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Sous-comité sur les villes

 

Délibérations du Sous-comité sur les villes

Fascicule 3 - Témoignages du 4 juin 2008


OTTAWA, le mercredi 4 juin 2008

Le Sous-comité sur les villes du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 heures pour étudier les questions d'actualité des grandes villes canadiennes.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue au sous-comité sur les grandes villes du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Aujourd'hui, nous allons continuer notre étude sur les questions d'actualité des grandes villes canadiennes, les femmes et la pauvreté.

[Traduction]

Notre sous-comité s'appuie sur une grande partie des travaux déjà réalisés par le Sénat sur la question de la pauvreté. Par exemple, en 1971, il y a eu le rapport du sénateur David Croll. Puis, en 1997, c'est le sénateur Erminie Joy Cohen qui a publié son rapport intitulé La pauvreté au Canada, le point critique.

À l'heure où nous effectuons cette étude, le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se penche sur la pauvreté rurale. Le sénateur Keon, membre de notre comité, préside le Sous-comité sur la santé de la population qui examine les déterminants de la santé ainsi que la question de la pauvreté. Nous espérons ainsi réaliser la synthèse de toutes les facettes de ces différentes questions.

Comme nous avons déjà tenu plusieurs audiences, nous envisageons de déposer un document sur les options proposées d'ici quelques semaines, afin de l'examiner dans le courant de l'été. Nous tiendrons des audiences en différents lieux partout au Canada, notamment à Vancouver, à Montréal, à Toronto, à Halifax, à St. John's, à Winnipeg et j'en oublie.

Nous accueillons aujourd'hui quatre témoins que nous allons inviter à faire partager leurs déclarations liminaires durant cinq à sept minutes. Je vais vous les présenter.

[Français]

Nancy Burrows est coordonnatrice de la Fédération des femmes du Québec, une organisation féministe indépendante. La fédération s'investit activement dans la lutte contre la violence et la discrimination à l'égard des femmes et contre la pauvreté dont elles sont victimes.

[Traduction]

Nous avons ensuite Fran Klodawsky, professeure au département de géographie et d'études environnementales de l'Université Carleton. Mme Klodawsky a effectué des recherches et publié sur la question des besoins des familles monoparentales en matière de logement. Plus récemment, elle a poussé ses recherches selon deux grands axes : d'abord, les initiatives adoptées par les municipalités en vue de promouvoir l'égalité et l'inclusion des femmes, surtout en matière de sécurité et de services municipaux; deuxièmement, l'importance des logements abordables et les dilemmes que soulève ce problème, notamment pour ce qui est de l'itinérance causée par l'absence de tels logements, cela sous l'angle des communautés interurbaines, au Canada et à l'étranger.

De l'École des études canadiennes, nous accueillons Marika Morris, qui est consultante en recherche et en communications stratégiques et qui a beaucoup publié sur la question des femmes, la pauvreté, la santé et la politique sociale. Elle enseigne également deux cours d'études canadiennes à l'Université Carleton. Elle a été coordinatrice de la recherche à l'Institut canadien de recherche pour l'avancement de la femme, durant cinq ans, et à cette occasion, elle a été chercheuse principale et a signé deux grandes études nationales; la première intitulée Integrating the voices of low- income women into policy discussions on the Canada Social Transfer, First Nations women in Vancouver and immigrant and refugee women in Calgary, et la seconde qui concerne les femmes handicapées. Cette étude a été réalisée à Winnipeg.

Enfin, nous conclurons par Claire Young, vice-doyenne principale, Affaires académiques, et professeure à la Faculté de droit de l'Université de la Colombie-Britannique. Mme Young a signé plusieurs ouvrages et articles sur les lois et les politiques fiscales. Dans sa dernière recherche, elle s'est intéressée aux liens entre les lois fiscales et les femmes, principalement à l'application de la théorie des dépenses fiscales en tant qu'outil d'analyse fondamentale. Mme Young a étudié la façon dont les dépenses fiscales servent à alimenter les programmes sociaux et dans quelle mesure de telles dispositions sont appliquées aux femmes. Dans son travail de recherche, elle s'est penchée sur les dispositions fiscales concernant les enfants, les personnes dépendantes, les épargnes-retraites, les personnes handicapées et celles qui s'en occupent, de même que la notion de projet budgétaire adapté aux femmes.

Bienvenue à vous quatre. Vous représentez un formidable bagage de connaissances sur tout ce sujet.

[Français]

Nancy Burrows, coordonnatrice, Fédération des femmes du Québec : Monsieur le président, je vous remercie de l'invitation. C'est un plaisir d'être ici. Je vais faire un survol des enjeux majeurs concernant les femmes et la pauvreté de façon plus générale. En terminant, je parlerai de quelques-unes des revendications au sujet des femmes et de la pauvreté.

La pauvreté a un sexe. Les filles et les femmes possèdent moins de 1 p. 100 des richesses de la planète et elles fournissent 70 p. 100 des heures travaillées et ne reçoivent que 10p. 100 des revenus. Les femmes sont plus pauvres que les hommes à cause du type d'emploi qu'elles occupent; elles occupent 70 p. 100 des emplois à temps partiel, la majorité des emplois atypiques et elles sont moins syndiquées que les hommes.

Les femmes sont plus pauvres parce qu'elles effectuent une plus grande part du travail non rémunéré. La notion du travail continue trop souvent de référer uniquement au travail salarié et d'exclure le travail domestique ou celui du soin des enfants ou des proches dépendants ainsi que toute autre activité bénévole de services à la communauté. Donc, le travail est non reconnu et est gratuit. Par exemple, les femmes constituent 80 p. 100 des proches aidantes.

Les femmes sont plus pauvres que les hommes à cause des secteurs d'activité dans lesquels elles travaillent, entre autres, à cause de la socialisation et de l'éducation sexiste que nous recevons, les femmes ont plus tendance à choisir leur carrière en fonction du service rendu aux autres.

C'est pour cela que les femmes se retrouvent majoritairement dans les domaines de la santé, des services sociaux et de vente, qui sont à la fois des domaines où les femmes sont moins bien payées et les domaines les plus à être touchés par la privatisation.

Dans les dix emplois où les femmes sont les plus présentes, on retrouve en première place les secrétaires, les vendeuses dans la vente au détail et les caissières pour donner un exemple de l'emploi au féminin.

Les femmes deviennent plus pauvres lorsqu'elles ont des enfants et le taux de faible revenu des familles monoparentales dirigées par une femme était de 52 p. 100 comparativement à 11,6 p. 100 pour des familles biparentales.

Les femmes âgées sont très nombreuses à vivre en situation de pauvreté et plusieurs vivent sous le seuil de la pauvreté. Elles ont une capacité moindre de contribuer à la Régie de rentes du Québec parce qu'elles ont quitté le marché de l'emploi, à un certain moment, pour s'occuper des enfants. Elles ont moins d'années sur le marché du travail et elles ont eu des salaires inférieurs. Tout cela se traduit par des revenus inférieurs lorsqu'elles sont âgées.

Nous vivons une crise du logement au Québec et à plusieurs endroits au Canada et ceci se répercute particulièrement sur les femmes. Les femmes monoparentales sont 19,6 p. 100 à consacrer plus de la moitié de leur revenu au loyer. Au Québec, plus de 58 250 familles consacraient plus de 80 p. 100 de leur revenu pour se loger.

Évidemment, il y a toute la question de l'itinérance des femmes. Certaines de mes collègues vont en parler plus en détails.

Si les femmes en général vivent encore de multiples discriminations, certaines en vivent plus que d'autres. C'est notamment le cas des femmes des groupes ethnoculturels ostracisés incluant les femmes migrantes et immigrantes. Entre autres, si on parle de la question des femmes et l'immigration, dans le domaine de l'intégration à l'emploi, le constat est évident. Le taux de chômage est beaucoup plus élevé pour les femmes immigrantes que pour les hommes immigrants et le taux de chômage est plus élevé pour les immigrants que pour la population non immigrante.

L'impact de la non-reconnaissance des diplômes et des compétences acquises à l'étranger sur l'autonomie économique des femmes immigrantes est désastreux. La situation est très difficile pour les femmes autochtones. Elles sont plus souvent mères monoparentales que les femmes non autochtones et elles sont deux fois plus susceptibles d'être mères avant l'âge de 25 ans.

Des études récentes démontrent que la question de l'itinérance en milieu urbain chez les femmes autochtones est particulièrement en hausse ces dernières années.

Il y a aussi un problème de la fiscalité et de la répartition des richesses au Canada. La richesse est mal définie et sa production est mal calculée. Selon Statistique Canada, en 1999, la moitié la plus fortunée de la population canadienne, donc 50 p. 100, possédait 94 p. 100 de la richesse personnelle alors que l'autre moitié se contentait du 6 p. 100 restant. Ce sont des chiffres de Statistique Canada. Le système actuel a pour effet d'accroître les écarts entre les riches et les pauvres et entre les hommes et les femmes.

Il est inadmissible que le développement humain dans un pays riche comme le Canada soit en régression. Le gouvernement canadien a été blâmé dans les dernières années par le PNUD et par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU pour le manque de respect à l'égard de plusieurs droits économiques et sociaux : le droit à un niveau de vie suffisant, le droit au logement, à l'éducation, à des conditions de travail justes et favorables, l'accès à la justice et les droits syndicaux. C'était le rapport du comité de l'ONU.

Le rapport du Programme des Nations Unies indique que l'exclusion sociale, le chômage de longue durée, la détérioration des conditions de vie et l'analphabétisme fonctionnel au Canada sont plus présents que dans la majorité des pays industrialisés. La pauvreté, il faut le dire, n'est pas une question économique. Fondamentalement, c'est un déni de droit.

En terminant, je vais vous donner quelques exemples de solution à la pauvreté. Le mouvement féministe travaille depuis des années à mettre sur pied différentes campagnes et revendications. Actuellement au Québec, nous avons une campagne qui s'appelle Sortir de la pauvreté : un choix de société. Cette campagne est menée par la Marche mondiale des femmes au Québec, qui fait partie d'un réseau mondial. On a tenu d'ailleurs à Québec une action en fin de semaine autour du Parlement.

Les revendications prioritaires de cette campagne sont le salaire minimum. Il est inexcusable de travailler 40 heures par semaine et vivre en dessous du seuil de la pauvreté déterminé pas Statistique Canada. Il faudrait augmenter au Québec le salaire minimum à 10,43 $ de l'heure, actuellement il est de 8,50 $ l'heure, pour avoir un revenu annuel équivalent au seuil du faible revenu. J'ai rencontré récemment une femme afghane, qui est au Québec depuis 12 ans, mère monoparentale de six enfants et elle travaille à 8,50 $ de l'heure. Elle a une famille à loger et à nourrir. C'est un exemple de situations inacceptables au Canada.

Une autre revendication est l'indexation des prestations d'aide sociale et la gratuité des médicaments pour toutes les personnes dont les revenus sont inférieurs à 12 000 $ par année, et que la totalité des pensions alimentaires versées aux enfants ne soit plus soustraite des prestations d'aide sociale et des prêts et bourses. Il y a d'autres pistes mises de l'avant : le besoin de développer une politique de conciliation famille-travail-étude, le développement des logements sociaux, les services de transport en commun, l'instauration d'un régime fiscal progressif qui permettrait de redistribuer la richesse sont d'autres exemples.

Je pense qu'une autre piste à explorer est l'importance de promouvoir l'analyse différenciée selon les sexes dans les différentes politiques gouvernementales pour voir l'impact des différentes politiques sur les hommes et sur les femmes.

La pauvreté et le manque d'autonomie économique des femmes sont les conséquences de décisions politiques et économiques. L'élimination de la pauvreté des femmes n'est pas une question de charité mais bien de droit des femmes et de droits humains.

[Traduction]

Fran Klodawsky, professeure, département de géographie et d'études environnementales, Université Carleton : Depuis 2001, je suis coenquêtrice principale, avec Tim Aubry de l'Université d'Ottawa, dans le cadre d'une enquête longitudinale qui nous a amenés à suivre différentes personnes de la ville d'Ottawa qui, quand nous les avons rencontrées en 2002, étaient des sans-abri. Nous voulions en apprendre davantage sur ce qui amène des personnes présentant différentes caractéristiques à se retrouver sans abri et quels facteurs les ont aidées ou au contraire empêchées à sortir de l'itinérance. Nous avons donc cherché à en apprendre davantage, de façon générale, sur la population de sans-abri à Ottawa, mais aussi à voir comment certaines personnes en viennent à tomber dans l'itinérance et d'autres à s'en sortir.

