Délibérations du Sous-comité sur les villes
Fascicule 1 - Témoignages du 17 avril 2008
OTTAWA, le jeudi 17 avril 2008
Le Sous-comité sur les villes du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 11 h 27 pour étudier les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé, ainsi qu'à examiner, pour en faire rapport, les questions d'actualité des grandes villes canadiennes.
Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bienvenue au sous-comité sur les villes du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Aujourd'hui, nous allons examiner la pauvreté chez les personnes handicapées.
[Traduction]
Nous nous appuyons sur les travaux effectués par le Sénat sur la question de la pauvreté, comme le rapport de 1971 rédigé sous la direction du sénateur Croll et le rapport de 1997 du sénateur Cohen intitulé La pauvreté au Canada : le point critique.
Par ailleurs, notre étude est complémentaire au travail que fait présentement le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts sous la présidence du sénateur Fairbairn. À la demande du sénateur Segal, ce comité se penche sur la pauvreté en milieu rural. Nous espérons rassembler tous les morceaux de ce sujet important pour les Canadiens.
Nous accueillons aujourd'hui quatre témoins, et chacun aura la parole pendant environ cinq minutes. Le premier témoin sera Michael Prince, professeur de politique sociale de l'Université de Victoria. M. Prince fait des recherches et publie beaucoup sur les politiques relatives aux personnes handicapées depuis plus de dix ans. Il est l'un des principaux récipiendaires d'une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines, d'un million de dollars sur quatre ans, visant une étude intitulée « Disabling Poverty and Enabling Citizenship ». En janvier 2008, le Caledon Institute of Social Policy a publié un de ses rapports, qui a pour titre Canadians Need a Medium-Term Sickness/Disability Income Benefit.
Après M. Prince, nous entendrons Michael Mendelson, chercheur principal au Caledon Institute of Social Policy. M. Mendelson a occupé de nombreux postes de haut fonctionnaire avant sa nomination à l'institut. Il a été sous- secrétaire au bureau du conseil des ministres de l'Ontario. Il a fait partie d'une équipe de chercheurs qui a étudié les possibilités d'un programme de revenu minimum à un niveau équivalent à la Sécurité de la vieillesse et au Supplément de revenu garanti, qui serait assuré par le système fiscal. L'équipe propose de l'utiliser pour remplacer l'aide sociale dans les cas d'invalidité. M. Mendelson nous entretiendra à ce sujet dans peu de temps.
Notre troisième témoin est Marie White, présidente nationale du Conseil des Canadiens avec déficiences. Le CCD est un organisme national qui compte des représentants d'organismes provinciaux dirigés par des consommateurs et d'autres organismes nationaux voués à la cause des personnes handicapées. Mme White est consultante principale en recherche et en évaluation à St-John's, Terre-Neuve-et-Labrador, et elle contribue depuis plusieurs années au succès de plusieurs projets au niveau local, provincial et national.
Enfin, nous accueillons Walter Zélaya, représentant de la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec. Il s'agit d'un organisme sans but lucratif qui défend les droits et fait valoir les intérêts des personnes de tout âge qui ont des limitations fonctionnelles.
Bienvenue à tous les quatre.
Michael Prince, professeur de politique sociale, Université de Victoria : Je vais essayer d'être bref pour qu'on ait le temps de poser des questions et de discuter. Je vous remercie de m'avoir invité et de me donner l'occasion de comparaître ici aujourd'hui. J'ai remis à la greffière du comité un court document d'information, qui résume le rapport dont vous avez parlé et qui a été préparé en janvier pour l'institut Caledon. Dans ce rapport, je préconise des indemnités à moyen terme pour les Canadiens atteints d'un handicap allant de modéré à majeur ou d'un problème médical modéré.
Je vais prendre vos questions si nécessaire, mais j'aimerais situer la problématique dans un contexte plus global. Vous avez parlé du rapport Croll. Le gouvernement du Canada avait publié, en 1970, un livre blanc sous la direction du ministre de la Santé et du Bien-être social de l'époque, John Munro, et du sous-ministre Joe Willard. Ce fonctionnaire fédéral a joué un rôle clé, à compter de la Deuxième Guerre mondiale jusqu'aux années 1970, dans l'établissement des assises sociales sur lesquelles reposent les avantages que nous tenons aujourd'hui pour acquis.
En 1970, on avait observé un écart, dans la protection du revenu, entre ceux qui avaient une protection à court terme en vertu de l'assurance-chômage, comme on l'appelait à l'époque, et ceux qui pouvaient se prévaloir du nouveau Régime de pensions du Canada qui avait été instauré quelques années auparavant et qui prévoyait une prestation d'invalidité. Avançons rapidement jusqu'à la commission royale Macdonald, au milieu des années 80. Une fois de plus, les commissaires de l'époque avaient remarqué et souligné cette pièce manquante du système de sécurité de revenu du Canada. Même plus récemment, des rapports des comités de la Chambre des communes, des groupes de réflexion et autres, ainsi que des chercheurs indépendants, dont je fais partie, continuent de souligner l'absence de cette mesure de protection du revenu pour les Canadiens.
On pourrait comprendre que dans les premiers rapports, nous n'ayons intégré que des prestations de maladie dans l'assurance-emploi en 1971, et les prestations d'invalidité du Régime de pensions du Canada n'ont commencé qu'en 1970-1971 également. Toutefois, près de 40 ans plus tard, les problèmes relevés par le sénateur Croll et d'autres à l'époque persistent, s'ils ne se sont pas aggravés. Le besoin continue de se faire sentir.
Pourquoi le gouvernement ne s'est pas attaqué à cette question? Parce que le problème touche des Canadiens ordinaires que l'on trouve dans toute une diversité de collectivités, de types de famille, d'industries et de métiers. Aucun lobby ni aucun groupe d'intérêt spécial ne se porte à la défense de ces personnes; elles ont tendance à mener des vies de désespoir tranquille, aux prises avec des maladies épisodiques ou chroniques, et à se débrouiller tant bien que mal avec des revenus modestes.
De plus, bon nombre de ces personnes se sentent laissées pour compte. Elles avaient présumé, peut-être à tort, qu'elles pouvaient compter sur une protection quelconque, que ce soit les primes d'assurance sociale qu'elles avaient versées au titre du RPC ou de l'AE, ou encore les prestations du régime d'invalidité à long terme de leur employeur. Toutefois, pour la plupart de ces programmes, vous devez avoir une incapacité extrêmement grave et prolongée, ou bien vous recevez des prestations de maladie à très court terme en vertu de l'AE.
Or, un grand nombre de Canadiens se trouvent entre ces deux catégories et ont très peu de revenu d'appoint ou de protection, mis à part leurs biens personnels. Beaucoup d'entre eux finissent par vivre de l'aide sociale. En général, dans la plupart des provinces maintenant, de 50 à 70 p. 100 des prestataires de l'aide sociale sont des Canadiens handicapés.
Nous avons éliminé, avec un certain succès, les jeunes physiquement capables. Nous en avons peut-être repoussé d'autres, mais nous les avons redirigés. Nous avons maintenant des programmes provinciaux d'aide sociale qui sont devenus des entrepôts pour bon nombre de Canadiens souffrant de maladies graves et chroniques.
Ce n'est pas ce que nous voulions. Ce n'était pas notre vision. Je suis donc ravi d'être ici aujourd'hui pour m'entretenir avec vous sur ce sujet et pour demander au comité d'ajouter sa voix à ceux qui font valoir ce besoin pressant pour de nombreux Canadiens.
Le président : Nous allons examiner cette question plus en détail avec vous lorsque nous passerons aux questions et aux échanges.
Michael Mendelson, chercheur principal, Caledon Institute of Social Policy : Je vous ai fait parvenir un jeu de diapositives. Je crois que vous en avez tous une copie et je présume que vous l'avez tous examiné attentivement. Je vais le résumer brièvement.
La situation que nous essayons de corriger est désastreuse pour bon nombre de Canadiens. Environ 500 000 Canadiens handicapés vivent de l'aide sociale ou grâce à des programmes semblables à l'aide sociale au Canada. L'aide sociale est devenue essentiellement le programme d'invalidité au Canada, et ce n'est pas un bon programme. Même dans les quelques provinces où les prestations sont meilleures que la moyenne, on retrouve les préjugés et l'appareil qui entourent l'aide sociale. Ce programme de dernier recours n'est pas approprié pour les personnes handicapées, si le Canada veut montrer l'image d'un pays qui se soucie vraiment des gens qui ont un handicap.
Pour lancer le débat, nous avons produit une proposition précise et concrète visant la mise sur pied d'un programme qui remplacera l'aide sociale pour la plupart des gens ayant un handicap grave au Canada. Notre objectif n'est pas de regrouper tous les programmes d'invalidité qui existent, depuis l'assurance-automobile jusqu'aux indemnisations des accidents du travail; notre but est de remplacer l'aide sociale. Nous avons conçu un programme de revenu de base pour remplacer l'aide sociale. Il ne remplacera pas l'aide sociale pour toutes les personnes qui ont recours aux programmes provinciaux d'aide sociale en raison d'une invalidité, mais pour la plupart d'entre elles.
L'essentiel du programme consiste, premièrement, à modifier le crédit d'impôt pour personnes handicapées. Il s'agit d'un crédit d'impôt non remboursable. Cela signifie que très peu de gens peuvent s'en prévaloir. En fait, il a peu de valeur, voire aucune, pour la plupart des personnes handicapées, parce qu'elles n'ont pas un revenu suffisant pour profiter d'un crédit d'impôt non remboursable.
Notre proposition consiste à le transformer en crédit d'impôt entièrement remboursable au niveau maximum actuel des prestations fédérales et des prestations provinciales. Nous décrivons cela dans le document. Ce crédit serait offert à tous ceux qui ont un handicap grave et qui peuvent satisfaire aux critères établis pour recevoir le crédit d'impôt pour personnes handicapées, et non seulement aux prestataires de l'aide sociale. Nous voulons ainsi offrir une indemnité aux personnes handicapées pour compenser les nombreux coûts liés à leur incapacité qui ne peuvent être comptabilisés sur un bordereau.
