Délibérations du Sous-comité sur les villes
Fascicule 2 - Témoignages du 1er mai 2008
OTTAWA, le jeudi 1er mai 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour étudier les questions d'actualité des grandes villes canadiennes.
Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bienvenue au sous-comité sur les villes du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie.
Aujourd'hui, nous examinerons le rôle des organismes non gouvernementaux et religieux en matière de logement et de réduction de la pauvreté.
[Traduction]
Notre sous-comité prend comme point de départ les travaux déjà faits par le Sénat dans le domaine de la pauvreté, entre autres le rapport préparé par le sénateur Croll et le rapport de la sénatrice Cohen paru en 1997 et intitulé la La pauvreté au Canada : le point critique.
Par ailleurs, notre étude viendra compléter les travaux du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts présidé par le sénateur Fairbairn. À la demande du sénateur Segal, ce comité se penche sur la pauvreté en milieu rural. Nous espérons pouvoir regrouper beaucoup d'éléments d'information afin d'approfondir davantage le travail déjà fait.
Pour nous aider, nous entendrons aujourd'hui quatre témoins dont chacun a été invité à prendre la parole pour environ cinq minutes.
Madame Laforest est professeure adjointe de la School of Policy Studies à l'Université Queen's. Elle mène actuellement des recherches sur le secteur bénévole et les comités d'action de citoyens en mettant l'accent tout particulièrement sur la représentation, la défense d'intérêts et les nouvelles formes de militantisme politique.
Madame Patten est la présidente et directrice générale de Fondations communautaires du Canada. Elle est présidente du Conseil du Centre de recherche et de développement sur le secteur bénévole et communautaire, projet conjoint d'organismes bénévoles et de deux universités d'Ottawa.
Les Fondations communautaires du Canada regroupent également plusieurs organisations locales. J'en connais une à Toronto, où je vis. Combien y en a-t-il en tout?
Monica Patten, présidente et directrice générale, Fondations communautaires du Canada : Il y en a 160. En fait, il y a probablement une fondation communautaire très active dans toutes les villes que vous habitez.
Le président : M. Lacasse est coordonnateur du Carrefour de Pastoral en monde ouvrier, le CAPMO. Cet organisme préconise la solidarité, l'implication, la guérison ainsi que la formation des gens qui vivent dans la pauvreté et de ceux qui les aident.
Enfin, M. Northcott est le coordonnateur exécutif de Winnipeg Harvest, banque alimentaire créée en 1984 et dont il est le cofondateur. Il est également fondateur de l'Association canadienne des banques alimentaires et a siégé au conseil d'administration de l'Organisation nationale antipauvreté.
Soyez tous les bienvenus. Si vous êtes d'accord, vous prendrez tour à tour la parole dans l'ordre dans lequel je viens de vous présenter.
Rachel Laforest, professeure adjointe, Université Queen's : Je suis ravie d'être des vôtres ce matin. On m'a demandé de parler des rapports entre le gouvernement et les OMG. Je vais tout d'abord décrire certaines grandes tendances qui touchent le secteur des OMG et le gouvernement en ce moment, parce que les rapports entre ces deux éléments sont en voie de transformation.
Ensuite, je décrirai les obstacles auxquels doivent faire face les organismes qui œuvrent dans le domaine du logement et de la réduction de la pauvreté en milieu urbain. Je m'arrêterai aux deux principaux défis sur le plan de la justice sociale et des progrès futurs. J'espère que je pourrai vous faire comprendre à quel point le rôle des OMG et des organisations confessionnelles est important dans ce domaine.
Au cours des dernières années, les gouvernements du Canada et d'autres pays ont reconnu qu'ils ne peuvent faire cavalier seul pour élaborer des politiques ou offrir des services, mais qu'ils doivent faire appel à la collaboration des organismes bénévoles pour atteindre les objectifs souhaités. Cela m'amène à la première tendance, qui consiste pour le gouvernement à décharger ses responsabilités en ce qui concerne la prestation de services publics sur les organisations bénévoles et communautaires de tous genres, et l'augmentation des attentes vis-à-vis de ces derniers.
Du point de vue politique, nous comprenons de plus en plus que les organisations peuvent faire des choses que le gouvernement ne peut pas faire, notamment rejoindre les gens dans leur milieu et créer un sentiment d'appartenance communautaire que l'État ne peut...
Le président :Excusez-moi. Je suis désolé de vous interrompre; mais pourriez-vous parler un peu moins vite? La règle du cinq minutes n'est pas aussi stricte. Si je vous demande de ralentir, c'est que nos délibérations sont interprétées dans les deux langues, et l'interprète a du mal à vous suivre.
Mme Laforest : Excusez-moi. La culture du secteur bénévole est très proche des gens qu'il dessert. En raison de leur implantation sur le terrain, les organismes bénévoles peuvent trouver des solutions que le gouvernement ne peut pas trouver.
Cependant, les politiques du Canada qui touchent le secteur bénévole ne reposent pas sur une vision cohérente. Elles limitent le rôle des organismes bénévoles à celui de la prestation de services. Or, cela est particulièrement grave dans le cas des organisations qui luttent contre la pauvreté, parce qu'on néglige un aspect important de leurs activités.
Les gens se regroupent dans leurs collectivités quand on leur donne les moyens d'agir sur leur milieu. Certaines organisations ont commencé à offrir des services dans certains secteurs et ont réussi à transformer positivement ces secteurs, pas seulement parce qu'ils offraient des services, mais aussi parce qu'ils donnaient aux gens du milieu les moyens d'agir. Ils leur donnaient droit au chapitre pour transformer leur milieu. Et ce rôle de donner aux gens les moyens de s'aider, de leur donner droit au chapitre dans leurs collectivités est extrêmement important, pas seulement la prestation de services.
Les gouvernements doivent mieux respecter toutes les dimensions des activités du secteur bénévole. Ils ne doivent pas supposer que les organisations du secteur tertiaire sont simplement des mécanismes de prestations de services publics. Le travail de ces organisations d'un bout à l'autre du pays, dans les collectivités et les villes, apporte beaucoup à la société chaque jour.
Les entreprises sociales proposent une nouvelle éthique au niveau des modèles d'affaires et de marchés. Par leurs actes de bonté quotidiens, les bénévoles agissent profondément dans leur milieu. Par leurs campagnes et les causes qu'elles défendent, les organisations contribuent considérablement à faire évoluer les mentalités et les lois, et ce rôle devrait être reconnu comme tout aussi important que la prestation des services.
La deuxième tendance dont je veux vous entretenir ce matin a trait au financement. On privilégie de plus en plus des subventions à court terme liées à des projets précis, au détriment d'un financement à long terme et plus stable. Cette tendance a eu des effets dévastateurs sur les organismes bénévoles partout au Canada. Plusieurs recherches ont montré que les contraintes de financement croissantes, la multiplication des projets à court terme et le fait que les subventions liées aux projets ne permettent pas aux groupes de financer leurs activités de base ont rendu le financement de ces organisations de plus en plus instable.
La perte d'infrastructure causée par le financement par projet et la compression des frais administratifs peut amener ces organisations à s'écarter de leur vocation première. Cela doit nous préoccuper si nous voulons bâtir des assises solides pour le secteur, pour les petits et grands organismes, de manière à ce que le gouvernement puisse les appuyer dans leurs activités sur le terrain.
Il importe de bien comprendre, par ailleurs, que les petites organisations peuvent faire beaucoup avec très peu d'argent. Elles ont des répercussions énormes sur la vie quotidienne des gens. Or, l'infrastructure de financement actuelle impose des exigences comptables énormes à ces petites organisations, particulièrement celles qui travaillent sur le terrain en milieu communautaire. Nous devons repenser le système des subventions pour que les petites organisations puissent avoir accès plus facilement aux ressources dont elles ont besoin.
Quels sont les défis principaux auxquels nous devrons faire face? L'un d'entre eux touche les tendances démographiques, l'entrée de nouveaux habitants et l'accroissement de la diversité dans nos villes. Lorsqu'on ajoute cela à l'affaiblissement de nos institutions traditionnelles, au fait que la relation entre les gens change et la disparition des modèles traditionnels, cela signifie que la dislocation et la ségrégation augmentent dans les collectivités. Les gens sont perçus comme étant séparés; même s'ils vivent dans les mêmes quartiers, leurs relations de voisinage ne sont pas aussi fortes qu'auparavant.
À l'avenir, le secteur tertiaire jouera un rôle essentiel pour rassembler les gens et créer un sens d'appartenance à la communauté. De plus en plus, les recherches nous démontrent que l'effet de ce secteur sur la création d'un sens d'appartenance apportera plus au bien-être social général que tout autre levier économique. Il faudra songer à ce secteur à l'avenir.
L'inégalité sera un très grand problème à l'avenir, car comment réduire la pauvreté dans un contexte de richesse croissante? Ce n'est pas seulement une question de pauvreté. Le secteur tertiaire a son rôle à jouer pour créer le type de services publics qui touchent la population, lui donner les moyens d'agir et la faire participer à l'élaboration des politiques. Ils sont les ancres et les plaques tournantes de la collectivité et offrent un sens de communauté, qui sera essentiel à l'avenir pour régler les problèmes liés à la diversité.
Il faut tisser des liens entre les gens pour que les personnes qui vivent dans un même secteur se rapprochent et aient un sentiment d'appartenance. Il y a trop de distance entre les gens dans nos collectivités. Les organisations sont des endroits où l'on bâtit les collectivités et où les gens se rassemblent. Je crois que ce secteur jouera un rôle central pour s'attaquer aux problèmes auxquels nous ferons face à l'avenir, surtout dans les zones urbaines.
Le président : Madame Patten, la parole est à vous.
Mme Patten : Merci. Je suis ravie d'être ici et de m'adresser à vous après Rachel. Je vous raconterai deux histoires qui, je l'espère, illustreront en partie ce dont Rachel a parlé.
Je vous parlerai d'un point de vue légèrement différent, celui d'une partie du secteur des ONG, du rôle de la philanthropie, et surtout des organisations philanthropiques communautaires. Vous connaissez tous Centraide et les autres organisations qui mènent des activités très importantes par leur financement, leur rôle de chefs de file communautaires, leurs rencontres et par toutes sortes d'autres façons.
Je vous ai distribué un document écrit et je ne répèterai pas ce qui y est contenu. Je vais plutôt parler de deux cas dans ce document qui illustrent la complexité de la pauvreté, l'importance de la coopération entre les intervenants et les partenaires pour souligner qu'il ne s'agit pas simplement d'une question d'argent. Tout l'argent du monde que nous utilisons pour régler les problèmes de pauvreté ne sera pas en mesure de s'attaquer à ce problème complexe.
Premièrement, je vais vous parler de Fondations communautaires du Canada. Il y en a 160 partout au pays. Et lorsque vous additionnez tous les fonds gérés par les fondations communautaires, on atteint presque 3 milliards de dollars. Cela dépend des marchés, bien sûr, mais on arrive à près de 3 milliards de dollars. Nous offrons environ 180 millions de dollars en subventions à des organisations caritatives dans les collectivités partout au pays.
Les biens et subventions gérés par les FCC ne représentent qu'une partie de leurs activités. Le reste consiste à établir des partenariats, à se réunir pour discuter de problèmes, à rassembler des bailleurs de fonds; et à travailler avec de nombreux acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux pour le bénéfice de la collectivité. Si vous me le permettez, je vous décrirai deux approches prometteuses, mais elles ne sont que le début, et en soi, elles ne pourront régler le grave problème qu'est la pauvreté.
Le premier cas dont je veux vous parler est celui de Winnipeg, que M. Northcott connaît peut-être. Le deuxième que je décrirai est celui de Hamilton. Dans ces deux collectivités urbaines, le leadership provient de la Fondation communautaire de Winnipeg et de la Fondation communautaire de Hamilton respectivement. Je soulignerai dès le départ que ces fondations ne sont pas les seuls acteurs : c'est un point essentiel et très important.
Dans les deux cas, les fondations communautaires ont préparé le terrain pour l'initiative. À Winnipeg, on vient de terminer une approche quinquennale axée sur les quartiers et fondée sur la notion que l'éducation permet de sortir de la pauvreté. Avec l'appui nécessaire, les personnes appropriées, la participation des citoyens et de la collectivité, on peut réduire la pauvreté.