J'espère que vous avez les tableaux en question.

Le président : Oui.

Mme Klodawsky : On y voit les deux périodes visées ainsi que le type de personnes auxquelles nous nous sommes intéressés.

Dans l'ensemble, nous avons constaté que les raisons pour lesquelles les femmes sans-abri tombent dans l'itinérance sont très différentes de celles des hommes. On constate d'autres différences marquées, par ailleurs, entre les hommes et les femmes en fonction de leur identité autochtone ou de leur pays d'origine.

Je tiens à vous commenter brièvement trois exemples qui sont illustrés dans les trois tableaux que je vous ai fait remettre. Le premier est particulièrement troublant. Il établit le lien entre l'itinérance et les expériences traumatisantes subies dans l'enfance par des hommes et par des femmes, y compris des agressions physiques ou sexuelles et le fait d'avoir été témoin d'actes de violence familiale. Vous constaterez que ce sont les jeunes filles, et plus particulièrement les jeunes filles autochtones qui ont été victimes, dans une proportion beaucoup plus élevée que les garçons, d'agressions sexuelles.

Le deuxième tableau établit une ventilation statistique des caractéristiques des répondants, non plus uniquement en fonction de leur sexe, mais plutôt en fonction des problèmes de santé qui les ont amenés à tomber dans l'itinérance. Les trois grappes que nous avons constituées étaient les suivantes : d'abord, un groupe qui semblait n'avoir pas vraiment eu de problèmes de santé et dont l'itinérance avait été essentiellement occasionnée par des difficultés économiques; le deuxième groupe est celui où le nombre de consommateurs de substances diverses est le plus important; quant au troisième groupe, il représente l'ensemble des répondants ayant fait état de problèmes de santé physique chroniques de même que de troubles en santé mentale. Comme vous pouvez le constater d'après ce tableau, nous avons établi une ventilation selon qu'il s'agissait de jeunes hommes, de jeunes femmes, d'hommes adultes et de femmes adultes célibataires et d'adultes avec enfants. Quelque 90 p. 100 de cette dernière population, essentiellement composée de femmes ayant des enfants, s'était retrouvée dans la rue essentiellement pour des motifs économiques. En revanche, près de la moitié des femmes adultes souffraient de troubles chroniques, en santé mentale ou en santé physique, par rapport à un quart environ seulement des hommes. Chez les jeunes, on constate la même différence, bien que celle-ci soit moins marquée. Enfin, une grande proportion de jeunes hommes et d'hommes célibataires se retrouvent dans le groupe des toxicomanes/alcooliques.

Le troisième tableau de cet ensemble présente la différence entre les personnes nées au Canada et celles nées à l'étranger. Proportionnellement plus de femmes célibataires et plus de femmes avec des enfants étaient nées à l'étranger.

Je vous commente ces constats afin d'illustrer un point fondamental sur lequel il convient d'insister. Il ne suffit pas de prendre acte du fait que certains groupes sont plus touchés que d'autres par la pauvreté. Afin de véritablement comprendre les causes de l'itinérance et le genre d'aide à apporter aux sans-abri, il convient d'adopter une approche intersectionnelle. Le terme intersectionnel sous-entend que l'expérience de vie de chacun est forgée par de multiples caractéristiques, y compris le sexe, l'ethnie, les capacités personnelles, la classe sociale, l'orientation sexuelle et ainsi de suite. Tous ces facteurs se fusionnent en un faisceau complexe dont le résultat est trop souvent la pauvreté. Tant que ne reconnaîtrons pas que la pauvreté désigne plus généralement tout un ensemble de privations et d'outrages et qu'il faut adapter les solutions aux circonstances de chacun, tous les remèdes adoptés sur le plan des politiques continueront de mettre à côté du but.

D'un autre côté, il est très important d'examiner soigneusement les aspects qui peuvent permettre à une personne ayant été sans-abri à se trouver un logement stable. Dans notre étude, nous avons pu tester une hypothèse destinée à expliquer pourquoi une personne ayant été sans-abri en 2002 ne l'aurait plus été en 2004, parce que notre recherche était longitudinale. Le modèle que nous avons testé, c'est-à-dire les hypothèses que nous avons appliquées, est présenté à la dernière diapositive.

Par exemple, nous avons conclu que la toxicomanie/l'alcoolisme était sans doute un facteur expliquant pourquoi une personne sans-abri en 2002 ne l'aurait plus été en 2004. Toutefois, ce facteur n'était pas significatif. Les seuls facteurs significatifs étaient en fait le renforcement de l'autonomie personnelle, le niveau de soutien du revenu et l'accès à un logement subventionné. Ainsi, malgré la diversité de la population étudiée, la pauvreté et l'absence de logements abordables semblent avoir éclipsé les problèmes de santé en tant que facteurs ayant contribué à l'entrée dans l'itinérance et de la sortie de l'itinérance. Qui plus est, nous avons constaté que, durant la période visée par l'étude, la santé mentale des personnes ne s'était pas simplement améliorée parce qu'elles avaient trouvé un logement stable, mais bien parce qu'elles-mêmes se disaient qu'elles avaient trouvé un logement de qualité constituant davantage un foyer qu'un toit sous lequel s'abriter.

Il convient, à partir de ces constats, de tirer d'importants enseignements quant à la façon d'envisager les mesures que le gouvernement fédéral doit adopter. Il y a tout d'abord l'importance de l'approche intersectionnelle face aux problèmes de la pauvreté et de la marginalisation, en ce qui concerne la recherche, les politiques, la planification et la prestation des services par tous les paliers de gouvernement. Deuxièmement, il convient de reconnaître la place résolument déterminante qu'occupe un logement abordable, garanti et de bonne qualité dans le règlement de l'itinérance. Le Canada a cruellement besoin d'une stratégie nationale en matière de logement qui soit susceptible de garantir des abris de qualité abordables à tous ceux et à toutes celles qui en ont besoin. Il y a très peu de chances que l'on règle le problème de l'itinérance tant que ces éléments fondamentaux d'une politique n'auront pas été mis en place.

Le président : Nous avions vos diapositives et nous avons donc pu vous suivre quand vous les commentiez.

[Français]

Marika Morris, École des études canadiennes, Université Carleton : Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invitée aujourd'hui pour comparaître à votre comité. La plupart de mes commentaires seront basés sur une recherche dont je suis l'auteure principale et qui a été publiée par l'Institut canadien de recherche sur les femmes l'année dernière.

La recherche a été faite avec des femmes à faible revenu, notamment des femmes autochtones à Vancouver, des femmes immigrantes et réfugiées à Calgary et des femmes handicapées à Winnipeg. J'ai apporté des feuillets d'information en français et en anglais, qui vont vous donner un aperçu plus détaillé. Je vais commencer par parler de l'expérience de la pauvreté pour les femmes au Canada.

Je dirai ensuite quelques mots au sujet des conséquences de la pauvreté des femmes pour le Canada et je vais terminer avec l'importance d'investir dans les êtres humains pour en faire bénéficier non seulement les femmes mais aussi l'ensemble de la société. Car investir dans les êtres humains est le fondement même d'une société saine, sécuritaire et prospère.

[Traduction]

Les femmes se sont épanchées auprès de nous. Malgré les situations différentes constatées dans leurs provinces de résidence, certains thèmes communs sont ressortis. Je me ferai l'écho d'autres intervenants ici en vous disant que ces personnes n'avaient guère le choix de leur lieu de vie. Elles devaient vivre là où le loyer était le moins cher. Pour certaines, il s'agissait de maisons de chambre dont les portes fermaient mal et où elles étaient agressées sexuellement, pour ne pas dire pire encore; certaines de ces femmes ont dû se réfugier dans des tours d'habitations délabrées, infestées de coquerelles, entourées de trafiquants de drogues et appartenant à des marchands de sommeil; certaines vivaient dans des immeubles collectifs en bande dont le propriétaire voulait obtenir le paiement du loyer en nature; certaines, enfin, avaient décidé de réintégrer une relation abusive parce qu'elles n'avaient pas d'autre solution pour se loger. Après être passées par notre centre, elles ne pouvaient plus se permettre d'aller ailleurs et devaient donc retourner auprès de l'homme qui les avait agressées.

Nombre de ces femmes avaient peur de se déplacer à pied dans leur voisinage, de jour comme de nuit, et elles avaient peur de laisser leurs enfants jouer dehors. Beaucoup ne se sentaient pas en sécurité chez elles et l'une des répondantes avait élu domicile chez quelqu'un d'autre, mais dans la niche du chien abandonnée.

Leurs choix alimentaires étaient limités. Quand vous êtes au sou près, vous achetez ce qui n'est pas cher et vous vous remplissez d'aliments comme des pâtes. Si vous êtes admissible, vous pouvez toujours vous approvisionner à une banque alimentaire, peut-être une fois par mois, pour y prendre des spaghettis et de la soupe de tomate. Une femme atteinte d'incapacité avait dû prendre des médicaments sur ordonnance pour corriger une carence protéinique causée par le manque de protéines alimentaires, étant donné qu'elle n'avait pas assez d'argent avec son chèque d'invalidité pour s'acheter des produits auxquels elle n'était pas allergique. Au Manitoba, le gouvernement assume le coût des médicaments vendus sur ordonnance, mais pas de l'alimentation qui aurait pu lui éviter de se retrouver dans cet état. C'est là un des nombreux exemples qui a amené nos participants à estimer que les politiques gouvernementales, tant fédérales que provinciales, sont insensées. Parfois, ces politiques se contredisaient et vont même jusqu'à s'annuler réciproquement.

L'autre sujet qui nous a intéressés, c'est le fait que toutes ces personnes n'avaient que peu de moyens pour gagner de l'argent. En Alberta, les femmes qui bénéficient de l'aide sociale doivent se trouver un emploi rémunéré à temps plein dès que leur enfant atteint un an. Dans cette province, il est difficile de trouver une garderie et encore plus une garderie adéquate. Nous sommes tombés sur des femmes ayant fait des études supérieures qui étaient à l'aide sociale parce que leurs diplômes n'étaient pas reconnus. On les rabrouait même quand elles essayaient d'obtenir des emplois peu rémunérés, et ce par simple racisme.

La plupart des femmes autochtones de notre échantillon de Vancouver avaient eu à se prostituer à un moment donné de leur vie. Dans cet échantillon, nous avons constaté que la plupart des femmes bénéficiaires de l'aide sociale étaient soutiens de famille pour de nombreux autres parents qui, eux, n'étaient pas admissibles à l'un des programmes de l'aide sociale. Par exemple, une femme faisait vivre son fils atteint d'un syndrome d'alcoolisme fœtal. Il n'était pas admissible à l'aide sociale parce qu'on le jugeait employable, même si personne ne l'aurait embauché.

La plupart de ceux qui vivent dans la pauvreté au Canada ne bénéficient pas de l'aide sociale et leurs salaires sont extrêmement bas. Les gens se demandent comment il se fait que les entreprises ne peuvent se permettre de verser de meilleurs salaires. Le salaire minimum ne leur permet tout simplement pas de vivre.

Certaines des femmes que nous avons interrogées ne sont pas arrivées à se trouver du travail. Il est très difficile de trouver du travail quand les gens ont peur de vous à cause de votre apparence; il vous manque des dents et il n'y a rien que vous puissiez y faire; vous paraissez pauvre, vous semblez n'avoir pas pris un bon repas depuis longtemps. Personne ne vous embauche dans ces conditions. La garderie, le logement, le transport et le revenu étaient donc les grands sujets de préoccupation de nos participants.

Presque aucune femme de notre échantillon n'a pu se prévaloir des prestations de maternité de l'assurance-emploi, des prestations parentales ou des prestations de maladie. Même celles qui y avaient eu droit avaient des salaires trop faibles pour s'en sortir avec une rémunération correspondant à 55 p. 100 du salaire initial. Il ne leur avait déjà pas été possible de vivre avec leur salaire complet, alors avec un demi-salaire...

Qu'ils aient été ou non bénéficiaires de l'aide sociale ou qu'ils aient profité d'un logement ou d'autres subventions, les participants à notre recherche croulaient sous des dépenses pour des articles qui, auparavant, étaient gratuits. Dans la plupart des provinces, l'éducation publique n'est plus gratuite. Il faut acquitter de nombreux frais scolaires, parfois pour acheter des fournitures, parfois pour aller en classe ou pour des activités parascolaires en tous genres. La plupart des femmes de notre étude avaient honte, elles étaient gênées et avaient l'impression d'être de mauvaises mères parce qu'elles ne pouvaient se permettre de donner à leur enfant l'argent nécessaire pour participer à une journée pizza ou à d'autres activités scolaires.

