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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts

 

Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts

Fascicule 6 - Témoignages du 21 février 2008 - Séance de l'après-midi


IQALUIT, le jeudi 21 février 2008

Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts s'est réuni aujourd'hui à 13 h 59 pour examiner, en vue d'en faire rapport, la pauvreté rurale au Canada.

Le sénateur Joyce Fairbairn (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Chers collègues, nous reprenons nos délibérations. Nous accueillons deux témoins enthousiastes, qui ont préparé à notre intention un exposé. Au nom du comité, je vous remercie.

Rhoda Palluq, directrice exécutive, Conseil Qulliit de la condition féminine du Nunavut : Je vous remercie de cette occasion d'évoquer devant vous, en tant que représentante du Conseil Qulliit de la condition féminine du Nunavut, le problème de la pauvreté dans le Nord.

Les statistiques démontrent que le risque de pauvreté est particulièrement élevé chez les femmes. Selon les données chiffrées dont nous disposons, les jeunes femmes sont plus pauvres que les jeunes gens, les mères plus pauvres que les pères et les grands-mères plus pauvres que les grands-pères. Les causes et l'impact de la pauvreté, et la manière dont elle est ressentie, diffèrent souvent chez les hommes et les femmes, et cette différence est manifeste dans le Nord. C'est dire qu'on ne saurait se livrer à une analyse générale de la pauvreté dans le Nord, dans le but d'en atténuer les effets, si l'on ne tient pas compte de cette différence entre les deux sexes.

Cela dit, il est difficile de jauger l'étendue de la pauvreté chez les femmes du Nunavut car les statistiques nous font défaut et, souvent, ne distinguent pas entre les hommes et les femmes. Ajoutons que, les habitants de notre territoire étant relativement peu nombreux, Statistique Canada n'a, en matière de pauvreté, pas calculé de note standard pour le Nunavut. Il y a, par contre, d'autres moyens de quantifier la pauvreté au Nunavut.

D'abord, on peut tenir compte des indemnités de soutien du revenu, ces versements étant, pour les Nunavummiuts qui ne gagnent pas assez pour subvenir à leurs besoins élémentaires, la première ligne de protection sociale. Ainsi, d'après le ministère de l'Éducation du Nunavut, en 2005, 1 100 habitants d'une communauté de l'Île de Baffin bénéficiaient de soutiens au revenu. Or, selon le recensement de 2006, la population inuite du Nunavut s'élevait à 1 445 personnes. Cela veut dire que 76 p. 100 de la population de cette communauté a, en 2005, bénéficié à une époque ou à une autre d'indemnités de soutien au revenu. C'est assez stupéfiant.

On peut aussi se pencher sur les données relatives aux revenus. En 2005, le revenu médian des familles du Nunavut, après impôt, était supérieur de 7 p. 100 à la moyenne canadienne. Ces chiffres sont trompeurs cependant, étant donné la cherté de la vie au Nunavut. En effet, le ravitaillement et autres produits de première nécessité peuvent coûter plus du double de ce qu'ils coûtent dans le Sud. La cherté de la vie et le fait de ne pas pouvoir subvenir à ses besoins élémentaires peuvent être pris comme indice qualitatif de la pauvreté.

Selon une enquête menée par Statistique Canada en 2005, 56 p. 100 des personnes interrogées au Nunavut ont répondu qu'elles, ou un membre de leur ménage, n'avaient, au cours de l'année précédente, pas eu assez d'argent pour se nourrir comme elles auraient souhaité le faire, avaient craint de manquer de nourriture ou avaient, effectivement, manqué de nourriture.

Les femmes inuites étant souvent les principales pourvoyeuses de soins au sein de la famille, elles sont les premières à subir le contrecoup de l'insécurité alimentaire car, souvent, elles ont de nombreuses personnes à nourrir. Les femmes inuites commencent assez tôt à donner naissance et ont, en général, plus d'enfants que les femmes des Premières nations ou les femmes non autochtones. Les statistiques démontrent qu'au Nunavut, le revenu des familles ayant au moins deux enfants est inférieur à la moyenne nationale.

Les taux de pauvreté pour les familles monoparentales sont un autre exemple, dramatique, de la différence entre les sexes. En effet, on trouve un nombre disproportionné d'enfants vivant au sein de foyers monoparentaux dont le chef de famille est une femme. La précarité du revenu d'une mère nuit naturellement aux soins qu'il lui est possible d'apporter à ses enfants.

C'est dire que la pauvreté de l'enfance est étroitement liée à la pauvreté des femmes. Ajoutons que, souvent, et en particulier dans les petites communautés, les femmes ont beaucoup de mal à faire en sorte que leur ancien époux ou le père de leurs enfants respecte ses obligations alimentaires, la justice ne faisant pas aussi systématiquement que dans le sud du pays respecter le versement d'une allocation d'entretien.

Le degré de pauvreté d'une femme varie aussi beaucoup en fonction de sa situation au sein de la famille. Les données concernant les revenus familiaux supposent que ce revenu est également réparti entre tous les membres du ménage. Cette hypothèse quant au partage du revenu obscurcit parfois l'ampleur et la gravité de la pauvreté chez les femmes.

Il est intéressant de noter qu'au Nunavut, la plupart du temps, la femme est le principal soutien financier de la famille. Il est également fréquent qu'elle ait, dans une certaine mesure, à subvenir aux besoins de personnes hors de son cercle familial immédiat.

La différence entre les hommes et les femmes se manifeste également au niveau du logement. En effet, selon les statistiques dont nous disposons, les femmes ont plus de chances que les hommes d'avoir du mal à se payer un logement. Il est évident que les femmes risquent donc davantage de se retrouver sans abri. Étant donné le coût élevé de la construction, du chauffage et de l'éclairage, et du manque de logements abordables dans le Nord, le logement pose un véritable problème dans les communautés inuites.

Souvent, les familles vivent ensemble dans un même logement, d'où un risque de surpeuplement. Selon une enquête récemment menée par le gouvernement, plus de la moitié des Inuits vivent dans un logement surpeuplé. À Iqaluit, certaines habitations de trois chambres abritent jusqu'à 20 personnes. Une telle densité ne peut qu'aggraver certains problèmes sociaux, tels que la violence familiale, l'abus sexuel d'enfant, l'abus d'alcool ou d'autres drogues ainsi que divers problèmes de santé. Les problèmes de logement sont donc à la fois un facteur et un indice de pauvreté.

Le Conseil Qulliit de la condition féminine du Nunavut s'attache actuellement à atténuer ce phénomène de la clochardisation des femmes. À l'automne 2005, un projet de recherche panterritorial intitulé « A Study of Women's Homelessness North of 60 », a été lancé. Il s'agissait de se pencher sur le rôle que la différence entre les sexes, la violence, la pauvreté, l'accès au logement et l'existence de services communautaires jouent dans l'itinérance des femmes. J'ai apporté, pour ceux d'entre vous que cela intéresserait, plusieurs exemplaires de The Little Voices of Nunavut : A Study of Women's Homelessness North of 60, le rapport rédigé à l'issu du projet.

Une des principales conclusions de ce rapport est que tout un pan de la population féminine du Nunavut est exposé au risque de clochardisation. Ce risque existe pour les personnes au chômage qui ne disposent pas de logement subventionné et qui ne gagnent pas assez pour se payer un loyer normal, et aussi pour les employés du gouvernement du Nunavut qui occupent un logement de fonction, mais à titre précaire. Plusieurs traits caractéristiques de la vie dans le Nord se combinent pour créer un faisceau complexe de facteurs contribuant, ou entretenant les diverses formes d'itinérance. Citons, parmi ces traits caractéristiques, la dureté du climat, la cherté de la vie, la rareté des emplois et des logements, surtout dans les petites communautés, la prévalence de problèmes sociaux tels que l'assuétude, la violence familiale et la dépendance d'une génération à l'autre par rapport aux prestations de soutien au revenu.

Ce qui est particulièrement manifeste dans les communautés nordiques, c'est l'errance, relative ou cachée, des femmes, c'est-à-dire le fait, pour les femmes, de vivre dans un lieu qui ne répond pas aux normes élémentaires de santé ou de sécurité, n'ayant pas d'autre abri et se voyant tenues d'échanger des relations sexuelles contre un petit bout de logement, ou étant contraintes de vivre au sein de ménages où elles sont exposées à la violence et aux conflits familiaux.

Les femmes ont plus de chances que les hommes d'être chefs de famille monoparentale, d'occuper un emploi précaire et mal payé, ou d'avoir un revenu relativement faible avec lequel elles doivent pourtant pourvoir à l'entretien de toute une famille. Elles risquent davantage de faire l'objet de violence familiale, ce qui, dans l'hypothèse où la femme se décide enfin à fuir, l'expose, là encore, à l'itinérance. Les femmes, plus que les hommes, risquent de se retrouver sans abri. Le rapport montre bien l'incidence que ces diverses difficultés ont sur la pauvreté des femmes du Nunavut. Le fait de se retrouver sans logement est manifestement un indice de pauvreté.

Je dirais, afin de résumer la situation, que, dans le Nord, la pauvreté est à l'origine de tout un éventail de problèmes sociaux tels qu'un taux de chômage élevé, l'abus de drogues et d'alcool, la fréquence des violences familiales — de tout le Canada, c'est en effet dans ce territoire que l'on trouve la plus forte incidence de violence familiale — la médiocrité du logement et des conditions de vie telles que le surpeuplement des habitations, le risque de se retrouver sans abri et la cherté d'une saine alimentation dans les communautés éloignées.

Pour les femmes, les divers facteurs de risque viennent s'ajouter aux responsabilités envers les enfants. Il est fréquent, en effet, que la femme soit le seul soutien financier de la famille. L'écart salarial au détriment des femmes, l'insuffisance des garderies et les conflits entre les responsabilités incombant à une femme en tant que parent et ses obligations en tant que travailleuse, sont autant de facteurs qui, là encore, aggravent les risques de dénuement.

Les statistiques et autres indices de pauvreté nous permettent de mieux comprendre à la fois l'étendue et les contrecoups de la pauvreté pour les femmes du Nunavut. À cela, cependant, il faut ajouter l'expérience vécue des femmes qui, seule, permet de saisir cette réalité. Les voix de celles qui sont les plus directement intéressées à tout cela importent et aucune discussion de la pauvreté et de l'errance ne peut en faire l'économie. C'est pourquoi notre rapport territorial sur les femmes et l'itinérance s'appelle The Little Voices of Nunavut.

Voici quelques témoignages directs sur la pauvreté et l'errance et la vulnérabilité des femmes au regard de ce double péril :

Chez nous, j'étais gardienne d'enfants et lorsque j'ai emménagé avec la famille, j'ai renoncé à mon logement. J'ai cru bien faire, j'ai pensé que cela me donnerait un revenu stable. Mais, après quelques temps, le travail n'allait plus. Je suis partie sans savoir où aller.

Je vis avec mes parents. Nous sommes cinq dans un logement d'une Chambre. Il est très difficile de tenter de faire vivre toute ma famille.

Il n'y a aucun service qui puisse nous venir en aide. Les enfants ont toujours faim. Il faudrait des banques alimentaires. La pénurie de logements fait que de plus en plus d'enfants sont placés dans des familles d'accueil ou dans des foyers. Cela entraîne des dépressions, de la violence familiale, l'éclatement des familles, le recours à l'alcool, aux drogues.

Les hommes, eux, n'ont pas à s'occuper des enfants. Les enfants, en effet, se trouvent avec les femmes. Les femmes s'habituent à être contrôlées et, en outre, perdent parfois leurs enfants faute de logement. Mon mari, par exemple, ne veut même pas contribuer à l'achat de lait ou de couches.

J'avais été relogée, mais, ayant du mal à régler certaines factures, j'ai été mise à la porte. Les impayés ne tardent pas à prendre des proportions extrêmes. J'ai pris tellement de retard que je ne me rattraperai jamais. Tout le monde finit par avoir à demander l'aide de sa famille. Cela arrive à tellement de monde maintenant que les gens finissent par s'entasser dans un même logement. Ce surpeuplement mène à l'alcool et aux drogues.

Ces propos ont été recueillis lors de réunions avec des sans-abri.

Mesdames et messieurs, j'espère être parvenue à montrer que si la société souhaite atténuer la pauvreté, il lui faut s'attacher à mieux comprendre les différences dans la manière dont la pauvreté touche les hommes et les femmes. J'espère que ces audiences de votre comité permanent contribueront à une meilleure compréhension des traits qui caractérisent en particulier la pauvreté des femmes tant au niveau des causes qu'au niveau des conséquences. J'espère en outre que cela permettra de définir des stratégies mieux adaptées aux besoins particuliers des femmes et aux causes spécifiques de la pauvreté et que cela permettra d'améliorer au Nunavut leur existence et celle de leurs familles.

Qujannamiik.

Janelle Budgell, coordonnatrice en bien-être, Ville d'Iqaluit : Bonjour, mesdames et messieurs, membres du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

Sachant que j'allais prendre la parole au cours de cette séance, je me suis, à plusieurs reprises, assise à mon bureau afin de décider de ce que je devrais vous dire et de la manière de vous le présenter. J'ai finalement renoncé à faire part de tous ces chiffres et de ces rapports sur divers aspects de la pauvreté dans le Nord. Je savais que ces données avaient déjà été portées à votre attention par le biais des rapports tels que The Little Voices of Nunavut, et le Rapport annuel sur la situation de la culture et de la société inuites, préparé par Nunavut Tunngavik Incorporated (NTI).

J'ai décidé d'insister, dans le cadre de mon exposé, sur les effets de la pauvreté sur la communauté prise dans son ensemble, plutôt que sur les individus qui la composent.

En effet, la pauvreté affecte la communauté dans son ensemble, puisqu'il porte atteinte à son équilibre, aux services qui sont assurés et, en fin de compte, à l'esprit même de la communauté. Plusieurs facteurs font que la pauvreté au Nunavut est très différente de celle que l'on constate dans d'autres communautés, dans d'autres provinces ou dans d'autres pays. Le Nord a connu un fort accroissement démographique, en plus duquel nous devons faire face à la cherté de la vie, à une forte incidence de problèmes sociaux, à une rareté relative des emplois, à l'accumulation des dettes auprès des régies locales d'habitation et, en plus, d'une grande pénurie de logements.

La pauvreté, au départ, ce peut être une personne qui a du mal à faire face à certains problèmes de santé mentale, à certaines assuétudes ou incapacités physiques. Ou bien, il peut tout simplement s'agir d'une travailleuse économiquement faible qui ne gagne pas assez pour subvenir à ses besoins. Ces divers problèmes ne se limitent naturellement pas à l'individu, mais affectent également son conjoint et le reste de sa famille.

À l'heure actuelle, la grande majorité des Inuits vivent dans des logements surpeuplés, car ceux qui ne peuvent pas trouver autrement à se loger ont recours à la solidarité de leurs familles et de leurs amis. Ces situations précaires sont source de tensions et de conflits entre membres de la famille et affectent la santé physique et mentale de chacun.

C'est ainsi qu'un problème, individuel au départ, devient un problème familial, puis un problème social affectant plusieurs familles, voire la communauté tout entière. On constate aisément à Iqualuit les problèmes que la pauvreté crée pour une communauté déjà en butte à bon nombre de difficultés.

Nous savons que le dénuement est quelque chose qui affecte la communauté dans son ensemble, et c'est donc en tant que communauté qu'il nous faut trouver les moyens d'atténuer, voire d'éliminer la pauvreté.

Depuis 1996, le Comité Niksiit, sous-comité du Conseil municipal, a, à plusieurs reprises, essayé de cerner, de manière plus précise, la nature et l'étendue de la pauvreté et de l'itinérance dans notre communauté. En 2006, le comité a commandé la rédaction d'un rapport sur la base duquel seraient fixées les priorités pour les quatre à cinq prochaines années. Mais, les financements que nous accorde le gouvernement fédéral ne suffisent pas pour mener à bien les programmes prévus, et ne nous permettent pas de nous en tenir aux priorités que nous avons fixées. Ces financements soutiennent l'action d'organisations communautaires telles que le Centre Tukisigiarvik, l'abri Oqota et la soupe populaire.