Dans le quartier Centennial de Winnipeg, l'approche s'est concentrée sur l'éducation élémentaire. Cette approche est centrée sur une école d'une collectivité assez petite mais très marginalisée au centre de Winnipeg. Le but était de créer un modèle de développement de ce quartier que l'on pourrait copier et adapter dans d'autres quartiers urbains, d'autres villes canadiennes. C'est une initiative ouverte basée sur la coopération. Au départ, personne n'a indiqué que les résultats seraient positifs et sur quoi débouchera cette initiative. Tout a été construit à partir de la base dans la collectivité. L'initiative consistait à établir une participation et des partenariats locaux, à rassembler de nombreux partenaires autour de la table et à profiter des atouts et des ressources. C'était une approche fondamentale. Il ne s'agissait pas de dire, n'est—ce pas horrible? Il s'agissait de dire, il y a un problème; il y a un besoin; la situation ne peut continuer; ce n'est pas acceptable; et la collectivité dispose de ressources et d'atouts dont nous pouvons profiter. C'est une approche axée sur les ressources, tout comme celle de Hamilton.
La Fondation communautaire de Winnipeg a fait un investissement financier important sur une période de cinq ans qui a servi de catalyseur pour le changement et pour inviter d'autres partenaires à la table. Le but premier était de rassembler d'autres partenaires pour s'attaquer à la pauvreté et investir de l'argent.
Le deuxième objectif consistait à influencer les politiques publiques, surtout concernant l'éducation parce qu'ils voulaient régler ce problème grâce à l'éducation. Je vais vous raconter ce qui s'est passé jusqu'à maintenant dans le quartier Centennial de Winnipeg. Il y a eu un changement appréciable d'attitude dans la collectivité. Les membres de la collectivité se sont rassemblés pour travailler ensemble. Une nouvelle association communautaire a été formée. Elle comprend des comités de logement et de sécurité. Il y a déjà des chefs de file en place pour s'occuper des développements futurs de la collectivité. Une société de développement de quartier a été créée et ses activités toucheront les deux quartiers voisins, reliant ainsi trois quartiers qui étaient très isolés auparavant. Ils sont maintenant en mesure de partager des solutions et des idées concernant leur avenir. On rebâtit des maisons, les services policiers communautaires se sont améliorés, et des nouveaux partenaires financiers sont actifs et présents à la table.
Cette école comprenait un nombre important d'élèves autochtones mais aucun professeur ou assistant professeur autochtone. Une partie du financement a été utilisée pour former des professeurs autochtones et pour inviter dans l'école des stagiaires en enseignement. Les premiers résultats aux examens faits par les élèves de l'école Centennial semblent indiquer une certaine amélioration. Des gens du quartier ont été embauchés pour travailler à l'école et dans la collectivité. Le gouvernement du Manitoba est maintenant un partenaire dans cette initiative. Par exemple, le gouvernement s'est engagé à établir le programme d'aide préscolaire dans cette collectivité.
Cependant, il reste des défis : maintenir l'élan et le rythme, le rôle de lobbying d'une organisation caritative pour exiger plus de changements, le rythme lent des changements politiques, obtenir la participation des personnes appropriées, la participation de divers partenaires, et maintenir l'enthousiasme collectif. Nous en sommes à la fin de la cinquième année et le programme se poursuit toujours.
Je vous parlerai rapidement de Hamilton, qui a choisi une voie un peu différente. Il y a à Hamilton une initiative à plusieurs facettes qui est très passionnante. Les trois éléments qui la composent sont le renforcement des quartiers, une table ronde à Hamilton, et une attaque conjointe contre la pauvreté. Je vais dire quelques mots sur chacun de ces éléments.
Premièrement, la Fondation communautaire de Hamilton a fait un investissement financier de cinq ans dans des quartiers défavorisés. C'est une approche axée sur les ressources qui offre de l'appui aux groupes de quartiers locaux. La FCH offre l'aide technique et la formation pour que les groupes communautaires puissent se mobiliser et se rassembler pour analyser les problèmes et s'y attaquer. La fondation offre également de l'aide financière.
Deuxièmement, l'initiative consistant à s'attaquer ensemble à la pauvreté est un programme sélectif de subventions de la Fondation communautaire de Hamilton dans lequel la fondation offre des ressources financières importantes aux organisations non-gouvernementales caritatives ou religieuses, des ONG, à Hamilton. Leur rôle est de régler les problèmes de pauvreté et de logement trans-sectoriels dans la collectivité.
Troisièmement, il y a la table ronde de Hamilton sur la pauvreté, qui représente une partie très intéressante de leur travail et on a beaucoup écrit sur ce sujet. Je crois qu'on l'appelle la table ronde sur la pauvreté.
La Fondation communautaire de Hamilton et la ville de Hamilton ont créé ensemble une table ronde à l'échelle de la collectivité sur un thème commun pour régler les problèmes de pauvreté. Ils ont fait une déclaration vigoureuse à l'effet qu'aucun enfant à Hamilton ne devrait vivre dans la pauvreté. C'est devenu le cri de ralliement de Hamilton. Ils ont élaboré une stratégie intégrée à l'échelle de la collectivité fondée sur la coopération. Le modèle d'apprentissage qu'ils utilisent comprend les médias locaux, les services policiers, les écoles, les soins de santé et une vaste gamme d'ONG et d'autres organisations de la collectivité.
Dès le départ, ils ont créé ce qu'ils ont appelé une table « sans blâme ». C'est un message très fort : La Fondation communautaire de Hamilton et les autres fondations communautaires croient que nous sommes tous impliqués dans cette situation. Nous sommes en partie responsables des situations dans lesquelles nous nous trouvons, et nous avons tous l'occasion de travailler ensemble pour s'en sortir. Par conséquent, cette notion de sans blâme constitue un principe essentiel.
Je ne peux trop souligner également qu'il y a à Winnipeg et à Hamilton un engagement à long terme. On ne parle pas d'une merveille d'un an ou de deux ans. C'est une stratégie à long terme et il n'y a pas d'issue facile. C'est un long périple.
Que s'est-il passé à Hamilton? De nouvelles relations intergénérationnelles et transculturelles se sont formées. De nouveaux programmes de développement du leadership basé sur les atouts et les ressources ont été offerts aux quartiers. On a établi de nouveaux services et partenariats à Hamilton, et la table ronde est devenue le catalyseur pour la prise en main de la collectivité. En conséquence, le conseil municipal appuie maintenant des changements aux politiques publiques qui profiteraient aux enfants et aux familles à faible revenu en Ontario, et en fait la promotion.
Il n'est pas réaliste de s'attendre à ce que ce cycle vicieux et complexe de la pauvreté soit brisé par une de ces initiatives. On le savait lorsque le travail des organisations de MM. Northcott et Lacasse a débuté. Cependant, dans les deux cas, on a identifié et documenté des tendances positives et des progrès. On parle d'amélioration de la vie des personnes et des collectivités. Il est important que les connaissances et l'expérience générées dans ces exemples, et d'autres ailleurs au pays, soient partagées et utilisées.
Nous savons que les gouvernements devront être des partenaires dans ces initiatives. Ils devront faire des efforts à long terme au niveau des politiques et du financement. Malheureusement, nous ne sommes pas convaincus que les gouvernements sont prêts à faire les efforts à long terme pour élaborer les stratégies politiques ou financières que nous croyons importantes. Une grande partie de ce travail revient aux personnes et aux collectivités. C'est pourquoi je pense que l'appui au secteur des ONG est très important.
Si vous me le permettez, lorsque nous aurons terminé, je vous distribuerai à chacun une petite carte postale. Nous nous apprêtons à lancer un nouveau site Web sur le rôle des bailleurs de fonds non gouvernementaux et de la philanthropie pour régler les problèmes de pauvreté dans des collectivités canadiennes.
Le président : Le Sénat a adopté unanimement hier le projet de loi S-204. Ce projet de loi instituera une Journée nationale de la philanthropie qui soulignera le besoin de consacrer argent, temps et effort à la philanthropie en général. Ce projet de loi a été adopté au Sénat et sera maintenant examiné par la Chambre des communes.
Mme Patten : Félicitations.
Le président : Si vous avez de l'influence sur des députés à la Chambre, veuillez l'utiliser.
Mme Patten : Je remercie tous ceux qui y ont participé.
Le président : C'est notre comité qui a examiné le projet de loi.
Mme Patten : Je suis désolée d'avoir manqué cette nouvelle hier. C'est la meilleure nouvelle que j'ai reçue aujourd'hui. Je vous en remercie beaucoup.
[Français]
Jonathan Lacasse, coordinateur, Carrefour de pastorale en monde ouvrier : Je vous remercie, monsieur le président, pour votre invitation. Sachez que bien des gens suivront de près ce qui se passera aujourd'hui et seront intéressés par les suites qui découleront de ce sous-comité.
« Pour agir AVEC autrement ». Le Carrefour de pastorale en monde ouvrier (CAPMO) a été fondé il y a une trentaine d'années par des prêtres et des religieux qui étaient sensibles aux questions ouvrières de l'époque. Dès ses débuts, les fondateurs de CAPMO ont compris l'intérêt qu'il y avait d'impliquer les personnes tout au long du processus pour mener à de meilleures conditions. Nul doute possible aujourd'hui que la pauvreté n'est pas une fatalité. mais bien quelque chose qui est soutenu par un système économique. Je crois que la crise alimentaire mondiale nous permet, une fois de plus, de constater les lacunes réelles et insoutenables qui creusent ces écarts. Mais nul besoin nécessairement d'aller dans le Sud pour constater ses effets. Nos grandes villes canadiennes, dont la ville de Québec, sont également touchées par une pauvreté aux multiples visages où s'enracine cette misère, mais également s'enracine ce désir profond d'un changement. La question est : comment doit-on s'y prendre?
Juste avant d'aller plus loin, quelques petites statistiques pour nous aider à mieux comprendre ce vécu. Dans la région de Québec, qui compte autour de 600 000 personnes, l'aide alimentaire fournie mensuellement par l'organisme Moisson Québec s'élève à plus de 25 500 personnes. Donc, au cours d'une année, on parle de 2,7 millions de kilos de nourriture.
Dans un des quartiers du centre-ville, le quartier St-Sauveur, on dit que près de 65 p. 100 de la population a un revenu en deçà de 20 000 $ par année. Dans le quartier Vanier, près de 43 p. 100 de la population de 20 ans et plus n'a complété aucune formation. La liste pourrait continuer longuement. Cependant, ces chiffres ne nous permettent pas de saisir toute l'ampleur des diverses situations de vie des personnes, ce ne sont que des chiffres. Car la lutte à la pauvreté est une question de dignité. Au fil des années, le CAPMO a su se positionner dans la lutte à la pauvreté en priorisant l'apport des personnes en situation de pauvreté. Il est important de rappeler que les personnes en situation de pauvreté sont les premiers acteurs du changement souhaité; ce sont les premiers à lutter pour s'en sortir.
Par conséquent, il est important qu'elles se retrouvent tout au long du processus qui favorise de meilleures conditions de vie et de travail, comme ce fut le cas dans le cheminement qui nous a menés à l'adoption de la loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale au Québec, adoptée à l'unanimité le 13 décembre 2002 à l'Assemblée nationale de Québec.
Ainsi, dans la jeune histoire du Québec, une initiative citoyenne, il faut le rappeler, enracinée dans des préoccupations de base des personnes en situation de pauvreté, a trouvé écho auprès des parlementaires québécois.
La notion « avec » prend un sens tout autre et important. « Agir avec » signifie qu'il est impératif que les personnes vivant des situations de pauvreté soient parties prenantes de ce processus. Car « agir avec » permet aux personnes de s'approprier la démarche et de reprendre leur pouvoir sur les situations de vie. « Agir avec » demande également aux personnes qui leur sont solidaires de revoir leur stratégie déjà toute faite qui ne tient pas toujours compte des réalités de vie de ces personnes. Dans les deux cas, « agir avec » permet un cheminement personnel et collectif pour l'ensemble des personnes impliquées. C'est pourquoi, d'ailleurs, nous vous suggérons fortement, dans le processus qui est le vôtre, de laisser une place à ces personnes et non seulement aux personnes qui, comme moi, les représentent. Ils sont les mieux placés pour proposer les solutions répondant à leurs besoins. Ce n'est pas seulement les chiffres qui parlent, mais plus souvent qu'autrement, les témoignages de vie de ces personnes nous éclairent et nous permettent de mieux comprendre la réalité quotidienne qu'elles vivent.
Rappelons-le : on ne se complaît pas dans la misère humaine où la dignité de ces personnes est bafouée. C'est pourquoi nous croyons, au CAPMO, que d'agir pour la dignité des personnes est un devoir sacré que tous et toutes sont invités à faire.
Au fil du temps, le CAPMO a su développer une approche qui permet de réunir des personnes en situation de pauvreté et celles qui leur sont solidaires autour de ce que nous appelons des carrefours de savoir. Ces carrefours de savoir permettent la création de nouvelles connaissances sociales créées à partir de l'expertise de chacun des participants, menant ainsi vers une ou des stratégies d'action favorisant le changement souhaité. Chacune des personnes qui participent à ces carrefours est l'expert de son propre vécu. En conséquence, tous et toutes sont à même de contribuer et d'apporter leur expérience de vie au service de la communauté; cela permettra ainsi la mise en place d'une stratégie cohérente qui reposera sur les préoccupations des personnes.