Nous avons entendu de nombreux récits sur la façon dont les femmes sont tombées dans la pauvreté. L'une d'entre elles, handicapée à la suite d'un accident, s'était retrouvée du jour au lendemain sans revenu, à devoir compter sur un mince chèque d'invalidité.

Un nombre assez important de femmes avaient été abusées dans des foyers d'accueil au point qu'elles s'automédicamentaient et prenaient de l'alcool. Certaines femmes, ayant récemment immigré au Canada, avaient éprouvé beaucoup de difficultés à trouver du travail, tandis que d'autres avaient dû abandonner leur emploi pour s'occuper gratuitement et sans revenu de membres de leur famille.

Je suis certaine que Mme Young vous parlera davantage des crédits fiscaux fédéraux. Dans notre échantillon, nous avons constaté qu'aucune des femmes interrogées ne connaissait les crédits d'impôt fédéraux les concernant, comme le crédit d'impôt pour fournisseur de soins.

Cette vie de pauvreté a un effet néfaste sur la santé physique et mentale des femmes. Elles ont des problèmes de santé dus au stress, à une mauvaise nutrition, à des agressions physiques et sexuelles ainsi qu'à des logements surpeuplés et inadéquats. Nombre de femmes ayant participé à notre étude ont dit être déprimées et se sentir incapables de s'extirper de la pauvreté dans laquelle le système les précipitait en permanence. Ces femmes-là ne font pas que passer au travers les mailles du filet, elles tombent dans le grand trou noir de nos politiques sociales qui sont de plus en plus étriquées.

Comme je n'ai pas beaucoup de temps, j'espère que vos questions m'amèneront à vous expliquer pourquoi les femmes sont plus vulnérables que les hommes de tomber dans la pauvreté, bien que Mme Burrows vous en entretiendra un peu, ainsi que des raisons pour lesquelles les inégalités économiques demeurent entre hommes et femmes dans un pays comme le Canada.

La pauvreté des femmes est ressentie à l'échelle du pays. Les enfants sont pauvres parce que leurs parents sont pauvres, principalement parce que les mères sont pauvres. Une mauvaise nutrition maternelle explique les faibles taux de natalité. La pauvreté est associée à un plus grand nombre de problèmes à l'école, à un plus grand nombre de problèmes de santé mentale et physique, à une mortalité précoce et à une criminalité plus élevée.

En fait, la plupart des délinquantes se trouvant actuellement derrière les barreaux sont des femmes peu instruites, n'ayant que peu de compétences professionnelles, n'ayant aucune ressource économique et vivant seules dans des conditions d'extrême pauvreté. Pourquoi faut-il envoyer des gens en prison pour qu'ils soient logés et nourris, qu'on s'occupe d'eux sur le plan médical et qu'ils apprennent à lire?

Je me dois de parler de l'investissement dans les enfants parce que, selon l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE, le Canada arrive au dernier rang des pays industrialisés, c'est-à-dire derrière les États-Unis, en ce qui concerne le niveau d'investissement dans les enfants de zéro à six ans.

La plupart des mères de notre échantillon qui avaient de faibles revenus se préoccupaient davantage de l'avenir de leurs enfants que de leur propre sort. Bien des femmes avaient peur d'être de mauvaises mères; les gens les considéraient avec condescendance et certaines ne pouvaient même pas se permettre de répondre aux besoins fondamentaux de leurs enfants. C'était particulièrement le cas des femmes autochtones qui redoutaient que les services d'aide à l'enfance ne leur retirent leurs enfants.

En Colombie-Britannique, par exemple, on verse davantage à des parents d'accueil pour s'occuper d'un enfant qu'à la mère célibataire qui voudrait l'élever elle-même.

En Norvège, 4 p. 100 des mères célibataires vivent sous le seuil de la pauvreté; au Canada, elles sont 36 p. 100. La pauvreté n'est pas un choix personnel, c'est un choix de politique sociale. Une main-d'œuvre en santé, instruite et des villes attrayantes présentant une faible criminalité sont autant de facteurs positifs pour attirer les investissements privés, mais encore faut-il commencer par investir dans la population si l'on veut un jour en récupérer les fruits. Je vous invite à imaginer un Canada sans pauvreté et j'espère que nous allons pouvoir parler davantage, durant la période de questions, de la façon d'y parvenir. Je vous remercie.

Le président : Nous allons très certainement en reparler. Merci beaucoup. Vous êtes de véritables mines de renseignements. Vous venez d'évoquer, comme d'autres, des réalités très dures, tristes et lamentables sur lesquelles nous allons revenir.

Claire Young, vice-doyenne principale, Affaires académiques, et professeure, faculté de droit, Université de la Colombie-Britannique : Mes remarques d'aujourd'hui porteront principalement sur les politiques fiscales en tant qu'outil pour établir et adopter des politiques sociales. Je m'intéresserai plus particulièrement aux répercussions souvent négatives sur les femmes de l'utilisation des dépenses fiscales pour instaurer des politiques sociales et économiques, des répercussions qui contribuent souvent à l'inégalité économique et à la pauvreté des femmes.

Je commencerai en situant mon analyse dans la réalité socioéconomique des femmes. Par exemple, nous savons que les femmes gagnent habituellement moins et sont beaucoup moins riches que les hommes. Nous savons aussi qu'il y a plus de femmes que d'hommes qui s'occupent des enfants. Nous savons en outre que les femmes célibataires de plus de 65 ans sont beaucoup plus susceptibles de vivre dans la pauvreté que les hommes de la même tranche d'âge.

Nous savons aussi que les femmes ne forment pas un groupe monolithique. Par exemple, les femmes autochtones et les femmes handicapées touchent des revenus bien inférieurs à ceux des autres femmes.

Pourquoi alors le régime fiscal est-il si important? C'est parce que nous ne le considérons pas uniquement comme un instrument pour augmenter les revenus : nous nous en servons également pour offrir toutes sortes de subventions aux Canadiens. Permettez-moi de vous donner un exemple pour faire valoir mon argument sur l'utilisation du régime fiscal comme programme de dépenses. Je ne parle pas de percevoir des recettes fiscales, puis de les redistribuer à divers programmes. Ce dont je parle ici, c'est de la manière dont les allégements fiscaux, qui engendrent un manque à gagner pour le gouvernement, prennent tout simplement la place des programmes de dépenses directes.

En 2007, nous avons consacré 780 millions de dollars à la déduction pour frais de garde d'enfants, une déduction fiscale conçue pour aider les familles dont les deux parents travaillent à l'extérieur du foyer et doivent faire garder les enfants. Autrement dit, les Canadiens ont payé 780 millions de dollars moins d'impôts qu'ils n'en auraient payés autrement parce qu'on leur a accordé une déduction fiscale pour leurs frais de garde d'enfants. Le gouvernement fédéral a été privé de ces 780 millions de dollars en recettes fiscales.

Dans ce cas-ci, le régime fiscal est le moyen utilisé pour aider à payer les frais de garde. Le gouvernement aurait bien pu prendre ces 780 millions de dollars pour ouvrir plus de garderies, pour subventionner les garderies existantes ou pour offrir à chaque Canadien ayant un enfant une subvention directe couvrant une partie des frais de garde. Il demeure qu'il a décidé d'offrir ce programme social par le truchement du système fiscal. Je ne suis pas en train de dire que le gouvernement aurait dû prendre telle mesure plutôt que telle autre. Il vous incombe, en tant que politiciens, de prendre ces décisions. Mais quand vous envisagez des allégements fiscaux comme la déduction pour frais de garde d'enfants, vous devriez d'abord vous demander si le régime fiscal est le meilleur instrument disponible pour mettre en œuvre cette politique particulière.

Cela m'amène au point principal que je voulais faire valoir. Au fil des ans, nous nous sommes de plus en plus fiés au régime fiscal pour offrir des programmes sociaux et économiques sophistiqués.

Or, si vous vous penchez sur les règles fiscales actuelles en tenant compte de la dimension sexospécifique, cela suscite toutes sortes de questions. Voici quelques exemples qui démontrent comment l'analyse des différences entre les sexes, appliquée à certaines de nos politiques fiscales, pourrait montrer comment les politiques n'entraînent pas un traitement équitable pour tous les Canadiens, et j'ajouterais même comment, dans certains cas, elles contribuent directement à la pauvreté des femmes.

Prenons, par exemple, les règles du régime enregistré d'épargne-retraite ou REER. Le gouvernement dit essentiellement qu'il veut aider les gens à épargner pour leur retraite et qu'il le fera en subventionnant ces économies. En fait, les REER constituent l'une des plus grandes dépenses au titre de l'impôt des particuliers : l'allégement fiscal projeté pour l'année 2008 s'élève à plus de 16 milliards de dollars.

Le REER a en fait été conçu en fonction des femmes. L'idée de départ était que comme moins de femmes que d'hommes avaient accès à des régimes de pension au travail, le REER leur permettrait de bâtir leur propre caisse de retraite. Quand on examine le REER du point de vue des femmes, il est clair que celles-ci ne reçoivent pas leur juste part de cet allégement fiscal de 16 milliards de dollars. En effet, comme les femmes gagnent moins d'argent que les hommes, elles disposent d'un revenu discrétionnaire moins élevé que celui des hommes pour contribuer à un REER.

De plus, l'allégement fiscal lié aux REER étant une déduction fiscale, il apporte plus aux personnes qui touchent un revenu élevé et sont imposées à un taux plus élevé. Prenons un exemple simple : vous et moi versons 10 000 $ dans un REER. Je touche un revenu faible et paie de l'impôt à un taux moyen de 10 p. 100; vous avez un revenu plus élevé et payez de l'impôt à un taux moyen de 40 p. 100. J'économiserais 1 000 $ et vous 4 000 $ en impôt que nous aurions autrement payé. Autrement dit, nous versons la même cotisation, mais parce que votre revenu est plus élevé, votre subvention est quatre fois supérieure à la mienne. Franchement, vous en avez probablement moins besoin puisque vous gagnez plus.

Je vous ferai grâce de toutes les statistiques, mais il faut bien comprendre, données fiscales à l'appui, que même si le nombre de femmes qui cotisent à un REER est plus élevé que jamais, elles reçoivent une part beaucoup moins importante de cette subvention de 16 milliards de dollars que les hommes, en partie parce que leur revenu est moins élevé. Par conséquent, les femmes célibataires de plus de 65 ans constituent l'un des groupes dont les revenus sont les plus modestes au Canada.

Le revenu moyen des femmes de plus de 65 ans est d'environ 16 000 $, soit un peu plus de 2 000 $ en deçà du seuil de la pauvreté pour une personne. Chez les hommes, le revenu moyen est de presque 10 000 $ plus élevé, à environ 26 000 $. Au Canada, ce sont les femmes seules de plus de 65 ans qui sont les plus pauvres d'entre les pauvres.

Permettez-moi de vous donner un autre exemple qui soulève certains doutes quant à l'équité du régime fiscal et à sa pertinence pour établir certaines politiques sociales. Je parle du crédit d'impôt pour époux ou conjoint de fait. Les contribuables qui subviennent aux besoins de leur conjoint ont droit à un crédit d'impôt d'un peu plus de 1 000 $ par année, mais le crédit diminue lorsque le revenu du conjoint dépasse environ 700 $ et continue de régresser au fur et à mesure que le revenu du conjoint augmente. Beaucoup plus d'hommes que de femmes réclament le crédit et ce sont habituellement des hommes touchant des revenus élevés qui subviennent aux besoins de leur conjointe. Vue du point de vue du conjoint, habituellement la femme, cette mesure présente plusieurs inconvénients.

Tout d'abord, la mesure est clairement conçue pour favoriser la dépendance économique dans le couple, ce qui a poussé des groupes de femmes à en demander l'abolition, compte tenu des conséquences négatives pour l'autonomie des femmes. Travailler à l'extérieur de la maison engendre un coût fiscal et constitue du coup un facteur de dissuasion pour les femmes désireuses d'intégrer le marché du travail.

