Délibérations du Sous-comité sur les villes
Fascicule 2 - Témoignages du 15 mai 2008
OTTAWA, le jeudi 15 mai 2008
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 10 h 45 pour étudier les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé, ainsi qu'à examiner, pour en faire rapport, les questions d'actualité des grandes villes canadiennes.
Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je souhaite la bienvenue à tous au sous-comité sur les grandes villes. Aujourd'hui, nous examinerons la réduction de la pauvreté : approche axée sur la dimension locale.
[Traduction]
Notre sous-comité poursuit la tradition du Sénat qui a déjà fait des travaux sur la pauvreté. Je songe notamment au rapport publié en 1971 par le sénateur David Croll, ainsi qu'au rapport publié en 1977 par le comité présidé par le sénateur Cohen, rapport qui était intitulé La pauvreté au Canada : le point critique. En même temps, notre étude est complémentaire de celle que mène actuellement le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts, présidé par le sénateur Fairbairn. À la demande du sénateur Segal, ce comité se penche sur le problème de la pauvreté rurale.
Nous poursuivons aujourd'hui notre étude en faisant l'audition de trois témoins, et l'on a demandé à chacun d'eux de nous faire un exposé de cinq à sept minutes.
Paul Born est le directeur et co-fondateur de Tamarack, qui est un institut pour l'engagement communautaire. Le programme Vibrant Communities est le programme vedette de Tamarack. Il est actif dans 15 villes et a jusqu'à maintenant permis d'atténuer la pauvreté pour plus de 35 000 personnes au Canada. Lors d'une audience précédente, le comité a entendu l'un des participants de Vibrant Communities à Saint John. M. Born a une longue expérience pour ce qui est d'aider les organismes et les collectivités à élaborer des idées nouvelles et durables en vue de motiver les gens à agir sur la base d'accords de collaboration.
Je crois que tout le monde autour de la table connaît Judith Maxwell. Elle est présidente fondatrice des Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques. Elle possède une vaste expérience dans les centres privés et publics d'étude et de recherche ainsi qu'à titre d'experte sur la complémentarité des choix économiques et sociaux et sur leur application au contexte canadien.
Mme Maxwell est écrivain et elle a été membre du comité de rédaction du Financial Times du Canada et directrice des études de politique générale de l'Institut C.D. Howe. En 1985, elle a été nommée présidente du Conseil économique du Canada, poste qu'elle a occupé jusqu'en 1992. Elle est également ancienne directrice associée et agrégée de la School of Policy Studies de l'Université Queen's.
Sherri Torjman est vice-présidente de l'Institut Caledon. Elle a publié des études sur les programmes de soutien du revenu, la fiscalité, les dépenses sociales, l'interaction entre l'aide sociale et les régimes fiscaux, les services sociaux, les rentes d'invalidité et les programmes de soutien aux invalides, la dimension sociale du développement durable, la réduction de la pauvreté axée sur la dimension communautaire, la formation personnalisée et les partenariats. Cela fait beaucoup.
Caledon est, avec Tamarack, un partenaire du programme Vibrant Communities. Mme Torjman est l'auteur d'un article intitulé « Shared Space : The Communities Agenda », qui a été publié par l'Institut Caledon en septembre 2006, et en 2007, elle a publié un livre portant le même titre. Il s'agit d'une version plus approfondie de l'article du même auteur.
Judith Maxwell, ancienne présidente et agrégée principale, de Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques : C'est un plaisir de participer à vos audiences aujourd'hui. C'est également un plaisir de faire partie d'un groupe de témoins comprenant Mme Torjman et M. Born, qui ont fait du travail de pionnier dans le domaine de la réduction de la pauvreté et des approches axées sur la dimension locale, questions qui sont à l'étude aujourd'hui. Mon intervention pourra servir de toile de fond pour aider à comprendre pourquoi les approches axées sur la dimension locale seront un élément important dans l'éventail des politiques disponibles pour s'attaquer aux aspects difficiles et profondément enracinés de la pauvreté dans notre pays.
Au Canada, nous avons traditionnellement tenté de lutter contre la pauvreté en appliquant deux méthodes. La première est le filet de sécurité sociale. Nous avons une abondante panoplie de politiques aux niveaux fédéral et provincial conçues pour venir en aide à tous les citoyens. Ces programmes ne visent pas exclusivement les pauvres. L'idée est qu'ils créent des occasions pour tous les Canadiens de participer efficacement à la société et offrent un soutien de base au niveau du revenu ou de l'épanouissement personnel. Je songe aux programmes d'éducation publique, de soins de santé et de sécurité du revenu comme le Régime de pensions du Canada ou la Prestation nationale pour enfants, l'un venant en aide aux personnes âgées et l'autre aux enfants.
Le filet de sécurité sociale au Canada demeure un outil efficace et très important pour lutter contre la pauvreté, mais il est incomplet et ne suffit pas. Il y a des trous dans le filet de sécurité sociale dont nous pourrons discuter plus tard, si vous le souhaitez. Ces trous sont créés par le manque d'intégration des programmes et par le ciblage trop pointu, de sorte qu'il y a des gens qui ne sont pas admissibles aux programmes auxquels on s'attendrait pourtant qu'ils soient admissibles, notamment l'assurance-emploi.
Les autres grands outils que nous avons à notre disposition pour réduire la pauvreté sont des approches régionales. Depuis plusieurs décennies, quand on songe à la géographie de la pauvreté, on a tendance à visualiser des provinces ou des régions plutôt que des villes ou des quartiers. Le grand changement qui s'opère maintenant consiste à tourner notre attention vers des espaces géographiques plus restreints. Nous faisons cela parce qu'au fil des années, des changements en profondeur sont survenus dans la nature et les causes profondes de la pauvreté.
Je vais vous expliquer pourquoi la dimension locale est importante. Je pense que la plupart des Canadiens croient que le problème de la grande pauvreté urbaine, le syndrome des villes ravagées, est exclusivement américain. Nous avons été tout à fait aveugles au phénomène de la très grande pauvreté qui s'est accumulée au Canada ces dernières décennies. Je suis sûre que vous avez vu des cartes montrant l'étendue des quartiers pauvres dans nos villes. Nous avons fini par nous rendre compte que nous avons des poches de pauvreté correspondant à certains codes postaux. Nous avons les grands leviers que sont les programmes publics d'éducation, de santé, de soutien du revenu et de politique sociale qui sont en vol de croisière à 30 000 pieds d'altitude, tandis qu'au sol, nous avons des poches de pauvreté très profondes. J'espère que nous aurons l'occasion d'en parler aujourd'hui.
Les gens vont s'installer dans ces quartiers pauvres surtout parce qu'ils sont à la recherche de logements abordables. Nous savons tous que c'est un élément important. À mesure que les gens s'entassent dans le quartier, les conditions sociales se dégradent. À leur arrivée, les gens n'ont pas grand-chose à apporter, dans bien des cas, parce qu'ils sont tellement pauvres, et à mesure que la pauvreté devient plus dense, les problèmes de sécurité personnelle font surface, de même que l'absence de loisirs. Les services de santé et d'éducation sont tellement surchargés qu'ils n'arrivent pas à donner aux gens du quartier le soutien de qualité dont ils ont besoin.
Autrefois, les groupes sociaux étaient plus mélangés au Canada. Beaucoup d'enfants de familles pauvres fréquentaient des écoles où il y avait aussi beaucoup d'élèves de classe moyenne. Cela peut être très avantageux pour le développement d'un enfant de fréquenter une école où il y a de bons services de loisirs, un enseignement de qualité et beaucoup de modèles de comportement valables. C'est aussi très avantageux pour eux de pouvoir contribuer à tout cela.
Quand la plupart des pauvres sont concentrés dans un seul quartier, les problèmes deviennent plus complexes. Ce matin, je vais utiliser l'exemple de Vanier, qui se trouve à seulement deux ou trois kilomètres de cette salle. Vanier est une communauté de 16 000 personnes dans une ville de moins d'un million d'habitants. Ottawa est une ville très prospère. Le dernier recensement nous place derrière Calgary et Oshawa pour le revenu médian et nous avons de loin le pourcentage le plus élevé de citoyens très instruits, en comparaison des autres villes canadiennes.
Pourtant, le tableau est très différent à Vanier. Les revenus sont très bas. Le taux de criminalité est quatre fois supérieur à celui de la ville d'Ottawa dans son ensemble. Quarante-huit pour cent des enfants vivent dans des familles pauvres. Dans le cadre du bénévolat que j'ai fait, j'ai constaté que la pauvreté de ces familles crée énormément de stress pour les deux écoles qui servent ce quartier. Les deux écoles se situent au 99e percentile, c'est-à-dire tout au bas de l'échelle, pour les tests standardisés de l'Ontario en lecture et en mathématiques de troisième année. Une très forte proportion des nouveaux élèves de première année sont des enfants qui ne sont pas prêts à apprendre et qui n'ont pas les aptitudes sociales leur permettant de s'adapter à une salle de classe ni le développement cognitif voulu pour être prêts à apprendre.
Cela devient un cercle vicieux. L'école n'a pas les ressources voulues pour répondre aux demandes, les enfants n'ont pas le bagage nécessaire pour réussir, et c'est ainsi que l'on se retrouve tout au bas de l'échelle des écoles de l'Ontario.
Nous en savons beaucoup sur la manière d'aider les enfants et nous pourrions consacrer beaucoup de ressources aux programmes d'éducation de la petite enfance et à ces écoles afin d'aider ces enfants à faire du rattrapage. Cependant, ce n'est là qu'une seule dimension du problème de Vanier. Le véritable défi, pour les politiques axées sur la dimension locale, c'est de s'attaquer à la cause profonde qui entraîne les gens dans la spirale de la pauvreté et les force à vivre dans une communauté qui n'offre aucun avantage aux enfants. Comment la famille fonctionne et comment le quartier fonctionne sont également des aspects importants de cette problématique. Mes collègues nous en diront davantage là-dessus.
La difficulté des politiques à dimension locale est qu'il n'existe aucune formule toute faite. Chaque quartier comme Vanier a ses propres atouts, ses propres besoins et sa propre capacité de changement. Ces jours-ci, nous constatons que les solutions proviennent moins des gouvernements et plus des organisations communautaires et de la société civile, dans l'ensemble de la collectivité, qui s'efforcent de faire progresser la communauté.
Les méthodes typiques des gouvernements pour s'attaquer à ces problèmes ne s'adaptent pas bien à une telle problématique. Les gouvernements doivent être davantage à l'écoute des besoins des gens qui habitent dans ces quartiers. Les gouvernements doivent travailler ensemble et adapter leurs programmes pour qu'ils cadrent bien et viennent renforcer ce que d'autres intervenants font, et nous devons abattre les cloisons entre les divers ministères gouvernementaux.
C'est un domaine de politique publique qui présente de grands défis, mais c'est également un domaine où nous pouvons faire une différence importante pour réduire la profondeur et l'étendue de la pauvreté dans notre pays.
Sherri Torjman, vice-présidente, Caledon Institute of Social Policy : Je vous remercie de m'avoir invitée à participer aux délibérations de votre comité. Paul Born et moi-même, l'Institut Tamarack et nos collègues des quatre coins du pays avons travaillé à des approches axées sur la dimension locale et c'est donc merveilleux d'avoir l'occasion de vous parler de certaines initiatives. Je tiens à préciser la notion d'intervention axée sur la dimension locale. À notre avis, cela englobe deux grands courants de travaux, l'un qui consiste à investir localement; cet investissement peut être fait par le gouvernement ou à la fois par le gouvernement, le secteur privé et le secteur bénévole. L'autre dimension d'une intervention axée sur la dimension locale, ce sont les citoyens qui se rassemblent et qui créent un espace dans lequel ils peuvent eux-mêmes prendre des décisions relativement à leur communauté. Il est important que ces deux dimensions soient abordées aujourd'hui.
Une autre hypothèse de base essentielle de nos travaux est que nous ne voyons pas les interventions axées sur la dimension locale comme une solution de rechange à l'intervention du secteur public ou du gouvernement. Cela ne peut pas remplacer des programmes importants comme l'assurance-emploi, la nouvelle Prestation fiscale pour le revenu gagné ou encore la Prestation fiscale pour enfants. Cette intervention sert plutôt de supplément et de complément essentiel aux programmes du secteur public. Parce qu'un problème comme la pauvreté est tellement complexe, il faut le plus de leviers et d'outils possible.
Ce sont des hypothèses qu'il est important de poser au départ parce que souvent, on voit arriver dans le portrait de nouvelles ressources, de nouveaux intervenants et de nouveaux acteurs qui viennent contribuer aux initiatives privilégiant la dimension locale, ce qui est fantastique. En même temps, nous ne voulons pas transmettre le message que c'est aux membres de la communauté qu'il incombe de tout faire, qu'ils peuvent et doivent s'occuper de tout, parce que ce serait très problématique.
