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AGEI - Comité spécial

Vieillissement (Spécial)

 

Délibérations du Comité sénatorial spécial sur le
Vieillissement

Fascicule 6 - Témoignages du 5 mai 2008


OTTAWA, le lundi 5 mai 2008

Le Comité sénatorial spécial sur le vieillissement se réunit aujourd'hui, à 12 h 32, pour examiner les incidences du vieillissement de la société canadienne.

Le sénateur Sharon Carstairs (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial spécial sur le vieillissement. Comme vous le savez, ce comité a pour mandat d'examiner les incidences du vieillissement de la société canadienne.

Notre rencontre d'aujourd'hui portera essentiellement sur les options proposées au chapitre 6 de notre rapport provisoire intitulé Une population vieillissante : enjeux et options, déposé au Sénat le 11 mars dernier. Ce chapitre présentait différentes options concernant la répartition régionale des coûts en soins de santé pour les ainés.

Pour nous aider à mieux comprendre ce sujet complexe, nous accueillons encore une fois M. Marc Lee, du Centre canadien de politiques alternatives; M. Joe Ruggeri, professeur à l'Université du Nouveau-Brunswick; et M. Byron Spencer, professeur à l'Université McMaster. Bienvenue au Sénat du Canada.

Comme je n'ai jamais fait confiance à la technologie, nous allons commencer avec M. Lee qui témoigne par vidéoconférence. Nous profitons du fait que tout fonctionne actuellement, car il arrive parfois que nous perdions le contact avec nos témoins.

Marc Lee, économiste principal, Centre canadien de politiques alternatives : Merci de me donner l'occasion de comparaître à nouveau devant ce comité pour vous faire part de mes observations au sujet du rapport provisoire.

Après avoir pris connaissance de ce rapport, je peux dire d'une manière générale que j'estime valable le principe de l'ajustement des transferts pour les soins de santé en fonction des différences dans la structure des âges. Les données provinciales révèlent que l'Alberta se distingue par la proportion beaucoup moins élevée d'ainés qu'on retrouve dans sa population. Avec le régime actuel de transferts fondés sur le nombre d'habitants, l'Alberta obtient plus que sa juste part. Nous pourrons donner plus de détails dans la discussion qui suivra, mais j'estime qu'il y a certains éléments plus complexes qu'il convient de noter et d'envisager en prévision de votre rapport final.

Premièrement, l'éventail de services de soins de santé offerts par les provinces ne se limite pas aux médecins et aux hôpitaux, lesquels sont régis et financés en application de la Loi canadienne sur la santé. Pour les ainés, les aspects les plus importants par ailleurs sont les soins à long terme, les soins à domicile, le soutien à domicile, les soins palliatifs et les produits pharmaceutiques. On retrouve actuellement au pays une véritable mosaïque de services, surtout en raison des décisions prises par les gouvernements provinciaux concernant la portée de la couverture assurée, les quotes-parts et des éléments semblables.

Dans le cadre de mes recherches, j'ai obtenu un facteur d'ajustement en fonction de l'âge en examinant les dépenses par habitant pour chaque groupe d'âge et en ajustant en conséquence la structure des âges pour les données historiques ou les projections futures. Je me suis demandé à combien se chiffrerait le coût des soins de santé avec la structure des âges que nous avions en 1975 on en 1990, ou avec celle que nous aurons en 2030.

On peut toujours examiner la question dans la perspective de l'utilisation des fonds. Il s'agit de données que je n'ai pas publiées, mais vous constaterez que la rubrique « hôpitaux » reflète généralement l'indice global de vieillissement de la population, alors que les chiffres sont inférieurs pour l'entrée « médecins ». L'âge n'a pour ainsi dire aucune incidence quant à la catégorie « autres professionnels » qui englobe une vaste gamme de services de santé. Le principal déterminant, du point de vue du vieillissement, provient de la catégorie « autres établissements », qui comprend notamment les soins spéciaux pour bénéficiaires internes.

C'est surtout cette dernière catégorie qui est importante pour le comité aux fins de son examen du vieillissement. Si l'on considère le passé récent et l'avenir rapproché, il faut noter une hausse d'environ 1 p. 100 des coûts associés à la prestation de services de santé de même niveau en raison du vieillissement de la population. Pour la catégorie « autres établissements », cette augmentation atteint presque 3 p. 100 par année.

Il est tout à fait logique de se demander si l'on ne devrait pas mettre en place un ensemble de services de santé plus complet et mieux normalisé de sorte que toutes les régions du pays aient accès à des niveaux de soins équivalents. On pourrait, par le fait même, réduire la pression sur les salles d'urgence en offrant dans la communauté de meilleurs soins en plus grande quantité. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'il conviendra de procéder à l'ajustement en fonction de la structure des âges.

Deuxièmement, le comité rate une belle occasion de préconiser une limitation des coûts associés à l'expansion des services de santé dans le contexte des nouvelles technologies. Comme le signalait le rapport Romanow, il faudrait notamment évaluer les technologies qui font leur apparition dans le secteur de la santé. Au moment où des innovations comme le dépistage génétique et les applications en nanotechnologie se pointent à l'horizon, nous devons savoir si ces technologies fonctionnent avant de les déployer et d'en assurer le financement.

Je peux vous donner l'exemple du recours de plus en plus soutenu aux technologies diagnostiques comme l'IRM et les tomographes. Ces avancées technologiques peuvent être bénéfiques pour certains patients souffrant de certaines maladies, mais la prudence est de rigueur avant leur adoption à grande échelle. Il arrive notamment que l'on se serve de ces technologies auprès de personnes en santé qui subissent par la suite des interventions coûteuses, mais pas toujours nécessaires. On signale à ce titre que l'ancien premier ministre Brian Mulroney a presque succombé aux complications d'une chirurgie faisant suite à un examen par tomographie effectué dans une clinique privée. On avait alors découvert sur ses poumons des nodules qui se sont révélés bénins par la suite.

Troisièmement, le comité devrait songer à formuler des recommandations concernant le contrôle des coûts des produits pharmaceutiques par le secteur public. On pourrait ainsi contribuer à contrer les effets du vieillissement de la population à ce chapitre en confiant au gouvernement fédéral la responsabilité de l'assurance-médicaments, une idée mise de l'avant par le premier ministre Campbell de la Colombie-Britannique en 2004. Cela aurait également comme avantage de permettre un contrôle fédéral sur la législation en matière de brevets et l'approbation des médicaments, sans compter les gains découlant de l'achat en vrac, du remplacement par des produits génériques, de l'homologation obligatoire et de l'établissement du coût en fonction du produit de référence.

La quatrième et dernière observation que je vais faire concernant un éventuel transfert ajusté en fonction de l'âge émane des données concernant le coût d'un décès, par opposition aux coûts du vieillissement. Bien que les coûts par habitant soient plus élevés pour les personnes âgées, l'incidence réelle est souvent surévaluée parce que plus une personne prend de l'âge, plus elle risque de se retrouver dans la dernière année de sa vie. C'est cette dernière année qui est la plus coûteuse en matière de soins de santé publics. Dans mon étude, je cite quelques travaux qui ont établi que le coût du décès n'est pas relié à l'âge.

Je vais en rester là pour l'instant. J'attends avec impatience vos commentaires pour que nous puissions débattre de ces questions.

La présidente : Merci de nous avoir parlé des coûts élevés de la mort. Vous ne le savez pas nécessairement, mais je m'intéresse tout particulièrement aux soins palliatifs.

Joe Ruggeri, professeur, Faculté d'économie, Université du Nouveau-Brunswick, titre personnel : Honorables sénateurs, c'est un grand honneur pour moi d'être convoqué à nouveau pour discuter des options relatives à cette importante question stratégique. J'ai examiné uniquement les options présentées au chapitre 6 en présumant à la lecture du rapport que l'on avait déjà convenu que des mesures s'imposent relativement aux coûts différentiels des soins de santé dans le contexte du facteur de vieillissement, qui varie d'une région à l'autre.

Les options proposées dans votre deuxième rapport provisoire peuvent être divisées en deux catégories principales. La première catégorie comprend les options visant la réforme d'un régime de fédéralisme fiscal qui intervient indépendamment du vieillissement de la population. On retrouve dans la deuxième catégorie, les réformes qui visent directement la question du vieillissement de la population et des dépenses en santé.