Ensuite, même si la mesure se justifie du fait que la capacité de payer du contribuable est réduite parce qu'il subvient aux besoins de sa conjointe et devrait donc avoir droit à un allégement fiscal, d'autres soutiennent que c'est préférable ainsi, car la conjointe travaille gratuitement à la maison à garder les enfants ou à s'acquitter d'autres tâches ménagères. Il en coûterait nettement plus que 1 000 $ au contribuable pour payer quelqu'un qui effectuerait ces tâches.

Enfin, certains sont d'avis qu'une telle subvention ne devrait pas être versée au conjoint qui soutient financièrement le foyer, mais plutôt à la femme qui ne touche aucun autre revenu.

Dès 1970, la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada a recommandé l'abrogation de cette disposition. Des dispositions semblables ont été abolies dans la plupart des pays maintenant, y compris au Royaume-Uni, où les revenus engendrés grâce à l'annulation du crédit ont servi à financer un nouveau crédit d'impôt pour enfants.

Voici d'autres points que je n'aurai pas le temps d'aborder, mais sur lesquels vous pourriez me poser des questions : 38 p. 100 des déclarantes à l'impôt ne paient pas d'impôt; elles ne peuvent donc recevoir aucune subvention par le biais d'une déduction fiscale. Certains ont proposé récemment de permettre aux conjoints de fractionner leur revenu aux fins de l'impôt, mais j'estime qu'il faut être prudent parce qu'une telle politique augmente le taux d'imposition du conjoint dont le revenu est le moins élevé, généralement la femme, et le dissuade d'intégrer le marché du travail.

Pour conclure, ce que je veux que vous reteniez principalement, c'est qu'avant de nous empresser d'utiliser le régime fiscal pour régler les problèmes socioéconomiques, nous devons nous assurer qu'il s'agit d'un outil adéquat. Il est assurément pratique sur le plan administratif, mais en étudiant son impact réel, on s'aperçoit qu'il est truffé de problèmes, particulièrement pour les personnes à faible revenu — et les femmes sont surreprésentées dans ce groupe. Je soutiens que notre actuel régime fiscal contribue directement à l'inégalité économique des femmes.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant lancer le dialogue avec les membres du comité et je me propose de commencer. Étant donné la taille de notre comité aujourd'hui, nous passerons une quinzaine de minutes chacun à vous poser des questions et à dialoguer avec vous.

Madame Morris, je vais m'adresser à vous, mais également à nos autres témoins. Pourquoi les femmes sont-elles plus vulnérables? Mme Young nous a apporté une partie de la réponse en nous expliquant que les lois fiscales misent essentiellement sur les REER et sur les crédits de conjoint. Je suis sûr que vous aurez d'autres choses à ajouter. Vous pourriez peut-être également nous parler des lois en matière d'équité salariale. Il en a beaucoup été question à une époque, mais on n'en entend plus parler. On aimerait penser que c'est parce qu'elles ont toutes été mises en vigueur, mais je n'en suis pas certain. Vous pourriez peut-être nous dire si vous pensez que tel est le cas.

Mme Morris : Merci beaucoup pour cette question. En fait, Mme Burrows vous a entretenu de ce dont je me proposais de vous parler, c'est-à-dire du rôle de soignantes qu'assument les femmes. Les femmes se sont toujours occupées gratuitement de la maisonnée, comme les soins et l'éducation des enfants, la cuisine, l'entretien ménager et ainsi de suite. Elles rendent les mêmes services que ceux offerts par une main-d'œuvre rémunérée et c'est pour ça qu'on n'accorde aucune valeur au travail ménager des femmes et qu'elles sont sous-évaluées dans la population active.

L'équité salariale a pour objet de corriger cette situation par la mise en parallèle d'emplois essentiellement masculins avec des emplois principalement féminins pour ce qui est des compétences, de l'instruction et du niveau de responsabilité exigés. À l'origine, on se servait de l'exemple d'une femme, employée de garderie, qui gagnait moins qu'un homme occupant un poste de surveillant de terrain de stationnement, parce qu'on estimait que le travail auprès des enfants était plus facile. Eh bien, comme j'ai un enfant moi-même, je peux vous dire que tel n'est pas le cas.

Qu'est-il advenu de l'équité salariale depuis lors? Le 18 septembre 2006, le gouvernement fédéral a décidé de ne pas mettre en œuvre les recommandations du Groupe de travail sur l'équité salariale. Ce groupe de travail avait fait pourtant plusieurs recommandations. En cas de plainte au titre de l'équité salariale, il faut se pourvoir devant la Commission des droits de la personne et être prêt à attendre huit à dix ans pour que celle-ci se penche enfin sur le dossier. Le groupe de travail proposait de systématiser ce genre d'examen.

En 1995, Statistique Canada a réalisé une enquête sur l'emploi du temps. Les statisticiens se sont notamment demandé pourquoi il y existait un écart salarial entre les hommes et les femmes. Ils ont constitué des groupes d'âge différents d'hommes et de femmes qu'ils ont examinés sous l'angle de l'emploi du temps. Les variables contrôlées étaient l'âge, la situation familiale et le niveau d'instruction. Ils ont constaté que le seul facteur important de prédiction de l'écart salarial était la présence d'enfants. Dès qu'une femme avait un enfant, son salaire ou son revenu diminuait. Dans le cas des hommes, le revenu restait inchangé, voire augmentait légèrement.

Cette situation a un effet négatif permanent sur l'égalité économique des femmes. Ce n'est pas comme si les femmes s'arrêtaient simplement de travailler un certain temps pour avoir un enfant et s'en occuper à domicile, puisque l'impact se fait surtout sentir dans la façon dont l'employeur les perçoit. Il estime qu'elles ne sont pas vraiment sérieuses vis-à- vis de leur emploi. Elles peuvent devoir s'absenter occasionnellement pour s'occuper d'un enfant malade. Elles peuvent être le parent qui intervient en cas de crise à l'école ou à la garderie. Elles peuvent devoir limiter leurs heures de travail pour rentrer plus tôt au domicile et préparer le repas du soir. Elles peuvent devoir refuser une promotion parce qu'il leur sera impossible d'assumer plus de responsabilités. C'est ainsi que notre société récompense les femmes pour l'une des tâches les plus importantes au monde : donner naissance à la prochaine génération de citoyens et de travailleurs. Les femmes sont économiquement pénalisées à cause de cela.

En Norvège, en revanche, le travail des femmes est reconnu à sa juste valeur et elles perçoivent un revenu pour l'œuvre qu'elles accomplissent. Peu importe qu'elle occupe ou pas un emploi rémunéré, chaque femme est rémunérée si elle est mère et cette rémunération est imposée si son revenu global dépasse un certain seuil.

Par ailleurs, il n'existe aucun emploi, pas plus dans l'enseignement que dans les soins infirmiers ou la vente au détail, où les femmes gagnent en moyenne un salaire supérieur à celui des hommes. Dans tous ces postes, les hommes gagnent plus que les femmes. L'écart salarial existe donc encore.

J'ai avec moi une fiche d'information intitulée Les femmes et la pauvreté, que je vais faire remettre à la greffière ou au recherchiste afin qu'elle vous soit distribuée.

Mme Klodawsky : Je vais vous parler en adoptant le point de vue de ceux qui décident de nos politiques sociales, de nos politiques fiscales. Je suis entièrement d'accord avec tout ce que mes collègues viennent de dire.

Je me dois d'insister sur le fait que nous ne parviendrons pas à régler ce genre de problèmes tant que les décideurs ne commenceront pas à apprécier la diversité des rôles que jouent les hommes et les femmes au Canada — les circonstances différentes et les défis différents auxquels les uns et les autres sont confrontés — et tant qu'ils ne tiendront pas pleinement compte de ces aspects pour formuler des politiques en fonction d'objectifs déclarés qui sont nationaux, provinciaux et municipaux. Tant que nous n'admettrons pas qu'il faut, pour atteindre ces différents objectifs, apporter des appuis différents à différentes personnes et qu'il existe des situations également différentes, nous n'irons pas très loin.

Si nous en sommes là où nous en sommes aujourd'hui, c'est que nous avons beaucoup trop formulé d'hypothèses sur ce qui est normal, sur la bonne moyenne, si bien que nous avons conçu des politiques qui sont bâties pour des Canadiennes et des Canadiens normaux qui, selon moi, n'existent pas.

[Français]

Mme Burrows : En ce qui a trait à l'équité salariale, pour donner l'exemple du Québec, on a une loi provinciale sur l'équité salariale. C'est un gain et cela a été important pour les Québécoises. Par contre, cela ne couvre pas tous les secteurs. Cela couvre le secteur public, les grandes entreprises et non pas les petites entreprises. Il y a un problème de ressources pour s'assurer de l'implantation. C'est une question de priorisation.

Il y a une commission québécoise sur l'équité salariale et on entend parfois parler qu'elle est en péril, on n'est pas certain que cette commission va continuer pour en assurer l'implantation.

Il y a aussi une question de priorisation. On est dans un contexte plus global sur la scène politique fédérale ou provinciale où il y a le mythe que l'égalité est atteinte entre les hommes et les femmes et que, puisqu'on a certains instruments, on n'a pas besoin de travailler pour défendre les droits des femmes. La question de l'équité salariale est un exemple parfait. Oui, on a une loi mais ce n'est pas tout. Il faut qu'elle soit mise en application. Ce sont toujours des acquis fragiles. On voit que le suivi n'est pas toujours priorisé par le gouvernement pour s'assurer que la loi puisse être implantée comme prévu lors de son adoption.

[Traduction]

Le président : Madame Young, vous avez dit que 30 p. 100 des femmes — ce qui est une proportion très impressionnante — ne paient pas d'impôts. Elles ne bénéficient donc pas des nombreux programmes de réductions fiscales. Un grand nombre des déductions fiscales ne servent donc à rien dans leur cas.

Que recommanderiez-vous pour corriger cette situation? Devrions-nous envisager d'appliquer un revenu annuel garanti ou des techniques de revenu annuel garanti pour permettre l'application des crédits d'impôt remboursables et de choses du genre? Qu'en pensez-vous?

Mme Young : En fait, c'est 38 p. 100 des femmes et non 30 p. 100. Il s'agit ici de déclarantes. Il est intéressant de constater qu'elles ne sont pas imposables.

Elles font des déclarations d'impôt parce que, sinon, elles ne pourraient prétendre au crédit d'impôt pour enfants ou au crédit au titre de la taxe sur les produits et services. S'agissant du système fiscal, il faudrait commencer par analyser l'impact de tous les programmes sociaux offerts par le truchement du régime fiscal sur les hommes et les femmes, de différentes classes sociales, en fonction de la capacité physique et mentale de chacun, de la race et ainsi de suite. Une fois ces données extrapolées, il sera plus facile de déterminer si le régime fiscal est un instrument approprié et, dans l'affirmative, quelles mesures fiscales techniques il convient d'appliquer.

J'ai parlé des déductions fiscales et du fait qu'on les décrit souvent comme étant des subventions inversée : dans la mesure où vous obtenez une déduction fiscale, sa valeur relative est supérieure si vous percevez un revenu supérieur. Cet instrument ne semble pas approprié pour régler le problème de l'inégalité économique ou de la pauvreté des femmes.

L'autre mesure souvent utilisée est celle du crédit fiscal, qui revient à dire que si vous payez des impôts, vous avez droit à un crédit sur les sommes dues, système qui est plus efficace étant donné que le montant en question ne dépend pas du niveau de revenus et qu'il suffit d'être contribuable pour en bénéficier.

L'autre mesure est le crédit d'impôt remboursable sur lequel beaucoup de femmes comptent énormément, crédit d'impôt qui se présente sous la forme d'un remboursement au titre de la TPS et de la prestation fiscale pour enfants. Là également, il faut être déclarant pour y prétendre. Nous n'avons pas de données à cet égard, mais j'imagine que les femmes sans abri, sans adresse fixe, ne font pas de déclaration d'impôt.

J'ai collaboré à un projet réalisé dans le Downtown Eastside de Vancouver qui avait pour objet de convaincre les gens de faire des déclarations de revenus pour pouvoir prétendre à ces crédits.

La première question qui se pose est de savoir si ces mesures sont utilisées comme il se doit. Permettent-elles de dispenser le programme de la bonne façon? Dans la négative, existe-t-il de meilleures mesures fiscales? Si l'on répond non à toutes ces questions, c'est qu'il y a sans doute lieu d'envisager d'administrer le programme de façon totalement différente. Il pourrait s'agir d'un revenu annuel garanti, de subventions pour les mères au foyer et on pourrait également revenir à l'ancienne allocation familiale qui était une subvention directe accordée aux femmes s'occupant de leurs enfants, contrairement à l'actuelle prestation fiscale pour enfants.