À l'instant même, l'Armée du Salut se réunit pour décider si elle va pouvoir poursuivre ses activités, compte tenu de la minceur des crédits que lui accorde le gouvernement. Elle va peut-être devoir se retirer de notre communauté, avec toutes les conséquences que cela risque d'entraîner pour nous. Il nous faudra alors tout reprendre à zéro, dans cette communauté qui, déjà, ne dispose pas de services d'urgence à l'intention des femmes sans abri, et qui risque maintenant de se retrouver dans la même situation pour les hommes. Le même risque se pose pour la société Tukisigiarvik. Comment nous développer, et nous attaquer aux autres problèmes auxquels donne lieu la pauvreté, lorsqu'on ne peut pas être sûr de recevoir les crédits permettant de poursuivre les projets déjà mis en place?

Nous avons, en tant que communauté, beaucoup appris. En matière de pauvreté, les solutions doivent émaner à la fois de la communauté dans son ensemble et de ses membres pris individuellement. Si, pour être efficaces, les mesures prises en ce domaine doivent en effet émaner de la communauté, une telle approche communautaire ne peut pas se contenter d'un financement à court terme ou de subventions simplement proportionnelles au nombre d'habitants, car de tels calculs ne correspondent aucunement aux véritables besoins des populations du Nord, leur insuffisance étant due à un gros écart de prix.

Il conviendrait également d'accroître la déduction fiscale pour les habitants du Nord car cette déduction ne tient actuellement pas compte de la cherté de la vie et des poussées inflationnistes. La mise en place d'un programme de supplément au loyer ferait beaucoup pour les personnes à risque et les individus sans abri. Il faudrait en outre dégager davantage de crédits pour construire des habitations à prix modique, étant donné qu'actuellement, il est quasiment impossible de faire la transition entre l'abri d'urgence et une existence autonome.

Je tiens simplement, pour conclure, à dire que nous sommes assez bien parvenus à cerner le phénomène de la pauvreté dans le Nord et que nous sommes actuellement en train de préciser les mesures qui, compte tenu des ressources limitées dont nous disposons, nous permettraient de mieux y faire face. Nous sommes, en tant que communauté, convenus des programmes et des services qu'il nous faudrait pouvoir mettre en place, mais nous avons besoin de l'aide du gouvernement fédéral et nous avons surtout besoin qu'il conclue avec nous des ententes pluriannuelles permettant de maintenir les programmes actuellement en place et d'instaurer de nouveaux programmes adaptés à la pauvreté dans notre communauté.

Merci de m'avoir écoutée. J'espère que les renseignements dont j'ai fait état vous ont permis de mieux saisir l'ampleur de la pauvreté dans notre région et l'impact de ce phénomène sur l'ensemble de la communauté.

Qujannamiik.

Paul Aarulaaq Quassa, maire, ville d'Igloolik : Igloolik ne compte que 1 600 personnes, mais c'est quand même une communauté assez grande par rapport aux autres communautés du Nunavut.

J'ai cru comprendre que votre comité entend se pencher sur quatre aspects de la pauvreté rurale. Je n'effectuerai aucune comparaison entre le Canada et les autres pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), à cet égard, mais j'aimerais évaluer les communautés du Nunavut au niveau des trois autres domaines qui retiennent actuellement votre intérêt.

En réponse à la question concernant l'ampleur de la pauvreté au Nunavut, je réponds que le taux de chômage effectif varie entre 9,8 et 46,8 p. 100, selon la communauté en cause. À Igloolik, le taux de chômage est actuellement de 37,3 p. 100. Il est clair qu'il s'agit là de taux sensiblement plus élevés que la moyenne nationale.

J'ajoute que le revenu moyen par ménage se situe entre 30 114 $ et 54 997 $ par an, sauf à Iqaluit, où la moyenne est de 69 650 $, ce qui s'explique par le fait qu'il s'agit de la capitale. À Igloolik les ménages n'ont un revenu annuel moyen que de 35 904 $, ce qui est faible, étant donné que notre communauté est, au Nunavut, la cinquième en importance en plus d'être une des communautés décentralisées du territoire.

Avec un taux de chômage aussi élevé, et un revenu moyen aussi faible, on comprend que, compte tenu de la cherté de la vie au Nunavut, il y ait tant de pauvreté.

Quant à la question de savoir quels sont les facteurs essentiels de la pauvreté et du manque de perspectives au Nunavut, il faut, je pense, rappeler six facteurs qui caractérisent la plupart des communautés du territoire : d'abord, un faible niveau d'instruction et de formation; puis, ainsi que nous l'avons vu, un taux de chômage très élevé; troisièmement, la cherté de la vie, notamment de l'alimentation, et les coûts élevés de prestation de la plupart des services et programmes en raison des frais de transport; quatrièmement, une infrastructure vétuste et insuffisante, voire inexistante et qui ne permet donc guère de soutenir le développement économique et communautaire; cinquièmement, la pénurie de logements et, sixièmement, ainsi que nous le savons tous, le fait que les Nunavutmmiuts éprouvent actuellement des changements rapides et radicaux au niveau de la culture et du mode de vie. Cela, en effet, est à l'origine de grands problèmes sociaux.

Nous avons vu tout à l'heure que les logements surpeuplés sont source de stress et d'autres problèmes de santé et empêchent, par exemple, les élèves de trouver un coin tranquille pour faire leurs devoirs.

En ce qui concerne les recommandations en vue d'atténuer la pauvreté au Nunavut, je dois dire que toutes sortes de recommandations pourraient être formulées afin d'y améliorer la qualité de la vie, mais qu'en définitive, ce qu'il nous faudrait, c'est simplement davantage d'investissements dans le Nord. J'entends bien par là d'investissements dans des secteurs très divers, tels que l'éducation, le développement des infrastructures, la santé, le logement, et le développement économique.

Rappelons, cependant, que beaucoup de gens estiment qu'on peut difficilement justifier l'augmentation des investissements au Nunavut, étant donné le petit nombre d'habitants. Précisons, cependant, qu'une très forte proportion de l'argent investi dans le Nord rentre au Sud et contribue donc à son économie étant donné que le Nord dépend en grande partie de biens et services en provenance du Sud.

Cela étant, permettez-moi, en guise de conclusion, de dire que l'augmentation des investissements au Nunavut afin de réduire la pauvreté aura pour effet non seulement d'améliorer la situation au Nunavut, mais également d'améliorer l'économie de l'ensemble du pays. C'est dire qu'à cet égard le Sud et le Nord ne devraient pas se faire concurrence mais travailler la main dans la main.

Je tiens à dire, pour terminer, que tous les jours, dans ma communauté, on entend à la radio locale des personnes qui ont faim et qui tentent de vendre telle ou telle chose leur appartenant afin de réunir de quoi nourrir leurs enfants. Chez nous, on voit ça tous les jours et c'est sans doute vrai aussi des autres communautés. Les gens passent à la radio pour lancer un appel, demandant de quoi nourrir leurs enfants afin qu'ils puissent se rendre à l'école.

Voilà comme les choses se passent au Nunavut et dans ma communauté.

Merci de m'avoir donné cette occasion de prendre la parole devant votre comité.

Qujannamiik.

La présidente : Je vous remercie. Je commence par passer la parole au sénateur Adams.

Le sénateur Adams : Qujannamiik.

Comme vous le dites dans votre rapport, si certains trouvent un emploi, surtout pendant l'été, dans la construction, certains n'ont ni emploi, ni le degré d'instruction nécessaire pour en obtenir un. La plupart touchent, depuis un certain temps déjà, le bien-être social et sont logés dans un foyer. Parfois, les travailleurs sociaux se rendent compte qu'en fait, ils ont un emploi et il leur faut alors rembourser les prestations sociales qui leur ont été versées. Ils doivent préciser le montant de leur salaire mensuel, et 25 p. 100 de ce salaire est retenu pour rembourser les prestations sociales et le loyer.

C'est comme ça que le système fonctionne ici. Il est difficile de trouver ici des travailleurs non qualifiés pour faire certains travaux et plusieurs personnes m'ont parlé de cela. C'est pourquoi, parfois, certains envisagent simplement de rentrer dans leur communauté et de s'inscrire au bien-être social. Les choses se passent encore comme cela au Nunavut. Je voudrais que cela change. Comme ça, les gens auront peut-être plus de chances de se trouver un emploi, surtout ici au Nunavut où, l'été, on construit des logements.

Comme l'a rappelé M. Quassa, cette question a fait l'objet d'une étude à l'époque où Allan Rock était ministre de l'Industrie. Les personnes qui venaient travailler ici l'été, envoyaient 70 p. 100 de leurs gains dans le sud. C'est tout à fait regrettable car l'idée serait d'augmenter le nombre d'emplois afin que l'argent versé en salaires soit dépensé ici.

Avec le gouvernement territorial, quelqu'un peut généralement se trouver un emploi dans la construction. Celui qui veut être électricien, menuisier, plombier ou autre homme de métier, n'a qu'à indiquer le nombre d'heures qu'il a déjà effectuées dans cette spécialité. Si, à l'avenir, il s'inscrit à un programme d'apprentissage, on tiendra compte des heures qu'il a déjà effectuées dans ce métier. Je ne sais pas si le Nunavut a mis en place ce genre de programme, mais je pense que ce serait une très bonne chose, surtout pour un Inuk qui souhaite travailler dans la menuiserie, l'entretien ou la construction, ou qui souhaite devenir électricien ou plombier.

Il faudrait prévoir ce genre de mesures, surtout pour les gens qui travaillent dans la construction, les entrepreneurs, et cetera. Dans certaines communautés, on trouve surtout des travailleurs autochtones, soit comme mécaniciens soit comme conducteurs d'engins lourds et c'est ce qui commence à se passer avec les sociétés de logement. C'est-à-dire que les électriciens, les plombiers et autres corps de métier sont tous recrutés localement. S'ils travaillent pour une entreprise venue de l'extérieur, il faut que le projet soit complété avant la fin de l'été. Cela exige qu'ils travaillent presque 24 heures par jour, sept jours par semaine. Il est parfois difficile de trouver des travailleurs l'été, étant donné que les familles souhaitent alors faire de longues expéditions de chasse. L'entreprise leur dit alors qu'ils doivent travailler sept jours par semaine et ceux qui ne veulent pas seront renvoyés.

Voilà un peu ce qui se passe ici dans le Nord. Il conviendrait donc de changer de politique.

[Le sénateur Adams s'est exprimé en inuktitut.]

J'ai pris l'habitude de donner aux membres de notre comité un petit aperçu historique du Nunavut. En 1993, M. Quassa s'est entretenu avec le premier ministre Mulroney au sujet de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.

[Le sénateur Adams s'est exprimé inuktitut.]

M. Quassa : C'est tellement vrai que si, effectivement, le taux de chômage est très élevé dans notre communauté, ça n'y change rien si une autre entreprise arrive du sud pour effectuer des travaux mais n'engage pas de personnel local. Il est clair que cela affecte notre communauté.

Dans la plupart des communautés, comme à Igloolik, au moins 60 p. 100 de la population a moins de 25 ans. En effet, dans la plupart de nos communautés, la population est assez jeune et il est vraiment triste de voir, du moins dans notre communauté à nous, mais je suis sûr que cela se produit également ailleurs, que, pour diverses raisons, nos jeunes ne travaillent pas.

S'ils habitent des logements sociaux et qu'ils trouvent un emploi, leur loyer augmente radicalement. Donc, pour éviter ces loyers trop chers, beaucoup de nos jeunes choisissent de ne pas travailler. Ils pourraient travailler, mais préfèrent toucher un supplément de revenu.

Il y a donc ces divers facteurs qui contribuent au chômage très élevé de jeunes qui pourraient travailler mais qui préfèrent toucher la prestation de soutien du revenu, compte tenu des loyers, de la pénurie de logements et de la manière dont fonctionne le système. C'est triste de voir cela. Je m'empresse d'ajouter par contre, qu'à l'heure actuelle, il n'y a presque pas de travail dans nos communautés.

C'est comme ça au Nunavut.

Mme Budgell : Mais, parfois, le travail va lui-même créer des problèmes. Je ne sais pas si vous êtes au courant du projet de Mary River. Beaucoup d'habitants de notre communauté y travaillent. Ils vont y passer quatre semaines, puis reviennent chez eux pour deux semaines. Mais il y a une telle pénurie de logements au Nunavut, et particulièrement à Iqaluit, que ces personnes qui reviennent en congé, ne trouvent pas à se loger car leur séjour est trop bref. Étant donné la pénurie de logements, ils se retrouvent dans des abris d'urgence. Ils ont un travail, mais ne trouvent pas à se loger.

C'est dire que le travail contribue parfois lui-même à l'itinérance puisque ces personnes n'ont besoin que d'un logement pour deux semaines.

Le sénateur Peterson : Monsieur Quassa, quel est le pourcentage de la population qui parvient encore à se nourrir de ce qu'il pêche et de ce qu'il chasse?

M. Quassa : Tout Inuk valide est un chasseur. Je travaille moi-même à temps plein dans un bureau, mais je reste néanmoins un chasseur. Environ la moitié de la population continue à chasser.

Parfois, cependant, on a du mal à trouver du gibier, en raison des changements climatiques. Ainsi, par exemple, à Igloolik, les chasseurs qui veulent aller à la chasse au caribou sur l'île de Baffin, ne le peuvent pas en raison des effets du réchauffement climatique sur les glaces. On a donc beaucoup moins accès qu'avant à la nourriture traditionnelle. Je le répète, cependant, tout Inuk valide est chasseur, qu'il chasse à plein temps ou qu'il chasse à ses moments perdus. Le nombre de chasseurs à plein temps est néanmoins assez réduit.

Le sénateur Peterson : Je voudrais reparler de ces personnes qui occupent un logement au titre de certaines prestations sociales et qui, dès qu'ils se trouvent un emploi, perdent leur droit à ce logement et ainsi de suite. Avez-vous envisagé de fixer un certain seuil de revenu que les gens pourraient atteindre d'avoir à renoncer à certains avantages sociaux? Sans cela, bien sûr, pourquoi aller travailler si cela veut dire qu'il va falloir renoncer aux divers avantages dont on bénéficiait jusque-là?

M. Quassa : C'est exact. Actuellement, dans le cadre des associations de logement, du moins à Igloolik, il faut verser, pour le loyer, 25 p. 100, de son salaire. C'est le taux actuellement en vigueur.

Si l'on ajoute à cela, la cherté de la vie et le prix de l'alimentation dans les magasins, il faut dire qu'il ne reste presque rien au salarié. C'est pour cela que beaucoup de nos jeunes sont au chômage. Ils sont capables de travailler, mais sont tentés d'y renoncer étant donné les conséquences financières.

Le sénateur Peterson : Qui a fixé cette règle du 25 p. 100?

M. Quassa : La Société d'habitation du Nunavut coordonne l'action de toutes les associations d'habitation du Nunavut et c'est donc elle qui a fixé ces limites.

Le sénateur Peterson : Je pensais un moment qu'elles émanaient d'Ottawa et que les responsables n'avaient peut-être pas saisi la réalité sur le terrain. Mais, si cette règle va à l'encontre du but recherché, pourquoi ne pas la changer?

M. Quassa : Nous essayons depuis longtemps d'en convaincre le gouvernement territorial.

Le sénateur Mercer : C'est, je pense, le sens de ce que Bill Riddell nous disait ce matin. M. Quassa, n'êtes-vous pas d'accord, cependant, qu'il faut tout de même que les gens qui travaillent paient plus que ceux qui sont sans emploi? Cela dit, il est clair qu'il ne faut pas que cela porte les gens à opter pour le chômage. Il faut, au contraire, encourager la recherche d'un emploi mais, en même temps, il faut que les personnes qui travaillent acceptent de payer un peu plus afin d'aider à résoudre la crise du logement. Êtes-vous d'accord?

