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Sous-comité sur les villes

 

Délibérations du Sous-comité sur les villes

Fascicule 6 - Témoignages du 14 août 2008


HALIFAX, NOUVELLE-ÉCOSSE, le jeudi 14 août 2008

Le Sous-comité sur les villes du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 heures pour examiner les questions d'actualité des grandes villes canadiennes et en faire rapport.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue au Sous-comité sénatorial sur les villes. Notre sous-comité effectue une étude des grandes villes canadiennes qui se penchera dans un premier temps sur la pauvreté, le logement et le sans-abrisme. Ce faisant, nous poursuivons le travail précédemment entrepris par le Sénat, notamment le rapport publié par le sénateur Croll et son comité en 1970, ainsi que les travaux réalisés en 1997 par le sénateur Cohen, dont le rapport s'intitulait La pauvreté au Canada : le point critique. Étant donné que notre invité ce matin vient du Nouveau-Brunswick, j'ai jugé bon de mentionner que le sénateur Cohen est aussi originaire de cette province. Nous l'avons invitée à venir aujourd'hui, mais elle n'a pas été en mesure de le faire. Toutefois, je crois savoir qu'elle continue de faire de l'excellent travail dans la région de Saint John.

Notre étude est aussi un complément à une étude sur la pauvreté en milieu rural que vient de terminer le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.

Notre sous-comité a terminé ses audiences à Ottawa et, à la fin de juin, nous avons publié notre rapport, qui s'intitule Pauvreté, logement et sans-abrisme : Enjeux et options, dans lequel nous dressons une liste de quelque 103 options visant à solutionner les grands défis que représentent la pauvreté, le logement et le sans-abrisme. Ce matin, nous amorçons notre deuxième journée de travail ici, dans la Municipalité régionale de Halifax.

Notre premier témoin ce matin est M. Luc Thériault, professeur de sociologie à l'Université du Nouveau-Brunswick, où il donne des cours sur la théorie, l'évaluation et la politique sociale. Il a aussi fait partie du corps professoral de l'Université de la Saskatchewan, où il a mené des recherches sur la transition entre l'aide sociale et l'emploi et sur les rôles des organisations du secteur bénévole. Nous avons déjà entendu de nombreux témoignages sur ce sujet, et nous sommes impatients d'entendre votre opinion, professeur. Bienvenue.

Luc Thériault, professeur de sociologie, Université du Nouveau-Brunswick : Permettez-moi une petite mise au point. J'enseignais à l'Université de Regina. La concurrence ne goûterait guère cette méprise, n'est-ce pas? Je vous remercie de m'avoir invité.

Votre rapport ratisse large et j'ai été quelque peu surpris en le lisant. Par conséquent, je vais passer en revue un certain nombre de points, dans l'espoir qu'à l'étape des questions, nous pourrons nous attacher à des choses qui intéressent particulièrement le comité.

Le rapport compte plus d'une centaine de recommandations. Évidemment, il ne me sera pas possible en sept minutes de les commenter toutes. Je vais donc faire une brève déclaration sur un certain nombre de points et ensuite, nous pourrons y revenir à l'étape des questions.

J'ai été quelque peu étonné que vous ayez autant parlé d'aide sociale étant donné que l'aide sociale relève de la compétence des provinces. Je vous inviterais à faire preuve de prudence dans vos recommandations concernant l'aide sociale car, comme vous le savez, les gouvernements provinciaux n'hésiteront pas à vous rappeler, avec raison, que ce domaine n'est pas de votre ressort.

Par contre, des domaines comme l'assurance-emploi et le RPC relèvent sans l'ombre d'un doute de la compétence du gouvernement fédéral et, à cet égard, vos recommandations ont beaucoup de crédibilité.

Je voudrais tout d'abord vous donner un aperçu de ma perspective générale. À mes yeux, il est important de collaborer avec les organisations communautaires et les organismes sans but lucratif ou à société unique. Au Québec, nous les appelons les entreprises d'économie sociale car elles sont solidement implantées dans leur région et disposent d'une grande expertise. D'ailleurs, certaines de vos recommandations y font allusion. L'une d'elles recommande de les respecter et de collaborer avec elles.

En toute déférence, s'agissant des enjeux de la politique sociale, je ne crois pas que le salut vienne d'Ottawa. Je me désole que certains dirigeants au niveau provincial adoptent parfois une attitude attentiste. Ils attendent qu'Ottawa bouge pour ensuite réagir. De nombreuses orientations et initiatives de politique sociale ont pris naissance dans les provinces et, ensuite, grâce à l'aide du gouvernement fédéral, elles ont été appliquées à l'échelle du pays. Je voulais simplement souligner ce fait.

Il est fait mention ici et là d'une approche fondée sur les droits. Je ne suis pas un grand fervent d'une telle approche en matière de politique sociale, non pas parce que je ne souhaite pas que les gens aient des droits, mais parce que cette approche favorise le recours aux tribunaux. Un juge se trouve alors investi d'une énorme responsabilité dans le processus décisionnel, et je ne trouve pas cela très constructif.

De même, je ne prise guère l'approche fiscale, ou la voie fiscale ou encore la « fiscalisation » de la politique sociale, qui consiste à moduler cette dernière en se servant du régime fiscal et de l'impôt sur le revenu, entre autres. Il y a une place pour cette démarche, mais le problème tient au fait que cet exercice porte atteinte à la démocratie et manque de transparence. Cela devient un problème technique intéressant un comptable plutôt qu'un débat politique. Lorsque l'on crée un avantage social et que l'on met en place un programme, il faut qu'il y ait un débat et que cette solution recueille des appuis. Il ne faut pas que cette initiative soit uniquement perçue comme une modification de détail du régime d'imposition.

Voilà mes commentaires préliminaires.

Au sujet de l'assurance-emploi, je ne suis sans doute pas aussi négatif que Keith Banning l'est dans votre rapport. Je pense qu'il y a toujours une place pour l'AE. À mon sens, la logique d'un tel programme se défend. Toutefois, depuis une dizaine d'années, la caisse de l'assurance-emploi enregistre des surplus, d'où la question suivante : que faire de ces surplus? Les employeurs veulent généralement une réduction de leur contribution. Personnellement, je privilégierais plutôt un assouplissement des règles d'admissibilité. J'estime qu'il faut rendre l'assurance-emploi plus accessible car à l'heure actuelle un grand nombre de personnes sont tenues de verser des cotisations obligatoires sans avoir jamais l'espoir de toucher un sou. Je ne pense pas que ce soit juste. C'est une question d'équité. En même temps, je rendrais le système, que je trouve passif, un peu plus actif. Je mettrais l'accent sur des programmes de formation ciblée relevant du programme de l'assurance-emploi. Voilà en bref ce que je voulais dire au sujet de l'assurance-emploi.

En ce qui concerne l'aide sociale, il est évident que certaines prestations versées aux bénéficiaires de l'aide sociale sont insuffisantes, particulièrement si ces derniers vivent dans des villes où le logement est très cher. Aucun politicien ne remportera une campagne électorale au Canada en disant qu'il souhaite relever les prestations d'aide sociale, et c'est là l'un des problèmes. C'est une réalité politique.

Je veux attirer votre attention sur la page 73. On y trouve un commentaire intéressant qui, à mon sens, invite le gouvernement fédéral à faire le ménage dans ses propres programmes de soutien du revenu. Il s'agit de l'option 97. Je vous invite à dire au gouvernement fédéral qu'il pourrait faire le ménage dans sa propre maison au lieu de dire au gouvernement provincial de quelle façon modifier l'aide sociale. Selon un dicton francophone, mieux vaut balayer devant chez soi avant de dire au voisin comment nettoyer sa maison.

À mon avis, les trois grands vecteurs de la réduction de la pauvreté en général sont les suivants : les services de garde d'enfants, le logement social et le transport en commun. Ils touchent tous les citoyens car tout le monde peut avoir un enfant, tout le monde doit se loger et tout le monde doit se déplacer. Des investissements d'envergure dans des programmes de services de garde d'enfants, dans le logement social et le transport en commun amélioreraient énormément la situation des personnes à faible revenu dans notre pays. De plus, ils le feraient d'une façon qui ne comporterait pas de stigmatisation car ils seraient aussi avantageux pour d'autres citoyens.

En ce qui a trait à l'aide sociale, la Saskatchewan a fait une expérience intéressante. Elle s'est attaquée à la stigmatisation du bien-être social en faisant en sorte que les personnes qui quittent l'aide sociale, mais qui demeurent de petits salariés continuent de pouvoir toucher des prestations supplémentaires pour soins médicaux. À mon avis, cette pratique est exemplaire.

J'ai déjà parlé de la « fiscalisation » de la politique sociale. Je n'y reviendrai pas, sinon pour parler de la récupération fiscale de l'aide sociale. De toute évidence, il faut accorder aux bénéficiaires de l'aide sociale un incitatif leur permettant de conserver une partie de l'argent qu'ils gagnent, à tout le moins au cours d'une période de transition. Le premier 50 cents est en quelque sorte l'idée à privilégier, ce qui serait formidable. Si le fisc vous reprend chaque dollar que vous gagnez, pourquoi aller travailler? C'est une option qu'il faut envisager.

Il faut relever le salaire minimum. Je comprends que les petites entreprises ne peuvent payer un salaire minimum de 11 $. Je ne sais pas trop quel est le salaire minimum au Nouveau-Brunswick, mais il est très bas. Ce n'est pas raisonnable. Nous devons rendre le travail plus attrayant.

Concernant les services de garde d'enfants, la documentation illustre certains problèmes auxquels nous sommes confrontés. Au Québec, une expérience formidable est en cours. Le ministre Ken Dryden a parcouru le pays et il a eu beaucoup de mal lorsqu'il a tenté de négocier avec les 13 provinces et territoires des ententes ayant suffisamment d'éléments communs pour créer un réseau national. C'est le défi auquel nous sommes confrontés dans la fédération lorsque l'on tente de mettre sur pied un programme national, particulièrement dans les domaines de compétence provinciale.

Il faut maintenir la pression en ce qui concerne les services de garde. Sans vouloir manquer de respect au gouvernement conservateur, je ne pense pas que qui que ce soit prenne au sérieux la prestation créée par le gouvernement Harper.

Pourquoi le transport en commun est-il important? Pour que les démunis puissent se déplacer pour faire une recherche d'emploi et aller travailler lorsqu'ils en auront trouvé un. C'est un problème énorme. Montréal a un très beau métro qui a été construit dans les années 1960, mais ses concepteurs ne se sont pas du tout souciés des personnes en fauteuil roulant. Je ne pense pas qu'il y ait un seul ascenseur ou une seule station du métro de Montréal qui soit accessible aux personnes handicapées. Il faudra investir des sommes énormes pour arranger les choses. À l'avenir, nous serons tous handicapés en ce sens que nous vieillirons et qu'à l'âge de 70 ou de 90 ans, nous aurons des problèmes de mobilité. Ce n'est pas « nous » contre « eux ». Nous sommes tous des personnes handicapées potentielles. Avec le vieillissement de la population, ce sont des initiatives qu'il faudra prendre. Le transport, tout comme les services de garde, est un enjeu de taille.

Je vais sauter les exigences linguistiques applicables aux immigrants, avec lesquelles je suis passablement d'accord. Cela se trouve à la page 38.

Votre rapport fait état d'un débat au sujet de la priorité accordée au logement par rapport au continuum. À mon avis, nous avons trop mis l'accent sur le sans-abrisme au cours de la dernière décennie, en ce sens que le sans-abrisme était le pire scénario. Le sans-abrisme est en partie attribuable à l'évolution de la Société centrale d'hypothèques et de logement, la SCHL, du début jusqu'au milieu des années 1990 et au fait que le gouvernement fédéral a retiré son appui à la construction de logements sociaux. Nous devons recommencer à bâtir des logements sociaux pour les gens qui vivent dans les villes, qui sont souvent des célibataires ou de petites familles dirigées par des femmes. Il faut intervenir pour que ces personnes puissent avoir un toit et éviter de devenir des sans-abri. Je ne dirai pas qu'il est trop tard, mais nous avons attaqué le problème alors que le patient était aux soins intensifs. Il faut nous attacher davantage à la prévention et investir dans le logement social.

Les organisations communautaires, les organismes sans but lucratif qui oeuvrent sur le terrain peuvent être fort utiles. Ils ont des tas d'idées à ce sujet.

En ce qui a trait à la reddition de comptes, abordée à la page 65, le cadre de responsabilisation ou la mentalité post- Gomery pour les organismes communautaires, par exemple, est un obstacle car c'est une barrière à l'innovation. Quiconque souhaite innover ou changer les choses doit prendre des risques. La prise de risques peut engendrer un certain gaspillage d'argent, mais si l'on ne prend jamais de risques, il n'y aura jamais d'innovation. On continuera de faire les choses comme avant. En matière de reddition de comptes, la mentalité qui règne à l'heure actuelle veut que quiconque a affaire au gouvernement est récompensé pour avoir agi comme il se doit, ce qui est la façon dont ces organismes ont toujours agi auparavant. Je souscris entièrement au principe de la responsabilisation, mais lorsqu'elle devient un obstacle à l'innovation, je pense que c'est un problème.

Je n'ai pas grand-chose à dire au sujet de l'appareil gouvernemental. Vous connaissez Ottawa mieux que moi, mais permettez-moi de vous communiquer la perception que les régions du pays ont du climat qui règne à Ottawa. Nous pensons que l'appareil gouvernemental est paralysé. Nous pensons qu'aucune décision n'est prise à l'heure actuelle, que tous les fonctionnaires avec lesquels nous sommes en contact ne peuvent prendre de décisions. Il faut que les choses bougent car cet état permanent d'indécision n'est pas bon pour le pays.

