Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 5 - Témoignages du 18 février 2008 - Séance de l'après-midi
WHITEHORSE, YUKON, le lundi 18 février 2008
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui, à 13 h 41, pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.
Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs les sénateurs, nous entendrons divers témoins cet après-midi. Je demanderais à chacun d'eux de faire son exposé, et, ensuite, les sénateurs pourront poser leurs questions.
Je commencerai par la personne assise à ce bout-ci de la table.
Chris Danfa, Future Info Tech, à titre personnel : Bonjour à tous. Mon nom est Chris Danfa. J'habite à Whitehorse depuis maintenant quatre ans, après avoir vécu à Montréal pendant cinq ans. J'ai déménagé à Whitehorse, et je travaillais dans un bureau du gouvernement fédéral.
Ce matin, lorsque j'ai lu le courriel envoyé par l'honorable Larry Bagnell, j'ai décidé de venir témoigner devant vous parce que je crois que nous pouvons lutter contre la pauvreté de nombreuses façons. Dans mon cas, je travaillais ici. La pauvreté, c'est une situation dans laquelle les gens finissent par se retrouver, mais il existe des préoccupations plus graves, dont certaines ne sont pas apparentes. Si un travailleur, qui était fidèle à son employeur, qui accomplissait bien ses tâches et qui possédait toutes les compétences nécessaires s'est vu obligé de quitter son emploi en raison de contraintes, il pourrait, selon moi, finir par se retrouver dans la pauvreté. En outre, cette personne ne peut plus trouver de travail parce que, d'une manière ou d'une autre, elle subit du harcèlement. Pour ma part, j'avais un très bon emploi, ici. Mais pendant tout le temps où j'ai travaillé à cet endroit, on me harcelait constamment, de sorte que j'ai quitté mon emploi parce que je devais le faire. C'est ce que je fais actuellement.
Je vais continuer à me battre parce que nous devons mettre un terme à ce genre de situation. Que peut faire une personne si elle se fait constamment harceler au travail? Elle peut démissionner, mais qu'en est-il après? Elle n'a d'autre choix que de se tourner vers l'assurance-emploi ou l'aide sociale. Un tel contexte ne fera qu'augmenter la pauvreté, ici, parce que certaines personnes souffrent en silence et ne veulent rien dire.
J'ai quitté mon emploi et j'ai porté plainte à la Commission des droits de la personne; le processus est en cours. Je voulais attirer votre attention sur cette question. Si vous voulez lutter contre la pauvreté, vous devez également être au fait de ce qui se passe à la Commission des droits de la personne ou vous rendre dans les milieux de travail pour montrer aux employés comment il faut se comporter entre collègues.
Voilà ce que je voulais vous dire. Ce n'est pas toujours la pauvreté qui frappe les gens : dans notre société, il existe d'autres réalités sournoises qui peuvent mener une personne à la pauvreté.
Judi Johnny, à titre personnel : Bonjour. Mon nom est Judi Johnny. J'appartiens à la nation des Kwakwala. Je suis membre du clan du Loup. Dans mon cas, la pauvreté fait partie de mon quotidien. Je dois recourir au transport adapté, le Handi-Bus. Je souhaitais venir témoigner aujourd'hui, et pour le faire, j'ai dû louer une chambre d'hôtel, étant donné que je ne pouvais profiter du service du Handi-Bus à l'heure qui m'aurait permis de ne rien manquer de cette séance. Donc, j'ai dû payer une chambre pour la nuit et mes repas de ma poche. Souvent, il faut faire les choses autrement. Si une personne est capable de se glisser de son fauteuil roulant manuel à un siège, un taxi ordinaire pourra alors la transporter, s'il est disposé à le faire. Certaines entreprises de taxis ne transportent pas les personnes handicapées; c'est la triste réalité ici.
Même si vous leur dites que vous avez un handicap et que vous vous déplacez en fauteuil roulant, ils viennent quand même chez vous et, dès qu'ils vous voient, ils quittent immédiatement les lieux. Nous devons composer avec cette discrimination. C'est ce qui fait que des personnes comme moi restent pauvres. Il n'y a qu'un seul Handi-Bus pour toute la ville. On ne peut donc profiter du service en tout temps.
Par ailleurs, il est plutôt difficile de conserver un emploi dans une telle situation parce qu'on ne peut se présenter au travail à l'heure prévue. La plupart du temps, les employeurs tolèrent cette situation, mais cela ne change pas grand- chose, car il arrive que des personnes handicapées ne puissent se rendre au travail parce que le Handi-Bus ne peut les transporter ce jour-là. C'est ce que d'autres personnes m'ont dit. Je ne peux divulguer leurs noms parce qu'elles ne m'y ont pas autorisée. Nous sommes aux prises avec ce genre de difficultés. On veut nous faire comprendre que nous sommes censées travailler pour faire partie de la collectivité, mais lorsque nous voulons nous intégrer, nous ne pouvons avoir accès à un service de transport adéquat.
J'ai peut-être tort, mais, à ce que je sache, les personnes handicapées ne peuvent bénéficier de soins à domicile si elles travaillent. Pourtant, ces soins sont essentiels, alors il faut payer de sa poche.
On ne doit pas viser trop haut. Nous parlions tout à l'heure des activités politiques qui sont rémunérées, contrairement à celles menées au sein d'une ONG, une organisation non gouvernementale. Mais je dépenserais plus d'argent que j'en gagnerais. J'ai tenté d'obtenir des renseignements auprès du type qui fait partie des conservateurs et qui se déplace en fauteuil roulant, mais il ne me disait jamais où et comment il obtenait les fonds qui lui permettent de recevoir toute l'aide qu'il a pendant qu'il siège au Parlement.
La présidente : Il s'agit d'un des députés du Manitoba.
Mme Johnny : Oui. Si j'ai eu les moyens de passer la nuit ici, c'est seulement parce que j'ai reçu une indemnité pour avoir résidé dans un pensionnat indien. Autrement, je n'aurais pas pu être ici. Je ne recevrai cet argent qu'une seule fois.
Un ergothérapeute m'a dit : « Vous n'avez pas besoin d'un fauteuil roulant cette année; attendez l'an prochain. » Mais je ne peux pas. Mon fauteuil est déjà abîmé. Je l'utilise depuis cinq ans. Les gens qui habitent ici savent que, si je le pouvais, j'utiliserais mon fauteuil 24 heures sur 24, sept jours sur sept. J'ai dû demander à être servie par un autre ergothérapeute parce que j'étais victime de harcèlement. Par conséquent, je vais obtenir un nouveau fauteuil fabriqué au Yukon, ce qui n'est pas la même chose.
J'ai dû aller devant les tribunaux parce que l'exploitant du service de limousine local a dit que j'avais endommagé son véhicule. Le juge, pour une raison ou une autre, était de son côté. Je lui dois donc 1 844 $. C'était à la Cour des petites créances. Le juge a dit que je pouvais rembourser le montant à raison de 35 $ par mois, peu importe le temps que ça prendrait. Maintenant, cette personne me traîne devant les tribunaux parce qu'elle veut me facturer des intérêts. J'arrive tout juste à joindre les deux bouts, et la personne qui m'offre le service de transport est celle qui me harcèle et qui prend mon argent. Ça n'a pas d'importance. Je ne pouvais bénéficier du Programme d'assistance parajudiciaire autochtone parce qu'il ne s'agissait pas d'une infraction criminelle. Je ne pouvais non plus profiter de l'aide juridique pour la même raison. On ne vous aide pas ici si vous êtes handicapé.
Si vous êtes membre d'une Première nation ou une personne de couleur, c'est encore pire; si vous êtes une femme, n'y pensez pas, et je n'ose même pas songer à toute autre chose qui pourrait s'ajouter. En dénonçant cette situation, je cours le risque de ne pas avoir accès à davantage de services.
Brian Eaton, coordonnateur des ressources, Second Opinion Society, à titre personnel : Je suis le coordonnateur de ressources de Second Opinion Society, ou SOS. Il s'agit d'une organisation non gouvernementale, située à Whitehorse, qui propose des méthodes holistiques à mettre en application dans le réseau des soins en santé mentale. J'ai été très heureux, ce matin, d'entendre des gens évoquer le lien qui existe entre la santé mentale et la pauvreté.
Quand on étudie les causes de la pauvreté, sa prévalence et les populations qu'elle touche, on remarque que les personnes généralement considérées comme ayant des problèmes de santé mentale représentent évidemment le segment de la population le plus durement touché par la pauvreté.
Pendant de nombreuses années, on a cru que les personnes atteintes de maladies mentales sombraient dans la pauvreté en raison de la stigmatisation, d'un arrêt de travail et des perturbations sociales qui découlent de leur maladie. Toutefois, de récentes recherches montrent de façon assez évidente qu'il existe une relation directe entre la pauvreté et la maladie mentale. En d'autres termes, plus une personne est pauvre, plus elle sera susceptible de présenter une certaine forme de trouble mental au cours de sa vie.
Par exemple, une étude publiée en 2005 au Massachusetts se fonde sur des données concernant quelque 34 000 patients qui ont été hospitalisés à au moins deux reprises pour cause de troubles mentaux au cours d'une période de six ans qui va de 1994 à 2000. Les responsables de l'étude ont apparié les dossiers des patients aux codes postaux qu'ils avaient eus au cours de la période de six ans, et ils ont découvert qu'il y avait une très faible détérioration du statut social se traduisant par un mouvement vers des secteurs moins nantis. Cette constatation en dit long sur la théorie selon laquelle certaines personnes se retrouvent dans la pauvreté en raison de leur maladie mentale.