M. Quassa : Oui, si les prix de l'alimentation étaient plus bas, je pense que cette solution serait la bonne, mais les aliments achetés dans les magasins coûtent tellement cher, surtout en dehors d'Iqaluit. Il faut, en effet, ajouter les coûts de transport, et cetera, et il est donc parfois très difficile d'y arriver.

Le sénateur Mercer : Dans votre propre communauté, ainsi que dans des communautés plus petites du Nunavut, les gens disposent-ils d'Internet à haut débit? Nous avons pu constater que dans les Territoires du Nord-Ouest, tout le monde à accès à Internet à haut débit. Est-ce vrai du Nunavut?

M. Quassa : Oui.

Le sénateur Mercer : Cela devrait tout de même faciliter l'éducation à distance et le travail décentralisé. Il y aurait peut-être lieu d'étudier les possibilités.

Madame Palluq, j'aimerais revenir sur ce que vous disiez tout à l'heure. Cela me fait penser à un exposé qui nous a été présenté, il y a quelques jours, à Whitehorse ou à Yellowknife. Ça ne fait que quelques jours en effet, même si on a l'impression que ça fait plus longtemps. Une jeune femme nous décrivait sa vie dans une petite communauté où, se trouvant prise dans une relation abusive, elle avait demandé de l'aide. En raison de la petite taille de cette communauté et, aussi peut-être des liens existants entre certains de ses membres et celui à qui l'on reprochait ces abus, la communauté a eu tendance à prendre son parti à lui plutôt qu'à la défendre. Elle a appelé cela « mentalité de bloc ». Je vais m'assurer que cette expression est reprise dans le cadre de notre rapport. C'est pour moi quelque chose de nouveau, un phénomène qu'on ne trouve que dans les petites communautés.

Cela se produit-il aussi au Nunavut, dans les petites communautés?

Mme Palluq : Oui, dans les petites communautés, où beaucoup de gens sont apparentés, il est fréquent qu'une femme qui aurait pourtant besoin d'aide soit dissuadée d'y avoir recours. Elles peuvent demander conseil à leur famille ou à des amis, mais elles ne peuvent pas nécessairement s'adresser à la personne la mieux à même d'intervenir étant donné que cette personne peut être liée au conjoint, conjoint de fait ou copain. C'est effectivement un problème dans les petites communautés.

Le sénateur Mercer : Comme je l'ai fait ailleurs, je tenais également à rappeler, aux fins du compte rendu, la mention que vous avez faite du rapport, The Little Voices of Nunavut : A Study of Women's Homelessness Nord of 60. Je tiens à attirer sur ce rapport l'attention du comité afin que nous puissions, dans notre propre rapport, en citer les recommandations.

On y trouve, à la page 119, 14 recommandations, dont la plupart concernent le logement, mais dont certaines ont trait à d'autres problèmes qui doivent, me semble-t-il, également retenir notre attention.

Voilà qui est fait, mais nous nous trouvons dans une situation un peu impossible puisque nous souhaitons construire des logements, alors qu'en même temps, nous constatons que des gens vont être mis à la porte en raison de l'augmentation des loyers.

Madame Budgell, vous avez proposé, tout à l'heure, la modification des règles concernant la déduction fiscale pour les habitants du Nord. À quand remontent les dernières modifications? Le savez-vous?

Mme Budgell : J'en parlais avec Elisapee Sheutiapik, maire d'Iqaluit, ainsi qu'avec le principal fonctionnaire administratif de la municipalité et ils n'ont pu, ni l'un ni l'autre me préciser la date. Ils l'ont cherchée, pourtant. Le maire ne se souvient pas d'une époque où cette déduction, actuellement de 7,50 $ par jour, aurait été différente. Le coût de la vie continue à grimper mais l'allocation de subsistance demeure la même. J'aimerais pouvoir vous préciser cette date, mais je l'ignore. Le maire a vécu ici toute sa vie, et cela nous donne une idée de la période en cause.

Le sénateur Mercer : Si nous connaissions l'âge du maire, cela nous donnerait une idée plus précise encore.

Ce problème a été évoqué devant nous dans toutes les régions du Nord, à Yellowknife et à Whitehorse également. Je pense que le problème est plus grave ici, mais il se pose de manière générale.

En effet, on se heurte partout à ce problème du logement. Cela dit, nous avons reçu une réponse différente aujourd'hui, lorsque nous avons demandé quel serait le genre de logements qu'il conviendrait de construire.

Je viens moi-même de Halifax, ville de taille moyenne et j'ai donc l'habitude du style d'habitation qui est traditionnelle dans le sud. Si nous voulons résoudre le problème du logement dans le Nord, je pense qu'on doit s'écarter du modèle du petit pavillon de trois Chambres ou du petit bloc appartement de trois étages.

Quel serait, selon vous, le genre d'habitation dont le gouvernement devrait favoriser la construction?

Mme Budgell : La question a déjà été posée dans le cadre des consultations que nous avons menées au sein de la communauté. Je suis donc en mesure de vous dire quel serait, selon les habitants, le type de logement le plus adapté à nos besoins.

Il s'agirait du « nouveau modèle de maison à cinq logements de deux chambres. Cette maison à cinq logements est d'un bon rendement énergétique et incorpore en outre divers aspects adaptés à notre culture, y compris une excellente isolation, deux portes d'accès et un coin se prêtant à la préparation et à la conservation de notre nourriture traditionnelle ».

Le sénateur Mercer : Je vous remercie de cette réponse précise à une question précise. Il est bon que cela puisse être consigné dans le compte rendu. Avons-nous une copie de ce rapport?

Mme Budgell : C'est tiré d'un document intitulé Trust Delivery Strategy, de la Société d'habitation du Nunavut.

Le sénateur Mercer : Pourrions-nous en avoir une copie pour nos dossiers?

Mme Budgell : Ne voudriez-vous pas également une copie du Report on the Public Consultations on Social Issues and Wellness in Iqaluit, le rapport annuel. Il fait part des opinions de la majorité de la population de cette communauté et, à ce titre, est un document important.

Le sénateur Mercer : Je pense que ce document a été évoqué plus tôt aujourd'hui, mais sans entrer dans le détail. Ce serait bon d'en avoir une copie.

Le sénateur Mahovlich : Madame Budgell, puis-je vous demander, puisque vous avez la parole, si, dans le Nord, une femme a plus de difficultés qu'un homme à poursuivre ses études? Est-il plus difficile pour elle de s'instruire que, disons, pour un jeune homme?

Mme Budgell : La question mérite d'être posée.

Selon le rapport du Conseil de la condition féminine, les femmes qui poursuivent leurs études se voient accorder un logement pendant les huit mois de leur scolarité mais, à la fin de ces huit mois, c'est-à-dire pendant les quatre mois de vacances, elles n'ont plus de logement jusqu'à la reprise des cours en septembre.

Cela est, bien sûr, source de grandes difficultés, car on voit mal comment une femme pourrait décider de reprendre ces études si elle n'est pas assurée d'un logement pour l'année?

La situation s'aggrave si son couple s'est dissociée et qu'elle a des enfants, étant donné qu'elle risque de se retrouver sans logement dans huit mois.

Il y a, dans le Nord, plusieurs facteurs qui font obstacle à l'éducation des femmes et qui contribuent à leur itinérance. On constate une carence des aides qui permettraient aux femmes de poursuivre leurs études. Je suis heureuse d'avoir l'occasion de le rappeler.

Le sénateur Mahovlich : Monsieur Quassa, quelle est la situation de votre région au niveau du tourisme? S'améliore- t-elle? Je sais que les Américains aiment venir dans le Nord pour la chasse et la pêche. Parvient-on, comme à Whitehorse et à Yellowknife, à attirer les Américains qui souhaitent venir chasser et pêcher? Je sais que le tourisme est florissant dans les environs de ces deux villes.

M. Quassa : Cela dépend, je pense, de la région. Près de chez moi, c'est-à-dire dans le bassin Foxe, nous n'accueillons presque pas de touristes en raison de l'insuffisance de nos efforts de promotion. Nous n'avons pas de touristes dans sa région.

Nous accueillons simplement quelques amateurs de chasse sportive qui viennent chasser le morse puisque c'est la région.

Le sénateur Mahovlich : Avez-vous des rivières?

M. Quassa : Oui, de nombreuses rivières. Nous avons beaucoup de poisson. Nous n'attirons pas cependant, comme le nord du Québec, les amateurs de chasse sportive. C'est, je pense, parce que l'industrie du tourisme n'est pas encore assez développée ici. Mais, vous avez raison, les potentialités sont considérables et le gouvernement du Nunavut devrait envisager cela sérieusement.

Le sénateur Mahovlich : Plus augmente la densité de population des villes américaines, plus les gens vont être attirés par les grands espaces. Les évasions en canoë dans certaines de vos rivières devraient plaire à beaucoup de gens.

Le sénateur Mercer : C'est, je crois, Mme Budgell qui a parlé du projet de Mary River. J'en avais d'ailleurs déjà entendu parler. Pourriez-vous nous dire de quoi il s'agit au juste?

M. Quassa : J'habite près de cette compagnie minière. Mary River est exploitée par la Baffinland Iron Mines Corporation. C'est un projet de grande envergure qui n'en est qu'à ses débuts. C'est un projet très ambitieux et je crois même que les responsables comptaient dès cet été expédier en Europe un échantillon de 250 000 tonnes de minerai de fer.

C'est un très gros projet. Il n'en est qu'à ses débuts et, jusqu'ici il n'a guère eu de retombées au niveau de l'emploi, mais cela devrait changer au cours des quelques prochaines années.

Le sénateur Mercer : Vous habitez Igloolik?

M. Quassa : Oui.

Le sénateur Mercer : Il s'agit donc de transporter le minerai de fer, par bateau évidemment, par vraquier, jusqu'en Europe?

M. Quassa : Oui.

Le sénateur Mercer : Mais vers aucune destination d'Amérique du Nord?

M. Quassa : Non, tout sera expédié en Europe. Selon le projet arrêté, certains navires, transitant par le bassin Foxe pourraient se rendre ici 12 mois par an. Je ne sais pas comment ils entendent faire, mais les expéditions seraient assurées 12 mois par an et il est question de construire un chemin de fer reliant le site minier à une installation portuaire située près de Igloolik.

Le sénateur Mercer : Y a-t-il déjà un port?

M. Quassa : Non, le port n'a pas encore été construit.

Le sénateur Mercer : Il va donc falloir construire des quais et un chemin de fer?

M. Quassa : Oui.

Le sénateur Mercer : On espère bien que ce projet sera créateur d'emplois étant donné le taux de chômage de 37,3 p. 100 dont vous avez fait état.

M. Quassa : En effet.

Le sénateur Mercer : C'est un chiffre consternant. Il nous est arrivé de constater ailleurs des taux de chômage encore plus élevés, mais c'est une statistique accablante, surtout pour une population aussi jeune.

Vous espérez donc que la mine et les infrastructures qui l'accompagneront serviront de tremplin économique?

M. Quassa : Nous l'espérons bien, mais il y a toujours ce problème du logement car celui qui trouve un emploi auprès de Baffinland verra son loyer augmenter. Le problème reste sans solution étant donné les politiques de la Société d'habitation du Nunavut.

Le sénateur Mercer : Les gouvernements réagissent plus qu'ils n'agissent. Ce serait ici une bonne occasion d'inverser la tendance. Étant donné les perspectives de développement, le gouvernement devrait faire en sorte que le parc de logements soit suffisant et, à tout le moins, dresser des plans en ce sens. Comme cela, si les projets se concrétisent, nous serons prêts à construire des logements et peut-être pourrons-nous résoudre en même temps deux problèmes, le problème du logement et le problème de l'emploi.

En faisant cela dans votre communauté, on contribuera au développement du territoire tout entier.

M. Quassa : Oui.

Le sénateur Adams : Sénateur Mercer, le projet de Mary River a débuté il y a environ dix ans. J'ai tenté de convaincre certaines associations de sociétés minières, à Ottawa, que nous sommes certains que ce projet finira par aboutir. Ce n'est pas une grande association, mais ses membres ont déjà pas mal de réalisations à leur actif. À l'époque, on m'avait dit que ce projet emploierait quelque 350 personnes.

M. Quassa : C'est cela.

Le sénateur Adams : Or, la société minière a déjà fait l'objet de plusieurs plaintes. Les travaux ont débuté et nous savons qu'ils vont se poursuivre. Ce qu'il faudrait, c'est que, lorsque des projets sont lancés au Nunavut, le ministère des Affaires indiennes et du Nord, le MAINC, s'arrange pour former des gens de métier, tels que des opérateurs d'engins lourds, des électriciens, des plombiers. Il ne faut pas attendre le début des opérations minières, car ce sera trop tard et l'entreprise aura déjà fait venir des gens de métier du sud. On nous dit que les travailleurs doivent avoir au moins leur 12e année. Or, ici, la plupart des gens n'ont étudié que jusqu'à la huitième. Certains ont quitté l'école. S'ils veulent apprendre un métier, ça peut leur prendre cinq ans. Il en va de même pour les électriciens, les menuisiers et les mécaniciens.

Notre comité devrait intervenir davantage auprès du ministère des Affaires indiennes et du Nord et le convaincre d'entamer à cet égard des négociations avec le gouvernement du Nunavut et les entreprises minières. Il conviendrait en effet, de prévoir des emplois spécialisés pour les habitants du Nunavut avant même le début des travaux d'exploitation proprement dits.

La mine de Nanisivik était exploitée, à une certaine époque. Savez-vous quel était le pourcentage d'Inuits travaillant à cette mine avant sa fermeture?

M. Quassa : Je sais qu'au départ on nous avait dit que 60 p. 100 des employés de la mine de Nanisivik seraient des Inuits. Je pense, en fait, qu'on y trouvait plutôt 20 p. 100 de travailleurs inuits. C'est un pourcentage assez faible. L'entreprise minière n'a pas respecté ses engagements à cet égard.

Les communautés se méfient toujours un peu lorsqu'une entreprise minière s'engage à employer telle ou telle proportion d'Inuits.

Le sénateur Adams : Les associations qui se rendent dans votre communauté précisent-elles le nombre d'employés qui leur faudra dans le cadre du projet de Mary River? Vous a-t-on déjà parlé de cela?

M. Quassa : Oui. Nous avons de bons rapports avec cette entreprise minière et nous espérons bien qu'elle respectera les engagements qu'elle a pris envers nous.

Le sénateur Peterson : Vous disiez, tout à l'heure, en ce qui concerne les femmes qui font des études, qu'elles étaient assurées d'un logement pendant huit mois de l'année, c'est-à-dire pendant leur scolarité, mais qu'elles ne pouvaient plus l'occuper pendant les quatre mois de vacances. Leur logement est-il donc attribué à quelqu'un d'autre pendant ces quatre mois?

Si elles souhaitent revenir, va-t-on mettre à la porte la personne qui a occupé le logement entre-temps? Dans la mesure où l'on souhaite que les gens fassent des études, il me paraît idiot de les mettre à la porte dans ces conditions-là. Qui est responsable de ce genre de choses? Je ne comprends vraiment pas.

Mme Budgell : Je ne peux malheureusement pas vous répondre sur ce point.

Le sénateur Peterson : On ne veut pas pointer du doigt ceux qui ont établi ces règles?

Mme Budgell : À cet égard, vous trouverez les propos d'une résidente d'Iqaluit cités dans The Little Voices of Nunavut. D'après elle, cette règle a été une des choses qui l'ont empêchée de poursuivre ces études. On manque de logements et les personnes qui perdent leur logement social, ne peuvent pas espérer se trouver un appartement, étant donné la pénurie.

Mme Palluq : Et puis, il y a les jeunes filles qui ont très tôt un enfant et qui abandonnent leurs études. Parfois, elles les reprennent, mais parfois non.

La présidente : Je vous remercie du soin avec lequel vous avez préparé vos exposés. Nous y sommes sensibles.

Chers collègues, nous accueillons maintenant Monica Ell et Glenn Cousins, qui vont, eux aussi, nous présenter un exposé.

Monica Ell, directrice, Développement économique et commercial, Nunavut Tunngavik Incorporated et directrice, Forum économique du Nunavut, à titre personnel : Mesdames et messieurs les sénateurs, soyez les bienvenus au Nunavut. Vous avez eu, sur place, l'occasion de constater un certain nombre de choses. Cela est dans l'intérêt de tous.

