Délibérations du Comité sénatorial permanent de la
Sécurité nationale et de la défense
Fascicule 2 - Témoignages du 10 décembre 2007
OTTAWA, le lundi 10 décembre 2007
Le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 16 h 14, pour étudier, en vue d'en faire rapport, la politique de sécurité nationale du Canada.
Le sénateur Colin Kenny (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Je souhaite ouvrir la séance du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la Défense. Je suis le sénateur Colin Kenny, président du comité.
Je vais présenter les membres du comité. Le sénateur Zimmer vient de Winnipeg, au Manitoba. Il a fait une longue et distinguée carrière dans le monde des affaires et de la philanthropie. Il est sénateur depuis 2005, et il siège au Comité sénatorial permanent des transports et des communications.
Le sénateur Nancy Ruth vient de l'Ontario, et elle défend les droits des femmes. Elle est aussi au Sénat depuis mars 2005, et elle est aussi membre du Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l'administration, ainsi que du Comité sénatorial permanent des finances nationales. Elle est également membre du sous-comité des anciens combattants.
Le sénateur Moore a été nommé au Sénat en septembre 1996, et il représente la division sénatoriale de Stanhope St.- South Shore, en Nouvelle-Écosse. Il a été actif sur la scène municipale à Halifax-Dartmouth, et il a été membre du conseil des gouverneurs de l'Université Saint Mary's.
Le sénateur Banks vient de l'Alberta. Il a été nommé au Sénat en avril 2000. C'est un musicien et un artiste accompli et polyvalent. Il préside le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles, et il est aussi membre du sous-comité des anciens combattants.
Le sénateur Day vient du Nouveau-Brunswick, où il a fait carrière comme avocat en pratique privée. Il siège au Sénat depuis 2001, et il est actuellement président du Comité sénatorial permanent des finances nationales et vice- président du sous-comité des anciens combattants.
Mesdames et messieurs les membres du comité, nous avons aujourd'hui la chance de recevoir comme premier témoin M.Seth Jones. Vous le connaissez bien. Il vient de Washington, D.C., où nous l'avons rencontré en juin dernier, et c'est un spécialiste de la RAND Corporation, un gros groupe de réflexion américain qui effectue des recherches sur la sécurité nationale et sur bien d'autres choses. M.Jones a fait une maîtrise et un doctorat en sciences politiques à l'Université de Chicago. Ses principaux domaines de spécialisation sont l'Afghanistan, l'Europe, le Moyen- Orient, l'évolution des pays, le terrorisme et le contre-terrorisme. Il est ici aujourd'hui pour nous faire un compte rendu de la situation en Afghanistan.
Seth Jones, politicologue, RAND Corporation: C'est un honneur pour moi d'être ici. Comme bon nombre d'entre vous le savez déjà, ma femme est canadienne, elle vient de Victoria, et elle a suivi le débat de près.
Une bonne partie des données que je vais vous présenter provient des voyages que j'ai faits en Afghanistan depuis 2003. Il y a plusieurs semaines, je suis rentré de voyage dans les régions de Helmand, Kandahar, de l'Est en général et du centre de l'Afghanistan. Mes observations vont être brèves. Nous pourrons entrer dans les détails pendant la période de questions.
Je veux commencer par dire que, mis à part ce qui concerne la sécurité, il y a des domaines dans lesquels on a fait des progrès, comme le document que vous avez devant vous l'explique. La croissance économique a été d'environ 14p.100 en 2005, et d'environ 5,3p.100 en 2006. Cette croissance est un facteur qui favorise la démocratie et les élections démocratiques, et il y aura probablement de nouvelles élections présidentielles en 2009.