Je vais débuter par la première catégorie, qui inclut la réforme proposée du programme de péréquation. Parlons d'abord dans une perspective très pragmatique. Il est bon de se rappeler que ce régime est fondé sur les revenus depuis sa mise en place. Par ailleurs, la plus récente réforme majeure du programme de péréquation vient tout juste d'être effectuée, soit dans le courant de la dernière année; elle s'inspire d'une tradition vieille de 50 ans. Il faut donc considérer comme à peu près nulles les chances que l'on procède à une autre réforme d'importance, surtout si celle-ci devait s'éloigner considérablement d'une tradition aussi bien ancrée.

D'un point de vue plus technique, le régime de péréquation fait périodiquement l'objet de différentes critiques relativement à deux aspects. Premièrement, on soutient que le programme est trop complexe. Deuxièmement, on allègue que la péréquation brouille les options des provinces bénéficiaires au chapitre de la politique fiscale.

Selon moi, si l'on ajoute au programme un volet lié aux dépenses, on ne fera que doubler cette distorsion — si elle existe vraiment — parce qu'elle interviendra tant du point de vue des revenus que du côté des dépenses. Qui plus est, j'estime que l'ajout d'un volet dépenses rendra le système au moins deux fois plus complexe, car les problèmes techniques découlant des mesures de péréquation du côté des dépenses sont beaucoup plus graves et nombreux que pour le volet revenus.

Pour ce qui est de ces options générales visant la réforme des programmes sans lien direct avec les dépenses associées au vieillissement et aux soins de santé, je crains que les discussions ne s'éternisent au sujet de ces plans généraux pendant que rien de concret n'est fait pour régler un problème bien réel qui, à mon avis, exige une intervention stratégique immédiate, car ses répercussions seront majeures. L'impact se fait déjà sentir dans les provinces plus petites qui dépassent la moyenne nationale pour ce qui est de la proportion d'aînés dans la population. Selon moi, l'avenue de la péréquation équivaut à une politique du laisser-faire.

Je vais maintenant examiner en détail les deux options directement liées au vieillissement de la population et aux dépenses en matière de soins de santé, parce que les enjeux sont très différents. L'une des options est de portée générale, tandis que l'autre est plus ciblée. La première consiste à restructurer un programme permanent pour l'adapter à un phénomène passager. À cet égard, il convient de rappeler que le Transfert canadien en matière de santé est très simple. De temps à autre, selon la période du cycle politique et la situation budgétaire de l'État, le gouvernement fédéral propose du financement. Il en discute avec les gouvernements provinciaux, puis on convient d'un montant qui sera versé au cours d'une période donnée — par exemple, cinq ou dix ans, et ça peut changer.

Lorsqu'on s'est entendu sur le montant forfaitaire — qui relève, dans une certaine mesure, d'une décision politique —, nul besoin d'appliquer une formule complexe. Les fonds sont alloués au prorata de la population. Actuellement, on permet un certain ajustement en fonction de la valeur des points d'impôt transférés en 1977 après péréquation, mais cette disposition sera éliminée en 2013 ou 2014. C'est aussi simple que cela.

Peu importe la méthode utilisée pour tenir compte des différents taux de vieillissement et de dépenses sanitaires dans les provinces, elle serait nécessairement complexe. Elle devrait reposer sur une formule; sinon, elle ne permettrait pas de régler le problème.

Qu'arriverait-il alors? On ne ferait que compliquer un programme simple, une structure permanente du fédéralisme fiscal. On réduirait la visibilité et la reddition de comptes. On prendrait quelque chose de mesurable et de bien précis et on le noierait dans un transfert qui relève souvent, en partie ou totalement, d'une décision politique.

Il n'est pas étonnant qu'un supplément distinct soit la meilleure option. Je crois qu'il serait beaucoup plus transparent et ciblé et assurerait une meilleure reddition de comptes. En outre, il s'agirait d'une mesure provisoire pour régler un problème temporaire, une mesure qu'on pourrait adapter en fonction du vieillissement de la population. Enfin — et c'est très important —, il serait ainsi plus facile de tenir les gouvernements provinciaux responsables de la façon dont ils dépensent ces fonds. Même si l'argent ne serait pas réservé exclusivement aux soins de santé pour les personnes âgées, un montant déterminé servirait à régler un problème précis. Si ces fonds étaient intégrés à un autre transfert, on ne connaîtrait que le montant total, ce qui susciterait des questions. L'argent a-t-il servi à acheter des tondeuses pour entretenir les parterres des résidences pour personnes âgées et des hôpitaux? Est-ce qu'on considère que c'est une dépense sanitaire parce que les aînés vont se promener lorsqu'il fait beau? À tous les égards, un transfert distinct serait la meilleure des options présentées dans le rapport.

Byron Spencer, professeur d'économie, Université McMaster, titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invité de nouveau pour discuter de ce sujet. A-t-on distribué le document?

La présidente : On s'en occupe.

M. Spencer : J'avais préparé un document PowerPoint, mais comme je ne pouvais vous le présenter, je l'ai imprimé. J'espère qu'on pourra vous en distribuer des copies le plus tôt possible.

La présidente : Permettez-moi d'expliquer, monsieur Spencer, que le fichier PowerPoint n'était disponible qu'en anglais, il nous a donc fallu le faire traduire. Maintenant que c'est fait, il faut imprimer le document et le photocopier. Nous le distribuerons sous peu.

M. Spencer : Je vais tout de même commencer et faire de mon mieux.

J'ai intitulé ma présentation « Vieillissement de la population et affectation des ressources sanitaires ». Je n'ai sûrement pas besoin de rappeler au comité que la population vieillit, et à un rythme différent selon les régions du pays — plus rapidement dans les provinces de l'Est que de l'Ouest.

On m'a demandé de commenter le chapitre 6 du deuxième rapport provisoire du comité sur le vieillissement, intitulé « Répartition régionale des coûts en soins de santé aux aînés ». Je le ferai volontiers, mais j'aborderai également une autre question connexe, soit les problèmes d'affectation des ressources sanitaires en général.

Je vais d'abord vous parler un peu du chapitre 6. Il fait état de la plupart des données et présente clairement toutes les options, surtout celles portant sur les formules de péréquation actuelles.

Ces formules comportent des détails très complexes. Il ne fait aucun doute qu'elles influent grandement sur la prestation des services de soins de santé. Toutefois, à mon avis, il serait préférable de ne pas envisager des transferts utilisant une formule fondée sur l'âge, comme on le propose dans ce chapitre. Le rapport provisoire montre que ce serait s'engager sur un terrain glissant. En outre, le témoin précédent a expliqué qu'il s'agirait d'un exercice compliqué et difficile.

De nombreux facteurs plus importants encore que la répartition selon l'âge pourraient justifier l'ajustement des formules de péréquation, notamment le climat. Je suis d'accord avec le témoin précédent : il serait difficile d'en arriver à une solution satisfaisante. Qui plus est, sa mise en œuvre serait coûteuse.

Je prendrai le temps qui m'est imparti pour attirer l'attention du comité sur des questions connexes dont il faut tenir compte dans la façon de déterminer les besoins en ressources sanitaires.

À la diapositive 5, « Contexte », je pars du principe fondamental que le régime de santé a pour but de répondre aux besoins de soins de la population, et je crois que nous sommes tous d'accord là-dessus. On s'attend à ce qu'il y ait une corrélation entre, d'un côté, le taux de croissance de la population, et de l'autre, celui des dépenses sanitaires.

La prochaine diapositive s'intitule « Taux de croissance annuelle de la population ». On y voit que ce taux global s'est établi en moyenne à 1 p. 100 par année au cours des trois dernières décennies. À la page suivante, j'ai ajouté les personnes âgées de 65 ans et plus. On constate que ce segment croît plus rapidement que la population en général, ce qui confirme le vieillissement démographique.

Sur le graphique suivant, j'ai superposé aux deux premières courbes celle de l'évolution des dépenses sanitaires. On constate alors qu'il n'y a aucune correspondance entre celles-ci et le taux de croissance de la population. Cela met en lumière un problème particulier au niveau agrégé, soit le manque de planification cohérente et systématique en matière de soins de santé. S'il n'y a absolument aucun lien entre le taux de croissance des dépenses et celui des besoins de la population, un problème se pose au niveau agrégé : le financement est insuffisant.

La diapositive suivante montre le taux de croissance de la valeur réelle des dépenses, plutôt que de leur valeur nominale. Les budgets sont établis selon la valeur nominale, alors qu'ils sont dépensés selon la valeur réelle. Il n'existe aucune corrélation entre le taux de croissance des besoins en soins de santé de la population et celui des dépenses. La courbe est en dents de scie; c'est incohérent.

