entrepris l'examen du plan de mise en œuvre cinq à neuf ans après avoir conclu l'accord. Vous avez amorcé ce processus avec l'intention de cerner les problèmes et les lacunes que présente l'accord sur les revendications. Êtes-vous raisonnablement confiant? Qu'est-ce qui vous fait dire que le gouvernement fédéral réagira de façon positive à votre rapport?
M. Linklater : À mesure que progresse l'examen, j'espère que nous montrons au gouvernement canadien que nous avons des solutions raisonnables pour résoudre les questions qui touchent les Autochtones, comme la pauvreté, le logement, des conditions de vie saines et ainsi de suite.
Pour nous au Yukon, la réussite et la mise à profit de ces accords tiennent aux accords définitifs sur l'autonomie gouvernementale et à la mise au jour des lacunes. J'espère que, après avoir frappé aux portes pendant dix ans, quelqu'un nous a finalement entendus et s'est dit : « Essayons cela. » Je ne connais aucun autre exemple d'organisation au Canada qui compte dix années d'expérience sur le terrain en matière d'autonomie gouvernementale et qui a accumulé les réussites tout en exploitant le plein potentiel de l'autonomie gouvernementale pour régler ces questions.
Si le gouvernement veut sincèrement résoudre les problèmes qui concernent les Autochtones dans le pays, il consacrera les fonds suffisants à la mise en œuvre, qu'il s'agisse de programmes, de services ou du potentiel des accords.
Le sénateur Sibbeston : Vous êtes très positif. C'est bien de voir que certaines personnes qui viennent à Ottawa ont une attitude positive et le sentiment que le gouvernement corrigera la situation.
Quels indices vous permettent de croire que le gouvernement fédéral vous donnera l'argent dont vous avez besoin? Avez-vous parlé avec le premier ministre? Avez-vous parlé avec M. Strahl? Avez-vous parlé avec votre député? Vous a- t-il assuré que tout se déroulerait bien? On ne s'attend pas à ce genre de chose habituellement.
Vous êtes terriblement heureux, plein d'entrain et optimiste. Obtiendrez-vous l'argent au bout du compte, ou reviendrez-vous ici dans quelques années, triste et abattu, en disant que vous ne pouvez l'obtenir parce que ça ne fonctionne pas?
M. Linklater : Nous finirons par obtenir l'argent, et les choses changeront parce que nous ne lâcherons pas prise. Nous sommes habitués à ce genre de chose. Grâce aux accords sur l'autonomie gouvernementale, nous avons fait des progrès et nous continuons d'en faire. Nous avons enfoncé les portes, même dans le cas des examens de la mise en œuvre.
Les fonctionnaires fédéraux ont même dépassé le cadre de leur mandat en déclarant qu'ils souhaitaient discuter avec nous de l'adéquation du financement. Nous avons fait tomber ces barrières, et le Cabinet est la prochaine. Nous rencontrerons le ministre des Finances deux semaines avant qu'il présente le budget. Nous aurons une demi-heure pour discuter avec lui et obtenir des réponses positives. C'est la première fois qu'il entend la position des Premières nations, alors il n'est pas tout à fait prêt à s'engager, mais il soutient que nous poursuivrons ce dialogue.
Nous avons reçu une lettre du ministre Strahl, qui souligne qu'il fait participer ses collègues du Cabinet et qu'il a enjoint ses hauts fonctionnaires d'emboîter le pas pour que le mandat reflète les conclusions de l'examen de la mise en œuvre. Il s'agit donc d'indices très positifs, que nous avons par écrit. Nous avons un contact direct avec le gouvernement. Nous le rencontrons à titre de gouvernement. Ce qui rend le premier ministre de la Colombie- Britannique si optimiste, c'est que nous traitons de gouvernement à gouvernement.
Nous avons beaucoup d'expérience. Nos aînés nous ont bien transmis leur savoir, et nous savons jusqu'où nous pouvons aller. Nous croyons qu'il s'agit d'une occasion extraordinaire. Nous sommes décidément passés en vitesse supérieure, et nous nous dirigeons tout droit vers la mise en œuvre en bonne et due forme de l'autonomie gouvernementale.
Le sénateur Sibbeston : J'aime votre attitude positive.
À part l'examen et les dispositions relatives à la mise en œuvre, une fois que tout aura été mis en place, y aura-t-il des mécanismes de contrôle?