Toutefois, les responsables de l'étude ont effectivement trouvé ce qui semble être une relation directe entre le niveau de revenu et l'incidence d'une maladie mentale. D'ailleurs, depuis la fin des années 1930, diverses études ont fait état de cette corrélation. L'étude provenant du Massachusetts montre que les troubles mentaux sont trois fois plus fréquents chez les groupes à faible revenu par rapport aux groupes à revenu élevé.
Une autre étude menée en 1999 au Colorado présente des conclusions semblables. Dans le cadre de cette étude, on a demandé à 500 patients d'une clinique qui offre des soins à des personnes ne bénéficiant d'aucune assurance-maladie et dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté fédéral, le seuil limite, de remplir un questionnaire portant sur leur bien-être émotionnel. On a comparé leurs réponses avec celles d'environ 3 000 patients recevant des soins primaires dans des établissements généraux et qui ont rempli un questionnaire semblable. Autrement dit, il s'agissait de patients issus de ce qu'on pourrait appeler le courant principal en ce qui concerne le niveau de revenu.
Les résultats de cette étude ont révélé que les patients à faible revenu affichaient un taux nettement plus élevé de troubles mentaux. En effet, le taux était de 51 p. 100 comparativement à 28 p. 100 chez les patients qui recevaient des soins généraux.
Après avoir réparti les troubles psychiatriques en différentes catégories, on a constaté que 17 p. 100 des personnes faisant partie du groupe à faible revenu consommaient excessivement de l'alcool comparativement à 7 p. 100 des personnes du groupe représentant la population en général. En outre, 36 p. 100 des personnes à faible revenu étaient atteintes de troubles anxieux par rapport à 11 p. 100 des personnes à revenu élevé, ce qui équivaut au triple. Pour ce qui est des troubles de l'humeur, c'était plus que le double : 33 p. 100 contre 16 p. 100.
Les chercheurs ont affirmé dans leur étude que ces données étaient probablement prudentes, étant donné que le travail n'a pas porté sur des troubles tels que la maniaco-dépression, la toxicomanie et d'autres encore. Malheureusement, je n'ai trouvé aucune étude canadienne similaire sur cette relation, mais je suis raisonnablement persuadé qu'on obtiendrait les mêmes résultats à partir des données canadiennes. Si quelqu'un connaît une étude réalisée au Canada qui va dans ce sens, je serais intéressé à ce qu'on m'en fasse part.
L'American Psychiatric Nurses Association a assez bien résumé, dans un article publié en 2007 dans le journal de l'Association, l'interaction entre la pauvreté et la santé mentale. En voici un extrait :
Les obstacles à la guérison des personnes atteintes d'une maladie mentale grave comprennent la stigmatisation, la pauvreté et la victimisation. La stigmatisation empêche ces personnes d'obtenir un logement salubre ainsi qu'un emploi et d'intégrer la collectivité. La pauvreté réduit la capacité de subvenir à ses besoins et augmente le risque de victimisation. La victimisation prend la forme de violence directe, d'exploitation, de négligence et d'abus de la part des fournisseurs de services. Il en résulte une aggravation des troubles psychiatriques, un besoin accru de soins, une diminution de la qualité de la vie, une revictimisation et un recours à la violence.
Le témoignage de personnes comme Charlotte Hrenchuk, du Yukon Status of Women Council, et Barb Powick, de la maison d'hébergement Kaushee's, que nous avons entendues ce matin, confirme certainement l'existence d'une telle dynamique à l'échelon local.
Enfin, les conséquences du cocktail pauvreté, victimisation et désintégration sociale ne se font sentir que bien trop souvent dans le système pénal, comme l'a fait remarquer Judy Pakozdy. En effet, les prisons du Canada sont en train de devenir, de fait, les nouveaux établissements psychiatriques du XXIe siècle. Selon le Service correctionnel du Canada, la population des détenus qui présentent des troubles psychiatriques a augmenté de plus de 10 p. 100 par année depuis le début des années 1990. On prédit que, d'ici 2020, 75 p. 100 des détenus canadiens seront atteints d'une maladie mentale qui aura été diagnostiquée. Cette statistique est assez affolante.
Dans une étude publiée en 1992, le Service correctionnel du Canada estimait que 10,4 p. 100 des détenus de sexe masculin sous responsabilité fédérale étaient atteints d'une forme ou d'une autre de schizophrénie — et le taux est de seulement 1 p. 100 au sein de la population générale canadienne — tandis que près de 30 p. 100 des détenus, 29,8 p. 100, soit un tiers, étaient classés comme dépressifs, et 55,6 p. 100, une proportion effarante, présentaient des troubles anxieux.
Le Vancouver Sun a récemment commenté un rapport, publié plus tôt ce mois-ci par le service de police de Vancouver, où l'on avance que les policiers sont redevenus, par la force des choses, les travailleurs en santé mentale du cœur du centre-ville. Le quotidien cite les propos suivants :
La situation atteint les proportions d'une crise [...] créée par la « tempête parfaite » : la fermeture d'établissements psychiatriques, la compression des dépenses publiques en logement social, les prestations sociales inadéquates et des drogues comme la cocaïne qui provoquent un comportement aberrant.
C'est le service de police de Vancouver, et non une étude théorique réalisée par des subalternes, qui brosse un tel portrait de la situation actuelle.
Selon ce qu'on constate au Canada et aux États-Unis, il est clair que la pénurie de logements abordables, les prestations sociales inadéquates, le chômage, l'absence de possibilités d'éducation et la discrimination sociale — tous des éléments précurseurs de la pauvreté, comme nous le savons si bien — ont pris des proportions considérables en Amérique du Nord au cours des dernières années, et que l'effondrement social associé à un tel contexte ne peut qu'entraîner une augmentation des risques de maladie mentale chez les membres les plus vulnérables de notre société.
Liz Walker, directrice, Partenariats en santé, Conseil des Premières nations du Yukon, à titre personnel : Je suis ici pour soutenir Lori Duncan, qui présentera son mémoire, et je répondrai à vos questions, si j'en suis capable.
Lori Duncan, directrice, Santé et Développement social, Conseil des Premières nations du Yukon, à titre personnel : Je dispose de dix minutes, est-ce bien cela? Je suis membre du Conseil des Ta'an Kwach'an. J'appartiens au clan du Corbeau.
Le Conseil des Premières nations du Yukon n'a eu qu'une matinée pour se préparer. Nous ne savions même pas que cette audience avait lieu. Je suis quelque peu déconcertée par tout cela. Nous nous sommes dépêchés de préparer quelque chose à vous soumettre. En grande partie, je vais improviser mon exposé, mais il s'agit de choses que vous savez probablement déjà. Je suis déçue que, à titre de représentants des Premières nations du Yukon, nous n'ayons pas reçu une invitation officielle à participer à cette audience.
Comme vous le savez, les Premières nations du Yukon et les Premières nations en général sont les populations les plus pauvres du Canada. Les statistiques ont prouvé ce fait à maintes et maintes reprises. Mon service, Santé et Développement social, reçoit beaucoup de commentaires, de renseignements et de conseils de la First Nations Health and Social Development Commission, qui est formée des directeurs des services de santé et des services sociaux de chacune des collectivités des Premières nations. Ils sont les intervenants de première ligne, ceux qui sont sur le terrain et qui essaient de s'occuper de bon nombre des problèmes liés à la pauvreté, à la santé et aux aspects sociaux, alors ils nous conseillent très bien.
Comme vous le savez, en conséquence de la colonisation, de la Loi sur les Indiens et, plus particulièrement, des pensionnats indiens, les Premières nations du Yukon vivent encore dans des conditions socioéconomiques inférieures aux normes et sont victimes du fardeau qui en résulte : la pauvreté.
Nous sommes préoccupés par de nombreuses choses. Il y a la question de l'eau potable. Nous avons eu de nombreux problèmes avec notre eau. Par exemple, des questions de compétence sont entrées en ligne de compte : le gouvernement territorial a dit que, comme nous avons un puits, il n'avait rien à voir avec cette histoire. Il prétend aussi que nous sommes autonomes et que, par conséquent, nous devons nous débrouiller. Affaires indiennes et du Nord Canada, AINC, tient les mêmes propos : ce n'est pas de leur ressort, et nous devons nous arranger par nous-mêmes. Sauf que, dans certaines régions, l'eau est en fait contaminée depuis qu'ils ont construit l'autoroute. C'est peut-être pour cette raison que les taux de cancer, entre autres choses, sont si élevés.
Dans toutes les régions, les Premières nations du Yukon vivent dans une grande pauvreté. Elles sont également aux prises avec des logements inadéquats, et un nombre démesuré d'enfants sont à la charge du gouvernement du Yukon. Nous le savons parce que nous avons travaillé sur la révision de la Loi sur l'enfance. Je ne vais mentionner aucune statistique, mais bon nombre d'enfants sont pris en charge, en grande partie à cause de la pauvreté, des revenus peu élevés et d'autres facteurs semblables.
Il y a beaucoup de désespoir, et cela se reflète dans les taux élevés de suicide et dans les autres maux qui affligent notre société. Notre mémoire contient de nombreuses statistiques. Bon nombre de ces problèmes sont dus aux pensionnats et à ce qui est arrivé entre les murs de ces établissements. Beaucoup de choses se sont passées à l'égard du Paiement d'expérience commune. On pourrait penser que, lorsqu'un membre d'une Première nation reçoit tout cet argent, il n'est plus dans la pauvreté. Toutefois, ça dépend de la façon dont cet argent est versé et des services de soutien qui sont offerts. Certains membres des Premières nations reçoivent le Paiement d'expérience commune, mais ils restent dans la pauvreté. Ils le dépensent ou se font escroquer, et après, il ne leur reste plus rien. Certains de nos membres meurent. Les difficultés auxquelles nous faisons face sont nombreuses.