Sur les trois pages suivantes, je ventile les données par province, en utilisant toujours la même échelle. Le graphique dépeignant la situation au Canada est beaucoup plus régulier que ceux des provinces, où on remarque des hauts et des bas au cours de périodes différentes. Ça s'équilibre, de sorte que les fluctuations sur le graphique du Canada sont beaucoup moins marquées. Au niveau provincial, les variations annuelles énormes dans l'évolution des dépenses sont inacceptables.

Selon moi, cela révèle un manque de planification cohérente et systématique dans la prestation des services de soins de santé. À la page « Répercussions », on voit que ces fluctuations budgétaires rendent la planification difficile pour les administrateurs d'hôpitaux, les gestionnaires de programmes et autres intervenants chargés de la prestation des soins dans les établissements et les collectivités. Ces variations font également en sorte qu'il est ardu pour les universités, et autres établissements d'enseignement postsecondaire responsables de la formation des professionnels de la santé, de prévoir combien d'étudiants accepter. Pourquoi accroître le nombre d'admissions en sciences infirmières lorsque les travailleurs dans ce domaine se font mettre à pied en raison de compressions budgétaires? La planification a deux facettes, et on remarque un certain manque de logique.

Je vais développer l'idée de la planification insuffisante en essayant de vous persuader que c'est un problème extrêmement important. La diapositive suivante montre les dépenses moyennes en soins de santé selon l'âge. Il est bien connu qu'en moyenne, les personnes âgées ont davantage recours aux services de soins de santé que les jeunes. Cela s'explique évidemment par le fait que la plupart des gens meurent à un âge avancé.

L'allure de cette courbe m'amène à vous parler d'un extrait du deuxième rapport provisoire portant sur les récentes augmentations de coûts. Permettez-moi de vous citer deux passages, qui figurent à la diapositive suivante. Premièrement, à la page 48 du rapport : « Les taux de fréquentation des hôpitaux et d'utilisation des autres types de services de soins de santé par les aînés ont augmenté énormément ces dernières années. » Ensuite, à la page 49 : « le coût des services de santé demandés par les aînés augmente considérablement ».

Je tiens à préciser que si les coûts se sont accrus pour les personnes âgées, il en est de même pour tous les autres groupes d'âge. Ce phénomène ne se limite pas aux aînés.

Le prochain graphique montre, en pourcentage, l'évolution des coûts des soins de santé de 1998 à 2005. Le trait plein qui se situe aux environs de 50 p. 100 représente l'augmentation globale selon l'âge, qui correspond à l'axe horizontal. La ligne est presque droite, ce qui signifie que l'accroissement des coûts s'est élevé à environ 50 p. 100 au cours de cette période pour toutes les tranches d'âge. L'augmentation est même un peu moindre chez les personnes âgées que chez les jeunes. En gros, c'est stable. On note une différence selon les catégories, mais celles-ci ne sont pas vraiment liées à l'âge, à l'exception peut-être de celle des autres professionnels, qui ne représente qu'une petite part du budget de la santé.

Revenons à la courbe des coûts, qui figure à la page suivante. Combinons cette courbe, selon laquelle les personnes âgées coûtent plus cher à soigner que les jeunes, et celle de la répartition de la population par âge, en 2006 — la ligne pleine au bas — et en 2036, selon les projections — la ligne pointillée. Au cours de ces trois décennies, on constate une diminution du nombre de jeunes et une augmentation du nombre de personnes âgées.

En se basant sur la courbe des coûts et celle de la répartition de la population selon l'âge, on peut calculer la fraction des dépenses sanitaires gouvernementales allouée à chacune des tranches d'âge. Ainsi, on voit qu'en 2006, environ 45 p. 100 du budget de la santé a servi à la prestation de soins aux personnes de 65 ans et plus. Ça ne surprend probablement personne. Il n'est pas plus étonnant d'apprendre qu'environ 70 p. 100 des personnes de ce groupe déclarent souffrir de deux maladies chroniques ou plus, ou qu'une plus grande part du budget servira à soigner la population à mesure qu'elle vieillira.

Étant donné la distribution des dépenses par âge, en 2036, les personnes de 65 ans ou plus représenteront 25 p. 100 de la population, mais 63 p. 100 des dépenses publiques en soins, si la tendance se maintient.

Vous ne serez pas surpris de l'apprendre. Ce que vous trouverez peut-être étonnant, par contre, c'est sur la prochaine diapositive intitulée « Désaccord entre... ». Il s'agit du déséquilibre entre les besoins sanitaires de la population desservie et la formation des professionnels de la santé. Plus précisément, on constate que les programmes de formation des médecins et autres professionnels de la santé sont peu axés sur le traitement spécifique des patients âgés.

Je n'ai pas été en mesure d'obtenir de l'information sur la situation au Canada, sauf quelques observations qui confirment néanmoins ce que je dis. On peut penser que notre situation est comparable à celle des États-Unis à cet égard. On parle de ce problème particulier à la diapositive intitulée « Aux États-Unis... ».

Seulement 2 p. 100 des facultés de médecine disposent d'un département de gériatrie complet, qui exige une rotation obligatoire pour les étudiants et les résidants, et moins de 3 p. 100 des étudiants en médecine prennent un cours en gériatrie.

Je crois que la situation est très semblable au Canada.

Autrement dit, dans la formation des professionnels de la santé, on consacre très peu de temps au traitement des troubles chroniques complexes dont souffrent souvent les patients âgés. Presque toute la formation des médecins a lieu en milieu hospitalier, et lorsque des patients âgés se présentent à l'hôpital, on se concentre habituellement sur un état pathologique grave. En fait, il peut même arriver que des patients souffrant de plusieurs maladies chroniques qui ne reçoivent pas de traitement approprié lorsqu'ils sont encore actifs au sein de la communauté voient leurs symptômes devenir aigus et doivent se présenter à l'hôpital.

En d'autres termes, on enseigne aux professionnels de la santé à traiter un trouble ou un malaise à la fois, et à porter leur attention sur les états pathologiques aigus. Cependant, bien souvent, ces mêmes professionnels constatent que les patients âgés sont les plus nombreux. Ils souffrent de multiples problèmes chroniques et non d'une seule affection aiguë. C'est une tendance qui devrait s'amplifier avec le temps.

Je terminerai en disant que la formule de péréquation est importante. Je ne peux vous en parler en détail, sauf pour vous dire que je partage la réticence du comité à recommander les transferts en fonction de l'âge de la population. Je soutiens sa position.

Le comité a demandé qu'on lui propose des solutions au problème de la répartition régionale des coûts des soins associés aux personnes âgées. C'est ce que je tente de faire. Mais je souhaite surtout attirer l'attention du comité sur le fait qu'il y a très peu de planification systématique dans l'ensemble du système de santé. Je trouve cela étonnant compte tenu du fait que les gouvernements provinciaux y consacrent environ 40 p. 100 de leur budget de programmes.

Puisque notre système de soins de santé est financé par les deniers publics, le seul à pouvoir faire une planification centralisée doit être le payeur, en l'occurrence le gouvernement provincial. S'il n'en prend pas l'initiative, personne d'autre ne le fera à sa place. Si les provinces ne s'engagent pas dans une planification active, le système de santé continuera d'évoluer de manière anarchique, c'est-à-dire sans aucun contrôle, d'une crise à une autre, et toujours au détriment de la qualité des soins.

La présidente : Je vous remercie tous les trois pour vos présentations.

Il y a certes des divergences d'opinions, mais je crois qu'il y a également des points d'entente importants entre les trois témoins. D'après ce que j'ai entendu, personne ne tient particulièrement à ce que la formule de péréquation soit modifiée. On pense que « c'est assez » et qu'il faut écarter cette possibilité.

Monsieur Spencer, vous avez parlé du manque de formation de gériatres, dans les facultés de médecine. Nous avons constaté que, cette année, nous n'en formons que dix dans l'ensemble du Canada. Vos chiffres pour les États-Unis sont comparables à ceux d'ici.

Cela me rappelle notre étude, en 1995, dans laquelle nous avions appris qu'un certain Dr MacDonald — autrefois à Edmonton et maintenant à l'Université McGill — révélait qu'en moyenne, la formation d'un médecin en soins palliatifs de tous genres, y compris le simple traitement de la douleur, ne durait qu'une heure en quatre ans d'études en médecine. Heureusement, cela a changé. Le gouvernement fédéral a contribué à modifier le programme d'enseignement. Dans l'un des chapitres précédents, nous faisions une recommandation semblable au gouvernement fédéral pour qu'il investisse des fonds et des ressources dans la formation des médecins étudiant au premier cycle en gériatrie.