Le plus important, c'est que les décideurs comprennent bien les limites du système fiscal. C'est ce que je tenais à vous faire comprendre aujourd'hui.

Le président : Tout cela est très intéressant. Même si l'on a recours à une prestation remboursable, cela ne veut pas dire que les femmes obtiendront les sommes en question si elles n'en font pas la demande.

Mme Young : Il faut effectivement faire une déclaration d'impôt.

Le président : Cela est difficile pour la femme qui passe beaucoup de temps dans la rue.

Je vais essayer de poser des questions à Mme Burrows et à Mme Klodawsky.

Madame Burrows, il existe au Québec un programme de réduction de la pauvreté qui est encadré par une loi. Nous avons eu l'occasion d'en parler quelques fois ici. Il existe un comité consultatif et est-ce que votre organisation en fait partie? Ce comité consultatif et la loi d'encadrement permettent-ils de régler les problèmes tout à fait particuliers auxquels sont confrontées les femmes?

Madame Klodawsky, nombre de sans-abri sont en fait des hommes, mais il y a aussi des femmes dans la rue. Il se trouve que je suis directeur honoraire d'une halte-accueil à Toronto, le 416 Drop-In Centre, qui accueille énormément de femmes pour la nuit et qui sert de lieu de rencontre de jour. Il y a bien des gens dans la rue, mais je pense que l'on voit le plus souvent des hommes. Je me dis qu'il y a sans doute énormément de femmes que l'on ne voit pas et qui appartiennent pourtant à cette catégorie. Que faites-vous à propos de ces femmes très nombreuses que l'on ne voit pas? Quelle est l'ampleur du phénomène?

[Français]

Mme Burrows : Oui, il y a une loi pour l'élimination de la pauvreté adoptée par le gouvernement québécois. C'est un exemple parfait de ce que je disais tantôt. Une loi est une chose. Ensuite il faut des mesures et des politiques concrètes pour effectuer le suivi.

Nous voyons presque systématiquement sur les revendications contre la pauvreté une fin de non recevoir du gouvernement du Québec.

La Fédération des femmes du Québec travaille sur les questions de la pauvreté, de la violence, de la discrimination, du racisme, de l'homophobie et la question de la mondialisation.

Par exemple, lorsqu'on parle de violence envers les femmes, il y a beaucoup plus d'écoute ou de réponse même si ce sont des réponses partielles en ce qui a trait à la lutte contre la violence envers les femmes et la lutte contre la pauvreté. On a presque tout le temps des fins de non-recevoir à nos revendications. C'est un exemple d'une loi qui a été adoptée — cela a l'air bien beau — mais on ne réussit pas à la voir traduite dans des mesures concrètes.

Je vous ai donné des exemples de revendications qu'on a demandées au gouvernement, par exemple, augmenter le salaire minimum. C'est une revendication prioritaire pour que les femmes puissent vivre au dessus du seuil de la pauvreté établi par Statistique Canada, non pas par un organisme féministe radical. C'est quand même une mesure simple à comprendre. Il y a eu quand même une légère augmentation récemment, mais il n'y a pas eu de traduction dans la loi de mesures substantives. C'est la même chose pour l'aide sociale. Il n'y a pas d'indexation des prestations d'aide sociale et les taux sont extrêmement bas. C'est impossible de se loger et de se nourrir avec des chèques de l'aide sociale au Québec.

[Traduction]

Le président : J'aimerais recueillir vos commentaires sur les femmes et les sans-abri, surtout sur les sans-abri que l'on ne voit pas.

Mme Klodawsky : Vous avez tout à fait raison en disant que l'on perçoit le phénomène des sans-abri surtout comme un phénomène d'hommes présents dans la rue. On appréhende ainsi le phénomène des sans-abri à partir de ce constat. Même l'aspect fréquentation de centres d'accueil par les itinérants est éclipsé par la partie visible du phénomène.

Il y a beaucoup plus d'hommes que de femmes dans les centres d'accueil d'urgence. Tout donne à penser qu'un très grand nombre de femmes font partie des sans-abri cachés. Les statistiques nous indiquent que les femmes constituent la majeure partie du groupe des personnes qui consacrent 60 à 70 p. 100 de leur revenu au loyer. Il est donc logique de penser qu'un grand nombre de ces femmes sont en situation d'hébergement vulnérable, puisqu'il leur arrive, par exemple, de devoir passer d'un lit à un autre. On ne connaît pas la véritable dimension du problème des sans-abri cachés. Il est très difficile à retracer. On effectue bien quelques recherches à ce sujet, mais nous en sommes dans les balbutiements.

Tout cela se ramène à un ensemble d'indicateurs économiques, comme l'indiquent différentes études. Les femmes qui ont suffisamment d'argent pour s'offrir un logement et de la nourriture et pour régler leurs autres besoins, elles s'en sortent plutôt bien. Pour en revenir à ce que disait Mme Young au sujet du système fiscal qui n'est qu'un des éléments de ce casse-tête, il convient de tenir de plus en plus compte du fait que des éléments comme le logement sont des investissements réalisés dans l'infrastructure sociale, investissements qui sont de plus en plus rentables dans le secteur sans but lucratif. S'agissant de construction de logements, les coûts initiaux sont très élevés, si bien qu'à court terme il peut sembler que les gouvernements ne soient pas en mesure de s'offrir ce genre de dépenses. Cependant, dès qu'on envisage d'investir dans le logement à terme de 25 ou 30 ans, voire 50 ans, on se rend compte que l'opération est très intéressante. C'est grâce au parc résidentiel, constitué grâce à des investissements passés réalisés dans les logements publics et sociaux, que l'on peut en grande partie éviter que des gens, surtout des femmes, se retrouvent aujourd'hui sans-abri.

Certains de ces logements ont cruellement besoin d'être réparés pour être amenés au niveau d'une norme acceptable. Il existe bien d'autres aspects connexes à celui-là, mais il serait très intéressant de prolonger le système fiscal par des investissements réalisés dans l'infrastructure sociale.

Le président : Je suis d'accord.

Merci, mesdames. Nous allons maintenant passer la parole au sénateur Wilbert Keon, qui représente l'Ontario et qui en fait vient même d'ici, à Ottawa. Comme je le disais, il préside le Sous-comité sur la santé des populations dont les travaux recoupent les nôtres en grande partie.

Le sénateur Keon : Tout ça est à la fois fascinant et frustrant pour vous qui êtes en première ligne.

Je vais poser mes questions suivant deux axes. D'abord, en abordant la question dans le sens vertical du haut vers le bas, ce qui se produit quand le gouvernement largue des programmes impersonnels, d'une altitude de 30 000 pieds, programmes dont la mise en œuvre nécessite des années et qui exigent de votre part beaucoup de contenance, puisque vous devez vous retrouver dans tous ces dédales budgétaires de fonds qui partent du fédéral pour aboutir dans les coffres des provinces avant de se retrouver dans ceux d'une ville ou d'un village. Je vous interrogerai à ce sujet plus tard.

Rappelons, tout d'abord, que notre comité s'intéresse à la pauvreté dans les villes. J'ai l'impression que les grandes villes que nous étudions ont perdu de leur personnalité. Elles ne sont plus que d'énormes collectivités où plus personne ne se connaît et où plus rien n'a rapport avec rien. On a perdu le sens de la communauté. Or, tant que l'on n'est pas en présence de petits groupements de personnes affectées par un même problème, personnes pouvant s'organiser pour se retrouver dans tout ce dédale, peu importe les sommes investies — et ce ne sera jamais assez — et peu importe les programmes que l'on mettra en place, peu importe l'intérêt que ces programmes peuvent susciter lors d'une élection, ceux-ci ne permettront pas de régler les problèmes constatés tant que les gens ne s'organiseront pas au niveau de la collectivité. J'estime qu'il faut fractionner les villes en petites collectivités au sein desquelles les gens seront maîtres de leur destinée. Le genre de situation que vous avez décrite, madame Morris, ne se produira jamais dans une petite ville, peu importe le niveau de pauvreté des résidants; la population ne le supporterait pas. Ça ne se produirait certainement pas dans un village non plus. Ça ne pourrait pas se produire dans une petite ville, mais ça arrive dans les grandes villes où plus personne ne connaît son voisin et où personne ne se soucie du sort des autres.

Expliquez donc au sénateur Eggleton, qui a été maire de Toronto pendant longtemps, comment il aurait dû s'y prendre pour organiser de petites collectivités.

Le président : Pouvez-vous répondre au sénateur Keon en faisant fi de la période que j'ai passée en tant que maire de Toronto?

Mme Klodawsky : Je ne suis pas d'accord avec vous quand vous dites que les grandes villes sont synonymes d'anonymat et que plus personne ne se soucie du sort de son voisin. J'ai passé environ 25 ans à Ottawa et j'ai fait partie de nombreuses organisations qui se battaient pour créer des milieux sains et disposer de bons logements, parfois dans des conditions très difficiles.

Je veux en revenir à ce que disait Mme Burrows au sujet de l'économie internationale et de la tendance constatée dans le genre d'emplois disponibles. Force est de constater que l'on est en train de perdre les emplois à revenus moyens. Certains ont des revenus très élevés, mais de plus en plus de gens se retrouvent en bas de l'échelle. Ils commencent avec très peu dans la vie. De nombreuses organisations, religieuses et laïques, se sont organisées de multiples façons pour essayer d'aider ceux et celles qui se retrouvent dans des situations auxquelles ils ne peuvent rien.

Il faut reconnaître toutes ces pressions. Les villes au Canada sont également confrontées à bien des difficultés parce qu'elles ne reçoivent pas de fonds suffisants pour faire face à toutes leurs obligations que leur imposent leurs résidants qui veulent que tout le monde ait une vie décente.

Je suis désolée, mais je me dois de m'inscrire en faux contre ce que vous avez dit. De nombreuses villes, grosses et moyennes, essaient de regrouper toutes les ressources mises à leur disposition pour lancer des projets communautaires. On constate de plus en plus d'efforts déployés dans ce sens. L'initiative Collectivités dynamiques donne lieu à des développements très intéressants un peu partout au Canada. Malgré tous ces efforts, les municipalités sont tiraillées parce que personne ne reconnaît ce qu'elles essaient de faire et que leurs efforts sont insuffisants étant donné qu'elles sont le dernier palier de gouvernement et qu'elles manquent de ressources.

Il semble — et je suis certaine que Mme Morris pourra le confirmer — que même dans les petites villes, les femmes sont victimes de violence familiale et qu'elles n'ont pas toujours d'endroit où s'adresser parce qu'elles se doivent, sous l'effet de la pression sociale, de protéger les apparences parce qu'on risque de ne pas les croire quand elles accusent un résidant respectable.

Il faudra donc relever de nombreux défis dans l'avenir et les efforts déployés sur le plan communautaire en font partie, mais je tiens à dire que le travail dans ce sens a déjà été amorcé dans bien des villes.

Le président : Mme Morris voulait répondre. Nous sommes en présence de deux résidantes de la même ville qui ne sont pas d'accord.

Mme Morris : J'ai été très intéressée par ce que vous venez de dire, sénateur Keon, parce que j'effectue notamment des recherches sur la question du capital social, c'est-à-dire des réseaux sociaux constitués par les gens et par la notion de relation d'aide entre les habitants. Le sens d'appartenance à la communauté en fait partie.

L'un des éléments du capital social, c'est la confiance. Nous avons constaté que les participants à notre étude ne faisaient absolument pas confiance au gouvernement parce que les gouvernements ne leur font pas confiance, surtout dans le cas de femmes ayant bénéficié de l'aide sociale. Le système est punitif parce qu'il part du principe que ces femmes sont des criminelles. Elles estimaient avoir subi tellement de limites qu'elles en étaient venues à penser que personne ne voulait vraiment les aider. La seule aide leur venait des réseaux sociaux, quand il y en avait. Nous avons ainsi pu constater que les femmes handicapées, en particulier, avaient accès à certains services, comme l'aide apportée par les particuliers qui allaient leur acheter un manteau d'hiver pour leur permettre de faire face aux problèmes qu'elles éprouvaient.

Cependant, les femmes autochtones constituent un réseau social fondé sur la réciprocité. Elles dépendent de minuscules revenus et essaient de s'occuper d'un grand nombre d'autres personnes. Elles estiment que leur communauté ne s'occupe pas du tout d'elles. Elles se sentent marginalisées. Les gens supposent bien des choses à leur sujet. On les examine, on analyse ce qu'elles portent et qui elles sont et l'on se dit : « Vous êtes des parasites. » Il y en a qui peuvent donner un coup de main, mais qui ne le veulent pas.