Au sujet de l'appareil gouvernemental, il faut mettre l'accent sur les affaires intergouvernementales, les relations entre le gouvernement et les provinces.

En conclusion, j'aime beaucoup votre dernière recommandation, l'option 103, qui évoque la nécessité de consulter les bénéficiaires, de parler aux « clients », car on peut apprendre beaucoup en s'entretenant avec un prestataire au sujet du régime du bien-être social, et parfois beaucoup plus qu'on pourrait en apprendre en discutant avec un économiste.

Le président : Je suis d'accord avec votre dernier point, mais à mon avis, certains économistes et des gens d'autres horizons peuvent aussi apporter une contribution intéressante, et c'est pourquoi nous rassemblons énormément d'information. Les propos que vous avez tenus au début de votre intervention m'ont quelque peu étonné. Je comprends tout à fait que les provinces disposent de certains champs de compétence et que nous devons faire preuve de prudence lorsque nous les abordons. Nous respectons cela, et je ne pense pas que l'exercice auquel nous nous livrons ici ait pour effet d'imposer quoi que ce soit aux provinces. Nous tentons de susciter une atmosphère davantage axée sur la collaboration qui permettrait aux différents ordres de gouvernement, non seulement les paliers fédéral et provinciaux, mais aussi les gouvernements municipaux et les organismes communautaires, de travailler main dans la main pour résoudre des problèmes qui font fi des distinctions de juridiction : la pauvreté, les systèmes de soutien du revenu fédéraux et provinciaux, et cetera. Nous voulons adopter une approche holistique en vue de relever les défis que représentent la pauvreté, le logement et le sans-abrisme.

Y a-t-il des véhicules particuliers qui, à votre avis, favoriseraient cette collaboration sans que l'on croie que nous essayons de balayer devant la maison du voisin?

M. Thériault : Oui. Je crois que l'on fait mention dans le rapport du Conseil de la Fédération, une création relativement récente, dont la pertinence semble en dents de scie. Les deux dernières rencontres ont sans doute soulevé des questions, quant à savoir si les premiers ministres avaient réellement la volonté de travailler ensemble, mais je pense que ce conseil pourrait jouer un rôle en mettant l'accent sur la réduction de la pauvreté et sur les quartiers des centres- villes aux prises avec des problèmes. À tout le moins, je pense que ce serait une tribune au sein de laquelle les provinces ne se sentiraient ni menacées ni bousculées. C'est une option qu'il faut la peine d'envisager. Étant donné qu'il s'agit d'une nouvelle institution, le conseil serait peut-être plus ouvert au changement que des institutions de longue date.

Le président : C'est un argument intéressant.

Deux provinces ont adopté des stratégies de réduction de la pauvreté, le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador. En fait, le Québec a adopté une loi en ce sens. La Nouvelle-Écosse a adopté une mesure législative prévoyant la création d'un groupe de travail et on peut supposer que cette mesure débouchera sur l'instauration d'un programme de réduction de la pauvreté. Une étude de ce genre est également en cours dans ma province d'origine, l'Ontario.

Pensez-vous que le leadership de ces provinces pourrait inciter les autres à leur emboîter le pas? Le Conseil de la fédération pourrait-il être l'acteur principal, par opposition au gouvernement fédéral?

M. Thériault : Un comité permanent de sous-ministres de toutes les provinces et d'une brochette de ministres responsables des enjeux liés à la pauvreté pourrait présenter des recommandations aux dirigeants, aux premiers ministres. C'est une avenue à explorer. Bien entendu, il faudrait qu'il soit à l'écoute des gens sur le terrain.

Au sujet de l'appareil gouvernemental, je veux aussi mentionner l'idée d'une table ronde de consultation au niveau régional, en-dessous du niveau provincial. Lorsque je travaillais en Saskatchewan, nous avions des tables rondes comme celle-là dans différents domaines. Il y en avait une consacrée au logement et une autre à la violence conjugale. Les participants à ces tables rondes étaient issus des gouvernements, des organismes communautaires, des villes. Il n'y était pas question de la façon de répartir les fonds. Les participants s'informaient les uns les autres de leurs actions et discutaient des enjeux. Bien souvent, il était surprenant de voir de quelle façon un consensus relatif émergeait au sujet des priorités. Les participants étaient vraiment des gens de terrain, de première ligne.

Ce processus de consultation sous forme de table ronde n'était pas onéreux. On a seulement besoin d'un animateur qui agit comme coanimateur et d'un peu d'argent pour payer les frais de transport, de location d'une salle dans un hôtel, et cetera. Cet exercice permet vraiment de faire ressortir des solutions viables dans un endroit précis.

Vous évoquez dans votre rapport une politique fondée sur la géographie. Je ne sais pas ce qu'il en est au gouvernement fédéral, mais à mon avis, la plupart des gouvernements provinciaux n'ont pas l'expertise pour effectuer une analyse des politiques fondées sur la géographie. Combien de personnes au gouvernement peuvent utiliser le système d'information géographique SIG pour créer des cartes, décrire des endroits, préciser la concentration d'un programme social à un endroit donné? Très peu. Au niveau provincial, à tout le moins, l'expertise des analystes de politiques de niveau intermédiaire s'est tarie car ce ne sont pas des fournisseurs des services de première ligne. Par conséquent, les gouvernements administrent leurs programmes à l'aveuglette. Il n'y a aucune rétroaction; ils ignorent si leurs programmes donnent les résultats escomptés, mais ils continuent de les maintenir. Parallèlement, lorsque l'on accorde 100 000 $ à des organismes communautaires, on exige d'eux toutes sortes de rapports et une évaluation qui gruge 10 p. 100 de leur subvention alors que l'on administre des programmes de plusieurs milliards de dollars pratiquement sans évaluation. Je pense qu'il serait très instructif d'examiner l'action des organismes communautaires par le biais de consultations sous forme de tables rondes.

Le président : Je crois savoir que vous avez passablement d'expérience concernant le concept de la valorisation du travail, pour reprendre une expression utilisée à cet égard. Au cours de notre voyage, tant ici à Halifax qu'à St. John's, on nous a parlé du fossé qui existe lorsque les gens abandonnent l'aide sociale pour aller travailler. Leurs salaires sont dérisoires et comme ils n'ont plus droit aux soins dentaires ou de santé, en fait, ce n'est pas payant de faire le saut sur le marché du travail. C'est toujours un grand défi.

À votre avis, quelles sont les solutions à ce problème? Plus particulièrement, quelle pourrait être la réponse du gouvernement fédéral?

M. Thériault : Vous avez raison. Prenez le cas d'une mère de deux jeunes enfants qui ont des problèmes de santé et qui doivent suivre un régime spécial. Si elle ne reçoit plus d'aide et qu'elle doit payer elle-même ces services, elle n'améliore pas son sort. Le fait de travailler entraîne des coûts. Il y a des frais multiples, notamment se vêtir et se déplacer, associés au fait de commencer à travailler. Il est difficile pour les gens qui étaient prestataires de l'aide sociale d'assumer ces coûts.

J'ai parlé tout à l'heure du transport. Rendre les transports publics aussi efficaces à un coût aussi modique que possible facilite la tâche aux gens qui sont en recherche d'emploi ou qui doivent se rendre à leur travail tous les jours. De même, le fait de bénéficier d'un logement social signifie qu'une personne peut fournir une adresse à un employeur éventuel.

Imaginez ce que c'est que de chercher un emploi lorsqu'on n'a pas d'adresse permanente à fournir à son futur employeur. À votre avis, quelles sont vos chances d'être embauché? Si l'employeur ne peut pas vous rejoindre, il trouvera quelqu'un d'autre.

Le logement et le transport sont deux facteurs primordiaux. De plus, si vous êtes une mère de famille monoparentale avec deux enfants d'âge préscolaire, l'accessibilité des services de garde entre en ligne de compte. Voilà pourquoi le transport, les services de garde d'enfants et le logement social sont, à mon avis, les grandes priorités.

Le président : Très bien.

Le sénateur Segal : Monsieur Thériault, je vous remercie d'être venu comparaître ce matin pour nous faire part de votre évaluation approfondie des options énoncées dans le rapport du comité. Je vous remercie également du travail formidable que vous avez fait en tant que professeur et chercheur sur certains obstacles qui rendent difficile le passage de l'aide sociale au marché du travail. C'est une contribution constructive à la qualité du débat et, espérons-le, à la qualité des orientations stratégiques du gouvernement.

Cela dit, je suis perplexe face à votre rejet catégorique de la « fiscalisation » des solutions proposées. Mon problème est le suivant : d'une part, vous dites que cela ne relève pas vraiment du champ d'action du gouvernement fédéral; que la sécurité du revenu est un domaine de compétence provinciale. D'autre part, vous affirmez également qu'il ne faut pas « fiscaliser » le problème alors que le seul instrument utilisé par le gouvernement fédéral au fil des ans — avec succès, je crois — est le Crédit d'impôt pour enfants. Il y a aussi le Supplément de revenu garanti, qui est lié au niveau de revenu déclaré par les personnes âgées. Le gouvernement actuel vient tout juste de relever le plafond applicable à l'octroi de cette prestation, même si l'on a une autre source de revenu, ce qui est tout à son honneur.

Sans vouloir vous accuser de conspiration, vous êtes parfois critique à l'endroit du gouvernement en faisant valoir qu'il empiète dans un champ de compétence qui n'est pas le sien et ensuite, en affirmant qu'il est inapproprié de « fiscaliser » le problème, vous diminuez le domaine constitutionnellement valide qui permet au gouvernement fédéral d'intervenir.

Par exemple, à la fin des années 1970, le gouvernement fédéral a pris une décision concernant les personnes âgées et le Supplément de revenu garanti. Il s'est servi du régime fiscal. Lorsque la TPS a été créée, cela a suscité à l'époque toute une controverse. Le gouvernement du jour a absorbé une baisse de popularité dans les sondages, passant d'environ 29 ou 30 p. 100 à 7 p. 100. Autrement dit, à ce moment-là, il y avait davantage de gens qui pensaient qu'Elvis Presley était vivant que de partisans du gouvernement. Néanmoins, le gouvernement a instauré le crédit pour TPS, ce qui permettait aux personnes ayant un revenu inférieur à 30 000 $ de récupérer une partie de la TPS. En effet, nous savons que la Taxe de vente sur les produits et services est extrêmement régressive pour les personnes à faible revenu dont le pouvoir d'achat discrétionnaire est limité. Ces personnes dépensent pratiquement tout leur argent en biens de consommation, ce qui signifie qu'une bonne partie de leurs achats sont assujettis à la TPS, sauf les dépenses pour la nourriture.

Je voulais vous sonder quelque peu à ce sujet et, avec votre permission, je voudrais faire le lien avec le document que vous avez rédigé en 2000, si je ne m'abuse, sur certaines questions liées au bien-être social. L'une des propositions les plus marquantes concernant le marché du travail, qui a été émise par Milton Friedman, était l'impôt négatif sur le revenu. Si cette proposition avait été adoptée en tant qu'instrument de sécurité du revenu, elle aurait engendrée une « fiscalisation » massive du processus.

Pouvez-vous nous communiquer vos réflexions sur cette problématique et nous dire pourquoi le recours au régime fiscal vous dérange autant?

Dans mon propre cours à Queen's, j'enseigne que la Loi de l'impôt sur le revenu devient toujours de plus en plus volumineuse et que les décisions de politique qui sont implicites dans chaque règlement sous-entendent souvent des décisions que nous avons prises en tant que société, mais à propos desquelles nous n'avons jamais vraiment été consultés. Par exemple, la Loi de l'impôt stipule qu'une petite entreprise peut déduire de son revenu imposable un million de dépenses différentes, ce qui veut dire que l'État finance ces dépenses. Les familles, par contre, dépensent de l'argent pour acheter une foule de choses qui ne sont pas déductibles. Je suppose qu'à un moment donné, nous avons eu une réunion et avons décidé que la famille ne mérite pas le même soutien qu'une petite entreprise. Je doute que ce soit jamais arrivé.

Pouvez-vous nous faire part de vos réflexions là-dessus?

M. Thériault : Peut-être que dans mon enthousiasme, je suis allé un peu trop loin, mais je voudrais d'abord préciser que je n'ai jamais dit que le gouvernement fédéral n'a rien à voir avec la sécurité du revenu. Il est certain que nous avons l'assurance-emploi, le Régime de pensions du Canada et la pension de vieillesse. Il y a un domaine très étendu dans lequel le gouvernement fédéral a un rôle à jouer en matière de sécurité du revenu. Je parlais précisément de l'assistance sociale; voilà le premier point que je voulais rectifier.

Deuxièmement, au sujet de la « fiscalisation », je suis d'accord avec vous pour dire qu'il y a place pour la politique fiscale dans la politique sociale. C'est évident. Je conviens aussi avec vous que l'on a obtenu certains succès en empruntant cette voie. Je ne suis pas assez naïf pour croire que tout cela va cesser ou que nous allons arrêter de le faire.

Ce que j'essayais de dire, c'est que dans le cadre d'un débat général sur toute cette question, je me prononce parfois en faveur d'un débat démocratique sur l'opportunité de créer un avantage social ou un programme, plutôt qu'un débat technique sur les changements ou les retouches qu'on pourrait apporter à la fiscalité, parce qu'en réalité, pour l'immense majorité des Canadiens, tout cela passe complètement inaperçu.