M. Linklater : Pas pour l'instant. Nous nous sommes engagés auprès du gouvernement territorial et du cabinet du ministre Strahl à rédiger un plan de travail. Nous envisageons notamment un examen ultérieur, car il s'agit d'un exercice unique qui doit être considéré. Je crois que l'examen après les neuf premières années, le rapport de la mise en œuvre, correspond exactement à cela. Il s'agit d'une étude des dix premières années d'autonomie gouvernementale. Plusieurs excellentes recommandations figurent dans le rapport.
Le sénateur Sibbeston : Je crois que les dispositions prévoyant l'examen de la mise en œuvre sont très importantes et, comme vous le constatez, très pertinentes. Nous étudions la mise en œuvre des accords sur les revendications territoriales parce que la plupart des Premières nations qui ont conclu de tels accords considèrent, après quelques années, que la mise en œuvre montre de véritables failles.
La semaine dernière, le comité du Sénat chargé d'étudier l'accord sur les revendications territoriales du Nunavut a recommandé qu'on procède à un examen après dix ans. Nous avons apporté des modifications à la Loi. Le projet de loi du Sénat a été transmis à la Chambre, et le gouvernement l'a accepté. Il s'agit d'une percée importante, car si on s'était penché sur les dispositions relatives à la mise en œuvre des accords sur les revendications territoriales des Inuvialuit et des Gwichin, une telle démarche aurait grandement aidé. Si les dispositions concernant la mise en œuvre de chaque accord sur les revendications territoriales que nous étudions faisaient l'objet d'un examen après dix ans, nous aurions un gouvernement responsable de ses actes. La réussite de ces accords n'en serait que davantage assurée. Je commence à croire que nous détenons là la solution.
Croyez-vous que les dispositions prévoyant l'examen de la mise en œuvre vous ont rendu service et vous ont permis, à cette étape, d'envisager la situation sous un angle différent, situation que vous ne pouviez vraiment prévoir lorsque vous avez signé l'accord? Dans quelle mesure cet examen est-il important?
M. Linklater : À mon avis, les lacunes — et non l'échec — de la mise en œuvre tiennent en partie au fait que le gouvernement fédéral en particulier éprouve beaucoup d'incertitude. Ces revendications modernes représentent une forme expérimentale d'autonomie gouvernementale. Le type d'autonomie gouvernementale dont nous bénéficions au Yukon constitue une expérience, et le gouvernement n'est pas disposé à s'investir pleinement dans une expérience.
Ces examens ont montré que nos essais ont été fructueux, et ils permettent de convaincre davantage les fonctionnaires et le gouvernement du Canada que l'argent consacré à l'autonomie gouvernementale a été bien investi. Ces sommes vont générer d'énormes retombées.
Les examens sont importants. Nous avons effectué un test de diagnostic. Nous pouvons donc affirmer : « Voici où nous avons réussi et voici où vous devez investir davantage; voici les politiques que vous devez changer pour assurer le succès. » Les examens ont prouvé à certains ministères, fonctionnaires et politiciens qu'ils doivent aller de l'avant en adoptant des mesures qui donneront de meilleurs résultats.
Le sénateur Sibbeston : Je suis originaire des Territoires du Nord-Ouest. Dans les années 1970, j'étais très engagé, je traitais activement avec le gouvernement qui était au pouvoir. Compte tenu des revendications territoriales et des perspectives qu'offre l'autonomie gouvernementale, il semble que toutes les nations autochtones et les Premières nations veulent devenir autonomes. J'ai souvent pensé qu'il s'agissait peut-être d'un rêve ou d'une attitude idéaliste. Nous avons une vision idéalisée de l'autonomie gouvernementale. Toutefois, ayant participé à un gouvernement, je peux affirmer que l'autonomie gouvernementale représente beaucoup de travail. Pouvez-vous me donner des commentaires à ce sujet?
M. Linklater : Quand j'étais jeune, j'ai été sans emploi pendant environ un an, alors je ne me plains plus du travail. C'est mieux que de ne pas en avoir.
Au Yukon, nous soutenons que le gouvernement fédéral ne nous a pas donné l'autonomie gouvernementale; il s'agissait plutôt d'une négociation avec le gouvernement pour qu'il reconnaisse notre autonomie. Oui, ça représente beaucoup de travail, mais c'est ce travail qui me pousse à sortir du lit le matin. Ces gens sont mon peuple; ils représentent ma vie et mon avenir. Je veux faire en sorte que les membres de ma collectivité soient capables de protéger mon mode de vie lorsque je serai vieux et que j'habiterai sur le territoire. Pour ce qui est de protéger le mode de vie des Gwichin, je crois qu'il n'y a pas mieux dans le monde qu'un Gwichin. Nous le faisons avec plaisir.