Le crédit d'impôt pour personnes handicapées entièrement remboursable aura une valeur de base de 1 700 à 1 800 $. Le revenu de base que nous proposons — je n'irai pas dans les détails maintenant parce que nous n'avons pas le temps — est conçu essentiellement comme le Supplément de revenu garanti et la Sécurité de la vieillesse, sans le caractère universel. Il est conçu comme le SRG, c'est-à-dire qu'il comporte un taux de récupération fiscale de 50 p. 100 et le niveau de garantie proposé est celui de la SV et du SRG. Le montant pour les couples correspond au taux de la SV et du SRG. Puisque certaines personnes handicapées ont aussi des enfants, il faut prévoir une allocation pour enfants. Nous proposons également une allocation pour les régions septentrionales.
Nous parlons d'un revenu garanti d'environ 13 330 $ pour une personne seule et d'environ 21 000 $ pour un couple. C'était en 2007; ces sommes peuvent être légèrement plus élevées maintenant. Ce n'est pas une somme princière — sans vouloir vous offenser, monsieur Prince — mais c'est nettement plus, le double dans bien des cas, que ce que reçoivent actuellement les prestataires de l'aide sociale.
Chose tout aussi importante, ce revenu serait versé sans qu'entre en jeu l'appareil de l'aide sociale. Ce revenu pourrait être distribué par le truchement du système fiscal, sans que le prestataire ne soit stigmatisé et sans que l'on tienne compte de ses biens, par exemple. Un revenu qui n'est pas à déclarer au titre de l'impôt n'entraînerait pas une réduction de la prestation. Les cadeaux d'un parent ou d'un ami ne seraient pas pris en considération.
Selon nous, il s'agit là d'un changement important dans la philosophie du Canada et dans son approche à l'égard des personnes handicapées. Cette mesure aurait une incidence énorme sur l'étendue de la pauvreté, en particulier la pauvreté chez les personnes qu'on dit « sans attache ». Ce n'est pas une bonne expression, mais nous parlons ici des gens qui n'ont pas d'enfant, qui forment un important pourcentage de la population qui vit dans la pauvreté et qui ne retient pas l'attention à l'heure actuelle.
Pour conclure, pour nous être entretenus avec des groupes de personnes handicapées et des interlocuteurs comme vous, nous reconnaissons qu'il faudra instaurer des critères rigoureux d'incapacité. Nous ne pouvons faire la promotion d'un programme qui offre un niveau de garantie relativement adéquat sans qu'il n'y ait des critères d'admissibilité importants, afin que les Canadiens soient assurés que les bénéficiaires ne sont pas des personnes qui, selon toute attente raisonnable, peuvent gagner leur vie grâce à un emploi.
Par chance, au Canada nous avons acquis de l'expérience dans ce domaine puisque nous avons un crédit d'impôt pour personnes handicapées ainsi que les critères d'incapacité du Régime de pensions du Canada. Ces deux systèmes sont en place et ils peuvent être adaptés pour établir l'admissibilité à ce programme. En fait, tout l'appareil administratif est en place, avec les processus d'appel et les précédents jurisprudentiels. La chose ne serait ni impossible ni difficile à faire.
Cette réforme suppose une entente fédérale-provinciale. Lorsque je dis cela, tout le monde sourcille, probablement à juste titre. La réalité, c'est que le Canada est une fédération. Il est impossible de réformer en profondeur notre système de sécurité du revenu sans une coordination fédérale-provinciale. Nous devons composer avec cette réalité. C'est inévitable. Cet obstacle peut être surmonté, en particulier parce que cette mesure promet d'engendrer de généreuses économies pour les provinces. Nous énumérons ici ce que nous croyons être la contrepartie provinciale qui est prévue et nécessaire.
Le président : Cet aspect soulèvera des questions.
Mary White, présidente nationale, Conseil des Canadiens avec déficiences : Merci de m'avoir invitée ici aujourd'hui. Quelques-unes des solutions ont été décrites, et je vais brosser le tableau de la pauvreté pour vous.
Imaginez que vous vivez avec moins de 7 000 $ par année, soit le minimum de l'aide sociale au Canada aujourd'hui. Imaginez que vous avez besoin d'un fauteuil roulant, mais qu'on vous dit que vous devez attendre qu'un club philanthropique l'achète pour vous. Imaginez que vous êtes désinstitutionnalisé sans avoir de soutien adéquat, que vous vous retrouvez sans abri et que vous vivez dans la misère extrême. Imaginez qu'on vous dit que vous pouvez immigrer au Canada, mais seulement si vous laissez derrière vous votre enfant handicapé. Imaginez que votre chez- vous, c'est une institution, comme pour bon nombre de personnes ayant un handicap intellectuel. Imaginez qu'on vous dit que vous coûtez trop cher pour demeurer à la maison et que vous devez aller vivre dans un établissement. C'est ce qu'on m'a dit lorsque j'avais 29 ans, lorsque je suis devenue handicapée. Bien sûr, j'ai écouté.
Voilà la réalité qu'un trop grand nombre de personnes handicapées connaissent dans notre pays. C'est une honte. Les coûts personnels, sociaux et économiques de l'incapacité et de l'exclusion que connaissent les personnes handicapées sont trop élevés pour être ignorés. Selon moi, la raison pour laquelle les personnes handicapées se retrouvent dans la pauvreté ici, c'est que la politique sociale au Canada ne va nulle part; et ce n'est pas acceptable.
Au cours des dernières années, le Conseil des Canadiens avec déficiences, le CCD, a réuni des personnes handicapées, leurs familles et les organisations qui les soutiennent pour qu'elles élaborent un plan d'action national pour les personnes handicapées, qui vous a été distribué. Ce plan fournit une piste aux décideurs, aux politiciens et aux Canadiens qui s'intéressent à la question pour qu'ils élaborent une stratégie nationale pour les personnes handicapées, parce qu'on ne peut plus dépendre de solutions ponctuelles. Il nous faut une stratégie pour régler les problèmes importants, généralisés et interreliés qui marginalisent les personnes handicapées et les tiennent à l'écart de la société. Ces problèmes sont le manque d'accès aux mesures de soutien, la pauvreté et le sous-emploi ou le chômage.
Je vais reprendre un aspect que M. Mendelson a soulevé. Pour être efficace, un plan d'action national pour les personnes handicapées doit transcender l'approche traditionnelle, fragmentée et réactive. Ce plan exige un leadership fédéral. Il devra, avec des projets intégrés à court et à long terme et des mesures décisives, créer un environnement au sein duquel les personnes handicapées pourront réaliser leur potentiel.
Pour que le Canada soit inclusif et accessible, le gouvernement fédéral doit faire preuve de leadership. Il doit s'attaquer à la pauvreté et s'engager à réformer les programmes de soutien du revenu destinés aux personnes handicapées. Parmi les premières étapes, comme l'a expliqué M. Mendelson, il doit rendre remboursable le crédit d'impôt pour personnes handicapées. Ce rôle accru est nécessaire pour alléger la pauvreté et libérer des ressources au niveau provincial pour que des sommes adéquates et acceptables soient investies dans les mesures de soutien offertes aux personnes handicapées.
Vous pouvez faire en sorte que tous les immeubles du Canada me soient accessibles. Vous pouvez mettre en place des plans d'équité en emploi d'un bout à l'autre du pays, mais si je n'ai pas les services de soutien qui me permettent de sortir de la maison, de me rendre au travail et de recevoir un appui dans mon milieu de travail, ce que vous faites ne sert à rien. Ce sont les mesures et les services de soutien offerts aux personnes handicapées qui permettront de faire des progrès dans ce domaine. Des mesures de soutien sont nécessaires pour permettre de participer davantage au marché du travail, par exemple, en établissant des cibles pour les Canadiens handicapés dans les ententes de développement du marché du travail.
Nous savons que les rôles joués à l'égard des personnes handicapées par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux se recoupent, et je vais dire ceci encore une fois : un dialogue doit être instauré au moment où le gouvernement envisage de renforcer la fédération et l'union économique. Je vous assure que ce dialogue n'a pas lieu présentement; c'est le silence. Il faut discuter de la manière dont le Canada va s'assurer que les mesures de soutien et les services sont disponibles pour favoriser la pleine inclusion et l'entière participation citoyenne. Il nous faut un plan.
Lorsque je suis devenue handicapée il y a 20 ans, j'étais paralysée et j'avais besoin de soins 24 heures par jour. J'ai été confinée à un fauteuil roulant pendant 10 ans. Lorsque je suis devenue handicapée, j'enseignais, j'avais une maison et j'étais active. Lorsque je suis devenue handicapée, je suis devenue une personne pauvre qui vivait de l'aide sociale, qui était jugée par des systèmes qui décidaient où je vivais, comment je vivais et de combien d'argent j'avais besoin pour vivre. Je suis l'exemple parfait qui montre que l'incapacité ne fait pas de discrimination et que l'état dans lequel nous nous trouvons tous peut se transformer en un rien de temps. Vingt ans plus tard, je n'ai jamais oublié ces jours où je devais me frayer un chemin dans ce territoire inconnu de l'incapacité et le cadre de systèmes qui m'a rendue pauvre.
Ne remettons pas à plus tard ce que nous devons faire maintenant. La situation des personnes handicapées aurait dû être réglée il y a des années. Le Canada ne peut pas se permettre de laisser des gens dans la marginalité et la pauvreté. Nous devons faire en sorte que la citoyenneté sociale, économique, culturelle et politique soit accessible à tous parce que, si nous ne le faisons pas, nous oublions complètement certaines personnes.
J'ai intitulé ma présentation « Les personnes handicapées : Les pauvres oubliés ». Je crois qu'il faut reconnaître que les personnes handicapées ne demandent pas la charité. Pour ma part, en tant que personne handicapée, je ne veux pas la charité : je veux la parité. Je veux partager les ressources et les richesses d'un pays qui a beaucoup à offrir.
[Français]
Walter Zélaya, représentant, Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec : Monsieur le président, la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec est l'une des plus importantes organisations regroupant des personnes handicapées à travers le Québec, soit plus de 40 organisations nationales qui couvrent l'ensemble du Québec.
La question de la pauvreté chez les personnes handicapées est très importante pour la Confédération. Nous croyons que la lutte contre la pauvreté et contre l'exclusion sociale doit être basée sur l'exercice des droits humains inclus dans les outils internationaux, nationaux et provinciaux.