Je suis une personne relativement instruite et j'ai renoncé à remplir ma propre déclaration d'impôt sur le revenu parce qu'à chaque fois que je le fais, d'abord cela me donne un mal de tête, et deuxièmement, Revenu Canada m'envoie une lettre pour me dire que j'ai fait plein d'erreurs. Comme beaucoup de gens, j'embauche maintenant un expert, un comptable, je le paye et il s'en occupe très bien.

Je ne vois pas ceci comme un instrument susceptible de donner lieu à un solide débat démocratique sur la politique sociale. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de place pour la « fiscalisation », mais j'ai des réserves à ce sujet et je dis que certains essayaient d'utiliser cet outil au demeurant utile comme solution universelle à tous les problèmes. Dans votre boîte d'outils, vous avez un marteau et un tournevis. Si vous essayez de réparer absolument tout avec un marteau, votre maison aura probablement l'air bizarre.

Pour ce qui est de l'impôt négatif sur le revenu et de Milton Friedman, je pense que nous devrions avoir un débat sur la question de savoir si nous allons continuer d'apporter des retouches au système. Nous savons que cela a des conséquences négatives involontaires, parce qu'à chaque fois que nous modifions, nous perdons de la cohérence. Keith Banting l'a dit et c'est d'ailleurs indiqué clairement dans le rapport. Par contre, quand on essaie d'apporter des modifications en profondeur, comme Ken Dryden l'a fait, quelle que soit votre opinion à savoir s'il faisait fausse route ou non, on constate qu'une telle décision soulève des obstacles énormes dans le système fédéral. À cette étape-ci de ma vie, je suis encore en faveur d'essayer de trouver une manière de rapiécer le système et je m'inquiète un peu à l'idée d'une refonte complète.

De bonnes suggestions ont été faites, par exemple celles du Caledon Institute of Social Policy, qui méritent d'être étudiées plus à fond. Je n'aime pas tellement la solution du compte d'épargne, parce que les gens à très bas revenu n'ont absolument aucune épargne. Je ne vois pas que cela puisse nous mener très loin. C'est en quelque sorte une solution à l'américaine. Revenez me voir dans deux ou trois ans et j'aurai peut-être alors changé d'avis et dirai que le temps des retouches est révolu et que nous devons vraiment prendre le taureau par les cornes.

Le sénateur Cordy : Merci beaucoup pour votre participation à nos travaux d'aujourd'hui.

Ma première question porte sur votre observation au sujet de l'approche fondée sur les droits. Je comprends ce que vous dites. Nous ne voulons pas d'une approche qui donnerait lieu à tellement de litiges que les avocats seraient les seuls à en bénéficier. Pour une fois, il n'y a aucun avocat parmi les sénateurs autour de la table, ce qui est intéressant. Pourtant, nous avons entendu le témoignage de gens qui sont des acteurs du système et ils ne cessent de nous dire que rien ne change. Bon nombre de nos interlocuteurs ont le sentiment qu'à moins d'appliquer une approche fondée sur les droits — ils n'ont pas utilisé cette terminologie, mais c'était l'essentiel de leurs propos —, rien ne va changer. De magnifiques rapports ont été publiés par toutes les instances gouvernementales. La Chambre des communes a adopté en 1989 une résolution visant à éliminer la pauvreté infantile avant l'an 2000. Cela n'est pas arrivé.

Je comprends pourquoi les gens disent qu'ils veulent une approche fondée sur les droits. Le président du comité a évoqué le gouvernement de Nouvelle-Écosse et ses intentions louables; heureusement, il a décidé de s'attaquer à tout le dossier de la pauvreté en adoptant une approche consistant à s'efforcer d'éliminer la pauvreté. Cependant, quelqu'un m'a dit hier que dans le dernier budget, on n'a pas prévu d'argent pour cela. La réalité est qu'il n'y a pas d'argent et que ce n'est qu'un magnifique document sur une tablette. Comment pouvons-nous garantir qu'il y ait des résultats, qu'il y ait des changements? Les gens qui sont dans la pauvreté et beaucoup de gens handicapés, physiquement ou mentalement, ou qui se retrouvent dans une situation indépendante de leur volonté, sont condamnés à vivre dans la pauvreté à moins que nous obtenions des résultats et que nous réussissions à améliorer la situation.

M. Thériault : Au sujet de l'approche fondée sur les droits, il y a des choses importantes à dire au sujet des droits des bénéficiaires. Par exemple, je suis tout à fait en faveur d'obliger les gens qui administrent l'assistance sociale à informer les bénéficiaires de leurs droits, ce qui ne se fait pas toujours, je peux vous l'assurer.

Quels sont vos droits relativement à l'AE? Existe-t-il des mécanismes d'appel convenables? Le problème est que si l'on veut bâtir quelque chose sur la notion de droit, il faut être en mesure d'en appeler pour faire valoir ses droits. Les droits des gens ne sont pas automatiquement respectés. Il faut pouvoir s'adresser à un tribunal pour faire valoir ses droits, et c'est donc un instrument. Tout comme la « fiscalisation », cela a un certain poids et une certaine utilité, mais si vous regardez au niveau international, vous verrez qu'il y a une foule de conventions et d'instruments qui sont signés par différents pays, mais qui n'ont aucun effet parce qu'il n'existe aucun programme de mise en oeuvre. Là encore, tout cela n'existe que sur papier.

Je crois que le changement social est provoqué par des alliances, des débats et des relations de pouvoir. Le Québec a créé sa politique en matière de garde des enfants parce que de nombreux intervenants sur le terrain ont regroupé leurs forces et ont fait pression sur le gouvernement en exigeant qu'il agisse. Je crois dans la défense des causes plus que dans les documents juridiques, en ce sens que l'on ne peut jamais baisser sa garde et dire : « Pas de problème, je suis protégé par la loi ». Oui, c'est une bonne chose, mais il faut toujours se battre pour défendre ses droits, et il faut savoir choisir ses batailles.

Peut-être que le créneau favorable pour les garderies s'est refermé pour l'instant et que nous devons nous tourner vers quelque chose d'autre, mais cela représente une sorte de point de vue philosophique sur la manière dont se produit le changement social. Je ne dis pas que j'ai raison, mais je sais que j'ai des amis qui sont avocats et qui, à cause de leur formation, insistent beaucoup là-dessus. Je pense que quand on a une formation en sciences politiques ou en économique ou en sociologie, on n'accorde peut-être pas le même poids à l'approche fondée sur les droits. Le Canada a signé des conventions qu'il ne met pas en oeuvre et je ne vois aucun moyen de faire en sorte qu'elles soient mises en oeuvre et je pense que cela illustre le fait que l'approche fondée sur les droits n'est pas suffisante en soi. Je ne dis pas que c'est inutile, mais ce n'est pas suffisant.

Le sénateur Cordy : Nous savons que de nombreux accords onusiens signés par le Canada ont été remisés sur les tablettes. Nous avons maintenant perdu le Programme de contestation judiciaire, de sorte que les personnes les plus démunies n'ont pas accès à cette ressource.

M. Thériault : En tant que francophone, je sais que des progrès ont été réalisés dans les dossiers linguistiques grâce à ce programme. Parfois, les gens veulent savoir pourquoi le gouvernement devrait appuyer financièrement des personnes qui veulent contester ses orientations. Le gouvernement du Canada doit être au service de tous les Canadiens. Dans le même ordre d'idées, le gouvernement du Québec a utilisé l'argent provenant de la régie de la loterie pour financer des groupes de défense des droits qui critiquaient le gouvernement du Québec. Par conséquent, je pense que le gouvernement du Canada devrait restaurer ce programme ou son financement. Notre système judiciaire n'est pas accessible aux personnes qui ne sont pas riches. Il faut fournir un soutien quelconque, non seulement dans les affaires pénales, pour rendre le système un peu plus accessible.

Le sénateur Cordy : Ma deuxième question porte sur le service de garde d'enfants. Vous avez souligné le caractère complexe de la pauvreté et évoqué les trois principaux enjeux auxquels vous souhaiteriez que l'on s'attache : les services de garde d'enfants, le transport et le logement social. Je suis d'accord avec tous ces aspects.

J'aimerais parler spécifiquement du dossier de la garde d'enfants. Vous avez mentionné le programme actuel et les 100 $ par mois qui sont versés aux parents. Je conviens avec vous que les services de garde ne devraient pas être acheminés par le facteur, mais comment s'y prendre?

M. Thériault : Dans de nombreuses villes du pays, des parents tentent de mettre sur pied des garderies coopératives. Ce sont des associations sans but lucratif vouées aux soins des enfants. En fait, elles sont composées de parents, et non de bureaucrates d'Ottawa. Les parents se réunissent et tentent de créer une association. Ils ont besoin de soutien. Il faut travailler sur la prestation de services.

À l'heure actuelle, on a à l'égard des services de garde d'enfants au Canada la même perception qu'à l'égard du transport. J'ai l'argent pour acheter un billet d'autobus. Je suis au coin de la rue et j'attends l'autobus, mais il n'y a pas de trajet d'autobus sur cette rue. Qui se soucie du fait que j'ai l'argent pour acheter un billet? Il faut assurer la prestation de services. C'est la même chose pour la garde d'enfants. De nombreuses personnes qui peuvent se permettre de payer pour des services de garde ne peuvent en trouver. Dans de nombreux endroits, la liste d'attente est de deux ans. Au Nouveau-Brunswick, une province rétrograde très pauvre, quelque 75 p. 100 des femmes ayant des enfants d'âge préscolaire sont sur le marché du travail. Ce n'est même pas un enjeu pour les partis politiques. Si nous voulons que notre économie tourne rond, il faut mettre sur pied un réseau de garderies modernes. Ces services peuvent varier d'un endroit à l'autre; ils peuvent prendre différentes formes. Il pourrait y avoir différents types de fournisseurs de services — particuliers, organismes sans but lucratif, coopératives —, mais nous devons cesser de faire l'autruche et de croire qu'il suffit de donner un peu plus d'argent aux parents pour créer par magie un bassin de places en garderie. Cela n'arrivera pas. Il faut donc considérer les services de garde tout comme des trajets d'autobus.

Le président : Notre prochain intervenant, le sénateur Jim Munson, est originaire du Nouveau-Brunswick. C'est une province magnifique.

Le sénateur Munson : Particulièrement la côte Nord. Chose certaine, la côte Nord est incomparable.

Vous avez parlé du surplus de l'assurance-emploi. À l'époque où j'étais journaliste, ce surplus était la cible favorite des différents partis d'opposition. Quant au gouvernement, il adore tout simplement ce surplus. Si je ne m'abuse, il s'élève maintenant à 55 milliards de dollars environ. Pour que tout soit clair dans mon esprit, et peut-être que le sénateur Segal peut aussi m'aider, mais il me semble que ce surplus ne cesse de croître. Avez-vous des idées quant à ce qu'il convient de faire de ce surplus? Faut-il s'en servir pour financer d'autres programmes comme ceux-là? Devrait-on prendre l'argent de l'excédent de l'assurance-chômage pour l'investir ailleurs? Le gouvernement actuel aime tout autant ce surplus qu'un gouvernement libéral.

M. Thériault : Bien sûr, tout le monde adore les surplus, mais à mon avis, la chose à ne pas faire avec cet argent, c'est de le verser dans le Trésor ou de s'en servir pour équilibrer le budget ou rembourser la dette. Cela va à l'encontre du concept fondamental de programme d'assurance auquel les employeurs et les travailleurs ont contribué dans le but d'atténuer les difficultés liées à un changement d'emploi ou à des périodes de chômage. C'est une réserve. On investit de l'argent dans la réserve et, en période de nécessité, on y prélève de l'argent. À mes yeux, cette réserve devrait être protégée et isolée. Cela dit, on peut faire trois choses. On peut réduire la contribution de chacun si l'on estime que la réserve est suffisamment riche; on peut accorder des prestations plus généreuses pendant des périodes plus longues ou assouplir les conditions d'accès; et on peut créer certains programmes spéciaux. Je songe, par exemple, à un programme destiné aux travailleurs dans la cinquantaine qui perdent leurs emplois dans certaines usines au Nouveau- Brunswick car il arrive parfois qu'on se retrouve avec un grand nombre de gens ayant un profil commun qu'il sera très difficile de réintégrer dans le marché du travail. On pourrait aussi créer des programmes ciblés pour que l'assurance- emploi ne se borne pas uniquement à verser des chèques, mais puisse offrir une formation de la main-d'oeuvre. Quant à savoir quels programmes conviendraient exactement, ils varieraient sans doute d'un endroit à l'autre du pays. Cela répond-il à votre question?

Le sénateur Munson : Oui. Vous venez de parler du nord du Nouveau-Brunswick. À Bathurst, l'usine est fermée depuis deux ans et elle ne rouvrira probablement jamais. À Dalhousie, même chose. L'usine est sans doute fermée pour toujours. En tout cas, elle ne rouvrira pas de notre vivant. En ce qui concerne la formation de la main-d'oeuvre, existe- t-il un problème de mobilité? Envisagez-vous de demander aux gens de déménager dans différentes régions du pays pour y être formés et travailler grâce à ce surplus?

M. Thériault : La question de la mobilité est toujours difficile. Nous ne sommes pas dans l'Union soviétique de Staline, où l'on pouvait déplacer les gens à son gré selon les besoins. Comme nous vivons dans une société démocratique, nous pouvons inciter les gens à se déplacer, mais au bout du compte, la décision leur appartient. Comme vous le savez, on constate un mouvement entre Terre-Neuve et l'Alberta, entre les régions rurales du Canada atlantique et Fort McMurray. Je pense que dans le cadre de tables rondes de consultation au sujet du chômage, les résidents locaux pourraient préciser quelles sont leurs priorités ou encore quelle devrait être la configuration d'un programme ou la clientèle visée. Dans une province donnée, un programme pourrait cibler un groupe de travailleurs en particulier. À Valleyfield, au Québec, ce pourrait être les travailleurs qui ont perdu leur emploi à l'usine Goodyear, qui a fermé ses portes. Nous pourrions à tout le moins lancer certains projets pilotes pour souligner le caractère actif de l'assurance- chômage.