Lorsqu'on a formé Résolution des questions des pensionnats indiens Canada, on voulait que cet énorme ministère puisse faciliter la mise en œuvre de cette initiative. Mais les Premières nations n'ont rien reçu. Aucune organisation des Premières nations n'a reçu quoi que ce soit pour s'occuper de cette question. Le gouvernement a affecté des employés au soutien à la résolution. Pour tout le Yukon, cela revenait à un employé et demi. Il y a des gens qui menacent de se suicider. Beaucoup de personnes ont besoin d'aide, et nous n'avons qu'un employé et demi pour les soutenir dans leur guérison.
Pour ceux qui ne connaissent pas très bien les pensionnats indiens, il faut savoir que bon nombre de personnes ont caché ce qu'elles ont vécu dans un des replis de leur mémoire. Elles ne veulent plus en entendre parler. On discute en long et en large des pensionnats indiens, ce qui suscite beaucoup d'émotions, et ces personnes n'ont accès à aucune aide. C'est un problème énorme.
Je crois savoir qu'au moins 25 p. 100 du budget a été alloué à l'administration de ce programme, qui émane de Résolution des questions des pensionnats indiens Canada. Lorsque le programme a été mis en œuvre, je crois que c'est le sous-ministre adjoint Dion qui est alors venu nous rencontrer. Je lui ai dit : « Qu'avez-vous reçu lorsqu'on vous a attribué ce rôle? A-t-on mis un local à votre disposition? Y avait-il un bureau, des ordinateurs et des stylos? » Le Conseil des Premières nations du Yukon n'a rien obtenu. Nous devions travailler sur le coin d'une table, et pourtant, il y a tant de personnes qui sont atteintes du syndrome des pensionnats indiens et de tous les troubles qui en découlent. Nous ne sommes pas en mesure d'affronter cette situation. Nous ne pouvons y faire face.
En collaboration avec des représentants du gouvernement du Yukon, du Skookum Jim Friendship Centre et de la GRC, nous avons créé une initiative multipartite pour tenter de réagir à certains des actes frauduleux qui pourraient survenir lorsque les gens reçoivent leur paiement. Ce sont des bénévoles qui accomplissent tout ce travail. Nous n'avons reçu aucune ressource pour mener à bien cette tâche.
On tient pour acquis que c'est le Conseil des Premières nations du Yukon qui prendra le relais et qui présentera des exposés un peu partout à l'intention de ces organisations qui aident les personnes traumatisées par leur expérience dans les pensionnats indiens. C'est toujours le même scénario qui se répète chaque fois qu'un programme est exécuté principalement par la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits. Essentiellement, on verse de l'argent pour responsabiliser les Premières nations, et ces sommes sont en grande partie consacrées à l'administration du programme. La Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits reçoit la totalité des ressources pour embaucher une personne ou un service complet, puis les sommes restantes passent aux échelons inférieurs. Quand arrive enfin le tour des Premières nations, il ne reste que des miettes. Par exemple, l'Initiative sur le diabète chez les Autochtones ne reçoit annuellement que 8 000 $ par collectivité. En quoi cela peut-il nous aider à vaincre le diabète?
On se demande pourquoi il y a de la pauvreté. On ne peut s'en sortir. Il n'y a aucun moyen de s'en sortir si on ne reçoit pas les ressources et la capacité adéquates pour aider les gens. Et lorsque je dis « capacité », je ne parle pas de ressources financières. Je fais plutôt allusion aux ressources humaines ou à la formation qui permet aux membres d'une collectivité d'acquérir les compétences pour que la collectivité puisse réagir à ce genre de situations. Divers aspects du programme, comme la planification, ne sont pas adéquatement mis en œuvre. Si le gouvernement prêtait vraiment attention à ces détails, ce genre de choses ne se produirait pas.
On met actuellement en place le Fonds pour l'adaptation des services de santé. L'énorme initiative qu'est le Plan directeur de la santé des Autochtones a été en quelque sorte démantelée par le gouvernement actuel, alors nous avons pris l'initiative, parce qu'il s'agissait d'une très bonne stratégie, de mettre en commun les priorités des collectivités des Premières nations pour que nous puissions travailler ensemble à la définition de priorités globales et nous concentrer sur des problèmes comme la pauvreté, c'est-à-dire sur les façons de donner aux Premières nations la capacité de s'affranchir de la pauvreté et d'être autonomes. Grâce au Fonds pour l'adaptation des services de santé, même s'il ne nous reste que deux ans avant la fin du projet et que nous venons tout juste de le mettre en branle au Yukon, nous espérons au moins formuler un plan de base pour que nous puissions nous occuper de ce genre de difficultés par nous- mêmes. Nous voulons devenir autonomes.
Le mémoire que nous vous soumettons contient de nombreuses statistiques. Par exemple, on y mentionne que 74 p. 100 des clients de l'Armée du Salut sont des membres des Premières nations sans adresse fixe, et que 35 p. 100 des clients auxquels la camionnette itinérante fournit de la nourriture sont des femmes. Notre mémoire aborde également les stratégies de réduction des méfaits mises ne place par d'autres services. D'ailleurs, il se tient actuellement une conférence portant sur la réduction des méfaits.
Les Premières nations ont besoin des ressources qui les rendront capables de réparer, à l'échelon de la collectivité, les injustices et les torts subis dans le passé. Pour y arriver, elles devront pouvoir compter sur les éléments suivants : la mise au point de méthodes holistiques en matière de santé; le respect des approches culturelles, du savoir traditionnel et des croyances relatives aux pouvoirs de guérison de la terre; le développement communautaire et l'attention aux besoins des collectivités; le respect des aînés et des connaissances ancestrales; une communication totale, ouverte et efficace ainsi que l'établissement de relations; l'équité dans l'accès aux services de soins de santé, au financement de ces soins et à des conditions de vie saines; et, enfin, le soutien à l'autonomie gouvernementale des Premières nations du Yukon ainsi que la capacité de suivre les progrès et d'apprendre à mesure que ces organisations évolueront.
Dans un autre ordre d'idées, parce que, au Yukon, nous sommes différents, nos services de soins de santé sont régis par un autre ordre de gouvernement : le gouvernement territorial. Au Yukon, les soins de santé ne relèvent pas du fédéral, ce qui crée d'importantes iniquités. En outre, la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits ne s'occupe pas de la région du Nord, de sorte que nous n'avons pas accès à bon nombre des services et d'autres choses que reçoivent les Premières nations qui vivent dans les réserves, car nous n'habitons pas dans des réserves au Yukon. Si une politique prévoit qu'un programme est destiné aux Premières nations qui habitent dans des réserves, nous devons nous battre férocement pour essayer d'obtenir l'argent versé au titre de ce programme.
Dans le cadre de l'Initiative sur le diabète chez les Autochtones, Santé Canada a mis en place le Programme pour les Premières nations dans les réserves et les Inuits dans les collectivités inuites. Nous ne sommes pas visés par cette mesure. Encore une fois, nous devons nous battre pour obtenir les ressources qui nous permettront de mettre en œuvre l'Initiative sur le diabète.
Pour des questions de compétence territoriale et en raison de notre caractère distinct, nous sommes exclus de bon nombre d'initiatives et de programmes. Nous n'avons aucunement accès à la cybersanté. La plupart des Premières nations qui se trouvent au sud du 60e parallèle bénéficient du transfert des programmes de santé. Ici, ça se passe autrement. Si nous sommes effectivement autonomes, alors il faut que le transfert des programmes de santé se fasse directement du Conseil du Trésor aux Premières nations; il ne devrait plus y avoir d'intermédiaire. Ce n'est pas qu'une question administrative, il s'agit du processus en entier. Vous devez être bien certains que c'est ce que vous voulez. Nous sommes différents : nous avons besoin d'être traités d'une façon différente et non d'être mis dans le même panier que les autres, parce que nous n'avons accès à aucune ressource et les collectivités des Premières nations ne reçoivent pas les ressources dont elles ont besoin.
Enfin, dans les ententes sur l'autonomie gouvernementale, les Premières nations se sont engagées à fournir des services à leurs citoyens. Cela signifie que, si vous êtes autonomes, vous ne faites plus partie des bandes assujetties à la Loi sur les Indiens. Si vous êtes toujours sous ce régime, vous êtes soit un Indien inscrit, soit un Indien non inscrit. Si vous avez la citoyenneté d'une Première nation, alors vous êtes un citoyen. Vous êtes un Autochtone ou vous ne l'êtes pas. Cela n'a rien à voir avec le fait d'être inscrit ou non. Pourtant, les ressources sont encore attribuées suivant le statut de la population. Par conséquent, les ressources que reçoivent les Premières nations autonomes sont carrément insuffisantes. Elles doivent alors essayer de combler le manque et elles s'endettent. On a l'impression qu'elles reçoivent beaucoup d'argent, mais, en fait, ce n'est pas le cas. Si on tient compte du fait que ces Premières nations sont en train de former un gouvernement, on doit se demander combien d'argent est nécessaire pour mener à bien une telle entreprise. On ne crée pas des gouvernements tous les jours.
La présidente : Merci beaucoup, madame Duncan. Vos commentaires nous seront certainement utiles lorsque nous retournerons à Ottawa. Le Sénat compte également un excellent Comité des peuples autochtones, et nous veillerons à ce que son président soit informé de vos opinions. Si nous pouvions obtenir une copie de votre exposé, ce serait merveilleux.
Mme Duncan : Vous en avez déjà une, mais elle ne fait pas mention de tout ce que j'ai dit. J'ai témoigné au pied levé.
La présidente : Nous aurons une transcription de votre témoignage. Merci.
Le sénateur Peterson : Nous remercions les témoins. Il s'agit là d'une quantité énorme d'information, et vous avez abordé des sujets très graves.
Monsieur Danfa, vous affirmez avoir quitté votre emploi parce que vous étiez victime de harcèlement.