Le professeur Ruggeri propose que nous fassions tout simplement un transfert d'argent à court terme aux provinces qui soit proportionnel au vieillissement de la population. Je crois comprendre qu'il propose que cette mesure soit transitoire, puisque nous n'aurons pas toujours ce problème, compte tenu de l'évolution démographique.

J'aimerais savoir ce que MM. Lee et Spencer pensent de ce genre de plan. Autrement dit, oublions les transferts sociaux et la modification de la formule de péréquation. Dites-nous simplement ce que vous pensez d'une forme de financement transitoire.

M. Lee : En principe, j'adhère à l'opinion du professeur Ruggeri en ce qui concerne les complications qu'entraînerait la modification des formules de financement fédéral pour les programmes de transferts et je suis d'accord pour dire qu'un supplément distinct et transitoire serait la meilleure solution.

Dans ce cas-ci, transitoire veut quand même dire sur une très longue période. Nous savons que les pressions démographiques continueront d'augmenter au cours des 25 prochaines années. Au début des années 2030, le pourcentage d'aînés dans la population sera le plus élevé. Après, il commencera à diminuer, bien qu'assez lentement. Toutefois, il est difficile de faire des prévisions à aussi long terme.

Nous nous projetons sur une période d'environ 50 ans, ce qui représente à peu près l'âge du programme de péréquation actuel. Je partage le sentiment général, mais nous parlons de pressions démographiques importantes qui se maintiendront encore longtemps.

M. Spencer : Je conviens qu'avec cette solution, la phase de transition sera longue. Les gens âgés représenteront une partie beaucoup plus importante de la population, en raison du faible taux de fertilité. C'est déjà le cas. Bien sûr, il y aura une augmentation temporaire, car les membres de la génération du baby-boom seront âgés, et c'est un groupe particulièrement important. Cependant, en général, nous passons d'une population assez jeune à une population beaucoup plus âgée. Il y aura des différences marquées dans le pays. Cela continuera peut-être de manière imprévisible, mais cela continuera.

Il y a certaines choses auxquelles je m'intéresse et dont je suis convaincu au chapitre 6, qui indiquent que ce n'est pas la seule base sur laquelle des arrangements spéciaux peuvent être faits. Il y a beaucoup d'autres arguments invoqués pour adapter les formules de péréquation. Je crois que cela deviendrait très compliqué et difficile de tous les justifier.

M. Ruggeri : J'aimerais donner mon avis sur certains points qui ont été soulevés précédemment, en particulier sur les fluctuations des dépenses provinciales liées à ce financement.

De mon point de vue, le vrai problème repose sur le fédéralisme fiscal. Tous les documents et tous les calculs que j'ai examinés — dont certains que j'ai préparés moi-même et qui sont semblables aux autres — concernant l'impact du vieillissement de la population sur les coûts des soins de santé et leur augmentation au fil du temps, indiquent qu'en réalité, il n'y a pas de problème national. Il y en aura encore moins dans l'avenir, car comme nous l'a révélé il y a quelques jours un rapport de Statistique Canada sur le recensement, le revenu moyen des personnes de plus de 65 ans se rapproche de la moyenne nationale. Peut-être qu'un jour, le revenu moyen d'un couple de personnes âgées sera le même que celui d'un jeune couple, ce qui signifie que la contribution relative au régime fiscal augmentera, de sorte que la contribution financière aux soins de santé qu'ils reçoivent augmentera elle aussi.

C'est l'un des facteurs généraux que j'aimerais voir établis. Le problème ne se situe vraiment pas à l'échelle nationale. Pendant un certain temps, ce déséquilibre fiscal vertical est venu de la réduction progressive de l'engagement initial du gouvernement fédéral entre 1977 et 1995. Quant au manque de stabilité des bailleurs de fonds, il s'est fait sentir à l'échelon fédéral à partir de 1977, la diminution étant particulièrement marquée en 1995. La situation est un peu revenue à la normale depuis. La stabilité du financement fédéral s'est faite au détriment de celle des provinces.

J'étais en Alberta à l'époque. Les gens ne peuvent imaginer aujourd'hui ce qui s'est produit, le nombre d'infirmières et de médecins qui sont partis travailler aux États-Unis, le remaniement dans les hôpitaux. Tout ceci est arrivé en 1995 à la suite de la réduction de 6 milliards de dollars des transferts aux provinces. Si nous voulons de la stabilité, il faut que le gouvernement fédéral fasse preuve de constance pour permettre aux provinces de planifier.

Ceci m'amène à la question qui m'intéresse, que j'appellerai la période de transition. Le vrai problème surgira peut- être dans 20 ou 25 ans, mais il ne fait aucun doute qu'il se posera. Sans connaître l'ampleur exacte des dépenses, nous savons qu'elles seront considérables. J'ai calculé que pour les 25 prochaines années, elles s'élevaient à 6 milliards de dollars courants pour le Nouveau-Brunswick. Ce n'est pas une perte que la province peut absorber. Il faut comprendre que pour chaque dollar versé, les provinces doivent affecter environ 25 cents au financement de ce coût pour respecter la moyenne nationale. Au-delà de ce seuil, elles doivent assumer entièrement les coûts. Le Nouveau-Brunswick devrait couvrir entièrement les dépenses au-dessus de ce seuil de 25 cents, si nous maintenons l'égalité entre les provinces.

Voilà pourquoi je dis que c'est un problème de fédéralisme fiscal. Premièrement, il faut déterminer si le gouvernement fédéral transfère suffisamment de fonds aux provinces conformément aux engagements pris il y a longtemps, à l'époque de l'instauration de la péréquation, et donc au moment où tous ces programmes ont été mis en œuvre. Les coûts étaient partagés moitié-moitié.

Deuxièmement, il faut admettre que les provinces vont exercer des pressions pour assurer l'égalité entre elles. Peu importe l'angle sous lequel nous examinons le problème ou la manière dont nous évaluons les autres effets, ce sera le fardeau financier le plus lourd qu'auront à porter les petites provinces. Nous pouvons prendre en compte les autres facteurs, comme ceux relatifs à l'âge, aux jeunes ou à l'environnement, mais ce sera celui-là qui aura de loin la plus grosse incidence.

Ce qui m'inquiète, c'est que ces provinces accuseront de nouveau un déficit pour financer les soins de santé. Elles feront tous les ajustements possibles pour réduire les coûts qui iront en augmentant, et ce, au détriment de la qualité des soins, particulièrement pour les personnes âgées. Cette qualité différera énormément d'une province à l'autre. À mon avis, ce n'est pas comme cela qu'on doit faire les choses au Canada.

Si le gouvernement canadien effectue un transfert distinct expressément à cette fin, nous pourrions d'abord faire des calculs détaillés et établir une formule assurant la stabilité du financement fédéral. Concernant ce que M. Lee a dit, je conviens que si nous optons pour ce programme, nous pouvons résoudre de façon rationnelle le problème de la maîtrise des coûts, car les programmes font toujours l'objet d'un financement du fédéral. Il est dans l'intérêt de tous de réduire les coûts, particulièrement s'ils ont une incidence sur ces programmes.

Je crois que les exposés de mes collègues apportent de l'eau à mon moulin. Le problème est là et il a une grosse incidence financière. C'est une question très importante pour les petites provinces.

Le sénateur Mercer : Je tiens à vous remercier tous les trois pour vos intéressants exposés. J'aimerais revenir sur la question des transferts spéciaux versés en fonction du vieillissement de la population. Même si cette solution semble séduisante, il ne faut pas oublier que lorsque le gouvernement fédéral accorde des transferts aux provinces, ces dernières tendent à en devenir dépendantes. Comment nous assurer que, si la composition de la population évolue et que la demande des provinces diminue, le gouvernement du Canada pourra réduire son financement?

Vous pensez peut-être que c'est logique, mais ce n'est pas toujours le cas quand la politique s'en mêle. Il est très difficile de diminuer le financement accordé aux provinces, comme nous avons pu le voir au milieu des années 1990, lorsque le gouvernement fédéral a réduit ses transferts pour assainir les finances publiques.

Que faire si une province affirme avoir encore besoin de financement même si la composition de sa population a changé?

Comment le gouvernement du Canada peut-il éviter cet écueil?