Je dis toujours aux gens que les accords sur l'autonomie gouvernementale n'ont pas été négociés pour que nous obtenions des ressources. Ils ont plutôt été négociés pour que nous puissions nous occuper de nous-mêmes et décider de notre avenir. Oui, c'est beaucoup de travail, mais au moins on ne chôme pas.
Le sénateur Dallaire : Je salue l'extraordinaire patience dont vous faites preuve envers le gouvernement canadien. Il piétine depuis 140 ans, et pas seulement au Yukon. Si vous avancez qu'il donne toujours de la formation sur place concernant la façon de travailler avec les nations autonomes dans le cadre de plans de mise en œuvre d'accords d'envergure, je vous renvoie aux parties des rapports des Nations Unies sur les droits de la personne qui abordent la question des Premières nations ou des Autochtones au Canada. Je dirais que vous devriez peut-être enfoncer des portes.
Je trouve extraordinaire la façon dont vous avez exprimé le désir de parvenir à une entente. Ce qui m'amène à l'objet de votre voyage ici.
Vous craignez que les politiques vous empêchent d'exercer adéquatement votre autonomie gouvernementale, et votre accès à une plus grande autonomie est grandement limité. L'imposition de taxes n'est pas nécessairement une solution, mais il y a même des difficultés à obtenir l'argent. Si on considère l'exemple de l'Alberta et son pétrole, vous êtes encore très loin du but. Votre autonomie gouvernementale exige l'obtention de fonds.
Il y a des politiques qui vous font obstacle. Vous avez réalisé cet examen en espérant qu'il mène à l'articulation d'un mandat qui servira de fondement à une politique qui, au bout du compte, débouchera sur du financement pour une série de programmes, jusqu'à ce que vous fassiez un autre examen.
Vous êtes venus à Ottawa et vous avez rencontré des fonctionnaires d'Affaires indiennes et du Nord Canada. Jusqu'à quel point êtes-vous convaincu qu'Affaires indiennes est réellement l'organisation qui a la main haute sur les autres ministères pour ce qui est d'obtenir les fonds nécessaires à la mise en œuvre d'une nouvelle politique fondée sur le mandat que, espérons-le, vous rédigerez à partir de votre examen?
M. Linklater : D'abord, nous n'avons d'autre choix que d'être patients avec le gouvernement canadien : c'est lui qui a l'argent.
L'actuel ministre d'Affaires indiennes et les trois ministres précédents se sont penchés sur ce que nous faisions au Yukon, et ils sont tous parvenus à la même conclusion : « Nous devons faire en sorte que ça fonctionne. » Par conséquent, nous avons mis quatre ans à faire l'examen pour prendre le temps d'analyser tous les détails.
Le ministre actuel a pris connaissance des rapports, et il a convenu que les recommandations qui s'y trouvaient devaient servir à former le mandat. Nous sommes venus ici en appui au ministre, pour discuter directement avec le gouvernement fédéral. Nous avons rappelé à chaque ministre que nos accords n'ont pas été conclus avec Affaires indiennes et du Nord Canada; ils ont été conclus avec le gouvernement canadien. Chaque ministère a la responsabilité, au nom du Canada, de mettre en œuvre certaines parties des accords définitifs et des accords sur l'autonomie gouvernementale.
Le Canada a pour politique d'aborder les questions autochtones par l'intermédiaire d'AINC. On ne peut rien y faire, c'est sa politique. Nous avons nos propres politiques, et il ne peut y changer quoi que ce soit. Nous sommes donc obligés de passer par AINC. Nous avons également pu approcher d'autres ministres par l'entremise du cabinet de M. Strahl. Je connais peu de groupes autochtones qui, en deux jours, ont rencontré le ministre des Finances, le président du Conseil du Trésor, le ministre des Affaires intergouvernementales et le ministre de la Justice, et nous rencontrons le ministre de RHDSC demain. Le cabinet du ministre Strahl a grandement collaboré et a contribué à faire avancer notre cause en nous présentant aux collègues du ministre comme un gouvernement. En fait, le ministre nous a fait remarquer qu'en ces temps mouvementés, le Parlement discutait du Yukon et des revendications venant de ce territoire. Si nous pouvons retenir l'attention du Cabinet de cette façon, je crois que nous avons fait des progrès importants.