Cependant, pour ce qui est de la sécurité, il ne fait aucun doute qu'elle s'est détériorée au cours des dernières années dans au moins la moitié de l'Afghanistan. Je pense que les données là-dessus le montrent clairement. Les chiffres portent sur un certain nombre d'organisations: les talibans, le réseau Haqqani, les combattants étrangers basés, pour la plupart, au Pakistan, le Hezb-i-Islami, des organisations criminelles et un certain nombre de tribus, de sous-tribus et de clans, pour la plupart pachtounes. Le nombre total d'attaques d'insurgés a augmenté de 400p.100 entre 2002 et 2006. Le nombre de décès a augmenté de 800p.100 pendant la même période. L'augmentation de la violence a été particulièrement marquée en 2005-2006. Le nombre d'attentats-suicides a quadruplé, le nombre d'attaques à la bombe à distance a plus que doublé, et le nombre d'attaques armées a presque triplé.
On ne disposait pas de toutes les données pour 2007, mais il semble que les chiffres vont être plus élevés dans pratiquement toutes ces catégories. Le nombre d'attentats-suicides, par exemple, sera probablement le plus élevé de l'histoire du pays.
Cela nous pousse à nous poser la question fondamentale de savoir pourquoi il en est ainsi. Pourquoi sommes-nous témoins de niveaux d'insurrection de plus en plus importants dans ce qui constitue essentiellement un croissant du sud de la province d'Herat jusqu'aux provinces de Helmand et de Kandahar et, maintenant, dans le centre du pays, en passant par les provinces de Paktika et de Nangarhar?
Il y a dix mois, je pouvais me rendre de Kaboul ouest à la province de Wardak par convoi routier. Lorsque j'y suis retourné il y a quelques semaines, c'était trop dangereux. Les talibans et des organisations criminelles établissaient des points de contrôle le long de la route principale. Le gouvernement américain, le gouvernement canadien et de nombreux amis afghans m'ont averti de ne pas me déplacer par les routes. Ce n'est qu'à deux heures à l'ouest de Kaboul. C'était trop dangereux à cause des points de contrôle talibans.
Deux facteurs engendrent cette augmentation de l'activité et de l'instabilité. Le premier, c'est ce que nous appelons souvent la gouvernance. Je pense qu'on peut dire sans craindre de se tromper qu'il y a eu un effondrement relatif de la gouvernance en Afghanistan. Il y a deux ou trois composantes. L'une d'entre elles, c'est le taux de corruption, qui, selon les sondages, est plus élevé que jamais au pays. La police, en particulier, est jugée corrompue, inefficace ainsi qu'inadéquatement formée et encadrée par la population. On prend des mesures pour régler le problème, et les Canadiens ont commencé à le faire à Kandahar.
Le problème principal tient à ce que les villageois afghans pensent. Il faut se rappeler que, depuis 30 ans de violence, depuis l'invasion de 1979, toute la politique afghane est locale. Ce qui se produit à Kaboul et à Kandahar est moins important que ce qui se produit dans les régions rurales. C'est dans ces régions qu'on perd ou qu'on gagne toute prise de mesures anti-insurrectionnelles. Les villages de ces régions ne sont pas assez bien protégés par les forces de sécurité nationale afghanes.
En plus des problèmes de gouvernance en Afghanistan et au Pakistan, je veux parler des enjeux liés au soutien extérieur. Historiquement, les pays voisins de l'Afghanistan — l'Iran, la Russie, l'Inde et le Pakistan — sont intervenus en Afghanistan. En ce moment, la structure de commandement et de contrôle de tous les principaux groupes d'insurgés se trouve du côté pakistanais de la frontière, que ce soit les talibans à Quetta, Peshawar ou dans les centres financiers de Karachi ou le Hezb-i-Islami ou al-Qaïda dans des régions comme le Waziristan au Nord dans les zones tribales administrées par le gouvernement fédéral, ou même certaines cibles plus importantes et de plus grande valeur d'al- Qaïda dans les régions tribales du Nord.
On n'a pas déployé beaucoup d'efforts systématiques pour faire quoi que ce soit de sérieux et de soutenu au Pakistan. Cela a un effet notable sur les Forces canadiennes à Kandahar et sur ce qui se passe de l'autre côté de la frontière, ainsi que pour l'ensemble de l'OTAN.