M. Ruggeri : La solution consiste à avoir un programme financé selon une formule. De cette façon, lorsque l'écart entre le pourcentage de personnes âgées au Nouveau-Brunswick, qui est plus élevé que la moyenne nationale, diminue, le montant du financement aussi. Voilà pourquoi je privilégie le programme distinct, parce qu'on peut l'adapter en fonction des coûts.

La formule ressemble à celle de la péréquation. Si la capacité fiscale par habitant du Nouveau-Brunswick était égale à la moyenne nationale, la péréquation ne s'appliquerait pas.

La même chose pourrait arriver ici. Si le programme est directement lié au vieillissement et que le facteur de l'âge disparaît, alors le financement ne tient plus. Cela ne devrait pas être négociable. Les négociations entre les gouvernements fédéral et provincial auraient lieu uniquement lors de l'établissement de la formule. Ensuite, le programme fonctionnerait en mode « pilote automatique ».

Le sénateur Mercer : MM. Spencer et Lee, avez-vous des commentaires à formuler?

M. Spencer : Je conviens que le programme fonctionnerait selon la formule établie, le cas échéant. Le financement s'ajusterait automatiquement en fonction de l'évolution de la composition de la population.

J'ajouterais qu'il a été prouvé à maintes reprises, comme on l'indique au chapitre 6, que l'accroissement des coûts des soins de santé ne découle pas principalement du vieillissement de la population, mais plutôt de l'augmentation des soins à prodiguer et, il faut le souligner, du manque de planification raisonnable à cet égard.

M. Lee : Quant à l'estimation du vieillissement de la population et de ses répercussions, c'est peut-être l'aspect le plus facile à anticiper dans un cadre fiscal, du moins à court terme. C'est beaucoup moins difficile que de prévoir les redevances au chapitre des ressources naturelles dans le programme de péréquation, par exemple.

Le sénateur Mercer : Je viens de la Nouvelle-Écosse, une province qui, comme le Nouveau-Brunswick, obtiendrait des fonds en vertu de ce programme. Je sais que si la composition de la population évoluait, le gouvernement provincial voudrait néanmoins continuer de recevoir le financement.

J'aimerais passer à un autre sujet que plusieurs d'entre vous ont abordé, celui des facultés de médecine et de sciences infirmières. Devrait-il y en avoir davantage? Le gouvernement du Canada devrait-il orienter plus strictement les programmes de formation pour que nous ne nous retrouvions plus avec des diplômés en médecine qui n'ont pas suffisamment étudié le vieillissement et la gériatrie? En tant que principal bailleur de fonds, le gouvernement devrait-il régir les programmes plus rigoureusement que par le passé?

M. Spencer : Je crois certainement que les bailleurs de fonds doivent se soucier de la qualité de la formation et des services offerts, et veiller à ce que ces services conviennent à la population. S'ils ne le font pas, qui le fera? Il faut évidemment travailler conjointement avec ceux qui offrent ces services, les responsables de la formation des professionnels de la santé et tous les autres intervenants. Je ne prétends pas que ce soit simple, mais si l'on n'agit pas et si le bailleur de fonds ne fait pas de la formation une priorité — et j'affirme que cela n'a pas été le cas —, alors le système ira à vau-l'eau.

Le sénateur Mercer : N'y a-t-il donc pas de penseurs ou de planificateurs à long terme dans le milieu de l'enseignement médical?

M. Spencer : Ceux qui planifient le font pour eux-mêmes, comme les doyens des facultés de médecine, mais il faut agir à plus grande échelle. Les provinces, et peut-être même le gouvernement du Canada, doivent s'intéresser au nombre de médecins formés et aux spécialités qu'ils choisissent. Nous devons prévoir le nombre de personnes qui prendront leur retraite dans les différentes spécialités et les remplacer. Il faudrait que l'on informe les nouveaux résidents des secteurs où la demande se fera probablement sentir. Il faut être certain de bien coordonner les incitatifs afin de les orienter dans la direction souhaitée. Il y a beaucoup à faire. C'est complexe, mais important.

Le sénateur Mercer : La formation des médecins et des infirmières est l'un des rôles les plus importants que jouent les facultés. Notre mode est éprouvé à cet égard. C'est peut-être une question qui dépasse le mandat de notre comité, mais c'est un problème de taille. Merci.

Le sénateur Stratton : C'est vraiment fascinant. Avec en tête ce transfert proportionnel au nombre d'habitants et à l'âge, j'ai examiné les graphiques de M. Spencer. Il est intéressant de voir les variations d'une province à l'autre dans le groupe des 65 ans et plus. Lorsqu'on arrive au Manitoba et à la Saskatchewan — le Manitoba est ma province d'origine — il n'y a, dans ce groupe, pratiquement aucun écart avec la population moyenne. C'est parce que le taux de natalité est élevé dans un segment de notre population.

En Alberta, on constate le même phénomène dans ce groupe d'âge. À mon avis, ces chiffres sont peut-être faussés par l'afflux de jeunes qui cherchent du travail dans cette province. Mais ce n'est qu'une observation de ma part.

Ce qui m'inquiète, c'est qu'une fois que l'on a ouvert la porte et que l'on verse des fonds en fonction de la population et de l'âge, le financement variera selon le pourcentage de personnes de 65 ans et plus. Il existe toutefois d'autres segments qui éprouvent des problèmes de santé. Par exemple, ce pourrait être le cas des Autochtones, qui voudraient — avec raison — qu'on leur vienne en aide.

Si l'on ouvre la porte et que l'on octroie des fonds en fonction de la population, pourrait-on cibler aussi les Autochtones? Cette façon de faire pourrait-elle s'appliquer à d'autres domaines? Il ne m'en vient pas à l'idée pour l'instant, mais c'est une possibilité à laquelle il faut penser.

Êtes-vous d'accord avec moi ou croyez-vous que l'on peut régler le problème en imposant des limites ou en n'ouvrant pas la porte? Je crains qu'une fois le programme en place, la porte soit ouverte.

M. Spencer : Je pense comme vous. Si on ouvre la porte, on crée toutes sortes d'attentes particulières. Il y a bien sûr les Premières nations, mais à peu près tout le monde pourrait réclamer les mesures semblables à celles que l'on accorde aux aînés.

J'aimerais également faire remarquer que les formules de péréquation actuelles tiennent déjà compte des différences d'âge dans la population, sans égard aux coûts des soins de santé et sans prévoir de transfert spécial pour le vieillissement. L'âge est déjà pleinement pris en compte dans les mesures actuelles.

M. Ruggeri : Il me semble qu'il n'y a rien de mal à ouvrir la porte si c'est pour bien faire. Mais si nous créons des inégalités en cours de route, nous pourrions exacerber celles qui existent déjà. Si elles sont suffisamment graves pour toucher une large partie de la population et entamer la capacité fiscale d'une province à régler ces problèmes, il faudrait les prendre en considération.

Nous discutons du vieillissement, et c'est pourquoi je limite mes observations sur ce transfert particulier à cette question. Je ne vois rien d'autre que les Autochtones, en raison du coût des naissances, et parce que c'est là où se situent les deux principaux coûts per capita. Je ne vois pas pourquoi on ne peut pas les examiner.

Sur le plan national, les programmes qui relèvent du fédéralisme fiscal reposent sur le principe du droit à la citoyenneté. Si notre éducation est financée par les deniers publics dans ce pays, c'est parce que nous croyons que chacun devrait avoir la même possibilité de réaliser son potentiel, peu importe où il vit ou combien d'argent gagnent ses parents.

J'interprète les soins de santé de la même manière. Jadis, les Canadiens ont pris une décision, et je leur en suis reconnaissant. Selon moi, les citoyens canadiens de tous les âges, quels que soient la région où ils vivent ou leurs revenus, peuvent bénéficier des mêmes soins de santé de qualité. De cette façon, je n'aurais pas à partir du Nouveau- Brunswick pour me faire soigner en Alberta, bien que cette dernière province consacre maintenant beaucoup d'argent à son système de santé et le considère comme l'un des principaux moteurs de son activité économique. D'ailleurs, cette province a ouvert un grand centre de santé pas plus tard que la semaine dernière.

S'il y a d'importants segments de la population qui sont touchés par ces droits qui ne peuvent être soutenus que grâce à un financement fédéral adéquat, cela devrait être pris en considération.