Il est important de bien définir le travail à accomplir et se rappeler que parmi les grands droits fondamentaux, il y a le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes, le droit à la santé et ses déterminants, le droit à un niveau de vie suffisant, le droit à l'éducation, le droit au travail, le droit à la reconnaissance de la personnalité juridique, le droit de se déplacer et le droit à l'information.
Lorsqu'on examine la situation, on se dit qu'on est d'accord et qu'on dispose déjà de la plupart des outils pour permettre que cela se réalise. Depuis les années 1980, le Québec est reconnu pour son leadership sur le plan international en ce qui concerne les droits des personnes handicapées. Il s'est doté d'une politique appelée la politique À parts égales. Aujourd'hui, 25 ans plus tard, cette politique fait l'objet d'une révision en collaboration avec les différents acteurs et actrices concernés par la problématique.
Malgré cela, les personnes handicapées restent pauvres. Elles sont pauvres parmi les plus pauvres.
C'est un constat difficile à faire et inacceptable pour un pays comme le Canada, ainsi que pour le Québec. Nous devons nous donner des mécanismes et des moyens et l'application des moyens doit être transversale.
Au Québec, le gouvernement établit des politiques, des lois, des règlements, et des directives qui sont ensuite régionalisés et municipalisés par certaines structures régionales et locales. Pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale des personnes ayant des limitations fonctionnelles ainsi que leurs familles, il faudrait tenir compte de ces moyens.
Je vais en mentionner quelques-uns et j'espère pouvoir en parler davantage plus tard lors des échanges.
Nous devons tenir compte de l'hétérogénéité des personnes ayant des limitations fonctionnelles, de leurs besoins et des façons d'y répondre; un des problèmes majeurs c'est que souvent on voit les personnes handicapées comme un groupe monolithique. Or, il y a une grande diversité de problèmes et de difficultés.
Nous devons également tenir compte du processus de production de handicap. Souvent, nous voyons la question du handicap comme un problème des personnes et de l'individu. Au niveau des politiques, lorsqu'on veut en établir, on dit qu'on a des individus à aider. Mais la réalité est que les personnes ont des déficiences. Ils peuvent avoir différentes déficiences, mais le handicap est en fait le produit de la relation de l'individu avec l'environnement. Dans ce sens, ce n'est pas une responsabilité individuelle, mais bien une responsabilité d'État et de société que nous devons nous donner pour éviter que cela arrive. Plus la société et les technologies se développent, plus on se rend compte de la richesse produite, mais ces personnes continuent d'être à l'écart de la société.
Un des problèmes majeurs est dû à notre perception du handicap. Il faut donc changer cette vision du handicap. Cela nous amènera aussi à prendre des mesures concrètes pour former les intervenants sur les besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles.
Il faut reconnaître l'expertise des personnes. Nous percevons souvent les personnes handicapées comme des personnes qu'il nous faut aider et nous les percevons comme des problèmes. Or, les personnes handicapées font aussi partie de la solution.
Je vous donne un exemple : comment se fait-il qu'une personne puisse avoir un accident demain matin et que, à partir de ce moment, le regard de la société et de tout le monde change par rapport à cette personne, dès qu'elle est dans un fauteuil roulant? C'est pourtant la même personne avec les mêmes valeurs, les mêmes aspirations et le même désir de contribuer efficacement à la société.
L'application de moyens globaux doit également se faire. Le Québec s'est entre autres doté d'une loi avec laquelle il vise, dans dix ans, à faire partie du peloton de tête des pays où il y aurait le moins de pauvreté parmi les pays industrialisés. C'est une belle politique, et nous la saluons. Mais ce sont souvent les mécanismes et les moyens qu'on va se donner, dans la mesure où dans toutes ces politiques on manque de moyens globaux et de moyens généraux avec lesquels nous pouvons envisager les solutions de manière plus globale.
Dans toute stratégie visant à lutter contre la pauvreté des personnes ayant des limitations fonctionnelles, il faut impliquer tous les ministères et les organismes publics des différents paliers : régional, municipal, syndicats, organismes du secteur privé et du secteur communautaire, tous ceux engagés dans la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Ce n'est pas un seul secteur qui doit être concerné par cette question, mais l'ensemble des acteurs de la société.
Nous devrons nous donner des moyens spécifiques, comme entre autres l'accessibilité universelle. C'est très important. Et lorsqu'on parle d'accessibilité universelle, on parle des édifices, du transport en commun, et cetera. Oui, on parle du transport adapté parce qu'on en a besoin, mais il ne faudrait pas que ce soit seulement cela. Il faut que les personnes puissent avoir accès à tout, y compris le transport en commun régulier. Il y a également l'obligation d'acheter du matériel et des équipements accessibles universellement et de renouveler l'application et les concepts d'accessibilité universelle. Je pourrais nommer d'autres éléments en lien avec l'accessibilité universelle; j'espère avoir l'occasion d'y revenir tantôt.
Il y a également la question de compensation des coûts liés au handicap. Il est important de réitérer l'importance de séparer les revenus que les personnes reçoivent de ceux de la compensation des coûts liés aux limitations fonctionnelles.
Il est important de séparer les thèmes qui doivent être reconnus, maintenus et améliorés pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale. On pourrait parler de l'octroi d'aides techniques provenant des différents programmes et mesures, l'octroi des mesures fiscales, l'octroi des prestations spéciales dans le cadre de l'aide de dernier recours et l'octroi de services dans le cadre de l'accès aux services de réadaptation. Il est important de voir la stratégie de lutte contre la pauvreté des personnes ayant des déficiences pas seulement à l'intérieur de l'aide de dernier recours, comme cela a souvent été le cas. C'est beaucoup plus global et beaucoup plus étendu que cela.
Finalement, il y a la question du revenu qui devra être posée et être comprise dans l'ensemble des mesures qui se sont faites. Parmi les personnes qui souffrent en premier lieu du taux élevé de pauvreté au Canada, nous savons qu'il y a les personnes handicapées. Je vous rappellerai donc que d'une certaine manière, au moins au Québec, on a déjà beaucoup d'outils et plusieurs programmes qui sont intéressants. Le problème majeur reste que ces programmes n'ont ni les fonds nécessaires pour le faire et souvent ni de lien entre les différentes lois.
Par exemple, nous avons un programme d'adaptation domiciliaire au Québec. C'est génial! C'est intéressant. Mais souvent, une personne qui vient d'avoir un accident et qui a besoin d'adaptation domiciliaire doit attendre. L'année dernière, l'attente moyenne était de cinq ans.
Évidemment, je parle ici de personnes qui n'ont pas eu un accident de la route ou un accident de travail qui sont, pour leur part, des mesures liées aux assurances et il est bien certain que ces cas sont traités autrement.
Vous voyez donc qu'à l'intérieur d'une même catégorie, si vous avez un accident d'auto ou si vous tombez de votre toit, mais que vous avez une blessure à la moelle épinière dans les deux cas, vous allez avoir deux réalités sur le plan financier même si le diagnostic est le même. Vous voyez les disparités et les problèmes que cela pose dans les différents programmes. À mon avis, c'est important de pouvoir regarder l'étendue de toutes ces questions.
[Traduction]
Le président : Merci à tous pour vos exposés initiaux. Les membres du sous-comité auront maintenant l'occasion de poser des questions.
Un de nos objectifs est de rationaliser les systèmes de soutien du gouvernement. Les gouvernements fédéral et provinciaux de même que les administrations municipales contribuent aux programmes d'aide offerts aux personnes handicapées.
M. Mendelson a suggéré de simplifier le système de façon à ce qu'un revenu de base soit accordé au niveau fédéral. M. Prince a quant à lui parlé d'un revenu à moyen terme. Je ne sais pas exactement à quel moment un revenu à moyen terme devient un revenu à long terme, et il faudra peut-être préciser ce point. Mme White nous a entretenu de tous les autres aspects de la prestation de services, tant par le gouvernement que par la collectivité.
Bon nombre de programmes entrent en jeu pour les personnes handicapées. Nous avons appris qu'on avait fait d'énormes progrès au Québec. Je crois qu'on s'en tire très bien au Québec, mais il y a toujours place à l'amélioration.
Nous devons simplifier les processus entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Nous sommes ici pour offrir nos conseils au gouvernement fédéral. Comment pouvons-nous établir les limites? Quel devrait être le rôle du gouvernement fédéral par rapport aux gouvernements provinciaux?
De la façon dont vous avez décrit le revenu de base, cela ressemble au régime de Sécurité de la vieillesse et au Supplément de revenu garanti. Toutefois, même si tout le monde de cette catégorie n'est pas inapte au travail, vous affirmez tous devraient avoir droit aux prestations. Pouvez-vous préciser votre pensée? Je croyais que le revenu ne serait pas un critère utilisé pour calculer le revenu de base, et que l'on se limiterait à évaluer l'incapacité.
Je vous bombarde de questions. J'aimerais savoir comment les responsabilités sont divisées entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, et entre les organisations municipales et communautaires qui relèvent des provinces également.
M. Mendelson : Je n'avais pas beaucoup de temps pour expliquer.
Le revenu de base est calculé de la même façon que celui du régime de Sécurité de la vieillesse, ou celui du Supplément de revenu garanti sans le complément de la Sécurité de la vieillesse. Même si je n'aime pas faire cette comparaison, cela ressemble un peu au programme de prestations aux aînés, si vous vous en souvenez bien.
Pour ce qui est de l'évaluation du revenu, on déduit 0,50 $ de chaque dollar imposable déclaré, de la même façon que l'on procède pour le programme du Supplément de revenu garanti.
Par ailleurs, nous proposons que l'évaluation de l'admissibilité se fasse en deux volets. Premièrement, on évalue l'admissibilité au crédit d'impôt pour personnes handicapées — auquel ont droit les personnes souffrant d'une incapacité prolongée qui limite de façon marquée les activités de la vie quotidienne; deuxièmement, on évalue l'employabilité pour déterminer si on ne peut s'attendre raisonnablement du demandeur qu'il obtienne un salaire adéquat provenant d'un emploi. Cela se rapproche probablement des critères qu'on applique depuis les décisions juridiques rendues dans des affaires liées à l'évaluation de l'incapacité dans le cadre du Régime de pensions du Canada.