[Mme Ell s'est exprimée en inuktitut.]

Monsieur le sénateur Adams, je sais que vous continuerez à encourager les membres des divers comités sénatoriaux à se rendre ici au Nunavut. Votre visite est pour nous une chose importante.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous espérons que vous aussi vous encouragerez vos collègues, membres d'autres comités, à venir au Nunavut, rendre visite à la population et à s'entretenir avec elles de ses rêves et desiderata.

Je compte aujourd'hui évoquer devant vous non seulement la pauvreté des zones rurales et plus précisément, en ce qui nous concerne, des zones éloignées, mais également de nos plans en matière de développement économique durable. Je tiens à vous faire part d'un certain nombre d'informations concernant notre terre, le Nunavut, notre culture, notre langue, l'inuktitut, et la force que nous en tirons en tant qu'Inuits, en tant que Nunavummiuts, et en tant que Canadiens.

C'est avec plaisir que je prends ici la parole à titre individuel, mais aussi en tant que directrice du Développement économique et commercial de la Nunavut Tunngavik Incorporated, la NTI, et directrice, en outre, du Forum économique du Nunavut.

La NTI a pour mission de promouvoir le bien-être économique, social et culturel des Inuits par la mise en œuvre de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut.

Ce que j'ai à dire est très simple : les solutions adoptées au Nunavut et à nos économies locales doivent être définies par le Nunavut et par les communautés locales, car ces solutions doivent correspondre à notre réalité et être adaptées aux particularités de notre géographie, aux nombreux défis que nous pose notre situation ainsi qu'aux nombreuses possibilités qu'elle nous ouvre.

Les ambitions et les désirs des Nunavummiuts ne sont pas vraiment différents de ceux qu'éprouvent la plupart des gens dans les autres régions du Canada, tant dans les villes que dans les zones rurales. Nous souhaitons avoir une demeure pour notre famille, une alimentation saine et abordable, des écoles que nos enfants puissent fréquenter en toute sécurité, accès à des soins de santé, de meilleures installations récréatives, de bons emplois et des possibilités de formation et de voyage. Nous voulons vivre plus longtemps et en meilleure santé. Comme vous le voyez, ce sont des ambitions qui ne s'écartent guère de celles des autres habitants du Canada. Nos conditions de vie au Nunavut, par contre, et les obstacles qu'il nous faut surmonter, n'ont rien de commun avec ce que l'on peut voir dans d'autres régions du pays.

On a dû vous citer un nombre impressionnant de chiffres et vous ne manquez donc pas de statistiques. Nous vivons dans des communautés éloignées, ce qui veut dire qu'on ne peut pas y accéder par la route en toute saison. Tout doit nous être livré par avion ou par bateau. Dans ces conditions-là, vous comprenez bien qu'au Nunavut la vie coûte plus cher que partout ailleurs au Canada. Cela veut dire, concrètement, que le lait qui coûte environ 3 $ dans le sud, va, selon les communautés, coûter de 9 à 14 $.

Selon les études qui ont été effectuées, le coût de l'alimentation dans le Nord absorbe à peu près tout l'argent d'un ménage moyen, et ne lui laisse pas grand-chose pour le logement, le transport et les autres nécessités de la vie. Prenons l'exemple d'Arviat, où une famille moyenne accuse chaque mois un déficit de 168 $ simplement pour l'alimentation. Au Nunavut, beaucoup de gens doivent choisir entre se nourrir et se loger. Étant donné l'importance vitale, au plan de notre approvisionnement, des liaisons maritimes et aériennes, on pourrait croire que les transports sont organisés de manière efficace au Nunavut, mais c'est loin d'être le cas.

En matière de transports, on ne trouve pas en effet dans nos communautés les infrastructures généralement acquises à toute communauté. Nos frais de transport, et par conséquence, le coût de tout ce qui arrive ou part de nos communautés sont alourdis par la carence de nos infrastructures.

Nous voudrions parvenir à une certaine autonomie financière en confiant des emplois à des personnes locales. La cherté de la vie, le taux de chômage élevé et la faiblesse des salaires créent en outre un risque sanitaire. Il nous faut disposer de meilleurs moyens d'éducation et de formation, il faut que soient mis en place davantage de programmes d'apprentissage. Il nous faudrait, notamment, davantage d'Inuits occupant des postes de gestion intermédiaires.

Nos communautés n'ont pas d'installations portuaires. Les bateaux et navires doivent donc jeter l'ancre au large des côtes, les cargaisons étant mises à bord de barges qui abordent la plage et doivent être halées jusqu'à la laisse de haute mer. Ces opérations de manutention prennent du temps, augmentent les risques d'avarie et d'accident et font, bien sûr, grimper les prix.

Je peux dire, à titre d'exemple, que l'année dernière, la construction d'un nouvel hôpital ici à Iqaluit a été retardée d'un an après qu'une charpente métallique essentielle est tombé de la barge. Tout a été retardé jusqu'à la saison de navigation suivante. Imaginez-vous cela. Comment quantifiez ce que cela coûte en termes réels, c'est-à-dire en termes humains?

Il nous faut donc trouver les moyens d'éviter cette escalade des coûts. Pour cela, il faut d'abord palier les insuffisances de nos infrastructures et de nos moyens de formation et d'éducation. C'est en cela, messieurs et mesdames les sénateurs, que vous pourriez nous aider. Nous vous demandons de communiquer à Ottawa notre appel en ce domaine.

Ce n'est pas l'assistance du gouvernement fédéral que nous demandons, pas plus que nous voulons un coup de main. Nous voulons simplement nous retrouver dans les mêmes conditions que les autres régions du Canada, avec les mêmes avantages, les mêmes possibilités et les mêmes capacités. Nous voulons que les communautés du Nunavut aient les mêmes chances que les communautés du sud.

Un bon exemple de ce que je veux dire, sont les pannes d'électricité à Rankin Inlet. Cette communauté connaît régulièrement des pannes d'électricité et des carences de chauffage en raison de l'insuffisance de nos infrastructures et de notre source d'approvisionnement en courant électrique. En effet, nous sommes encore tributaires d'une vieille centrale à combustible fossile. Or, il faut l'alimenter par voie maritime. Cela gonfle énormément les coûts. Au Manitoba, l'électricité à usage résidentiel coûte de 5,79 à to 5,94 $ le kilowattheure. Au Nunavut, si à Iqaluit le kilowattheure ne coûte que 39¢, le prix atteint 81,72 $ à Kugaaruk.

C'est dire qu'en réponse à la pauvreté qui sévit dans nos régions, on ne peut pas compter sur une solution toute faite. Le Nunavut n'est pas pauvre, au contraire, notre terre est riche et notre peuple est fort. Il faut simplement que nos communautés aient accès aux outils de base auxquels ont droit les communautés et les populations du sud du Canada.

Je note la présence, au sein du comité, du sénateur Terry Mercer, qui représente Halifax. Puis-je vous demander, monsieur le sénateur, si on peut simplement imaginer Halifax sans son port. Quel serait le développement économique de la ville si le gouvernement fédéral n'avait pas investi dans le port de Halifax? Quelle serait la situation économique de la région Atlantique si le gouvernement fédéral n'avait pas construit tous ces ports pour petits bateaux.

Or, à l'heure actuelle, nous n'avons pas de port au Nunavut. Iqaluit, Bathurst Inlet et Rankin Inlet ne sont que quelques exemples de communautés du Nunavut qui sont un peu dans la situation dans laquelle se trouverait Halifax s'il n'avait pas de port. Le seul port dont nous disposions actuellement au Nunavut est Nanisivik, une ancienne région minière où plus personne ne vit.

Le Nunavut compte pour environ un cinquième du territoire canadien et les deux tiers de la longueur des côtes du pays. Et pourtant, nous n'avons ni ports ni quais.

Nos communautés ont besoin d'installations comme celles-là afin de pouvoir créer des emplois dans le tourisme, dans la chasse, dans les pêcheries, dans l'exploitation de nos ressources et dans leur transformation. Il nous faut des infrastructures. Il nous faut pouvoir tirer parti de nos ressources, et seuls les moyens d'instruction et de formation nous le permettrons. Nous nous attendons à ce que le gouvernement fédéral respecte, en matière de formation et d'emplois, les obligations qui lui incombent envers les Inuits aux termes de notre Accord sur les revendications territoriales.

Les conditions socioéconomiques au Nunavut sont complexes mais, pour faire face aux problèmes qui se posent actuellement en matière de logement, de sécurité alimentaire, d'éducation, de formation et d'emploi, la première chose à faire est de palier les insuffisances des infrastructures de nos communautés locales, et par conséquent, de réduire les coûts et améliorer les services. Or, pour accomplir ce premier pas, il faut que le gouvernement fédéral jette sur la situation un regard prospectif et prenne un certain nombre d'initiatives.

Le Nord a besoin de bâtisseurs, mais pour bâtir une nation, il faut à la fois avoir de larges vues d'avenir et s'engager à mettre en œuvre un plan susceptible de relier les Canadiens des trois côtes, y compris, bien sûr, les Canadiens des communautés de l'Arctique. Pour cela, il va falloir forger de nouveaux liens nord-sud.

Nos communautés ont besoin de gros investissements dans tous les modes de transports, c'est-à -dire le transport maritime, aérien, ferroviaire et routier. Il nous faut pour cela plus que les 26 millions de dollars par an qui nous ont été promis pour les sept prochaines années dans le cadre du fonds Chantiers Canada. Le Nunavut va avoir besoin de milliards de dollars en investissements fédéraux pour financer ses travaux d'infrastructure. En fait, cela prendra des dizaines de milliards de dollars.

Le gouvernement fédéral est tenu d'affecter un certain pourcentage de son excédent budgétaire au service de la dette, et il devrait être tenu d'en faire autant pour les investissements dans le nord du pays. Nos communautés, les habitants et entreprises de la région veulent travailler de concert avec le gouvernement fédéral pour élaborer un plan permettant d'assurer les investissements nécessaires. Nous souhaitons, par exemple, collaborer avec le gouvernement fédéral dans le cadre d'une initiative visant à créer une porte d'entrée et un corridor commercial de l'Arctique afin d'instaurer un lien entre nos communautés et la chaîne d'approvisionnement mondiale en passant par les principaux corridors et centres d'activités du Canada.

Or, pour cela, notre communauté doit être dotée des infrastructures nécessaires. L'initiative de la porte d'entrée du Pacifique a exigé, du gouvernement fédéral, d'importants investissements dans les ports de Vancouver et de Prince Rupert et nos communautés éprouvent en ce domaine les mêmes besoins. Je dirais même que nous méritons que soit consenti en notre faveur un effort analogue.

Je compte sur le développement du Nunavut, et je pense que ses populations auront lieu de se souvenir que l'étude de la pauvreté rurale menée par votre comité a été à l'origine des changements que nous souhaitons voir se produire. Nous espérons que, dans le cadre de vos conclusions, vous recommanderez au gouvernement fédéral une augmentation sensible de ses investissements en travaux d'infrastructure, en moyens de formation et en diverses autres choses dont le Nunavut a tellement besoin. Le développement économique durable de notre région ne peut être fondé que sur de tels investissements.

Nous avons fait distribuer plusieurs documents à l'intention des membres du comité. Je vous remercie de m'avoir prêté attention et c'est très volontiers que je répondrai à vos questions.

Glenn Cousins, directeur exécutif, Forum économique du Nunavut : Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie du courage dont vous faites preuve en vous rendant dans des régions qui n'ont jamais auparavant eu cet honneur. Je salue votre initiative.

Je pense être le dernier à prendre la parole devant vous aujourd'hui et il n'y a sans doute plus grand-chose à dire sur les sujets qui ont retenu notre attention jusqu'ici. J'aurais, cependant, une ou deux observations à faire, après quoi, c'est très volontiers que je répondrai aux questions et participerai à la discussion qui aura lieu alors.

Le Forum économique du Nunavut, le FEN, qui regroupe diverses organisations, a pour objectif de recueillir et d'échanger des renseignements contribuant à la planification stratégique du développement économique du Nunavut. Ses membres ont pour principale mission de collaborer à la mise en œuvre de la Stratégie de développement économique du Nunavut, que nous avons pris l'habitude d'appeler simplement « la Stratégie », chacun agissant dans son domaine d'activité et d'expertise particulier. J'ai fait distribuer, à votre attention, des copies de ce document.

Cette Stratégie, rendue publique en septembre 2003, est, au Canada, unique en son genre puisqu'elle représente une approche globale et intégrée du développement économique. Ce document, qui a pour sous-titre Building a Foundation for the Future, se fonde sur une conception large du développement économique, cernant, outre les questions économiques traditionnelles, un certain nombre de sujets propres à la terre, à ses habitants et aux communautés. Elle fixe comme objectif pour le Nunavut l'accession à une qualité de vie à la fois grande et durable, c'est-à-dire un niveau de revenu et de bien-être matériel satisfaisant ainsi qu'à un bon état de santé général de la population, un bon niveau d'instruction, une forte identité culturelle, une forte participation de la population aux affaires publiques et la protection et l'exercice des libertés politiques et économiques.

Pour le FEN, la mise en œuvre de cette stratégie est la solution qui, à terme, doit permettre de développer notre économie, de palier les insuffisances de nos infrastructures, d'améliorer le niveau d'instruction des habitants, de relever leur niveau de vie et, par voie de conséquence, de réduire la pauvreté.

Cette solution exigera, bien sûr, de gros efforts et la collaboration de tout un éventail d'acteurs sociaux et économiques, ainsi que de fermes engagements au niveau des investissements nécessaires.

Le FEN a récemment entamé des discussions avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord, lui demandant notamment de renouveler ses Investissements stratégiques pour le développement économique du Nord (ISDEN), source importante de crédits au développement économique. Le programme d'ISDEN avait été mis en place afin de promouvoir le développement économique des trois territoires nordiques du Canada, six millions de dollars étant, chaque année et pendant cinq ans, investis dans chacune de ces trois régions. Ce programme d'investissements devrait prendre fin en mars 2009. Son renouvellement est nécessaire afin d'entretenir l'impulsion qui a été donnée par les gestionnaires de programmes et les divers participants, ce qui est essentiel à la mise en œuvre de la stratégie.

Pour servir de cadre au débat sur ces diverses questions, le FEN a rédigé un document intitulé Qanijijuq II : The Journey Continues. Je n'en ai pas distribué de copie car je ne voulais pas vous surcharger de documents, mais ce texte peut être consulté sur notre site Internet.

Les mesures de développement économiques revêtent, bien sûr, une importance essentielle, mais les résultats attendus sont généralement à plus long terme et si nous voulons atténuer la pauvreté dans le nord du Canada, il faut, en même temps, lancer des initiatives à plus brève échéance.

Le gouvernement du Canada a déjà instauré deux programmes visant à atténuer les effets de la cherté de la vie dans le Nord. Il s'agit de la déduction fiscale pour les habitants des régions éloignées et du programme Aliments-poste. Le renforcement de ces deux programmes aiderait à atténuer l'état de dénuement dans lequel se trouvent actuellement de nombreuses personnes.

En réponse aux consultations prébudgétaires menées par le comité permanent de la Chambre des communes sur les finances, sur le thème du régime fiscal dont le pays a besoin pour un avenir prospère, le FEN a préparé un mémoire sur la déduction fiscale pour les habitants de régions éloignées. Nous estimons, en effet, qu'il conviendrait d'augmenter cette déduction afin de tenir compte des effets cumulés de l'inflation depuis l'adoption de cette mesure qui, je le précise à l'intention de la personne qui avait posé la question tout à l'heure, a été introduite en 1987. Il s'agirait, en effet, de mieux tenir compte de la cherté de la vie dans les régions éloignées du Nord et d'améliorer la condition des salariés à faible revenu.

Nous soutenons également, dans ce mémoire, que le gouvernement du Canada doit envisager la déduction à l'intention des habitants des régions éloignées dans le contexte plus général du développement économique de la région. J'ai apporté, à votre intention, une copie de ce mémoire.