Le sénateur Munson : Le sénateur Segal a parlé de l'approche fiscale et le sénateur Cordy de l'approche axée sur les droits. Il a aussi été question des trois grands secteurs ou thèmes clés : le transport, les services de garde d'enfants et le logement social. J'aimerais poser une question au sujet du transport.

Vous avez parlé d'investissements massifs dans ces trois domaines. Hier, nous avons entendu des témoins au sujet du transport. Ils ont évoqué, par exemple, la possibilité d'installer un centre d'appels dans une petite ville. Le gouvernement peut-il jouer un rôle à cet égard? Selon vous, le salut ne vient pas d'Ottawa.

M. Thériault : Bien sûr, le gouvernement fédéral peut investir dans les programmes d'infrastructure et les programmes communs, qui sont très coûteux. En tant que contribuable canadien, je ne vois aucune objection à ce qu'Ottawa finance le transport en commun dans une ville, même si ce n'est pas ma ville. Je suis moins enthousiaste au sujet de l'étalement du réseau routier, car ces routes devront constamment être entretenues, mais nous avons besoin de plus d'autobus, de tramways, de métros et de trains au Canada. C'est évident.

Pendant mes études, à Montréal, je vivais à Longueuil, sur la rive-sud. Tous les matins, après une dizaine de minutes de marche, je prenais le métro et je franchissais le pont Jacques-Cartier où une longue file de voitures, pare-choc à pare- choc, étaient coincées dans un embouteillage. Dans chacune de ces voitures il n'y avait qu'une personne qui tentait de franchir le pont, ce qui prenait environ une heure et demie. Ce n'est pas là une solution pour l'avenir du Canada. L'avenir du Canada passe par la multiplication des lignes de métro qui franchissent le fleuve. Cela exige des investissements considérables, et nous ne serons sans doute pas capables de tout faire partout, mais il faut commencer quelque part et le gouvernement fédéral peut appuyer les provinces et partager le coût de ces infrastructures.

Le sénateur Munson : Selon vous, nous devrions modifier nos priorités. Voyez le service ferroviaire en Europe et au Japon. Depuis très longtemps, on parle d'avoir un service ferroviaire dans le corridor Windsor-Toronto-Québec- Montréal. Pourtant, l'Europe est un espace restreint, et le Japon aussi, sauf qu'il y a plus de monde. Les gens se déplacent et le temps, c'est de l'argent. Au plan des priorités, nous faisons fausse route, n'est-ce pas?

M. Thériault : Effectivement. Malheureusement, le choc pétrolier nous obligera à changer. Même la compagnie Chevrolet annonce qu'elle souhaite prendre le virage vert. Ses dirigeants viennent tout juste de comprendre cette réalité. Il faudra abandonner l'idée que la solution, c'est que chacun ait une grosse cylindrée pour se déplacer. Cela n'est tout simplement pas viable.

Je suis récemment allé à Barcelone. Pour 750 euros, on peut se procurer 10 trajets dans un réseau de transport en commun meilleur que celui de Montréal, qui coûte environ deux ou trois fois plus cher. De toute évidence, il y a ici quelque chose qui cloche puisque nous n'investissons pas dans le transport en commun. Le transport en commun rend la ville plus propre, il facilite les déplacements des citoyens, et il est bon pour l'économie. Il faut simplement changer notre mentalité.

Il y a une chose qui me plaît dans le régime fiscal, c'est la création d'incitatifs ou de désincitatifs à la consommation. J'imposerais une taxe sur des engins comme les motomarines et les motoneiges et sur tout véhicule qui pollue l'environnement avec le pétrole pour le simple plaisir de le faire, et j'exempterais de taxe l'achat de kayaks, de bicyclettes et de canots. Je ne plaisante pas. Il faut instaurer un régime fiscal qui récompense les gens dont le comportement protège l'environnement et punir ceux qui gaspillent de l'essence.

Le sénateur Munson : Seriez-vous favorable à l'imposition d'une taxe à Toronto, à Montréal et même à Halifax, comme celle qui est en vigueur à Londres et dans d'autres villes où l'on alterne les jours de conduite automobile, selon la plaque minéralogique? On exige des automobilistes une certaine somme d'argent pour...

M. Thériault : Pour pouvoir entrer au centre-ville, comme à Londres? Cette initiative connaît un certain succès. Je ne sais pas si nous en sommes là, car le problème de la pollution est plus aigu là-bas. Si vous avez respiré l'air de Londres, vous en êtes conscient. Toutefois, cela viendra. Encore une fois nous nous croyons à l'abri en Amérique du Nord. Nous pensons que ce qui se passe ailleurs ne nous touchera pas, mais nous nous trompons.

Le sénateur Munson : Vous avez parlé de prévention. Vous avez dit que nous nous intéressons au problème lorsque le patient est déjà aux soins intensifs. J'aime bien cette déclaration. C'est la même chose pour la pollution urbaine. On n'en est peut-être pas encore là, mais pourquoi faudrait-il attendre que les choses empirent?

M. Thériault : Cela s'en vient.

Le président : J'aimerais vous poser une autre question au sujet du salaire minimum. Vous en avez parlé lorsque vous avez passé en revue les recommandations. D'après un rapport faisant suite à l'Examen des normes du travail fédéral, le rapport Arthurs, qui fait l'objet d'une note à la page 33 du document sur les enjeux et les options, le gouvernement devrait adopter le principe qu'aucun travailleur canadien ne devrait travailler à temps plein pendant une année entière sans pouvoir se sortir de la pauvreté. Ce principe devrait être concrétisé dans la pratique au cours d'une période transitoire de plusieurs années. Pendant ce temps, le salaire minimum dans les secteurs régis par le gouvernement fédéral devrait être relevé jusqu'à ce qu'il corresponde au seuil de faible revenu.

Le salaire minimum est depuis longtemps une responsabilité provinciale. À une époque, il existait un salaire minimum fédéral, mais le gouvernement fédéral est demeuré à l'écart de ce champ de compétence depuis de nombreuses années maintenant. Bien entendu, un salaire minimum fédéral s'appliquerait uniquement à un nombre limité d'entités régies par le gouvernement fédéral, mais si l'on s'en prévalait, cela pourrait donner l'exemple. Je suppose que c'est le message que tente de transmettre le rapport Arthurs. Avez-vous réfléchi à cette question au cours de vos études?

M. Thériault : Votre question comporte deux volets. Le premier nous ramène à une approche axée sur les droits, à un principe qu'il faudrait respecter. Pour ce qui est de la première partie, comme vous l'avez dit, personne ne devrait travailler pour un salaire minimum.

Le président : Oui, c'est un principe général.

M. Thériault : Je vais m'abstenir de commenter plus longuement à ce sujet. Vous savez ce que j'ai déjà dit au sujet de ces principes. Je vais donc me borner à répondre oui.

Je reviens à ce que j'ai déjà dit, soit que le gouvernement fédéral devrait s'attacher en priorité à ce qu'il peut faire, notamment de son propre chef. Oui, je conviens qu'il est possible que le gouvernement fédéral donne l'exemple en matière de salaire minimum, qu'il puisse le relever dans des secteurs d'activité relevant de sa compétence. Je serais certainement en faveur d'une telle initiative, mais j'ignore si cela est possible. Cela relèverait quelque peu la barre et renforcerait les arguments de ceux qui militent en faveur d'une augmentation. Je ne m'aventurerai pas à dire quel devrait être exactement le salaire minimum, mais en tant qu'élément d'un ensemble d'autres mesures, il faudrait le rehausser pour rendre le travail plus attrayant.

À la page 32 de votre rapport, un intervenant affirme qu'il ne faudrait pas majorer le salaire minimum parce que la plupart des gens qui travaillent au salaire minimum sont des étudiants. C'est incroyable. C'est une forme d'âgisme inversé. Ce ne sont pas tous les étudiants qui vivent chez leurs parents, et certains ont des enfants. Que les gens qui travaillent au salaire minimum soient des étudiants ou non n'est pas pertinent dans le débat sur le salaire minimum. Je trouve cet argument répréhensible. Rappelez-vous, mesdames, que l'on affirmait auparavant qu'il n'était pas nécessaire de verser aux femmes le même salaire qu'aux hommes parce que leur mari était là pour s'occuper d'elles. C'est exactement le même genre d'argument, et je suis très étonné de le trouver dans ce document. Je sais que ce n'est pas votre position. Vous vous bornez à mentionner l'argument de quelqu'un d'autre. Cela m'a mis mal à l'aise.

Il faudrait effectivement augmenter le salaire minimum pour rendre le travail plus rentable. Il appartient au gouvernement fédéral de montrer l'exemple et peut-être pourrait-il le faire en fixant un salaire minimum majoré dans les secteurs relevant de sa réglementation, comme le transport. Je suppose que les agents de bord gagnent davantage que le salaire minimum. Par conséquent, j'ignore combien de personnes seraient réellement touchées par un changement comme celui-là. Peut-être pas tellement; mais cela pourrait toujours se faire.

Le président : Je vous remercie beaucoup, professeur, de nous avoir consacré votre temps et d'être venu du Nouveau- Brunswick. C'est le jour du Nouveau-Brunswick.

M. Thériault : Merci beaucoup.

Le président : Sénateurs, notre prochain groupe est aussi composé de personnes du Nouveau-Brunswick. Nous souhaitons la bienvenue à deux nouveaux invités qui sont venus nous parler de la pauvreté, du logement et du sans- abrisme.

Le Sous-comité sur les villes entend des témoignages depuis l'an dernier. Nous avons rédigé un rapport mettant en lumière les enjeux et les options dans ce dossier, et nous prenons note des réactions à ce rapport dans différents coins du pays au cours de notre voyage pancanadien.

Notre premier témoin pour cette session est M. Peter McGuire, conseiller municipal de la Ville de Saint John, au Nouveau-Brunswick. Il occupe ses fonctions de conseiller depuis plusieurs années, ce qui signifie qu'il a à son actif une expérience considérable. Par conséquent, nous en apprendrons beaucoup de lui aujourd'hui. Au sein de son conseil municipal, il est responsable du développement social et du logement. Il est aussi membre de la table ronde sur le leadership de Vibrant Communities. Nous avons déjà entendu des représentants de cette organisation qui déploie des efforts communautaires pour réduire la pauvreté au Canada. M. McGuire est aussi membre du comité municipal Vision 2015 ainsi que du Groupe sur le développement du logement abordable de la Fédération canadienne des municipalités, la FCM.

Gary Glauser est consultant auprès de l'Association du logement sans but lucratif du Nouveau-Brunswick. En 2003, il a pris sa retraite, après une longue carrière à la Société centrale d'hypothèques et de logement, la SCHL, et il a joint les rangs de l'association, qui représente 200 groupes sans but lucratif qui administrent quelque 7 000 unités de logement.

Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux.

Peter McGuire, conseiller, Ville de Saint John : Je vous remercie de m'avoir permis de représenter la Ville de Saint John aujourd'hui.

Je vais essayer de mettre en pratique les conseils de mon père : soit bon, soit rapide et sors de là. Pour un politicien, ce n'est jamais la chose la plus facile à faire. Vous avez en main mon exposé. Pendant une dizaine de minutes, je vais vous donner un aperçu des défis et des pistes de solution de ma ville dans le dossier de la pauvreté et du sans-abrisme.

En ce moment, nous vivons une situation unique en ce sens que la ville est au milieu d'un boom énergétique. D'ici dix ans, 19 milliards de dollars seront investis dans la grande région de Saint John pour la construction d'une deuxième centrale nucléaire et d'une deuxième raffinerie de pétrole. En conséquence, tout le dossier de la pauvreté et du sans- abrisme doit être maintenant envisagé dans une perspective différente. Essentiellement, d'un point de vue anecdotique, certains citoyens qui travaillent perdent présentement leur logement, car avec l'arrivée des grandes compagnies et des experts énergétiques, les loyers ont fait un bond spectaculaire. Les locataires qui logeaient dans le même appartement depuis dix ans ont maintenant le choix entre vivre dans la rue ou à l'Armée du Salut. Ce phénomène a touché notre ville il y a de cela six mois. À vrai dire, nous sommes confrontés à une situation unique.

Saint John affiche un taux de pauvreté d'environ 22 p. 100. La ville ne compte que 70 000 habitants. Les quartiers périphériques, Rothesay, Quispamsis et Grand Bay, se tirent bien d'affaire. Rothesay, qui est situé à trois minutes environ du centre-ville, a l'un des taux de revenu par habitant les plus élevés au pays. Il y a une pauvreté extrême dans le coeur urbain de Saint John et il y a en périphérie de la ville des quartiers relativement riches dont la plupart des résidents font la navette en automobile tous les jours.

Nous avons le plus grand complexe de logements sociaux du Nouveau-Brunswick. C'est un endroit qui s'appelle Crescent Valley et que je qualifie de ghetto; 388 familles y vivent à la fois dans la promiscuité et à l'écart depuis environ 45 ans. Avec l'aide d'une ministre du Développement social extrêmement brillante et dynamique, nommément Mary Schreyer, nous commençons maintenant à nous attaquer à ce secteur; essentiellement, nous le démolissons, tout à fait comme Regent Park à Toronto, et nous installons ces gens-là dans de meilleurs logements. Nous avons identifié cinq quartiers qui sont durement frappés par la pauvreté. Nous les appelons des quartiers vulnérables et nous commençons à changer notre terminologie à l'hôtel de ville pour les appeler plutôt des quartiers prioritaires. Ils ont été abandonnés par l'hôtel de ville, la province et le gouvernement fédéral depuis des décennies.