Cette mise en commun des compétences est un élément essentiel dans le processus d'accès à l'exercice d'une citoyenneté qui tient compte de l'apport de chacun. L'intuition derrière ces carrefours de savoir est donc de contribuer à retravailler et à rebâtir le tissu communautaire de base tout en se dotant des connaissances nécessaires afin de bien articuler ce que nous vivons. Il va sans dire que les effets d'une telle mise en commun profitent grandement à tous les participants.
Au fil des années, le CAPMO s'est penché sur divers enjeux qui, à travers le cheminement qui est le sien, ont entrouvert la porte au projet de loi pour l'élimination de la pauvreté au Québec, dans une perspective que la nation québécoise soit celle parmi les nations industrialisées à avoir le taux de pauvreté le plus bas d'ici dix ans. D'ici là, il y a encore beaucoup de chemin à faire et cela peut et doit se faire avec la participation concrète des personnes en situation de pauvreté.
L'expérience du CAPMO, comme celle de bien d'autres, a su démontrer la pertinence d'une telle implication des personnes. Chaque personne, à partir de son vécu, de son expérience de vie, de ses savoirs, de ses forces et de ses faiblesses, est à même de contribuer de manière concrète à la transformation de la société pour plus de justice sociale. Le CAPMO dit oui à un Québec et à un Canada riche de tout son monde.
[Traduction]
Le président : Vous avez fait référence au projet de loi 112, et nous en avons beaucoup discuté ici. C'était une initiative émanant des citoyens qui a ensuite été adoptée par les élus. Elle offre une direction claire et est très louable.
Nous avons parlé également de ce qui se passe à Terre-Neuve-et-Labrador, et, espérons-le, bientôt en Ontario et ailleurs.
David Northcott, directeur exécutif, Winnipeg Harvest : Il me sera difficile d'être à la hauteur des témoins très talentueux qui m'ont précédé.
Honorables sénateurs, je suis ravi d'être ici. C'est un délice singulier que de travailler dans une banque alimentaire et pouvoir être assis autour d'une table respectée pour parler de ces problèmes. C'est en même temps très important et décevant.
[Français]
Je travaille avec la banque alimentaire Winnipeg Harvest.
[Traduction]
J'apprécie que vous posiez des questions difficiles sur la pauvreté au Canada, la pauvreté dans les villes au Canada et pourquoi elle existe encore.
Nous recommandons les travaux déjà faits par le Sénat lors des sous-comités sur les problèmes auxquels font face les villes canadiennes, de même que sur la pauvreté rurale par le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, le rapport Croll et le rapport du sénateur Cohen, La pauvreté au Canada : le point critique, et nous vous en félicitons.
Winnipeg Harvest a été fondé en 1984, pendant la première récession ayant frappé le Canada. Nous répondons à deux circonstances au Manitoba : la présence de gens et de familles qui ont faim, et l'existence de surplus de denrées et d'aliments distribués. Nous croyons qu'il est injuste que des Canadiens souffrent de la faim dans un pays d'abondance. Dès le départ, notre objectif était de répondre aux besoins immédiats des gens qui ont faim en les nourrissant, tout en travaillant avec d'autres groupes pour trouver des solutions à long terme pour réduire les besoins.
Les banques alimentaires du Manitoba offrent chaque mois des denrées à plus de 43 000 personnes. Près de la moitié sont des enfants. À Winnipeg, les aliments sont distribués à plus de 39 000 personnes par le biais de 300 agences dans les quartiers. Soit dit en passant, la plupart des gens pauvres au Manitoba vivent dans des villes, c'est pourquoi ce chiffre est différent. La plupart des agences, plus de 60 p. 100, sont des églises et autres institutions confessionnelles. Cela signifie qu'un peu plus de quatre millions de kilogrammes de denrées sont partagés à Winnipeg, et distribués aux familles qui ont faim.
Parmi les familles desservies par Winnipeg Harvest, moins de la moitié ont recours à l'aide sociale comme source de revenu. Environ 15 p. 100 travaillent mais ne gagnent pas assez d'argent pour acheter les aliments dont ils ont besoin pour eux-mêmes et leurs familles. D'autres touchent des revenus de pension, des prestations d'invalidité ou d'assurance-emploi ou tirent leur revenu de l'économie alternative, et de nombreuses personnes n'ont aucun revenu.
Bon nombre de nos clients, malgré les difficultés qu'ils doivent surmonter dans leur propre vie, offrent bénévolement leur temps et leur énergie pour aider d'autres personnes par l'entremise de Winnipeg Harvest. Nous ne pourrions pas réussir s'ils ne nous donnaient pas tous les ans plus de 270 000 heures de bénévolat. La plupart de nos bénévoles sont des clients.
La redistribution des aliments aux personnes qui en ont besoin demeure la principale priorité pour Winnipeg Harvest, mais nous offrons aussi les services suivants : préparation gratuite de déclarations de revenus pour les personnes ayant des revenus inférieurs à 38 000 $, nous le faisons en partenariat avec un bénévole de Revenu Canada; redistribution de produits d'hygiène et de beauté et d'articles ménagers; distribution de repas et de collations à des garderies, des écoles et d'autres organismes; élaboration et prestation de nouveaux programmes pour répondre aux besoins distincts des membres des Premières nations, des réfugiés et des collectivités africaines qui sont de plus en plus nombreux à Winnipeg; cours de préparation à la vie active et au travail, aide aux personnes endeuillées, et cetera.
Winnipeg Harvest a aussi lancé un programme de défense des droits de ses clients et d'autres personnes à faible revenu de Winnipeg. Ce programme comprend trois volets : travailler avec d'autres groupes religieux et ONG communautaires pour enseigner aux gens à faible revenu à se défendre eux-mêmes lorsqu'ils ont des problèmes d'aide sociale, de logement, de loyer et d'autres problèmes sociaux; changer le système, collaborer avec des groupes aux vues similaires pour inciter les politiciens et les fonctionnaires de haut niveau à améliorer l'équité du système; défense individuelle des droits pour aider des familles à avoir accès aux services sociaux fournis par les ONG, les gouvernements et le secteur privé auxquels elles ont droit.
Quand je réfléchis à ce qui fonctionne et à ce qui ne fonctionne pas au Canada, je pense toujours à Big Bill, un homme grand, qui fait un peu plus de deux mètres. Un homme des rues, Big Bill était depuis longtemps à la fois client et bénévole de Winnipeg Harvest. Il vivait dans un hôtel du centre-ville. Il ne pouvait pas utiliser la douche commune tous les jours parce qu'elle ne fonctionnait pas toujours. Il portait tous ses vêtements sur lui parce qu'il savait que quelqu'un les volerait s'il les laissait dans sa chambre. Big Bill avait donc des problèmes d'hygiène en plus de ses nombreux autres problèmes, y compris des troubles mentaux, mais il venait quand même aider ceux qui étaient encore plus démunis que lui à Winnipeg Harvest.
Tout à coup, sa vie a changé. Il était propre. Il portait de nouveaux vêtements et avait un nouveau sentiment d'amour-propre et était respecté. Qu'est-ce qui s'était passé? Il avait eu 65 ans. Tout à coup, le système qui l'avait traité si mal a commencé à le respecter comme citoyen et à répondre à ses besoins. Il avait un logement décent et il pouvait se permettre d'acheter des aliments qu'il pouvait préparer dans sa propre cuisine.
Cela me prouve, sans l'ombre d'un doute, que quand nous le voulons, nous pouvons concevoir et exécuter un programme qui fonctionne et qui valorise le citoyen. Pourquoi est-ce que nous ne pouvons pas le faire tous les jours, pour tous les Canadiens, qu'ils soient anglophones ou francophones?
Les Canadiens sont fiers à juste titre des programmes sociaux que leur pays a réussi à mettre sur pied. Voici une liste de mesures prises par les gouvernements fédéral et provinciaux au nom de tous les Canadiens : les régimes de pensions du Canada et du Québec; le supplément de revenu garanti; la sécurité de la vieillesse; l'assurance-emploi; l'indemnisation des accidentés du travail; l'accès à l'éducation; l'aide sociale; l'assurance-maladie, qui fait notre renommée et notre fierté. Les banques alimentaires étaient censées être une solution temporaire. Winnipeg Harvest espère toujours fermer ses portes, dans un Canada où personne ne souffrirait de la faim. Nous savons maintenant, plus de 20 ans après la création des premières banques alimentaires, que le Canada a besoin d'une volonté politique pour changer.
La motion de l'ancien chef du NPD, M. Ed Broadbent, en vue d'éliminer la pauvreté chez les enfants avant l'an 2000 était une idée noble, mais n'avait aucun poids législatif. Nous avons plutôt constaté l'émergence d'une philosophie selon laquelle le marché règlerait tous les maux de la société. Cela ne s'est pas produit. Ceux qui étaient en haut de l'échelle se sont enrichis alors que la croissance économique a permis à certains de ceux qui recevaient de l'aide sociale de trouver du travail. Mais ces emplois n'étaient pas assez stables et ne payaient pas suffisamment et une grande proportion de ces personnes ont continué à avoir besoin des banques alimentaires.
Au Manitoba, les taux de l'aide sociale pour le logement sont gelés depuis 15 ans et en matière de logement social, les programmes provinciaux ont créé des îlots insalubres. Ainsi, en tenant compte de l'inflation, le pouvoir d'achat des citoyens les plus défavorisés du Manitoba a été réduit de 35 p. 100 au cours de cette période. Par conséquent, des familles biparentales, des mères seules, des personnes handicapées physiquement ou mentalement, des malades mentaux, des personnes qui ont besoin de scolarisation et de formation et tous ceux qui ont été forcés par les circonstances de recourir à l'aide sociale doivent faire un choix déchirant : se nourrir et nourrir leur famille ou payer leur coût de logement. L'argent qui aurait dû être consacré à la nourriture sert donc à payer le loyer et les services publics, et on étire le budget alimentaire en ayant recours à une banque alimentaire. Mais ce n'est qu'une solution partielle. Nos clients ne reçoivent de la nourriture que pour quatre ou cinq jours dans le mois.
Peut-on trouver une solution plus appropriée et plus durable pour les Canadiens qui vivent dans la pauvreté? Vous pourriez peut-être, s'il vous plaît, relire le rapport Croll et la recommandation visant à établir un programme de revenu annuel garanti. Comme l'expression « revenu annuel garanti » ne fait plus partie du discours public, nous pourrions donner à cette proposition le nom de « crédit d'impôt pour famille ». Le CIF doit être évalué à la lumière des besoins que révèle la présence des banques alimentaires depuis 25 ans. Les gens ont encore faim.
Le principe est simple : tous les Canadiens méritent un niveau de vie adéquat, simplement du fait qu'ils sont Canadiens. Les autres citoyens savent qu'il y a toujours des gens qui passent à travers les mailles du filet social. C'est pour cette raison qu'ils sont toujours incroyablement généreux envers des organismes comme Winnipeg Harvest. Les Canadiens savent qu'ils doivent réussir à faire par leur charité ce que les gouvernements n'ont pas réussi à accomplir, soit assurer un niveau de vie convenable pour tous.
Nous serions enchantés de fermer les portes de Winnipeg Harvest parce que tous nos anciens clients auraient un revenu suffisant et ne souffriraient plus de la faim.
Nous vous remercions d'avoir invité Winnipeg Harvest à présenter cet exposé. À mon tour, j'invite les sénateurs à visiter les banques alimentaires locales pour constater ce que les ONG et les organismes confessionnels font tous les jours dans leurs collectivités pour réduire la faim. Nous souhaitons vivre dans le même pays que vous, un pays où personne ne souffrirait de la faim.
Le président : Nous aurons une table ronde sur la question de revenu annuel garanti dans le courant du mois, je crois.
Nous allons passer au dialogue et aux questions. J'aimerais parler des relations gouvernementales, qui ne sont sans doute pas faciles, au niveau fédéral, provincial et municipal. Je mettrai davantage l'accent sur le niveau fédéral pour comprendre comment nous pourrions établir une meilleure relation avec vous pour vous aider dans ce que vous faites, et qui constitue une contribution précieuse aux efforts de nos collectivités pour lutter contre la pauvreté, les problèmes de logement et le sans-abrisme.