La recommandation tendant à l'augmentation de la déduction fiscale a l'appui de la Nunavut Tunngavik Incorporated, organisation qui se consacre aux revendications territoriales, de l'Assemblée législative du Nunavut, du Nouveau Parti démocratique fédéral ainsi que du Parti libéral. Dans son rapport final, rendu public au début du mois, le comité permanent des finances n'a cependant pas repris, dans le cadre de ses recommandations, nos arguments au sujet de la déduction pour habitants des régions éloignées.

Le budget n'a pas encore été annoncé, mais nous avons déjà peut-être perdu l'occasion d'adopter cette mesure fiscale qui aurait pourtant permis d'améliorer la condition des habitants du Nord, et en particulier des travailleurs économiquement faibles. Nous estimons que le gouvernement du Canada devrait examiner à nouveau cette recommandation.

Le Programme Aliments-poste administré par le ministère des Affaires indiennes et du Nord doit permettre d'abaisser le prix des denrées nourrissantes et périssables livrées aux communautés isolées tributaires des transports aériens. Les aliments entrant dans le cadre de ce programme peuvent être expédiés pour 80 ¢ le kilo plus les frais de manutention. Ce programme est ouvert, à divers points d'entrée, à la fois aux détaillants et aux individus.

L'année dernière, ce programme a coûté 39,6 millions de dollars, dont 22,4 millions pour le Nunavut. Il s'agit donc d'une subvention non négligeable, mais je précise qu'une famille de quatre personnes habitant les régions les plus isolées du Nunavut ou des Territoires du Nord-Ouest dépense de 370 à 450 $ par semaine pour son alimentation de base. Et cela, c'est compte tenu de la subvention. Or, dans le sud du pays, les mêmes denrées coûteraient de 195 $ à 225 $ par semaine.

Disons, d'une manière générale, qu'au Nunavut, le coût de la vie est de 75 p. 100 plus élevé que la moyenne nationale. Par contre, le revenu moyen par ménage est de 52 300 $, chiffre à comparer à la moyenne nationale de 60 600 $. J'ajoute qu'au Nunavut le ménage moyen compte 3,7 personnes, alors que pour l'ensemble du pays, la moyenne est de 2,5.

Étant donné que, dans notre région, les revenus sont plus faibles et les taux de dépendance plus élevés, et qu'il faut ajouter la cherté de la vie, le renforcement du programme Aliments-poste serait d'une utilité immédiate puisque cela permettrait de réduire le coût des denrées périssables, rendre ces denrées plus abordables et permettre à la population de mieux se nourrir.

J'avais l'intention de me munir d'un certain nombre d'accessoires pour étayer mon propos, mais je les ai oubliés. Pour mettre un peu les choses en perspective, je précise que la partie de ce programme affectée au Nunavut ne coûte qu'environ 2 $ par jour par habitant. À Iqaluit, une pomme coûte environ un dollar. Donc, pour le prix d'une pomme par jour, le programme Aliments-poste pourrait être rendu plus efficace en temps que moyen d'atténuer la pauvreté.

Je voudrais, pour terminer, vous remercier à nouveau de vous être déplacés à Iqaluit, et de m'avoir donné cette occasion de prendre la parole devant vous. Me préparant à cette intervention, j'ai tenté de cerner les questions que je pourrais évoquer en cinq minutes, mais il est assez difficile de se limiter à quelques points précis. J'ai essayé de replacer mes observations dans le cadre d'une perspective à plus long terme, notamment au niveau des investissements nécessaires au développement économique, sans négliger quelques mesures à plus brève échéance qui permettraient, à l'horizon d'un ou deux ans, d'aboutir à des résultats plus immédiats.

C'est très volontiers que je répondrai aux questions que vous voudrez me poser.

Le sénateur Mercer : Je m'aperçois que, dans cette ville, si l'on pose des questions, on obtient des réponses et que l'on finit par obtenir une réponse même si l'on ne pose pas de question.

Monsieur Cousins, je vous remercie de m'avoir précisé la date à laquelle remonte l'introduction de la déduction fiscale pour habitants de régions éloignées. 1987, ça fait plutôt longtemps.

Madame Ell, je vous remercie de m'avoir reconnu. Je siège en effet à un autre comité, le Comité sénatorial permanent des transports et des communications, qui est en train de préparer une étude sur les ports. Je suis, comme vous, surpris de voir que le gouvernement du Canada a tellement investi dans la porte d'entrée du Pacifique et le développement de Prince Rupert alors qu'il n'a rien fait, ni pour la côte Est ni pour la côte Nord.

Vous nous avez dit tout à l'heure qu'il vous faudrait, pour les sept prochaines années, obtenir en fait plus de 26 millions de dollars par an du fonds Chantiers Canada. Or, et cela je l'ai appris dans le cadre de mon travail au sein du comité des transports, si vous vous adressez à ce fonds pour obtenir un formulaire de demande, vous verrez que ce n'est pas possible, car ce formulaire n'existe pas encore. Les crédits ont été annoncés, mais, pour l'instant, ils ne sont pas distribués.

Cela est très surprenant, et la question va d'ailleurs être évoquée la semaine prochaine dans le cadre du débat budgétaire. Vous saurez alors pourquoi il en est ainsi. Aucune demande ne peut être présentée à l'heure actuelle, car il semblerait que ce fonds n'ait pas encore été approuvé par le Conseil du Trésor.

Nos amis qui n'ont pas pu se joindre à nous aujourd'hui, vous venteront les mérites de cette initiative, et je vous remercie de cette occasion de faire un peu de publicité politique. Cela dit, il ne faut pas perdre de vue la question du port et j'aimerais que Mme Ell nous en dise un peu plus à cet égard.

Au cours de la dernière campagne électorale, certains ont eu tendance à se moquer de M. Harper lorsqu'il a évoqué la construction d'un port dans l'Arctique. Il a parlé, à l'époque, de protéger la souveraineté du Canada et d'y installer une base militaire. Il est clair qu'il y aurait effectivement un objectif militaire, mais la construction d'un port se défend encore plus du point de vue du développement économique.

Je vais maintenant vous poser une question qui est difficile car elle revêt une dimension panboréale, alors que votre réponse sera sans doute influencée par le fait que vous vivez au Nunavut. D'après vous, quelle serait dans le Nord, le meilleur emplacement pour un port?

Mme Ell : Rankin Inlet : Peut-être la question pourrait-elle être tranchée par un conseil de la porte d'entrée de l'Arctique.

Il est vrai qu'Iqaluit est la capitale du Nunavut. Il est également vrai que Rankin Inlet, une des principales villes de la région, aurait tout intérêt à accueillir ce port. Le Nord est divisé en trois territoires. Il faut bien décider où sera construit le premier port. On pourrait également envisager la région de Qikiqtarjuaq, et plus précisément Cambridge Bay. Ils envisagent d'y construire une route et un port, mais les travaux ont été reportés. Ils songent effectivement à de telles installations mais, là, c'est essentiellement du point de vue de l'exploitation minière.

J'ai récemment assisté, pour la première fois, à une foire commerciale. C'était à Ottawa, à la foire Northern Lights. Un représentant du Woodward Group of Companies expliquait que si l'on construisait un port à Iqaluit, cela entraînerait, pour la population, une baisse du coût de la vie. Selon lui, on pourrait alors instaurer, entre le Labrador et Iqaluit, un service de traversier. On pourrait aussi relier Iqaluit à Labrador Cove. Cette liaison serait desservie par deux traversiers, dont un en partance de Labrador Cove. Le premier trajet prendrait 18 heures et l'autre deux jours. Selon cette personne, un tel service réduirait sensiblement les coûts des divers secteurs. Non seulement cela réduirait-il les coûts de construction de logements, mais aussi les coûts de l'alimentation et de presque tout ce que l'on utilise ici. Ajoutons à cela, qu'il serait, pour la première fois, possible de se rendre dans le sud par la route.

Le sénateur Mercer : Votre réponse se défend du point de vue politique et vous êtes même parvenue à éviter le piège que je vous avais tendu, en n'invoquant pas, au profit du Nunavut, les possibilités offertes par le delta du Mackenzie en raison des gisements de pétrole et de gaz. Nos amis du Yukon n'ont pas évoqué la construction d'un port. Ils semblent reconnaître qu'il serait sans doute préférable de le construire plus à l'est, mais ils envisageaient non pas le Nunavut, mais plutôt les Territoires du Nord-Ouest.

D'après moi, ce qu'il faudrait dans le Nord, c'est deux ports, un plus au nord et un plus au sud. Un du côté de l'océan Arctique et un plutôt dans cette région. Je ne peux pas vraiment en dire plus que cela.

Il me semblerait préférable de construire le port dans une communauté d'une certaine importance telle qu'Iqaluit ou Rankin Inlet, étant donné que les voies de communication existent déjà.

Mais, voyons un peu, à titre d'exemple, ce qui se passerait si l'on construisait un port à Iqaluit. Il faudrait prévoir le transbordement des marchandises, ce qui se passe déjà. Or, comment procéder? Je me penche sur la carte, et je me demande, par exemple, comment on fait pour acheminer les marchandises jusqu'à Hall Beach? Procède-t-on de la même manière? Le navire jette l'ancre au large de la côte, puis on fait passer les marchandises à bord d'une embarcation et on les transporte jusqu'à la plage? Les marchandises sont-elles expédiées d'Iqaluit ou directement du Sud, le navire faisant escale à Hall Beach et à diverses autres communautés le long de la côte?

Mme Ell : Les compagnies de transport maritime ont, en été, un calendrier d'expédition mais il est assez restreint. Parfois, le bateau se rend d'abord à Iqaluit avant de rallier d'autres communautés côtières pour y effectuer des livraisons.

Le sénateur Mercer : Ou bien décharge-t-on à Iqaluit les marchandises destinées à d'autres communautés de l'île de Baffin?

Mme Ell : Le volume de marchandises livrées à Iqaluit est supérieur à ce qu'il est dans d'autres communautés.

Le sénateur Mercer : Mais si je voulais expédier quelque chose à Kimmirut, la marchandise passerait-elle par Iqaluit, ou serait-elle expédiée directement à Kimmirut?

Mme Ell : Cela dépend. La cargaison pourrait en fait être livrée à un point plus au nord. Elle pourrait être transportée à bord d'un bateau qui se rend dans d'autres communautés plus petites.

Le sénateur Mercer : À supposer que votre recommandation soit mise en œuvre, les travaux impliquent, bien sûr, plus que la construction d'un port. En effet, dans le cadre des travaux d'infrastructure, il faut en outre prévoir, par exemple, des routes. En réalité, vous pourriez dépenser, pour la construction d'infrastructures nécessaires, tous les fonds que le gouvernement s'est engagé à accorder chaque année, et néanmoins ne pas en avoir assez. Vous avez cité le chiffre de 26 millions de dollars par an au cours des sept prochaines années. Dans le cadre de ces 26 millions de dollars, quels sont les travaux prioritaires?

Mme Ell : Les habitants du Nord vont devoir le dire. En effet, c'est à eux d'en décider. Vous savez à combien se monte le fonds Chantiers Canada. Je crois qu'il y a des milliards. Vous savez aussi, je pense, combien de cela il est prévu d'affecter au Fonds d'infrastructure de transport de la porte et du corridor de l'Asie-Pacifique. Je crois savoir que cela devrait s'élever à 233,5 millions de dollars.

Les crédits prévus pour Iqaluit s'élèvent actuellement à environ 242 millions de dollars. C'est le chiffre annoncé récemment. Je ne suis pas certaine du pourcentage exact, mais je pense que cela correspond à moins de 1 p. 100 des sommes mises à la disposition du fonds Chantiers Canada.

Nous souhaiterions en toucher notre juste part.

Le sénateur Mercer : Je le pense aussi, étant donné que dans le dernier budget, il y avait un poste budgétaire consacré à la porte du Pacifique, mais rien pour la porte de l'Atlantique ou pour la porte du Nord. Ceux d'entre nous qui habitent le Nord ou l'Est du pays commencent à perdre patience et nous allons devoir mieux défendre nos intérêts. Mais, là, c'est un discours que j'entame et non pas une question.

Mme Ell : Si je devais, moi-même, prononcer un discours, je dirais qu'il nous faut également améliorer notre industrie de la pêche, pas seulement le tourisme, mais bien tous les secteurs de notre activité. On ne peut pas toujours dépendre du gouvernement.

Le sénateur Mercer : J'ai été content de voir que dans vos exposés vous avez tous deux parlé d'assumer plus largement le problème. Il est clair, bien sûr, que le gouvernement a tout de même son rôle à jouer.

Vous n'avez pas, comme je m'attendais à ce que le fassiez, insisté sur les revenus miniers, gaziers et pétroliers qui quittent le Nord pour aboutir à Ottawa. Tout cet argent sort en effet votre région, ce qui n'est pas le cas en Alberta.

Je suis heureux de dire que ce n'est pas le cas non plus en Nouvelle-Écosse ou à Terre-Neuve-et-Labrador, étant donné que nous avons conclu avec le gouvernement du Canada un accord particulier, l'Accord de l'Atlantique, même si certains semblent avoir du mal à le respecter, mais ça c'est un autre problème.

Si nous voulons résoudre les problèmes auxquels le Nord doit actuellement faire face, je pense que l'on pourrait peut-être regarder du côté des redevances qui, chaque année, sont transférées à Ottawa. Ai-je tort sur ce point?

Mme Ell : Nous avons, dans la région de Kitikmeot, un département distinct, le Département des terres et des ressources, essentiellement chargé des redevances provenant des ressources naturelles. Malheureusement, nous n'avons appris, il y a une semaine seulement, que nous allions avoir l'occasion de prendre la parole devant vous, et nous n'avons donc pas eu le temps de recueillir tous les renseignements nécessaires. Nous pourrions rédiger un document d'une page portant, de manière plus précise, sur la région minière.

Le sénateur Mercer : Partout où je vais, dans les trois territoires du Nord, je pose la même question : devrions-nous, ensemble, c'est-à-dire les trois gouvernements territoriaux, les trois députés fédéraux, les trois sénateurs et divers autres organismes de ces territoires, effectuer une démarche commune auprès d'Ottawa, en particulier au sujet de la déduction fiscale, qui ne répond plus aux besoins, au sujet des recettes provenant de l'exploitation des ressources, qui devraient, d'après moi, constituer une large part de la solution, surtout là où la prospection et l'exploitation vont bon train?

J'aimerais beaucoup recueillir votre avis sur ce point.

Mme Ell : Pourrais-je demander à mes collègues, qui se trouvent au bureau de nous transmettre des renseignements plus complets à cet égard?

Le sénateur Mercer : Glenn, qu'en pensez-vous?

M. Cousins : Le partage des recettes provenant de l'exploitation des ressources et le transfert d'un certain nombre de responsabilités à longtemps fait l'objet d'un très vif débat politique, même si l'on en parle moins depuis un certain temps.

Il est clair qu'à terme, un des objectifs du Nunavut est de parvenir à une dévolution de pouvoirs mais, j'insiste bien sur le fait qu'il s'agit là d'un objectif à long terme. Je précise, pour l'instant, qu'au Nunavut aucune mine n'est actuellement en exploitation, bien que plusieurs projets soient actuellement prévus. La seule mine qui était exploitée, la mine Jericho, à Tahera, a eu recours à la protection de la Loi sur les faillites.

Je ne veux pas dire que la question n'a aucune importance étant donné qu'aucune mine n'est actuellement exploitée, mais les travaux préliminaires sur le transfert de compétences a permis de cerner un certain nombre de questions touchant le potentiel de production, questions qui devront être réglées en premier.

Selon le Mayer Report on Nunavut Devolution, le potentiel de production est, en effet, un des obstacles aux négociations sur le transfert des responsabilités au Nunavut.

Le sénateur Peterson : Pourriez-vous me dire si le Forum économique du Nunavut est une organisation indépendante ou si c'est un organisme gouvernemental?