Nous sommes la plus ancienne cité constituée du pays et notre parc de logements est donc très vieux, probablement plus vieux encore qu'à Dartmouth. Dans certains de nos quartiers, 75 p. 100 des résidents sont des mères seules. C'est vraiment une problématique urbaine, au coeur même de notre ville.

Nous avons plusieurs milliers d'enfants qui vivent dans la pauvreté. Nous estimons qu'entre 5 000 et 6 500 enfants ne mangent pas à leur faim et habitent dans des taudis. L'éducation pose des problèmes, et je pense que d'après nos données, environ de 600 à 800 de ces enfants ne termineront pas leurs études secondaires.

La ville a grandement besoin de main-d'oeuvre spécialisée à cause de l'essor du secteur énergétique et nous nous efforçons d'avoir une population instruite pour que ces enfants soient des travailleurs potentiels, qu'ils terminent leurs études et trouvent un emploi. D'ici cinq ou six ans, il y aura littéralement des milliers d'emplois à Saint John et, d'une part, il nous faudra faire venir des travailleurs spécialisés, alors même que, d'autre part, 600 ou 800 enfants n'arrivent pas à finir l'école secondaire. Nous avons des problèmes fondamentaux.

La dernière grande difficulté est le logement abordable. À Saint John, il y a probablement au moins 1 000 personnes qui attendent un logement abordable. Quand ils attendent depuis une décennie, ils finissent par retirer leur nom de la liste d'attente provinciale et je pense donc qu'il y a probablement près de 1 500 personnes qui attendent : des personnes âgées, des personnes handicapées, des gens qui ont des problèmes de santé mentale, des difficultés intellectuelles, et aussi des femmes qui sont tout simplement mères monoparentales et qui cherchent un endroit chaud où habiter.

Je passe maintenant aux pistes de solutions. Saint John a agi avec beaucoup de fermeté dans le dossier des normes minimales pour les logements. Nous avons toujours été d'avis que la pauvreté est un problème urbain. Nous ne pouvons pas attendre que les gouvernements fédéral et provincial nous viennent en aide. Nous devons agir énergiquement dans ce dossier. Depuis 2004, date à laquelle nous sommes arrivés au pouvoir et j'ai été nommé responsable du développement social, nous avons agi avec beaucoup d'énergie.

Nous avons emprunté nos normes minimales à Regina, Vancouver et Halifax. Nous croyons que nous avons la meilleure législation au Canada. Nous venons juste de commencer à la mettre en application sur le terrain. Nous avons environ 800 violations aux normes sur les logements dans ma ville. Ce sont des taudis. Vous ne laisseriez pas votre chien ou votre chat habiter dans ces taudis, mais nous avons des personnes et des enfants qui y habitent.

Nous nous attaquons au dossier du logement abordable sur deux fronts. D'une part, nous faisons de très fortes pressions pour que la province construise des logements dans notre ville. Je peux dire sans mentir que depuis quatre ans, j'envoie à la province trois ou quatre courriels par semaine. « Où en est tel ou tel projet? Combien d'argent y a-t-on consacré? » Ce n'est pas un rôle que je voulais jouer, mais les responsables provinciaux restaient les bras croisés et nous laissaient tomber. Quand on ne veut pas se faire mettre sur la touche, il faut plaider sa cause avec fermeté.

D'autre part, nous nous attaquons aux propriétaires de taudis. Nous pensons que cette loi est la meilleure au Canada. Le propriétaire reçoit une contravention. Ce n'est pas nécessairement le propriétaire, parce que beaucoup de ces immeubles appartiennent à des compagnies à numéro et bonne chance à celui qui veut trouver le véritable propriétaire. J'ai des gens dans mon service juridique qui patrouillent les rues et qui n'arrivent pas à trouver ces personnes; elles se trouvent quelque part au Canada.

Maintenant que nous avons établi des normes minimales pour l'entretien des logements, nous pouvons donner une contravention au propriétaire, en cas de violation. S'ils ne paie pas en 30 jours, la ville intervient et fait les travaux nécessaires. Nous lui envoyons la facture. S'il ne la paie pas, le montant s'ajoute à ses impôts fonciers à la fin de l'année. Il n'y a pas moyen d'y échapper.

Subitement, depuis deux semaines, nous voyons les propriétaires de taudis qui, pour la première fois depuis 40 ans, se démènent pour entretenir leurs logements.

L'autre problème, c'est qu'après avoir remis leur logement en bon état, ils augmentent le loyer. Qu'arrive-t-il alors aux gens qui y habitent depuis une décennie?

Nous sommes la seule ville qui renonce à percevoir les taxes locales d'équipement dans le cas des organismes à but non lucratif; les frais de raccordement d'aqueduc et d'égout et certains droits associés au terrain — nous absorbons essentiellement ces coûts pour aider ces gens-là.

Nous avons été très dynamiques dans nos cinq quartiers. Nous avons injecté quelque 150 000 $, ce qui ne semble peut-être pas beaucoup. Le budget annuel de la ville est d'environ 120 millions de dollars, mais c'était la première fois dans l'histoire de Saint John que de l'argent était injecté directement dans ces quartiers. Nous avons un comité dont les membres lancent des idées; si l'idée nous semble bonne, nous la finançons en y consacrant jusqu'à 50 000 $. Il peut s'agir d'un programme d'intervention précoce pour les enfants ou d'une foule d'autres projets.

Nous avons constaté que les villes doivent mettre la main à la pâte. Le quartier de Crescent Valley était à vrai dire un véritable cauchemar, un cocktail nocif : drogues, flânage, crime, prostitution, gangs de rue. Nous avons commencé par y affecter un policier communautaire, et les gens se sont dit : « La ville commence à s'occuper de nous. »

Ensuite, nous avons injecté 1,2 million de dollars pour refaire les rues et les trottoirs, ce qui a donné beaucoup de joie et d'espoir à ces citadins, ces 388 familles qui vivent toutes dans la pauvreté et sur l'assistance sociale depuis deux ou trois générations. On leur faisait enfin comprendre que la ville s'intéressait à eux. Nous avons tenu notre première assemblée communautaire et avons demandé aux résidents de quoi ils avaient besoin. Ils n'ont pas parlé de leur logement. Au fond, ils voulaient des trottoirs convenables le long des rues, ce qui est la responsabilité municipale.

Après cela, les citoyens ont commencé à présenter des demandes à nos responsables des services du génie : « Pourrait-on mettre un arbre ici? Pourrait-on installer un banc de parc là? » On voyait que les gens commençaient à faire confiance aux responsables. Ces gens-là ne faisaient plus confiance à personne parce qu'ils avaient été négligés pendant tellement d'années.

Les responsables provinciaux ont vu que nous mettions 1,2 million de dollars et ils ont dit : « Vous savez, nous devrions construire un centre communautaire; pourriez-vous partager avec nous le coût d'un parc communautaire? » Nous sommes actuellement en train de réaliser cela.

Au début, quand j'allais dans ce quartier à titre de représentant de l'hôtel de ville, je convoquais une réunion et nous étions trois. À la dernière réunion à laquelle j'ai assisté, il y avait 63 personnes.

Nous avons essentiellement demandé aux gens de quoi ils avaient besoin, nous les avons aidés à faire un sondage, ils nous ont fait part des résultats et depuis ce temps, la province a commencé à démolir le quartier en s'inspirant du modèle de Regent Park.

Notre administration municipale commence à s'intéresser à la problématique à un niveau plus élevé. Je vais vous parler sans détour : nous commençons à en avoir assez d'être tout en bas et de crier constamment aux responsables provinciaux et fédéraux qui sont en haut pour leur demander d'agir. Je n'aime pas être un défenseur de cause; je veux être un partenaire à la table, mais cela n'est pas arrivé.

Nous avons eu énormément de succès avec notre représentant local de la SCHL. C'était une décision politique. Nous avons fait la demande et Joe Fontana nous a envoyé cette personne. Il a été un élément clé de notre succès. Le nouveau ministre du Développement social a été un élément très positif et l'on commence à voir se former un début de partenariat. Cependant, si l'on veut que les villes participent à la lutte contre la pauvreté et le sans-abrisme, nous devons être un partenaire officiel.

Le président : Merci. Je constate que dans votre mémoire écrit, vous faites un certain nombre d'observations sur les options présentées dans notre document et je vous en remercie également.

Nous entendrons maintenant Gary Glauser.

Gary Glauser, consultant, Association de logement sans but lucratif du Nouveau-Brunswick : Je représente une association du Nouveau-Brunswick qui regroupe des fournisseurs de logements sans but lucratif et des coopératives d'habitation. Nous avons environ 200 membres et possédons et administrons quelque 7 000 unités de logements abordables dans la province. Nous servons à la fois des clients autochtones et non autochtones. Le dossier du logement et des sans-abri nous tient à coeur parce que les membres de notre association composent avec cette problématique dans la rue quotidiennement, et nous essayons donc de profiter de toutes les occasions pour défendre la cause du logement abordable. Je suis d'accord avec le conseiller McGuire pour dire qu'il serait préférable d'être des partenaires à part entière, au lieu de simples défenseurs de cause, mais je pense que nous faisons des progrès en matière de partenariats, ce qui est bien.

J'ai eu l'occasion de lire votre rapport. Il est extrêmement complet. Nous préconisons depuis un certain temps toutes les options qui y sont présentées. Nous avons fait des exposés devant les sous-comités des finances fédéraux à l'occasion des consultations prébudgétaires durant les trois dernières années. Nous sommes heureux d'avoir l'occasion de comparaître ici aujourd'hui.

Nous suivons avec beaucoup d'intérêt les travaux de votre comité et nous sommes curieux de voir comment vos efforts déboucheront sur des recommandations qui pourront être étudiées par le Cabinet et mises en oeuvre. Les efforts que nous avons déployés aux niveaux local, provincial et fédéral n'ont pas donné beaucoup de résultats. Nous faisons partie du réseau national, avec l'Association canadienne d'habitation et de rénovation urbaine, l'ACHRU, que vous avez consultée également. Nous essayons de donner un point de vue local dans le cadre de ces efforts. Nous serions ravis si vos travaux pouvaient déboucher sur des résultats concrets.

Nous sommes tout à fait conscients que la pauvreté et le sans-abrisme sont des questions complexes et qu'il faut s'y attaquer par des approches multidimensionnelles. Nous constatons que dans votre rapport, vous mentionnez le modèle de Tom Carter, Le logement est une bonne politique sociale. Nous sommes entièrement d'accord avec cela. Il y a trois ans, M. Carter a énoncé son concept à notre conférence annuelle, et depuis lors, nous insistons constamment sur le fait que le logement doit être un pilier central pour s'attaquer à des dossiers comme le sans-abrisme et la pauvreté, à cause des liens avec la santé, l'éducation, l'immigration, l'emploi et la sécurité du revenu. Le logement doit être un pilier central pour que tous les autres objectifs sociaux puissent être atteints.

Dans le rapport, la problématique est chiffrée : le nombre de personnes qui ont besoin d'un logement, le nombre de personnes qui sont sur des listes d'attente et une estimation de notre population de sans-abri. J'ai vu diverses estimations allant de 150 000 à 250 000; comme vous le dites dans votre rapport, chacun y va de son chiffre, mais chose certaine, il y en a un grand nombre. Au Nouveau-Brunswick, 30 000 ménages ont besoin d'un logement abordable. Ces chiffres sont tirés des données du recensement.

Le conseiller McGuire a mentionné les listes d'attente. À l'échelle provinciale, il y a une liste d'attente active comportant quelque 5 000 noms. Cependant, comme l'a dit M. McGuire, beaucoup de gens ont renoncé et ont rayé leur nom de la liste d'attente. Le Conseil du développement humain estime qu'un enfant sur six au Nouveau-Brunswick vit dans la pauvreté. Il y a un fossé énorme entre les familles à faible revenu et les familles à revenu élevé, et il semble que cet écart s'agrandit.

Tous ces chiffres sont immenses et inacceptables. Nous avons bénéficié de certains programmes de logement fédéraux depuis 2000. La Stratégie de partenariat pour les sans-abri, le Programme de logements locatifs abordables et le Programme d'aide à la remise en état des logements, le PAREL, doivent prendre fin en mars de l'année prochaine, mais tous ces programmes n'ont fait que gérer, en quelque sorte, le problème des sans-abri, de la pauvreté et du manque de logements. Ce qu'il nous faut, ce sont des initiatives pour mettre fin à ces problèmes.

Le problème des programmes qui prennent fin et qui recommencent et qui sont renouvelés pour une période de deux ans ou trois ans pèse lourdement sur les groupes locaux qui s'efforcent de mettre sur pied des programmes de logement.

Nous en avons l'exemple parfait à Fredericton. La Société John Howard a essayé d'établir un projet de logement qui offre à la fois un logement abordable pour ses clients, un endroit où installer ses travailleurs sur le terrain, plus des locaux pour ses bureaux. C'est un concept novateur. La société utiliserait une partie des revenus des programmes d'action sociale et de logement abordable pour financer ses bureaux. Cependant, elle a énormément de difficulté à trouver un endroit pour implanter le projet. Le syndrome « pas dans ma cour » se manifeste à répétition. Il leur est tout simplement impossible de mettre sur pied un projet en un an et demi ou deux ans. Il doit y avoir stabilité à long terme dans le domaine du logement abordable pour que de tels projets puissent passer à travers tous les processus d'approbation, d'adhésion communautaire, et cetera.