On s'est mis à penser que les gens sont pauvres parce qu'ils méritent de l'être, qu'ils choisissent, qu'ils ont fait les mauvais choix, sans se demander si certains ont vraiment eu le choix entre le mauvais et le pire. D'ailleurs, il y aurait lieu de les féliciter de n'avoir fait que le mauvais choix dans ces circonstances. Les gens ont moins tendance à donner un coup de main aux autres s'ils pensent qu'ils se retrouvent dans cette situation par leur faute.

Le sénateur Keon : Permettez-moi d'aborder la chose sous un angle différent. Quelqu'un a parlé de l'expérience des pays scandinaves. Je crois que c'était vous, madame Morris. Vous avez parlé de la Norvège. Je trouve tout cela fascinant. Comme le sénateur Eggleton l'a dit, j'étudie la santé de la population, étude fascinante sous l'angle du filet de la sécurité sociale. Je me demande si une partie de la situation de la Norvège n'est pas attribuable au fait qu'elle a une abondance de pétrole et une petite population très facile à organiser. Les Norvégiens font sans doute ce qu'il faut, c'est indéniable.

Essentiellement, les pays scandinaves versent de l'argent aux pauvres qu'ils imposent par la suite. Il n'y a rien de compliqué là-dedans. Il n'y a pas besoin d'appliquer 100 programmes différents. On verse simplement de l'argent à ceux qui en ont besoin et si leur revenu dépasse le plafond fixé, ils sont imposés. Cela me paraît relativement simple. Si jamais je tombe dans la sursimplification, veuillez me corriger, ce que voudra sans doute faire Mme Young.

Je peux vous dire, en ma qualité de président, qu'au plus grand désespoir des autres membres du comité, je soulève régulièrement cette question en ce qui concerne le Canada. Pourquoi avons-nous besoin de centaines de programmes quand tout ce que nous avons à faire, c'est à assurer un revenu de base à chaque citoyen et à chaque famille? Ça simplifierait les choses.

Tous les spécialistes des finances sont contre cette formule. Dans toutes les audiences que nous avons tenues, un seul témoin nous a dit que nous pouvions le faire. Tous les autres nous ont déclaré que c'était impossible.

Alors, parlez-moi de cette idée de verser de l'argent aux pauvres et de les imposer. Qu'en pensez-vous?

Mme Young : Il est évident qu'on pourrait le faire. La résistance tient au fait que nous utilisons actuellement le régime fiscal pour trois fins bien différentes : d'abord, pour aller chercher des recettes; deuxièmement, pour redistribuer les richesses collectives, c'est-à-dire pour percevoir, puis redistribuer les revenus; troisièmement, pour assurer la prestation de programmes sociaux et économiques. Si vous épurez le régime fiscal de la dimension socioéconomique, vous vous retrouvez avec un système beaucoup plus simple et, à bien des égards, plus juste.

La petite chose que nous faisons sur ce plan concerne la Sécurité vieillesse qui est imposée. C'est un exemple de somme forfaitaire versée et imposée advenant que le revenu du particulier atteigne un certain niveau. C'est assez simple. La difficulté, quand on s'entretient avec les gens des Finances ou de l'Agence du revenu du Canada, c'est que ces programmes sont très différents de notre système actuel. Nous n'avons pas véritablement d'antécédents en la matière.

D'autres pays, comme Hong Kong ou la Nouvelle-Zélande, de même que les pays scandinaves, se sont dotés de lois fiscales pour les particuliers qui ne sont pas aussi vastes que les nôtres. Je ne me suis pas munie de notre Loi de l'impôt sur le revenu, parce qu'elle est énorme et que je ne voulais pas payer d'excédent de bagages. Elle est énorme, car elle est remplie de programmes de dépenses divers. Personnellement, j'estime qu'on pourrait le faire.

Mme Morris : Les gens ont peur. Aucun parti politique ne veut faire campagne sur le principe de l'augmentation des impôts afin de payer pour des programmes sociaux. Tout le monde veut que l'on fasse mieux à partir de ce que l'on a afin de stimuler l'économie grâce à des réductions d'impôt et ainsi de suite. Cependant, la question n'est pas de payer ou de ne pas payer, car elle concerne plutôt le moment où les versements sont faits, de combien ils sont et à qui ils s'adressent. Vous pouvez toujours payer pour un système de soins de santé d'entrée de jeu ou payer par la suite pour des soins offerts dans des cliniques privées, peu importe, vous finirez par payer davantage.

Pour ce qui est des divers programmes, vous avez raison. Nous avons rencontré une femme autochtone qui avait besoin d'appareils médicaux. L'organisme d'aide sociale de la Colombie-Britannique lui a demandé de s'adresser à sa bande. C'est ce qu'elle a fait et, trois ans plus tard, elle est revenue dire à l'organisme que sa bande ne ferait rien pour elle et que c'est la province qui devrait payer. Entre-temps, elle n'avait rien eu.

Le supplément de revenu garanti est l'un des problèmes actuels. Beaucoup sont admissibles au SRG. Pourtant, des personnes âgées vivant sous le seuil de la pauvreté n'obtiennent pas le SRG parce qu'elles ne savent pas qu'il faut en faire la demande et remplir des formulaires. Plusieurs critères sont appliqués. Pourquoi ne pas leur verser l'argent puis, comme vous le disiez, imposer les sommes excédentaires? Je ferai une mise en garde : il nous faut également investir dans les installations de garderie, dans un système de soins de santé qui soit solide de même que dans des logements abordables. Les revenus ne permettront pas de remplacer tous ces programmes sociaux, mais ils pourront s'inscrire en complément.

Le président : Je vais céder la parole à un autre médecin du comité, le sénateur Trenholme Counsell, du Nouveau- Brunswick. Elle contribue à la direction d'un autre rapport que nous rédigeons au comité, rapport sur l'apprentissage précoce et les soins à l'enfance qui traite d'un des aspects dont vous avez parlé, madame Morris, soit le rapport de l'OCDE. D'ailleurs, nous nous sommes entretenus de cela juste avant cette réunion.

Le sénateur Trenholme Counsell : En général, nous disons toujours que les exposés sont fantastiques, mais dans ce cas, j'ai été attristée d'entendre le genre de réalités que vous nous avez décrites et qui ont contribué à nous ouvrir davantage les yeux. C'est terrible à entendre.

J'ai vu bien des cas de ce genre durant mes 27 ans de carrière de médecin de famille. J'ai vu cette réalité nue et crue. Puis, quand je me suis retrouvée au gouvernement, j'ai perçu les choses de façon différente.

C'est ce que je ne cesse de répéter dans mes discours et je vous invite à y réagir. J'estime que la réponse à longue échéance réside dans l'éducation des femmes. Je ne veux pas ici uniquement parler d'enseignement de type classique, mais d'ouverture au phénomène de la violence faite aux femmes, à la nécessité de briser le plafond de verre avec intelligence et à ce genre de choses — autrement dit d'un enseignement terre à terre, mais à des niveaux supérieurs. J'ai évidemment étudié durant de nombreuses années. J'ai eu beaucoup de chance, même si ce ne fut pas facile, parce que ça été un véritable combat.

Pouvez-vous nous parler un peu de cela? On peut toujours trouver des solutions à court terme, mais la seule solution à longue échéance n'est pas de donner aux femmes une meilleure instruction au sens classique du terme, mais de les outiller, de les encadrer et d'être là pour chacune d'elles.

Je vais m'arrêter à ce que vous avez dit, madame Burrows, soit que les femmes sont encore plus pauvres quand elles ont des enfants. Je pense que c'est ce que vous avez dit. Là aussi, je trouve cela très triste, parce que les enfants sont un don précieux. Je crois vous avoir entendu mentionner que 52 p. 100 des femmes qui sont mères célibataires vivent dans la pauvreté, ce qui est un pourcentage très élevé.

Vous avez dit que les femmes célibataires en Norvège représentent 4 p. 100 de la population, par rapport à 36 p. 100 au Canada. Je vous invite à élaborer à ce sujet.

De plus, madame Morris, vous avez soulevé la question des garderies. Nous venons d'apprendre dans les médias que l'Alberta connaît une véritable crise sur ce plan, même si c'est une province très riche. Cependant, il semblerait, d'après le dernier budget, que le gouvernement provincial commence à améliorer les choses.

J'aimerais que vous nous parliez un peu de l'instruction des femmes et de leur éducation au sens général du terme. Vous avez beaucoup parlé de la violence et de ses répercussions. J'aimerais savoir si nous ne pourrions pas obtenir de meilleurs résultats dans notre lutte contre ce phénomène.

Le sénateur Eggleton a lancé le débat sur la question de l'universalité des garderies qui offriraient des soins de qualité et qui pourraient contribuer à améliorer la situation des femmes. Un peu plus tôt cette année, des représentants de l'Association canadienne des banques alimentaires nous ont dit que le manque de garderies contribue à accroître la dépendance de telles banques. Parlez-nous-en, de même que de la question des garderies.

[Français]

Mme Burrows : Pour la maternité effectivement, en 2004, selon Statistique Canada, le taux de faible revenu parmi les familles monoparentales dirigées par une femme était de 52,1 p. 100 comparativement à 11,6 p. 100 pour les familles biparentales. Effectivement, c'est très alarmant pour les femmes monoparentales. D'ailleurs, on en parle souvent et c'est important pour nous, lorsqu'on parle de la lutte contre la pauvreté, de dire que ce n'est pas une question de charité, mais de droit. Souvent on parle de la pauvreté des enfants et il y a des campagnes contre la pauvreté des enfants, mais derrière les enfants il y a évidemment des familles et la plupart du temps ce sont des femmes. Entre autres, au Québec, il y a 18 p. 100 d'enfants pauvres. Mais beaucoup de ces enfants pauvres ont une mère chef de famille monoparentale. C'est une réalité très triste.

Au Québec, on est très chanceux parce qu'on a un bon système qui fait l'envie de beaucoup d'autres provinces; des garderies publiques à sept dollars par jour. Là aussi, ce sont des acquis fragiles. Le gouvernement a tenté récemment d'augmenter les tarifs grâce à des mouvements sociaux et des pressions, on a réussi à les maintenir.

Évidemment, il manque des places en garderie et le gouvernement a promis d'investir dans 20 000 nouvelles places en garderie. On attend toujours et c'est un autre travail de chien de garde de s'assurer de mettre les pressions pour que les promesses deviennent réalité.

En ce qui concerne l'éducation, il est clair qu'en tant que groupe féministe, on fait beaucoup d'éducation populaire, on croit dans le pouvoir des femmes. C'est une piste ou une solution importante. Je crois aussi qu'il y a d'autres solutions à long terme. L'éducation des femmes n'est qu'un morceau du casse-tête. On peut changer la femme individuellement, on peut faire des projets collectifs pour améliorer nos conditions de vie, mais il y a vraiment des changements systémiques dans notre société; par exemple la question du travail non rémunéré des femmes. On peut éduquer les femmes sur l'importance du partage des tâches avec son conjoint, mais la réalité au Canada c'est que les femmes font deux fois plus de travail domestique que les hommes en 2008. Il ne s'agit pas seulement que les femmes prennent conscience de ce qu'elles vivent, mais aussi d'être actrice du changement social dans leur vie. On mise beaucoup là-dessus. Cela ne peut pas être la seule chose parce qu'il y a aussi des changements que les hommes, la société et les autres acteurs sociaux comme le gouvernement et d'autres d'institutions doivent opérer.

On essaie de changer les mentalités des femmes, mais aussi de l'ensemble de la société. C'est pourquoi la conjoncture dans laquelle nous sommes présentement, où les féministes sont blâmées pour les problèmes sociaux est alarmante. Au Québec, le mouvement masculiniste prend de plus en plus de place. Ce sont des hommes qui se disent délaissés. En fait, aujourd'hui débute un procès contre une féministe et une revue progressiste qui a publié un article sur la montée du masculinisme au Québec, et un homme avec un discours antiféministe les poursuit en justice pour libellé diffamatoire. Il y a de plus en plus d'échos dans les médias et la société d'un discours qui discrédite et blâme le féminisme pour l'ensemble des problèmes sociaux en passant par le suicide chez les garçons, le décrochage scolaire et cetera.