Il n'y a rien qui soit difficilement applicable. Ce sont des indemnisations fondées sur le revenu qui remplacent l'aide sociale. Il ne s'agit pas de prestations universelles auxquelles tout le monde a droit. Il ne suffit pas de les demander pour les recevoir. On propose d'adopter des contrôles administratifs et d'autres mesures pour régir le processus. Le programme permettrait à un demi million de Canadiens aux prises avec une incapacité d'avoir recours à une aide beaucoup plus adéquate et moins stigmatisante que le programme d'aide sociale. Voilà dans quel but le programme a été conçu; nous voulons qu'il soit pratique.
Le président : Pour les prestataires d'aide sociale qui deviennent aptes au travail, un des grands problèmes vient du fait qu'ils perdent notamment l'aide au logement après la fin des prestations. Avez-vous tenu compte de cet aspect dans l'élaboration de votre programme?
M. Mendelson : Oui, et on ne présume pas que tous les prestataires sont inaptes au travail. On évalue l'employabilité des demandeurs selon un critère de nature raisonnable : peut-on s'attendre raisonnablement du demandeur qu'il obtienne un salaire adéquat provenant d'un emploi? C'est le critère qu'on applique maintenant dans le cadre des procédures administratives d'appel pour le Régime de pensions du Canada; il ne s'agit donc pas d'une évaluation approximative.
Une personne jugée admissible au programme pourrait par la suite acquérir des compétences et devenir apte au travail. Dans un tel cas, la personne demeurerait admissible aux prestations tout en touchant un revenu d'emploi.
Nous proposons d'adopter un seuil de 1 200 $. Cette première tranche serait exemptée, c'est-à-dire que chaque dollar gagné serait libre de toute déduction. Au-delà de ce seuil, on appliquerait des déductions de 0,50 $ pour chaque dollar de salaire. Le revenu devrait être rajusté aux fins de l'impôt.
Quand on élabore un programme comme celui-là, il est difficile de trouver un juste milieu entre un taux élevé de récupération fiscale et un taux élevé de prestations. Si on verse des prestations élevées et qu'on applique un faible taux de récupération fiscale, on finit par payer des prestations à des gens qui gagnent un salaire de 200 000 $. Ce n'est pas réaliste. Cette proposition semble donc être un compromis raisonnable pour la collectivité.
Le président : Est-ce que quelqu'un d'autre aimerait répondre à la question?
Mme White : Vous avez soulevé un point intéressant à propos de l'employabilité. La proposition de M. Mendelson a beaucoup de mérite si on prend en compte le taux suggéré et le taux d'aide sociale. Il est toujours un peu inquiétant d'établir de nouveaux programmes qui sont, en quelque sorte, personnalisés.
La question de l'employabilité devra faire l'objet de longues discussions. Il faut éviter d'établir un programme qui créerait une situation semblable à celle que l'on vit aujourd'hui, soit une deuxième et une troisième génération de personnes bénéficiant d'un régime de soutien salarial parce que quelqu'un les a jugés inaptes au travail pour la vie. Les régimes actuels contribuent à perpétuer de telles situations.
Je crois que l'on peut se rapporter à ce que disait M. Mendelson à propos des critères. Peu importe le programme, il est indispensable d'en établir. Malheureusement, les personnes handicapées sont trop souvent soumises à toutes sortes de contraintes. Par contre, les critères utilisés dans le cadre de ce programme devraient être stricts et bien définis, de façon à ne pas laisser croire aux jeunes handicapés que ce programme sera leur seule issue à l'âge de 18 ou 19 ans, eux qui devraient aspirer à une vie meilleure.
M. Mendelson : Ce n'est pas parce qu'une personne se déplace en fauteuil roulant qu'elle est automatiquement admissible au programme. Ce n'est qu'un exemple.
[Français]
M. Zélaya : La question de l'employabilité et de l'intégration au marché du travail demeure très importante. Un des problèmes est celui-ci. Comment les gouvernements peuvent-ils demander aux grandes institutions et à la société d'intégrer des personnes handicapées au marché du travail alors qu'eux-mêmes ne font pas les efforts nécessaires pour les intégrer dans la fonction publique? Comment peut-on prêcher si on n'est pas capable de donner l'exemple? Au départ, cela pose énormément de problèmes.
Au Québec, nous travaillons très fort pour l'intégration au marché du travail des personnes handicapées. Différents programmes existent, mais finalement, force est de constater qu'on ne doit pas les voir juste de façon globale. Cela touche l'accessibilité. Par exemple, une personne qui a des difficultés locomotrices doit quand même se déplacer pour se rendre au travail. Quand l'employé doit attendre le transport adapté pendant deux ou trois heures pour se déplacer d'un endroit à un autre, comment l'employeur peut-il le garder? De plus, il y a l'aspect de l'accessibilité des lieux. Certains endroits ne sont pas accessibles pour les personnes handicapées. Il y a également toutes les mesures qu'on a prévues pour compenser le handicap.
Il faudra que les gouvernements soient un peu plus sérieux. Tant qu'il n'y aura pas de volonté politique, je vous assure que dans 30 ou 40 ans, on sera encore en train de parler de la pauvreté des personnes handicapées. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas eu de volonté réelle de la part des élus pour faire en sorte que cette partie de la population, laissée en marge, puisse réintégrer le marché du travail. Du moment que les gouvernements vont commencer à se doter de moyens concrets pour atteindre les quotas et les pourcentages fixés, c'est sûr qu'il sera déjà plus facile de convaincre les autres.
Actuellement, on suggère aux grandes institutions et aux grandes entreprises d'atteindre un certain pourcentage d'employés handicapés. Elles ne sont pas obligées de l'atteindre. Aucune ne l'atteint, car elles savent très bien que les gouvernements n'ont aucun moyen coercitif pour le faire. parce que finalement eux-mêmes ne l'atteignent pas.
Moralement, les gouvernements ne peuvent pas exiger quoi que ce soit pour l'intégration. Commençons par respecter les mesures que le gouvernement a adoptées et qu'on a demandées. Ensuite, on pourra parler de tous les autres mécanismes. Soyons sérieux. Tant que cela n'est pas fait, on parlera encore longtemps.
[Traduction]
M. Prince : En tant qu'ancien président du Conseil du Trésor, je répondrais qu'il s'agit de la responsabilité de l'employeur modèle dans la fonction publique.
Je suis tenté d'associer deux aspects différents : les rôles du fédéral et des provinces au sein de la fédération et les mesures que l'on peut prendre à court terme, disons au cours des trois prochaines années. Il faut d'abord parler de l'entente relative au marché du travail pour les personnes handicapées, une entente intergouvernementale de longue date qui a été prolongée d'une année et qui vient à échéance le 1er avril 2009. Le Ministère examine actuellement l'entente en question.
Il est aussi indispensable de préserver le caractère individuel du programme pour éviter de retomber dans une entente plutôt générique qui fait de vagues promesses quant aux montants qui seront alloués. C'est un programme qui existe depuis les années 1950. Il s'agit de l'un des derniers programmes ciblés à avoir été établi par le gouvernement du Canada à l'intention des Canadiens aux prises avec des incapacités, et il nécessite de grandes améliorations. Les investissements dans ce programme ont été insuffisants depuis une dizaine d'années, ce qui explique son retard. Pour ce qui est de l'employabilité et de l'aide à l'emploi, des mesures à court terme sont nécessaires.
Le Fonds d'intégration pour les personnes handicapées est aussi à considérer. C'est un fonds modeste, environ 25 millions de dollars par année, qui permet de mettre en place des approches innovatrices pour favoriser l'employabilité dans l'ensemble du pays. Quoique limité, ce programme revêt une grande importance. Il fait toutefois partie de ces petits programmes qui pourraient facilement tomber entre les mailles et être supprimés. Les personnes handicapées du Canada doivent pouvoir se faire entendre et ce programme doit être maintenu.
Le crédit d'impôt remboursable auquel M. Mendelson a fait référence relève sans aucun doute de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui est de compétence fédérale. Alors, c'est faisable.
Nous venons d'instaurer un régime enregistré d'épargne-invalidité. Le pays compte 30 ans d'expérience avec les crédits d'impôt remboursables. Ce n'est donc pas comme si nous nous jetions dans l'inconnu.
Ce régime s'adresse aux personnes souffrant d'incapacités très graves et prolongées. Par contre, le programme que l'on propose cible les personnes déjà sur le marché du travail qui deviennent invalides et dont l'incapacité n'est pas liée au travail. Pour leur part, les personnes dont l'incapacité est liée au travail peuvent se tourner vers un régime provincial d'indemnisation des accidents du travail. Toutefois, on considère que les handicaps acquis, comme la sclérose en plaques, le cancer du sein, le lupus et d'autres maladies qui ne sont pas directement attribuables au milieu de travail, font partie de la condition humaine.
À l'heure actuelle, les femmes atteintes d'un cancer du sein n'ont pas droit aux prestations d'invalidité du RPC sous prétexte qu'elles ne sont pas suffisamment malades; et c'est la même histoire pour les personnes souffrant de sclérose en plaques. Ces personnes épuisent les 15 semaines de prestations de maladie prévues par le régime d'assurance-emploi, un principe qui est le même depuis la mise en place du régime en 1971. Tous les autres types de prestations versées dans le cadre du régime d'assurance-emploi ou d'assurance-chômage (prestations de maternité, prestations parentales, prestations pour pêcheur, et cetera.) ont été mises à jour; seules les prestations de maladie sont demeurées les mêmes depuis 37 ans.
On pourrait arguer que les problèmes de santé sont plus courants aujourd'hui qu'en 1971. Nous comprenons maintenant mieux les incapacités, mais les politiques publiques ne reflètent pas cette nouvelle compréhension.
Ma proposition rejoint celle de M. Mendelson. Pour utiliser la comparaison avec la Sécurité de la vieillesse, je veux mettre en place une mesure liée au travail pour les sept ou huit millions de Canadiens qui font actuellement partie de la population active, dont certains souffriront d'une maladie épisodique, et pas que d'un malaise passager. Toutefois, ces travailleurs ne seront pas suffisamment malades pour être admissibles à des prestations du RPC. Ils pourront peut-être travailler 20 heures une semaine, 2 heures la semaine suivante, puis 40 heures la semaine d'après, avant d'avoir besoin d'un mois de congé. Les programmes en place sont des programmes binaires : soit on est complètement malade et inapte au travail, soit on est en santé et physiquement apte à travailler. La plupart des pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, disposent de politiques intermédiaires; pas nous.