J'ai entendu parler d'un exemple d'un projet de logements abordables pour les jeunes à risque à Toronto. Les parrains du projet ont dit qu'il a fallu six ans pour lancer le projet. Vous comprendrez que lorsque les groupes se butent à des échéances, à des programmes qui vont bientôt prendre fin, il leur est extrêmement difficile de servir leurs clients tout en s'efforçant de mettre sur pied leur projet.

Le conseiller McGuire a mentionné que les municipalités doivent être parties prenantes parce que les incidences négatives du phénomène des sans-abri et du manque de logements se font sentir au niveau local. Il a expliqué ce qu'on fait à Saint John pour s'attaquer à cette problématique. Nous avons également un succès à Fredericton. Il y a environ un an et demi, nous avons créé à Fredericton un comité du logement abordable. Tous les acteurs du dossier en font partie. Le comité a été créé par la ville de Fredericton, proclamé officiellement par le maire, et c'est un sous-comité du comité de développement du conseil municipal. Nous avons Service Canada qui s'occupe du problème des sans-abri. Nous avons la SCHL, le ministère provincial du Logement, la ville et son service d'urbanisme, la communauté autochtone, les promoteurs privés, la Chambre de commerce, notre association et des groupes de services locaux qui travaillent tous ensemble pour s'attaquer au problème du logement à Fredericton. Nous sommes heureux que cela se fasse et nous travaillons dur pour créer les partenariats nécessaires.

Nous aimons insister sur le fait que ces partenariats au niveau local sont importants, mais nous affirmons catégoriquement que le gouvernement fédéral doit jouer un rôle de leader pour veiller à ce que les fonds soient disponibles et qu'il y ait une stratégie à long terme pour s'attaquer à ces problèmes, qui sont d'envergure nationale, même s'ils se manifestent au niveau local.

Un problème que nous avons à Fredericton est que lorsque nous essayons d'établir des programmes de logements abordables, il n'y a pas de terrain. Ou bien si des terrains deviennent disponibles, ils sont immédiatement achetés par des promoteurs privés. Le problème des terrains se pose toujours; quand en trouve, leur coût est prohibitif. Il faut des plans à long terme, par exemple des banques de terrains réservés aux logements abordables, pour s'assurer d'avoir des terrains disponibles au fil des années pour permettre de mener à bien de tels projets.

Nous préconisons évidemment le modèle du logement d'abord : il faut d'abord fournir un logement et ensuite donner aux clients le soutien voulu pour qu'ils puissent y rester à long terme et devenir des participants à part entière à la communauté. De plus, dans ce contexte, le logement a un très bon rapport coût-efficacité.

Il y a un an ou deux, l'Université Dalhousie a fait à Halifax une étude sur les diverses options disponibles pour s'attaquer au problème des sans-abri. On a examiné le coût quotidien de chacune de ces options. Le logement supervisé coûtait 40 $ par jour par client. Pour installer quelqu'un dans un refuge, il en coûtait 58 $. Pour mettre quelqu'un en prison, c'était 121 $; dans un pénitencier, 275 $; dans un hôpital psychiatrique, 210 $, dans un hôpital ordinaire, 662 $. Ainsi, le logement supervisé est de loin la méthode qui a le meilleur ratio coût-efficacité pour s'attaquer à ce problème.

Une dernière chose : je m'adresse maintenant à vous au nom des membres de notre association; nous avons environ 1 500 bénévoles qui s'occupent de gérer nos projets de logements sociaux. Je répète qu'ils sont bénévoles. La province du Nouveau-Brunswick a établi un secrétariat qui s'occupe du secteur du logement à but non lucratif. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick s'efforce d'établir de meilleures relations avec ce secteur parce qu'il se rend compte de la valeur de ce secteur pour l'économie dans son ensemble. Le Nouveau-Brunswick s'est lancé dans une initiative d'autosuffisance; la province veut être autosuffisante d'ici 25 ans ou quelque chose du genre. Le gouvernement veut s'assurer que ce secteur soit viable sur le long terme.

Claudette Bradshaw était la présidente de ce groupe de travail. Elle a consulté des gens partout dans la province et a élaboré une liste de recommandations. Un secrétariat a été créé pour faire le suivi de ces recommandations et pour s'assurer que ce secteur de l'économie soit viable à terme. Nous sommes très excités par ce qui se passe dans ce dossier. Je pense que vous dites dans votre rapport qu'il faut soutenir le secteur bénévole et reconnaître sa valeur. Nous appuierions toute initiative qui viendrait en aide aux bénévoles.

Nous sommes très curieux de voir comment ce rapport très complet va cheminer dans l'appareil gouvernemental et déboucher sur des gestes concrets. À nos yeux, c'est un dossier non partisan. Cela ne devrait pas être une occasion d'aller chercher des votes. C'est un problème d'envergure nationale et nous appuyons le gouvernement dans ses efforts pour donner suite aux recommandations.

Le président : Je vous remercie pour votre intervention et merci aussi d'être venu à un préavis aussi bref.

Monsieur McGuire, vous avez dit qu'il y avait environ 22 p. 100 de pauvres à Saint John. Comment avez-vous calculé ce chiffre?

M. McGuire : C'est tiré de données nationales. L'organisme Vibrant Communities a un recherchiste que vous avez peut-être rencontré, un certain Kirk Peacock, qui travaille avec Tom Gibbons, lequel a comparu devant vous, sauf erreur, il y a environ six mois.

Le président : Oui.

M. McGuire : M. Peacock a analysé les chiffres de Statistique Canada et a fait ses propres recherches. Nous avions déjà une assez bonne idée du problème. Il suffit de rouler dans nos rues pour voir où se trouvent les taudis. Ce n'est pas difficile à trouver dans ma ville. Il y en a des quartiers entiers. Je pense que les statistiques de 2006, 2004 et 2002 délimitent aussi dans Saint John certains des quartiers parmi les pires, tout juste derrière Saskatoon, je crois, sur le plan des grappes de pauvreté disséminées dans notre pays. Les chiffres sont assez précis. De notre point de vue, nous essayons de préciser où en sont les enfants.

Nous trouvons effrayant que 700 ou 800 enfants ne finiront pas l'école secondaire uniquement à cause de l'endroit où ils habitent. Les jeunes couples qui habitent à Saint John quittent la ville parce qu'ils croient que les écoles en ville ne sont pas bonnes. Ils ont les moyens de renforcer ces écoles, mais on constate que les inscriptions scolaires dans les écoles du centre-ville diminuent et cela réduit d'autant leur financement puisque celui-ci est fondé sur le nombre d'élèves. Le budget des écoles environnantes augmente au contraire parce que tout le monde déménage, tandis que nos écoles en ville commencent à mourir à petit feu faute de budget. Quand il y a un gymnase, c'est une valeur ajoutée. Les toits coulent, et cetera. Franchement, ce sont ces enfants-là qui devraient bénéficier du niveau de financement le plus élevé, surtout au début. Nous constatons ces problèmes; nous croyons que les chiffres tirés des données de Statistique Canada sont passablement exacts.

Le président : Vous travaillez dans un contexte intéressant. Vous avez de graves problèmes de pauvreté. Notre personnel nous a fourni une autre donnée intéressante, à savoir que Saint John a le taux de pauvreté des parents seuls le plus élevé au Canada; pourtant, vous avez des collectivités limitrophes qui sont beaucoup plus prospères. Vous avez un marché de l'emploi en pleine croissance, mais vous avez pourtant une pauvreté aiguë. L'écart s'agrandit. Ces problèmes sont concentrés dans certains quartiers, ce qui me rappelle beaucoup ma propre ville, Toronto. Votre ville est beaucoup plus petite, mais les défis et les difficultés sont semblables.

Je veux vous interroger sur un passage de votre mémoire. Vous dites que les villes doivent être des partenaires égaux avec les autorités fédérales et provinciales dans la lutte contre la pauvreté. Je suis absolument d'accord avec cela. Vous dites par ailleurs que les villes doivent être les maîtres d'oeuvre dans le dossier de la pauvreté. Voilà une déclaration assez audacieuse, surtout que les villes n'ont pas les moyens, les ressources financières pour mener à bien beaucoup de ces projets. Vous envisagez un effort mené en collaboration, mais ce texte semble laisser entendre qu'à vos yeux, les villes doivent avoir le premier rôle. Étant donné le manque de ressources financières, comment allez-vous vous y prendre?

M. McGuire : Je peux seulement vous parler du contexte dans lequel j'ai été élu en 2004. Encore une fois, je le dis sans détour : les régimes antérieurs avaient tout simplement laissé tomber ces quartiers-là. C'est pourquoi ces gens-là ont vécu dans des taudis pendant 40 ou 50 ans. Il avait fait beaucoup de travail bénévole pour ces quartiers et il a dit : « Il nous faut quelqu'un pour se faire le champion de cette cause et pour faire débloquer les choses. Nous devons en discuter. » Nous nous réunissons toutes les deux semaines au conseil et nous discutons de pauvreté depuis quatre ans, ce qui rend certaines personnes très mal à l'aise. Je parle de pauvreté, du fait que j'ai 800 enfants qui ne finiront pas l'école secondaire. C'est ridicule. Nous savions que le secteur énergétique serait en plein essor. Nous avons été très chanceux et nous avons bâti de bons partenariats avec certaines nouvelles compagnies énergétiques, notamment Repsol d'Espagne, Irving Oil, Brunswick Pipeline de Nouvelle-Écosse. Ces compagnies sont venues dans ma communauté pour y installer des pipelines et divers autres matériels. J'ai frappé à leur porte et leur ai dit : « Vous savez quoi? Si vous voulez venir ici, alors vous devez contribuer ici même. » Et ils l'ont fait. Encore une fois, la ville se fait presque le défenseur d'une cause. Nous ne sommes pas un partenaire égal. Nous avons dit que si ces gens-là viennent ici et font des milliards de dollars, alors ils doivent contribuer aux quartiers que leurs pipelines traversent, mais nous avons vraiment un dilemme.

Nous venons d'embaucher un nouveau commissaire de l'aménagement de Red Deer et il a donc une certaine compréhension de la réalité de Fort McMurray. Nous ne voulons pas devenir un nouveau Fort McMurray. Je ne veux pas dénigrer Fort McMurray, mais nous ne voulons pas imiter ce modèle. Nous aimons les dollars qui rentrent, mais nous n'aimons pas les 800 enfants qui ne finissent pas l'école.

Le président : J'aurais une foule de questions, mais je veux donner du temps à mes collègues. Commençons par le sénateur Jim Munson, qui a également des racines au Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Munson : Le sénateur Munson vient d'Alma. Je dois le préciser officiellement encore une fois.

Je veux faire suite à ce que disait le président. Préconisez-vous de changer la loi?

M. McGuire : Oui.

Le sénateur Munson : Vous avez dit qu'il y avait 1 000 noms sur les listes d'attente provinciales. Nous avons entendu cela de la part de représentants d'autres municipalités. Bien sûr, vous êtes en première ligne. Est-ce que vous dites qu'il faut changer en profondeur la législation municipale pour vous permettre de mener à bien vos projets de logements abordables?

M. McGuire : Oui. Dans ma ville, l'organisme de logement à but non lucratif fait du travail remarquable, mais comme M. Glauser l'a dit tout à l'heure, on se bute à un problème de terrain. On se bute à l'infrastructure. Les responsables n'ont qu'une seule secrétaire. À Saint John, nous avons essayé de convaincre les compagnies énergétiques de nous prêter un comptable, de nous prêter des gens d'affaires pour combler les lacunes. Nous sommes les plus proches des citoyens. Je reçois des courriels me disant : « Monsieur le conseiller, je vais être évincé de mon logement le mois prochain. » Je ne vais pas téléphoner au responsable provincial ou fédéral pour remédier à ce problème. C'est à moi de m'en occuper. Nous avons examiné le modèle d'accord tripartite de Winnipeg, mais je n'ai pu obtenir que les responsables fédéraux retournent mes appels, parce que je réclamais quelque chose d'un peu différent. Nous voulions être un partenaire égal. Nous trouvions que le modèle de Winnipeg était excellent.

Le sénateur Munson : À notre époque, est-il réaliste de croire que cela puisse arriver, que vous puissiez vous entendre avec les responsables fédéraux et provinciaux sans avoir à changer la Constitution?

M. McGuire : Eh bien, je vais vous parler sans détour : je suis absolument tanné de regarder vers le haut.

Le sénateur Munson : Moi aussi.

M. McGuire : Oui. Nous avons eu pas mal de succès avec la SCHL et un nouveau ministre du Développement social, mais rien de cela n'est officiel. Comme M. Glauser l'a dit, nous avons établi de belles relations informelles, mais je sais sacrément bien que je ne suis pas un partenaire égal parce que je n'ai pas les ressources voulues.

Pour revenir au sénateur Eggleton et à la FCM, nous n'arrêtons pas de nous plaindre depuis des années au sujet du budget pour l'infrastructure. L'infrastructure coûte des centaines de milliards de dollars dans notre pays. Les villes tombent en ruine. J'ai constaté que quand on construit une nouvelle rue ou un nouveau trottoir dans un quartier vulnérable, cela donne de l'espoir aux gens. Nous commençons à percevoir une corrélation. Si les villes recouvraient la responsabilité de l'infrastructure et si le gouvernement fédéral pouvait mettre de côté des fonds pour les consacrer à ces quartiers défavorisés, nous nous ferions un plaisir de nous asseoir à la table pour en discuter.

Le sénateur Munson : Monsieur Glauser, vous avez dit que dans l'ensemble de la province, 30 000 personnes ont besoin d'un foyer.