M. Danfa : Oui, et ce n'est pas tout. La Commission des droits de la personne doit s'en mêler, et comme vous le savez, elle doit s'occuper de beaucoup de cas. Le Sénat devrait se pencher sur le travail de la Commission et mener une enquête pour savoir ce qui se passe. Des gens peuvent vous congédier, et, s'ils n'ont aucune raison de le faire, ils vont recourir à toutes sortes de moyens. Ils vont vous faire subir des pressions psychologiques et du harcèlement, et vous n'avez d'autre choix que de démissionner. Si vous quittez votre emploi, vous vous dirigez vers la pauvreté ou la violence.
C'est une question très grave. Bon nombre de fois, j'entends dire qu'il n'y a pas assez de travailleurs à Whitehorse, mais je crois que c'est le contraire. Ils n'ont qu'à former les gens. Ils affirment qu'il y a un manque de travailleurs ici; par exemple, il y a un an, l'Association franco-yukonaise a envoyé une délégation en Europe pour recruter des gens qui seraient disposés à venir travailler au Yukon. Pourquoi vont-ils en France et en Belgique pour recruter des personnes et les former? Ils pourraient aller au Québec; ils sont Canadiens. Beaucoup de Canadiens ne trouvent aucun travail ici. Au Québec, de nombreux travailleurs qualifiés n'ont aucun emploi. Ce serait une bonne chose d'aller chercher des gens ailleurs au Canada plutôt que d'aller les recruter en Europe. S'ils préfèrent aller en Europe, c'est peut-être parce qu'ils trouvent le type de personne qu'ils veulent.
Le sénateur Peterson : Vous avez travaillé pour le gouvernement fédéral?
M. Danfa : Oui, je travaillais sur un projet mené conjointement par le gouvernement fédéral et le gouvernement du Yukon.
Le sénateur Peterson : Vous avez porté plainte à la Commission des droits de la personne.
M. Danfa : Oui. J'ai porté plainte de nombreuses fois, et on me dit que je dois prouver que les personnes qui me harcelaient sont racistes. Mais je sais que je ne pourrai pas. Pendant toute une année, j'ai énormément souffert, et j'ai tout simplement démissionné. Maintenant, je n'ai aucun revenu. Je subviens à mes besoins grâce à mes économies, mais quand il n'y en aura plus, que pourrais-je faire? Je suis ingénieur. Je suis un travailleur très qualifié.
Il se passe beaucoup de choses ici, et les gens souffrent en silence. Parfois, la Commission des droits de la personne fera enquête, mais cela peut prendre jusqu'à deux ans.
Le sénateur Peterson : Je vous souhaite bon courage.
Madame Johnny, vous avez affirmé que vous ne pouvez avoir accès à des services à domicile lorsque vous avez un emploi. Mais si vous ne travaillez pas, vous pouvez profiter de ce type de service sans débourser un sou.
Mme Johnny : Oui. Ce qui arrive, c'est que les services à domicile sont offerts durant les heures de travail; c'est donc difficile d'y avoir accès. C'est d'autant plus difficile de se trouver un emploi. Si on se déplace en fauteuil roulant, on n'a pas le choix d'utiliser le transport adapté et, parfois, on ne peut profiter du service du Handi-Bus.
Parfois, le service du Handi-Bus peut nous emmener au travail à temps, parfois non. Admettons que vous commencez à travailler à 9 heures. Le Handi-Bus peut venir vous chercher à 7 h 30, mais s'il fait 45 degrés sous zéro à l'extérieur, vous n'avez pas envie de partir si tôt et d'attendre dehors jusqu'à l'ouverture de votre lieu de travail. La fois suivante, l'autobus ne peut venir vous prendre qu'à 10 heures. En fait, vous arrivez soit trop tôt, soit trop tard. Jusqu'à un certain point, les employeurs sont compréhensifs, mais après un certain temps, ils ne veulent plus avoir à composer avec ce genre de situation. Par conséquent, on veut se débarrasser de vous. Pour un employeur, il est bien mieux d'embaucher une personne âgée qui peut se déplacer par ses propres moyens ou une personne qui n'a pas vraiment besoin de l'emploi, mais qui peut faire ce que veut l'employeur.
Le sénateur Peterson : Vous dites donc que, si nous voulons que les personnes handicapées soient autonomes, il faut faire preuve d'un peu plus de souplesse dans la prestation des services de soutien.
Mme Johnny : Exactement. Je crois que, pour que nous puissions être actifs au sein de la collectivité en occupant un emploi, nous devons pouvoir dire : « Bon, je travaille de 5 heures à midi, alors venez me chercher à 4 h 30. » Si on passe me prendre à 7 h 30, je serai en retard de trois heures au travail. Parfois, vous devez tout simplement attendre. Souvent, parce qu'ils ont trop de personnes à transporter, ils viennent vous prendre en retard. Ce que vous dites ou faites n'a aucune importance, ou encore, si vous parlez trop comme je le fais, vous risquez de perdre des services.
Je suis dans le même bateau que M. Danfa. J'ai porté plainte à la Commission des droits de la personne, et je vais également comparaître devant un juge.
Le sénateur Peterson : Monsieur Eaton, vous prétendez que le soutien en santé mentale n'est vraiment pas très bon. Connaissez-vous l'étude approfondie qu'a réalisée le sénateur Michael Kirby sur la santé mentale, intitulée De l'ombre à la lumière : La transformation des services concernant la santé mentale, la maladie mentale et la toxicomanie au Canada?
M. Eaton : Oui, je suis au fait de ce rapport. Je ne peux toutefois pas prétendre l'avoir lu en entier. Je crois, soit dit en passant, que le rapport du sénateur Kirby représente un argument convaincant en faveur du maintien du Sénat au sein de notre système politique. Je crois que le Sénat a publié de très bonnes recherches au cours des dernières années. La commission qui a été créée par suite du rapport laisse présager, selon moi, un excellent travail.
Le sénateur Peterson : La commission se dirige effectivement dans la bonne voie. Elle aborde les questions dont vous avez parlé. Nous avons beaucoup de chemin à faire, mais c'est un début.
M. Eaton : Je le crois, en effet.
Le sénateur Peterson : Madame Duncan, vous avez soulevé une foule de problèmes, et je suis tout à fait d'accord avec vous en ce qui concerne l'eau potable, le logement inadéquat et le manque de financement.
Lorsque vous dites que les sommes sont majoritairement consacrées à l'administration, faites-vous allusion à Affaires indiennes et du Nord Canada?
Mme Duncan : AINC, Santé Canada — l'appareil fédéral.
Le sénateur Peterson : Je suis d'accord avec vous sur ce point également. Nous travaillons là-dessus et nous essayons de résoudre la situation.
Vous avez également mentionné le dossier des programmes à l'extérieur des réserves. Parce qu'ils sont offerts à l'extérieur des réserves, ils ne sont pas traités de la même façon, est-ce bien cela?
Mme Duncan : C'est exact. Au Yukon, il n'y a pas de réserves.
Le sénateur Peterson : Avez-vous des terres tribales?
Mme Duncan : Nous avons des terres ancestrales, des terres traditionnelles octroyées par l'entente. Au sud du 60e parallèle, vous avez des populations qui habitent dans des réserves ainsi que d'autres qui se trouvent en dehors des réserves, essentiellement dans les zones urbaines. On retrouve encore des collectivités des Premières nations ici, mais il n'y a pas de réserve officielle. Un bonne part du financement est destiné aux Premières nations situées dans des réserves, ce qui fait que, souvent, nous en sommes privés. Parce que nous relevons d'un autre ordre de gouvernement, nous ne pouvons pas avoir d'hôpitaux ou de centres de santé administrés par le fédéral. Ce type d'établissements relève du gouvernement territorial; le fédéral leur a cédé cette responsabilité. Nous ne recevons aucune somme pour les initiatives du fédéral, par exemple la cybersanté ou les programmes de santé maternelle et infantile.
Le sénateur Peterson : Le problème est le même, par contre. Parce que vous n'habitez pas dans des réserves, nous devrons changer un peu la terminologie.
Mme Duncan : Essentiellement, c'est la terminologie qui dicte la politique, puis la politique guide le Conseil du Trésor, de sorte que nous n'obtenons aucun financement.
Le sénateur Peterson : C'est ce qui doit être rectifié.
Mme Duncan : Oui. Et l'idée selon laquelle nous sommes différents des collectivités et des gens qui se trouvent au sud du 60e parallèle.
Le sénateur Peterson : C'est un autre obstacle. Comme s'il n'y avait pas assez de problèmes comme ça, en voilà un autre qui se présente.
La présidente : Vous avez tous fait des exposés très troublants et intéressants. Nous devions connaître ces détails, et nous vous remercions de nous en avoir fait part. Soyez certains que nous allons transmettre votre message à qui veut l'entendre.
Mme Duncan : Avez-vous dit qu'il y a un Comité sénatorial permanent des peuples autochtones?
La présidente : Oui, c'est bien ça. Le sénateur Peterson en fait partie, et il est parmi nous aujourd'hui.
Le sénateur Peterson : Nous nous occupons de bon nombre des questions dont vous avez parlé.
La présidente : Je vous remercie tous beaucoup et vous souhaite bonne chance.
Arthur Mitchell, membre de l'Assemblée législative du Yukon (Copperbelt), à titre personnel : Je vous remercie d'être venus, sénateurs. Je suis le député de Copperbelt à l'assemblée législative et je suis le chef de l'opposition officielle au Yukon. Ma circonscription est considérée comme une circonscription urbaine, mais elle inclut des zones très rurales. Je ne crois pas que Whitehorse soit considéré en général comme un centre urbain par la plupart des Canadiens.