Comment pouvons-nous travailler ensemble? Comment s'assurer que les programmes publics et les interventions mettant l'accent sur la dimension locale dirigés par les citoyens et les communautés convergent pour s'attaquer à ces problèmes très difficiles?
Je voudrais vous entretenir des interventions privilégiant la dimension locale de trois points de vue différents : le point de vue économique, le bien-être social et l'engagement des citoyens. Ensuite, je dirai brièvement ce que cela représente pour vous au gouvernement fédéral.
Du point de vue économique, il commence à se publier des travaux fort intéressants sur l'importance des quartiers, des villes et des communautés comme moteurs de l'économie. Nous comprenons que les économies nationales sont la somme des économies régionales et des villes. Ce qui est intéressant dans l'économie du savoir, en particulier, c'est que le talent et les compétences sont les principaux moteurs. Les travaux publiés montrent que pour attirer des talents dans une économie du savoir, il faut voir plus loin que le salaire et les avantages sociaux. Il faut tenir compte de la qualité de vie dans la communauté : un logement abordable, un environnement sain, la présence de facilités culturelles, de parcs et d'installations de loisirs. Tout cela fait partie d'un tout.
C'est un élément très important de notre réflexion, en ce sens que l'on s'imagine souvent que si tout va bien sur le plan économique, tout le reste suivra. On aura assez d'argent pour les dépenses sociales et tout le monde aura un emploi. On se rend maintenant compte que ce sont les composantes sociales qui servent de fondation aux économies en santé. Tout est intrinsèquement lié. L'un entraîne l'autre, de sorte qu'un environnement social sain est en fait un moteur de la santé économique également et témoigne très éloquemment de ces investissements.
Le deuxième élément est le bien-être social. Notre recherche et notre pratique montrent maintenant comment un quartier ou une collectivité influe sur le bien-être physique et mental. On commence maintenant à comprendre que la manière dont on conçoit les communautés et les installations disponibles sont d'importants facteurs atténuants ou aggravants qui entraînent les gens dans la pauvreté ou les en font sortir. Si nous pouvons identifier les trajectoires dans lesquelles les familles pauvres se sentent enfermées sans moyen d'en sortir, et si nous pouvons intervenir, nous pouvons aider les Canadiens. C'est au niveau local que nous faisons ces interventions influant sur les facteurs atténuants et aggravants.
Il y en a trois, en particulier, qui ressortent très clairement de la littérature : un logement abordable, l'investissement dans le développement de la petite enfance, et les possibilités en matière de loisirs et de culture. Tout cela représente des investissements dans l'infrastructure sociale que nous mettons en place et qui peut faire la différence entre une trajectoire permettant de sortir de la pauvreté ou d'y rester.
Il ne faut pas pour autant sous-estimer l'importance d'un salaire suffisant ou d'avantages sociaux comme les prestations pour enfants, qui sont des investissements cruciaux et essentiels. Nous essayons simplement de pointer du doigt certains leviers sur lesquels nous pouvons agir pour faire une différence.
Par exemple, je pense que c'est très clair en ce qui a trait au logement abordable. Nous comprenons tous le besoin d'un logement abordable pour se sortir de la pauvreté. Je tiens à vous signaler aujourd'hui, car c'est important, que les ententes fédérales-provinciales-territoriales sur le logement abordable doivent venir à échéance à la fin de mars 2009. C'est une grave préoccupation dans les collectivités et aussi quant à l'investissement dans le programme PAREL, qui fournit de l'argent permettant par exemple aux personnes âgées de modifier leur maison pour pouvoir y demeurer. La pauvreté n'est pas notre seule préoccupation, puisqu'il y a aussi la population vieillissante.
Une abondante littérature et des preuves de plus en plus solides confirment l'importance d'investir dans l'éducation de la petite enfance. Vous le savez très bien vous-même. Cela veut dire qu'il faut investir dans un éventail de soutiens : centres communautaires et de quartier; centres parentaux; garderies; soins à domicile pour les parents. Tout cela garantit que les familles et les enfants soient sur la bonne voie et prennent un bon départ dans la vie.
Je répète que c'est un soutien à l'infrastructure qui vise non seulement à compenser le coût des services, mais aussi à investir dans les collectivités. Quand on fait cela, on se trouve aussi à créer des espaces publics pour que les gens se rassemblent et fassent autre chose. Nous savons que c'est important, étant donné la population diversifiée et mélangée que nous avons dans beaucoup de villes.
Troisièmement, l'engagement des citoyens. Paul Born vous en parlera et il décrira notamment le travail que nous faisons dans le cadre de Vibrant Communities. Comme le président l'a dit, c'est une grande initiative de réduction de la pauvreté qui est en cours d'un bout à l'autre du pays; 15 villes ont joint leurs forces pour trouver des solutions locales en vue de réduire la pauvreté. Au coeur du projet, il y a une communauté d'apprentissage où tous les membres peuvent apprendre au contact l'un de l'autre. Dans chaque ville, il y a un groupe de citoyens à la table : des gens qui vivent dans la pauvreté, des représentants des gouvernements, des gens d'affaires et des représentants du secteur bénévole. Tous élaborent des plans pour mieux s'attaquer à la pauvreté.
Certains travaillent également à l'élaboration de politiques. Ce travail ne consiste pas seulement à mettre au point des programmes de formation ou d'éducation. Certains apportent des changements en profondeur dans les politiques communautaires touchant des milliers de gens, par exemple les subventions aux loisirs et le fait de s'assurer que les gens aient accès à des « tarifs équitables » pour le transport en commun, ce qui permet aux gens de se déplacer. En joignant leurs forces, les gens mettent en commun des éléments disparates comme la formation, l'éducation, les transports et la garde des enfants pour s'assurer que tous les divers éléments fonctionnent bien pour les personnes en cause. Comme on dit dans la région de Niagara, tout cela « enveloppe les gens ».
Nous avons énormément d'activités dans notre pays. Le programme Vibrant Communities n'est que l'une des nombreuses initiatives en cours qui obtiennent des résultats extraordinaires. Les gens ont besoin d'aide sous forme d'un environnement habilitant et c'est là que vous pouvez aider.
Ce ne sont pas des processus faciles. Il faut du soutien, de la patience, du temps; cela exige des changements dans l'appareil gouvernemental et d'autres sources de financement.
Y a-t-il un rôle fédéral? Je crois qu'il y a trois grands éléments.
Premièrement, un investissement dans l'infrastructure sociale, c'est-à-dire dans les facteurs qui font une différence au chapitre de la pauvreté : un logement abordable, des loisirs et le développement de la petite enfance.
Deuxièmement, le financement des villes pour s'assurer qu'elles aussi puissent faire de tels investissements. C'est un domaine qu'on ne voudra peut-être pas aborder aujourd'hui, mais il a son importance.
Troisièmement, créer un environnement habilitant qui soutient l'extraordinaire engagement des citoyens que nous voyons partout dans notre pays. Cela permet aux activités d'avoir lieu, aux citoyens de se rassembler pour trouver des solutions constructives et novatrices pour réduire la pauvreté.
Paul Born, président, Tamarack : Je suis content d'être ici aujourd'hui. Mon fils était déçu quand il a su que je m'en venais ici. Il a 11 ans. Je le lui ai dit hier en allant le conduire au soccer. J'ai dit : « Michael, que devrais-je dire aux sénateurs demain? » Il m'a regardé. Il est un grand partisan des Sénateurs d'Ottawa. J'ai dit : « Non, pas ces sénateurs-là ». Il a réfléchi un instant et il a dit : « De quoi veulent-ils que tu parles? » J'ai répondu : « De ce qu'il faut faire pour créer de meilleures communautés, des endroits où les gens peuvent vivre et avoir une bonne qualité de vie, où il y a moins de pauvreté et moins de crimes et un sentiment d'appartenance. » Il est demeuré silencieux quelques instants. C'est un jeune homme très réfléchi. Ensuite, il a dit : « Amène-les dans notre rue, papa. »
Je suis content d'être ici en même temps que Mme Maxwell et Mme Torjman. Ce sont deux de mes héros et j'ai beaucoup appris d'elles. C'est donc merveilleux d'être ici.
Je suis un praticien. Je fais du travail de terrain, c'est ce que j'ai fait toute ma vie. Je veux vous raconter trois histoires pour illustrer la manière dont cela se passe dans nos communautés et faire comprendre quels sont les éléments essentiels. Une se passe au niveau du quartier, l'autre au niveau de la ville ou de la région, et la dernière au niveau national.
Ma femme et moi, après nous être mariés et avoir eu des enfants, avons vécu dans un quartier tissé très serré. Nous avons passé 11 ans là-bas. Souvent, nous ne savions pas si nos enfants seraient de retour pour le souper ou même quels enfants nous accueillerions au souper. C'était un lieu où tous s'entraidaient. Quand ma femme a été nommée à l'Université de Waterloo, nous avons décidé de déménager plus près de son travail, dans un quartier qui ressemblait beaucoup à celui dans lequel nos enfants avaient grandi. À notre arrivée, on ne nous a pas accueillis à bras ouverts.
Après un mois, j'ai fait ce que ferait tout bon garçon de ferme mennonite, j'ai organisé une dégustation de vins et fromages et j'ai invité tous les voisins. L'un des voisins vivait là depuis 14 ans, une autre depuis 12 ans. Le premier était déjà chez moi lorsque la deuxième est entrée; elle a regardé cet homme et s'est présentée. Les deux vivaient à quatre maisons de distance.
À titre de spécialiste du développement communautaire, je réfléchissais à tout cela et me disait que ce serait le plus grand défi de ma vie de m'arranger pour que les gens qui habitaient dans ce quartier, dans cette rue, apprennent à vivre ensemble et à s'entraider. Je voulais créer un lieu où mes enfants se sentiraient chez eux et en sécurité.
En fait, cela n'a pas exigé tellement de travail. Nous avons eu d'autres vins et fromages. Nous avons fait des barbecues. Nous les avons invités à nager dans notre piscine. Cinq ans plus tard, notre dernière fête a eu lieu tout de suite après le Ramadan. Un certain nombre de familles musulmanes habitent dans notre rue. À 23 h 30, j'ai dû me décider à demander aux gens de s'en aller, parce que j'étais fatigué et voulais aller me coucher.
L'un de nos voisins est très malade et nous lui apportons à manger. Nous ne le connaissons pas du tout. Il y en a même parmi nous qui ne le trouvent pas sympathique, mais nous lui apportons quand même à manger. Nous avons appris à connaître et à aider cette famille.
Il y a dans notre rue un terrain en voie de réaménagement, ce qui cause beaucoup de difficultés. Or nous nous sommes tous réunis, dans un esprit de joie et de plaisir. Je crois que le conseil municipal ne sait pas ce qui va lui tomber dessus quand nous allons tous nous présenter mardi prochain dans un esprit de joie et de communauté.
Je peux résumer cette histoire en quelques mots : de nouveaux arrivants ont déménagé dans notre quartier et après la dernière fête de Noël, il y a eu une énorme tempête de neige. Nous étions tous bloqués par la neige. Nous sommes tous sortis dans la rue et non seulement nous avons pelleté toutes nos entrées, mais nous avons pelleté la rue parce que nous savions qu'il faudrait plusieurs jours avant que quelqu'un vienne déblayer.
Ce soir-là, une nouvelle voisine est allée prendre une marche avec des amis qui lui ont dit qu'ils l'enviaient de vivre dans un tel quartier, où les gens se connaissent et, chose plus importante, se soucient suffisamment l'un de l'autre pour s'entraider. Rappelez-vous que cinq ans avant, nous avions été mal accueillis dans ce quartier.
Quand nous sommes déménagés dans ce quartier, nous avions supposé qu'il y avait là un sentiment d'appartenance, que les gens se souciaient les uns des autres. Du point de vue des politiques, c'est très important, au moment d'entreprendre du travail axé sur la dimension locale, de ne pas poser de telles hypothèses, de ne pas supposer que nos communautés sont encore des communautés, que les gens ont encore des liens entre eux, qu'ils vont travailler ensemble de manière informelle pour faire progresser les dossiers et pour réduire la pauvreté dans nos communautés.
Ma deuxième histoire se situe au niveau régional. Pendant bien des années, j'ai dirigé une organisation appelée CODA, (Community Opportunities Development Association). C'était une organisation de développement économique qui aidait les gens à retourner au travail. Nous étions très bons dans ce travail. Après dix ans de travail, les Nations Unies ont déclaré que nous étions parmi les 40 meilleures pratiques au monde. Des gens sont venus de Nairobi pour nous remettre ce prix à l'occasion d'une immense fête communautaire et l'on m'a alors demandé de prendre la parole et d'accepter le prix. J'étais le directeur général depuis un certain temps, mais j'ai dit quelque chose qui est encore aujourd'hui controversé.