M. Cousins : Non, c'est une organisation non gouvernementale. Il s'agit d'une petite organisation à but non lucratif. Je dois même préciser que j'en suis l'unique employé. Je suis à la fois recherchiste, commis et préposé aux diverses tâches à accomplir. C'est assez généralement le cas des organisations au Nunavut qui se sont fixé une mission d'intérêt public; il s'agit généralement de petites organisations ayant un, deux ou trois employés.

Le Forum regroupe 30 organisations membres qui ont décidé d'unir leurs efforts pour assurer un meilleur développement économique. L'organisation comprend donc, effectivement, le gouvernement du Canada, par l'intermédiaire du Bureau régional du ministère des Affaires indiennes et du Nord, ici au Nunavut, le gouvernement du Nunavut, par l'intermédiaire du ministère du Développement économique et des transports, la Nunavut Tunngavik Inc, d'autres associations inuites régionales, des sociétés de développement inuites, des Chambres de commerce ainsi que d'autres petites organisations à but non lucratif s'intéressant particulièrement à certains secteurs tels que l'artisanat ou les pêches. Vous voyez qu'il s'agit donc d'une sorte d'organisme cadre.

Le sénateur Peterson : Faites-vous également fonction de groupe de pression? Intervenez-vous auprès du gouvernement fédéral pour demander des crédits, puis auprès des gouvernements provinciaux et territoriaux pour des idées quant à la manière d'employer le plus efficacement possible les crédits mis à votre disposition?

M. Cousins : Non, nous ne faisons pas de lobbying. Nous ne faisons que défendre les intérêts de la région. Il s'agit d'unir nos efforts et d'aboutir à une meilleure collaboration. Si, par exemple, nous entamons une démarche auprès du gouvernement fédéral, nous contactons AINC afin de nous entretenir avec les responsables des Investissements stratégiques pour le développement économique du Nord (ISDEN), mais c'est dans le cadre d'un effort de concertation et de collaboration et non pas dans le cadre d'une campagne de lobbying.

Le sénateur Peterson : Vous parlez ainsi d'une voix? Vos objectifs ne s'opposent donc pas à ceux de certains autres organismes, qui penseraient être sur la même voie que vous, mais qui seraient, en fait, en concurrence?

M. Cousins : Il nous arrive de constater, entre les divers membres de notre organisation, des différences au niveau des priorités ou des desseins, c'est clair, mais, étant donné que nous avons tous pour objectif général, le développement de l'économie, à un certain niveau, nous parvenons à nous entendre.

Le sénateur Adams : Je sais que vous faites partie de la Nunavut Tunngavik Corporation, et je sais aussi que certains groupes continuent à s'opposer au ministère des Affaires indiennes et du Nord au sujet de certaines dispositions de l'Accord sur les revendications territoriales. Je ne sais pas si vous vous occupez de cela.

Certaines personnes sont en effet extrêmement mécontentes de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Je dois participer, mardi matin, à Ottawa, avec le sénateur Peterson, à une séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Je ne sais pas si certaines questions concernant l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut restent actuellement en suspens. Cet Accord a-t-il fait l'objet d'une étude de la NTI?

M. Cousins : Le Forum économique est, bien sûr, au courant de la question, mais il ne s'en est pas occupé. Cela concerne, en effet la NTI, d'une part, et le gouvernement du Canada, d'autre part.

Le sénateur Adams : Je ne sais pas si vous vous êtes penché sur les dispositions de l'Accord des revendications territoriales en ce qui concerne les terres du Nunavut et le territoire domanial, ou sur les dispositions de l'Accord de fiducie du Nunavut pour ce qui est des projets miniers tels que le projet de Mary River. À cet égard, j'ai certes eu affaire à la Qikiqtani Inuit Association, la QIA, car je crois que les terres en question appartiennent peut-être intégralement aux Inuits de Qikiqtani. Avez-vous examiné les accords conclus avec des sociétés minières, notamment au niveau des considérations économiques?

M. Cousins : Nous ne nous sommes livrés à aucune analyse portant de manière précise sur ce genre de projets, en raison notamment de la minceur des renseignements disponibles, mais aussi parce que, comme vous le savez, les ententes sur les répercussions et les avantages font l'objet de négociations secrètes entre les entreprises minières et l'Association inuite de la région concernée.

Les études économiques que nous effectuons ont généralement un objet plus large. J'ai apporté, à votre intention, la dernière mise à jour des perspectives économiques du Nunavut, un document intitulé 2005 Nunavut Economic Outlook. Cette année, nous allons produire, pour 2008, un document entièrement révisé. Nous attendions, pour cela, de nouvelles données provenant du recensement. Nous allons donc nous pencher sur l'ensemble des retombées et répercussions économiques de ces divers projets miniers. Mais, encore une fois, les détails de l'accord entre la QIA et la société Baffinland Iron Mines n'ont pas été rendus publics.

Le sénateur Adams : Selon vous, chaque année, pendant sept ans, 26 millions de dollars devraient être consacrés au projet de porte d'entrée du Nord. Comme le sénateur Mercer le disait tout à l'heure, cependant, les organisations ne peuvent pas, pour l'instant, déposer de demande en ce sens, étant donné que le formulaire de demande n'existe pas encore. Votre rapport a-t-il été envoyé à la NTI, au gouvernement du Nunavut ou au ministère des Finances à Ottawa? Si oui, quels seraient, d'après vous, les grands axes du développement économique de la région? Vous aurez, il est clair, besoin à la fois de ports et d'argent. Demanderez-vous aux responsables politiques de vous indiquer les moyens de procéder?

M. Cousins : En ce qui concerne les crédits du fonds Chantiers Canada annoncés récemment, comme le disait Mme Ell, les montants prévus ne sont pas suffisants. L'annonce a été faite, il n'y a pas très longtemps et je ne sais pas encore très bien comment nous procéderons.

Certains acteurs de la région estiment qu'il y aurait lieu de créer un conseil de la porte de l'Arctique, mieux apte à engager des pourparlers avec le fonds Chantiers Canada, notamment sur le dossier des infrastructures maritimes, mais également sur la question des infrastructures aériennes.

Je sais que Mme Ell, et moi-même dans une certaine mesure, sont parmi ceux qui s'attachent à une telle création. Il est vrai qu'un conseil de la porte serait mieux à même d'intervenir auprès du gouvernement afin que davantage de crédits du fonds Chantiers Canada soient affectés au Nunavut.

Le sénateur Mahovlich : Madame Ell, il n'est pas facile de construire des installations portuaires dans les communautés du Nord. Avez-vous effectué des études sur divers pays nordiques qui ont construit un port dans des régions où les glaces sont à peu près comparables à ce que nous avons dans le nord du Canada? S'il n'y a pas d'exemples dont nous pourrions nous inspirer, les ingénieurs vont devoir imaginer un nouveau système d'appontement afin que d'assez gros navires puissent accoster à Rankin Inlet ou à Iqaluit.

Mme Ell : Je ne sais pas s'il y a lieu de procéder à une étude sur ce point. Il y a, à Nanisivik, un port construit par la compagnie minière qui exploitait une mine d'or. Personne n'y vit aujourd'hui. C'était une ancienne compagnie minière. Pendant plusieurs années, donc, nous avons eu un port au Nunavut. Il desservait essentiellement la mine.

Le sénateur Mahovlich : Il n'a jamais servi?

Mme Ell : Il servait lorsque l'entreprise minière était installée là.

Le sénateur Mahovlich : Le port est-il encore là?

Mme Ell : Oui. Je n'ai pas tous les détails, mais il semble que le gouvernement fédéral projette de le remettre en état, pour des raisons ayant trait à la souveraineté du Canada.

M. Cousins : La ville d'Iqaluit a complété des études, préliminaires mais assez approfondies, sur la construction d'un port, et défini les grandes lignes du projet. Je dis tout de suite que, comme Nanisivik, il ne s'agit aucunement d'un port comparable au port de Saint-Jean ou de Halifax. Ce qui est envisagé, ce sont de petites installations portuaires, quelque chose, somme toute, d'assez sommaire. Ce ne sera pas nécessairement un port où pourront accoster les gros navires, avec des quais imposants. Il peut s'agir, par exemple, de plates-formes d'appontage où accosteraient les barges et non pas le navire lui-même. Cela dépend, entre autres, de la profondeur de l'eau.

Le sénateur Mahovlich : Vous avez tout à l'heure évoqué les déductions fiscales et le coût de la vie dans cette région et exprimé le souhait de pouvoir bénéficier de meilleures prestations.

Je dois dire que si je devais moi-même m'installer au Nunavut, je trouverais le coût de la vie extrêmement élevé par rapport à Toronto. Je ne pense pas que j'aurais les moyens de vivre ici. Vous nous disiez que ce qui coûte, en moyenne, 28 000 $ dans le reste du Canada, coûte 43 000 $ au Nunavut. C'est un écart considérable.

M. Cousins : Vous parlez là, je pense, des seuils de pauvreté.

Le sénateur Mahovlich : C'est cela.

M. Cousins : Oui, c'est une différence très sensible. J'ajoute que d'autres facteurs viennent aggraver la situation car, nous avons, en effet, des taux plus élevés de dépendance — de grandes familles et le taux de natalité le plus élevé du Canada — et puis, bien sûr, la cherté des services de base, de l'alimentation ainsi que du chauffage et de l'électricité, comme Mme Ell nous l'a rappelé lorsqu'elle parlait du coût de l'électricité.

C'est effectivement cher. Pour une famille qui ne dispose pas de deux revenus, la vie est difficile, même avec les subventions au logement dont bénéficient de nombreux résidents, ou avec les subventions que peut leur verser l'employeur. La vie coûte effectivement très cher ici.

Le sénateur Mahovlich : Si le taux de natalité se maintient, dans 20 ans nous aurons deux fois plus de problèmes que nous en avons aujourd'hui. Si les tendances actuelles se confirment, le problème du logement va devenir insoluble, à moins d'élaborer un plan logement qui se tienne.

Mme Ell : Sans cela, le surpeuplement va augmenter de 70 p. 100 au Nunavut.

Le sénateur Mahovlich : Soixante-dix pour cent?

Mme Ell : Oui, on prévoit une augmentation de 70 p. 100 d'ici 2016.

Selon les statistiques de 2003, le nombre d'Inuits habitant, dans le Nord, des logements surpeuplés est sept fois plus élevé que la moyenne nationale. Au Nunavut, il y a pour les logements une liste d'attente. Quinze pour cent des personnes vivant au Nunavut sont inscrites sur une liste d'attente. Nous avons une pénurie de logements et un problème de surpeuplement.

M. Cousins : Les données sur le logement remontent, je crois, à 2004. À l'époque, simplement pour palier les insuffisances, il aurait fallu immédiatement construire 5 000 logements. La somme initiale de 200 millions de dollars provenant du Fonds de fiducie du logement du Nunavut va permettre de construire 700 maisons. Vous pouvez imaginer les difficultés de toutes sortes que poserait la construction de 5 000 maisons dans les communautés du Nunavut.

En ce qui me concerne, j'héberge chez moi, comme beaucoup d'entre nous, un enfant adulte. Il n'a nulle part où aller. C'est un grave problème. Mais alors, que va-t-on faire pour améliorer la situation?

Le sénateur Mahovlich : Et, au niveau hospitalier, qu'en est-il?

M. Cousins : Le gouvernement du Nunavut a, au cours de ces quelques dernières années, consacré des sommes importantes aux hôpitaux et aux centres de soins de santé. Même à Iqaluit, où vient récemment de s'ouvrir le nouvel Hôpital général de Qikiqtani. Ces établissements ont coûté très très cher. Le coût de la construction a presque doublé au cours de la période récente en raison de l'augmentation du coût de l'énergie et des transports, du fer et de la main- d'œuvre, essentiellement à cause de l'Alberta. Ce n'est pas à cause de l'Alberta que nous manquons de main-d'œuvre ici, mais parce que, au cours des 20 ou 30 dernières années, le système scolaire n'a pas considéré l'apprentissage d'un métier comme une forme légitime d'éducation. Lorsque j'ai fait mes études secondaires, seuls les enfants considérés comme peu intelligents étaient orientés vers les cours techniques. La formation professionnelle n'était pas encouragée. C'est encore comme cela, non?

En matière de santé, notre principal problème se situe au niveau des installations, mais il nous faudrait également pouvoir attirer, et retenir, des docteurs et des infirmières. En matière de santé, c'est notre principal problème. Même dans une communauté assez importante, comme Iqaluit, on n'arrive pas à prendre rendez-vous avec un médecin. La situation est plutôt difficile.

Le sénateur Mahovlich : Avez-vous accès à un appareil d'IRM?

M. Cousins : Non, nous devons nous rendre à Ottawa pour tout cela.

Le sénateur Peterson : Le surpeuplement des locaux est une cause d'humidité et par voie de conséquence de moisissure noire. Les logements doivent alors être condamnés. Le problème s'est-il posé ici?

Mme Ell : Bien sûr. Les plus graves sont les problèmes respiratoires, dont souffrent de nombreux enfants.

La présidente : Je tiens à vous remercier tous les deux. Les exposés que vous avez présentés appellent de nombreuses réponses. Je viens moi-même de l'Alberta et je me souviens de toutes les difficultés que nous avons eues à lancer le projet de porte d'entrée en Colombie-Britannique. Vous avez raison, ce genre de chose devrait exister ici.

Mes chers collègues, avant d'achever notre visite dans cette région, nous accueillons un dernier témoin. Nous avons pris beaucoup de plaisir et d'intérêt à nous trouver ici et à prendre contact avec la population. Nous sommes cependant attristés par certaines des difficultés auxquelles sont confrontés les habitants de cette importante région du Canada.

John Lamb, président de la Iqaluit Community Greenhouse Society, intervient aujourd'hui, en dernier. Bonjour, monsieur Lamb. C'est avec plaisir que nous vous accueillons.

John Lamb, président, Iqaluit Community Greenhouse Society : Je vous remercie de cette occasion de prendre la parole devant le comité.

Avant d'entamer mon exposé, et comme nous arrivons en fin de journée, je tiens à dire que j'habite ici depuis 1999, et qu'on pourrait facilement se laisser accabler par le genre de difficultés qui ont été évoquées aujourd'hui. Cela dit, il est fort probable qu'à l'époque où se développait le reste du Canada, on a éprouvé les mêmes difficultés.

C'est dire que si les problèmes sont ici effectivement très grands, les habitants possèdent cette force de caractère qui caractérisait les pionniers. Je ne parle pas seulement de personnes qui, comme moi, viennent à l'origine du sud. J'entends par cela les personnes du cru, et notamment les jeunes qui font tant d'efforts pour élever leurs enfants.

Nous avons, aujourd'hui, beaucoup parlé des difficultés, mais cela ne doit pas nous cacher les bons côtés de la situation. C'est simplement qu'il faut creuser un petit peu pour les trouver. Il est dommage que vous ne puissiez pas passer la semaine ici et vous rendre dans quelques autres communautés, car vous pourriez y constater certains des atouts et des avantages qui sont, en quelque sorte, la contrepartie des dures réalités de la vie quotidienne.

Permettez-moi, maintenant, d'aborder mon sujet.

Il y a quelques années, un groupe de habitants d'Iqaluit a décidé de construire une serre. Au printemps de 2006, les fonds nécessaires avaient été réunis et, fin octobre, la serre était déjà construite. Nous avons bien tout amarré, en espérant que le vent ne l'emmènerait pas bien loin d'ici. La serre a effectivement survécu à l'hiver.

J'ai amené quelques photographies afin de vous donner une meilleure idée de ce dont je vous parle.

Nous n'avons pas construit cette serre à l'intention des amateurs de jardinage ou des gens qui avaient la nostalgie des fleurs de leur région d'origine. Il s'agissait, dès le départ, de contribuer au bien-être de la communauté à Iqaluit.

La population est en pleine croissance et les moyens de récréation assez rares. Certains ont donc recours à des choses qui ne leur font aucun bien, et vous savez ce que cela veut dire en ce qui concerne les jeunes. Nous avons donc estimé qu'une serre offrirait à la population un dérivatif qui ne pourrait que lui faire du bien. C'était le principal objectif de notre projet.