Comme vous l'avez entendu aujourd'hui, les Yukonais connaissent bien la pauvreté. Dans les collectivités rurales, le taux de chômage est supérieur à 10 p. 100. De façon générale, il demeure supérieur à 10 p. 100, même si le taux de chômage à Whitehorse est parfois inférieur. Dans bon nombre de nos collectivités rurales, le développement fait du surplace. La valeur foncière n'a pas changé depuis de nombreuses années, et on a désespérément besoin de meilleurs logements.
La population de bon nombre de nos collectivités rurales est en déclin, et de nombreuses familles sont incapables de se procurer même les biens de première nécessité avec les emplois auxquels elles ont accès. Le coût de la nourriture, du logement et du carburant monte en flèche, tout comme le coût des nouveaux logements et des nouveaux lots pour la construction de maisons, ce qui fait que de nombreuses personnes se retrouvent à survivre à l'aide d'une aide sociale insuffisante compte tenu du coût actuel des biens. Les personnes assez chanceuses pour avoir un emploi trouvent bien souvent que leur salaire est si bas qu'elles ont tout de même de la difficulté à survivre. Les familles monoparentales sont particulièrement touchées, de même que les femmes qui sont obligées de rester au sein d'une relation de violence pour survivre.
Vous avez déjà entendu, aujourd'hui, des témoins qui sont mieux placés que moi pour en parler, mais j'aimerais tout de même dire, moi aussi, que tous ces problèmes sont encore plus graves dans les collectivités autochtones. Les taux de chômage y sont beaucoup plus élevés. Selon le recensement de 2001, le taux de chômage chez les Autochtones, dans les régions rurales du Yukon, atteignait 26,8 p. 100, par rapport à 11,6 p. 100 chez les membres non autochtones des collectivités rurales. Il existe une véritable fracture entre les conditions de vie dans ces deux types de collectivités.
Dans ma circonscription de Copperbelt, le parc résidentiel comprend autant des maisons les plus chères et les plus récentes du Yukon, dont le prix de vente atteint de 500 000 $ à 600 000 $ et fracasse de nouveaux records chaque mois par rapport à l'année précédente, que des maisons inférieures aux normes et parmi les moins solides du Yukon. J'ai des électeurs, que je sollicite, — et il n'y a que quelques kilomètres entre les différentes zones de ma circonscription — qui vivent dans des autobus scolaires convertis, dans des caravanes stationnées en permanence et dans des tentes rectangulaires, et ce, toute l'année. Il y un écart immense entre les logements.
Je crois que l'un des problèmes très graves auxquels nous faisons face aujourd'hui au Yukon, et probablement partout au Canada, c'est la définition de logement abordable. Abordable pour qui? Il y a quelques années, le gouvernement du Yukon, par l'entremise de la Société d'habitation du Yukon, a utilisé le financement offert par le fédéral pour le logement abordable pour subventionner une partie des nouveaux logements dans le secteur Copper Ridge. Il s'agissait de petites unités d'environ 1 300 ou 1 400 pieds carrés qui se vendaient environ de 175 000 $ à 180 000 $. On disait qu'il s'agissait de logements abordables, compte tenu du prix moyen d'une maison à Whitehorse, qui atteignait presque 300 000 $ à la fin de l'année passée. Je suppose qu'il franchira bientôt le cap des 300 000 $.
Ce n'est pas abordable pour une personne qui reçoit le salaire minimum. Ce n'est pas abordable pour une personne qui reçoit de l'aide sociale. Encore une fois, nous obligeons les gens à vivre dans des conditions de plus en plus pénibles parce que nous sommes incapables de leur offrir des logements véritablement abordables. À propos, ces maisons se vendent aujourd'hui environ 225 000 $ à 230 000 $, tant sur le marché de la revente que par l'entrepreneur qui continue à en construire. Pourtant, ni l'aide sociale ni les autres données, comme le salaire moyen, n'ont autant augmenté en un an ou en un an et demi que ce que l'on considérait comme un logement abordable quand les maisons ont été mises sur le marché.
Même si je représente la circonscription de Whitehorse, je voyage partout dans le territoire à titre de chef d'un parti politique et de chef de l'opposition officielle. Des collectivités comme Pelly Crossing, Ross River et Upper Liard, près de Watson Lake, sont principalement constituées de membres des Premières nations. Les conditions de logement sont encore plus déplorables que ce que nous voyons à Whitehorse. Certaines collectivités des Premières nations sont autonomes, mais d'autres, comme Ross River ou Kaska, n'ont pas encore l'autonomie gouvernementale et sont coincées, comme l'a dit Mme Duncan, en raison de la façon dont l'argent est transféré par le gouvernement du Canada aux collectivités des Premières nations. C'est une situation très difficile.
Mme Johnny, qui est une électrice, a expliqué avec éloquence les difficultés auxquelles les personnes différemment aptes sont confrontées. Je pense qu'elle a déjà expérimenté bon nombre des difficultés qu'elle a mentionnées et qu'elle s'est souvent retrouvée coincée entre les divers ordres de gouvernement, qui étaient aussi pleins de bonne volonté, mais qui prétendaient toujours que c'était un autre ordre de gouvernement qui était responsable. Quand elle me signale, à moi, qui suis son député, des problèmes comme l'horaire du service de transport adapté, je peux m'adresser au maire et au conseil en son nom, mais c'est l'administration municipale qui s'occupe de ce service. Quand je parle du problème aux responsables, ils me répondent qu'ils sont aux prises avec des restrictions budgétaires compte tenu du financement qui leur est versé par le gouvernement territorial et de leur propre assiette fiscale.
C'est un véritable problème et, au bout du compte, l'utilisateur final, comme Mme Johnny, se soucie peu de l'ordre de gouvernement qui est responsable du service. Elle souhaite seulement avoir accès au service. Comme elle l'a dit plus tôt, elle veut pouvoir travailler, être productive et se sentir respectée à titre de personne qui travaille, plutôt que de dépendre uniquement des programmes sociaux. C'est toutefois très difficile de conserver un emploi quand les services dont elle dépend sont rares et ne correspondent pas à son horaire. Je la cite en exemple parce qu'elle s'est adressée à votre comité, mais de nombreux électeurs, et même des personnes de partout au Yukon, m'ont fait part des mêmes préoccupations.
Évidemment, comme d'habitude, les besoins sont de nature financière. Nous devons accroître le financement de l'aide sociale et des autres programmes, et du transport. Il faut régler les problèmes de logement. Bien que certaines personnes soient heureuses de voir que leur avoir propre augmente en raison de la hausse des prix du logement, de plus en plus de gens sont désenchantés, si je puis dire, et sont désavantagés par la situation parce qu'ils sont incapables d'acheter une maison. Il s'agit d'un besoin croissant.
Nous devons offrir des programmes de formation et de recyclage professionnels pour aider les gens à retourner au travail, et le gouvernement fédéral peut nous aider à le faire.
Les programmes de garde d'enfants devraient refléter les besoins actuels. Je sais que Ken Dryden sera ici cette semaine. Quand il faisait partie du gouvernement, il souhaitait mettre sur pied un programme de développement des jeunes enfants. Quel que soit le gouvernement élu, et que ce soit un gouvernement libéral, conservateur, ou un autre, nous devons nous occuper de cette question. Je sais que les familles aiment recevoir une aide financière directe, et je ne suis pas en train de dire que les gens n'apprécient pas l'aide qu'ils reçoivent, mais l'aide actuellement offerte n'est pas suffisante. Nous devons envisager un autre modèle, ou nous devons offrir tant les programmes universels que nous envisageons qu'un financement versé directement aux parents.
Enfin, on doit mettre l'accent sur l'aide offerte pour les problèmes sociaux d'alcoolisme et de toxicomanie, puisque la pauvreté est souvent étroitement liée à ces problèmes. Ces deux phénomènes vont souvent de pair. Quand une personne sombre dans l'abîme de la toxicomanie, sa famille vit un immense drame. Ma femme est enseignante; elle donne des cours d'aide à l'apprentissage et de rééducation en lecture dans le cadre d'un programme d'intervention en lecture précoce, et j'entends chaque jour des histoires d'horreur quand elle rentre à la maison et raconte la situation familiale avec laquelle certains de ses élèves sont aux prises. Comment peut-on s'attendre à ce qu'ils viennent à l'école et apprennent quand ils vivent dans la pauvreté et que leur famille vit des problèmes de violence et de toxicomanie?
Il s'agit là de problèmes que j'espère que vous pourrez régler à titre de sénateurs. Je vous remercie d'être venus ici aujourd'hui et de m'avoir écouté parler au nom de mes électeurs.
Peter Becker, membre du conseil d'administration, Yukon Anti-Poverty Coalition, à titre personnel : Je vous remercie, sénateurs, d'être venus ici. Je fais partie du conseil d'administration de la coalition anti-pauvreté. J'ai représenté le conseil, ici, à Whitehorse, pour les séances d'élaboration du tribunal communautaire. On parle aussi souvent de la planification d'un tribunal de traitement direct.
Tout au long de ce processus, je me suis penché sur la constatation suivante, qui, à mon avis, a beaucoup d'importance pour le Yukon : il existe une confusion entre les œuvres de bienfaisance et la justice sociale. On a besoin d'œuvres de bienfaisance qui offrent divers services, que ce soit de la nourriture, un refuge, ou d'autres choses, mais on a aussi besoin de la justice sociale et du droit à la justice sociale, à de la nourriture et à un refuge, et du droit d'avoir accès à un tribunal dans sa forme actuelle. Il existe une confusion au sein du système politique, et il existe un malentendu à propos des fondements. Les idées concernant les droits des personnes sont présentes au sein de notre gouvernement. Il faut s'opposer de façon beaucoup plus efficace à cette compréhension des choses.