J'ai dit que je trouvais cela intéressant qu'on reconnaisse notre mérite. À bien des égards, nous méritions cette reconnaissance. Nous avions aidé plus de 5 500 personnes à retourner au travail. Nous avions aidé plus de 1 200 personnes qui étaient assistées sociales et en chômage à lancer de petites entreprises dont 80 p. 100 avaient survécu plus de cinq ans. Nous avions créé une foule d'initiatives de logements et de programmes pour enfants afin d'aider les gens qui vivaient dans la pauvreté. De ce point de vue, nous l'avions bien mérité.
La réalité était que la pauvreté avait augmenté de 5 p. 100 dans notre région au cours de la décennie précédente. La réalité était que nous avions commencé à travailler sur de nouvelles bases, dans le cadre d'un programme appelé Opportunities 2000, et nous avions travaillé en plus étroite collaboration avec des partenaires du secteur privé pour essayer de comprendre leur rôle, en particulier à titre d'employeurs, pour ce qui est de réduire la pauvreté dans nos villes. Ils m'avaient dit que quand on perd l'argent des collaborateurs, on se fait congédier, et non pas louanger. Vous comprendrez que ces propos n'ont pas été tellement bien accueillis.
Nous en sommes venus à comprendre que, même si CODA était une organisation bien connue, l'une des plus grandes organisations de développement économique communautaire dans notre pays à faire du travail de lutte contre la pauvreté, nous n'arrivions pas à réduire la pauvreté. La pauvreté continuait, parce que c'était un problème systémique. C'était un problème communautaire. Ce n'était pas un problème individuel.
Nous n'avions pas la moindre idée de ce que nous faisions quand nous avons lancé ce processus appelé Opportunities 2000. C'était une campagne du millénaire dont le but était de faire en sorte que la région de Waterloo ait le taux de pauvreté le plus bas au Canada d'ici l'an 2000. Dans la région de Waterloo, les gens adhèrent à de tels rêves, même s'ils peuvent sembler absurdes.
La réalité était que nous étions déjà au deuxième rang pour le plus faible taux de pauvreté, mais nous voulions être au premier rang. Nous voulions comprendre comment y parvenir. Le seul concept que nous avions était de lancer une campagne, un peu comme celle de Centraide, qui a duré quatre ans. Cela permettrait de rapprocher tout le monde dans la communauté, leur ferait comprendre que la pauvreté les concernait et qu'ils avaient quelque chose à contribuer à cet égard.
Nous avons rassemblé toute une équipe de leaders du secteur privé. Nous avons rédigé une brochure sur les meilleures pratiques pour réduire la pauvreté. Nous avons amené les employeurs à devenir des ennemis de la pauvreté. Nous avons étudié des idées comme la promotion de l'intérieur, des pratiques ouvrières différentes et des politiques de ressources humaines que les employeurs pourraient mettre en application.
Nous avons demandé aux gouvernements municipaux s'ils avaient parmi leurs employés des gens qui vivaient dans la pauvreté et quelles politiques ils daigneraient mettre en place. Mme Torjman a écrit un document intitulé Le rôle social du gouvernement local. Nous l'avons utilisé comme stratégie de campagne. Nous sommes allés voir les représentants de nos sept municipalités et leur avons demandé de lire ce document et de réfléchir à ce qu'ils faisaient. Après réflexion, ils ont rédigé des rapports et ont commencé à apporter des changements.
Comment sait-on quand on devient le lieu ayant le plus bas taux de pauvreté au Canada? En fin de compte, la région de Waterloo, au cours de la période statistique suivante, est devenue la seule ville du pays qui avait éliminé la pauvreté associée à un lieu particulier. Il n'y avait plus, selon les statistiques, de lieux regroupant des gens pauvres. Nous avons 19 zones de faible revenu dans notre région, mais les chiffres n'étaient plus statistiquement pertinents. Par conséquent, nous avons été désignés ville qui avait réussi à éliminer la pauvreté associée à un lieu.
Ma troisième histoire se situe au niveau national. On me demande souvent si ce qui s'est passé dans la région de Waterloo peut être reproduit ailleurs. Peut-on normaliser les solutions axées sur la dimension locale? En 2002, Alan Broadbent, qui est également le cofondateur du Caledon Institute of Social Policy, a communiqué avec moi et m'a demandé si j'accepterais de créer un institut chargé d'explorer ces questions. Pouvions-nous établir un processus — il appelait cela une technologie — qui permettrait aux communautés d'un bout à l'autre du pays d'adopter avec enthousiasme cette nouvelle façon de faire, de chercher à créer ce sentiment d'appartenance pour faire fructifier les actifs de la communauté? Est-ce que ces actifs particuliers pouvaient être mis à profit pour relever les défis particuliers à chaque communauté?
On pourrait croire que les difficultés sont les mêmes partout. C'est toujours la pauvreté, mais la pauvreté est différente à Hamilton et à Toronto. Elle n'est pas la même à Whitehorse et à Vancouver. Pourtant, les deux problématiques sont très proches l'une de l'autre. Souvent, quand nous faisons du travail de ce genre, nous supposons en quelque sorte qu'il est toujours question de pauvreté. Ce dont il est question en fait, c'est des gens qui sont pauvres et qui vivent dans certains lieux. Les solutions pour ces gens-là sont souvent liées aux circonstances particulières à leur environnement. La solution, pour habiliter ou aider ces personnes, se situe au niveau des personnes qui habitent dans ces communautés et quartiers, ce que nous appelons les actifs.
Dans ce but, nous avons fondé Vibrant Communities. C'était notre programme vedette. Nous avons commencé par identifier cinq thèmes d'apprentissage très clairs sur lesquels nous voulions travailler.
Premièrement, nous voulions explorer la différence entre l'atténuation de la pauvreté et la réduction de la pauvreté. Nous voulions que les communautés puissent percevoir la différence entre réduire et atténuer la pauvreté.
Deuxièmement, nous voulions que les communautés commencent à réfléchir de manière globale. Lutter contre la pauvreté, ce n'est pas seulement donner à quelqu'un un meilleur logement, un emploi, la santé ou même de l'argent. C'est bien sûr tous ces facteurs-là, mais bien plus encore. On ne peut pas régler une composante du problème de la pauvreté et s'attendre à ce que toutes les autres se règlent d'elles-mêmes. C'est une leçon très importante que nous avons apprise. Quand quelqu'un est pauvre, bien des facteurs sont en cause. Il faut s'attaquer simultanément à tous ces facteurs.
Troisièmement, nous voulions réfléchir aux actifs dans une communauté donnée et voir notre travail de manière positive. Comment mettre à profit tous les atouts qu'une communauté peut avoir? Au Canada, la plupart de nos villes ne sont pas pauvres, mais il y a peut-être 20 p. 100 de notre population qui l'est. Cela veut dire que nous avons 80 p. 100 de la population que nous pouvons amener à mettre l'épaule à la roue. La question est de savoir comment mobiliser les gens.
Cela nous a amenés à notre quatrième point, les interventions multisectorielles. Tous les secteurs doivent contribuer à cette lutte à l'unisson. Tous les secteurs doivent se mobiliser et travailler en collaboration.
Cinquièmement, l'apprentissage et le changement. Nous devons apprendre ensemble. Grâce à l'apprentissage, nous pouvons en arriver à comprendre en profondeur le phénomène de la pauvreté et les moyens à prendre pour la réduire.
Je pourrais vous parler longtemps de notre travail. Je vous en dirai plus long sur les résultats obtenus à ce jour et vous raconterai des histoires particulières de communautés qui ont fait ce travail, je vous expliquerai comment elles se sont organisées et comment l'organisation de ce travail devient une manière de travailler, et pas seulement quelque chose qui survient inopinément. J'ai apporté des documents qu'on voudra peut-être distribuer. On y explique comment nous avons commencé à systématiser cette approche.
Chaque année, nous rassemblons 100 personnes qui travaillent de cette manière dans des villes d'un bout à l'autre du pays. Nous les invitons à venir passer cinq jours ensemble pour travailler à des interventions axées sur la dimension locale, le plus souvent ayant à voir avec la pauvreté. Je crois profondément que cela peut être systématisé et on commence déjà à le voir dans certaines communautés et notre rôle au niveau fédéral est d'aider à ce que ça se produise plus souvent. Merci.
Le président : Merci beaucoup pour ces trois exposés très intéressants. Je commence normalement par poser une question moi-même, mais comme le sénateur Trenholme Counsell doit se rendre à une autre réunion, elle va poser sa question en premier. Elle s'intéresse beaucoup à la garde des enfants et à l'éducation des jeunes enfants. Elle vient elle aussi du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Trenholme Counsell : Merci, monsieur le président. Je suis coprésidente du comité de la Bibliothèque du Parlement, qui va tenir très bientôt une importante réunion.
Nous avons entendu trois exposés riches et stimulants. Je vous remercie d'avoir parlé de l'éducation des jeunes enfants, madame Torjman, mais je ne poserai pas cette question.
Nous parlons ce matin d'interventions mettant l'accent sur la dimension locale, et deux idées centrales me sont venues à l'esprit. L'une portait sur le rôle des écoles, en particulier des écoles primaires, et l'autre sur les centres de santé communautaire. Je viens d'un petit village de 275 habitants, mais j'habite maintenant dans la ville de Sackville, qui a à peine 6 000 habitants. J'ai vécu à Toronto pendant 19 ans et c'est complètement différent. C'est difficile de faire des comparaisons dans notre pays. Vous nous avez raconté une merveilleuse histoire au sujet de votre rue. Ce n'est pas tout le monde qui a la chance d'habiter dans une telle rue. On dirait que les familles tissent des liens de nombreuses manières. J'entends souvent parler des nouveaux Canadiens et des liens serrés qu'ils ont entre eux. Je demande aux chauffeurs de taxi comment ils s'intègrent dans la société et parviennent à se sentir chez eux, et ils me racontent de merveilleuses histoires sur leurs communautés.
Je voudrais entendre vos réactions sur le concept préconisé par mon bon ami le Dr Fraser Mustard, entre autres, selon lequel les écoles deviennent le centre d'un grand nombre de programmes entourant les enfants et les familles, parce que c'est un lieu commun où convergent la plupart des familles. Je suis également médecin et j'ai souvent traité, en tant que médecin de famille, du besoin partout dans notre pays de centres de santé communautaire où travailleraient des infirmières praticiennes et autres intervenants, en plus des médecins de famille. Dans ce Canada qui est le nôtre, j'entrevois la mise en oeuvre de ces deux concepts de la manière la plus large possible, mais sans imposer de travail supplémentaire aux enseignants, parce qu'ils sont déjà terriblement surchargés. Je me demande si vous pourriez nous parler de ces idées.
Mme Torjman : Merci beaucoup d'avoir soulevé cette question. C'est un élément crucial de l'infrastructure sociale dans les communautés. Au chapitre 5, je traite longuement du concept de l'école comme plaque tournante permettant de rassembler les membres des communautés. On constate souvent que les jeunes enfants qui ne vont pas bien à l'école font beaucoup mieux quand leurs parents sont impliqués, quand les écoles tendent la main aux parents et les amènent à s'impliquer dans des programmes d'alphabétisation et dans tout ce que l'école essaie de mettre en place. C'est en imaginant l'école comme une plaque tournante que l'on peut concrétiser cet idéal. On le constate dans un certain nombre de communautés au Canada. Il y a, en Ontario, au moins 40 ou 50 centres d'éducation familiale qui sont affiliés à des écoles. C'est une notion qui est en train de s'enraciner un peu partout au Canada et qui donne des résultats positifs.
Une autre dimension de l'école vue comme un carrefour consiste à permettre aux communautés d'utiliser l'école les fins de semaine ou en soirée comme lieu de rencontre pour les adolescents. Nous devons comprendre l'importance des loisirs dans tout ce tableau, même en rapport avec la pauvreté. Je sais que cela ne semble peut-être pas évident au départ, mais beaucoup d'études montrent l'importance d'avoir de bons programmes de loisirs et communautaires pour renforcer l'estime de soi, donner des possibilités d'exercer le leadership et donner un répit aux parents. Une étude faite à l'Université McMaster établit clairement un lien entre les loisirs et le fait de quitter l'assistance sociale. On ne pense pas au premier abord que ce pourrait être le cas. Cette étude a été faite par la Dre Gina Brown et ses conclusions étaient très solides.
Le rôle de l'école est de fournir ce lieu qui manque souvent dans les collectivités ou que les groupes ne peuvent pas se permettre. Dans certaines régions, nous avons constaté que les écoles exigent des montants trop élevés aux groupes communautaires à cause du coût de l'assurance, du nettoyage et de l'administration. En Ontario, en particulier, on donne 40 millions de dollars par année aux écoles pour aider à compenser l'utilisation des écoles par des groupes de loisirs et à d'autres fins après les heures de classe. Je sais que d'autres provinces envisagent d'en faire autant.
D'autres centres peuvent également jouer ce rôle. Dans certaines localités autochtones, les centres communautaires, les centres d'amitié et les centres parentaux jouent un rôle très important en fournissant un soutien communautaire. Cela revient à notre notion d'infrastructure sociale; il s'agit de veiller à disposer de lieux où l'on peut faire les interventions qui sont importantes pour faire jouer ces facteurs médiateurs.