Depuis quelques années j'ai l'impression que le gouvernement vous rend la vie difficile de nombreuses manières, premièrement en refusant de financer vos activités de base et votre administration. Vous devez donc trouver ces fonds ailleurs. Le gouvernement semble privilégier les projets restreints à court terme mais cela rend la planification d'une organisation difficile. En outre, ils vous obligent à remplir beaucoup de paperasse, à préparer des rapports et des évaluations. Même si c'est un processus difficile, nous comprenons que le gouvernement doit utiliser l'argent des contribuables d'une manière responsable. Parfois, il en fait peut-être un peu trop, et cela vous rend la vie beaucoup plus difficile.
Que vous soyez d'accord ou non avec moi, j'aimerais entendre vos commentaires, soit de votre propre point de vue ou du point de vue de la collectivité des organismes sans but lucratif et des organismes confessionnels en général. Comment peut-on améliorer la relation entre ces groupes et le gouvernement, particulièrement au niveau fédéral? Je soupçonne que l'essentiel de l'appui gouvernemental que vous recevez provient des niveaux provincial et municipal, mais quelle aide recevez-vous du fédéral?
M. Northcott : C'est une question puissante à multiples facettes. J'aimerais tout d'abord définir rapidement les termes « charité » et « défense des droits ». Pour obtenir le statut d'organisme de charité, nous devons respecter certaines lignes directrices et règles, dont l'une concerne la définition de la « défense des droits » ou, comme nous l'appelons poliment, « éducation publique ». Nous devons financer la voix de ceux qui défendent les droits et reconnaître leur rôle dans une bonne définition de la « charité ». Pour être présents à cette table, nous avons besoin de dons de charité.
Lorsque nous disons que nous donnons à manger à ceux qui ont faim, nous pouvons considérer que c'est là un acte de charité dans l'intérêt de la collectivité. Cependant, l'Agence du revenu du Canada a des définitions bien rigides de ce qu'est la « charité ». Nous aimerions que vous vous penchiez sur cette question.
Le président : Est-ce qu'ils continuent à vous dire que vous travaillez le terrain politique, ce que vous n'êtes pas censés faire, alors que la différence entre charité et défense des droits est assez mince. Est-ce que c'est un élément du problème?
M. Northcott : Oui. Nous traitons avec quatre gouvernements : fédéral, provincial, municipal et autochtone. Lorsque nous leur parlons de ces problèmes, cela reflète sur leurs décisions politiques ou bureaucratiques sur la façon de gérer la vie de tous. Même donner de la nourriture à une famille qui a faim au Manitoba est une prise de position politique. Quoi que nous fassions, nous n'échappons pas à cette étiquette.
Je vous recommanderais de vous appuyer sur les bons programmes qui existent au Canada et de dire à tous ceux qui travaillent dans leur tour d'ivoire pour aider les personnes à faible revenu de se parler entre eux avant de s'adresser à ces familles. À Winnipeg, nous savons qu'une famille doit s'adresser à sept bureaux fédéraux et provinciaux chaque mois alors qu'ils n'ont même pas assez d'argent pour prendre l'autobus. S'il vous plaît, demandez à tous ces services gouvernementaux qui travaillent chacun dans leur tour d'ivoire de commencer par se parler entre eux.
Je pourrais en dire plus, mais je vais donner la chance aux autres.
Mme Patten : Merci d'avoir mentionné cette litanie de problèmes auxquels le secteur fait face. J'espère que vous pourrez faire quelque chose au sujet de la paperasse. J'aimerais ajouter quelque chose à la liste de problèmes à régler puis je dirai un mot au sujet de la philanthropie au gouvernement.
Trop souvent, les gouvernements de tous les niveaux demandent à ceux qui demandent des fonds de faire preuve d'innovation. Cependant, les gouvernements ne veulent pas qu'on prenne des risques avec cet argent. Le message est contradictoire. Ils diront : « Apportez-nous quelque chose de nouveau, quelque chose de différent », puis ils nous imposent d'autres exigences qui enlèvent toute originalité à ce que nous proposons.
Nous devons trouver de nouvelles solutions créatives en matière de logement, de sans-abrisme et de pauvreté mais le fait est qu'on nous décourage de le faire lorsque nous présentons des demandes de financement. J'espère vraiment que vous vous pencherez sur la question de l'innovation et sur les moyens de miser sur les bons programmes qui existent déjà.
Innover cela veut dire prendre appui sur les programmes qui ont fait leurs preuves, comme le disait M. Northcott, qu'il s'agisse de programmes locaux, communautaires ou gouvernementaux. Il ne faut pas se débarrasser de ces programmes mais les renforcer. J'espère qu'on trouvera une solution à ce problème.
Permettez-moi maintenant de parler de la philanthropie et du gouvernement du Canada. Il a été question d'encourager la philanthropie par des mesures fiscales ou autres. C'est une bonne chose et j'espère que ça continuera. Nous avons constaté des progrès considérables depuis l'adoption, vers 1997, d'importants avantages fiscaux.
Nous avons constaté une forte hausse des dons de charité et des contributions à la création de fondations dans notre pays. C'est bien, mais la philanthropie, ce n'est pas que ça. Dans mon exposé, j'ai essayé de vous montrer d'autres moyens d'attaquer des problèmes critiques au moyen de la philanthropie organisée.
Que je sache, il n'y a jamais eu de dialogue sérieux entre la philanthropie organisée — des fondations — et le gouvernement du Canada sur l'importance de la collaboration entre ces deux acteurs. La discussion n'a porté que sur la fiscalité.
Il faut comprendre qu'aucun gouvernement, aucune ONG et aucune fondation ne peut faire ce travail seul. Il faut que quelqu'un crée un espace où les gouvernements, les organisations caritatives et le secteur privé peuvent discuter des moyens d'agir ensemble et non pas de décider qui a fait quoi. Ce serait un important pas dans la bonne direction.
Le sénateur Munson : Vous dites qu'on vous décourage de proposer de nouvelles idées novatrices. Qui vous décourage et pourquoi? Pouvez-vous nous donner un exemple?
Mme Patten : L'effet dissuasif provient du conflit que créent des règles très serrées, rigoureuses et à court terme. Ce n'est pas possible d'innover à court terme. L'innovation, c'est repousser les frontières. Il faut pouvoir dire : « Ceci n'a pas fonctionné alors essayons cette autre façon ». Il est souvent impossible de le faire avec la plupart des fonds publics disponibles. D'une part, on nous dit : « Nous ne tiendrons compte que des nouveaux programmes novateurs » mais, d'autre part, ils nous disent « Voici les règles ». On ne nous laisse pas assez de souplesse, ni de temps et ensuite nous passons beaucoup de temps à répondre à des questionnaires et à préparer des rapports. En fait, le sénateur Eggleton a mentionné qu'il ne reste plus de temps pour la créativité et l'innovation.
Mme Laforest : Le problème, ce n'est pas seulement les rapports et les formulaires. Il faut définir d'avance les objectifs qu'on veut atteindre. Comme M. Lacasse l'a dit, une partie de notre travail est répétitif, nous sommes sur le terrain et nous apprenons auprès des gens que nous servons. C'est là qu'intervient l'innovation sociale. Cependant, l'innovation n'est pas possible lorsque le système ne nous laisse aucune souplesse ni aucune liberté et nous oblige à définir d'avance exactement ce que nous voulons faire.
Comme le disait Mme Patten au sujet de la philanthropie, on a fait énormément de progrès au Canada au cours des dernières années en ce qui concerne le statut d'organisme de charité et au sujet d'une Journée nationale de la philanthropie. Mais ce n'est qu'une façon d'envisager le rôle du secteur. Il n'y a pas que la philanthropie. Les données montrent que les Canadiens sont très généreux. Ils donnent de leur temps et de leur argent. Cependant, il reste des problèmes complexes comme la pauvreté qui montre que la philanthropie n'est pas la seule solution. C'est une question de justice sociale et il s'agit de savoir le genre de pays que nous voulons et de nous imposer une norme plus élevée où les familles et les enfants ne souffrent pas de la faim.
En réponse à votre question sur les relations avec les gouvernements, je pense que nous devons mieux comprendre les différents rôles que jouent sur le terrain les organismes bénévoles. Non seulement ils fournissent les services, mais ils responsabilisent les gens et leur donnent la chance de s'exprimer. Tous les exemples mentionnés parlaient exactement de cela.
Est-ce possible? Oui, je le pense. Mais lorsqu'on songe à l'évolution de la relation entre le gouvernement fédéral et le secteur du bénévolat, on constate que le gouvernement aidait beaucoup ces organismes dans les années 1980. Ceux-ci recevaient de l'argent pour remplir le rôle de représentation politique. L'importance de ce secteur comme porte-parole des groupes marginalisés au sein du processus politique était reconnue. Une partie des fonds servait à financer les activités de base et les activités de défense des droits. Cela a grandement contribué à créer notre sentiment de citoyenneté en tant que Canadiens.
Il est possible de revenir en arrière. On a maintenant une conception plus étroite du rôle que joue le secteur. Il y a un manque de vision en ce qui concerne la façon dont nous pourrions former un véritable partenariat qui ne se limite pas à la prestation de services.
Que peut-on faire? Le financement est important. C'est un élément très important, particulièrement pour une petite organisation sur le terrain qui peut donner de meilleurs résultats. Pour ce qui est de savoir quelle devrait être la part de financement qui vient du gouvernement fédéral par rapport aux gouvernements locaux ou provinciaux, je pense qu'il est vrai que la majeure partie du financement ne provient pas du gouvernement fédéral. Cependant, par le passé, il est intéressant de souligner qu'il y a toujours eu une certaine ouverture au secteur bénévole au niveau fédéral. Les organisations gravitent autour du fédéral car il y a cette ouverture pour parler des rapports et du mérite civiques, ouverture que l'on ne retrouve pas nécessairement au provincial, où la structure du secteur a tendance à être plus faible. Par conséquent, l'une des raisons pour lesquelles on a une telle représentation au niveau fédéral, ce n'est pas le financement, mais c'est le fait qu'il y a une ouverture pour parler de ces questions.
[Français]
M. Lacasse : Pour commencer, je suis en accord avec les propos de mes collègues. Je me permettrais de mentionner, entre autres, ce que Rachel amenait par rapport à la remise en place des lieux de parole tout au long du processus, afin qu'on puisse entendre ces personnes.
Je pensais à la question des organismes de charité versus des groupes comme le CAPMO qui a un plus grand volet de défense des droits de la personne. Cela devient toujours un jeu complexe, de savoir à quel moment on est dans le domaine de la charité ou dans celui de la défense de droits.
Nous devons nous questionner pour savoir à quel point nous sommes limités dans le volet de la charité; on ne peut faire plus de 10 p. 100 d'action du point de vue politique parce qu'il faut s'assurer d'offrir des services.
Il y a là une clé intéressante pour le palier fédéral afin d'obtenir une meilleure reconnaissance des organisations qui mettront davantage l'emphase sur les structures qui causent la pauvreté au lieu de travailler sur les effets de la pauvreté. Il faut travailler sur les effets, car il y a des gens dont le quotidien est très difficile.
Comme le disait M. Northcott, je rêve du jour où le CAPMO n'aura plus sa raison d'être parce que la pauvreté sera quelque chose du passé.
Je ne crois pas qu'on puisse arriver tout de suite avec des solutions toutes faites, mais une collaboration avec les différents acteurs et les différents paliers gouvernementaux et une meilleure reconnaissance des organismes qui travaillent davantage sur les causes de la pauvreté que sur les effets, pourraient faire partie de la solution.
[Traduction]
Mme Patten : Je voudrais faire une petite observation au sujet du rôle des organisations nationales. Nous n'avons pas abordé ces questions, contrairement à ceux qui offrent des services sur le terrain. Je constate que les organisations nationales autour de moi sont en train de disparaître — Services à la famille Canada, la Fédération canadienne des services de garde à l'enfance, un certain nombre d'organisations ont disparu. Dans certains cas c'était une question de financement, et dans d'autres non.
Je vous encourage vivement à réfléchir au rôle que les organisations nationales peuvent jouer. Elles sont un véhicule de diffusion. Elles sont un véhicule qui permet de faire des liens.
L'un des faits au Canada c'est que la grande majorité des organismes sans but lucratif qui travaillent sur le terrain n'ont aucun lien avec qui que ce soit. Ils travaillent chacun de leur côté, sans l'avantage de faire partie d'un réseau plus important — sans apprendre, partager, et toutes ces autres choses qui se font lorsqu'on fait partie d'un réseau. Je dirais que nous devrions réexaminer la possibilité d'établir des réseaux qui pourraient en fait faciliter l'apprentissage mutuel sur le terrain entre les organismes et les gens qui font ce travail incroyable.
Le président : Nous sommes un sous-comité du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie que je préside également, et le vice-président est le Dr Keon qui préside également un sous-comité qui fait une étude très importante sur la santé des populations. Le sénateur Keon est de l'Ontario. En fait, il est justement d'Ottawa. Donc, même si la saison de hockey est terminée dans cette région du pays, on peut dire qu'il est un sénateur d'Ottawa.