Il y avait, en outre, un aspect environnemental car, comme vous le savez, une grande partie de nos aliments doit être importée, la plupart du temps par avion. La construction de cette serre correspondait donc également à la volonté qu'avait cette petite communauté de l'Arctique de réduire son empreinte-carbone en faisant pousser une partie de sa nourriture. Il s'agit, bien sûr, d'un effort symbolique mais nous estimons que cette action symbolique peut avoir valeur d'exemple pour des gens, dans d'autres régions du monde, dont les activités contribuent au changement climatique.

Notre projet a déjà attiré pas mal d'attention, les médias nationaux et internationaux y voyant l'exemple de ce que peut faire une petite communauté qui prend conscience de la situation. Nous estimons, en outre, que les serres peuvent contribuer à l'économie du Nunavut et accroître son autonomie. Pour moi, cette serre illustre un peu le vieux dicton selon lequel, si vous voulez aider un homme qui a faim, mieux vaut lui donner une canne à pêche qu'un poisson.

En 2004, les gouvernements fédéral et territorial se sont entendus sur un Cadre stratégique pour l'agriculture. Il s'agit, pour l'essentiel, de la capture du caribou et du bœuf musqué, mais, d'après nous, le Nunavut se prête également à l'agriculture.

La serre d'Inuvik, que certains d'entre vous ont peut-être visitée, est en partie exploitée commercialement. On cultive, dans le nord du Québec, des plantes médicinales pour lesquelles il existe un véritable marché. Nous pouvons d'ailleurs, à l'aéroport d'Iqaluit, nous procurer des plantes médicinales cultivées dans le nord du Québec, même s'il ne nous est pas possible d'acheter ici des plantes cultivées au Nunavut. Je pense que c'est un secteur de l'économie qui pourrait être développé et notre serre pourrait y contribuer.

Ce qui a motivé notre projet c'est le souci de contribuer au bien-être de la communauté et de l'environnement et, aussi, l'aspect économique de la chose. Je voudrais maintenant évoquer le côté financier. La serre a coûté 170 000 $. Avant d'entamer les travaux, il a fallu faire venir tous les matériaux. Les deux principales sources de financement ont été le gouvernement du Nunavut et la Nunavut Harvesters Association, qui relève d'un programme d'Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Le maire ayant pris place à mes côtés, je tiens à la remercier et dire que la municipalité d'Iqaluit nous a apporté un précieux soutien.

Je ne veux pas prendre trop de temps, et je vais donc conclure, si vous le voulez bien, en lançant quelques pistes de développement et en formulant une suggestion.

Je pense qu'au cours des quelques prochaines années, nous allons parvenir à démontrer que, dans le Nord, une serre de dimensions modestes peut être rentabilisée par la production d'une quantité considérable de nourriture.

J'aimerais qu'un jour il y ait une serre dans chaque communauté du Nunavut. Certes, à Iqaluit, la quantité de nourriture que l'on peut faire pousser dans cette serre ne compte presque pas, vu les besoins d'une population de 6 000, et bientôt 7 000 habitants, mais la plupart des communautés du Nord sont beaucoup plus petites que ça et une serre de la taille de celle qui figure dans la photo peut produire, en saison, une proportion non négligeable des fruits consommés par la population. Cela permettrait de réduire les quantités de nourriture qui doivent être importées et, pour la première fois dans leur vie, permettre aux habitants du Nord de s'initier aux légumes fraîchement cueillis.

Nous sommes actuellement en train de réunir les fonds qui permettront d'agrandir la serre. L'année dernière, la première saison d'exploitation, la demande a de beaucoup dépassé notre production et nous souhaitons donc nous agrandir. Le gouvernement du Nunavut, et des contribuables locaux nous ont permis de réunir la quasi-totalité des sommes nécessaires, mais je dois dire qu'il n'est guère plus facile de lever des fonds au Nunavut qu'au Bangladesh. C'est en effet une communauté relativement pauvre. Il n'y a pas ici de fondations. Les entreprises telles que Canadian North Airlines, et First Air sont continuellement mises à contribution et leur générosité ne fait jamais défaut, mais on se demande parfois à qui d'autre on pourrait s'adresser.

J'en viens maintenant à la suggestion que j'évoquais tout à l'heure.

Selon moi, il y aurait lieu, pour le comité, d'encourager le gouvernement fédéral à trouver moyen de construire des serres un peu partout dans le Nord ou du moins dans certaines communautés. La Nunavut Harvesters Association, avec les subventions d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, s'est montrée très généreuse, mais elle s'intéresse surtout à l'exploitation des ressources fauniques.

Trois fois, on a vu notre demande de subvention rejetée par le ministère des Affaires indiennes et du Nord, pas parce qu'ils ne croient pas aux serres — ils ont, en effet, essayé de nous aider — mais simplement par manque de ressources. Si vous consultez son site Internet, vous verrez que le principal rôle de ce ministère est de contribuer à l'établissement de collectivités durables. D'après moi, la construction d'une serre s'inscrit très bien dans cette mission, mais aucune de leurs catégories n'est suffisamment souple pour permettre le financement d'un projet tel que celui-ci. D'après moi, il serait souhaitable que cela change.

On pourrait se demander pourquoi, en matière d'infrastructure, les besoins du Nunavut sont tellement grands. En effet, il lui faudrait des routes, des bassins de stabilisation des eaux usées, des logements et des écoles. Dans ces conditions-là, doit-on consacrer 100 000 $ à la construction d'une serre? Il faut, bien sûr, faire des choix. Cela me rappelle une vieille chanson : les gens ont besoin non seulement de pain, mais également de roses.

En plus du nécessaire, les gens ont besoin d'espoir et de beauté, de choses qui les animent. Je vous invite à visiter notre serre. Vous verrez si ça ne vous procure pas un sentiment de bien-être immédiat. Je voudrais que tous les habitants du Nunavut aient une telle occasion.

Je vous remercie.

La présidente : Monsieur Lamb, nous vous remercions.

Madame le maire, c'est un plaisir de vous accueillir à cette séance du comité, et un plaisir de se trouver en votre ville, parmi tous ces gens sympathiques qui nous ont fait part de la situation. Nous ferons de notre mieux afin de donner suite à tout ce qu'ils nous ont dit.

Elisapee Sheutiapik, mairesse, Ville d'Iqaluit : Merci.

Soyez les bienvenus parmi nous. Notre communauté doit, il est vrai, relever divers défis.

Nous nous attachons à le faire avec enthousiasme et, avec l'intervention de John Lamb, nous terminons sur une note positive.

On a beaucoup parlé de logement, et j'ai moi-même pris l'habitude de toujours dire « logements abordables » car, en effet, à quoi bon construire des habitations si les gens n'ont pas les moyens de s'y loger?

La plupart de nos habitants ne sont pas très instruits, pas comme les personnes qui siègent ici. Ils n'ont pas un revenu de 60 000 $ leur permettant de payer un loyer aux prix courants. C'est pour ça qu'il nous faut des logements « abordables ».

Je vous dis ça parce que je siège au conseil d'administration de la Régie du logement d'Iqaluit. Il y a des gens qui sont inscrits sur la liste d'attente depuis cinq ans. Il arrive qu'un logement soit occupé par trois générations d'une même famille. Alors, lorsqu'un jeune ménage s'adresse à la régie, qu'il vient d'avoir un enfant et a du mal à s'entendre avec les autres membres de la famille, notre conseil se trouve vraiment dans l'embarras face à cette jeune mère en larmes qui a besoin de se loger et qui est déjà inscrite depuis deux ans sur la liste d'attente.

La situation est également très difficile pour nous en tant que régie, lorsqu'il n'y a aucun logement de libre. Les situations auxquelles nous devons faire face sont plus délicates que celles auxquelles sont confrontés les dirigeants d'une grande ville, puisque ce qui est en cause ici, c'est l'existence même des gens.

Le surpeuplement des logements a de graves répercussions sociales et la construction de logements abordables est absolument essentielle.

J'aurais pu demander la parole plus tôt, lorsque vous avez évoqué la question des ports. Depuis plusieurs années déjà, j'étudie la question. La question de l'emplacement est bien sûr fondamentale, mais depuis 2007, on parle beaucoup aussi de viabilité écologique.

J'ai eu la chance de siéger, sous la présidence de Mike Harcourt, au Comité consultatif sur les villes et communautés nommé par le premier ministre. Ça m'a passionné. Lorsque, dans notre territoire, j'entends prononcer le mot « viabilité », ça me fait un peu peur, mais nous tentons de devenir une communauté durable.

C'est pourquoi, lorsqu'on évoque la construction d'un port en eau profonde, je ne me situe pas du tout dans l'optique de l'exploitation minière car les mines, ça ferment un jour. On disait, tout à l'heure, qu'à l'époque un port en eau profonde avait été construit à Nanisivik, pour les besoins de la mine. Le port est en cours de rénovation, mais, après la fermeture de la mine, il a été abandonné. Donc, si nous faisons des investissements, faisons des investissements durables. Mais alors, en l'absence d'exploitation minière, pourquoi aurait-on besoin d'un port? C'est, en général, pour acheminer des cargaisons sèches.

En tant que capitale, nous avons la population la plus nombreuse. L'année dernière, un accident mortel s'est produit lorsque du matériel lourd a fait du chahut à bord d'un bateau. On l'a laissé trop reculé, le matériel est tombé à l'eau et un homme est mort. La sécurité me semble devoir également retenir notre attention au fur et à mesure que notre population augmente et qu'augmente par conséquent le volume des marchandises qui arrivent jusqu'ici.

On voit passer 25 bateaux de croisière et je me dis que c'est autant d'argent que ne verront pas les artisans de notre territoire. Nous sommes des visuels et des gens d'esprit pratique et ces deux qualités sont source de talent. L'été dernier, quatre ou cinq bateaux étaient à l'ancre en même temps. Je sais, après m'être entretenue avec les responsables de la société Makivik, du nord du Québec, et avec des gens de Happy Valley-Goose Bay, qu'ils pourraient nous envoyer beaucoup de bateaux de croisière. Ces bateaux sont cependant forcés de faire demi-tour, car nous n'avons pas de quai où ils puissent accoster.

N'oubliez pas que certains des passagers à bord de ces bateaux de croisière peuvent être atteints d'une invalidité et qu'on ne peut guère leur proposer de monter à bord d'un canot pneumatique.

Nous pourrions en tirer de nombreux avantages. J'appelle ça de l'argent frais, car il serait attiré par notre artisanat, nos hôtels et nos restaurants. Je vois là des investissements plus durables que la construction d'un port pour desservir une mine.

Il ne me paraît pas du tout irréaliste de penser que, dans la mesure où les financements nécessaires peuvent être trouvés, la construction d'un port se justifierait pleinement.

On pourrait également parler des ressources naturelles. Je suis également président de l'Association des municipalités du Nunavut. Nous avons nous-mêmes souvent évoqué la question. À vrai dire, je ne pense pas que nous y soyons prêts pour l'instant, mais nous avons hâte de voir débuter les négociations sur le transfert des responsabilités car que nous restera-t-il, le jour où les mines seront épuisées? Il ne nous restera rien. On a évoqué devant vous les besoins de nos populations. C'est dire que nous pourrions très bien employer chez nous une partie de l'argent tiré des ressources de notre sous-sol.

Je pense que l'avenir du Nunavut est prometteur et je vous remercie de m'avoir donné cette occasion de prendre la parole devant vous.

La présidente : C'est avec grand plaisir que nous vous accueillons et que nous vous écoutons. Votre ville est un lieu remarquable. Mon attachement repose sur une raison quelque peu différente de celle que nous avons évoquée aujourd'hui. J'ai, en effet, des liens particuliers avec un groupe de personnes formidables qui font énormément ici pour l'alphabétisation. Il s'agit d'un domaine auquel, depuis longtemps, je m'intéresse de près et je suis restée en contact avec les membres de ce groupe. Il y a eu, il est vrai, un certain nombre de difficultés ces derniers temps, mais ce sont des gens formidables qui ont fait ici un énorme travail.

Pourrais-je vous demander de leur téléphoner demain et de les saluer de ma part car on peut être fier de ce qu'ils font.

Le sénateur Adams : Madame Sheutiapik, madame le maire, je tiens à vous remercier à la fois de votre présence devant le comité et votre accueil à Iqaluit. Depuis les tous débuts du gouvernement territorial, votre ville est à la pointe de ce qui se fait dans le territoire.

Le sénateur Mercer et moi-même siégeons au Comité sénatorial permanent des transports et des communications. Je siège également au comité des pêches. Nous avons, au cours de nos délibérations, évoqué la question des ports et de l'avenir du Nunavut. Le gouvernement et le ministère ne cessent de dire qu'ils ne savent rien de l'aspect financier.

À une époque où M. Harper faisait campagne à Winnipeg, je lui ai demandé si, une fois devenu premier ministre du Canada, il envisageait de construire un port. Jusqu'ici, nous n'avons rien vu. Il envisageait d'affecter à la construction d'un port la somme de 50 millions de dollars. Or, nous savons quels sont les coûts de la construction dans cette région.

Monsieur Lamb, votre projet de serre me paraît intéressant. Je siège au Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. J'espère que les comités des pêches et de l'environnement pourront, ensemble, effectuer un déplacement ici à la fin du mois de mai. C'est-à-dire que j'espère qu'on leur fournira les moyens de se rendre ici afin qu'ils puissent d'eux-mêmes constater la situation.

J'ai été membre du Conseil territorial et, déjà à l'époque, on parlait de serres. Nous savons que, parmi les missions qui s'étaient établies ici au début, l'une avait construit une petite serre et faisait pousser des légumes, généralement avec succès. En effet, à partir de ce mois, le soleil s'élève de plus en plus et, aux environs du mois de mai, il ne fait jamais nuit. Il fait clair 24 heures par jour et le soir ne revient qu'aux environs du mois de septembre.

Un jour j'ai rencontré un Japonais qui, au Japon, avait investi dans la construction de serres. Il m'a demandé si l'on ne pourrait pas investir dans des mines qui avaient fermé. Je lui ai dit que le meilleur endroit pour cela serait Rankin Inlet, mais que je ne savais pas combien de glace et d'eau il trouverait dans le puits étant donné que la mine avait fermé en 1955. Peut-être, votre organisation pourrait-elle envisager la chose.

Quel pourcentage de la consommation de légumes pouvez-vous assurer avec votre serre? On constate que vous avez ici un North Store ainsi qu'une coopérative locale. Pourriez-vous passer un accord en vertu duquel ces magasins se fourniraient en légumes auprès de vous?

M. Lamb : Je m'empresse de dire que la serre ne mesure actuellement que 20 pieds sur 50. Nous souhaitons en doubler la superficie, et nous pensons, dans cette serre agrandie, pouvoir effectivement faire pousser pas mal de nourriture. Mais nous ne pensons tout de même pas pouvoir nourrir 6 000 personnes. Cela dit, dans une communauté de 700, de 800 ou de 1 000 personnes, on pourrait, avec une serre de cette taille-là, subvenir à une bonne partie des besoins de la population.

La saison va à peu près de la fin de mois de juin à la fin du mois d'août ou du début du mois de septembre. Le printemps dernier, cependant, alors qu'il faisait -20oC dehors au mois d'avril, il faisait 50oC à l'intérieur de la serre. Ça, c'est bien sûr pendant la journée, car la nuit la température redescendait à -20oC.

Nous avons installé un système solaire passif. Il s'agit, en fait, de toute une série de poubelles remplies d'eau. Pendant la journée, l'eau absorbe la chaleur du soleil, qu'elle ressert pendant la nuit. Le système de chauffage ne suffit pas, cependant. Il faudrait, en effet, que la température ne baisse jamais au-dessous de 6oC. J'en parle simplement pour montrer le genre d'écotechnologies auquel on peut recourir. Nous envisageons un système de chauffage solaire actif et, éventuellement, peut-être, un système de chauffage par énergie éolienne. C'est dire qu'il existe en ce domaine plusieurs solutions possibles.