Le programme de prestations d'invalidité du RPC est l'un des programmes les plus stricts en son genre au monde. Nous enregistrons le plus haut taux de refus de la planète; 50 p. 100 des demandes présentées dans le cadre du programme de prestations d'invalidité du RPC sont rejetées. Chaque année, des dizaines de milliers de Canadiens qui ont versé toutes les cotisations exigées et respecté les règles établies pendant 10, 20 ou 30 ans sur le marché du travail se font dire qu'ils ne sont pas assez malades pour être admissibles au programme, des travailleurs qui ont probablement écoulé toutes les semaines de prestations de maladie de l'assurance-emploi auxquelles ils avaient droit.
Avec un peu de chance, ils font partie des 43 p. 100 de travailleurs qui disposent d'une assurance-invalidité à long terme au travail, et non des 57 p. 100 qui n'en ont pas, et pourront se tourner vers le régime de l'entreprise en espérant recevoir quelque chose. La moitié des entreprises leur répondront de faire appel de la décision du RPC, parce que celui- ci est considéré comme le payeur de premier recours, pas l'entreprise privée. Ils passeront ensuite une année ou deux à se battre pour tenter d'obtenir des prestations d'invalidité du RPC. On peut facilement s'imaginer comment des familles peuvent aboutir à l'aide sociale.
La plupart des Canadiens ne sont pas au courant de cette réalité. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'ils vivent leur désespoir en silence lorsque l'invalidité frappe un membre de leur famille. Personne n'est à l'abri de l'invalidité.
Pour remédier à la situation, il faut, selon moi, établir une stratégie à moyen terme de cinq à sept ans. Pour ce qui est du revenu de base, j'ai l'impression qu'il y a beaucoup à faire sur le plan politique et au niveau de l'opinion publique. Cela nécessitera sans doute une vision à plus long terme. C'est une vision ambitieuse qui mérite toute notre attention.
À court terme, soit d'ici 2009, il faudrait également tirer parti de l'examen triennal du RPC par les ministres des Finances. On pourrait proposer de modifier la loi régissant le RPC pour permettre la tenue de projets pilotes dans le cadre du RPC, tout comme le prévoit la Loi sur l'assurance-emploi.
Au fil des ans, nous avons mené des expériences pilotes afin de voir comment différentes combinaisons de mesures de soutien du revenu, de services d'emploi et de prestations pouvaient produire des résultats dans les différentes régions du pays. La Loi sur le RPC ne nous permet pas actuellement de réaliser de tels projets pilotes afin de déterminer quels types d'interventions au début de la période de chômage seraient susceptibles d'empêcher que la situation s'aggrave à ce point. Il faudrait trouver le moyen de permettre à ces personnes de continuer à travailler quand ils le peuvent, et de conserver ainsi une partie de leur rémunération et la dignité que procure le travail, plutôt que de les balloter d'un programme à un autre jusqu'à ce qu'ils passent entre les mailles du filet. On se retrouve alors, deux ans plus tard, avec une personne dont l'incapacité est assez grave pour que le RPC puisse lui verser de maigres prestations d'invalidité. C'est dans ce sens que nous pourrions simplifier et améliorer le système.
Le président : Je vais maintenant céder la parole à mes collègues. Le sénateur Keon, de l'Ontario, est le vice-président de notre comité principal, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Il préside en outre le Sous-comité sur la santé des populations. Il s'intéresse donc de très près à bon nombre de ces questions.
Le sénateur Keon : Je vais poursuivre dans la même veine. Essayer de retrouver son chemin dans le labyrinthe du système, c'est assez pour vous rendre fou. Peut-être pourrais-je débuter avec vous, madame White, mais j'aimerais que tous répondent à cette question qui commence à sonner comme une vieille rengaine, tellement je l'ai posée souvent.
On rejette toujours cette suggestion du revers de la main parce qu'on la juge trop simpliste, mais je crois tout de même que nous avons besoin d'une nouvelle mesure courageuse de la sorte pour faire avancer ce dossier. J'estime que tous les citoyens du Canada devraient avoir un revenu correspondant tout au moins au seuil de la pauvreté. C'est un point de départ. Que vous ayez ou non une invalidité, votre revenu ne devrait pas être inférieur au seuil de la pauvreté. À partir de là, tous les autres éléments vont s'enclencher.
Parallèlement à cela, il convient toutefois de s'efforcer, comme l'indiquait notre président, de simplifier le système. Le filet de sécurité sociale du Canada me rappelle le système des soins de santé aux États-Unis, où la bureaucratie siphonne 30 p. 100 des recettes aux fins des démarches auprès des différentes compagnies d'assurance pour récupérer les coûts et d'autres mesures insensées du même genre. Au Canada, avec notre système à payeur unique, on parvient à éviter les pièges semblables, mais nous avons aussi nos problèmes.
Je ne suis pas en train de dire que nous devrions éliminer de nombreux programmes qui ont fait leurs preuves, mais il y a lieu de les simplifier. Je ne pense pas que les sacrifices financiers seraient énormes, mais il y a vraiment un objectif que nous devons viser : que chaque Canadien dispose d'un revenu correspondant tout au moins au seuil de la pauvreté.
Les témoins qui vous ont précédé ont tous répondu qu'il fallait renoncer aux efforts en ce sens, que c'était peine perdue. Voyons ce que vous en pensez.
Mme White : Votre idée me plaît bien. Je serais prête à vous suivre en brandissant une affiche pour en faire la promotion. Je peux vous dire que bon nombre des personnes handicapées que je représente y verraient énormément de logique.
J'aimerais bien pouvoir vous affirmer qu'il n'y a personne qui est obligé de vivre avec moins de 7 000 $ par année, mais ce n'est malheureusement pas la réalité. Je vais vous donner mon exemple. Lorsque j'ai été frappée par une incapacité, je me suis retrouvée en terrain totalement inconnu. Je devais tout à coup me dépêtrer dans un enchevêtrement de systèmes, et je n'avais pas la moindre idée de la direction à prendre. Le problème venait toutefois davantage du coût des mesures de soutien dont j'avais besoin. À la maison, j'ai un fauteuil roulant parce qu'il m'arrive d'être tout simplement trop fatiguée pour marcher en fin de journée. Si je veux acheter un nouveau fauteuil, avec un revenu de 7 000 $ par année, il n'est pas certain que je puisse obtenir les fonds nécessaires pour avoir celui qui me convient; tout dépend de la région où je réside et du travailleur social qui s'occupe de mon cas. Il s'agit de savoir si j'obtiendrai le fauteuil roulant le mieux adapté à ma situation ou celui qui correspond aux critères de financement à respecter.
Je n'ai pas d'assurance-vie. C'est assez spécial mais, comme ma maladie est causée par un virus, ce qui est plutôt rare, je pourrais en mourir. Je fais valoir aux gens que personne n'est à l'abri de la mort. Mais il semble que les choses soient différentes pour moi. Je n'ai pas de régime d'assurance-maladie collective, car je suis travailleuse indépendante. Lorsque je dois acheter quelque chose, comme une marchette à 250 $, un fauteuil roulant ou une nouvelle canne, je n'ai droit à aucun remboursement. Les personnes qui vivent dans la pauvreté ou juste au-dessus du seuil de pauvreté sont aux prises avec les mêmes problèmes. Les coûts des mesures de soutien pour les personnes vivant avec une incapacité devraient être à la base de tous nos efforts pour établir un nouveau régime.
Nous n'avons pas parlé des parents d'enfants handicapés. De trop nombreux parents canadiens ont dû choisir de rester à la maison parce que c'est pour eux une façon plus facile et moins coûteuse de prendre soin de leurs enfants, vu l'impossibilité d'avoir accès aux mesures de soutien dont ils ont besoin pour demeurer actifs sur le marché du travail. Il est déjà coûteux d'élever un enfant, mais cela le devient beaucoup plus lorsqu'il s'agit d'un enfant souffrant d'un handicap important, à moins qu'on puisse compter sur un régime de soutien adéquat. Je crois que personne ne devrait vivre sous le seuil de la pauvreté, ce qui m'amène à appuyer inconditionnellement votre suggestion.
Le président : Il n'est pas le seul à penser ainsi, mais c'est lui qui obtient le crédit aujourd'hui.
M. Prince : La vision Keon.
M. Mendelson : Nous voudrions tous avoir un pays où personne ne vit sous le seuil de la pauvreté. Le hic, c'est de savoir comment en arriver à un tel résultat. L'objectif est clair, mais comment y parvenir de façon logique? Il faut d'abord préciser qu'il n'y a pas de seuil de pauvreté établi au Canada. Différentes méthodes sont utilisées pour mesurer la pauvreté. Les seuils de faible revenu ne constituent pas de bons indicateurs et j'ose espérer que l'on pourra en concevoir de meilleurs sous peu. L'Ontario a entrepris l'élaboration de mesures de la pauvreté. Ce serait là une étape importante.
Par exemple, selon le système des seuils de faible revenu (SFR), le seuil de la pauvreté se situerait à environ 13 000 $ pour une personne vivant en milieu urbain. Je ne crois pas que l'on puisse ou que l'on doive garantir à tous les jeunes de 20 ans un revenu annuel de 13 000 $ pour le reste de leur vie. Ce n'est pas une façon logique de concevoir un régime de prestations sociales. On ne rendrait pas nécessairement service à nos jeunes en leur garantissant un revenu les confinant la pauvreté à vie, ou en les incitant à aller faire du ski ou à se livrer à des activités semblables, plutôt que de poursuivre une carrière
Certains percevront peut-être une tendance conservatrice dans mes propos, mais nous avons pu constater dans tout le monde occidental que les programmes de sécurité du revenu doivent être intégrés au marché du travail. C'est la réalité du monde dans lequel nous vivons. Nous ne pouvons pas prétendre qu'il nous suffit d'agiter une baguette magique pour nous retrouver dans un pays paradisiaque où personne ne sera pauvre, simplement parce que le gouvernement offre une garantie en ce sens. Les sociétés ayant les taux de pauvreté les plus faibles sont les pays nordiques qui sont parvenus à ce résultat grâce à une combinaison de facteurs, mais surtout parce qu'ils ont éliminé les emplois peu rémunérés. Dans ces pays, les serveuses ou les chauffeurs de taxi n'ont pas de pourboires, mais touchent un salaire décent. Ainsi, les gens ne profitent pas de services à rabais, mais ils bénéficient d'une économie où la pauvreté est beaucoup moins présente que dans les pays anglo-américains. Il ne suffit toutefois pas pour ce faire d'offrir un revenu garanti à tous les citoyens, sans égard à leur capacité de subvenir à leurs propres besoins.