Le sénateur Keon : Madame Patten, il est très intéressant que vous terminiez en parlant du réseautage. Le sénateur Trenholme Counsell et moi-même parlions d'autre chose ce matin et de l'importance considérable qui consiste à faire la distinction entre le réseautage et le sentiment d'appartenance, ou entre l'intégration et l'appartenance.
Je crois que la raison pour laquelle tant d'organismes nationaux philanthropiques échouent, c'est parce qu'ils sont trop gros. Ils deviennent trop bureaucratiques, et les gens cessent de les financer.
Je pense qu'il n'y a rien de plus important pour le Canada qu'une ONG communautaire, certainement du point de vue de la santé des populations et du point de vue de la pauvreté. Si les gens ne travaillent pas ensemble dans des collectivités identifiables, nous n'arriverons jamais à résoudre les problèmes sociaux. Les gens doivent travailler ensemble pour avoir le sentiment de donner, non pas de prendre. Cela dit, le fait est qu'on a besoin d'une chaise et d'un bureau, d'un téléphone et maintenant d'un BlackBerry et d'autres choses. On a donc besoin d'argent.
L'élément le plus intéressant est cette capacité d'encourager la philanthropie et de rester sur le terrain, et d'encourager la défense des droits et de rester sur le terrain. Pour cela, naturellement, il faut faire du réseautage, comme vous l'avez mentionné, madame Patten, au sujet de vos 160 fondations au pays.
J'aimerais que chacun d'entre vous réponde à la question suivante : Que faites-vous sur le plan de la philanthropie et du réseautage et que faites-vous pour éviter que vos organismes de base populaire sur le terrain ne deviennent bureaucratisés à l'échelle nationale?
Mme Patten : Je vous remercie de vos observations, sénateur Keon. Je serais heureuse de faire quelques observations à ce sujet.
J'ai le privilège de diriger un organisme où nous avons décidé que ce n'est pas une bonne chose de devenir trop gros ou trop bureaucratique, mais nous avons aussi décidé autre chose. On ne peut diriger un organisme national à partir d'un seul endroit. Nous nous sommes dit qui sommes-nous pour — dans ce cas-ci, à partir d'Ottawa — parler de ce qui est bon pour le reste du pays? Nous avons en quelque sorte un organisme virtuel, si vous voulez, et des gens partout au pays.
Je voudrais dire deux choses au sujet de la communauté, de la philanthropie et des donateurs aujourd'hui. Nous avons quelques défis à relever pour encourager la philanthropie — à la fois le bénévolat et les dons, il faut comprendre la philanthropie dans ce sens plus général. Il y a d'abord la notion de communauté. Les gens pensent à la communauté aujourd'hui d'une façon très différente. Ce n'est pas toujours l'endroit où ils vivent à l'heure actuelle. Cela peut être un endroit à l'autre bout du pays. Cela peut être un endroit à l'autre bout du monde. Cela peut être une communauté d'intérêt.
Il y a une conversation très intéressante en ce moment-ci au sujet de la communauté, du sentiment d'appartenance. À quelle communauté ou à quelles communautés multiples est-ce que j'appartiens? La même conversation a lieu dans le monde des donateurs et des bénévoles. Franchement, c'est une question que nous tentons de comprendre.
Mes collègues me demandent souvent pourquoi nos jeunes — et je parle ici des jeunes diplômés des écoles secondaires, des universités et des étudiants — lorsqu'ils pensent aux questions qui sont vraiment importantes, ne pensent pas toujours à leur propre communauté locale? Ils pensent à un continent qui est de l'autre côté d'un océan quelque part et c'est là où ils décident de faire du bénévolat et de consacrer leur temps.
Il s'agit alors de déterminer comment nous pouvons engager les jeunes et les autres donateurs? Ce phénomène ne se retrouve pas seulement chez les jeunes et les donateurs éventuels; on s'intéresse à ce qui se passe loin de chez nous sans être conscient que dans nos propres collectivités, dans notre propre cour, il y a 20 p. 100 des gens qui vivent dans la pauvreté. Il y a un certain travail de philanthropie à faire pour sensibiliser davantage les gens à ce qui se passe au niveau local, dans nos collectivités, car il faut trouver un juste équilibre entre l'aide que les gens souhaitent apporter grâce à des dons ou du bénévolat à des pays éloignés et la nécessité de répondre aux besoins à l'échelle locale.
L'une des choses que nous avons faite, c'est de mettre en place un programme qu'on appelle Vital Signs. Il a ses racines à Toronto, avec un certain nombre de dirigeants civiques de Toronto et la Toronto Community Foundation. Nous avons publié une fiche de rendement cette année au sujet d'environ 18 collectivités au pays. Nous publions un rapport national qui recueille ce genre d'information et de données au pays.
La pauvreté est naturellement toujours un thème important. C'est l'une des choses dont nous tentons de parler aux Canadiens, car nous ne pensons pas que les Canadiens comprennent cela. Nous ne pensons pas que les Canadiens comprennent vraiment profondément le niveau de pauvreté qui existe dans leurs collectivités. C'est en partie ce que nous tentons de faire — de faire le lien et d'établir des réseaux — grâce à ces rapports qu'on appelle Vital Signs.
En résumé, je dirais que le bénévolat et les dons doivent aller là où le donateur veut donner. Nous savons que c'est ce qui motive les donateurs aujourd'hui. Nous devons trouver le moyen d'informer et de sensibiliser davantage les donateurs afin qu'ils puissent comprendre ce qui se passe dans leur propre collectivité et, s'ils le souhaitent, y apporter une plus grande contribution.
M. Northcott : Ce sont d'excellentes questions; vous avez fait vos devoirs. Je suis très impressionné. Je vais dorénavant vanter le Sénat.
Nous devrions parler des emplois d'été pour les étudiants. Si vous voulez en savoir davantage au sujet des changements, nous devrions parler du financement des emplois d'été pour étudiants au Canada et de quelle façon cela reflète les états d'âme du jour. C'est un à-côté.
Cependant, je veux parler avec vous du réseautage et de l'appartenance. Les ONG appartiennent à des gens qui sont mal rémunérés, qui n'ont pas suffisamment d'avantages sociaux, qui ont un revenu peu élevé et qui ne sont pas habituellement bien formés et il y a énormément de bénévoles qui travaillent pour ces organismes. Tout ce travail bénévole n'est pas toujours bien évalué.
À Winnipeg Harvest, nous comptons 270 000 heures bénévoles. Franchement, nous ne disons pas au travailleur social où se trouve la personne car le système dit qu'on ne peut pas faire du bénévolat. Le bénévolat n'est pas acceptable; il faut trouver un vrai travail, un vrai emploi.
Dans bien des programmes sociaux du fédéral et des gouvernements provinciaux, on n'accorde pas de valeur à l'éthique du bénévolat. Nous devons vraiment accorder de la valeur à l'éthique du travail. Dans son livre intitulé The Nature of Work, Jeremy Rifkin dit que le travail c'est du travail, qu'il soit rémunéré ou non. Pour qu'on accorde de la valeur à ce travail, il faut regarder qui travaille pour ces ONG qui sont sous-financées, qui manquent de ressources.
Bon nombre d'ONG ne sont pas très bonnes — la plupart le sont, mais quelques-unes ne devraient pas exister. Cependant, je n'ai pas de contrôle là-dessus. Les propriétaires du secteur sont un drôle de groupe de personnages éclectiques. Essentiellement, nos services comblent les lacunes que laissent bon nombre de bons ou de mauvais programmes du secteur privé et du secteur public.
Il y a des différences notables à cet égard. Les fondations communautaires sont proactives et posent des questions difficiles. Elles ne sont pas toutes entachées d'irrégularités, mais c'est un drôle de domaine. Je suis certain que Mme Laforest pourrait mieux vous décrire le secteur des ONG.
La lutte entre le local et le mondial est le problème des ONG. Les jeunes adultes sont réseautés à l'échelle mondiale, particulièrement ceux qui viennent des pays riches. Le rôle des ONG est de s'assurer que nous sommes sur la même page. À Winnipeg Harvest, nous faisons venir des groupes d'écoliers pour visiter la banque alimentaire cinq matinées et cinq après-midi par semaine. À la fin de l'année scolaire, il y a plusieurs centaines de classes qui ont visité la banque alimentaire où nous leur parlons de la Banque de céréales vivrières du Canada, dont nous sommes très fiers. Quand ils deviennent adultes, ils parleront de la faim au Canada et ailleurs dans le monde. Le travail des ONG est de raconter cette histoire.
Nous avons eu beaucoup de succès pour ce qui est de faire participer les jeunes à la défense des droits de la personne, de l'adéquation des prestations au pays et de la nécessité d'agir localement et mondialement. Notre problème, c'est d'essayer d'atteindre les gens personnellement.
L'autre défi consiste à avoir une voix unifiée, ce qui est difficile car les voix sont tellement différentes. Certaines personnes ont fait une bonne recherche et d'autres ne se présentent pas très bien. Dans le secteur des organismes sans but lucratif, il y en a qui font bien leur devoir, d'autres le font mal et certains ne représentent pas de bons dossiers ou des causes bien interprétées. Les causes qui sont bien présentées n'attirent pas toujours l'attention du public.
Mme Laforest : Je ne vais pas répondre à la question directement, car je n'ai pas un organisme ou un contact avec mes groupes populaires. Cependant, je vous parlerai de l'histoire de l'infrastructure au Canada et j'établirai une comparaison avec le Québec.
Il est utile de comprendre comment les organismes au Canada ont traditionnellement interagi les uns avec les autres. L'histoire du Canada anglais, à part pour le Québec, démontre que l'infrastructure est établie de façon hiérarchique, avec un organisme national et des sections locales dans les provinces. Il y a très peu d'interaction entre les différents domaines, sauf exception de ce qui se passe au niveau fédéral car les organismes nationaux gravitent autour d'Ottawa. Les organismes nationaux participent aux initiatives dont a parlé Mme Patten.
Dans certains cas, et surtout dans les villes, il n'y a pas beaucoup de chevauchement, ce qui signifie que lorsque les organismes font face à une pression pour maintenir leurs liens avec la base et font des représentations aux paliers provincial et fédéral et à d'autres niveaux, et qu'ils se tournent vers la base, ils n'ont plus de connexion avec d'autres gens. Cette situation est particulièrement difficile pour les petits organismes qui n'ont pas les ressources pour gérer les deux.
La situation est différente au Québec car la structure des organismes n'est pas en vase clos, ce qui signifie qu'il y a beaucoup de chevauchement. Les gens travaillent sur des questions en table ronde et ces tables rondes se constituent selon les divisions géographiques. Si un organisme quitte un réseau, il demeure connecté aux autres, ce qui n'est pas le cas au Canada anglais, du moins historiquement.
Les observations de Mme Patten sur l'innovation sociale sont importantes. Si un petit organisme accomplit quelque chose de merveilleux et qu'il n'existe aucune possibilité d'en tirer des leçons ou partager ses connaissances, alors nous réinventons la roue et ne profitons pas des merveilleuses innovations qui se produisent.
J'aimerais, si vous me le permettez, faire une observation sur la santé des populations. Nous savons que le rôle du secteur dans ce domaine doit recevoir plus d'attention. Il existe un lien entre le développement économique, la santé des populations et le capital social. Des études aux États-Unis démontrent que c'est en investissant dans le capital social que l'on a le plus grand effet sur la santé de la population — pas simplement par le biais du développement économique, comme on l'a cru traditionnellement. Il est important de garder cela à l'esprit et de penser aux tendances auxquelles nous seront confrontés en ce qui a trait au capital social.
Nous avons parlé de viabilité et de problèmes de capacité dans le secteur, mais nous n'avons pas parlé de la fragilité et de la vulnérabilité du bénévolat et des niveaux d'engagement. Les recherches indiquent que la majorité des comportements contributifs et des dons de bienfaisance est assumée par une petite partie de la population, en général des personnes âgées qui ont une éthique ou une vision spécifique de la façon dont ils contribuent à la collectivité. Le vieillissement de cette population aura un impact énorme car la prochaine génération s'engage de façon différente. Nous allons perdre cette éthique — une partie importante de notre tissu social. Si nous voulons considérer la santé de la population sur le long terme, nous devons poser des questions sur la façon de maintenir le tissu social et de nous adapter à ces tendances démographiques afin d'être prêts.
Le sénateur Munson : Monsieur Northcott, vous avez parlé de récession et de pénurie de nourriture dans le monde. J'aimerais que vous nous donniez plus de détails et que vous nous parliez des effets. Récemment à Ottawa, les épiceries Loeb ont dû livrer du pain à la banque alimentaire car la banque alimentaire faisait face à une pénurie.