Le sénateur Trenholme Counsell : Avez-vous des observations au sujet des centres de santé communautaire?
Mme Torjman : Les centres de santé communautaire jouent un rôle tout aussi important, mais mettent évidemment l'accent plutôt sur la santé proprement dite. C'est intéressant de signaler que les centres de santé communautaire ne s'intéressent pas seulement à la santé physique, mais aussi à la santé mentale et psychologique et au mieux-être social, et beaucoup ont une vision très étendue de leur rôle. Bon nombre d'entre eux s'occupent d'initiatives de réduction de la pauvreté et d'interventions axées sur la dimension locale, constatant qu'ils ont un rôle à jouer dans le domaine de l'éducation. Beaucoup s'occupent activement de soutien parental et d'interventions auprès de la petite enfance, jouant un rôle clé dans les communautés en offrant ce soutien aux parents. Dans beaucoup d'endroits, ils sont le carrefour où convergent tous les efforts d'éducation et d'intervention auprès de la petite enfance.
M. Born : C'est une question importante. Il y a plusieurs années, on m'a demandé d'aller en Angleterre pour prendre la parole devant des représentants du mouvement des écoles communautaires. J'ai constaté qu'il y avait là un institut national très bien financé qui renforçait la capacité des écoles de devenir des écoles communautaires.
Le sénateur Trenholme Counsell : C'est une expression que j'ai omis d'utiliser.
M. Born : Il y a un important mouvement aux États-Unis. Au Canada, nous faisons des efforts, mais souvent, tout repose sur le directeur d'école qui doit surmonter d'énormes obstacles. Ma conviction personnelle, qui est un peu controversée, mais j'en ai souvent parlé publiquement, est que les écoles doivent devenir municipales, qu'elles doivent appartenir aux municipalités qui en loueraient les locaux entre 8 heures et 17 heures. Tous les terrains occupés par des écoles devraient abriter un centre communautaire qui ouvre à 6 heures du matin et ferme à 22 heures et qui est ouvert en fin de semaine et durant tout l'été. Je crois fermement que l'investissement le plus rentable que nous pourrions faire dans notre pays serait de donner à nos écoles l'occasion d'exercer une grande influence sur la communauté environnante, en particulier nos écoles primaires, parce qu'elles sont tellement cruciales pour les quartiers où elles se trouvent. Voilà mon opinion.
Mme Maxwell : Je pense que M. Born et Mme Torjman nous ont fait des observations importantes visant la création d'espaces où des familles très diversifiées par leur origine et leur niveau de revenu peuvent se rassembler, où les enfants peuvent se mélanger. C'est très important. C'est important pour leur sentiment d'appartenance à titre de citoyens et aussi pour leur bien-être, à cause de l'accès aux services.
À mes yeux, la gouvernance est un obstacle critique qu'il faut surmonter pour progresser dans cette direction. En entendant M. Born nous parler de la grande transformation qu'il envisage en rendant les administrations locales propriétaires des écoles, je songeais aux idées qui ont été lancées dans le domaine public pour ce qui est non seulement d'agrandir les garderies et les écoles maternelles, mais aussi d'y affecter des éducateurs spécialisés dans la petite enfance. Il y a eu une réaction hostile de la part du syndicat des enseignants, ceux-ci estimant qu'il ne faut pas confier cette responsabilité à des gens qui n'ont pas la même formation qu'eux. De telles réactions institutionnelles font obstacle à l'innovation qui doit pourtant avoir lieu si nous voulons arriver à mettre en place des programmes locaux efficaces.
Nous comprenons qu'il y a des fiefs et des guerres de clans; cela arrive non seulement en milieu syndical, mais partout dans la société. Le véritable défi est d'obtenir qu'une communauté soit tellement mobilisée et veuille tellement devenir la meilleure possible pour ses enfants que la question de savoir qui possède quoi ou qui occupe quel emploi ne se pose plus dans un tel environnement.
Le président : Je pense qu'en Ontario, on se penche justement sur la question de la présence d'éducateurs spécialisés en petite enfance dans les mêmes locaux que les enseignants. Nous aurons bientôt les résultats de cette réflexion.
Le sénateur Trenholme Counsell : Sur le débat entre les éducateurs spécialisés en petite enfance et les enseignants d'école maternelle, je pense que nous verrons un continuum de services. C'est déjà ce qui se passe en Nouvelle-Zélande et je pense que cela arrivera ici également.
Je veux raconter une histoire qui, à mon avis, illustre bien le problème que nous avons dénoncé au sujet des écoles. Je ne sais pas si c'est vrai partout au Canada. C'est possible, mais je ne saurais le dire avec autorité.
Les bibliothèques scolaires sont des endroits absolument magnifiques, en général, surtout dans les écoles primaires. Elles ont beaucoup de livres pour différents groupes d'âge et beaucoup ont également un soutien communautaire, comme le programme IODE, qui aide à les approvisionner en livres. Par contre, si vous allez dans une bibliothèque municipale, on y trouve beaucoup moins de livres. Nos bibliothèques communautaires font de leur mieux, mais les ressources sont limitées et elles sont loin d'avoir autant de livres que les bibliothèques scolaires.
Dans beaucoup d'écoles que je connais, les parents ne peuvent pas emprunter de livres à la bibliothèque scolaire. Il y a des exceptions où l'on a réussi à permettre cela, par exemple à Moncton, et peut-être ailleurs. C'est un bon exemple de dédoublement inutile — non pas que nous ne voulons pas de livres pour enfants dans nos bibliothèques, mais dans les petites villes, ce jumelage serait très utile. Je tenais à le mentionner. Pouvez-vous nous en dire plus long sur ce sujet?
Mme Torjman : Votre observation met également en cause le financement municipal, ce qui est une question connexe. Il y a des modèles intéressants, des programmes communautaires visant à encourager la lecture chez les enfants et qui rapprochent les gens par le biais de l'alphabétisation. Par exemple, il y avait à Oshawa une école qui n'allait pas très bien. Quand la directrice a été affectée à cette école, elle a dit que c'était un véritable enfer et elle se demandait pourquoi elle écopait de cette tâche ingrate. Cependant, elle a littéralement transformé cette école qui est devenue l'une des plus performantes de la province.
L'une de ses innovations a consisté à rassembler toute la communauté autour de l'école dans le cadre d'un programme de lecture. Il y avait là des agents de police, des pompiers, des dirigeants de petites entreprises qui venaient dans cette école pour lire avec les enfants. Il y avait aussi des cercles de lecture dans tous les milieux de la communauté, de sorte que la lecture est devenue une activité qu'on faisait ensemble et c'était perçu comme une approche communautaire, une activité à laquelle tout le monde devait s'adonner. Les livres ne devraient jamais appartenir à une organisation qui empêche tout le monde de s'en servir. Il faut plutôt se demander comment on peut partager ces ressources et rassembler les gens autour de ces ressources. C'est souvent une question d'amener les parents à lire avec les enfants. Il y a parfois un obstacle à ce niveau. En amenant tout le monde à lire ensemble, on a créé une magnifique activité communautaire. C'est fondamental, à la fois pour la réduction de la pauvreté et parce qu'on sait que le taux d'alphabétisation est un des leviers qu'on peut actionner pour sortir les gens de la pauvreté.
Le président : Je vais passer d'un médecin à l'autre. Le sénateur Keon est de l'Ontario. Il préside un sous-comité comme le nôtre qui s'occupe de la santé des populations. Nous présidons tous les deux des sous-comités et nous avons donc beaucoup de tâches apparentées. Une grande partie des discussions que nous avons ici au sous-comité des villes est pertinente aux travaux que dirige le sénateur Keon. Je suis sûr qu'il voudra explorer ce sujet de ce point de vue également.
Le sénateur Keon : C'est fascinant de vous écouter tous. Comme le sénateur Eggleton et moi-même en avons convenu dès le départ, il y a tellement de points communs entre nos deux mandats que nous devons éviter d'entendre les mêmes témoins. Ils peuvent témoigner devant l'un ou l'autre des comités et il y a des recoupements et les témoignages sont pris en compte dans les deux études, qui doivent s'enrichir mutuellement pour être couronnées de succès.
Je veux revenir à la notion de communauté. Nous avons publié nos quatre rapports préliminaires et nous en sommes à travailler aux documents sur la problématique et les options, et nous nous efforçons de définir le type d'organisation que nous allons recommander au gouvernement fédéral et en particulier la conception de la communauté pouvant englober les 12 facteurs ou plus qui influent sur la santé, dont l'un est le système de prestation de soins de santé. Cela préoccupe tout le monde, mais ce n'est que l'un des facteurs. J'ai dit publiquement que le système de prestation de soins de santé du Canada est devenu un risque important pour la santé de notre nation parce qu'il prive la société des fonds qui sont nécessaires pour les 11 autres déterminants de la santé. L'éducation est bien sûr l'un d'entre eux.
C'est fascinant de vous écouter parler d'intervention axée sur la dimension locale. Comme vous le savez peut-être, j'ai passé la plus grande partie de ma vie dans un institut spécialisé de haut savoir et j'ai compris depuis déjà longtemps que si nous voulons améliorer la santé de notre nation, cela doit se faire au niveau communautaire. La question est de savoir comment nous pouvons organiser les communautés. D'après ce que je peux voir, jusqu'à maintenant, les communautés ont été façonnées un peu au hasard. M. Born nous a raconté une magnifique histoire de succès, mais il n'y a pas beaucoup d'autres communautés qui ont le grand privilège de pouvoir compter sur quelqu'un comme M. Born.
Quand on essaie de concevoir des communautés, par où doit-on commencer? Je suis désolé de poser une question aussi longue, mais je vous demande votre aide. Un vieil adage dit qu'il faut tout un village pour élever un enfant. Eh bien, nous n'avons plus vraiment de village, mais il n'y a aucune raison que nous n'ayons pas des villages ou des communautés à l'intérieur des villes.
Au cours de ma carrière précédente, j'ai constaté qu'il était utile d'utiliser les codes postaux pour examiner la santé de la population, notamment pour les maladies cardiovasculaires en Ontario. Nous savions, grâce aux codes postaux, où se situaient les zones de très mauvaise santé. Dans le grand territoire desservi par l'Institut du coeur d'Ottawa, que je dirigeais, nous pouvions cibler certaines communautés précises parce que nous possédions des renseignements pointus. Cette information existe toujours à Statistique Canada. Ce sont des renseignements utiles, mais permettez que je vous lance un petit défi à tous les trois.
Comment pouvons-nous nous rendre utiles pour tous les paliers de gouvernement, pour la société dans son ensemble, pour les organisations non gouvernementales et pour les entreprises, en particulier, dont nous avons rencontré les représentants hier soir? Comment pouvons-nous être utiles dans le cadre des efforts visant à concevoir des communautés ou à leur donner un modèle avec lequel elles peuvent travailler — parce que chaque communauté est différente — et qui englobe la douzaine de déterminants de la santé, en rassemblant tous les intervenants autour de la table, en les amenant à travailler de la manière dont fonctionne M. Born? Comment nous y prendre? Avez-vous des idées là-dessus?
M. Born : C'est une question très importante. En fait, c'est la question qu'Alan Broadbent m'a posée quand nous avons fondé cet institut. Il faut aborder cela selon l'angle traditionnel. Est-ce une question de politiques? Est-ce une question d'infrastructure? Nous avons décidé en fin de compte que c'était une question de personnes humaines. Nous en sommes venus à comprendre qu'à chaque endroit, on peut aborder la problématique, ces 11 ou 12 déterminants, sous un angle différent. Voilà ce qui est unique. Certains ne veulent pas tenir compte de la totalité des déterminants. Ils veulent peut-être commencer par quelques-uns et laisser les autres pour plus tard. Cependant, partout où nous allons, nous constatons qu'il y a de l'énergie. Cette énergie est souvent incarnée dans une poignée de personnes clairvoyantes, pleines de sagesse et d'énergie, qui veulent s'y employer par goût ou par vocation. Elles commencent à élaborer une vision ensemble.
Cette vision est unique à chaque endroit. À Hamilton, la lutte contre la pauvreté peut cibler d'abord les enfants. À Saint John, au Nouveau-Brunswick, ils veulent abaisser le taux moyen. Ils ont un taux de 28 p. 100, ils veulent le ramener à 14 p. 100. À Victoria, leur priorité est la qualité de vie, parce qu'ils sont tellement arrogants qu'ils s'imaginent avoir déjà la meilleure qualité de vie, mais quand on leur signale que ce n'est pas tout le monde qui en profite, ils sonnent la charge et se lancent à l'attaque pour y remédier.