M. Lee : Les Premières nations devraient peut-être faire l'objet de davantage d'études. Des questions de compétence sont en cause. Il y a une grande partie de la population des Premières nations vivant dans des réserves qui est déjà couverte par les programmes fédéraux tels que Santé Canada. Le principal problème que nous essayons de régler, ce sont les différences qui existent entre les provinces et qui sont attribuables aux diverses structures d'âge et à la façon dont celles-ci évolueront au fil du temps.

Dans ma présentation, j'essayais d'expliquer que les aînés ont recours à plusieurs services de santé essentiels qui ne sont pas prévus dans la Loi canadienne sur la santé, laquelle porte essentiellement sur les médecins et les hôpitaux. Les principaux problèmes relatifs au vieillissement sont notamment les soins de longue durée, les soins à domicile et les coûts liés à la technologie.

Il y a d'autres façons d'y arriver. Comme je l'ai indiqué, dans le cas des produits pharmaceutiques, il y a la possibilité de refiler la responsabilité au gouvernement fédéral. Cela pourrait soulever des questions d'ordre politique, mais en principe, cela réglerait le problème fondamental, c'est-à-dire les différences entre les sphères de compétence quant au type de services offerts et à la portée de la couverture.

Si on ne veut pas aller dans cette direction, il y a toujours la possibilité, particulièrement lorsque les quotes-parts et les primes versées par les personnes âgées aux régimes de médicaments varient beaucoup d'une province à l'autre, d'augmenter le soutien au revenu de base dans le cadre du Programme de la SV et du SRV. C'est une autre solution.

Le sénateur parlait de l'incidence du vieillissement de la population sur les soins de santé par rapport aux autres secteurs financés par le gouvernement fédéral. Il pourrait être nécessaire d'ajuster les transferts de fonds consacrés à l'enseignement postsecondaire en fonction de la population qui a recours à ces services. Toutefois, j'estime que l'ampleur des fonds consacrés aux soins de santé est d'un tout autre ordre.

Enfin, pour revenir sur les propos du sénateur Mercer au sujet de la responsabilisation des provinces qui reçoivent des fonds du fédéral, nous avons constaté une importante érosion de cette responsabilité en 1977, puis quelques années plus tard, avec la création du TCSPS. Je ne crois pas que le gouvernement fédéral applique bien les dispositions de Santé Canada relativement au financement. Je préférerais qu'il exerce ses pouvoirs fiscaux afin d'établir l'ordre de priorité, en ce qui a trait notamment aux places en médecine et en soins infirmiers et à la répartition des fonds.

Le sénateur Stratton : Je serais curieux qu'on mène une étude sur l'incidence qu'ont les Premières nations sur le système de soins de santé du Manitoba et de la Saskatchewan.

La présidente : Sénateur Stratton, je ne pourrais vous donner le chiffre exact, mais si je ne me trompe pas, près de la moitié des enfants qui sont à la Children's Hospital of Winnipeg sont autochtones.

Le sénateur Stratton : Je n'osais pas le dire, par peur de me tromper, mais c'est ce que je pensais également.

La présidente : J'aimerais poser une question à M. Lee et ensuite recueillir les commentaires de MM. Spencer et Ruggeri.

Toutes les provinces se sont entendues pour mettre sur pied un programme national d'assurance-médicaments avant de conclure l'entente sur la santé de 2003. C'est le gouvernement fédéral qui est revenu sur sa décision. Si nous disposions d'un tel programme, le remboursement se ferait en fonction du nombre de patients, et ce serait plus équitable pour toutes les provinces. Cependant, si les soins de longue durée, les soins à domicile et les soins palliatifs étaient fondés sur la formule habituelle par habitant, ne continuerait-on pas de désavantager des provinces comme la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, étant donné qu'elles ont besoin d'un pourcentage de lits de soins de longue durée, de soins à domicile et de soins palliatifs plus élevé que la moyenne nationale?

M. Lee : Je suis d'accord, sénateur. Il est certainement plus facile d'envisager un programme pancanadien pour les médicaments que pour les autres types de services. Je voulais simplement faire valoir qu'il y avait d'autres soins prodigués aux aînés qui revêtaient une grande importance. Avant d'opter pour un transfert en fonction de l'âge, nous pourrions adopter une loi fédérale sur les soins de santé communautaires dans laquelle s'inscriraient ces services et qui prévoirait des mécanismes de financement afin de les uniformiser. Il faut se demander quel est le point de référence. Les programmes, leur portée et les quotes-parts exigés aux personnes âgées varient d'une province à l'autre. Si nous introduisons un transfert en fonction de l'âge sans tenir compte de cet aspect, nous pourrions obtenir des résultats inégaux en raison des différents points de référence.

M. Spencer : Il est vrai que, contrairement à d'autres provinces, les provinces de l'Atlantique n'offrent aucun régime d'assurance-médicaments pour les personnes âgées de 65 ans et plus. Un tel appui fédéral à un programme national d'assurance-médicaments permettrait de dissiper les préoccupations du comité. Ce serait une autre façon de régler une grande partie du problème. Les dépenses liées aux médicaments s'élevent en moyenne à 240 $. Ce chiffre arrive juste derrière les autres coûts institutionnels.

M. Ruggeri : Pour ce qui est des médicaments, je ne me suis pas penché sur les données de cette année; toutefois, il y a quelques années, et corrigez-moi si je me trompe, le coût moyen de la consommation de médicaments n'avait rien à voir avec l'âge. Par conséquent, cela ne réglera pas le problème. Si le gouvernement fédéral prenait les choses en main, cela atténuerait les pressions que subissent les provinces relativement aux dépenses en matière de santé. Du coup, les provinces auraient plus d'argent à investir dans les services offerts aux personnes âgées, si elles le souhaitent. Au fond, c'est ce qui arriverait. Par contre, cela ne concerne pas directement la question du vieillissement.

Si c'était simplement un problème lié aux coûts des médicaments, je dirais que c'est la solution. Laissons le gouvernement fédéral agir. Nous n'avons pas les transferts et nous n'avons pas à nous en inquiéter. Tout est fait. En ce qui concerne cette question particulière, toutefois, cela n'apporterait rien directement, mais plutôt indirectement, étant donné que les provinces pourraient investir les fonds additionnels ailleurs.

M. Spencer : Ainsi, les personnes âgées de partout au pays auraient un accès égal au remboursement de leurs médicaments, alors que ce n'est pas le cas aujourd'hui. C'est ce que je voulais dire.

M. Ruggeri : Absolument.

La présidente : Je suis certaine que vous savez qu'il existe un écart important. En Ontario, par exemple, toutes les personnes âgées de 65 ans et plus se font rembourser leurs médicaments après avoir payé un premier déductible de 100 $. Au Manitoba, dans ma province, c'est différent. Il y a un programme d'assurance-médicaments fondé sur les besoins. Au-delà d'un certain niveau de revenu, à moins que vous soyez un très grand consommateur de médicaments d'ordonnance, vous n'obtiendrez aucun remboursement de la part du gouvernement provincial.

Le sénateur Keon : Monsieur Spencer, j'aimerais que vous me donniez des précisions sur quelques-uns de ces graphiques.

Tout d'abord, dans le graphique portant sur les variations en pourcentage du coût des soins de santé entre 1998 et 2005, on peut observer une ligne droite pour les coûts institutionnels et les salaires des médecins. À l'exception de ce sommet, ces coûts sont en ligne droite. Quand nous examinons les dépenses selon l'âge, nous observons une courbe exponentielle qui commence environ à l'âge de 55 ans, et qui n'est pas reflétée sur l'autre diapositive.

M. Spencer : Oui, et je peux expliquer la différence. Le premier graphique représente la variation des coûts sur une période de sept ans. Il indique que les coûts totaux — financés par les deniers publics et examinés en fonction de l'âge du bénéficiaire — ont augmenté de 50 p. 100, toutes catégories d'âge confondues. Le coût de base était nettement plus élevé pour la tranche des aînés, mais leurs coûts se sont accrus au même rythme que ceux des trentenaires, qui ont un coût de base inférieur. Le premier chiffre représente simplement le pourcentage de hausse, mais certains coûts diminuent, par conséquent, le pourcentage change.

Le sénateur Keon : J'ai encore un peu de difficulté à comprendre. Vous montrez les personnes âgées ici, mais également tous les différents groupes d'âge.

M. Spencer : Oui, mais cette ligne foncée au milieu indique qu'on a enregistré une augmentation de 50 p. 100 des coûts pour tous les groupes d'âge.