Nous voudrions étendre la saison de végétation afin de pouvoir faire pousser des fruits et des légumes du mois d'avril jusqu'au mois d'octobre. Passée cette date, à moins d'avoir une bonne éolienne, on ne peut pas vraiment maintenir la température de la serre, à moins de procéder à de très coûteux travaux d'isolation. Nous espérons parvenir à une solution équilibrée.

Le sénateur Adams : Je me souviens qu'un jour, avec certains collègues du comité et un autre groupe de sénateurs, nous nous étions rendus à une centrale électrique de la Northwest Territories Power Corporation. On nous a parlé de l'augmentation de la température de l'eau du lac de retenue, c'est-à-dire, en fait, de l'eau qui arrivait à Iqaluit. Or, qui veut se trouver en aval de l'eau rejetée par une centrale hydroélectrique? J'espère qu'à l'avenir, les entreprises adopteront des technologies plus avancées. Je sais qu'à Rankin Inlet on a installé des systèmes de chauffage qui relient directement les immeubles du gouvernement à la centrale et que cela a permis d'économiser jusqu'à 30 p. 100 des coûts de chauffage des habitations et des immeubles du gouvernement.

Peut-être pourriez-vous envisager ce genre de choses si vous souhaitez étendre à d'autres communautés, votre projet de serres.

M. Lamb : Notre maire souhaite peut-être ajouter quelque chose, mais je voudrais apporter une petite précision.

Je crois pouvoir dire que la ville d'Iqaluit est la première collectivité canadienne à réserver une partie des terres municipales à un aménagement durable. Nous avons été les premiers à le faire, et je dis ça simplement parce que si la ville est appelée à prendre une certaine ampleur, il va nous falloir trouver de nouveaux moyens de faire en sorte que ce développement soit durable. Je crois que, jusqu'ici, Iqaluit s'est assez bien défendue.

La municipalité a toujours soutenu notre action. Pour une raison que j'expliquais tout à l'heure, il n'a pas été facile de construire cette serre, mais j'espère que nous allons pouvoir, par un effort collectif, continuer à progresser et à renforcer notre assise. Nous avons invité la Société des aînés à se joindre à nous, ainsi que la banque alimentaire et diverses associations de jeunes. Nous souhaitons également voir participer les élèves des classes de science. Autrement dit, nous souhaitons élargir le cercle.

Nous avons également noué des participations avec des scientifiques. C'est ainsi que l'Université de Saskatchewan effectue, dans une partie de la serre, des travaux sur l'utilisation des sols dans le Nord. Il y a ici de grandes possibilités au niveau des recherches environnementales.

J'ajoute que cette année est l'Année polaire internationale. Qu'il me soit permis d'évoquer une question un petit peu épineuse. À l'occasion de l'Année polaire internationale, le gouvernement fédéral a donné pas mal d'argent pour financer des recherches menées par des spécialistes venus du sud mais, on me pardonnera de le dire, il n'en est pas resté grand-chose dans le Nord, je suis sûr que notre maire en a su quelque chose. On a essayé de les convaincre de lancer des projets commémoratifs, qui auraient eu des retombées dans notre territoire. Je crois cependant savoir que tous les crédits prévus pour de tels projets s'étaient évaporés et qu'il ne restait rien.

La construction d'une serre me semblait tout à fait se défendre dans le cadre de l'Année polaire internationale, mais cela n'a pas été possible.

Le sénateur Mercer : Monsieur Lamb, j'aime beaucoup l'idée d'installer une serre dans un aussi grand nombre possible de petites communautés du Nord. Étant donné les coûts de l'alimentation, ça me paraît être une bonne chose, d'autant plus qu'il existe, dans le Nord, cette tradition de partage des aliments. Il ne s'agirait donc pas de construire des serres pour s'enrichir, mais d'aboutir à un partage équitable du produit d'un effort collectif.

Je vous ferai remarquer qu'il y a parfois beaucoup de vent ici et j'ai donc naturellement songé à l'énergie éolienne. Je viens de Nouvelle-Écosse, où il y a toujours du vent, du moins dans certaines régions. L'énergie éolienne me semble donc représenter une bonne solution, surtout si l'on trouve le moyen d'emmagasiner une partie de l'énergie produite pour les jours où il y a moins de vent. Vous croyez à la viabilité économique d'une telle solution?

M. Lamb : Je pense que notre maire est la mieux placée pour vous répondre sur ce point.

Si c'était possible, nous souhaiterions effectivement recourir à l'énergie éolienne. Ce serait une bonne solution.

Mme Sheutiapik : Je connais un petit peu ce domaine car pendant plusieurs années, j'ai siégé au conseil d'administration d'une entreprise qui exploitait une centrale électrique.

Le sénateur Mercer : Y a-t-il un domaine qui vous soit étranger?

Mme Sheutiapik : Nous utilisons ici la chaleur résiduelle, c'est-à-dire que nous récupérons la chaleur provenant de la centrale électrique et nous l'utilisons pour chauffer les nouveaux locaux de l'hôpital.

Nous avons dû construire, pour le lotissement écologique dont M. Lamb nous parlait tout à l'heure, une nouvelle station auxiliaire de pompage. Nous avons, dans tous les logements, installé des toilettes et des douches à débit d'eau restreint. Nous avons apporté beaucoup de modifications aux plans car nous voulions, par exemple, que les logements aient un ensoleillement maximum afin, justement, d'économiser l'énergie.

Nos initiatives en ce domaine ont été saluées par Engineering Research and Development in Agriculture, l'ERDA, une organisation d'ingénieurs et de planificateurs professionnels, créée en 1985 et active dans le monde entier. Notre municipalité a été saluée pour ce premier lotissement écologique de l'Arctique.

Je crois que des projets d'énergie éolienne ont été lancés à Baker Lake et, peut-être aussi, à Rankin Inlet. Encore une fois, tout dépend de la puissance du vent. Ces éoliennes sont énormes, mais je crois qu'à Baker Lake, le vent est tellement fort que les pales ont cassé.

Lorsque, dans le sud, il y a un afflux de vent qui permet de produire un surcroît d'électricité, il y a, pas loin, une autre communauté à laquelle ce surcroît de courant peut être transmis. Or, ce n'est pas le cas ici. À moins que, ces dernières années, la technologie des aérogénérateurs ait progressé, ici le système s'éteindrait tout simplement. C'est pourquoi, on pensait que les éoliennes ne marcheraient pas ici. D'abord, il n'y a sur place personne pour les réparer mais, chose plus importante encore, nous n'avons pas de communauté voisine à qui l'on pourrait transmettre le surcroît d'énergie le jour où il y a un soudain afflux de vent.

Le chauffage résiduel marche bien. J'ai eu l'occasion de me rendre à Panniqtuuq et de voir à l'œuvre un système de chauffage résiduel installé dans une école. La chaleur résiduelle provenant de la centrale suffit à chauffer l'école, et il suffit, une fois par an, de faire démarrer le système.

Voici, donc, le genre de choses qui se font. Avant que je ne quitte l'entreprise d'électricité, des projets comme cela avaient également été lancés à Rankin Inlet. Le chauffage résiduel donne de bons résultats ici.

Le sénateur Mercer : La technologie évolue. Elle n'est pas aussi perfectionnée qu'on le souhaiterait, mais ce serait, d'après moi, manquer une occasion. Il faudrait vraiment installer beaucoup d'éoliennes pour qu'une ville comme Iqaluit ait une capacité de production excédentaire.

En cas de surproductivité, il est vrai que vous ne pourriez pas, pour l'instant, passer le surcroît d'énergie à une communauté voisine, mais ce sera un jour possible. Il me semble que parfois on ne peut pas simplement attendre que les choses évoluent, mais qu'il faut les faire évoluer.

Mme Sheutiapik : Une étude de faisabilité est en cours. À l'origine, on avait envisagé cinq sites, mais je pense que maintenant il n'en reste que trois. Il s'agit, bien sûr, de planification à long terme et on envisage donc déjà de nouveaux modèles.

Il y a quelques années, on a effectué une étude de faisabilité sur la construction d'un port en eau profonde. Dans le cadre de cette étude de faisabilité sur les sources d'énergie électrique, on s'est demandé si l'on ne pourrait pas, pour le port en eau profonde, trouver un site s'intégrant mieux à l'approvisionnement en électricité. Voilà, un peu, le genre de partenariats auxquels nous songeons actuellement.

Dans le cadre des discussions sur le volet électricité du projet, on a appris qu'il y a effectivement un endroit où un port pourrait être plus avantageusement construit, étant donné que la saison de navigation pourrait être allongée de trois mois, ce qui avantagerait en outre nos pêcheurs.

J'ai presque oublié de dire qu'il s'agit là d'une industrie où, enfin, nous allons pouvoir bénéficier de l'exploitation de nos ressources. Je pense que cela nous offre de bonnes perspectives. J'ai eu l'occasion de me rendre cet été au Groenland à bord d'un navire russe dans le cadre d'un voyage organisé par la Fondation Annenberg. Ce voyage au Groenland a été formidable et, arrivée au Groenland, j'ai eu le plaisir de voir un de nos bateaux de la Baffin Fisheries Coalition, décharger sa marchandise. Tout d'un coup, ça a fait « tilt », et je me suis dit que nous aussi nous pourrions avoir un quai comme celui-là.

Le sénateur Mercer : Ce projet de port au Nunavut me paraît bon. Encore une fois, je ne pense pas qu'il faille attendre que la demande se manifeste. C'est un de ces projets qu'il faut, me semble-t-il, simplement lancer. Étant donné la sculpture et autres arts pratiqués ici, votre communauté est bien placée pour accueillir des bateaux de croisière. À Halifax, nous venons tout juste de renouer avec les croisières. Nous avons, en Nouvelle-Écosse, une industrie unique, celle du cristal. C'est en effet, la seule cristallerie d'Amérique du Nord. Quand les bateaux de croisière arrivent, on voit de longues files de personnes attendant pour acheter du cristal. Les cristalliers en profitent, les restaurants et les bars aussi. Ça fait un tout, et je vous souhaite plein succès.

Mme Sheutiapik : L'idée du port me tient tellement à cœur que je voudrais sur ce point ajouter quelque chose.

N'oubliez pas que les principaux acteurs de notre économie s'intéressent de près à cela depuis le début. Je précise, en ce qui concerne les pêches, que vous vous trouvez dans un territoire qui s'appelle le Nunavut, c'est-à-dire notre terre. Nous avons à cœur de protéger les espèces animales qui habitent nos terres, et nous avons un grand souci de la viabilité écologique de nos projets. On ne trouve pas à Montréal ces petits villages en miniature sculptés en os comme vous en trouvez dans mon bureau. Pour la pêche, on n'envisage même pas d'utiliser de gros navires car chacun sait que cela endommage les fonds marins. On veut de plus petits bateaux et c'est très bien car cela veut dire que les communautés avoisinantes, Panniqtuuq et Lake Harbour, auront les moyens, elles aussi, d'en acheter. Or, ces communautés sont assez proches d'ici pour pouvoir y débarquer leurs prises.

N'oublions pas, en outre, que nous disposons d'une autre infrastructure importante qui fonctionne un peu en tandem avec le port en eau profonde. J'entends par cela notre aéroport. Je crois savoir que pour les atterrissages d'urgence, nous sommes l'aéroport de réserve pour les avions qui ne peuvent pas se poser à Ottawa.

M. Lamb : Puis-je me permettre une dernière précision au sujet des sources énergétiques afin de résumer un peu l'état de la question.

Ottawa doit, me semble-t-il, envisager la viabilité des communautés de l'Arctique de manière un peu différente. Dès qu'on parle de souveraineté, on pense tout de suite à l'aspect militaire de la chose. Or, en ce qui concerne les droits que le Canada revendique sur la région de l'Arctique, je dirais que la souveraineté est essentiellement fondée sur le fait que cette partie du pays est occupée par les Inuits. Même au niveau du droit international, c'est ce qui compte essentiellement. Dans la mesure où nous occupons un territoire, nous pouvons en revendiquer la souveraineté.

Dans le temps, la question de la viabilité des communautés ne se posait pas de la même manière. Maintenant, les communautés inuites sont indissociablement liées à la souveraineté que revendique le Canada et si, un jour, ces communautés cessaient d'être viables, cela aurait une incidence certaine sur les droits que le Canada peut faire valoir sur la région.

Le gouvernement fédéral devrait donc, me semble-t-il, envisager de manière plus large les expériences, les recherches et les investissements qui permettraient d'assurer la viabilité de ces communautés. Quel prix faudrait-il que le baril de pétrole atteigne pour que nos communautés ne puissent plus fonctionner? En effet, nos communautés dépendent entièrement du pétrole. Il y aura bien un point où, financièrement, cela ne sera plus possible. Il n'est pas inconcevable que l'augmentation du prix du pétrole pousse le gouvernement du Nunavut à la faillite.

Si le Canada prend vraiment au sérieux la question de sa souveraineté sur les régions du Nord, il va falloir qu'il envisage très sérieusement d'investir dans d'autres sources d'énergie.

Outre mes fonctions municipales, je travaille pour le gouvernement du Nunavut qui, vu la minceur de ses ressources, s'est vu contraint de songer à d'autres sources d'énergie. Il se penche très activement sur la question des diverses solutions qui s'offrent en ce domaine mais je pense que, de plus en plus, le monde envisage des solutions mixtes, c'est-à- dire des sources d'énergie polyvalentes.

Nous avons ici beaucoup de soleil, d'énergie solaire, de vent, d'énergie géothermique — à laquelle je m'intéresse particulièrement — et aussi de potentiel hydro-électrique. Je pense qu'il y aurait lieu d'investir dans ces diverses sources afin que nos communautés n'aient pas un jour à mettre la clé sous la porte.

Le sénateur Mahovlich : Il est bon d'avoir d'aussi larges perspectives. Je suis tout à fait favorable aux serres.

Dans la mesure où les ressources nous sont comptées et qu'il existe des mines abandonnées, ne pourrait-on pas envisager des serres souterraines? Il y fait beaucoup plus chaud, c'est plus humide et je sais que ça s'est déjà fait. Beaucoup de serres sont situées sous terre. Monsieur Lamb, vous en savez plus que moi sur ce point.

M. Lamb : Je pense que, là, vous allez peut-être un peu vite.

L'idée est intéressante et je sais qu'on a réussi à y cultiver des champignons. N'y a-t-il même pas, en Saskatchewan, un endroit où l'on fait pousser de la marijuana sous terre? N'est-ce pas à Flin Flon.

Vous ne pouvez pas vous imaginer combien de fois on nous a taquinés au sujet de ce que nous faisons pousser dans notre serre.

Non, l'idée est intéressante. J'aimerais savoir, par contre, combien d'électricité cela prendrait. On en revient toujours à la question énergétique.

Mais, il est possible qu'en allant assez loin sous terre, on atteigne des températures plus élevées.

Le sénateur Mahovlich : C'est effectivement le cas.

Je viens moi-même d'une ville minière, et le puits de la mine McIntyre se trouvait à trois milles sous terre. L'air y était plus épais, plus humide et je dois dire que les mineurs ne s'y plaisaient guère. S'ils fumaient une cigarette, la fumée restait là, sans se dissiper, étant donné l'épaisseur de l'air. Selon moi, cela veut dire qu'à cette profondeur, tout pousserait vite.

M. Lamb : Il nous faudrait donc plus de mines.

La mine Polaris est-elle sous terre?

Mme Sheutiapik : J'ai rencontré, à Ottawa, il y a une semaine, un conseiller municipal de Yellowknife. Il y a dans cette ville, une vieille mine et ils envisagent de récupérer la chaleur souterraine puisqu'il n'y fait jamais froid. Je vais lui parler de ça.

La présidente : Je tiens à vous remercier très sincèrement de votre participation aux travaux de notre comité. Nous avons pris un vif intérêt aux propos que vous avez tenus ici. J'estime que nous terminons sur une bonne note.

Je tiens également à remercier tous ceux qui ont collaboré à la séance, qui nous ont aidés, ainsi qu'à tous ceux qui sont passés se joindre à nous au cours de la journée.

Vous nous avez donné matière à réflexion et, au nom du comité, je vous en remercie.

La séance est levée.


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