Ma première notion est que cette vision que l'on a de la situation a tendance à se former d'elle-même, mais elle prend forme seulement en présence d'un processus d'engagement généralisé. Dans une communauté, cela prend beaucoup de temps. Je vais publier en juin un livre intitulé Community Conversations, qui porte sur ce sujet. J'y explique qu'il faut du temps et des efforts pour susciter un débat au sein de la communauté. Nous constatons qu'il faut de 12 à 18 mois de conversations communautaires bien planifiées et bien réfléchies comme celle-ci pour engager les gens de tous les secteurs. Non seulement la conversation les amène à s'engager, mais c'est une manière de propager cette vision. À un moment donné, cette stratégie d'engagement débouche sur un plan communautaire. La communauté doit élaborer son propre plan et c'est souvent à ce moment-là que les gens deviennent frustrés, s'imaginent qu'ils ont discuté trop longtemps et veulent faire quelque chose tout de suite, sans se rendre compte qu'ils ont déjà fait beaucoup. Hamilton avait déjà réduit la pauvreté d'environ 15 000 personnes avant même de lancer le programme, simplement dans le cadre du processus d'engagement. Cette conversation change la donne.
L'étape suivante est celle de la mise en oeuvre. Souvent, le programme est évolutif et change constamment.
Il existe maintenant de nombreuses approches quant à la manière dont les gens s'organisent autour de problématiques qui leur tiennent à coeur. J'ai le sentiment qu'au niveau fédéral, c'est important de fixer des objectifs très larges. Si nous souhaitons que les gens travaillent aux déterminants de la santé, c'est probablement suffisamment restreint. Ensuite, donnons-leur les instruments qu'ils peuvent utiliser pour passer à la mise en oeuvre en mobilisant la passion au niveau local sur cette question, et en reconnaissant que le processus ne sera pas le même partout. Cela ne va pas se ressembler d'un endroit à l'autre. Le nom du programme ne sera pas le même partout, mais l'élément commun est que partout, on va travailler aux déterminants de la santé, chacun s'y prenant à sa façon. Les résultats qu'on obtiendra dépendront de la situation particulière, des atouts et de la manière dont les problèmes se posent dans chaque communauté.
Établir un programme comportant des paramètres assez étroits ne permet pas de faire naître cette réaction axée sur la dimension locale. Ma réponse était peut-être trop longue.
Mme Torjman : Je vous remercie pour cette question réfléchie et difficile. Je suis contente que vous l'ayez posée, parce que c'est un élément important de cette conversation. On peut y répondre de diverses manières. La première serait que quelqu'un comme vous, en particulier, traite des résultats que vous avez obtenus, de la recherche, de la littérature et des liens que vous constatez. Par exemple, vous avez évoqué les liens entre la santé cardiovasculaire et certains quartiers. Il existe des liens clairement établis par la recherche, mais la plupart des Canadiens n'utilisent pas la terminologie des déterminants sociaux de la santé. Nous le constatons quand nous faisons une ventilation. Nous le savons quand nous discutons de bonnes conditions de travail, de stress, de développement de la petite enfance et de pauvreté, mais ce concept doit faire l'objet d'un débat public. Il faut des gens comme vous qui ont de la crédibilité et qui peuvent traiter de cette problématique pour que les gens en prennent conscience.
Au niveau des communautés, il est important que l'on commence à traduire cette notion dans la pratique et qu'on permette aux communautés, comme Paul Born le disait, de choisir le point de départ du processus. Même si tous les facteurs sont liés — les 12 déterminants sont clairement liés —, il est souvent difficile de s'attaquer de front à tous les déterminants au niveau communautaire.
Si vous aidez les gens à avoir une compréhension plus étendue des liens, mais que vous dites que l'on va commencer par ceci ou cela, parce que c'est ce que l'on peut faire tout de suite, quitte à essayer plus tard de s'attaquer à d'autres problèmes connexes, c'est déjà un point de départ très important pour les communautés. Montrez où se situent les liens, mais dites que nous sommes présentement ici dans le processus.
Parfois, le financement ne permet pas facilement de faire cela. Caledon et Tamarack ont travaillé à un projet national appelé Quartiers en essor, qui a été financé par le gouvernement fédéral. Cinq organismes gouvernementaux ont uni leurs forces pour soutenir ce projet. On nous a dit que c'était un miracle que les cinq administrations aient réussi à mettre en commun leur argent dans le cadre de deux ententes de contribution.
Ce projet visait la revitalisation de quartiers. Il permettait à la communauté de se rassembler autour d'une vaste problématique et de travailler aux déterminants de la santé jugés les plus importants.
Nous avons constaté qu'il y avait une difficulté : comme les fonds étaient associés à certains domaines précis comme l'alphabétisation, les toxicomanies et le logement, les responsables du financement disaient : « Où sont les logements? Nous voulons compter le nombre d'unités de logement ». Ceux de l'alphabétisation disaient : « Montrez-nous les taux d'alphabétisation ». Dans certains quartiers, on a commencé par ramasser les rebuts parce que c'était important pour les gens d'assurer la propreté de leur quartier avant de commencer. Leur priorité était la santé publique. Dans d'autres quartiers, c'était plutôt la sécurité, s'assurer d'avoir des lampadaires dans les rues. Encore une fois, c'était une intervention extraordinairement profonde; il fallait commencer là où la communauté se situait et bâtir à partir des acquis, mais à cause du financement, les intervenants étaient obligés d'accepter des contraintes. Si nous pouvions éliminer ces contraintes et faire ressortir les liens, on pourrait appuyer des approches communautaires et intégrées.
Un dernier élément : il faut fournir un certain soutien pour favoriser l'apprentissage d'un bout à l'autre du pays. Il se fait beaucoup de choses dans beaucoup de régions du pays. Il y a une quantité phénoménale de travail extraordinaire. Le problème est que nous sommes un pays tellement immense et tellement diversifié que nous n'avons pas l'infrastructure qui nous permettrait de partager tout cela. Tamarack joue ce rôle en grande partie et fait du travail exemplaire. Le problème est la capacité d'apprendre ce qui se passe à Sackville, au Nouveau-Brunswick, par exemple, et de demander s'il y a quelque part des projets que nous pourrions appliquer à notre propre communauté. Nous n'aurions pas besoin de réinventer la roue constamment. Malheureusement, c'est ce que nous faisons. Nous passons beaucoup de temps à réinventer au lieu d'appliquer les innovations. Donc, la sensibilisation du public aux concepts importants, des arrangements de financement plus ouverts et le soutien de l'apprentissage appliqué aideraient à faire progresser quelque peu dans ce domaine.
Mme Maxwell : Je voudrais ajouter quelques observations parce que l'essentiel de ce que je sais à ce sujet, je l'ai appris de Mme Torjman.
Premièrement, les différents arrangements de financement qui sont nécessaires au niveau fédéral sont un élément important. Par ailleurs, il faut plus de pouvoirs délégués pour que les ministères fédéraux aient des agents de programme qui vont visiter régulièrement les quartiers, bâtissent des relations de confiance avec les dirigeants, observent où se situent les besoins, vérifient le bien-fondé des activités et font des évaluations continues et informelles, en plus des évaluations officielles.
Le fait d'avoir un interlocuteur qui peut parler au nom du gouvernement fédéral, dans le cadre des pouvoirs délégués appropriés, bien sûr, ferait une énorme différence pour ce qui est de jeter des ponts avec ce que font les provinces et les gouvernements locaux; pour finir, on aurait un ensemble beaucoup plus cohérent que tout ce qu'un gouvernement ou n'importe quel autre acteur pourrait mettre sur pied à lui seul. Si le logement, les cliniques de santé, les services sociaux et la création de carrefours communautaires, dont on a parlé tout à l'heure, sont appuyés par la police locale, par l'administration municipale, par Centraide et par la communauté des affaires, il y aura des progrès notables. Par contre, si tout cela est perçu comme une initiative fédérale pour la citoyenneté et l'immigration d'une part, et d'autre part les ressources humaines et ailleurs l'enveloppe de prévention du crime, et si chaque élément fonctionne individuellement, l'énergie va se dissiper. Vous ne constaterez pas les progrès que vous souhaitez voir. Pour s'attaquer à l'un ou l'autre des 12 déterminants de la santé qu'une communauté souhaite mettre de l'avant, il faut une compréhension beaucoup plus étendue des politiques, des programmes et de l'organisation.
Mme Torjman : Le rôle du fédéral ne consiste pas seulement à distribuer de l'argent. L'argent est crucial et les investissements directs dans l'infrastructure sont cruciaux, mais le rôle du fédéral, c'est aussi l'expertise. Il y a tellement de compétences qui pourraient être utiles aux communautés; je songe par exemple à Saint John, où la Société canadienne d'hypothèques et de logement aide à concevoir des logements abordables et à établir les besoins parce que cette communauté compte des taux très élevés de pauvreté dans certains quartiers. Le parc immobilier résidentiel est vieux, mais il y a des immeubles qu'on ne veut pas démolir parce qu'ils ont une valeur historique et culturelle. Les gens ont besoin d'experts techniques pour remanier ces immeubles de manière à respecter le patrimoine tout en ayant un parc immobilier économiquement et structurellement solide. La SCHL a détaché quelqu'un pour travailler à ce projet communautaire pour aider les gens à établir les options. C'est un magnifique exemple d'expertise au niveau fédéral qui a contribué à lancer une initiative et c'est ainsi qu'on a eu beaucoup de succès en construisant là-bas des logements sociaux.
Le sénateur Keon : Ce n'est plus nécessaire d'isoler l'un des 12 déterminants de la santé, même si la pauvreté en est un majeur, mais les inégalités sont tellement flagrantes. Il y a aujourd'hui au Canada des gens qui naissent de mères pauvres et dont l'espérance de vie est d'environ 50 ans. Les gens qui naissent de mères en santé ont une espérance de vie de près de 90 ans. Les inégalités sont tellement criantes que l'on n'a même pas besoin d'obtenir des données ayant une ventilation plus poussée.
J'ignore comment convaincre les gens d'adhérer à cette notion des interventions communautaires à dimension locale; nous pouvons utiliser des codes postaux ou demander à tous les maires de diviser leurs villes en communautés. Encore une fois, monsieur Born, votre observation est juste. La dernière chose que l'on veut, c'est bien un bureaucrate quelconque qui vient organiser une communauté. Les gens de la communauté sont ceux dont on a besoin pour lancer le mouvement.
Avez-vous des idées sur ce que nous pourrions faire pour proposer à notre pays un projet qui serait utile? Je crois avoir de bonnes idées pour la communauté autochtone et je vais y consacrer un passage spécial. Pour le reste du pays, avez-vous des idées?
Mme Torjman : Pour revenir à votre exemple des enfants et des parents seuls, c'est là qu'il est essentiel d'avoir tout un éventail de mesures et d'interventions, pas seulement une approche unique. C'est à ce propos qu'on disait qu'il fallait une prestation pour enfants suffisamment riche pour s'attaquer à la pauvreté du point de vue des revenus. Nous savons que ce n'est pas suffisant.
C'est à l'intérieur des communautés que l'on peut offrir un soutien à beaucoup de ces parents seuls, dont la plupart sont des mères, qui sont souvent laissées à elles-mêmes et dont beaucoup n'ont pas terminé leurs études secondaires parce qu'il leur a fallu aller travailler. Pour reprendre l'exemple de Saint John, l'une des initiatives qu'on a choisie là-bas consiste à aider les jeunes parents célibataires à compléter leurs études secondaires pour briser le cercle vicieux de la pauvreté. C'est seulement dans les communautés qu'on peut faire cela. Un instrument fédéral ne le permettrait pas. Vous pouvez appuyer leur initiative, mais c'est au sein de la communauté que l'on peut tendre la main à ces jeunes femmes, les identifier, veiller à ce qu'elles aient des services de garde d'enfants. C'est souvent difficile pour des élèves d'école secondaire d'avoir un horaire de travail qui réponde à leurs besoins, de sorte que toute l'intervention s'articule autour des besoins de ces jeunes femmes parce qu'elles veulent rompre ce cycle de la pauvreté. Elles veulent compléter leurs études secondaires. Ensuite, elles veulent passer à d'autres formes d'éducation et de formation. Je répète que c'est seulement au sein de la communauté que l'on est en mesure de fournir cet aide et ce soutien.
Il y a une mesure fédérale importante qu'il faut renforcer et poursuivre, et puis il y a toutes les autres formes d'aide qui permettent de traduire cette vision en réalité concrète et quotidienne. C'est pourquoi je pense que les deux sont importants. C'est à ce niveau que se forment les changements et les interventions qui font une différence.
M. Born : C'est une réflexion merveilleuse. Vous parlez tellement du fond du coeur à ce sujet. C'est important pour vous.
J'ai eu le grand privilège de passer trois jours avec le sénateur Kirby dans le dossier de la santé mentale. Nous étions sept à avoir été invités pour aider son équipe dans sa réflexion et l'aider à faire la transition entre le discours d'une organisation et l'apparition d'un mouvement généralisé. Comment diffuser un message le plus largement possible? Comme quelqu'un l'a dit : « Qu'est-ce qui constitue la rampe accessible au fauteuil roulant dans le dossier de la santé mentale? » C'est merveilleux que l'on puisse opérer cette révolution dans notre pays dans le dossier de la santé mentale. On dirait que vous auriez besoin de tenir une session semblable. Ce fut magnifique.