Karl Polanyi, dans son livre intitulé La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, décrit très bien l'obligation des gouvernements en matière de justice sociale. Ses travaux sont reconnus, et il y a un Institut d'économie politique Karl Polanyi à l'Université Concordia, à Montréal. L'auteur affirme que, au début du XVIe siècle, il n'y avait pas de pauvreté en Angleterre. Il n'y avait pas d'indigence. La pauvreté a fait son apparition dans la société, a été créée, à cause de la déportation de la population des hautes-terres, du colonialisme, de l'enclosure des communaux en Amérique du Nord, entre autres. Si nous comprenions un peu mieux cette partie de l'histoire, nous comprendrions beaucoup mieux les obligations légales et constitutionnelles actuelles en matière de justice sociale.
Je voulais vous décrire le système de justice actuel. Je crois que l'opposition officielle à la Chambre des communes, par exemple, ne croit pas au bien-fondé des droits des particuliers. Elle favorise une société juste et sociale. Pourtant, pour l'instant, et c'est pourquoi je suis très heureux que le Sénat soit ici aujourd'hui, l'opposition officielle participe à la lutte contre la criminalité. C'est ce qui provoque la pauvreté, particulièrement dans les régions rurales comme le Yukon. Nous en avons étudié les effets en détail pendant la planification du tribunal de traitement direct.
Il y a de la criminalité, et le projet de loi sur la criminalité actuellement étudié par le Sénat prévoit une peine minimale obligatoire pour les actes criminels commis à l'aide d'armes à feu, la conduite en état d'ébriété, et d'autres infractions. Je recommanderais au Sénat, comme mesure énergique de lutte contre la pauvreté au Yukon, de carrément déclarer ce projet de loi inconstitutionnel puisqu'il s'agit, pour la première fois en 500 ans, d'un renversement de la tendance progressiste de la réforme du système de justice. Nous avons amélioré nos normes par rapport à l'époque de la peine de mort ou, plus loin encore, de l'Inquisition, mais il s'agit de la première mesure réactionnaire qui anéantit les accomplissements de personnes comme Agnes Macphail, de la Fédération du Commonwealth coopératif, et d'autres grands pionniers de la justice. Je me suis adressé principalement au groupe parlementaire du NPD à ce sujet, mais on n'a pas daigné me répondre.
La conférence de l'école de droit Osgoode Hall sur les peines minimales obligatoires, et le journal de l'école de droit Osgoode Hall a documenté entièrement les protestations contre tous ces articles, protestations qui sont appuyées par 80 p. 100 ou 90 p. 100 des membres de la Chambre des communes. L'Association du Barreau canadien et l'Association du Barreau américain s'entendent pour dire que ça n'a tout simplement pas de sens, qu'il s'agit simplement d'une façon d'apaiser des sentiments populaires irraisonnés, d'une tentative d'aller chercher quelques votes, et que l'adoption d'un projet de loi sur la criminalité comme celui-ci, qui déterminerait des peines minimales obligatoires, entraînerait la perte des obligations constitutionnelles fondamentales. Il est très dangereux de s'aventurer dans une voie aussi réactionnaire.
Si vous voulez d'autres preuves du fait que les répercussions de tout cela ne sont pas bien comprises, pensez à la promotion du colonialisme et de l'enclosure des communaux, qui ont eu une grande incidence sur le système de justice, particulièrement pour les peuples autochtones. Un conseiller politique du présent gouvernement, Tom Flanagan, a écrit Premières Nations? Seconds regards et tout un tas de livres dans lesquels il remet en question l'histoire des Métis. C'est cette vision qui oriente la réforme en cours du système de justice criminelle. Essentiellement, la vision politique est orientée, tant au Canada que partout en Amérique du Nord, par la façon contemporaine de défendre la destinée manifeste, qui est adoptée par les personnes qui dirigent ce changement.
Quand le sujet est devenu explosif, pendant les derniers jours de la campagne de Paul Martin, je crois qu'il s'est rendu compte, tout à coup, de son impuissance à ce sujet parce qu'il avaitlui-même offert une aide financière à Tom Flanagan et à Jean Chrétien dans les actions en justice et les négociations avec les Métis puisqu'il considérait que Flanagan pouvait être un conseiller utile en histoire, même si l'on n'était pas d'accord avec lui.
Tout cela me pousse à croire que les gens n'ont pas bien saisi les dangers de la prétendue réforme de la justice, particulièrement le fait qu'elle entraînera beaucoup de pauvreté. L'accès à la justice et aux tribunaux constitue un intérêt commun. Les juges qui se trouvent dans les collectivités, qui établissent l'équilibre entre les besoins de la collectivité, les droits des victimes et les considérations judiciaires, sont rendus impuissants par une telle législation idéologique. Je vous demande avec insistance de rejeter catégoriquement le projet de loi.
On peut avoir l'impression que le problème est encore loin, mais ce n'est peut-être pas le cas, puisque la constitution canadienne a une nature plus évolutive et plus orale que la plupart des textes qui respectent les modèles européens et que l'on peut voir aux États-Unis et dans de nombreux autres pays. Si nous nous éloignons de nos traditions constitutionnelles, notre démocratie court un véritable danger. Je le répète, je vous demande d'en tenir compte quand vous retournerez à la Chambre des communes et que vous vous prononcerez sur le projet de loi sur la criminalité.
Le sénateur Mercer : Je vous remercie tous les deux de votre présence.
Monsieur Mitchell, le travail de député provincial n'est jamais facile. Il est encore plus difficile d'être le chef de l'opposition officielle. Ce n'est, de toute évidence, pas une partie de plaisir. Nous ne nous sommes certainement pas amusés, ceux d'entre nous qui sont dans l'opposition, c'est-à-dire chacun d'entre nous, aujourd'hui.
Vous avez soulevé la question du coût des logements, des logements sociaux et du besoin d'offrir davantage de logements sociaux. Dans quelle mesure les gens de Whitehorse et du reste du Yukon sont-ils en faveur du logement social? Il y a eu certains cas, en ce qui concerne le logement social, de personnes qui se disent vraiment en faveur du logement social, mais pas dans leur cour. Les gens, ici, sont-ils prêts à accepter le logement social?
M. Mitchell : Ma réponse compte deux volets. Il y a toujours des préjugés ou de la partialité contre le logement social, mais je pense que la situation s'améliore. Les gens reconnaissent davantage l'existence du besoin.
Cependant, nous ne devons pas nous limiter à la question du logement social. Nous devons aussi parler du logement abordable. Étant donné l'augmentation du coût des logements par rapport à l'augmentation beaucoup plus lente, voire nulle, des revenus, de plus en plus de gens seront incapables de se payer un logement dans les années à venir. Les ordres de gouvernement devront tous faire preuve de créativité et tenter de trouver des solutions aux problèmes. Les gouvernements provinciaux et territoriaux pourront choisir de construire eux-mêmes des logements, ou encore de financer des programmes pour inciter le secteur privé à construire des logements abordables.
Avant d'assumer mes fonctions publiques, j'ai travaillé comme promoteur immobilier pendant environ dix ans, et j'ai aussi été, pendant plusieurs années, partenaire au sein d'une société de promotion immobilière. Nous nous occupions de la construction de logements, de locaux commerciaux et d'autres types de locaux. Dans le secteur privé, vous allez là où se trouve l'argent. Actuellement, l'argent, à Whitehorse, est dans la construction de condos haut de gamme; c'est donc ce que construisent les promoteurs immobiliers. Certaines personnes n'hésitent pas à les critiquer, mais moi, je ne peux les blâmer puisque je suis passé par là. Si vous investissez votre propre argent, vous souhaitez obtenir un rendement.
Les gouvernements doivent examiner les possibilités de s'associer avec le secteur privé pour l'inciter à examiner les profits à faire dans la construction de logements autres que des logements haut de gamme. S'il est possible de faire de l'argent de cette façon grâce à une collaboration entre le secteur public et le secteur privé, les promoteurs s'y mettront.
Ce serait regrettable de s'attendre à ce que le gouvernement règle entièrement le problème par des projets de construction exclusivement gouvernementaux. Le gouvernement n'en a pas toujours pour son argent quand il construit des immeubles. Tous les moyens que nous prendrons pour encourager le secteur privé à s'engager, seront positifs, mais nous ne pouvons obliger le secteur privé à construire des logements abordables.
Le sénateur Mercer : Non, mais nous pouvons rendre la construction de tels logements plus attirante, comme nous l'avons déjà fait par des mesures incitatives.
Je reviens à vos commentaires sur l'aide sociale. On nous a dit, ce matin, que les taux d'aide sociale n'avaient pas beaucoup augmenté au Yukon depuis de nombreuses années, même s'ils ont connu une augmentation récemment, et que le salaire minimum vient d'être indexé, ce qui, je crois, est digne de mention. L'idée me plaît. Cependant, l'aide sociale n'a pas été indexée. Si nous comparons les montants de l'aide sociale et le coût des logements à Whitehorse en particulier, je constate que l'aide sociale ne permet même pas, et de loin, de payer un petit appartement d'une chambre à coucher, que ce soit dans le centre-ville de Whitehorse ou dans les collectivités où on trouve des logements locatifs.
Y a-t-il une possibilité que l'Assemblée législative du Yukon indexe les montants de l'aide sociale? C'est déjà difficile d'être pauvre, c'est encore plus difficile de s'appauvrir chaque année.
M. Mitchell : Je suis d'accord. D'abord et avant tout, les taux d'aide sociale n'ont pas, dans l'ensemble, augmenté depuis environ 15 ans. Ils n'ont toujours pas augmenté, même si le gouvernement a annoncé qu'il étudiait la structure de l'aide sociale et augmenterait les taux sous peu. Cependant, d'après ce que je sais, l'augmentation n'a pas encore eu lieu.