Le sénateur Dallaire : Au gouvernement, j'étais l'équivalent d'un sous-ministre adjoint. Je craignais toujours qu'un général de grade supérieur ou qu'un politicien vienne me montrer une brochure attrayante faisant la promotion d'un nouvel appareil et qu'il me dise : « Je viens de dîner avec les représentants et je veux qu'on achète 15 de ces appareils; trouvez un moyen de le faire. » Au risque de me faire taxer de cynique, je vous demande : les sous-ministres ont-ils assisté à chacune de ces rencontres? Les sous-ministres adjoints ont-ils assisté à chacune de ces rencontres? Le sous- ministre d'Affaires indiennes et du Nord Canada a-t-il été expressément mandaté pour diriger votre examen afin de rallier tous ces ministères? Est-il mandaté pour calculer vos besoins financiers à partir de votre examen et pour soumettre un mémoire au Cabinet afin que vous obteniez le financement voulu pour la solution ou le mandat proposé?
Avez-vous la conviction que quelqu'un dirige cette affaire et a le pouvoir d'obtenir l'argent dont vous avez besoin pour mettre en œuvre ces projets, ou en est-on encore à l'étude des données que vous envoyez? Je ne veux pas être méchant ni moqueur à l'endroit des politiciens, mais vous avez dit que trois personnes se sont successivement occupées de votre affaire. À l'ACDI, 15 personnes se sont succédé en dix ans; à la Défense nationale, il y a eu 20 personnes en trois ans. Ces gens sont assez mobiles. Je serais désireux de savoir si vous avez l'impression que les sous-ministres et les autres protagonistes sont déterminés à mener à bien cette affaire et s'ils ont le mandat pour le faire.
M. Linklater : En ma qualité d'homme politique, mon travail serait d'influencer les politiciens. Une fois que nous parvenons à l'étape du mandat, il revient alors aux hauts fonctionnaires de prendre la relève. Ils ont besoin du mandat pour faire bouger les choses. Croyez-moi, je suis un politicien; je sais qui fait le travail, et ce n'est pas moi.
Je crois que nous avons fait notre travail de politiciens en venant ici exprimer nos points de vue. La réaction a été très positive. Je crois que nous avons fait notre travail du mieux que nous pouvions, compte tenu du fait qu'il s'agissait d'un sujet inconnu pour de nombreux ministres. Le suivi sera très important. Nous avons rencontré de hauts fonctionnaires toute la journée lundi. Bon nombre de sous-ministres adjoints et de sous-ministres de divers ministères étaient présents. Entre autres mesures de suivi, nous souhaitons que le gouvernement du Canada désigne quelqu'un qui superviserait le processus au cours des six prochains mois pour que les recommandations mènent à la création d'un mandat.
Le sénateur Dallaire : Oui, et pour déterminer combien il en coûterait.
M. Linklater : Oui. Nous en sommes à analyser les dépenses brutes. Cette étape nous permettra d'obtenir des montants détaillés. Nous ne sommes pas ici pour prédéterminer des négociations. Nous voulons un mandat, puis nous laisserons les fonctionnaires négocier les sommes finales. Tant que les négociations sont justes et transparentes, je suis persuadé que nous serons satisfaits du résultat.
Le sénateur Dallaire : Vous avez absolument raison pour ce qui est des relations politiques, mais le personnel est tout aussi essentiel.
Concernant le financement d'étape que vous avez demandé et les montants, même en étant optimiste, j'ai le pressentiment que vous ne verrez pas votre argent avant l'exercice 2011, ou quelque chose comme ça, si ce n'est pas décidé au préalable. Êtes-vous d'accord?
M. Linklater : Après que nous avons conclu nos dernières ententes de transfert financier, l'argent a été versé assez rapidement. Je crois que tous les pouvoirs nécessaires sont en place; il s'agit seulement de négocier.
Le sénateur Dallaire : Mais vous demandez des fonds supplémentaires, ce qui signifie qu'il faut réviser les montants au Ministère. Vous voulez de nouvelles sommes, et ils doivent aller les trouver. Si ce n'est pas déjà prévu dans le budget, vous ne verrez pas cet argent avant 10 ou 11 ans, le temps que prend le processus. Voilà pourquoi il faut admirer votre patience, mais vos fonctionnaires doivent vraiment s'acharner sur ces gens.
Je crois que c'est une question extraordinaire : qui au gouvernement s'occupera de cette affaire et qui se chargera de la mener à bien? On peut surveiller tout ça.
M. Peter : J'aimerais ajouter quelque chose au sujet des nouveaux fonds. Nous avons une autre solution en tête. Lorsqu'on parle de politiques, on remarque qu'il y a d'importantes initiatives adoptées par le gouvernement fédéral qui ne tiennent pas compte de nous. Nous sommes ici pour dire : « Si vous nous permettez d'avoir notre part des ressources, vous n'aurez peut-être pas à chercher de nouvelles sommes. » Nous sommes ici pour trouver des solutions. Nous croyons que nous avons l'expérience nécessaire et que nous pouvons offrir une certaine aide.