Le revenu de base que nous proposons s'inscrit dans une vaste démarche qui vise à transformer en profondeur l'architecture de la sécurité du revenu au Canada afin de mieux l'adapter aux réalités du marché du travail. Selon notre hypothèse, certaines personnes ne peuvent pas s'attendre à tirer un revenu suffisant d'un emploi en raison de leur incapacité. Nous savons qu'il y a environ un demi-million de personnes handicapées qui vivent dans la pauvreté. Nous nous efforçons d'éviter toute utopie en proposant un programme concret, précis, réaliste et adaptable dans les limites de l'appareil administratif en place, mais reste quand même que cela entraîne des coûts. Un tel système pourrait être mis en œuvre d'ici un an ou deux par le gouvernement fédéral sans influer sur le fonctionnement du marché du travail.
Croyez-le ou non, ma première publication importante portait sur les frais d'administration des programmes de sécurité du revenu. Milton Friedman a avancé le fameux argument voulant qu'il soit possible d'instaurer un impôt négatif sur le revenu et d'en défrayer les coûts additionnels à même les économies réalisées en sabrant dans les tracasseries administratives. Lorsque j'étais un jeune chercheur, je me suis demandé naïvement si quelqu'un s'était déjà intéressé aux coûts d'administration des programmes de la sécurité du revenu. Comme personne ne l'avait fait, j'ai réalisé une étude à ce sujet. Je dois admettre que les résultats sont en grande partie désuets aujourd'hui, mais j'ai alors constaté que les frais d'administration pouvaient être aussi faibles que 0,25 p. 100 des coûts totaux dans le cas du régime universel d'allocations familiales. Pour le régime d'assurance-chômage, ils étaient d'environ 4 p. 100 du total des coûts. En examinant l'aide sociale offerte par les municipalités ontariennes, j'ai constaté qu'on atteignait un sommet avec quelque 10 p. 100 des coûts totaux.
Il ne fait aucun doute qu'il doit y avoir des économies, et le secteur public devrait chercher sans relâche une façon efficace d'en faire. Toutefois, avec les frais administratifs, on ne pourra pas économiser assez pour verser des prestations supplémentaires. Il faudrait lever des impôts additionnels.
Sans vouloir être trop raisonneur, je dirais que mettre trop l'accent sur les façons d'utiliser le système, c'est un peu un faux-fuyant. Si vous le faites, au bout du compte, vous ne trouverez que l'aide sociale, car il n'y a pas d'autres programmes pour la plupart des gens. Oui, c'est complexe et difficile, car l'aide sociale vous obligera toujours à demander d'abord des prestations d'invalidité au titre du RPC ou du RRQ, car ce sont les premiers payeurs. Le programme est décourageant et il pourrait être amélioré, mais ce n'est pas le problème fondamental. Le nœud du problème, c'est qu'une fois qu'ils sont engagés dans le système, la plupart des gens n'auront plus que l'aide sociale, à moins d'avoir la chance de pouvoir compter sur une autre source de revenus. Voilà pourquoi il faut remplacer l'aide sociale par un programme adéquat.
Le président : Il y a là matière à réflexion.
[Français]
M. Zélaya : Je considère important de rappeler à ce stade les différentes politiques qui devaient se développer ailleurs. Je trouve intéressante la question de disposer d'un revenu de base. Ceci étant dit, il est important de s'assurer que l'on respecte les champs de compétence. Vous savez qu'il y a un consensus au Québec qui est large et qui est partagé par les différents partis politiques dans lesquels on veut que les champs de compétence qui reviennent au Québec soient respectés.
À mon avis, la question de disposer d'un revenu garanti, c'est quelque chose qui incombe davantage au gouvernement provincial et c'est sur ce plan que doivent se tenir les discussions. Mais il y a d'autres champs de compétence dans lesquels le fédéral doit agir.
On a parlé tantôt de l'importance de la question du logement, entre autres du logement social. D'une part, il faut déplorer le retard du gouvernement fédéral dans le domaine du logement social, alors que c'est un levier de lutte contre la pauvreté.
Dans le même sens, d'autres politiques englobent la question du logement social, par exemple, le fait de s'assurer qu'il y ait suffisamment de logements accessibles et ciblés à l'usage des personnes handicapées. À mon avis, cela reste pour moi un domaine important. Une autre piste de solution serait d'envisager des moyens concrets que différentes provinces se sont donnés et qui fonctionnent, afin de les appliquer à l'ensemble Québec, toujours en évitant de le faire mur-à-mur.
Prenons l'exemple d'une politique qui fonctionne bien au gouvernement du Québec et qui aide beaucoup les personnes en intégration au marché du travail; le gouvernement du Québec défraie les coûts d'adaptation du véhicule d'une personne handicapée qui a besoin de l'adapter pour le travail. On sait que l'adaptation d'un véhicule peut coûter jusqu'à 20 000 $. Or, toute personne ayant une incapacité au Québec a droit à cette aide et cela favorise l'intégration au marché du travail et à l'autonomie de ces personnes.
Souvent, lorsque j'interviens auprès du gouvernement québécois, je suis là pour les critiquer, mais je dois avouer que cette mesure est particulièrement intéressante et elle aide beaucoup. C'est ce genre de mesure qui pourrait s'appliquer ailleurs.
Le gouvernement devrait adopter une nouvelle stratégie pour l'intégration socioprofessionnelle des personnes handicapées. Et cette stratégie fait partie d'une stratégie beaucoup plus large sur la question de l'intégration au marché du travail des personnes handicapées.
Pour l'élaboration de cette politique, il y a eu quand même des consultations importantes et on ose espérer que les recommandations que nous avons proposées seront retenues. À mon avis, ce sont des leviers qui sont à court et à moyen terme.
Je suis très favorable à l'établissement d'un revenu de base. Ce que l'honorable sénateur nous proposait est très intéressant, à l'avant-garde. Mais il ne faut pas perdre de vue qu'il faudra convaincre beaucoup plus de monde et qu'il est faux de penser que cela se fera à très court terme.
[Traduction]
M. Prince : J'aimerais parler de la seconde partie de la proposition de Caledon relative au revenu de base, dont il est probablement question dans les diapositives de M. Mendelson. En créant ce programme national de sécurité du revenu, de 300 000 à 500 000 personnes handicapées au Canada cesseraient de toucher l'aide sociale provinciale pour bénéficier de ce nouveau programme national. Cela permettrait à l'ensemble des provinces d'économiser entre 1 et 1,5 milliard de dollars par année. En contrepartie, on pourrait négocier avec les provinces, selon leurs compétences, en leur disant que ces gens n'auront plus recours à l'aide sociale.
J'imagine un vaste cadre multilatéral chapeautant des accords bilatéraux entre les collectivités, les groupes et le gouvernement, qui travailleraient en collaboration et se consulteraient pour déterminer ce qui est approprié pour le Manitoba, l'Île-du-Prince-Édouard ou la Colombie-Britannique. On pourrait répondre aux différents besoins et aux diverses priorités des communautés en matière de transports accessibles, d'éducation et de soutien pour la vie quotidienne dont Mme White a parlé. Si nous réglons ces trois dossiers, beaucoup de jeunes personnes handicapées obtiendront des emplois et des revenus semblables à ceux des Canadiens qui n'ont pas de handicap.
Nous connaissons les trois ou quatre composantes clés. Elles relèvent principalement des provinces. Toutefois, le gouvernement fédéral peut jouer un rôle important au chapitre du soutien du revenu, comme il le fait depuis longtemps. Faites le nécessaire pour libérer les fonds en sortant les gens de l'aide sociale, et entendez-vous avec les provinces sur la façon de réinvestir l'argent.
Si, plus tard, un autre gouvernement voulait injecter des sommes supplémentaires dans ce projet, comme l'a dit M. Mendelson, cela ferait une différence énorme. Si vous consacrez 500 millions ou 1 milliard de dollars par année à l'amélioration des services de soutien pour la vie quotidienne au Canada, cela aura un grand impact sur la pauvreté dans ce pays.
Actuellement, il y a 600 000 personnes handicapées au Canada qui souhaitent travailler, mais qui ne font pas partie de la population active. Chaque jour, nous entendons parler du resserrement du marché du travail et de l'incapacité à trouver des emplois. Il y a plus d'un demi-million de Canadiens adultes qui veulent travailler. La plupart n'ont besoin que d'un léger investissement pour le soutien quotidien et peut-être de quelques aménagements de l'environnement de travail. Nous en retirerions beaucoup d'avantages.
Le président : Je vous remercie. Je voudrais ajouter que d'ici peu, nous prendrons part à une table ronde sur le revenu annuel garanti.
Le sénateur Munson : J'aimerais faire quelques remarques. J'étais en train de prendre des notes sur votre témoignage, car c'est extrêmement intéressant. C'est très touchant, émouvant. Il faut faire quelque chose.
Vous avez dit que le leadership commence au niveau supérieur. Il y a eu des changements de gouvernements dans certaines provinces, et dans d'autres, c'est le premier ministre qui a changé. C'est une question politique, mais je vous la soumets pour que vous y réfléchissiez.
Madame White, vous avez mentionné que l'inaction du gouvernement fédéral était une honte. Toutefois, lorsque j'étais journaliste, j'ai couvert beaucoup de ces rencontres où les représentants des provinces et le premier ministre discutaient de ces questions. Quand l'exemple vient d'en haut, on se concentre sur les dossiers d'actualité. Néanmoins, dans ce cas, comme vous l'avez dit, le gouvernement reste silencieux. J'espère que notre comité, au moyen d'un rapport provisoire, exhortera le gouvernement actuel à tenir une rencontre afin de se pencher vraiment là-dessus.