Cela fait partie d'une conjoncture où on a des gouvernements de plus en plus de droite qui veulent retourner les femmes au foyer.

Au Québec, par exemple, le parti qui forme l'opposition officielle a basé en grande partie sa dernière campagne électorale sur la place des femmes en envoyant un message qui, grosso modo, encourageait les femmes à rester à la maison.

On remarque de plus en plus une montée des messages sexistes et c'est aussi à cela qu'il faut s'attaquer. Il ne s'agit pas que de l'éducation des femmes; il faut continuer à lutter contre le ressac antiféministe afin d'arriver à des changements structurels et structurants.

[Traduction]

Mme Klodawsky : J'aimerais vous répondre de deux façons différentes. D'abord, il est certain que l'instruction et l'éducation sont fondamentales. J'estime que la contribution des féministes a été fantastique pour qu'on en arrive à des études ventilées par segment pour permettre d'analyser les différences entre des groupes d'individus et de déterminer en quoi ces différences sont importantes dans la réussite ou dans l'échec de chacun. Cette contribution a donc été, selon moi, très importante.

S'agissant des enfants, nous avons bizarrement constaté dans notre étude que les familles ayant des enfants réussissent bien mieux que les autres à trouver à se loger. En effet, 97 p. 100 des personnes interrogées qui avaient des enfants avaient pu trouver un logement stable. Près de la moitié d'entre elles avaient accès à un logement subventionné. Au fond, on reconnaît dans une certaine mesure la situation des familles ayant des enfants et l'on fait une différence au point de leur consentir un traitement de faveur.

Malheureusement, on dénombre de plus en plus de familles ayant des enfants qui se retrouvent à la rue parce que le logement est inabordable, qu'elles doivent acquitter des droits de scolarité et toutes sortes de frais d'utilisation qui se retrouvent sur les épaules des pauvres.

Je suis d'accord avec Mme Burrows pour dire qu'on ne peut agir à la petite semaine. Il faut envisager le tableau dans son ensemble et se demander quel genre de politiques plus inclusives il convient d'adopter dans le cas des enfants afin de ne pas se retrouver à devoir aider, en dernier recours, les enfants et leurs mères qui se retrouvent au bas de l'échelle, mais d'agir de façon plus préventive.

L'autre aspect très important qu'il convient de mentionner, c'est qu'en matière de bien-être social, le Canada a malheureusement adhéré à un point de vue néolibéral qui consiste à faire une différence entre méritants et non méritants parmi les pauvres et à traiter la pauvreté d'une certaine façon. Tant que ce sera le cas, nous serons confrontés à un problème majeur, surtout à cause du filet de sécurité sociale qui est réduit à une peau de chagrin.

Qui doit-on blâmer pour ceux qui sont nés atteints du syndrome d'alcoolisme fœtal? Leurs moyens sont très limités. Rien ne prouve qu'il soit possible un jour de corriger cette forme d'invalidité présente chez des gens qui, par ailleurs, paraissent tout à fait « normaux ». Ils peuvent sembler employables, mais comme l'indiquait Mme Morris, une personne atteinte d'un syndrome d'alcoolisme fœtal risque de ne pas conserver son poste aussi longtemps à condition qu'on lui ait donné la possibilité d'intégrer le marché du travail dans un premier temps. Qu'advient-il ensuite?

Que dire des fillettes agressées dans leur enfance et qui en gardent les traces? Il est établi que ce genre d'expérience vécue dans l'enfance se fait ressentir pendant bien des années. Que faire? Ces femmes-là, qui ont vécu des traumatismes, peuvent paraître « normales ». On peut penser qu'elles sont employables, mais doit-on dire qu'elles sont méritantes ou déméritantes quand elles sont aux prises avec de tels défis, et comment s'attaquer à cela?

Voilà des aspects importants auxquels il convient de réfléchir dans le cas des questions qui vous interpellent et il est évident que je suis d'accord avec vous.

Mme Morris : Pour ce qui est de l'instruction, il faut savoir que les femmes constituent plus de la moitié du nombre d'inscrits dans les établissements d'enseignement postsecondaire au Canada. De nos jours, on dénombre à peu près autant d'étudiantes que d'étudiants dans les écoles de droit et les écoles de médecine. Cependant, dès que ces femmes ont des enfants, l'écart salarial demeure le même. On constate un écart salarial d'environ 30 p. 100 dans tous les cas de figure, même si la femme est avocate ou médecin, parce que dès qu'elle veut avoir un enfant, elle est obligée de s'arrêter de travailler. L'avocate ne facture plus la même chose.

Toutes les femmes n'ont pas accès à l'enseignement postsecondaire. Je suis certaine que les enseignants voient beaucoup d'enfants que les parents obligent à aller à l'université, parce que les postes qui n'exigent pas un tel diplôme sont sous-évalués ou sous-rémunérés. En revanche, les Allemands respectent beaucoup mieux les métiers que nous. Nous manquons maintenant de gens de métier au Canada parce que, dans certaines classes, on ne tolère pas que les enfants deviennent plombiers ou électriciens. L'éducation formelle est évidemment une solution, mais, sur le plan individuel, elle ne permet pas d'éviter ce genre de pauvreté.

Je suis en fait davantage intéressée à l'autre pôle de l'apprentissage, qui est l'apprentissage précoce. Vous avez aussi parlé de garderies. J'ai trouvé très décevant que le gouvernement annule les ententes conclues avec les provinces relativement à l'apprentissage précoce et aux garderies. C'est ainsi plus d'un milliard de dollars d'investissement qui a disparu. On l'a remplacé par la prestation universelle de garde d'enfants qui représente 100 $ par mois pour des gens ayant des enfants de moins de six ans. J'ai reçu 100 $ durant un mois parce que j'ai une fille de trois ans. Or, sa garderie me coûte plus de 1 000 $ par mois. Malheureusement, ces 100 $ par mois ne compensent même pas le salaire perdu. Il ne me permet pas de me prévaloir de choix en matière de garde d'enfants. Soit dit en passant, j'aurais plus de choix s'il existait des garderies de bonne qualité, à prix abordable.

Malheureusement, comme on considère que les garderies ne font que du gardiennage d'enfants, on n'investit pas suffisamment dans ce secteur. L'apprentissage précoce est l'un des éléments les plus importants du développement de l'enfant. On compte actuellement au Canada un nombre disproportionné d'enfants qui sont Autochtones, qui sont filles ou fils d'immigrants ou immigrants eux-mêmes. On assiste ici à un phénomène de « racialisation » de cette population qui est de plus en plus désavantagée.

Mme Young : Je vais vous répondre très rapidement au sujet des garderies, parce que j'ai tendance à l'associer au régime d'impôt sur le revenu.

Tout à l'heure, j'ai dit que nous avions dépensé $780 millions de dollars. Il faut bien se rendre compte que ce sont les mères célibataires qui sont les plus pauvres des pauvres au Canada. La plupart de ces femmes, qui vivent sous le seuil de la pauvreté, n'obtiennent rien de ces 780 millions de dollars. Les hommes et les femmes qui en bénéficient ont des revenus supérieurs.

Le plafond est de 7 000 $. Mme Morris vous a parlé du coût des garderies. Cela représente 7 000 $ par an et donne droit à une déduction fiscale. Si vous êtes imposé à 20 p. 100, vous avez droit à une subvention de 1 400 $. Cela représente 20 p. 100 en moyenne, ce qui est relativement élevé. Cette disposition est donc inadéquate et elle s'adresse aux mauvaises personnes.

Le sénateur Trenholme Counsell : J'ai dû vous donner l'impression que j'appliquais mon expérience de l'enseignement universitaire à tous, ce qui n'est certainement pas le cas. Je suis intimement convaincue de la valeur des collèges communautaires et de tous les cours d'instruction que l'on peut suivre et qui permettent d'améliorer légèrement son niveau d'employabilité et d'autonomisation.

Le président : J'ai eu l'impression que vous parliez de beaucoup plus que de l'enseignement formel.

Le sénateur Trenholme Counsell : Je parlais aussi d'éduquer la société.

Le sénateur Munson : La plupart de mes questions ont déjà été posées, mais il y a quelques aspects sur lesquels je me propose de revenir.

Dans certains de vos exposés, je vous ai entendu parler d'incapacités. Parlons donc un peu de ces personnes qui sont laissées derrière, les personnes atteintes de handicaps, et voyons ce qu'il y a lieu de faire. Je sais que ma question est plutôt générale et qu'elle est difficile, mais que pourrait-on faire de plus pour les femmes handicapées dont le revenu est inférieur à celui des autres femmes? Pourriez-vous brièvement nous résumer ce que l'on peut faire dans la loi, du point de vue du gouvernement fédéral, pour s'occuper de ces femmes handicapées ou de toute personne handicapée d'ailleurs?

Mme Young : En tant qu'avocate fiscaliste, j'estime que le crédit d'impôt pour personnes handicapées est terriblement inapproprié, tant en ce qui concerne les montants que la façon dont il est structuré. C'est la critique que formulent en premier lieu tous ceux qui représentent les personnes handicapées, c'est indéniable.

Pour ce qui est des autres choses à faire, vous avez effectivement parlé de la loi. En ma qualité d'avocate, je rappelle toujours qu'on peut penser que la loi est en mesure de tout régler et que c'est un outil merveilleux, mais qu'il y a des limites à ce qu'elle permet de faire. Il est certain que des programmes sociaux changeraient beaucoup les choses et je m'en remettrai à mes collègues à ce sujet qui ont plus de compétences que moi dans ces domaines.

Mme Morris : Dans notre étude, nous avons constaté qu'un certain nombre de femmes étaient atteintes de handicaps reconnus ou non reconnus. Les handicaps non reconnus les empêchaient de trouver un travail rémunéré, bien qu'elles aient parfois eu droit à des primes d'aide sociale inférieures ou qu'elles n'aient pas pu trouver d'emploi du tout, précisément à cause de leur handicap.

La définition de « handicap » est arbitraire. Nous avons accueilli une femme sourde au Manitoba qui était considérée comme handicapée par le gouvernement fédéral, mais pas par le palier provincial. Elle bénéficiait de prestations de l'aide sociale normales, pas d'un chèque d'invalidité, qui étaient minimes. Elle ne pouvait pas s'offrir un appareil téléscripteur pour ses appels téléphoniques; elle ne pouvait pas se permettre une alarme incendie spéciale munie d'un avertisseur lumineux et non sonore pour lui indiquer un danger; enfin, elle n'était pas admissible à une aide spéciale pour trouver du travail.

En réalité, nous évoluons dans un fédéralisme décentralisé selon lequel chacun y va de sa propre définition et de ses propres programmes. Je ne sais pas que vous recommander à ce sujet.

Sur le plan du droit, nous avons bien la Loi canadienne sur la santé, qui fixe les normes de base que doivent respecter toutes les provinces. Nous pourrions peut-être faire la même chose pour les garderies et les personnes handicapées en imposant des normes de base qui devraient être respectées partout. En revanche, ça risque d'être impossible à négocier compte tenu du climat actuel.

Le sénateur Munson : C'est le raisonnement que je me tenais au sujet de la santé mentale. Notre comité a recommandé la création d'une Commission canadienne de la santé mentale, qui existe maintenant. Je pense à la sensibilisation des employeurs qui doivent être conscients de ce problème, lequel n'est plus caché, puisqu'il a été exposé en pleine lumière, comme on l'a dit. Nous devons adopter une approche pour faire face à ce genre de situation pour que les personnes qui tombent malades tandis qu'elles n'ont pas d'emploi et qui doivent aller se faire traiter, comme dans les cas de cancer, ne soient pas pénalisées.

Pensez-vous que l'on pourrait inclure une disposition, pas forcément dans la loi, mais ailleurs, afin d'encourager les employeurs à continuer de verser le salaire de ces personnes à un taux inférieur, supérieur toutefois à celui de l'assurance-emploi, pour que l'intéressé puisse réintégrer la société canadienne?

Mme Klodawsky : Il faut faire un rapport avec la notion d'intersectionnalité. Il faut intégrer cette dimension à la façon dont nous évaluons toutes nos politiques sociales. Nous devons nous poser la question des répercussions de telle ou telle politique sur les femmes souffrant d'un handicap mental ou physique. Dans toutes nos prises de décisions, nous devons être conscients que les situations très différentes de chacun ont un effet incroyable sur la répercussion qu'auront sur eux nos lois et nos politiques sociales, pour le meilleur ou pour le pire.