Je suis d'accord avec le chef. Il a frappé dans le mille. Il doit y avoir un fonctionnaire de haut rang qui fasse avancer le processus, de concert avec nos dirigeants politiques. Nous travaillons à deux différents niveaux. Nous recevons les directives des dirigeants politiques, puis nous allons au front pour mener la bataille.
Notre expérience nous a enseigné que, s'il y a une volonté politique, nous obtiendrons des résultats. Les indices que nous avons décelés cette semaine nous montrent que la volonté est bien présente. C'est ce qui explique notre optimisme, outre les enseignements de nos aînés sur la patience. Nous n'allons nulle part. Nous serons toujours au Yukon.
Le sénateur Dallaire : Oui, mais vous n'avez pas à vivre dans des conditions qui ne sont pas nécessaires après toutes ces années.
Je crois que c'est extraordinaire. Concentrez les efforts; il ne faut pas tirer à droite et à gauche. S'il n'y a personne pour mener la barque au sein du gouvernement, ils vont tous sauter du bateau et s'écrier : « Nous ne sommes pas aux commandes. » Ce serait parfait si vous pouviez les obliger à rendre des comptes.
Le sénateur Gustafson : J'ai un commentaire. Si le sénateur St. Germain pouvait agir comme il l'entend, il viderait le compte du gouvernement. Il travaille très dur pour vous. Il est très dévoué.
Le président : Ma foi, ce serait un excellent compte à vider.
Mesdames et messieurs les chefs, tout comme les membres de votre personnel, vous avez exercé votre patience et engagé des frais pour venir ici. C'est coûteux de se rendre jusqu'ici. Nous vous sommes reconnaissants d'être venus à Ottawa pour nous rencontrer ce soir.
Il y a une autre chose à laquelle j'aimerais que vous pensiez. Lorsque nous avons étudié les revendications particulières — ce sont les personnes ici présentes qui ont réalisé cette étude; nous avons travaillé ensemble de façon impartiale, nous avons fait tout ce qui était humainement possible de faire à Ottawa —, nous avons désigné un arbitre sans lien de dépendance pour qu'il s'occupe des revendications particulières plutôt que de procéder de la manière traditionnelle. Croyez-vous qu'on devrait mettre en place un mécanisme permettant aux Premières nations qui ont signé des traités de se tourner vers une personne ou une organisation quelconque? Il y a actuellement 21 traités globaux, et un certain nombre seront bientôt signés dans ma province, la Colombie-Britannique.
J'aimerais que vous réfléchissiez au type de mécanisme de règlement des différends qu'on pourrait mettre en place pour qu'une action immédiate s'enclenche afin que vous n'ayez pas à subir le processus politique et administratif. Ce pourrait être une organisation à laquelle vous pourriez signaler que la mise en œuvre n'a pas lieu. Nous pourrions alors nous référer à ce médiateur particulier, ou à toute autre organisation qui aura été mise sur pied à cet effet.
Vous n'avez pas nécessairement à commenter mes propos sur-le-champ, sauf que, d'ici à ce qu'un tel mécanisme soit en place, chaque Première nation qui a signé un traité global qui nécessite une mise en œuvre rencontrera les mêmes obstacles que vous. Tant que nous n'adopterons pas un tel système, il y aura des problèmes.
Les gouvernements se succèdent, tout comme les ministres; tout change. Je suis au Parlement depuis 25 ans, et il m'a été donné de voir de bons ministres dans tous les gouvernements. Je voudrais que vous réfléchissiez à ça.
Vous avez fait preuve de beaucoup de perspicacité, chef, lorsque vous avez dit que celui qui a l'or dirige le jeu. Nous devons créer un mécanisme qui permet de réagir immédiatement quand il est question de la mise en œuvre.
Encore une fois, je veux vous remercier. J'ai visité votre merveilleux territoire ancestral. En septembre, j'ai descendu la rivière en Zodiac, directement du lac au pont. C'est le plus bel endroit de la planète.
Rappelez-vous, mes amis : l'important n'est pas ce que nous construisons pendant que nous sommes ici; c'est ce que nous laissons. Je crois que vous marquerez de votre empreinte les relations des Premières nations avec le gouvernement. Merci et que Dieu vous bénisse tous.
M. Linklater : Je vous remercie beaucoup.
Le comité poursuit ses travaux à huis clos.