Le sénateur Keon : C'est là où je voulais en venir. Selon ce que j'aperçois ici, il semblerait que les personnes âgées n'influent pas les coûts tant que ça. Est-ce exact?

M. Spencer : Leurs coûts moyens sont plus élevés, mais ils ont connu la même augmentation. Ce n'est pas comme si leurs coûts avaient augmenté de 100 p. 100 alors que ceux des autres tranches d'âge avaient diminué de 20 p. 100. Tous les groupes d'âge ont enregistré la même hausse.

Le sénateur Keon : D'environ 50 p. 100?

M. Spencer : Tout à fait.

Le sénateur Keon : Je devrai me renseigner là-dessus.

J'aborderai maintenant une question essentielle, que j'aimerais que vous adressiez tous les trois. Je vais commencer par vous, monsieur Ruggeri, parce vous êtes en faveur d'un transfert spécial visant à régler le problème.

Je crois que la situation est beaucoup plus complexe que cela. J'aimerais savoir comment ce transfert particulier pourra permettre de remédier au problème auquel nous sommes confrontés, c'est-à-dire le fait que les dépenses en matière de santé augmentent à un taux de 5 p. 100 plus élevé que le PIB. Cette situation n'est tout simplement pas viable à long terme. Est-ce exact?

M. Ruggeri : Non, les dépenses ont augmenté au même rythme de croissance que le PIB, c'est-à-dire de 5 ou 6 p. 100.

Le sénateur Keon : Celles-ci se sont accrues au cours des huit dernières années, si j'ai bien compris, de 8 p. 100, en moyenne, alors que le PIB a connu une hausse de seulement 3 p. 100 ces cinq dernières années.

M. Ruggeri : Cela dépend de la période que vous examinez. Si vous prenez une plus courte période où les provinces avaient moins d'argent à dépenser en raison des coupes fédérales par rapport à une période où celles-ci ont reçu un plus grand financement de la part du fédéral et se sont rattrapées dans leurs dépenses, vous constaterez un écart plus important entre le taux de croissance du PIB et celui des dépenses.

Si vous regardez cette projection et certaines autres qui montrent les 25 prochaines années, nous pouvons observer une augmentation du PIB d'environ 4,6 p. 100 et une augmentation des dépenses en matière de santé se situant entre 5 et 6 p. 100. La différence est donc d'environ 1 p. 100, ce qui, étrangement, correspond à ce que la population vieillissante ajoute à la moyenne nationale.

Le sénateur Keon : C'est très intéressant. Ces chiffres que vous nous donnez sont donc une combinaison des dépenses fédérales et provinciales, n'est-ce pas?

M. Ruggeri : Comme la plupart des dépenses publiques sont au niveau provincial, il importe peu que nous prenions les dépenses fédérales et provinciales ou les dépenses de toutes les provinces combinées. Le taux de croissance est sensiblement le même.

Le sénateur Keon : Si vous prenez les dépenses de la province — quel que soit la courbe que vous examinez —, vous observez un taux de croissance d'environ 8 p. 100 au cours des cinq dernières années dans toutes les provinces. Toutefois, celui du PIB est de 3 p. 100 seulement. Il y a donc un écart de 5 p. 100.

Le fait que le gouvernement fédéral a dépensé plus d'argent pendant une certaine période ne neutralise-t-il pas cela? Est-ce parce qu'il accorde un financement insuffisant? Chose certaine, les chiffres des provinces révèlent un important écart entre le PIB et les dépenses en matière de santé.

M. Spencer : Il va sans dire que l'augmentation des dépenses consacrées aux soins de santé, au cours d'une longue période, est plus rapide que la croissance du PIB et de la population. Les soins de santé en pourcentage du PIB ont augmenté, surtout au cours des deux dernières décennies. Vous avez raison; ce n'est pas viable à long terme. Les coûts liés aux soins de santé ne peuvent pas toujours augmenter à un taux considérablement plus élevé que celui du PIB, sans que nous absorbions tout le PIB, ce qui ne se produira pas. De toute évidence, des mesures correctrices devront être prises.

M. Lee : Les chiffres que vous nous donnez me paraissent inexacts. Vous comparez peut-être les chiffres réels du PIB avec des dépenses en soins de santé nominales. Cela y est certainement pour quelque chose dans la différence. Huit pour cent par année semble être très élevé.

Le sénateur Keon : La moyenne au cours des cinq dernières années est de 8 p. 100 dans les provinces, du moins d'après les données que j'ai entre les mains. La croissance moyenne du PIB dans les provinces a été de 3 p. 100.

M. Lee : Il y a certainement eu une période de rattrapage après les coupes du gouvernement fédéral au milieu des années 1990. N'empêche que si ces taux ne cessent d'augmenter, nous nous retrouverons avec un problème de viabilité.

C'est intéressant de voir ce qui se passe. En pourcentage du PIB, les dépenses en soins de santé ne permettent pas nécessairement, avec le temps, de fournir le même niveau de services. Une grande partie de la croissance relative du PIB dans les années 1970 et 1980 est attribuable à l'expansion des services de santé, particulièrement des produits pharmaceutiques, des soins en établissement et des soins à domicile.

J'ai l'impression qu'au cours des dernières années, cet écart — et oublions un instant l'écart réel — est étroitement lié aux difficultés auxquelles nous sommes confrontés en ce qui concerne la technologie et au fait que nous fournissons plus de services de santé par habitant que nous le faisions auparavant. Un exemple de cela serait l'orthopédie. Le nombre d'arthroplasties du genou et de la hanche a connu une hausse si importante que la croissance ou le vieillissement de la population ne pourrait justifier. Nous avons maintenant de nouvelles techniques chirurgicales, moins effractives, qui permettent aujourd'hui de pratiquer une chirurgie sur une personne âgée de 80 ans que son prédécesseur n'aurait tout simplement pas pu subir il y a deux décennies. Par ailleurs, ce sont les produits pharmaceutiques qui connaissent la plus rapide croissance du système de soins de santé. Cela est attribuable à l'arrivée de nouveaux et meilleurs médicaments. Quand nous envisageons de limiter les coûts à mesure que la population vieillit tout en fournissant des services décents et, idéalement, plus nombreux, nous devons évaluer la technologie en matière de santé et revoir certaines des politiques que nous avons en place relativement aux médicaments, et les interactions au sein du système de santé lui-même. J'ai parlé des soins communautaires, notamment des soins en établissement, des soins à domicile et de leurs interactions avec le système de soins de santé de courte durée et du fait qu'il faudrait éliminer l'approche en vase clos adoptée par les gouvernements fédéral et provinciaux en ce qui concerne les dépenses.

Le sénateur Keon : Ma véritable question est la suivante. J'aimerais revenir sur ce que j'ai proposé. Si nous parlons d'un transfert distinct, n'allons-nous pas amplifier l'écart sans cesse grandissant entre les dépenses consacrées aux soins de santé et la croissance du PIB?

M. Ruggeri : Si vous me le permettez, je vais changer de sujet, parce que je ne suis pas d'accord. Je me suis fondé sur ces chiffres et j'ai fait les projections pour le Canada au cours des trois dernières années. Je crois que la dernière fois que j'ai comparu, j'ai laissé plusieurs copies de mon ouvrage qui renferme tous les détails et les différents coûts liés aux dépenses globales du gouvernement selon les catégories d'âge. À plus long terme, si nous examinons les inducteurs de coûts pour les prochains 25 ou 30 ans qui se trouvent dans la documentation, et les projections du PIB nominal pour les 25 prochaines années faites par le Conference Board of Canada et ainsi de suite, nous pouvons observer une hausse du PIB nominal d'environ 4,6 p. 100. En chiffres réels, cela donnerait en moyenne 2,6 p. 100. Nous avons prévu une hausse des dépenses en matière de santé de près de 5,6 p. 100. L'écart est donc de 1 p. 100.

D'autres personnes pourraient en arriver à des estimations plus élevées, mais nous devons nous rappeler que les dépenses en soins de santé dans ce pays au niveau provincial sont très bien planifiées. Il y a des plafonds. Les médecins peuvent faire la grève, mais ils doivent convenir de leurs taux avec le gouvernement provincial. Les compagnies pharmaceutiques peuvent produire tous les médicaments qu'elles veulent, mais au bout du compte, ce sont les provinces qui décident quels sont ceux qui sont couverts ou non. Certaines de ces négociations se font en fonction de l'argent disponible.