À Brandon, au Manitoba, il y a un programme d'intervention précoce pour la santé mentale qui donne d'excellents résultats. Nous avons étudié cela de près et nous sommes demandés : « Comment généraliser l'expérience de Brandon? » C'était tout un défi. Il y a un réseau, une nouvelle organisation appelée Social Innovation Generation, qui compte déjà sept centres au Canada, dont les efforts sont fondés sur la notion voulant que l'on passe des idées aux actes et que l'on cherche à opérer des changements sur une vaste échelle.
Je vous conseille un livre dont vous trouverez peut-être la lecture émouvante. C'est intitulé Getting to Maybe : How the World Is Changed, par Frances Westley, Brenda Zimmerman et Michael Patton. Si vous êtes intéressés à tenir une session semblable, discutons-en. C'est une approche intéressante consistant à poser la question : « Comment lancer un mouvement de changement dans un pays? »
Le président : J'ai une question qui fait suite à celle du sénateur Keon, au sujet de la possibilité d'accords de développement urbain comme mécanisme pour la mise en place d'approches axées sur la dimension locale dans la lutte contre la pauvreté. J'en connais deux, l'un à Winnipeg et l'autre à Vancouver. Une chose me frappe : si un accord de développement urbain est correctement mené à bien, c'est une bonne occasion de rassembler tous les intervenants. On commence par les gens de la communauté et l'on examine quels sont leurs besoins. J'aime bien l'approche fondée sur la base, la démarche ascendante. Ensuite, on fait intervenir les gouvernements fédéral et provincial et les autorités municipales d'une région donnée, et l'on conçoit une entente qui établit les objectifs et fixe ce que chacune des parties devra faire pour les atteindre. On met en place un système de reddition de comptes et d'évaluation.
J'ignore combien d'accords de ce genre on pourrait conclure. Il pourrait y en avoir un grand nombre, surtout au niveau des gouvernements fédéral ou provinciaux. Nous en avons deux exemples et j'ai pris connaissance des modalités de ces accords. Ils ne sont peut-être pas parfaits, mais cela ne représentent-il pas une approche possible pour jeter des ponts et assurer une meilleure coordination de tous les intervenants? Que pensez-vous des accords de développement urbain?
Mme Torjman : Ils sont un magnifique exemple d'un instrument qui peut soutenir l'approche dont on parle, mettant l'accent sur la dimension locale. Des discussions sont en cours à Victoria, où l'on veut tenter d'utiliser un accord de développement urbain comme base pour mettre en oeuvre un plan encore plus complet.
Les communautés s'inspirent de ce modèle comme outil d'organisation. C'est une excellente manière d'obtenir de l'argent fédéral pour appuyer la planification globale sans stipuler que l'argent doit servir au logement ou à l'alphabétisation ou à la toxicomanie. C'est une façon d'appuyer un processus décisionnel et une capacité de résolution de problèmes, permettant ainsi aux communautés d'élaborer leur propre plan global et d'établir leurs propres priorités.
Dans le cas des accords de développement urbain, nous avons toujours dit qu'il est crucial que les gens qui sont la cible de l'intervention soient parties prenantes, qu'il s'agisse des personnes vivant dans la pauvreté, de Canadiens autochtones ou d'autres encore. Ce n'est pas difficile, mais il faut noter qu'il est important de veiller à ce que l'accord ne soit pas seulement un processus gouvernemental, mais bien un processus plus étendu et que les citoyens y soient parties prenantes. Sinon, c'est un excellent mécanisme pour établir une capacité générique de résolution de problèmes.
Mme Maxwell : Les accords de développement urbain sont très logiques dans les grandes villes. L'autre type de mécanisme de mise en oeuvre, qui est complémentaire pour les petites localités ou les communautés qui commencent seulement à déployer des efforts de réduction de la pauvreté, est un guichet unique au gouvernement fédéral où l'on pourrait regrouper toute l'expertise en matière de politiques axées sur la dimension locale et qui serait au service de tout ministère susceptible de participer à une initiative donnée, qu'il s'agisse de la SCHL ou des ministères de la Citoyenneté et de l'Immigration, des Ressources naturelles, de la Sécurité publique ou de la Justice.
Si je propose un guichet unique, c'est qu'il est très difficile pour chacun de ces ministères d'avoir une compréhension approfondie de cette problématique locale. Chacun sera beaucoup plus efficace dans la mise en oeuvre de ces programmes s'il peut commencer à travailler de concert avec la communauté. Chacun y trouvera matière à réflexion et pourra aussi y contribuer quand une communauté est lancée.
Le « guichet unique » est une expression galvaudée dans l'administration publique. Je n'y connais pas grand-chose, mais je sais que cela fait partie de ce qu'il faut faire pour mettre le gouvernement à la portée du citoyen. Service Canada a démontré qu'il était possible pour les ministères de tout canaliser par un seul bureau, mais les services fournis sont plutôt d'ordre instrumental ou mécanique, par opposition à de grandes politiques d'orientation locale destinées à opérer des changements. C'est une expertise différente. J'ignore si un guichet unique spécialisé dans les politiques et interventions mettant l'accent sur la dimension locale devrait se situer à Service Canada.
Je ne voudrais pas qu'il y ait un seul mécanisme de mise en oeuvre. Les accords de développement urbain ont leur place, mais ce sont des mécanismes de grande ampleur, très difficiles à négocier et très lourds, simplement parce qu'il y a tellement d'acteurs différents. Il y aurait peut-être beaucoup d'autres graines à semer dans l'intervalle et vous pourriez le faire grâce à un guichet unique.
M. Born : J'ai passé quatre jours, le mois dernier, avec les gens de l'Association des communautés du Yukon, qui comprend les maires, les directeurs généraux municipaux et les conseillers de diverses localités. Nous avons entendu divers dirigeants communautaires qui nous ont parlé des quatre niveaux de gouvernement au Yukon. Il y a là-bas un niveau de gouvernement particulier pour les Autochtones. Quelqu'un a dit : « Oui, mais combien y a-t-il de ministères? » C'était une question très révélatrice, parce que quand ils veulent que quelque chose se fasse, ils ne travaillent pas avec quatre niveaux de gouvernement, mais bien avec 40 ministères.
La grande question qui se pose à eux est de savoir pourquoi les ministères ne discutent jamais entre eux. C'est peut-être ce qu'on appelle le guichet unique. Ils veulent que ce soit facile. Nous savons qu'il y a de multiples niveaux de gouvernement et différentes compétences; plus rien n'est simple. Les dossiers concernent tellement de ministères. Quand nous voulons des programmes communautaires, nous ne pouvons pas demander des instruments simples, à palier unique ou intéressant un seul ministère. Les communautés sont des systèmes complexes et adaptatifs. Bâtir des communautés, c'est un peu comme élever des enfants. Ils ont leur propre vie, ils s'adaptent et changent. Si l'on élève un enfant avec succès, cela ne garantit nullement qu'on réussira à en faire autant avec un autre enfant. Ils sont tous différents.
Quand nous arrivons sur place, c'est tellement embrouillé. De petites localités de 850 habitants remettaient 400 ou 500 rapports par année. C'est bizarre. Comment peut-on même s'y retrouver dans un tel système?
Ce point est très important. Il existe des instruments. Les accords urbains sont un très bon point de départ. Nous pouvons passer au niveau suivant. Nous avons aussi la Stratégie pour les Autochtones vivant en milieu urbain, qui est un peu semblable. Nous avons des instruments de moindre envergure pour la prévention du crime. Différentes bureaucraties travaillent ensemble. Le programme Quartiers en essor était une autre tentative.
Ce sont là des éléments importants, mais c'est cette réflexion qui nous fera passer au niveau suivant. Nous avons actuellement des instruments très grossiers et il nous en faut de meilleurs.
J'espère que ce groupe-ci sera en mesure de faire aboutir la réflexion et de trouver le moyen de passer au niveau suivant d'instruments, ou même au niveau suivant de gouvernement. Comment induire le changement? C'est une évolution, pas seulement une nouvelle série de programmes et de priorités. C'est une manière différente de penser et de travailler.
Le président : Je vous remercie pour vos réponses. Nous aimerions opérer certaines réformes dans l'appareil gouvernemental. Chose certaine, des liens plus horizontaux seraient utiles. Cependant, s'il faut réformer le gouvernement avant de s'attaquer à la réduction de la pauvreté, c'est un très long détour.
Mme Torjman : Je voudrais renforcer l'argument que vous soulevez, pour ce qui est de fournir un soutien quelconque à ce processus décisionnel dans les communautés. Ce qui manque à l'heure actuelle, c'est un soutien généralisé. Il est essentiel de garder à l'esprit la question que vous avez posée et cela comblerait assurément une importante lacune dans les interventions locales. Je vous remercie d'avoir signalé cela.
Le sénateur Cordy : La semaine dernière, nous avons entendu un témoin représentant l'Organisation nationale de lutte contre la pauvreté. Il a dit quelque chose qui m'est resté. Il a dit que la pauvreté vole l'âme. Si nous pouvons nous pencher sur des approches communautaires et des solutions communautaires et amener les gens à participer activement, nous leur redonnons leur âme, nous leur donnons leur dignité. Les propos que j'ai entendus de votre part aujourd'hui tracent certainement la voie à suivre; nous ne devons pas avoir seulement des solutions imposées depuis le sommet.
J'ai été vraiment frappée par les observations sur l'utilisation des écoles. Cela nous ramène quasiment à l'ancien temps, quand l'école était le point de convergence de toute la communauté. Nous nous sommes éloignés de cette conception. J'ai été institutrice et je voyais cela en particulier chez les parents qui n'avaient pas de diplôme universitaire ou même d'études secondaires. L'école était pour eux un endroit intimidant où ils ne se sentaient pas toujours aussi à l'aise qu'un parent de classe moyenne quand ils venaient discuter d'une situation quelconque avec un enseignant ou avec le directeur.
L'utilisation des écoles comme carrefours ne se limiterait pas à l'utilisation des locaux : cela voudrait dire que l'école est un endroit où l'on se sent à l'aise, et les parents s'intéresseraient de près à l'éducation de leurs enfants et participeraient activement à la communauté qui utilise l'école. En fait, nos écoles sont des coquilles vides à partir de 17 heures et pendant toute la fin de semaine, surtout celles de Nouvelle-Écosse qui ont été construites par l'entreprise privée, parce que c'est difficile de les ouvrir les fins de semaine ou en soirée. C'est même difficile de tenir des ventes de charité à l'école, parce que le partenaire privé possède la cafétéria. Mais c'est une autre histoire.
Ma question fait suite à celle posée par les deux intervenants précédents. Tout se passe tout à fait au niveau local. Le gouvernement a tendance à être très rigide. Nous avons des règles fixes que personne ne peut transgresser. Vous avez évoqué la situation à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, où quelqu'un de la SCHL ne s'en est pas tenu strictement à ce que la SCHL est censée faire, mais a décidé de travailler en partenariat avec les communautés.
On a évoqué les accords de développement urbain et nous avons discuté ce matin de Service Canada. Vous avez dit qu'il vous faut des appuis pour amener les groupes à se rassembler. Que pouvons-nous faire d'autre, au palier fédéral? Nous ne pouvons pas faire des recommandations aux municipalités. Enfin, nous le pouvons, mais je ne suis pas certain qu'elles écouteraient. Cependant, nous pouvons faire des recommandations fédérales. Je crois vraiment que les solutions communautaires sont la voie à suivre, mais les communautés sont parfois très éloignées du gouvernement fédéral.
Mme Maxwell : L'idée qui vient à l'esprit quand vous exprimez cette préoccupation est qu'il y a des organisations comme Centraide et des fondations communautaires qui sont enracinées dans la communauté. Les gens qui en sont responsables voient ce qui se passe dans la communauté et où se situent les besoins. Il est possible pour le gouvernement fédéral de prendre des arrangements avec des mouvements pancanadiens comme Centraide ou des fondations communautaires, qui peuvent être des facilitateurs pour identifier les situations où un investissement de démarrage permettrait d'amorcer le dialogue et d'amener les gens à réfléchir au fait qu'ils ont des objectifs communs, ce qui est la première étape de la mobilisation de la communauté; de plus, cela leur donnerait le temps de faire intervenir des interlocuteurs de l'ensemble de la communauté et des quartiers les plus durement éprouvés.
Ce serait possible pour le gouvernement fédéral, en se servant de ces organisations pour jeter des ponts, d'adopter une approche très habilitante basée sur des politiques à dimension locale. Le gouvernement n'aurait pas à passer par un lourd exercice bureaucratique comportant l'étude de demandes et tout le reste, mais pourrait laisser Centraide ou le mouvement des fondations communautaires créer un mécanisme pour déléguer l'autorité afin de décider ensuite comment les fonds seraient répartis. Évidemment, Centraide ou la fondation communautaire devrait ensuite faire rapport sur l'utilisation des fonds et tout le reste, mais ces organismes sont beaucoup mieux placés pour faire ce genre de rapports et pour évaluer les résultats que les organisations émergentes qui seront les agents du changement dans la communauté.