J'estime également que le gouvernement oublie la question des droits de la personne. Nous parlons beaucoup de l'accessibilité et des allégements fiscaux avec le gouvernement, en espérant que le problème disparaîtra. Cependant, nous avons des lois dans ce pays qui sont censées protéger les droits de la personne. Comme vous l'avez indiqué, ce n'est pas une question de charité, mais de parité.
À mon avis, il faut faire plus que réglementer; il faut légiférer. Je travaille en étroite collaboration avec la communauté autistique. Tout le monde se réjouit de l'accessibilité et des nouveaux crédits d'impôt; toutefois, une partie de ces 600 000 personnes souhaite aussi travailler, mais ne peut le faire.
Je ne fais que lancer des idées. Je crois que nous devons adopter une nouvelle philosophie, et les pensées innovatrices commencent à émerger lorsqu'il y a une rencontre au Centre de conférences du gouvernement ici, à Ottawa, et quand on laisse de côté la partisanerie. Les politiciens doivent parfois s'en éloigner pour faire la part des choses, afin de proposer de nouvelles façons de régler ce problème très important.
Si quelqu'un veut aborder ces sujets, je serais heureux d'en discuter.
Mme White : Tout ce que nous faisons devrait être s'inscrire dans une approche fondée sur les droits. Peu importe de qui nous parlons. Je me réjouis que vous ayez soulevé ce point. Nous avons une Charte et un code des droits de la personne. Nous avons donc cette protection.
Cependant, il convient de changer durablement les attitudes et de former les personnes inexpérimentées. Le gouvernement fédéral doit faire preuve de leadership, car depuis trop longtemps, les Canadiens disent : « Ça va; l'aide sociale s'en chargera; il y a une place et un programme pour eux. »
Effectivement, il y a des programmes pour eux. Toutefois, vous avez raison : les gens sont exclus précisément à cause de ces programmes.
J'aimerais revenir sur un commentaire que j'ai entendu à propos de l'emploi. Je tiens à adresser encore une mise en garde. Il y a des personnes dans ce pays qui, pour différentes raisons, ne travailleront jamais. Nous devons éviter, dans un environnement où nous réclamons des gens de métier et des travailleurs, de mettre tous nos œufs dans le même panier, celui du marché de l'emploi.
Lorsque je suis devenue handicapée, j'étais paralysée. J'exerçais le métier d'enseignante; je n'ai jamais plus enseigné depuis. Je ne savais pas si je serais capable de travailler à nouveau. Mon incapacité était très lourde. Qu'est-ce qui m'arriverait si les programmes étaient tous liés au marché du travail?
Si nous devons prendre de nouvelles initiatives et examiner de nouvelles façons d'inclure les personnes handicapées, il faut faire attention, en rattachant cela au monde du travail, de ne pas exclure ceux qui, pour diverses raisons, ne travailleront jamais.
M. Mendelson : Puis-je apporter une précision? Lorsque je dis que nous devons concevoir un système de sécurité du revenu en ayant à l'esprit le marché du travail, je ne veux pas dire que tout le monde doit travailler, mais que nous devons considérer la réalité de l'emploi comme la solution préférable et principale pour tous, lorsqu'elle est envisageable.
Nous devons également créer un programme pour ceux dont on ne peut raisonnablement s'attendre à ce qu'ils aient un revenu d'emploi, pour qu'ils soient traités de façon appropriée et honorable. Ce programme de base tient compte du marché du travail, sans exiger que les gens y participent nécessairement, mais en les encourageant à le faire lorsqu'ils le peuvent.
[Français]
M. Zélaya : Je trouve cette question très intéressante. Il est important d'encadrer cela dans une perspective des droits de la personne. C'était le début de mon intervention. Il faut se rappeler qu'on a la Charte des droits et libertés et, au Québec, on a la Charte québécoise. On en profite pour interpeller le gouvernement canadien en lui disant qu'on a la convention pour les personnes handicapées. On est en retard et depuis la signature il y a un an, le Canada n'a pas encore ratifié cette question. Cela nous amène à faire des constats. Comme Canadiens et Québécois, on constate le retard pris depuis un certain temps à l'égard de ces domaines ou d'autres domaines.
À ce titre, je voudrais vous rappeler qu'en mai 2006, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, dans le cadre de l'examen du rapport présenté par le Canada et conformément aux articles 16 et 17 du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels interpellait le Canada finalement sur les questions de droits économiques. Il y avait des suggestions et des recommandations très claires qui étaient faites à cet égard. Pour en rappeler quelques-uns dans le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, vous retrouvez l'importance de protéger les pauvres dans toutes les entités contre la discrimination liée à leur statut social ou économique. C'est une nouvelle internationale et on interpellait le Canada à ce niveau.
On recommandait également d'éliminer à titre prioritaire les inégalités économiques en ayant à l'esprit le caractère d'urgence d'obligations énoncées aux différents articles du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et il recommandait d'évaluer dans quelle mesure la pauvreté constitue un problème de discrimination. Déjà, on voit qu'il faut situer la question de la lutte contre la pauvreté des personnes handicapées dans une perspective des droits de la personne, c'est essentiel. C'est important de le faire dans ce sens. Il va falloir qu'on nous rappelle le devoir du Canada non seulement au niveau international, mais s'assurer qu'on va y donner suite et répondre à ces questions qui ont été soulevées déjà au niveau international.
[Traduction]
M. Prince : Je suis heureux que vous nous ayez rappelé certains faits. Ces 30 dernières années, les comités parlementaires qui ont examiné ou réglé des questions relatives aux personnes handicapées l'ont plus ou moins fait de façon peu ou pas partisane. Ceci est un bon exemple de dossiers dans lesquels les comités parlementaires ont pris des initiatives. Des personnes comme Bruce Halliday, un député conservateur du sud-ouest de l'Ontario, et Carolyn Bennett, une députée libérale, ont, au fil des ans, présidé des comités et assuré un leadership. J'ai travaillé avec des députés bloquistes, réformistes, alliancistes, conservateurs et libéraux.
Les problèmes auxquels sont confrontées les personnes handicapées et les difficultés que posent les dédales administratifs sont parmi les trois sujets le plus souvent abordés dans les messages adressés aux députés. Il s'agit donc d'une question qui touche l'ensemble des Canadiens et qui transcende les politiques partisanes. Je jetterais le gant non seulement au gouvernement actuel, mais à tous les partis.
La plupart d'entre eux restent impassibles. Même ceux qui ont mis en œuvre des plans de réduction de la pauvreté au cours de la dernière année ont bien souvent oublié le sort des personnes handicapées. C'est depuis longtemps une tendance inquiétante et récurrente.
Je ne montre du doigt aucun parti en particulier; je les mets tous dans le même sac. Qu'ils fassent donc preuve de vision et de leadership, comme certains l'ont fait au cours des dernières décennies. Le gouvernement actuel n'a pas fait grand-chose, pas plus que ceux qui l'ont précédé d'ailleurs.
Je félicite le sous-comité de s'attaquer au problème. Je sais que vous vous êtes intéressés à la pauvreté en milieu urbain. J'aimerais faire remarquer que 30 à 40 p. 100 des Autochtones canadiens vivant dans des villes ont un handicap, un pourcentage deux fois plus élevé que la moyenne nationale.
Comme l'a fait remarquer M. Zélaya, les personnes handicapées forment un groupe diversifié et hétérogène. Parfois, un programme général de prestations ne convient pas, parce que les personnes visées se trouvent dans des situations diverses, dont certaines ont des racines politiques historiques. Comment répondre aux besoins des anciens combattants, des Autochtones ou d'autres citoyens avec un seul programme si leurs situations diffèrent?
Nous avons souvent eu d'excellentes raisons d'offrir des programmes distincts par le passé. Ce serait dommage que certains disparaissent ou s'éloignent de leur objectif premier. Je comprends toutefois que nous devions faire preuve de plus de créativité. Merci.
Le président : Nous n'avons pas l'intention de rester impassibles. Nous avons déjà tenu plusieurs séances, auxquelles ont parfois participé des Autochtones des zones urbaines. En fait, nous recevrons en mai un groupe d'experts qui viendra discuter d'une approche de lutte contre la pauvreté axée sur les droits.
Mme White : Vous pourriez nous réinviter.
Le président : Nous recueillons beaucoup de témoignages là-dessus aujourd'hui. C'est un bon départ pour nous.
Le sénateur Cordy : J'aimerais revenir sur certaines des questions qui ont été posées. Je tiens à vous remercier tous. Chacun d'entre vous nous a donné une opinion différente sur toute la question de l'incapacité et de la pauvreté.
Notre examen porte sur la pauvreté en général, ainsi que sur le logement et le transport. Le fait d'avoir un handicap vient compliquer la vie des personnes qui sont aux prises avec des problèmes ou des situations particulières. Certains d'entre vous avez parlé de l'aide spécifique dont vous avez besoin.
Nous avons apparemment adopté l'approche du « tout ou rien ». Vous avez tous affirmé que l'aide sociale ne réglait rien. C'est pourtant la solution vers laquelle les gens doivent se tourner, parce que nous ne leur offrons que la solution du « tout ou rien ». Ceux qui ne reçoivent pas de prestations d'aide sociale ou de revenus convenables n'ont pas d'argent pour acheter des médicaments ou ne bénéficient pas d'un régime couvrant l'achat de lunettes et toutes ces choses dont vous seuls pouvez vous prévaloir.
Il semble que, par nécessité, les gens soient réduits à l'aide sociale. Le programme national de prestations m'intéresse, car non seulement il assure une certaine stabilité et un revenu grâce auquel les personnes peuvent survivre, mais il permet aux bénéficiaires de retrouver leur dignité, il ne faut pas l'oublier.
J'aimerais savoir si on a abordé la question avec les provinces. Comme certains d'entre vous l'ont déjà souligné, nous nous demandons toujours, au Canada, si les programmes relèvent de la compétence du gouvernement fédéral ou des provinces.
Je me demande également si vous nous recommanderiez de modifier le programme d'assurance-emploi. Je suis conscient que tout le monde n'y est pas admissible, peu importe qu'on soit handicapé ou pas — par exemple, un travailleur autonome ou une personne qui n'a jamais travaillé parce qu'elle est handicapée depuis son plus jeune âge. Cependant, si nous pensons à ceux qui ont déjà été sur le marché du travail, devrions-nous modifier le programme d'assurance-emploi? C'est encore un programme « à prendre ou à laisser ».