Si nous regardons à long terme, l'écart entre la croissance des dépenses en matière de santé financées à même les fonds publics et celle du PIB nominal est d'environ 1 p. 100. Cela signifie que si nous consacrons 10 ¢ de chaque dollar du PIB aux soins de santé, d'ici 25 ans, cela représentera environ 15 ¢. Cette soi-disant grosse pression que nous ne pouvons pas soutenir correspond, en réalité, à 5 ¢ par dollar.

Mes calculs indiquent qu'un taux de croissance réelle de 2,4 p. 100 par année en moyenne pour les 25 prochaines années est suffisant pour assumer ces dépenses, ces pressions en matière de soins de santé, étant donné que les pressions seront moindres dans d'autres secteurs. À moins qu'une catastrophe économique perdure pendant des années et que notre taux de croissance soit réduit à 1,5 p. 100, nous aurons amplement les moyens d'assumer les dépenses consacrées aux soins de santé du système que nous avons aujourd'hui pour les 25 prochaines années.

M. Lee : Il y a trois éléments dont il faut tenir compte lorsqu'il est question de viabilité : la croissance et le vieillissement de la population et le taux moyen d'inflation des soins de santé. D'après les prévisions démographiques de Statistique Canada et le taux moyen d'inflation des soins de santé au cours de la dernière décennie, le budget public lié aux soins de santé doit augmenter d'environ 4,4 p. 100 par année afin de fournir le même niveau de services à une population croissante et vieillissante. Au-dessus de cela, cela devient de l'enrichissement. La question de la viabilité dépend si le taux de croissance économique est supérieur, égal ou inférieur à 4,4 p. 100. M. Ruggeri vient de mentionner que le taux pourrait se situer à 4,6 p. 100, ce qui donnerait la possibilité d'enrichir les services de santé tout en fournissant avant tout le même niveau de services à la population.

Je ne veux pas sous-estimer les problèmes auxquels nous faisons face dans la gestion des coûts liés aux médicaments et à la technologie, mais nous pouvons offrir le même niveau de services dans le futur à une population vieillissante que nous offrons aujourd'hui. Je crois qu'il s'agit d'un très haut niveau. Comme nous en voulons toujours plus, de meilleurs services de santé viennent avec un prix; nous devrons donc payer et déduire une partie de notre revenu. Toutefois, nous devons nous assurer de ne pas confondre l'expansion du système de santé avec le strict minimum nécessaire pour le maintenir.

Le sénateur Keon : Êtes-vous d'accord avec M. Ruggeri pour dire que la meilleure option est un transfert distinct et que cela n'accroîtrait d'aucune façon l'écart grandissant entre le PIB et les dépenses en matière de santé?

M. Lee : Au fond, nous avons fait bifurquer la discussion au sujet de la viabilité du système de santé à l'échelle nationale pour discuter des inégalités régionales relativement aux structures d'âge et à la façon dont elles évolueront au fil du temps. Le transfert distinct et temporaire, recommandé par M. Ruggeri, vise simplement à remédier à la situation du vieillissement de la population dans les provinces.

En fait, il ne serait pas nécessaire d'augmenter les dépenses globales. Nous pourrions faire en sorte que cela n'ait aucune incidence sur les recettes et que le financement plus élevé accordé aux provinces qui comptent plus de personnes âgées que la moyenne soit compensé par la réduction des fonds alloués aux provinces dont le nombre d'aînés est inférieur à la moyenne. Évidemment, il s'agit d'un calcul politique. C'est une possibilité. Je ne crois pas que la question sur le plan régional soit la même que celle de la viabilité de l'ensemble du système.

Le sénateur Keon : Monsieur Spencer, êtes-vous entièrement d'accord à propos de tout ce qui a été dit?

M. Spencer : En grande partie. Je suis d'accord, en ce sens que je ne suis pas préoccupé par la viabilité du système de santé à long terme. Je ne crains pas que les pressions de la population compromettent le système de santé, et cela a été démontré; ce n'est pas le principal élément qui explique la hausse des coûts. C'est très viable de ce point de vue.

En même temps, les coûts des soins de santé augmentent plus rapidement que le PIB et certainement plus rapidement que si la population était le principal générateur de coûts.

Dans mes remarques, j'ai essayé d'attirer l'attention du comité sur la nécessité d'avoir une meilleure planification au sein du système de santé. Si les gens se faisaient prescrire moins de combinaisons de médicaments néfastes et qu'il y avait moins d'hospitalisations attribuables à une surconsommation de médicaments, cela aurait une incidence énorme.

Nous pourrions dissiper les préoccupations, pas nécessairement en ayant un régime national d'assurance- médicaments, mais au moins un dossier électronique des médicaments prescrits aux patients, qui procède à une vérification automatique afin d'empêcher qu'une combinaison de médicaments soit néfaste. Cela existe dans d'autres pays ailleurs dans le monde; il n'y a donc aucune raison pour que cela n'existe pas ici. Je pense que cela permettrait de réduire considérablement les coûts en matière de santé dans le futur.

[Français]

Le sénateur Chaput : Ma question s'adresse au professeur Spencer et porte sur la planification. Dans votre présentation tout à l'heure, vous avez dit :

[...] trop peu de planification cohérente au niveau de tout le système.

Dans vos conclusions, vous mentionnez :

[...] très peu de planification systématique dans le système de santé.

Et vous ajoutez :

Le gouvernement doit prendre l'initiative, sinon il n'y aura pas de planification.

Professeur, comment voyez-vous cette planification et de quelle façon le gouvernement pourrait en prendre l'initiative?

[Traduction]

M. Spencer : Si c'est ce qui se produit, je suppose que des gens comme les sous-ministres adjoints, les sous-ministres et les ministères de la Santé de partout au pays, de même que les directeurs généraux de Santé Canada, pourraient assumer la gestion globale de notre système de santé.

Ce n'est pas qu'ils ne le font pas à l'heure actuelle, mais je crois qu'il est juste de dire que la planification cohérente du système en général n'est pas leur priorité. Ils ne s'inquiètent pas du fait que de nombreux infirmiers sont supplantés par des médecins ou vice versa, que des infirmiers remplacent efficacement des médecins dans la prestation des soins de santé, par exemple. La prestation des services de santé, l'intégration des services à différents types de professionnels de la santé, le traitement de gens souffrant de maladies chroniques, et toutes ces choses que je considère comme des problèmes n'attirent pas l'attention. Il y a un écart énorme entre la formation offerte aux professionnels de la santé et les besoins réels de la population. Si le système de santé, dirigé par les bailleurs de fonds, n'agit pas dans ce sens, personne ne prendra les devants. Il faut que ce soit le bailleur de fonds.

La présidente : Merci beaucoup. Y a-t-il d'autres questions?

J'aimerais revenir sur ce qu'on a dit aujourd'hui. Personne ne tient particulièrement à ce que la formule de péréquation ou le Transfert canadien en matière de programmes sociaux soient modifiés. Certains étaient d'accord avec le professeur Ruggeri pour octroyer un financement transitoire per capita pour combler l'écart entre les provinces qui comptent plus d'aînés.

Vous étiez clairement en faveur d'une planification plus efficace, d'une plus grande cohérence et d'une meilleure intégration de toutes ces choses dont le professeur Spencer a parlé en détail, notamment la nécessité de bien orienter les ressources humaines, les infirmiers, les médecins, les spécialistes, et cetera.

Vous voudriez voir un plus grand engagement de la part du gouvernement fédéral dans le remboursement des médicaments, mais vous souhaiteriez également qu'il étende son financement actuel en matière de santé à des secteurs tels que les soins de longue durée, les soins à domicile, les soins palliatifs et tous les services qui, à l'heure actuelle, ne sont pas prévus dans la Loi sur la santé canadienne.

À votre avis, monsieur Lee, ai-je abordé en gros ce qui a été dit?

M. Lee : Excellent résumé, madame la présidente.

La présidente : Monsieur Spencer?

M. Spencer : Oui, mais j'ajouterais qu'il ne s'agit pas uniquement de ressources humaines, mais aussi de ressources matérielles.

La présidente : Je tiens à vous remercier tous les trois pour vos présentations. Monsieur Lee, je suis consciente que c'est toujours plus difficile par vidéoconférence, mais c'était important de vous avoir parmi nous aujourd'hui, et nous vous en sommes très reconnaissants.

Nous allons poursuivre la séance à huis clos. Ai-je une motion visant à autoriser le personnel à demeurer dans la salle? Le sénateur Chaput en fait la proposition.

Le comité se poursuit ses travaux à huis clos.


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