Mme Torjman : Comme nous le disions, il y a beaucoup d'intérêt et d'activités en cours partout dans le pays. Souvent, tout cela fonctionne à même un budget très restreint parce que les gens s'efforcent de trouver des ressources pour acquérir une capacité décisionnelle et de résolution de problèmes. Nous n'avons pas à proprement parler de programme qui finance des organismes qui font ce genre d'activité. C'est un phénomène nouveau.
Fournir un soutien pour l'acquisition de cette capacité serait très utile, mais nous avons déjà établi, par exemple, l'initiative Vibrant Communities dans laquelle 15 villes d'un bout à l'autre du pays joignent leurs forces et ont fait beaucoup de travail pour établir des mécanismes de reddition de comptes très poussés comportant des composantes de rapport et d'apprentissage. Beaucoup d'autres villes veulent se joindre au mouvement et il y a une capacité limitée quant au soutien de telles activités dans le secteur bénévole.
Il pourrait être possible de trouver de très bons exemples d'une telle démarche et de fournir un soutien additionnel pour permettre aux communautés qui le souhaitent de s'y joindre. M. Born pourrait probablement en parler, mais je sais qu'il y a un potentiel et que l'on pourrait étendre le programme Vibrant Communities à la grandeur du pays, dans chaque région métropolitaine de recensement, les RMR. C'est donc une possibilité, de bâtir à même les approches existantes et d'explorer les nouvelles approches dont Judith Maxwell a parlé.
Par ailleurs, on pourrait fournir un soutien technique et de l'aide à l'apprentissage. Cela veut dire jeter un coup d'oeil sur certains résultats intéressants obtenus un peu partout au Canada et demander ensuite à quelqu'un d'aller implanter un programme semblable ailleurs et d'aider les citoyens de l'endroit à le faire. Nous créons des innovations fantastiques et nous n'arrivons pas à les généraliser pour que d'autres communautés puissent en profiter.
Je vais vous donner un exemple. À Edmonton, on a constaté que les gens ne remplissaient pas les déclarations d'impôt et n'obtenaient donc pas beaucoup d'avantages fiscaux auxquels ils avaient droit. Pour les ménages à faible revenu, cela représente parfois des centaines ou des milliers de dollars, à cause de la prestation fiscale pour enfants et d'autres avantages fédéraux et provinciaux acheminés par le biais du régime fiscal. N'ayant aucun revenu imposable, les gens ne s'imaginaient pas qu'ils devaient remplir une déclaration d'impôt. Un groupe a donc travaillé de concert avec l'Agence du revenu du Canada pour mettre au point une méthodologie afin de s'assurer que chaque ménage à faible revenu de cette communauté remplisse une déclaration d'impôt et ait ainsi accès aux prestations prenant la forme d'avantages fiscaux fédéraux et provinciaux.
C'est un magnifique exemple que nous pourrions facilement implanter partout au Canada si nous avions les ressources permettant de financer un poste — j'appellerais ça une aide technique —, enfin quelqu'un qui aiderait à répandre cette innovation.
Il y en a beaucoup d'autres exemples dans la région de Waterloo, où l'on travaille avec des personnes âgées et de nouveaux Canadiens, en particulier, qui ignoraient qu'ils devaient remplir une déclaration pour avoir accès au Supplément de revenu garanti qui ne pensaient même pas y avoir droit. Le groupe de Waterloo a mis au point une approche, de concert avec le gouvernement fédéral, pour aider à cet égard. Nous avons littéralement des centaines de magnifiques exemples d'interventions qui font une différence incroyable dans la vie des gens, mais nous avons pourtant très peu de capacités pour ce qui est de systématiser tout cela pour que tout le monde en profite.
M. Born : C'est une question intéressante. Ces deux réponses sont vraiment importantes. Je voudrais maintenant ramener cela au niveau de la base et voir la problématique à travers le prisme de la pauvreté.
Le gouvernement fédéral ne reconnaît pas les programmes locaux de réduction de la pauvreté. Les employés ne sont pas récompensés, on ne leur donne pas les pouvoirs voulus pour améliorer leur sort. Je ne dis pas que nous devrions démanteler tout le système tel qu'il est organisé actuellement; je dis qu'il faut reconnaître très catégoriquement que la dimension locale est importante et que la pauvreté est différente dans chaque communauté, partout au Canada. Nous devons le reconnaître. La dimension locale est importante. C'est le point de départ; il faut d'abord reconnaître que c'est important.
Dans tout votre gouvernement, avec tous vos employés, aussi bien que dans les communautés elles-mêmes, cette reconnaissance donnera un nouvel élan. Je pense que c'est le point de départ. Votre comité peut faire une différence à cet égard.
Deuxièmement, nous devons réfléchir à la manière de mettre à profit le plus grand atout du gouvernement du Canada, à savoir ses employés. Comment pouvons-nous les libérer de leurs entraves? Quand j'étais une jeune personne naïve sortant tout juste du séminaire et que je me suis rendu compte que ce n'était pas ma vocation, j'ai été accueilli à bras ouverts par deux personnes de la Direction générale du développement de l'emploi. Ces personnes étaient profondément enracinées dans leur communauté et, d'une manière ou d'une autre, elles se sont arrangées, quasiment par magie, pour faire fructifier de petits budgets qui étaient prévus pour autre chose, tout en respectant toujours les règles, faisant éclore des projets dans les communautés. Leur rôle était celui de médiateurs entre les programmes gouvernementaux et les besoins communautaires. Nous avons perdu la plupart de ces gens-là et, parmi les rares employés du développement de l'emploi qui restent encore et qui se battent, beaucoup sont mes amis et ils ont la vie dure.
Comment retrouver cette énergie dans notre fonction publique? Nous avons l'une des meilleures fonctions publiques au monde. Partout où je vais, je suis toujours subjugué par l'étendue du talent et de l'engagement que nous avons dans nos communautés. Comment libérer l'énergie de ces gens-là? Comment leur donner les instruments leur permettant de faire ce qu'ils doivent faire? Comment bâtir la capacité à ce niveau? Nous avons maintenant un petit groupe que Mme Torjman et moi-même avons aidé. Ils se qualifient eux-mêmes de « famille fédérale ». C'est un tout petit service à Ressources humaines et Développement social Canada qui s'efforce de rassembler tous les ministères ici à Ottawa pour tenir des ateliers mensuels où l'on enseigne l'horizontalité, soit les différentes manières permettant l'épanouissement du travail local et communautaire. J'aimerais beaucoup vous les présenter, parce qu'ils vivent au quotidien ce dont vous parlez et qu'ils participent activement à cette conversation à la grandeur de la société.
Pour ce qui est de la réduction de la pauvreté, je demanderais à devenir partenaire de ce qui se fait déjà. Ce n'est pas quelque chose que vous allez déclencher. Cela arrive déjà. Nous avons tellement de demandes de la part de communautés qui veulent devenir membres de Vibrant Communities. Nous ne sommes pas un mouvement; ce n'est pas notre rôle. Nous voulons apprendre et aider les gens à apprendre; à mesure qu'ils apprennent, ils se mettent à la tâche; et ils répètent ce geste partout, dans toutes les communautés d'un bout à l'autre de notre pays.
Le meilleur moyen de devenir partenaire, c'est de libérer votre plus grande force, vos employés, de les amener à devenir des bénévoles dans ces initiatives. Amenez-les sur place. Déménagez vos analystes des politiques d'Ottawa jusque dans les communautés et ramenez-les ensuite à Ottawa pour élaborer les politiques.
C'était mon plan en trois points.
Le sénateur Cordy : Cela me plaît énormément et je suis d'accord pour dire que nous avons une fonction publique talentueuse et instruite. J'adore l'expression « Libérez vos employés de leurs entraves ». Je fais partie d'un comité qui étudie le vieillissement. Nous avons voyagé dans la région de l'Atlantique et nous étions la semaine dernière en Ontario pour discuter des besoins des personnes âgées au Canada. Je pense que de libérer nos employés de leurs entraves aiderait beaucoup à répondre à ces besoins.
Madame Maxwell, vous avez dit qu'il y avait des trous dans notre filet de sécurité et vous avez mentionné expressément l'assurance-emploi. J'ai entendu des personnes âgées nous dire, au sujet du Régime de pensions du Canada et du SRG, que les gens ne savent pas nécessairement à quoi ils ont droit. Vous avez mentionné une région où les gens ont uni leurs forces et on nous a parlé la semaine dernière de la région de Niagara où un groupe de personnes âgées bénévoles répand la bonne nouvelle auprès des personnes âgées. Je trouve renversant le nombre de personnes âgées qui ne reçoivent pas le RPC, parce qu'on s'attendrait à ce quiconque a déjà travaillé sache qu'il est admissible. Nous avons entendu un monsieur dont la femme est morte quand les enfants étaient jeunes et il ne se rendait pas compte qu'il avait droit au RPC parce qu'elle était morte et il ne savait pas non plus que les enfants y avaient droit. Ils l'ont découvert quand les enfants sont devenus adultes. Le gouvernement fédéral a une période de rétroactivité de 11 mois et il a donc reçu un paiement rétroactif sur 11 mois. Au Québec, on constate que près de 100 p. 100 des gens admissibles au RPC touchent effectivement des prestations et le Québec a une clause de rétroactivité de cinq ans; il vaut donc la peine pour le gouvernement de s'assurer que les gens reçoivent leurs prestations, afin d'éliminer les paiements de rétroactivité sur cinq ans.
Le RPC et l'AE relèvent exclusivement des autorités fédérales. Que faisons-nous pour boucher les trous qui existent? Je crois que ce qui se fait de mieux, ce sont les personnes âgées de la région de Niagara qui vont discuter avec d'autres personnes âgées. Est-ce le seul moyen de s'y prendre? On se bute au problème de l'alphabétisation. Les gens ne reçoivent plus leur chèque par la poste, mais si l'on envoie des renseignements écrits, beaucoup de gens ne peuvent pas les lire. Que faisons-nous pour boucher les trous?
Mme Maxwell : Je voudrais vous parler de l'assurance-emploi, qui pose un problème différent. Les règles ont été écrites pour que les gens ne soient pas admissibles.
Le sénateur Cordy : Vous avez raison.
Mme Maxwell : Les règles ont été rédigées de telle manière que des citadins, qui travaillent une bonne partie de l'année, n'ont pas accumulé assez d'heures de travail pour avoir droit aux prestations, peut-être parce qu'ils travaillent à leur propre compte ou bien parce qu'ils passent d'un emploi à l'autre et travaillent de façon intermittente.
C'est beaucoup plus difficile de devenir admissible en ville que dans les régions rurales, à cause de la manière dont les règles sont écrites. Pourtant, nous savons qu'une très forte proportion de la pauvreté et de la misère est concentrée dans les villes. Nous savons aussi que beaucoup de pauvres sont des travailleurs pauvres. Les règles sont rédigées de cette manière parce que le gouvernement voulait économiser de l'argent; et il a réussi.
Cependant, cela veut dire qu'il y a des femmes qui ont des bébés mais qui n'ont pas droit au congé parental parce qu'elles n'ont pas travaillé suffisamment d'heures pour être admissibles. Cela veut dire que nous n'avons pas fait travailler notre imagination pour trouver une protection convenable pour les gens qui travaillent à leur compte. Nous devons repenser l'assurance-emploi et la remanier en profondeur, à mon avis, pour s'assurer que cette protection sociale de base soit vraiment accessible pour les gens qui en ont le plus grand besoin.
Mme Torjman : Il est clair que les gouvernements ont un rôle à jouer pour faire en sorte que les Canadiens sachent à quelles prestations ils ont droit. C'est difficile quand on a une population diversifiée, quand des gens parlent des langues autres que l'anglais et le français, alors que les documents sont publiés dans deux langues seulement, et quand il y a un taux élevé d'analphabétisme.
C'est là qu'entrent en jeu les interventions communautaires et locales. C'est dans les communautés que les gens peuvent identifier les personnes, les Canadiens qui n'ont pas accès aux prestations auxquelles ils ont droit et qui peuvent les aider à interpréter et à utiliser à leur profit les initiatives qui existent déjà.
Par exemple, si vous aidez les personnes âgées à obtenir le Supplément de revenu garanti, il suffirait d'un petit effort supplémentaire pour ajouter des renseignements ou de l'aide relativement au Régime de pensions du Canada ou pour remplir une déclaration d'impôt. Nous commençons à mettre au point une méthodologie dans les communautés et nous pouvons bâtir à partir de cela. Ce serait utile d'avoir un soutien pour ce travail, comme je l'ai dit, parce qu'il faut des interprètes et il faut travailler avec les gens individuellement.