Ensuite, même s'il est vrai qu'une indexation de ces deux taux pourrait être utile, le simple fait d'indexer un taux actuellement inférieur aux normes qui ne permet pas aux gens de vivre dans la dignité n'a pas d'autres répercussions que de garantir que les gens demeurent dans ces conditions inférieures aux normes. À mesure que l'inflation augmentera, ils demeureront dans la même situation par rapport aux normes, mais ils ne seront pas plus en mesure de s'en sortir. Je crois que l'indexation n'est pas suffisante.
Pour ce qui est du salaire minimum, d'abord et avant tout, comme quelqu'un l'a fait remarquer, la réalité est la suivante : comme Whitehorse — et j'insiste sur le fait que je parle de Whitehorse, et pas nécessairement du Yukon en entier — connaît un taux de chômage relativement peu élevé à l'heure actuelle, certains employeurs ont de la difficulté à trouver des travailleurs, et très peu de personnes travaillent pour le salaire minimum, qui est de 8,58 $ l'heure.
Malgré tout, si vous travaillez dans une chaîne de restauration rapide ou dans l'industrie de services, où les emplois de débutant ne sont rémunérés que 10 $ ou 11 $ l'heure, je ne vois pas comment vous pourriez vous payer un logement. Disons que vous travaillez à temps plein, 40 heures par semaine. À un salaire de 10 $ l'heure, cela donne 400 $ par semaine. Vous recevez donc un salaire brut de 1 600 $ par mois, et votre salaire net atteint peut-être 1 200 $ ou 1 250 $. À Whitehorse, un logement moyen d'une chambre à coucher coûte 700 $. Supposons que vous pouvez vous permettre de vivre dans un appartement d'une chambre à coucher — vous êtes une jeune personne ou un étudiant qui vit seul — vous devriez pouvoir survivre. Cependant, si vous êtes une famille et que vous avez deux ou trois enfants, voire même une famille monoparentale, et que vous avez ce type d'emploi, vous devez payer les services de garde en plus du loyer, je ne vois pas comment vous pourriez vous payer un logement avec votre salaire, ni avec l'aide sociale.
Essentiellement, notre structure garantit qu'il y aura des gens pauvres. Les personnes qui reçoivent de l'aide sociale doivent gruger sur la partie destinée à la nourriture et aux autres dépenses pour payer leur logement parce que ce montant ne change pas et qu'elles ne peuvent rien y faire.
Il y a des exceptions. Le gouvernement vous dira qu'il y a toujours un financement d'urgence qui peut être offert si des personnes le réclament. J'aimerais faire remarquer qu'il est déjà assez difficile de dépendre de l'aide sociale sans avoir à vous humilier en venant défendre votre point de vue et expliquer pourquoi vous avez besoin d'une aide d'urgence supplémentaire. Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de gens qui souhaitent dépendre de l'aide sociale.
Il y a peut-être, en théorie, un filet de sécurité, mais les gens auxquels j'ai parlé m'ont dit qu'il ne fonctionne pas très bien, en pratique.
Le sénateur Mercer : Monsieur Becker, vous avez parlé du projet de loi C-2, actuellement à l'étude devant le Sénat, qui regroupe cinq autres projets de loi. S'il s'était agi de cinq projets de loi, je ne pense pas qu'ils auraient tous été adoptés. Cependant, comme ils ont aussi été regroupés en un même projet de loi, nous nous retrouvons, en quelque sorte, à avoir les mains liées, et je ne sais pas ce qui arrivera.
Cependant, vous savez à coup sûr que, présentement, le Comité des affaires juridiques et constitutionnelles du Sénat se réunit cette semaine à Ottawa pour examiner le projet de loi C-2 et entendre des témoins. Je ne peux pas vous dire ce qui se passe, parce que je ne suis pas à Ottawa, mais je voulais vous informer du fait qu'un examen est en cours.
Le sénateur Peterson : Monsieur Mitchell, vous avez mentionné les difficultés auxquelles le Yukon rural, qui est en régression, doit faire face. Le comité a entendu récemment, par conférence téléphonique, un Australien qui se spécialise dans la revitalisation des régions rurales et dans leur remise sur pied. Il disait que ce qu'il faut, d'abord et avant tout, c'est du leadership, une personne qui a une vision de ce que devrait être la collectivité, selon elle, dans dix ans. Cette personne semblait avoir obtenu des résultats étonnants. Il avait travaillé un peu partout en Asie du Sud-Est et en Australie. Je crois que la situation à laquelle nous faisons face est semblable. Nous pourrions décider de dresser une liste de tout ce que nous aimerions voir se produire, mais qui agira? Je crois qu'il vous faut du leadership, une personne, dans la collectivité, qui a une vision. Qu'en pensez-vous?
M. Mitchell : Je suis d'accord; nous avons besoin de leadership, particulièrement dans les régions rurales du Yukon. Il y a des leaders. Bon nombre de nos collectivités rurales sont essentiellement constituées de membres des Premières nations, et il y a des leaders autochtones très éloquents qui agissent au nom de leurs collectivités pour régler ces problèmes. Cependant, la tâche à accomplir est énorme. Ils sont aux prises avec des problèmes attribuables aux pensionnats, qui ont tendance à se perpétuer d'une génération à une autre, des problèmes de toxicomanie, ou avec le manque d'emplois véritablement rémunérateurs dans ces collectivités depuis un si grand nombre d'années. Tous ces facteurs ont créé une situation très délicate.
À l'heure actuelle, parce que le prix des minéraux dans le monde est très élevé depuis quelques années en raison de la demande en provenance de l'Asie du Sud et de l'Asie en tant que telle, et parce que le prix de l'or est élevé, l'exploration minière est très importante. Une mine a été ouverte et est en exploitation, et il s'agit d'emplois bien rémunérés. Si nous voulons profiter des emplois bien rémunérés, nous devons veiller à offrir des possibilités de formation pour que les habitants des collectivités en question aient accès à ces emplois.
Il y a environ un an, je revenais du Sud, où j'avais assisté à une conférence. J'étais assis à côté de deux jeunes hommes, dans un avion de notre transporteur local, Air North. J'ai commencé à discuter avec eux. L'un d'entre eux était un soudeur, et l'autre avait une autre spécialité, mais ils n'étaient jamais allés au Yukon. Ils avaient été embauchés à l'extérieur. Un autobus allait venir les chercher pour les emmener jusqu'à Carmacks, puis on allait les conduire de là jusqu'au site minier de Minto. Ils ne connaissaient rien du Yukon, mis à part que la paie semblait bonne. C'est bien, et nous favorisons certainement la migration interne et l'augmentation des gens de métier et des spécialistes techniques au Yukon, mais j'aimerais, comme bien d'autres, savoir que nous faisons tout en notre pouvoir pour nous assurer qu'un grand nombre de ces emplois bien rémunérés sont comblés par des personnes actuellement sous-employées au Yukon.
Je crois qu'il faut prévoir des programmes de formation, des fonds de fiducie pour la formation et d'autres mesures qui peuvent être prises en partenariat par le Canada et le territoire dans le but de fournir du financement pour s'assurer que les gens peuvent suivre une formation pour ces emplois. Il nous manque, en quelque sorte, une génération dans les mines actuellement. Parce que l'industrie minière a connu une baisse pendant longtemps, les gens se sont désintéressés de ces métiers et, maintenant, bon nombre d'entre eux ne possèdent pas les connaissances spécialisées qui leur permettraient d'accéder à ces nouveaux emplois bien rémunérés. Dans d'autres régions du Yukon, l'activité minière n'a pas encore repris suffisamment de terrain pour que de tels emplois soient offerts.
Le secteur minier sera toujours un secteur cyclique. Le cycle sera peut-être plus long que par le passé, mais il finira par se terminer. Il y a toujours, à un moment donné, une offre excédentaire qui entraîne une diminution des prix. J'aimerais qu'il y ait d'autres secteurs d'emploi à long terme, que ce soit le tourisme haut de gamme qui profiterait de nos belles régions sauvages, ou l'industrie des hautes technologies ou l'industrie du savoir. Pour tous ces emplois, le gouvernement fédéral et le gouvernement territorial seraient forcés de fournir du financement pour former les gens afin qu'ils aient accès à de meilleurs emplois.
Le sénateur Peterson : Vous avez parlé du logement abordable, dont nous discutons tous depuis des années. C'est, en quelque sorte, devenu un mot à la mode. Vous avez travaillé dans l'industrie immobilière, comme je l'ai fait aussi pendant un certain nombre d'années, dans une vie antérieure. Nous ne réussirons jamais à construire suffisamment de logements abordables pour répondre aux besoins des gens. Il faudra, je crois, un effort concerté des trois ordres de gouvernement — le fédéral, le provincial et le municipal. Ils devront s'asseoir ensemble, faire chacun leur part et trouver une façon de financer le logement abordable, et ils devront faire preuve d'innovation en proposant quelque chose comme une obligation exempte d'impôts pour que la structure puisse être mise sur pied puisque, vous le savez, c'est impossible, concrètement, de construire des logements à un coût suffisamment peu élevé qui correspond à la capacité de payer des gens.
M. Mitchell : Je crois que vous avez mis le doigt sur le problème, sénateur. Cela prendra un partenariat, et nous devrons aborder les choses sous un nouvel angle compte tenu de l'augmentation rapide des coûts de construction et du prix de détail des logements.
Je suis content d'avoir presque 60 ans et d'en être rendu à une autre étape. Ce doit être très difficile, aujourd'hui, d'être un jeune de 20 ans. Penseriez-vous être capable, un jour, d'acheter une maison? Quand j'ai commencé comme promoteur immobilier, l'acheteur devait faire un versement initial équivalant à 10 p. 100, mais la SCHL assurait les acheteurs d'une première maison afin qu'ils ne versent que 5 p. 100. Par la suite, la possibilité de ne verser que 5 p. 100 a été offerte à tous les acheteurs. À l'époque, un plafond qui variait selon la province ou le territoire était fixé. Il atteignait 175 000 $ au Yukon. Par la suite, ce plafond a été éliminé, et le versement initial exigé n'était plus que de 2,5 p. 100. Aujourd'hui, les gens peuvent pratiquement acheter une maison sans aucun versement initial; ils doivent simplement prouver qu'ils sont capables de payer les frais de clôture et d'assurer le service du prêt.