Croyez-vous qu'il existe une attitude systémique de la part des gouvernements selon laquelle ils planifient délibérément leurs propres budgets de financement derrière des portes closes dans l'espoir que les organismes de bienfaisance viendront combler l'écart? Ont-ils leurs propres attentes et ne s'en préoccupent pas car tout cela est planifié derrière des portes closes?
Ma prochaine question s'adresse à Mme Patten et Mme Laforest. Comment fonctionne une approche fondée sur les actifs?
M. Northcott : Ce sont d'excellentes questions. Les banques alimentaires ont vu le jour au moment de la première récession, au début des années 80. La première banque contemporaine a ouvert à Edmonton en Alberta; d'autres succursales ont été ensuite ouvertes partout au pays.
La deuxième récession est survenue au début des années 1990 et la banque a redoublé d'activité. C'est alors que les mentalités vis-à-vis de la pauvreté ont changé au pays et que les gens se sont mis à accepter les banques alimentaires. Sur le plan des idées, c'est ce qui a fait le plus de tort au pays.
Aujourd'hui, nous sommes sur la voie d'une autre récession. Le changement pour les années 1990 c'est que les programmes de bien-être social contre-cycliques ont été supprimés du cycle. Quand l'économie s'est empirée, ces programmes étaient sensés venir en aide aux gens. La seule réduction de la pauvreté dans les 20 dernières années est survenue dans la catégorie des personnes âgées. Tout le reste a été confié aux lois du marché, pour ainsi dire.
Les banques alimentaires comme nous redoutent beaucoup la récession qui s'annonce. Nous dépendons de la bonne volonté des citoyens ainsi que des excédents des réseaux de détail et de grande distribution ainsi que des fabricants. Maintenant que l'opinion publique a changé, nous avons peur de ne pas pouvoir combler les lacunes. Au Canada anglais, il y a un transfert entre la réaction de bienfaisance et la réaction de justice. Les gens veulent des aliments pour des raisons de justice, pas de bienfaisance, et donc les gens du secteur des ONG se regardent de travers et se battent entre eux.
C'est la même médaille : justice et bienfaisance doivent être une seule et même chose. La conséquence de certains propos de la récession doit être une compréhension profonde d'une meilleure définition de bienfaisance au Canada anglais et une meilleure définition de la justice.
Le jugement dans l'affaire Gosselin au Québec a mis à l'épreuve ce que l'on entend par « aide sociale adéquate ». Il a fallu de nombreuses années avant que l'affaire se rende jusqu'en Cour suprême. Celle-ci a statué que l'expression est de nature politique et doit donc être définie par des politiques.
Le chemin de la justice est long et coûteux et passe par les tribunaux. Le Programme de contestation judiciaire existe toujours mais n'est pas financé. Beaucoup de dominos tombent quand on attend une réaction de justice. Elle doit aller de pair avec la réaction de bienfaisance.
Pour que nous surmontions la prochaine récession, il faut que les deux structures soient fortes. Il nous faut une bonne intervention axée sur la justice. Le fondement du travail de Paolo Friere, sur lequel j'ai jeté les bases de Winnipeg Harvest, n'a jamais été vraiment la pauvreté. Ça toujours été le pouvoir, et la possibilité pour les gagne-petit de se faire entendre.
Le secteur des ONG ne sera jamais assez puissant pour être sur un pied d'égalité avec le gouvernement. Nous n'avons ni l'argent, ni les ressources, ni le temps. Souvent, nous ignorons où se situent les points de bascule de ceux qui prennent les décisions en matière de politique sociale. Quand arrive le 1er mars, nous savons que les gouvernements fédéral et provinciaux auront souvent des fonds excédentaires et doivent les verser rapidement dans la communauté — ou le contraire : ils mettront fin à des programmes.
Le point de contrôle, malheureusement, c'est toujours les auteurs du budget. Est-il assez cynique de dire qu'ils le font délibérément en secret? C'est une question puissante, qu'il va me falloir digérer. Dans mes pires jours, je pense que oui, c'est tout à fait le cas. Dans mes bons jours, quand je vois de bons programmes annoncés, je me dis que ça ne se peut pas. La vérité se situe quelque part entre les deux. J'aimerais avoir une meilleure réponse à cette excellente question.
Les pénuries d'aliment sont une très grande source d'inquiétude. Nous sommes dans une économie mondiale jusqu'au cou. Demandez à n'importe quel producteur de bœuf ou de porc du Manitoba, posez la question à n'importe quel producteur de céréales dans l'Ouest ou à quiconque qui produit quelque chose qu'il essaie de vendre sur le marché international, que ce soit la Chine, le Japon ou les États-Unis. Nous craignons que les décisions mondiales que nous avons prises aient des conséquences majeures sur notre capacité de nourrir notre propre population au Canada. Je ne sais pas comment les banques alimentaires continueront. Je crains que l'on observe des déficits nutritionnels chez les Canadiens à faible revenu.
Le président : C'était une réponse très percutante.
Mme Laforest : Il y a une façon traditionnelle d'envisager l'interaction entre le secteur et le gouvernement. Certains croient que si le gouvernement se retire, le secteur bénévole viendra combler le vide. Il est très dangereux de le voir de cette façon. Certaines personnes ne voient aussi qu'un modèle concurrentiel, où le gouvernement, le secteur bénévole et le secteur privé se font concurrence pour fournir des services. Nous devons envisager cette relation par la lunette du partenariat, et reconnaître que le gouvernement a un rôle très important à jouer en appuyant les organismes sur le terrain.
Les organismes bénévoles font du travail unique que le gouvernement ne peut pas faire lui-même. Ils font du travail individualisé, comme l'a dit M. Northcott. Ils ont la capacité de travailler sur une base individuelle, pour aider les gens à acquérir des compétences parentales, par exemple, et les aider d'une façon que le gouvernement ne peut pas imiter. Si le gouvernement accepte ce rôle et les aident financièrement, tout en reconnaissant et en respectant les divers rôles et fonctions du secteur bénévole, alors ensemble nous pouvons obtenir de meilleurs résultats.
Pour répondre à votre question sur l'approche fondée sur les actifs, elle part du principe que les gens s'en tirent généralement mieux lorsqu'ils possèdent de la propriété, et cela leur donne plus de stabilité pour traverser les périodes d'insécurité. La base d'actifs est aussi habilitante. L'idée est qu'en donnant aux gens l'accès à la propriété, ils deviennent habilités. Ils ont le sentiment de posséder quelque chose, et cela les aide à sortir de la pauvreté plus rapidement.
Mme Patten : Je ne crois pas qu'il soit une bonne idée d'établir des budgets de programmes dans l'espoir que des philanthropes ou des organismes de bienfaisance viendront combler le vide. Je le dis car je suis sans doute un peu plus désabusée que mes collègues autour de cette table. Ce n'est pas toujours le cas. J'espère que vous le comprenez, et je le dis avec respect. Toutefois, dans bien des cas, on ne comprend tout simplement pas ce qui est possible ou ce qui pourrait l'être s'il y avait un véritable dialogue.
Ce n'est pas comme si les gens disaient : « Si on ne le fait pas, quelqu'un d'autre le fera pour nous. » Je ne crois pas qu'ils comprennent ce qui est véritablement possible et ce qui est réel. Je ne crois pas que ce soit délibéré.
J'aimerais parler un peu différemment des actifs, dans le sens où j'employais ce mot dans mes observations sur Winnipeg et de Hamilton, et je suis absolument d'accord avec la description de Mme Laforest. Une approche fondée sur les actifs touche les attitudes et les croyances. Nous croyons que chaque personne dans chaque collectivité partout possède une force, un atout, un don, un sentiment d'identité et d'espoir qu'elle peut ajouter à la conversation. Beaucoup de ce que mes collègues ont dit — et je ne l'ai pas fait — à propos de la Table ronde de Hamilton sur la réduction de la pauvreté, quand j'ai parlé de qui siège autour de cette table, les gens qui vivent dans la pauvreté siègent autour de cette table à Hamilton. Ils contribuent des idées, leur histoire, des solutions et des atouts à cette table. Leurs atouts sont les connaissances et leur expérience.
Nous ne voulons pas être optimistes à outrance et dire que ces problèmes n'existent pas. Ils existent, c'est certain, mais nous disons que l'on trouve les solutions dans la collectivité. Nous appuyer sur les actifs des gens signifie pour nous miser sur les forces que les gens et les individus contribuent et l'actif que contribue la collectivité. Voilà ce que nous voulons dire lorsque nous parlons d'actifs.
Le sénateur Munson : Cela me rappelle une histoire d'ici à Ottawa. Mon fils, qui travaille dans le marché Byward, s'est lié d'amitié avec un monsieur qui a manqué de chance. Il est poète, et il possède un atout. Il s'appelle « Crazy Dave ». Il a écrit de très beaux poèmes qui intéressent les gens du marché. Quelqu'un a récemment volé certains de ses poèmes. C'est un atout tangible qui pourrait le libérer d'une certaine façon et encourager de meilleures attitudes à l'intérieur de notre propre collectivité.
[Français]
M. Lacasse : Effectivement, je ne crois pas nécessairement que le milieu communautaire soit en mesure de bien absorber le choc advenant le cas d'une crise majeure.
Ceci dit, je crois que dès maintenant, il est de notre ressort, autant que possible de se donner les leviers nécessaires pour se faire entendre, entre autres, via une meilleure circulation de l'information au Québec. Par exemple, avant le dépôt du budget, il y a toujours des consultations prébudgétaires qui permettent à des organismes comme nous d'aller à ces comités et de donner la voix aux exclus.
Il va de soi que l'on ne nous écoute pas toujours, malheureusement, mais il est important de toujours aller de l'avant dans cette lutte aux préjugés. Je crois qu'il y a beaucoup de préjugés véhiculés par différentes politiques mises en place et non pas nécessairement par mauvaise intention, mais par méconnaissance de la réalité de ces gens. Voilà ce que je voulais rajouter.
Le sénateur Pépin : J'aimerais quelques précisions de la part de M. Northcott.
On sait que les besoins augmentent actuellement dans les banques alimentaires, surtout lorsqu'on regarde le nombre de personnes que vous aidez et la majorité sont des enfants. C'est encore plus préoccupant et touchant. La société canadienne des banques alimentaires nous a dit qu'elle voulait cesser leur service.
Se disent-ils qu'il n'y aura plus de pauvreté? Ne pensez-vous pas qu'il y a une contradiction entre la demande et la société qui veut arrêter le service. Je me suis demandé s'il voulait dire qu'il n'y aurait plus de pauvreté. Il y a un problème. Comment expliquez-vous cette contradiction?
[Traduction]
M. Northcott : C'est une question très percutante. Le fait qu'il y ait des gens qui ont faim au Canada est une contradiction très difficile. En soi, c'est très inquiétant.
Il est difficile d'en parler sans être tenté de jeter la pierre. Je trouve cela très difficile. Nous savons que plusieurs banques alimentaires continuent à exister et ont perdu l'espoir d'un jour cesser leurs activités. Winnipeg Harvest a beaucoup appris de Moisson Montréal et d'autres moissons partout au Québec lorsque nous avons fondé notre organisme. Nous avons appris à quel point les raisons qui mènent les gens à la pauvreté et à la faim sont complexes et difficiles. Certains arguments ont été très complexes pour plusieurs générations de Premières nations; certaines questions législatives, comme des lois mal écrites ou un mauvais respect des traités, et cetera. C'est une intervention à long terme.
La leçon que nous avons tirée de la question de la banque alimentaire est que nous allons devoir rester en activité plus longtemps que nous l'avions cru initialement. Si la pauvreté était due à la récession et au marché, au début nous pensions que la nouvelle économie améliorerait les choses, mais ce ne fut pas le cas. Cela nous a surpris et choqués.
Winnipeg Harvest veut réduire de moitié le recours à la banque alimentaire d'ici 10 ans, pour s'aligner sur l'engagement du Canada envers les objectifs du Millénaire pour le développement de l'ONU, l'engagement de réduire de moitié le nombre d'affamés dans le monde. Nous considérions que l'on devait le faire au Manitoba et d'avoir au moins un objectif honorable. Mais nous ne croyons plus maintenant être en mesure d'éliminer les banques alimentaires, ce qui est difficile pour nous. Nos espoirs reposaient sur certains concepts auxquels nous croyons, comme la découverte de nouvelles relations, comme Mme Laforest l'a dit de façon si éloquente, et comme le fait M. Lacasse sur le terrain. La discussion sur les ONG doit nous enseigner à apprendre ensemble.