M. Glauser : J'ai dit 30 000 ménages.

Le sénateur Munson : Oui, c'est bien cela. Pouvez-vous nous donner une ventilation? Est-ce pire dans le nord du Nouveau-Brunswick, ou dans le nord-est? Je viens du Nouveau-Brunswick septentrional et il y a des endroits assez durs dans ce coin de pays.

M. Glauser : Il y a assurément des problèmes d'emploi dans le nord du Nouveau-Brunswick. J'ai vu des statistiques sur les migrations internes montrant que beaucoup de gens déménagent, quittant le nord du Nouveau-Brunswick pour aller s'installer à Fredericton, Moncton et Saint John. Je dirais que cette migration vers le sud a un lien avec le problème du logement abordable, qui deviendra encore plus aigu dans les endroits où ces gens vont s'installer. Les problèmes sont immenses à Fredericton, Saint John et Moncton. Je pense que c'est surtout dans ces secteurs que les problèmes de logements abordables sont les plus criants.

M. McGuire a mentionné la hausse des loyers à Saint John. On observe le même phénomène à Fredericton. Les loyers augmentent. Le prix des maisons augmente; en conséquence, les gens qui se situent dans les tranches inférieures des revenus sont de plus en plus marginalisés et le besoin de logements abordables est exacerbé.

Le sénateur Munson : L'éducation est un puissant outil. Vous avez mentionné Fort McMurray. Chacun sait que les gens partent de Terre-Neuve et du Cap-Breton pour aller à Fort McMurray et qu'il est maintenant impossible de trouver un soudeur le moindrement compétent, ou encore un menuisier ou quoi que ce soit, dans la province du Nouveau-Brunswick, peu importe où l'on habite. Dans le nord du Nouveau-Brunswick, des centaines de gens dans la péninsule acadienne vivent à Fort McMurray, eux aussi. C'est merveilleux de voir l'argent couler à flot dans notre environnement.

Du point de vue municipal, donc de votre point de vue, comment procédez-vous pour vous réoutiller, pour convaincre les gens de s'inscrire dans des collèges communautaires, de s'instruire? On dirait que tout le monde veut que son fils ou sa fille aille à l'université, mais il y a des métiers comme tuyauteur, soudeur et menuisier qu'il ne faut pas négliger ni dénigrer.

M. McGuire : Je pense que vous avez bien cerné le problème dans votre document. Voyez les statistiques des Nations Unies pour des pays comme l'Irlande, la Suède et l'Angleterre : en investissant de l'argent dans l'intervention précoce, ces pays obtiennent une baisse sensible des dépenses engagées pour les enfants quand ils atteignent 18 ans. Du point de vue de ma ville, c'est crucial.

Nous avons à Saint John un programme qui s'appelle First Steps; on prend des mères seules, on leur fournit un logement et l'on commence à donner de l'instruction à ces jeunes femmes. Il y a environ un mois, il y a eu la remise des diplômes et huit sur 17 d'entre elles ont été diplômées. Elles ont reçu environ 75 000 $ en bourses. Je sais, d'un point de vue pratique, qu'en l'absence de ce programme, ces jeunes femmes n'auraient pas terminé leurs études secondaires. Pourtant, nous avons de la misère à obtenir du ministre de l'Éducation du Nouveau-Brunswick qu'il reconnaisse ce programme dans son ministère. Je vous dis que ce programme est probablement l'un des meilleurs programmes de base, parmi les plus efficaces que j'aie jamais vu. C'est toujours un combat à mener.

Pour revenir à votre question, il est tellement vital d'investir de l'argent dans l'intervention précoce, surtout pour les familles à faible revenu, pour aider les mères et les pères à être de meilleurs parents, pour intégrer les enfants dans les domaines social, culturel et des loisirs, ce que vous avez décrit dans les options 41 à 43. Je pense qu'il faut commencer par là. Je vous le dis franchement, il y a dans ma ville des gens qui sont dans la quarantaine ou la cinquantaine. Je ne suis pas certain qu'ils trouveront un emploi. Je voudrais donner à leurs enfants ou petits-enfants la chance de devenir professeur d'université ou tuyauteur.

Une dernière observation : Crescent Valley, quartier qui est un ghetto culturel au coeur de ma ville, se trouve à environ trois minutes d'autobus de l'Université du Nouveau-Brunswick, qui est mon université. Un seul enfant de ces 388 familles fréquente cette université qui se trouve à trois minutes d'autobus. Il se passe des choses bizarres sur le plan culturel.

Le sénateur Cordy : Il se passe de belles choses à Saint John. La semaine dernière, j'ai eu un entretien avec Paul Zed et c'était la première fois que je me rendais compte de cet extraordinaire essor. Je n'avais pas la moindre idée que cela se passait, mais c'est exactement comme vous l'avez dit. C'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Il se passe des choses intéressantes dans le domaine du logement et un peu partout aux quatre coins du pays. En faisant notre étude, nous nous disons parfois : « Seigneur, que se passe-t-il donc? » Nous ne pouvons pas perdre de vue ce qui se fait de bien.

Monsieur Glauser, vous avez aussi parlé des bénévoles. Nous ne pouvons pas oublier les milliers de gens d'un bout à l'autre du pays qui essayent de venir en aide à ceux qui ont eu moins de chance. Ces derniers jours, ici même à Halifax, bien des gens qui font du bénévolat pour aider les défavorisés sont venus assister à nos audiences, et je suppose que cela nous donne l'occasion, à titre de membres du comité, de les remercier chaleureusement.

Qu'arrive-t-il à tous ces gens qui attendent un logement? Il y en a 30 000 au Nouveau-Brunswick. Je ne pense pas que la situation soit bien différente dans les autres provinces.

Je suis allé au Cap-Breton la semaine dernière. Je siège aussi à un comité qui s'occupe des aînés et je sais qu'une personne de ma parenté qui est hospitalisée à l'hôpital régional du Cap-Breton depuis janvier a une période d'attente de deux ans. Elle sera à l'hôpital au moins pour les deux prochaines années, en attendant d'avoir une place dans une résidence pour personnes âgées. Étant donné les coûts que vous nous avez lus, c'est absolument illogique. On pourrait lui construire un logement pour le coût de son lit à l'hôpital.

M. McGuire : M. Glauser pourra intervenir parce qu'il est l'expert dans ce domaine alors que je ne le suis pas, mais il y a beaucoup d'inquiétude dans ma ville au sujet de l'entente fédérale-provinciale sur le logement abordable. J'en entends parler tous les jours parce que je travaille en étroite collaboration avec les collègues de M. Glauser. Ils craignent énormément que le gouvernement fédéral ne renouvelle pas ce programme, ne le rende pas durable. Tout le monde a son mot à dire là-dessus.

Paul Zed et moi-même en discutons chaque semaine. Il est le député de Saint John au Parlement. Je ne suis pas censé être un politicien ici aujourd'hui, n'est-ce pas? La province dit : « Nous devons dépenser cet argent avant que le budget ne soit périmé », et je reçois donc tous les jours des appels de représentants d'organismes à but non lucratif qui me disent : « Bon dieu, Peter, il faut absolument que je trouve un terrain », comme M. Glauser l'a dit. « Je n'arrive pas à trouver un terrain, mais je dois dépenser ce budget. » Il y aurait une accalmie collective dans ma ville, dans ma province, probablement dans mon pays, si le gouvernement fédéral et les provinces pouvaient s'entendre et rendre ce programme durable, au lieu de le financer deux ou trois ans à la fois. Approuvez-le donc pour une décennie.

Pour revenir à ce que vous disiez sur les organismes à but non lucratif, ces gens-là passent autant de temps à faire de la paperasse et à prendre des médicaments contre l'angoisse qu'à chercher des terrains et ce n'est tout simplement pas juste.

M. Glauser : Comme M. McGuire l'a dit, il faut des programmes de logement continus pour instaurer une certaine stabilité dans toute la problématique du logement abordable. En mars 2009, s'il n'y a pas de financement fédéral, d'après les échos que nous entendons, la province ne va pas financer unilatéralement le moindre programme. Il n'y aura plus aucun programme au Nouveau-Brunswick et l'on se retrouvera donc comme au milieu des années 1990, quand il n'y avait plus aucun programme de logement entre 1993 et 2000. Le nombre de gens qui ont besoin d'un logement va continuer d'augmenter, et les gens dont vous parlez, ceux qui sont sur les listes d'attente et dont vous vous demandez ce qui va leur arriver, vont continuer de vivre dans des logements inférieurs aux normes ou bien ils iront d'un refuge à l'autre. Ce problème va s'alourdir.

Le sénateur Cordy : J'ai trouvé intéressant de lire vos chiffres tirés de l'étude de Dalhousie, parce que le monsieur qui a témoigné devant nous hier représentait l'Administration du logement de l'île du Cap-Breton et il nous a dit que les dépenses consacrées au logement social réduisent d'autant les dépenses sociales.

M. Glauser : Exactement.

Le sénateur Cordy : J'ai remarqué que dans la Ville de Saint John, on consacre 150 000 $ à des programmes proactifs. Vous avez tous les deux mentionné les nombreux aspects de la pauvreté. On ne peut pas s'attaquer à un seul de ces aspects. Je pense qu'en dernière analyse, le logement est le plus important. Les gens ont besoin d'une adresse pour obtenir un emploi et tout le reste.

Vous avez beaucoup parlé d'éducation et vous avez dit que l'Université du Nouveau-Brunswick se trouve à seulement trois minutes et qu'on n'en profite pas. C'est difficile quand il n'y a aucun modèle de comportement dans la famille, quand personne n'est jamais allé à l'université. Comme le sénateur Munson l'a dit, il n'est pas nécessaire d'aller à l'université, mais il faut des études postsecondaires quelconques ou une formation pour trouver un emploi qui paiera plus que le salaire minimum.

En quoi consistent exactement vos programmes? Je suppose que les 150 000 $ ne servent pas au logement, mais plutôt à d'autres programmes sociaux. À quoi consacrez-vous cet argent exactement?

M. McGuire : En politique municipale, il y a dix personnes autour de la table et il faut obtenir que six d'entre elles votent pour votre motion. J'ai obtenu ces 150 000 $ par un vote de six contre quatre. J'ai des conseillers qui sont assis à côté de moi et qui me disent : « Tu sais, Peter, ce n'est pas notre problème. Nous sommes censés nous occuper des routes, de la police, des trottoirs et de l'eau potable », et ces dossiers relèvent toujours de nous. En politique municipale, parfois, il ne faut pas seulement sortir des sentiers battus, il faut plutôt élargir le sentier. C'est ce que nous essayons de faire dans ma ville.

Le sénateur Cordy : Vous devez aussi vous faire des amis.

M. McGuire : Oui. Je ne me représenterai pas et j'ai donc trois ans pour faire tout ce que je veux réaliser.

Je n'ai pas relevé l'observation de Paul Zed, mais je vais le faire.

Nous avons dépensé environ 50 000 $ pour embaucher des étudiants l'été, afin de réaliser un programme de lecture sous la tente à Crescent Valley, parce que nous avons constaté que les petits enfants vont à l'école, mais pendant l'été, leur papa et leur maman ne leur font pas la lecture, alors quand ils retournent à l'école en septembre, il leur faut jusqu'au mois d'octobre pour retrouver le niveau d'habileté en lecture qu'ils avaient en juin. Nous avons injecté environ 50 000 $ dans ces quartiers. Ce programme s'appelle La tente du conte de ma mère l'Oie. Quand j'aborde le sujet à une séance du conseil municipal, je me fais quasiment lapider par mes collègues : « Qu'est-ce que vous racontez? Le conte de ma mère l'Oie? » Nous avons injecté 50 000 $ dans ce programme et nous avons embauché un chercheur pour vérifier si le niveau de lecture des enfants était resté le même ou s'il s'était amélioré à leur retour à l'école. Encore une fois, c'est tricher. Je ne devrais pas dépenser l'argent de la ville pour des programmes de lecture, mais après tout, pourquoi pas? Si cela peut aider quelques-uns de ces 800 enfants à devenir professeur d'université un jour, je suis prêt à parier là-dessus. Je ne me représenterai pas alors je peux me permettre de le faire.

Le sénateur Cordy : J'ai déjà été institutrice et j'adore votre idée.

M. McGuire : Je voudrais par ailleurs mentionner un groupe de notre ville qui est dirigé par James K. Irving. Il a envoyé ses employés faire du mentorat dans un quartier difficile situé à deux minutes de marche de l'endroit où ils travaillent. Les employés faisaient la lecture à de petits enfants. Ils étaient entraîneurs d'équipes de soccer. Auparavant, quelque 80 p. 100 des enfants qui fréquentaient cette école en milieu urbain décrochaient probablement avant la fin de leurs études secondaires. Aujourd'hui, ce taux est d'environ 20 p. 100. En cinq ans, ils ont fait une différence remarquable. Cela revient à ce que vous disiez sur le mentorat. Je suis entièrement d'accord avec vous. Même dans le foyer le plus dysfonctionnel au monde, si l'on peut compter sur un mentor qui paye les frais d'inscription pour jouer au hockey, qui amène peut-être un enfant au théâtre ou voir une partie de hockey — ce que l'enfant ne verrait jamais autrement dans toute sa vie —, cela peut faire une grande différence dans la vie de quelqu'un. Cela a fait une grande différence dans notre ville. J'ai même convaincu l'hôtel de ville. Même si nos employés sont syndiqués, nous nous sommes également chargés d'une école. Des compagnies se chargent d'une école et s'occupent de son entretien. On repeint le gymnase et on y installe les anciens ordinateurs de la compagnie. C'est un modèle très dynamique qui a gagné des prix internationaux. Du point de vue municipal, nous essayons dans toute la mesure du possible de travailler en partenariat avec nos entreprises citoyennes.