Nous voyons aussi apparaître des hypothèques de 30 et de 40 ans. Je dis parfois que les gens n'achètent plus leur maison, ils la louent. Quand il s'agit d'hypothèques de 40 ans, est-ce que nous ne nous approchons pas des hypothèques multigénérationnelles que l'on voit au Japon et en Angleterre?
J'ai quitté le marché il y a quelque deux ans et demi, mais il m'est arrivé de voir, avant que je ne quitte, des couples âgés de 23 ans qui achetaient une première maison de 250 000 $ sans aucun versement initial. Ils avaient tous les deux un emploi pour le gouvernement du Yukon, ce qui fait qu'ils étaient admissibles à un prêt, mais si les taux d'intérêt devaient augmenter de façon importante au moment du renouvellement, ou si l'un d'entre eux devait perdre son emploi au gouvernement, ils seraient incapables de rembourser le prêt.
Encore une fois, je crois qu'il faut penser à l'avenir et admettre que de plus en plus de gens auront de la difficulté à devenir propriétaires de leur maison. Les gouvernements devront envisager des façons inédites de régler ce problème.
Le sénateur Peterson : Monsieur Becker, j'ai beaucoup aimé votre exposé. J'ai aimé votre définition des œuvres de bienfaisance et de la justice sociale, et la distinction que vous établissez entre les deux. Comme nous le disons depuis des années, si le Canada central a besoin d'un appui financier sous la forme de subventions, on parle de stratégie industrielle novatrice, tandis que si l'Ouest, le Nord et la région de l'Atlantique a besoin d'un peu d'aide, on parle d'aide sociale. Il faudra prendre des mesures pour changer cette mentalité, parce qu'il y a bel et bien une distinction à faire.
En ce qui concerne le projet de loi sur la criminalité — le projet de loi C-2 — il va de soi que le fait d'avoir regroupé les cinq projets de loi rend la situation délicate. Malheureusement, ce sont les Premières nations qui en souffriront le plus, et les prisons seront pleines de membres des Premières nations. C'est honteux que ces projets de loi aient été regroupés au sein d'un seul projet de loi omnibus. C'est très grave, à mon avis.
M. Becker : Si je m'adressais à la Chambre des communes, j'aimerais dire qu'un manque d'intégrité intellectuelle est aussi contraire à l'éthique qu'un manque d'intégrité financière — se montrer si avare de raisonnement et faire preuve d'un anti-intellectualisme si fanatique à ce sujet, particulièrement se montrer insensible aux répercussions pour les Autochtones. Chez les femmes autochtones, le taux d'emprisonnement est 30 fois plus élevé que dans la population en général, et cela va à l'encontre des connaissances criminologiques dont on dispose. Venir aggraver une telle situation, c'est outrageant.
Je suis très déçu de voir que l'opposition participe à tout cela. Ce devrait être une question de principe, d'une certaine façon — surtout si l'on tient compte des grands pionniers de la justice qu'a connus le NPD, comme Agnes Macphail, et de l'histoire de ce parti — de refuser de s'éloigner autant des traditions constitutionnelles, qui visent le progrès et non la régression.
Le sénateur Mahovlich : Vous avez probablement une plus vaste expérience du logement abordable que moi. J'ai simplement lu sur le sujet, et de nombreuses personnes en abusent — des personnes qui ont les moyens de se payer un logement abordable en ont un qu'elles peuvent se payer, mais elles en profitent. Avez-vous déjà constaté cela? Comment feriez-vous pour réglementer la situation?
M. Mitchell : Je crois que ce sera toujours un problème. Je ne pense pas que le problème soit plus grave ici qu'ailleurs, par exemple dans la ville de Toronto.
Je vais vous donner quelques statistiques. Elles concernent le troisième trimestre et, dans certains cas, le quatrième trimestre de 2007. En décembre 2007, le taux d'inoccupation des logements à Whitehorse était de 2,8 p. 100, et un loyer coûtait en moyenne 700 $. Je pense que les 2,8 p. 100 étaient constitués essentiellement de logements en très mauvais état. En réalité, le taux est à peu près nul. En ce qui concerne les ventes pendant le troisième trimestre de 2007, le prix de vente moyen d'une maison à Whitehorse atteignait 297 400 $. Il s'agit d'une augmentation importante par rapport au troisième trimestre de 2006, puisque le prix moyen était alors de 255 100 $. Le prix de vente moyen a augmenté de 42 300 $, ou 16,6 p. 100, en une année. J'ai discuté avec des promoteurs immobiliers et je suis à peu près sûr que, quand on disposera des chiffres pour le quatrième trimestre, on constatera que le prix de vente moyen sera supérieur à 300 000 $.
Je crois que le montant versé par l'aide sociale pour un appartement d'une chambre à coucher est de 390 $. Déjà, il y a un écart entre ce que l'État verse aux prestataires de l'aide sociale et le loyer moyen. Il n'y a tout simplement pas de loyer disponible à ce prix. Quand je faisais du porte-à-porte, l'an dernier, j'ai rencontré une mère monoparentale qui vivait dans un très joli quartier, qui s'appelle Granger. C'est un quartier de la classe moyenne ou de la classe moyenne supérieure. Elle avait un appartement au sous-sol où elle vivait avec ses deux enfants. Elle n'avait pas d'emploi et recevait de l'aide sociale. Elle tentait de suivre des cours au Collège du Yukon pour améliorer ses compétences. Les cours sont donnés le soir. Le service d'autobus prend fin avant l'heure à laquelle elle doit se rendre à l'école et, certainement, avant l'heure à laquelle elle en revient. Elle n'avait pas les moyens d'avoir une voiture. Elle n'avait pas d'autres choix que de prendre le taxi pour se rendre à ses cours si elle voulait tenter de se sortir de la pauvreté.
Il s'agit de quelques situations concrètes que vivent des gens. Tout le monde dit : « Lève-toi et va suivre des cours. Le chômage est peu élevé; si tu ne travailles pas, ce n'est pas normal. » Mais les gens ne sont pas capables de subvenir aux besoins de leur famille avec ce type d'emploi de débutant. Et c'est parfois impossible pour eux de suivre la formation qui leur permettrait d'obtenir de meilleurs emplois.
La question des services de garde est aussi très importante parce que leur coût a connu une augmentation effarante au cours des dernières années, ce qui fait que les personnes qui sombrent dans la pauvreté ont encore plus de difficulté à en sortir. Quand les familles se dissolvent et deviennent des familles monoparentales, ce qui est fréquent de nos jours, les gens ont encore plus de difficulté à s'en sortir.
Le sénateur Mahovlich : Monsieur Becker, vous parliez de la pauvreté. Est-ce qu'il y a eu une époque où il n'y avait pas de pauvreté dans notre pays?
M. Becker : Je vous remercie de soulever ce point. Le concept des droits de la personne, et ce type de concepts idéologiques, supposent que la pauvreté est naturelle. Ce n'est toutefois pas ce que révèle l'histoire.
Le sénateur Mahovlich : Robert Service a écrit un poème. Il était pauvre.
M. Becker : Oui, mais c'était il y a 100 ans. Il y avait déjà eu 200 ans de commerce de la fourrure en Russie, et les répercussions très importantes de la colonisation et de l'industrialisation. Karl Polanyi était considéré comme un égal de John Kenneth Galbraith et de peut-être un ou deux autres économistes du XXe siècle, qui ont mis en évidence que la pauvreté n'existait pas — l'indigence personnelle en tant que tel n'existait pas puisque, quand il y avait de mauvaises récoltes ou des événements du genre, c'était des régions ou des pays en entier qui en souffraient. Non, il n'y avait pas de pauvreté individuelle, ni dans les sociétés indigènes, ni dans les sociétés européennes traditionnelles. Vous n'avez même pas à remonter jusqu'au Moyen Âge. C'est l'avantage de l'histoire anglaise, qui a été beaucoup mieux documentée, et qui compte beaucoup moins de lacunes, que l'histoire des pays du continent. Cela est bien connu là-bas.
Karl Polanyi l'appelle « la grande transformation ». De nombreux historiens de la culture connaissent aussi très bien ce phénomène. Le travail des enfants et les journées de travail de 18 heures n'existaient pas au début de l'industrialisation. Adam Smith n'a pas connu cela, à son époque. Sa compréhension des marchés était nettement différente de celle des intégristes du marché contemporains. En fait, c'est Karl Polanyi qui a ramené Adam Smith sur terre, puisque ce dernier avait une grande conscience sociale et a reconnu bon nombre de ces aspects.
Ce qui s'est passé, à la fin du XVIIIe siècle, avec l'enclosure des communaux, c'est que les gens ont perdu leur accès aux pâturages sous la menace des armes. C'est ce que le gouvernement britannique avait décidé de faire. Quand il n'y avait plus de poulets, de moutons, ou d'autres choses, la pauvreté extrême et l'incapacité de négocier des salaires et ce genre de choses ont fait leur apparition au début et au milieu du XIXe siècle, alors qu'elles étaient totalement absentes pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle, à une époque où la révolution industrielle était déjà bien entamée.
On peut suivre les événements à la trace. La pauvreté n'est pas naturelle. Elle n'existait pas à l'échelle des personnes, et il n'y avait pas un tel écart économique entre les riches et les pauvres. Cela n'existait pas.
La présidente : Merci, messieurs. Nous sommes très heureux que vous ayez tous deux pris le temps de venir nous rencontrer. Cela a été très agréable, et nous vous souhaitons bonne chance.
La séance est levée.