Au cours des 20 ans qui ont suivi la création des banques alimentaires, nous nous attendions à ce que le gouvernement et l'économie reprennent leur place et que tout aille bien, mais cela ne s'est pas produit. Nous avons des banques alimentaires maintenant. Les banques alimentaires et les soupes populaires sont visitées chaque mois par plus de 700 000 Canadiens.
Au cours des 20 prochaines années, nous devons agir différemment qu'au cours des 20 précédentes. Le travail de Mme Laforest à l'Université Queen's, celui de M. Lacasse au Québec, et ce que fait Mme Patten avec le groupe philanthropique est de miser sur les nouvelles relations avec les gens qui sont pauvres. C'est essentiel pour nous maintenant. Au cours des 20 premières années, nous ne donnions pas beaucoup la parole aux gens pauvres.
J'ai honte de voir qu'il existe toujours des banques alimentaires. Je ne crois pas que nous soyons en mesure de les éliminer rapidement, et cela prendra 10 ans pour réduire le recours à ces banques ne serait-ce qu'un peu.
[Français]
Le sénateur Pépin : Il n'y a rien de particulier que le gouvernement fédéral pourrait faire pour aider.
[Traduction]
M. Northcott : C'est une autre question difficile.
Le président : Sommes-nous de retour sur la question du revenu annuel garanti?
M. Northcott : Nous avons parlé d'un revenu annuel garanti. J'ai cité l'exemple plus tôt d'un homme qui vivait dans la rue à Winnipeg et qui a fait du bénévolat pour nous à la banque alimentaire pendant plusieurs années. Lorsqu'il a eu 65 ans, sa vie a changé. Il est devenu un citoyen couvert par le système de pensions du Canada. Le Régime de pensions du Canada traite les gens avec respect et comme citoyens, et avec assez d'argent.
Nous devrions nous inspirer de cet exemple pour traiter tous les Canadiens de cette façon. Le gouvernement fédéral devrait élargir ce système et dire : nous allons considérer tous les Canadiens de la même façon. La tâche de M. Lacasse serait beaucoup plus légère si nous n'avions pas à nous préoccuper des besoins de base en termes de nourriture et de logement. Puis nous pouvons renforcer les capacités et l'esprit et la confiance, et ainsi de suite, et les groupes confessionnels et les ONG pourraient venir à la table avec du travail honorable et plus de profondeur.
Ce sont des questions percutantes.
Le sénateur Keon : Je ne voulais pas laisser passer l'occasion, car je pose la question chaque fois que le sujet du revenu annuel garanti est soulevé dans un de nos comités. Chaque fois que des gens de la finance sont aux alentours, ils rejettent cette idée. Pourquoi croyez-vous que c'est possible?
M. Northcott : Je crois que c'est possible car les 20 dernières années passées à rejeter l'idée n'ont pas donné de résultats. Aucun autre modèle n'est proposé. Ce serait une grave erreur de laisser les gens des finances rejeter cette idée. La raison pour laquelle ils la rejettent est qu'ils perdent le contrôle des politiques.
Par exemple, au Manitoba nous accompagnons les familles aux commissions d'appel pour interjeter appel des décisions portant sur l'aide sociale, et différentes questions peuvent être soulevées. La définition de maladie mentale pour les personnes à faible revenu est une question épineuse. Quand on reçoit un diagnostic de maladie mentale et que c'est un docteur qui le dit, on reçoit un peu plus d'argent de l'aide sociale. Cependant, les responsables du programme diront souvent : « Nous ne le croyons pas. Nous n'acceptons pas l'interprétation de ce médecin. Nous croyons qu'ils peuvent encore travailler. » Cela arrive. Puis nous interjetons appel, des fois nous gagnons, des fois nous perdons.
Le problème avec le système d'appel est qu'il ne crée pas de précédents. Dans le système de justice pénale, quand on a gain de cause en appel, la loi est modifiée. Au Manitoba, quand on a gain de cause en appel pour l'aide sociale, cela ne change rien. La fois suivante, il est possible que ce soit la même question, la même lutte, la même commission d'appel, et vous pouvez gagner ou non. La structure n'est pas bien conçue pour que les gens à faible revenu puissent ajouter leur voix de façon active à l'élaboration des politiques.
Si l'on créait un système de revenu annuel garanti, il modifierait l'engagement des personnes à faible revenu envers le gouvernement. Les bailleurs de fond auraient sans doute alors beaucoup de difficultés à gérer tout cela.
Le président : Je ne veux pas qu'on discute trop longtemps du revenu annuel garanti. Nous aurons d'autres occasions d'en parler. C'est un sujet très vaste.
[Français]
Le sénateur Pépin : Votre organisme représente un organisme religieux, mais vous avez formé une coalition au Québec pour demander au gouvernement une loi contre la pauvreté et l'exclusion.
M. Lacasse : Effectivement, au début du processus qui s'appelait le projet de loi pour l'élimination de la pauvreté, suite à la mise en place de cette idée, il y a eu tout de suite la mise en place d'un collectif pour un projet de loi pour l'élimination de la pauvreté qui, avec l'adoption de la loi provinciale en 2002, est devenu un collectif d'un Québec sans pauvreté qui tente de s'assurer de l'application concrète de cette loi.
Le sénateur Pépin : Voyez-vous des progrès dans l'application?
M. Lacasse : Non, malheureusement, c'est une loi qui n'a pas tout son mordant et tous les leviers nécessaires.
Le sénateur Pépin : Quelles sont les difficultés qui empêchent son application?
M. Lacasse : Il y a un manque de volonté politique de s'assurer concrètement que les gens puissent sortir de la pauvreté.
Un des exemples concrets, depuis trois ans, le gouvernement n'indexe que la moitié des prestations d'aide sociale pour les personnes qui sont aptes à l'emploi. Ce qui fait que leur prestation ne suit pas nécessairement le coût de la vie, l'inflation. On voit poindre, avec la crise économique, un danger possible. L'hydroélectricité a augmenté de trois p. 100, le transport en commun de deux p. 100 ans. La pleine indexation reste un droit.
Il y a quand même des bons coups à cette loi. Il y a un comité consultatif qui vise à jeter un regard sur toutes les tarifications gouvernementales en place et la particularité de ce comité, c'est que des personnes du milieu de la pauvreté y siègent.
On a réussi à ce qu'il y ait toujours consultation auprès des personnes en situation de pauvreté. C'est un gain important. Le gouvernement a tardé la sortie du plan d'action. La loi a été adoptée en 2002. Cela a pris presque deux ans avant d'avoir le plan d'action qui ne répond pas nécessairement aux besoins fondamentaux des gens. Il n'est pas nécessairement à l'écoute des préoccupations de base.
Le sénateur Pépin : Votre comité devra donc faire d'autres représentations.
M. Lacasse : Nous sommes à mettre en place une campagne visant trois recommandations. Il faut hausser le salaire minimum au-dessus du seuil de faible revenu de Statistique Canada. Il faut également assurer une meilleure protection publique et voir la pauvreté d'une façon globale, donc s'assurer de l'accessibilité aux soins de santé et à l'éducation. Enfin, le dernier élément qui rejoint la question du revenu minimum est de s'assurer que les gens aient au moins autour de 13 000 $ de revenus par année, ce qui est l'indice de palier de la consommation pour sortir de cette pauvreté. Il faut se rappeler que ce n'est pas évident d'arriver à faire face à ses obligations avec 6 000 $ par année.
[Traduction]
Le sénateur Trenholme Counsell : Cet échange a été très enrichissant et a répondu à la plupart de mes questions. C'est l'inconvénient d'être le dernier intervenant, mais il y a aussi des avantages.
J'aimerais vous poser une question sur deux sujets. Comment les gouvernements à tous les niveaux et la société peuvent-ils mieux valoriser le secteur bénévole? Au Nouveau-Brunswick, il y a à peu près un an, nous avons effectué une étude d'un an sur le secteur. Cette étude a été très utile. Elle a été effectuée par Mme Claudette Bradshaw. Il en est ressorti tout d'abord que le secteur bénévole a besoin de respect et de valorisation, mais aussi de financement stable et continu, d'un plan quinquennal. Plusieurs organismes, les hôpitaux par exemple, aimeraient savoir sur quel montant ils pourront compter dans cinq ans. C'était la demande du secteur bénévole.
J'aimerais que vous me disiez ce que vous pensez de cette étude du Nouveau-Brunswick et si elle s'applique à l'échelle nationale.
Deuxièmement, M. Northcott, vous dites qu'au cours des 10 à 20 prochaines années, nous allons devoir nous concentrer sur de nouvelles relations avec les pauvres, la participation dans la collectivité. Je crois que si l'on veut penser de cette façon, la solution est l'éducation à tous les niveaux, débutant à un très jeune âge. Nous avons beaucoup parlé de cela.
Je cite l'exemple de Vanier dans la province du Québec, où 43 p. 100 de la population n'a pas de formation pratique. C'est une statistique que nous avons devant nous aujourd'hui. Nous savons que 10 à 20 p. 100 de ces gens sont allés à l'école avec des troubles d'apprentissage. La moitié du groupe n'avait pas l'ombre d'une chance à l'école, et n'a pas eu plus de chance dans la vie car elle n'en avait pas eu la possibilité à l'enfance. Puis un autre 20 p. 100 a échoué à l'école.
Cela m'a fait penser à ma propre école secondaire. Même aujourd'hui, quelques 40 p. 100 des élèves ne vont pas plus loin que leur diplôme secondaire. Cela ne leur donne pas beaucoup d'espoir pour l'avenir.
L'idée d'un revenu minimum garanti, à mon avis, est une mesure provisoire, puisque les gens sont encore pauvres. Ils ne réussissent pas à joindre les deux bouts. Leur situation deviendra encore plus difficile, avec les hausses de prix du pétrole et de l'essence, et cetera.
J'aimerais entendre vos commentaires sur cette approche à plus long terme sur 10 ou 20 ans et, en particulier, le rôle de l'éducation.
J'aimerais aussi demander si vous mettez assez l'accent sur l'éducation dans vos divers organismes. J'ai eu de l'expérience pratique avec des groupes de ce genre au Nouveau-Brunswick. Il est parfois impossible d'y arriver pour diverses raisons structurelles. Cependant, j'aimerais savoir si Winnipeg Harvest, par exemple, donne de l'instruction sur le magasinage, la cuisine et la planification d'un budget. Dans quelle mesure est-ce que les organismes que vous connaissez essaient vraiment non seulement de pallier à un besoin mais aussi d'accroître la capacité des clients à améliorer leurs circonstances?
[Français]
M. Lacasse : L'éducation joue un rôle important dans notre organisation; on dit d'ailleurs que nous sommes un organisme d'éducation populaire et autonome. Pour arriver à la transformation sociale recherchée, tout le processus qui nous a menés à l'adoption de la loi 112 pour éliminer la pauvreté est une occasion d'apprentissages divers qui peuvent, pour la personne individuelle, être une influence importante, mais qui peuvent également être un apprentissage collectif, à savoir comment vivre et avancer ensemble.
Nous sommes également à réfléchir à la question préoccupante de la reconnaissance de tout le travail. Pourquoi le travail et l'éducation vont-ils ensemble? Quand on va au bout de l'éducation scolaire ou institutionnelle, on a effectivement plus de chances sur le marché du travail, mais à partir du moment ou chacun et chacune ont une expertise, il y a moyen d'aller chercher une reconnaissance de ce qu'ils font.
Nous sommes aussi en train de développer un autre concept par rapport à l'éducation : « l'école de citoyenneté » qui propose divers ateliers ou divers éléments qui en bout de ligne apporteront des connaissances concrètes.
Par exemple, nous offrons un atelier d'histoire sur la civilisation humaine qui apporte des connaissances générales. Mais il y a également des ateliers de cuisine collective où des apprentissages sont transmis sur la durée des aliments. L'éducation dans son sens large joue un rôle important.
Il faut valoriser autant que possible ces initiatives. Cela ne se passe pas nécessairement sur les bancs d'école. L'école de la vie est importante et on apprend beaucoup de par les implications qui sont les nôtres.
[Traduction]
Mme Laforest : Vous avez demandé ce que nous pouvons faire pour mieux appuyer le secteur. Il y a des choses concrètes qui peuvent être faites.
Vous avez soulevé la question du respect et de la reconnaissance des divers rôles joués par le secteur. Il s'agit d'intégrer cela dans notre discours politique afin de reconnaître les multiples aspects et contributions du secteur; et ne pas se pencher seulement sur la prestation de services.
De plus, on peut prendre des mesures concrètes concernant le financement, en adoptant, par exemple, un financement plus stable sur trois ans. Cela se fait déjà au Royaume-Uni, où le financement sur trois ans est la règle plutôt que l'exception. Le gouvernement du Québec a aussi adopté ce système.