Nous devons intégrer cela dans notre raisonnement général, non pas comme un simple ajout, mais comme un premier pas visant à reconnaître que les différentes façons dont les gens font l'expérience du monde — les défis auxquels ils sont confrontés, leurs capacités et leurs forces — constituent le principal facteur déterminant de l'effet d'une prestation donnée.

Comme Mme Burrows le disait, on ne peut adopter une approche à la petite semaine. Il faut tout réévaluer. Si nous voulons raisonner en termes d'objectifs à atteindre, nous allons devoir repenser notre approche, si nous sommes intéressés par l'inclusion, par une société à laquelle les gens auront l'impression de participer et dans laquelle ils se sentiront appréciés et où ils auront l'impression que l'on reconnaît leurs aptitudes dont il faut s'occuper. Je me suis exprimée de façon très générale, mais cela nous place dans la perspective des droits de la personne. Il existe de merveilleux outils permettant d'évaluer ce genre de diversité et de commencer à miser sur ce plan.

L'autre question connexe que je voulais aborder tient au fait que le Canada est un merveilleux pays qui encourage les projets pilotes, ce qui peut donner de bons résultats mais qui ne débouche pas toujours sur des enseignements utiles. Il ne faut pas généraliser cette formule, même si celle-ci est susceptible de nous rapporter une masse de connaissances pouvant être très intéressantes.

Le sénateur Munson : Au début de nos échanges, Mme Burrows a parlé d'éducation en matière de sexisme. Il suffit d'aller dans des magasins-entrepôts complètement fous pour y croiser de jeunes employées, ou encore dans des résidences pour personnes âgées où le personnel d'assistance aux soins est essentiellement composé de femmes et où les hommes sont rares. Les femmes ne sont pas très bien payées dans tous ces domaines d'activité.

Voyons brièvement en quoi nous changerions cette situation s'il existait une éducation sur le sexisme. Il faudra bien que quelqu'un occupe les emplois que j'ai décrits : de jeunes hommes ou de jeunes femmes, ou des hommes ou des femmes plus âgés. J'aimerais voir comment nous affranchir de ce terme « éducation en matière de sexisme ».

Êtes-vous en train de nous dire que si nous nous sommes retrouvés là, c'est parce qu'on a encouragé de jeunes femmes à abandonner leurs études pour aller travailler dans un magasin, à rapporter de l'argent et à ne plus s'inquiéter du reste, ou qu'on a des étrangers et des Néo-Canadiens qui en sont venus à s'occuper de nos mères et de nos pères moyennant un salaire minimum?

[Français]

Mme Burrows : Je ne sais pas si j'ai employé les mots « éducation sexiste ». Il y a une partie de mon texte écrit qui était deux fois trop long. Entre autres, j'y parle du patriarcat. J'ai décidé de biffer cette partie et d'aller à des exemples plus concrets ou faciles à comprendre. Quand on parle de socialisation différenciée, quand on est née femme, la jeune fille se fait dire qu'on est supposée être plus douce, plus aimante, plus aidante naturellement, et cetera. C'est toute une question de socialisation qu'on intègre. On dit aux hommes d'être plus performants et compétitifs. C'est une des sources du fait qu'on différencie des rôles basés sur le fait que naturellement ou biologiquement on est supposé être différent et ensuite on les hiérarchise.

Lorsque Mme Morris a parlé des métiers, on parle généralement de métiers traditionnellement masculins plus valorisés et ceux dit féminins le sont moins. C'est l'extension normale de ce qu'on nous a appris lorsqu'on était jeune, de devenir soit travailleuse sociale, infirmière ou professeure parce qu'on nous apprend, en tant que fille, dès notre jeune âge, à aider et à répondre aux besoins des autres. On devient des bonnes mères et des bonnes épouses et c'est en dernier lieu qu'on a le droit de penser à nos propres besoins de femmes.

J'ai travaillé pendant cinq ans dans un centre de femmes à faire des activités d'éducation populaire et du counselling. C'était incroyable de voir, peu importe leur âge, à quel point les femmes pouvaient faire des prises de conscience et de constater jusqu'à quel point elles niaient leurs propres besoins et à quel point elles ne se sentent outillées pour répondre à leurs propres besoins.

Cela fait partie de toute cette socialisation sexiste. Je mentionne cela afin d'expliquer davantage le concept dont j'ai parlé. Mais comment le changer? J'ai parlé tout à l'heure de l'importance de travailler de façon plus globale et plus systématique. Ce n'est pas demain que l'on fera tomber le système social patriarcal, mais nous pouvons faire toutes sortes de choses, autant individuellement que collectivement, pour changer cela.

[Traduction]

Le sénateur Munson : Je peux vous parler des idées traditionnelles qui ont cours. Ma mère est dans une résidence pour personnes âgées. Il n'y a pas si longtemps, un infirmier s'est présenté à elle et elle ne voulait pas lui faire confiance à moins qu'il lui prouve qu'il avait été formé à l'Hôpital Royal Victoria de Montréal. Elle lui a demandé ce qu'il faisait là en lui précisant qu'elle faisait confiance aux infirmières. Il faudra donc que les attitudes changent à cet égard.

Nous apprécions beaucoup ce que vous avez décrit. Par exemple, nous avons rédigé un rapport sur l'autisme intitulé Payer maintenant ou payer plus tard : les familles d'enfants autistes en crise. Les recommandations des témoins que nous avons entendus sur ce thème se sont retrouvées dans notre rapport.

Inutile de vous étendre sur le sujet, mais dites-moi s'il y a quoi que ce soit que le gouvernement pourrait faire afin d'éliminer la pauvreté chez les femmes, s'il y a une action concrète qui, selon vous, devrait être mentionnée en premier lieu dans notre rapport qui concernera les villes et la santé de la population, et cela dans un langage clair et intelligible.

Le président : Il faudra que vous fassiez vite, mais après tout, nous cherchons à connaître l'élément, s'il y en a un, qui permettrait d'y parvenir.

[Français]

Mme Burrows : Il n'y a pas qu'une seule chose. De plus, nous sommes davantage concentrés sur la lutte contre la pauvreté au niveau provincial. Pour la campagne récente de la Marche mondiale des femmes au Québec, la revendication la plus urgente et la plus prioritaire était l'augmentation du salaire minimum. Je sais que cela ne relève pas du gouvernement fédéral, mais je mentionne cela comme une des pistes reconnues par les féministes québécoises comme étant une revendication prioritaire; donc l'augmentation du salaire minimum pour qu'il soit haussé au-dessus du seuil de la pauvreté. Il s'agit d'une augmentation substantielle.

[Traduction]

Mme Klodawsky : On parviendrait en grande partie à réduire l'incidence de la pauvreté si l'on disposait de logements sûrs, abordables et garantis. Ils permettraient d'éviter les conséquences de l'augmentation des prix des aliments et du coût de la vie. Pour les personnes résidant dans un logement garanti, la plupart de ces défis deviennent gérables, mais sans cet élément central, tout devient chaotique et beaucoup plus difficile.

Mme Morris : J'ai de la difficulté à vous répondre, parce que je pense qu'il faut intervenir sur plus d'un plan à la fois.

Le sénateur Munson : Dites-nous au moins une chose, pour que nous puissions nous retrouver avec quatre suggestions.

Mme Morris : Si je devais ramener tout cela à une seule et même chose, je dirais qu'il faut consulter les femmes à faible revenu afin de savoir ce qu'elles veulent et ce dont elles ont besoin et elles vous parleraient alors de tous les autres éléments, c'est-à-dire les garderies, le transport public, le logement et un revenu décent.

Mme Young : Je suis tout à fait d'accord avec ces trois suggestions. Je me dois, bien sûr, d'en rester à mon domaine de compétence et il est indéniable que pour parvenir à l'excellence, il faut pouvoir s'appuyer sur des programmes sociaux excellents. Mes collègues vous ont dit ce à quoi ces programmes devraient ressembler. Si vous recourez au système fiscal pour les administrer, vous devrez être très prudents. Vous devrez examiner les répercussions sur toutes les femmes en tenant compte de leur race, leur classe et ainsi de suite. Attention au sujet de l'utilisation du système fiscal. C'est tout ce que je veux dire. J'estime que, jusqu'ici, il est imparfait et qu'il convient de le réexaminer.

Le sénateur Munson : Merci beaucoup.

Le président : Il nous reste cinq minutes et j'ai une autre question à vous poser. Je vous demanderai également d'y répondre rapidement.

Dans une dizaine de jours environ, nous allons organiser une table ronde sur la question du revenu annuel garanti qui est un impôt négatif sur le revenu. Certains pensent que c'est une bonne solution pour régler les problèmes de revenu, mais d'autres estiment que le revenu n'est pas tout en matière de pauvreté et qu'il faut aussi offrir de nombreux services.

Que pensez-vous de l'idée d'un revenu annuel garanti? Est-ce la solution ou une partie de la solution ou est-il temps de passer à autre chose?

Mme Young : On parle depuis longtemps déjà de l'impôt négatif sur le revenu. À lui seul, il ne peut être la solution. Il pourrait en faire partie, mais comme vous l'avez dit, il y a bien d'autres éléments qui entrent en jeu et on ne peut pas laisser tomber tout le reste. C'est une solution partielle qu'il convient de mettre en œuvre avec autre chose.

Mme Morris : Je suis favorable au revenu annuel garanti, bien qu'on le décrive également comme étant un instrument de « pauvreté annuelle garantie », parce que tout dépend du taux consenti. Celui-ci pose également des difficultés sur le plan politique, parce qu'il faudrait augmenter les impôts afin d'aller chercher l'argent nécessaire pour payer tout le monde. De plus, nous aurions affaire, une fois de plus, à tous les stéréotypes discriminatoires contre les pauvres et aux sempiternelles questions consistant à se demander pourquoi le toxicomane ou l'alcoolique devrait obtenir de l'argent. Il faudrait aussi composer avec ce genre de stéréotypes dans le cas de personnes vivant dans la pauvreté.

Je suis d'accord avec ce qu'a dit Mme Young. En Colombie-Britannique, par exemple, les femmes bénéficiaires de l'aide sociale doivent faire des déclarations de revenus et elles s'adressent à des spécialistes en déclarations d'impôt sur le revenu, comme H&R Block, qui prélèvent leur part au passage. Les contribuables canadiens donnent donc de l'argent directement à H&R Block et à d'autres spécialistes en déclarations. Moi aussi, j'ai beaucoup de réserves au sujet de l'utilisation du système fiscal.

Mme Klodawsky : Quant à moi, je me demande à quoi correspondra ce revenu. Jusqu'où ira ce revenu annuel garanti? Parviendra-t-on aux résultats nécessaires?

Le revenu ne constitue pas une réponse à lui seul. L'important, c'est ce qu'il permet de réaliser. Si le prix du logement ne cesse d'augmenter et que le revenu ne suit pas la même courbe, au bout du compte, les gens seront plus mal lotis qu'avant. Tout cela est une question de choix ce qui est fort important. Si nous investissons beaucoup dans les revenus annuels garantis, cela voudra-t-il dire qu'on disposera moins pour investir dans les logements sociaux, les écoles et les soins de santé?

Il convient donc d'envisager toutes les répercussions d'une telle mesure, pas de façon générale uniquement, mais bien sur les différents groupes concernés, sur les différents groupes d'hommes et de femmes qui connaissent des situations différentes.

Et puis, il y a la question du choix du moment. Cette solution peut paraître séduisante à un moment donné, mais si on pousse le raisonnement à terme de dix ans, à quoi pourrait correspondre ce revenu?

[Français]

Mme Burrows : Le revenu minimum garanti est effectivement une piste explorée ou mise de l'avant par beaucoup de mouvements sociaux. Cela pourrait être une partie de la solution. Cela dépend du niveau et de l'indexation. C'est clair. Comme je le disais, concernant l'aide sociale, je n'en reviens pas qu'en plus du fait que ce ne soit déjà pas assez pour survivre, ce minimum ne soit pas au moins indexé au coût de la vie. Il faut donc un revenu minimum garanti dont le niveau de départ soit raisonnable et qu'ensuite ait lieu une indexation liée au coût de la vie, mais il est clair que cela ne pourrait qu'être une réponse partielle.

[Traduction]

Le président : Merci, mesdames, pour vos exposés et vos réponses à nos questions. Vous avez été une mine d'informations qui vont nous être très utiles.

Chers collègues, nous reprendrons demain à 8 h 30 sur le thème du logement abordable. Nous nous intéresserons plus particulièrement à l'accession à la propriété abordable.

La séance est levée.


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