Souvent, il ne s'agit pas seulement de donner de l'information. Bien des gens ont peur de remplir ces déclarations. Ils s'inquiètent des conséquences. Ils sont déjà intégrés à un système et s'inquiètent de savoir quels autres renseignements ils doivent fournir ou se demandent ce que les autorités vont apprendre à leur sujet. Cela exige du travail et les outils sont en place; il suffit d'un coup de pouce.
M. Born : Si nous avions des communautés meilleures et plus compatissantes, nous aurions moins besoin de ces programmes. Investissons dans les communautés si nous voulons vraiment économiser.
Le sénateur Cordy : Partout où nous allions la semaine dernière et au début de cette semaine, on nous parlait des ententes fédérales-provinciales sur le logement qui arrivent à échéance, en particulier pour les personnes âgées, mais aussi dans d'autres créneaux. Entendez-vous cette clameur? Cela inquiète beaucoup les personnes âgées que nous avons rencontrées.
Mme Torjman : Nous entendons cela non seulement de la part des personnes âgées, mais aussi des communautés d'un bout à l'autre du pays qui s'inquiètent beaucoup au sujet du financement du logement social. C'est un domaine où il faut beaucoup investir. C'est en partie une question de conception et d'expertise, mais c'est là qu'il faut mettre de l'argent sur la table. Qu'il s'agisse de concevoir ou de construire de nouveaux logements ou de verser des aides au loyer, enfin quel que soit le type d'intervention, il faut toujours fournir un soutien suffisant.
Nous avons entendu cet argument d'un bout à l'autre du pays et c'est une inquiétude légitime. Nous voulions le signaler ici et je suis contente que d'autres vous en aient parlé.
Le sénateur Cordy : Ils nous ont dit que l'on n'a même pas commencé à discuter de la teneur de la nouvelle entente. Les provinces et le gouvernement fédéral n'ont pas encore amorcé la discussion et les gens s'inquiètent donc à l'approche de l'échéance.
Mme Torjman : C'est très inquiétant.
Le président : C'est une bonne observation, parce qu'il faut du temps pour mettre au point ces programmes. Celui-ci prend fin très bientôt, à la fin de l'année financière.
J'ai une question qui fait suite à celle qu'on a posée tout à l'heure au sujet des accords de développement urbain, et je vais la poser à M. Born.
En quoi ce modèle de Vibrant Communities diffère-t-il des accords de développement urbain dont on a parlé? Si nous mettions en oeuvre des accords de développement urbain, quelles leçons tirées de Vibrant Communities pourraient être appliquées avec profit?
La question que je pose à vous trois est celle-ci : Qu'est-ce qui se fait ailleurs, dans d'autres pays, en matière d'interventions locales? Y a-t-il des modèles particulièrement bons et pertinents dont nous pourrions nous inspirer?
M. Born : Nous avons appris beaucoup de choses quant à la manière dont cela pourrait fonctionner à l'échelle nationale et sur l'infrastructure qui serait nécessaire.
Quand nous avons commencé à travailler à Vibrant Communities, nous avions trois partenaires nationaux ou pancanadiens. Le Caledon Institute of Social Policy poursuivait une réflexion continue sur les politiques locales, provinciales et fédérales. Il poursuivait cet apprentissage, de concert avec les communautés, sur les changements qu'il fallait apporter. C'était très intéressant. En un sens, l'institut faisait en continu de l'animation et aidait les communautés à comprendre comment le gouvernement devait agir différemment à tous les niveaux. En fait, l'un des grands succès de Vibrant Communities est notre capacité de travailler avec les gouvernements pour changer les politiques, que ce soit pour le salaire vital ou le transport. C'est intéressant.
Il y a dans toute entente un élément de politiques qui engage en profondeur les agents de changement dans les communautés et transmet le message dans l'ensemble du système, aidant ainsi les communautés à contribuer à l'élaboration des politiques.
Deuxièmement, nous avions la J.W. McConnell Family Foundation, qui est la plus grande fondation privée du Canada, et Tim Brodhead, le directeur général, ainsi que Katharine Pearson font directement partie de l'équipe de direction. Ils étaient la principale source de financement de Vibrant Communities. Ils jouaient donc le rôle de financier, mais comme on vous le dit ici même, ce n'est pas seulement le financement.
Dans ce rôle d'agent de financement, nous avons rapidement acquis la conviction que pour que cela fonctionne, nous devions verser un financement égal à celui qui serait fourni localement. C'est un point intéressant. Nous ne permettions pas que le budget vienne exclusivement du gouvernement. Nous voulions un processus d'engagement. L'argent venant du niveau local était la preuve qu'il y avait une adhésion généralisée dans le secteur privé, au gouvernement et au niveau des citoyens à l'égard de cette initiative. Nous voulions voir l'argent sur la table. Nous versions alors un montant égal, au lieu de percevoir le tout comme une expédition subventionnaire. Cela nous a permis de mettre en place beaucoup moins de contrôles monétaires, parce que les gens devaient d'abord arriver avec leur propre argent. Nous avons toujours su que si l'argent était contrôlé au niveau local et si des investisseurs locaux étaient parties prenantes, ils s'occuperaient de l'investissement beaucoup mieux que nous ne pourrions jamais le faire.
Troisièmement, le rôle de l'Institut Tamarack était de travailler au renforcement de la capacité, de créer continuellement un environnement d'apprentissage et de bâtir la capacité au niveau local pour aller raconter partout ce qui se passe à Hamilton, à Victoria, à Saint John, à Terre-Neuve. Dans plusieurs domaines, comme celui du salaire vital, nous faisons des vagues. Une municipalité s'est mise à la tâche et a compris comment apporter un changement. D'autres municipalités s'y intéressent et apprennent rapidement au contact de la première et commencent à refaire l'exercice. Il faut favoriser ce type d'apprentissage qui est très important et qui crée cet environnement habilitant.
L'instrument, c'est une chose, mais nous devons aborder la problématique sous plusieurs angles. Nous devons travailler au niveau des politiques, du financement et de la capacité, mais rien de tout cela n'est statique. C'est une infrastructure qui se met en place à l'intérieur de ce type d'entente urbaine.
Est-ce que je me fais comprendre?
Le président : Oui. Je voudrais entendre notre autre témoin au sujet de l'expérience internationale.
Mme Torjman : Nous avons beaucoup appris du Royaume-Uni, où il y a des initiatives de revitalisation des quartiers et de grandes stratégies antipauvreté. Les Britanniques ont obtenu des résultats importants, certains positifs et d'autres moins. Nous avons essayé de tirer des leçons de leur expérience.
Il est intéressant de signaler que la stratégie de revitalisation des quartiers est venue du bureau du vice-premier ministre. Le gouvernement assurait la coordination à ce niveau. Les divers ministères gouvernementaux — l'éducation, la santé, les transports, et cetera. — étaient coordonnés à un niveau élevé pour que les ministères sachent qu'ils devaient absolument travailler ensemble. On a investi des montants considérables dans les communautés pour leur permettre d'élaborer des plans locaux.
Nous avons beaucoup appris non seulement de cette expérience, mais aussi des États-Unis. Toute la notion de l'initiative communautaire globale, qui est une sorte de terme générique, est venue des États-Unis et est fondée en grande partie sur le travail que les Américains ont fait dans le dossier de l'emploi et pour ce qui est de conjuguer les efforts des entreprises, du secteur bénévole et des collèges communautaires dans certains domaines précis comme les zones d'habilitation, afin de comprendre comment revitaliser l'économie. Nous avons beaucoup appris à leur contact.
Il se fait du travail intéressant ailleurs dans le monde, par exemple en Nouvelle-Zélande. Eux aussi ont beaucoup appris en étudiant ce qui se faisait au Canada. Dans une certaine mesure, et grâce au travail fait par Paul Born, Tamarack et d'autres, notre travail est considéré à l'étranger comme l'avant-garde. Cela nous stimule et nous partageons continuellement nos acquis avec d'autres afin d'améliorer notre pratique et la leur.
Mme Maxwell : Il y a quelques années, M. Neil Bradford, l'un de nos collaborateurs aux Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques, a fait une série d'études de cas sur des communautés et des villes qui fonctionnent bien. Il a pris cinq communautés au Canada et six aux États-Unis et en Europe. Pour revenir à cette notion évoquée tout à l'heure par M. Born, quand il parlait de lancer un mouvement, c'était intéressant de constater qu'il y avait un thème commun dans ces 11 études de cas, à savoir la manière dont une ville ou une petite communauté pouvait se mettre en mode changement et prendre en main sa propre destinée, pour ainsi dire. Les changements étaient dictés par une problématique sociale, économique, ou environnementale, selon les cas. Mais si l'on examine la structure, la manière dont les gens s'organisaient pour provoquer le changement, on constate des ingrédients communs.
Il y avait toujours un champion local, qui pouvait venir de n'importe quel secteur, mais une personne dotée de charisme et d'entregent et bien branchée, capable de rassembler les gens et de les amener à créer le processus de dialogue et d'engagement dont nous parlions tout à l'heure. Cette personne devait puiser dans une culture civique de créativité marquée par le désir de changement. Les gens étaient écoeurés de la situation présente et voulaient un avenir différent.
Ils ont suscité l'engagement de toute la communauté. Ils ont obtenu l'adhésion des gens d'affaires, des groupes de quartiers, du gouvernement local, de la police, de l'école, des services de santé et d'autres institutions clés, dans l'ensemble de la communauté, des gens qui pour la plupart n'avaient aucune expérience préalable en la matière, et qui ont appris à travailler ensemble. Ils ont constaté, en planchant sur un but très précis, qu'ils avaient tous intérêt à atteindre ce but pour contribuer à l'atteinte de leurs grands objectifs stratégiques.
Ensuite, il leur fallait établir des connexions avec ce que Neil Bradford appelait les intermédiaires institutionnels. Dans bien des cas, ce sont les agences de développement fédéral ou provincial-régional ou Exportation et développement Canada ou encore d'autres institutions ou agences créées par les gouvernements dans un domaine particulier. Ces organismes devenaient alors des alliés essentiels parce qu'ils pouvaient aider à amasser des fonds ou fournir de l'argent ou bien parce qu'ils possédaient ou contrôlaient des terrains ou étaient en mesure d'abattre les obstacles qui s'opposaient au changement.
Ensuite, il leur fallait s'entendre sur un objectif unique et un programme pour aller de l'avant en tablant sur tous ces liens qu'ils avaient établis. La grille prenait la forme du signe plus, parce qu'il y avait une interaction horizontale, dans l'ensemble de la communauté, et verticale, avec les paliers supérieurs de gouvernement, l'administration locale et les nombreuses agences associées.
Cela fonctionnait le plus efficacement là où l'on trouvait les éléments traditionnels de la bonne gestion, comme des mécanismes de reddition de comptes, la possibilité de mesurer le progrès et la volonté de continuer à communiquer efficacement avec tous les intervenants. Ce qui m'a frappée, c'est que partout, que ce soit dans une ville en Espagne, une région rurale au Danemark ou encore à Kelowna, on trouvait les mêmes éléments dans la manière dont le tout avait pris naissance.
L'élément clé, du point de vue du gouvernement fédéral, c'est que les agences doivent être prêtes à répondre quand l'un de ces mouvements frappe à la porte et demande de l'aide. Cela devient un processus déclenché par la demande, ce n'est pas le gouvernement qui décrète ce qui doit se faire. Le gouvernement devient plutôt un partenaire à l'écoute.
M. Born : Avons-nous le droit de lire de la poésie ici?
Le président : Absolument, pourvu que ce soit bref.
M. Born : C'est court et cela résume bien ce qu'on a dit ici.
C'est intitulé « L'entraide », par Margaret Wheatley, l'un des grands auteurs du milieu des affaires. Je cite :
Demandez « Qu'est-ce qui est possible? », et non pas « Qu'est-ce qui ne va pas? ».
Posez continuellement la même question.
Ciblez bien ce dont vous vous souciez. Supposez que beaucoup d'autres partagent vos rêves.
Ayez le courage d'entamer une conversation qui compte.
Parlez aux gens que vous connaissez.
Parlez aux gens que vous ne connaissez pas.
Parlez aux gens à qui vous ne parlez jamais.
Soyez intrigué par les différences que vous entendez.
Attendez-vous à être surpris.
Accordez plus d'importance à la curiosité qu'à la certitude.
Invitez tous ceux que cela intéresse à travailler à réaliser ce qui est possible.
Soyez conscient que chacun est expert en quelque chose.
Sachez que les solutions novatrices viennent de connexions nouvelles.
Rappelez-vous : vous n'avez pas peur des gens dont vous connaissez l'histoire.
Une véritable écoute rapproche toujours les gens.
Ayez confiance : des conversations véritables vont changer votre monde.
Fiez-vous à la bonté humaine. Serrez-vous les coudes.
Rien n'est plus puissant qu'une communauté qui découvre ce qui lui tient à coeur.
Le président : Sur cette note charmante, nous arrivons à la fin de notre séance. Je remercie les trois témoins d'être venus nous rencontrer aujourd'hui et d'avoir apporté une précieuse contribution à notre processus.
La séance est levée.