Il est important aussi de commencer à soutenir l'infrastructure et de trouver un moyen de prévoir des ressources pour appuyer les activités de base des organismes. Ces activités permettent aux membres d'être représentés et de s'exprimer, et cetera. Le Québec a son Secrétariat à l'action communautaire autonome et aux initiatives sociales. Il prévoit des fonds pour ces activités de base. Les organismes qui veulent faire des activités de promotion et de défense des droits ont accès à ces ressources par l'intermédiaire de cet autre système.
On pourrait aussi aider les petits organismes, qui ont le plus de difficulté à respecter les exigences relatives aux déclarations et à la documentation, à avoir accès à des ressources pour atteindre leurs objectifs. Comme je l'ai déjà dit, ils peuvent faire des choses extraordinaires avec très peu de ressources. Il serait utile de les aider, par l'intermédiaire soit des fondations communautaires, soit d'un organisme indépendant.
Enfin, il faudrait reconnaître l'importance de l'indépendance du secteur — sa capacité de s'affirmer devant le gouvernement — et de ne pas avoir un lien de dépendance pour le financement. Cela nous ramène à la première question sur le respect et la reconnaissance, et de la valorisation au sein du discours politique.
M. Northcott : Là encore, ce sont de très bonnes questions. On parle de 10 ou de 20 ans parce qu'il s'agit d'une génération. Il faut parler en termes de générations en ce qui concerne l'élimination de la pauvreté. Il faut aller au-delà du contrat d'un an et du plan triennal afin de régler les problèmes pour une génération. Nous savons qu'elle est déjà entamée et qu'il existe déjà plusieurs obstacles et difficultés qui posent déjà problème ou qui le seront. Les enfants victimes du FAF feront partie de cette génération, peu importe le travail de prévention en cours aujourd'hui.
Nous avons besoin de financement sur dix ou 20 ans. Nous devons examiner comment cette possibilité peut se réaliser entre le gouvernement et le secteur à but non lucratif. Ce panel a déjà mis de l'avant de très bonnes idées, et je suis très confiant par rapport à l'avenir.
L'éducation est essentielle — non seulement l'éducation, mais aussi le savoir. M. Lacasse a parlé du noyau de savoir, qui est un concept puissant. Je suis un grand amateur des idées de Paulo Freire. Il parle du savoir comme étant un des points du pouvoir, non seulement le savoir qui représente les connaissances académiques, mais aussi les connaissances de la vie et du travail communautaire.
Par exemple, grâce à nos connaissances, nous pouvons former les gens. Nous leur donnons une formation de conducteurs de chariots élévateurs à fourche, par exemple. Nous leur enseignons à lire. Il y a un groupe de guérisseurs naturels à qui nous enseignons des techniques de counseling pour les endeuillés. Les pauvres doivent composer avec énormément de deuil dans leur vie. Leurs problèmes sont énormes. La perte ou la mort d'un membre de la famille, la perte d'un emploi ou d'une communauté. Nous avons étudié le concept de guérisseur naturel, qui ne remplace pas les modèles traditionnels d'éducation, mais qui permet aux gens de participer et de se sentir valorisés.
À Winnnipeg, nous travaillons avec un groupe qui offre un programme d'été pour les enfants vivant dans les quartiers pauvres urbains. Quand ils quittent l'école au mois de juin, ils oublient, pendant l'été, ce qu'ils avaient appris auparavant, et ne peuvent souvent pas rattraper le terrain perdu en septembre. Donc, ils perdent du terrain pendant l'été et ne sont plus en mesure d'obtenir leur diplôme.
L'Université de Winnipeg a un programme d'été que certains groupes offrent à ces enfants vivant dans les quartiers pauvres urbains. Ils y acquièrent des connaissances, s'amusent et apprennent des normes de comportement. Cela a eu un succès énorme, car les jeunes qui retournent à l'école en septembre y réussissent. Le programme a mis sur un pied d'égalité beaucoup d'enfants autochtones pauvres vivant en milieu urbain.
J'adore les concepts du transfert des connaissances et du noyau du savoir, qui ont été inventés il y a quelque temps. Cela décrit bien le processus, mais n'enlève rien à l'importance pour les gens d'avoir un budget et de bien se nourrir. Nous travaillons avec les groupes communautaires œuvrant dans le domaine de la santé sous la houle du groupe de la sécurité alimentaire. Un groupe de nutritionnistes révisent nos listes d'aliments pour s'assurer qu'elles sont bonnes. Ils font l'estimation des coûts des aliments de substitution. Nous encourageons les gens de cuisiner avec des mijoteuses et nous leur donnons des lentilles. Nous leur en avions données auparavant, mais non les mijoteuses. Voilà donc un exemple qui illustre le fait que nous trouvons des solutions aux problèmes.
Un revenu annuel garanti est le fondement pour toutes ces choses, comme nous l'avons dit plus tôt. Il est difficile de se concentrer sur l'apprentissage si on ne sait pas s'il y aura assez à manger pour les enfants le lendemain. Le revenu annuel garanti est le fondement sécuritaire. Cela ne règle pas le problème de la pauvreté, mais c'est un bon début.
Le sénateur Munson : Vous avez commencé par parler de justice sociale et du genre de pays dans lequel nous voulons vivre. Nous devons offrir un financement à long terme pour bâtir un tel pays, car le financement à court terme vous occasionne des problèmes au niveau de l'administration et des rapports.
Aujourd'hui, les deux mots à la mode sont la « responsabilité » et la « transparence ». Le travail que vous faites est extrêmement important pour notre communauté et pour le tissu social, mais il est difficile de mesurer les résultats car le financement est à long terme. Par contre, si un tel financement, donc stable et à long terme, était accordé à des ONG et à des organisations religieuses, comment assureriez-vous la responsabilité et la transparence?
M. Northcott : Winnipeg Harvest est beaucoup plus redevable au public qu'au gouvernement. Nous survivons grâce à nos bénévoles, aux dons d'argent et de nourriture. La communauté nous avisera immédiatement si nous avons failli à la tâche. La transparence et la responsabilité sont essentielles dans notre travail. Le moindre de nos soucis, si vous voulez, c'est le gouvernement car nous ne recevons pas de fonds publics.
Lorsqu'on parle de voix au chapitre, il faut d'abord redéfinir le langage. Il faut redéfinir le mot « pauvreté » à la lumière de ce que dit M. Lacasse au sujet des questions de l'esprit, les questions de connaissances, comme l'a fait remarquer le sénateur Trenholme Counsell, des questions de gens et des questions financières et politiques. Il faut redéfinir les mots autrement pour que la responsabilité et la transparence puissent être plus présentes. Actuellement, nous sommes limités par des définitions étroites. Il y a des gens qualifiés sur ce panel qui pourraient nous aider à redéfinir ces mots pour qu'ils reflètent véritablement ce que nous voyons dans la communauté.
Certaines choses auxquelles Mme Patten a fait référence sont en train de se produire ou sont en bonne voie. Je suis optimiste. Je crois que si nous redéfinissons les choses de façon précise, nous pourrons plus facilement faire face aux questions de responsabilité et de transparence.
Mme Patten : En général, le secteur met l'accent sur la transparence et la responsabilité. En 1998, un panel multisectoriel dirigé par Ed Broadbent et d'autres personnes ont parlé de la responsabilité dans le secteur bénévole. Cela demeure une pierre angulaire pour bon nombre d'entre nous. Je vous encourage à étudier ce document car il donne une idée claire de l'engagement qu'a fait le secteur, y compris la philanthropie, envers la responsabilité et la transparence.
Les Fondations communautaires du Canada et d'autres organismes communautaires répondraient de la même façon que M. Northcott : notre responsabilité et notre transparence sont évidentes dans nos relations avec nos collectivités et nos donneurs, dans nos rapports annuels et ailleurs.
Je trouve intéressant que personne d'entre nous n'ait parlé de l'accord actuel sur la relation entre le gouvernement du Canada et le secteur sans but lucratif. Cet accord a été signé en 2001, je crois, et fait référence au respect, à la responsabilité et aux principes d'une relation. L'accord précise que la responsabilité va dans les deux sens et que non seulement le secteur doit rendre des comptes au gouvernement, mais que le contraire est vrai aussi. Cet accord est peu consulté, mais peut-être devrions-nous l'examiner à nouveau. Il était loin d'être parfait, ce n'était qu'un cadre de travail, mais je crois qu'un examen permettrait d'exploiter son potentiel.
J'étais une des personnes qui a participé à l'élaboration de cet accord et nous avons commis quelques erreurs. Nos collègues au Royaume-Uni, qui l'ont appelé un pacte, en ont mis un en œuvre entre le secteur à but non lucratif et le gouvernement britannique. C'était exécutoire pour tous les gouvernements, et non pas seulement le gouvernement de l'époque. Malheureusement, nous avons négligé de prévoir la même chose dans notre accord, et il a été relégué aux oubliettes au fur et à mesure que les différents gouvernements se succédaient.
Je crois que cet accord a du potentiel. Je crois qu'il abordait, du point de vue stratégique et non tactique, beaucoup des sujets dont nous avons discuté aujourd'hui. Je vous encourage à intégrer le travail fait par le groupe d'experts sur la responsabilité, dirigé par Ed Broadbent en 1998 et par certains d'entre nous du secteur bénévole, et le travail du secteur bénévole à vos réflexions sur l'accord et sur le financement du secteur. Ce n'est pas la peine de réinventer la roue.
Le président : S'il n'y a pas d'autre réponse, permettez-moi de poser une dernière question.
Vous avez fait référence plus tôt à l'approche verticale prônée par le gouvernement fédéral ou d'autres paliers de gouvernement, le fait qu'ils ne communiquent pas entre eux et qu'il n'y a pas assez de coordination. C'est tout un défi pour le gouvernement que d'adopter une approche horizontale.
Il y a une solution possible. Il y a quelques années, deux villes ont signé des ententes que j'appellerai des ententes de développement communautaire. Il y en a eu une à Vancouver, pour le secteur centre-ville est, et une à Winnipeg pour les Autochtones, en général. Il s'agissait d'une entente signée par les trois paliers de gouvernement — fédéral, provincial et municipal — et la communauté aussi et elle précisait les objectifs et les devoirs de chaque partie. Il me semble que cela a été utile.
Cela fonctionne en principe, mais qu'en est-il dans la pratique? À votre avis, est-ce que ce genre d'ententes est un bon modèle?
M. Northcott : C'est un grand bond en avant. Comme tout modèle, il n'est pas parfait, mais le concept sous-jacent et les progrès faits sont bons.
Il y a plusieurs années, les trois ordres de gouvernement ont signé une entente visant le développement de Winnipeg, et un des premiers résultats c'était Winnipeg Harvest. Il y a eu un peu de financement pour démarrer. Les fondations communautaires nous ont donné de précieux conseils qui s'appliquent toujours.
Je crois que vous avez raison. Voyons comment fonctionne ce modèle, analysons-le, et faisons fond là-dessus. Je crois que vous avez tout à fait raison.
Dans le secteur centre-ville est, les personnes qui s'occupent des programmes alimentaires me disent qu'ils sont satisfaits des progrès faits jusqu'à présent. Je crois que c'est un bon point de départ et que nous pourrons faire fond là-dessus.
Mme Patten : Je suis d'accord avec M. Northcott et j'ajouterais qu'il y a une nouvelle énergie à Vancouver, surtout dans le secteur centre-ville est. La fondation communautaire est un parmi de nombreux intervenants, y compris le gouvernement et d'autres partenaires.
Cela revient à ce que nous avons dit ce matin. Il s'agit de ne pas baisser les bras et de comprendre qu'il s'agit d'une initiative à long terme. Le problème ne sera pas résolu après trois ans.
Malheureusement, et je crois que c'est une réalité, il faut comprendre la nature progressive de cette situation. Nous ne résoudrons jamais tous les problèmes du secteur centre-ville est grâce à une seule solution ou un seul partenariat. Il faut y croire, il faut y accorder les ressources nécessaires et il faut s'inspirer des petites réussites, mais je crois que c'est un excellent modèle.
Mme Laforest : Selon le milieu universitaire, l'élaboration des politiques est de plus en plus compliquée. Nous avons besoin d'intervenants de tous les niveaux de gouvernement et de divers domaines d'expertise. Comme l'a dit Mme Patten, cela prendra du temps. C'est un processus compliqué, mais c'est comme ça qu'on innove en société, en prenant ce genre de risques.
Le président : Je crois que vous êtes bien placé pour savoir que ces processus prennent du temps effectivement. Vous en avez vécus beaucoup.
Votre contribution à nos délibérations a été précieuse et j'apprécie beaucoup, tout comme mes collègues du comité. La séance est maintenant levée.
La séance est levée.