Le sénateur Cordy : Dans votre conclusion, vous avez touché un mot des transports. J'ai bien aimé quand vous avez dit que toutes les politiques doivent déboucher sur des mesures concrètes au niveau des gens. Je pense que nous ne devons pas l'oublier.

Vous avez parlé du transport en commun et nous l'avons mentionné dans nos options. Je fais partie d'un comité qui s'occupe de la problématique des aînés. Toutes les personnes âgées en Colombie-Britannique reçoivent un laissez- passer d'autobus gratuit, ce qui est excellent quand on habite à Vancouver ou Victoria, mais pas nécessairement utile en régions rurales. Que devons-nous faire dans le domaine des transports en commun?

M. McGuire : Je donne cet exemple à titre de politicien local. Il faut faire campagne et donc faire du porte-à-porte. Si l'on pose les bonnes questions, on obtient les bonnes réponses.

Je me rappelle d'une mère seule qui avait deux enfants. Je lui ai demandé : « Que se passe-t-il dans votre vie? » Elle m'a répondu : « Eh bien, j'essaie d'obtenir mon diplôme d'études secondaires, mais je dois prendre six autobus pour déposer mes enfants dans diverses garderies et j'arrive donc toujours en retard et je prends du retard dans mes études. » Cela a été une révélation pour moi. Pourquoi ne mettons-nous pas les garderies, les établissements d'enseignement et de formation dans le même quartier? Ainsi, elle pourrait y aller à pied, s'assurer que ses enfants sont en sécurité et aller à pied suivre ses cours? C'est bizarre, la manière dont nous organisons tout cela.

Je suis toujours en train de m'obstiner avec le président du service de transport en commun. Je lui dis qu'il faut mettre plus d'autobus dans ces cinq quartiers pour que les gens aient plus de souplesse et un meilleur accès aux programmes d'études et aux garderies. Ce n'est pas une lutte facile, mais je pense que nous pourrions éliminer le problème si je pouvais obtenir du département des approvisionnements et services qu'il construise dans ces cinq quartiers un établissement comportant une maternelle où les enfants seraient en sécurité et stimulés et un établissement où la mère pourrait suivre ses cours sans avoir à s'inquiéter de prendre 14 autobus. J'ajoute que cela lui coûte la plus grande partie de son chèque d'assistance sociale. Je trouve que c'est un point critique.

Je travaille à longueur de journée avec des gens qui réclament seulement une carte d'autobus pour se déplacer et demeurer actifs. J'en reviens à ce que disait Judith Maxwell, je crois, au sujet des politiques fondées sur la géographie. Si nous pouvons commencer à mettre des services au bon endroit, nous allons éliminer beaucoup d'angoisse.

Le président : C'est une coïncidence, mais juste comme on parlait d'un certain député du Nouveau-Brunswick, j'ai reçu sur mon BlackBerry un courriel. C'est un communiqué dans lequel on lit : « Paul Zed se débat pour sauver le bureau de poste de Rothesay. » Cela dit, je donne la parole au sénateur Hugh Segal, de l'Ontario.

Le sénateur Segal : Je remercie MM. McGuire et Glauser d'être venus nous faire part de leurs points de vue. Je félicite en particulier le conseiller McGuire. Beaucoup de municipalités ont externalisé tous leurs problèmes dans le passé. Les gens disent : « Nous ne recevons pas assez d'argent d'Ottawa. Nous n'en recevons pas assez de la province. Nous n'avons pas assez d'investissements. Les entreprises ne font pas leur part. » Il est clair que vous avez adopté une approche active pour réaliser des choses que la ville est capable de faire et de manière constructive. C'est un exemple à suivre pour tout le Canada et je vous en reconnais tout le mérite. Je suis de ceux qui peuvent dire que j'ai été dans le même parti politique qu'Elsie Wayne pendant dix ans et que j'ai survécu, alors j'ai une assez bonne idée de l'âpreté des débats au conseil de Saint John.

M. McGuire : C'est juste.

Le sénateur Segal : Je vous félicite pour votre succès à cet égard. Je vais d'abord poser une petite question pour obtenir un renseignement et ensuite une question plus générale.

Ce chiffre de 22 p. 100 de pauvreté représente-t-il un bond énorme par rapport à la situation d'il y a dix ans, ou bien la situation est-elle à peu près la même? Y a-t-il eu une hausse ou une baisse graduelle, ou bien est-ce resté stable? En avez-vous une idée?

M. McGuire : C'est à la baisse. J'en reviens à Statistique Canada. Je pense qu'il y a une baisse de 2,75 ou près de trois points de pourcentage et nous commençons donc à récolter certains succès, ce qui est très positif. Cependant, nous craignons qu'avec l'essor du secteur énergétique, les gens qui sont au bord de l'abîme vont s'y enfoncer. Nous craignons que les chiffres ne commencent à augmenter. C'est un peu comme l'écureuil dans sa cage tournante. Nous travaillons tous très fort, mais encore une fois, il faut de bonnes politiques.

Le sénateur Segal : Quand vous avez pressenti certaines grandes entreprises qui participent au boom de l'énergie et aux 19 milliards de dollars d'investissements proposés, vous êtes-vous présenté en disant : « Nous aimerions que vous fassiez votre part et que vous vous rendiez utile », ou bien avez-vous dit « Si vous ne le faites pas volontairement, la municipalité devra peut-être intervenir »? Quel était le contexte? Comment les avez-vous amenés à appuyer certains projets importants?

M. McGuire : C'est une question de relations. Je connais mes contraintes budgétaires. Je me suis rendu compte il y a probablement trois ou quatre ans qu'il me faudrait amener de nouveaux partenaires à la table, et qui était mieux placé qu'une personne qui veut faire passer un pipeline à travers la ville? Brunswick Pipeline a probablement dépensé autant d'argent pour des déjeuners que le budget total que je pourrais consacrer à un programme scolaire. Ils ont fait du très bon travail avec nos programmes First Steps, pour les mères seules et leurs enfants. Ils ont fait leur part pour financer les bourses d'études.

Nous sommes une ville de la famille Irving — je veux dire la compagnie Irving Oil et la Irving Pulp and Paper. Notre ville est fortement industrialisée. Ils ont fait du travail remarquable. Pour revenir à notre position voulant que la ville doive prendre en charge le dossier, nous avons commencé à en discuter. Toutes les deux semaines, nous sommes diffusés sur le câblodistributeur Fundy. Quand le conseil se réunit, toute la ville nous regarde. Dieu sait pourquoi. Je n'arrive pas à le comprendre, mais je suppose que c'est un divertissement bon marché. Nous en avons donc discuté. Nous étions constamment en train de jongler avec les chiffres et nous parlions pas seulement des chiffres, mais aussi des programmes positifs.

Le sénateur Segal : Quand vous êtes allé voir les industriels à ce sujet, leur avez-vous offert des fonds de contrepartie versés par la ville ou par la province pour susciter leur intérêt?

M. McGuire : Eh bien, tout bon négociateur, comme vous le savez, s'en va négocier les mains vides. Je leur disais : « Écoutez, je n'ai pas un sou, alors comment pourriez-vous nous aider? » Bien sûr, on me répondait : « Si vous pouviez mettre 10 p. 100... » et je ripostais : « Je n'ai pas vraiment les 10 p. 100 ». Ensuite, je discutais peut-être avec les responsables provinciaux et ils acceptaient de mettre 5 p. 100 et moi je mettais 5 p. 100. Les 150 000 $ que j'ai évoqués tout à l'heure, c'est tout l'argent que j'ai pu obtenir à même le budget de l'année dernière.

Le sénateur Segal : Je vois.

M. McGuire : C'est grâce aux relations. C'est grâce à la ténacité. Je leur ai dit : « Cette ville est la vôtre maintenant. Vous faites passer un pipeline en plein milieu. Vous envisagez de construire une deuxième raffinerie. C'est votre ville à vous aussi. »

Le sénateur Segal : Je vais vous demander, à M. Glauser et à vous-même, de prendre du recul pendant un instant par rapport aux rôles particuliers que vous assumez actuellement de manière tellement efficace et d'imaginer un instant que vous êtes un ministre fédéral. Aux fins de la discussion, peu importe que vous soyez un ministre libéral ou conservateur, disons seulement un ministre fédéral. Voici ce que vous savez. Vous savez que la demande de logements à but non lucratif est très supérieure à l'offre. Même quand on pouvait compter sur un programme fédéral relativement solide, la demande l'emportait toujours sur l'offre. Vous savez que si un gouvernement fédéral lance un programme, les provinces vont dire : « Écoutez, cela relève en partie de nos compétences. Nous devons être parties prenantes. » Vous savez que les municipalités, à juste titre, vont dire : « Un instant, vous voulez construire des logements? Et le zonage? Nous devons être parties prenantes. » J'ai raison, n'est-ce pas? Vous devez maintenant reconsidérer le lancement du programme, que j'appuie d'ailleurs, soit dit en passant, et j'espère qu'on en fera bientôt l'annonce.

L'autre option, bien sûr, c'est d'évoquer les articles 91 et 92 de la Constitution. Nous ne les aimons peut-être pas, mais ces articles existent depuis la Confédération. Pourquoi ne disons-nous pas aux provinces que nous allons renoncer à trois ou quatre points de l'impôt fédéral sur le revenu et donner ces points aux provinces pour qu'elles consacrent l'argent ainsi récolté à leurs propres priorités? Il faudrait que ce soit des logements à but non lucratif ou encore des programmes d'éducation ou des investissements dans les villes. Aux fins de notre discussion d'aujourd'hui, disons que ces points d'impôt seraient visés par la péréquation, pour qu'on ne puisse pas dire qu'un point vaut moins d'argent dans certaines provinces que dans d'autres. On ferait un rajustement. À votre avis, si le Nouveau-Brunswick obtenait l'argent dont il a besoin pour faire les choses comme il faut, pensez-vous que la province attribuerait les sommes que vous estimez justes aux logements à but non lucratif, ou bien vous faudrait-il recommencer à livrer bataille si la province avait l'argent?

Que feriez-vous si vous étiez le ministre fédéral? Quelle voie emprunteriez-vous?

M. McGuire : Je ferais les choses différemment. Je suis fatigué de la non-durabilité.

C'est vous qui avez évoqué un ministre fédéral qui serait responsable, au niveau fédéral, de la lutte contre la pauvreté et le sans-abrisme. Je pense qu'il faut commencer par là.

La Nouvelle-Écosse vient de lancer une stratégie de réduction de la pauvreté, un modèle dynamique et je pense que nous allons essayer de nous en inspirer et de l'appliquer au Nouveau-Brunswick.

Cependant, si le ministre fédéral est présent, si le ministre provincial est présent, et peut-être aussi la FCM, je pense qu'il faut commencer au niveau du leadership. Il faut des champions pour défendre la cause. Je refuserais les dollars. Je préférerais avoir trois champions réunis dans une même pièce et peut-être dix homologues des quatre coins du pays, et nous dirions : « Nous ne partirons pas d'ici tant que nous n'aurons pas établi les priorités et la provenance de l'argent, et puis pendant qu'on y est, rendons tout cela durable. » Autrement, comme vous le savez, les montants vont s'amenuiser et il n'y aura plus un sou dans deux ou trois ans et nous serons de retour à la case départ.

Je crois vraiment que nous avons besoin d'un ministre du cabinet fédéral chargé de réduire la pauvreté, de 10 homologues provinciaux et puis du FCM, tous assis autour de la même table. À ce moment-là, on peut établir le programme sur des bases durables. Les Américains ont un plan de 10 ans pour les sans-abri. Je reçois des courriels tous les jours. Ils font des choses vraiment remarquables. Laissons les trois paliers de gouvernement établir ensemble un plan de 10 ans pour réduire la pauvreté dans notre pays. Je ne veux pas l'argent.

M. Glauser : Selon des estimations dont j'ai pris connaissance, les sans-abri coûtent au Canada de cinq milliards à six milliards de dollars par année. Cette estimation provient d'une étude faite en Colombie-Britannique. C'est un coût énorme. Cette facture revient année après année et c'est ce qu'il en coûte de ne pas faire ce que nous devrions faire. C'est un problème national. Comme M. McGuire l'a dit, il faut un leadership au niveau national.

Sénateur, vous avez demandé ce qu'il adviendrait de cet argent fédéral s'il était donné au Nouveau-Brunswick. Que ferait le Nouveau-Brunswick de cet argent? Je pense qu'il serait versé au Trésor du Nouveau-Brunswick et que les responsables du logement se battraient avec tous les autres intervenants dans le processus budgétaire pour se l'approprier. C'est exactement ce qu'il est advenu de l'argent qui a été injecté récemment dans la fiducie du logement. Cet argent fédéral qui venait du ministère des Finances a été versé dans le Trésor provincial. En fait, en mars 2009, au Nouveau-Brunswick, il restera encore sept millions de dollars qui n'auront pas été attribués au logement.

M. McGuire : Nous allons le prendre à Saint John. Nous allons prendre cet argent si personne n'en veut.

M. Glauser : Oui.

Le président : Non, mais vous voulez quand même un certain leadership fédéral. Vous devez faire attention à l'application des articles 91 et 92.

Nous n'avons plus de temps. Merci beaucoup à tous les deux. Vous nous avez lancé dans une discussion animée et je vous en suis reconnaissant. Je pense que nous convenons tous que vous faites du travail remarquable à Saint John et, de manière générale, pour les gens qui sont défavorisés et qui ont besoin de soutien, que ce soit pour le logement ou la réduction de la pauvreté ou le mentorat pour garder les jeunes à l'école. Vous faites du bon travail et nous vous en félicitons.

La séance est levée.


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