J'ai déjà fait partie d'un comité qui étudiait les problèmes de santé mentale et le handicap qu'ils pouvaient représenter. Souvent, les gens essaient de retourner travailler un, deux ou voire quatre jours par semaine, puis réalisent qu'ils en sont incapables. Ils doivent alors attendre encore deux semaines et tout recommencer. Devrions-nous modifier le programme d'assurance-emploi afin de faciliter un retour graduel sur le marché de l'emploi à ceux qui choisissent de travailler à temps partiel ou de façon ponctuelle, pour que ce soit moins compliqué pour eux de réintégrer le programme?
M. Mendelson : Je pourrais peut-être dire quelques mots au sujet des discussions avec les provinces. M. Prince a justement parlé des incapacités temporaires ou épisodiques et de l'assurance-emploi. Je m'adresse donc à lui.
Le programme de prestations du revenu de base que nous proposons devrait remplacer le système d'aide sociale. Il s'agit vraiment d'un programme de base, si je puis m'exprimer ainsi, qui doit répondre aux besoins des gens ayant des incapacités à long terme et qui n'ont aucune autre ressource vers laquelle se tourner.
Nous avons discuté de la question avec les provinces; en fait, j'ai été invité à présenter cet exposé à la réunion interprovinciale des sous-ministres, il y a environ six mois. Ils sont évidemment très intéressés.
Ce programme présente bien des avantages pour les provinces, qui voient toutes les économies qu'il leur permettrait de réaliser. Mais selon nous, le gouvernement fédéral devrait mettre le programme en œuvre seulement s'il s'entend avec les provinces pour que ces dernières réinvestissent les économies dans des programmes d'aide aux personnes handicapées.
Franchement, si nous mettons les mesures en œuvre, je crois que nous permettrons au Canada de passer de la note D à la note B+ sur le plan de l'aide accordée aux personnes handicapées — pas encore un A+, mais une nette amélioration de la situation.
Je crois que les provinces sont très intéressées. Elles pourraient participer au programme, mais c'est le gouvernement fédéral qui amorcerait les discussions. Je crois que c'est réalisable. Je n'entrevois aucun obstacle idéologique qui empêcherait un parti d'adopter ce genre de programme. C'est peut-être naïf de ma part, mais j'espère que nous pourrons continuer dans cette voie pendant quelques années et que les partis intégreront certains aspects de cette proposition dans leur programme.
Quant à la délicate question de savoir si cela relèverait de la compétence du fédéral ou des provinces, nous croyons que le programme pourrait prévoir un droit de retrait permettant au Québec ou à une autre province de lancer son propre programme. Je ne pense pas que ce serait un obstacle insurmontable. Après tout, le RPC et le RRQ fonctionnent très bien en parallèle. D'une certaine manière, ce programme pourrait être considéré comme une prolongation des prestations d'invalidité du RPC et du RRQ versées en fonction du revenu. Je ne vois aucun obstacle à cet égard.
Pour ma part, je recommanderais qu'un seul programme soit mis en œuvre par le gouvernement fédéral. Je crois que la Constitution le permet, mais ce n'est que mon opinion. On pourrait discuter de la question avec les provinces. Je ne crois pas que le problème du partage des responsabilités constituerait un obstacle sérieux.
Mme White : J'aimerais revenir sur ce point et sur quelque chose que vous avez dit au sujet de l'admissibilité au programme.
Il importe peu de savoir de qui relève le programme — que ce soit du gouvernement fédéral, des provinces, des territoires ou des administrations municipales — si l'on tient toujours compte de la sexospécificité. Nous le faisons dans ma province, où un bureau est clairement responsable de la condition féminine, et nous tenons compte de la différence entre les sexes. Nous devrions faire de même pour les personnes handicapées à l'égard de chaque programme, politique et initiative que mettent en œuvre les divers ordres de gouvernement. Nous devons tenir compte des besoins de ces personnes lorsque nous examinons les programmes et les politiques pour déterminer pourquoi certains en sont systématiquement exclus. Nous devons nous appuyer sur des principes d'inclusion et d'accès pour que personne ne soit laissé pour compte.
Est-ce que les provinces considéreraient les prestations du revenu de base versées par le fédéral comme une véritable manne? J'en ai bien l'impression. J'ai déjà travaillé dans le domaine de la politique municipale, et on se réjouit chaque fois qu'un autre ordre de gouvernement veut se charger d'une initiative coûteuse.
J'ai coutume de dire que je ne veux pas que nous imposions des conditions, mais bien des exigences. Il ne faudrait pas que nous allions de l'avant et que les provinces reçoivent des fonds sans que l'on ait établi un cadre clairement défini précisant que l'argent doit servir à aider les personnes handicapées.
[Français]
M. Zélaya : Vous avez souligné la question du programme d'assurance-emploi et maintenant, on parle de certaines personnes handicapées qui pourraient y avoir accès et comment s'assurer qu'elles ne soient pas mises à l'écart. Cela nous rappelle comment les gouvernements, lorsqu'ils ont fait des compressions draconiennes dans les programmes, nous ont assuré que les personnes les plus vulnérables ne seraient pas touchées ou victimes. Et même si on disait non, ce n'est pas vrai ce que vous nous dites, une partie va en subir les frais et on se rend compte que c'est un problème majeur.
Un des problèmes, c'est que lorsqu'on applique les politiques, on ne regarde que l'agenda politique et, d'autre part, lorsque ce n'est pas le cas, c'est seulement à court terme. Les personnes les plus handicapées n'ont pas été affectées, mais ceux qui ont des handicaps non permanents ou moins lourds ont été victimes.
Au Québec, on l'a vu avec les compressions sur la sécurité du revenu; on nous avait assuré que les personnes handicapées ne seraient pas victimes et on s'est rendu compte que ce n'était pas le cas. C'est important lorsqu'on regarde la question des différentes mesures qui seront prises dans la lutte contre la pauvreté pour les personnes handicapées de ne pas juste faire des politiques carrément à part. Oui, il y en a des mesures à part, comme j'ai mentionné tout à l'heure, où l'on devrait avoir des mesures pour les personnes handicapées, mais de les voir comme les grandes politiques qu'on adopte sont des politiques inclusives. C'est dans ce cadre qu'on doit les voir.
Si on améliore et on bonifie le programme de l'assurance emploi, c'est certain que cela aura un impact pour les personnes ayant des déficiences, mais aussi pour les femmes, les immigrants, et cetera. C'est dans cette perspective qu'on se dit que cela prend des politiques transversales, des mesures globales et ensuite des mesures spécifiques pour la lutte contre la pauvreté.
Donc, pour la lutte contre la pauvreté des personnes handicapées, il va falloir le voir dans cette perspective, de dire qu'il n'y a pas une mesure miracle qui pourra résoudre tout, mais différentes mesures. Il faut s'assurer, chaque fois qu'il y a des compressions, qu'on ne regarde pas seulement en termes de nombres, mais en termes d'impact à moyen ou long terme des politiques sur les populations les plus vulnérables.
[Traduction]
M. Prince : Je vais répondre à la question sur l'assurance-emploi. Dans mon document, je propose trois options. Je n'en préconise aucune parce qu'il faut mener encore quantité d'analyses et de discussions auprès des administrations, que ce soit au sein de la collectivité ou dans le milieu politique.
Les prestations de maladie que prévoit le programme d'assurance-emploi sont d'une durée maximale de 15 semaines. Le tiers des prestataires épuisent leurs 15 semaines. La moyenne est d'environ neuf semaines, tant pour les hommes que pour les femmes. Il y a une légère différence entre les deux, mais très peu. Environ 12 000 à 15 000 Canadiens se prévalent de la totalité des 15 semaines de prestations chaque année.
Et que font ces personnes à la 16e semaine? Nous l'ignorons. Nous savons que certaines reçoivent des prestations d'aide sociale de la 16e à la 54e semaine. Pourquoi la 54e? C'est le temps qu'il faut attendre avant de pouvoir présenter une demande de prestations d'invalidité partielle dans le cadre du RPC. C'est un long délai. Entre-temps, les gens doivent puiser dans leurs réserves — leurs économies, et cetera. Certains, nous ne sommes pas sûrs du nombre, finissent par venir grossir les rangs des bénéficiaires de l'aide sociale.
Nous pourrions comparer la période de 15 semaines à ce qui est offert dans d'autres pays. Chacun a sa propre approche, même si de nombreux pays européens ont réduit leurs prestations d'invalidité; je ferais cependant remarquer qu'ils étaient bien plus généreux que nous. Nous pourrions doubler ces prestations et être encore loin du montant que versaient les Néerlandais et les Allemands avant de s'affoler et de faire marche arrière.
Nous disposons d'une bonne marge de manœuvre qui nous permettrait de doubler la durée des prestations pour la faire passer à 30 semaines, ce qui est raisonnable. Mais il existerait toujours une interruption entre les prestations de l'assurance-emploi et d'invalidité. Nous pourrions prolonger la période jusqu'à 50 semaines. Certains pays vont même jusqu'à deux ans. À bien des égards, nous pourrions être plus prudents qu'eux, mais faire quand même mieux que maintenant.
Quant au rétablissement rapide des prestations pour ceux qui n'en reçoivent plus, cela relève davantage des programmes d'indemnisation des accidentés du travail ou de prestations d'invalidité du RPC. Au Canada, la plupart des gouvernements ont pris des mesures favorables en ce sens; les personnes qui prennent le risque de ne plus recevoir de prestations, mais qui doivent de nouveaux se prévaloir du programme parce que leur maladie réapparait sont maintenant assurées de pouvoir le faire sans devoir se soumettre de nouveau à toutes les formalités.
Il est possible de simplifier les procédures, de les rendre plus conviviales et moins fastidieuses pour les Canadiens. Nous sommes très méfiants lorsqu'il s'agit de déterminer si les gens sont réellement malades. Il existe une véritable phobie à ce sujet, alors que, comble de l'ironie, nous avons les programmes les moins généreux parmi les pays les plus industrialisés. Ce n'est pas comme si nous offrions la crème des programmes.
Le président : Je tiens à vous remercier d'avoir participé à nos délibérations.
La séance est levée.