Au sujet du soutien extérieur offert à l'OTAN, le nombre de soldats continue d'être extraordinairement peu élevé, notamment à Kandahar. Le problème qui se pose sur le terrain, c'est l'incapacité de dégager des zones, de les contrôler et d'agrandir les zones contrôlées. En particulier, il est très difficile de contrôler tout territoire sur le terrain, que ce soit dans les régions de Panjwai, Zhari ou Musa Qala, dans la province de Helmand. C'est en partie attribuable au manque de soldats sur le terrain.
À mon sens, l'Afghanistan est un enjeu stratégique très important. Je vous dirais, pour avoir suivi le débat au Canada, que la question de la diminution des effectifs en Afghanistan ou du retrait des forces doit être envisagée avec beaucoup de sérieux. Il faut comprendre quels peuvent être les coûts d'une mesure du genre, parce que j'affirmerais que les événements du 11 septembre 2001 se sont produits du fait que al-Qaïda disposait d'un sanctuaire et entretenait des liens avec les talibans en Afghanistan. De quoi aurait l'air Afghanistan dans les régions du pays où les talibans continuent de réaliser des gains et de s'approprier du territoire? Cela aurait des conséquences extrêmement dangereuses, non seulement dans la région, mais aussi sur la scène internationale. Nous avons été témoins des activités d'al-Qaïda dans des régions contrôlées par des talibans au Pakistan.
Pour terminer, j'ai quatre choses à dire. Premièrement, je suggérerais fortement au Canada, ainsi qu'à l'OTAN en général, de prendre des mesures bien senties pour régler le problème de la corruption du gouvernement et de la corruption en général. Aucun membre important du gouvernement impliqué dans des affaires de corruption et de trafic de drogue n'a fait l'objet de poursuites ni n'a été démis de ses fonctions. Pourquoi?
Deuxièmement, il faut qu'il y ait une augmentation des ressources de l'OTAN et de l'Armée nationale afghane dans le Sud, qui est le centre stratégique des talibans. L'OTAN devrait agir comme si les provinces de Kandahar et de Helmand étaient le centre d'attention, les régions où nous devons augmenter de beaucoup la taille de l'effectif.
Troisièmement, il faut établir une approche régionale pour l'Afghanistan, notamment pour s'occuper du sanctuaire au Pakistan.
Enfin, il est nécessaire de conclure des ententes entre organisations pour améliorer la collaboration. La communauté internationale n'a déployé que quelques efforts concertés en Afghanistan, quoique des mesures utiles aient été prises à cet égard.
Je vais conclure en disant que tout n'est pas perdu. Les coûts d'un éventuel retrait seraient extraordinairement élevés, alors la question que je me pose, c'est la suivante: comment faire pour améliorer une situation qui empire, mais qui n'est pas encore sans espoir?
Le président: Merci, monsieur Jones.
J'aimerais vos présenter le sénateur Tkachuk, vice-président du comité.
Le sénateur Moore: Monsieur Jones, vos observations reprennent beaucoup des renseignements qu'on nous a fournis au cours de la dernière année, et que nous avons pu en partie vérifier sur le terrain, alors c'est difficile de déterminer par où il faut commencer.
En ce qui concerne ce que vous avez dit sur les voisins de l'Afghanistan, quelle est l'attitude du Pakistan à l'égard de ce pays? Est-ce que le Pakistan est heureux d'avoir pour voisin un régime instable? Je sais que, au fil des ans, les services secrets du Pakistan — qu'on appelle Inter-Services Intelligence ou ISI — ont participé activement aux combats en Afghanistan et y ont défendu la position du Pakistan, c'est-à-dire qu'ils y ont favorisé l'instabilité.
M.Jones: C'est une excellente question. Je dirais que c'est dans l'intérêt du Pakistan qu'il y ait un régime stable à Kaboul, un régime correspondant à ses préférences et à ses intérêts stratégiques, et que c'est ce qu'il veut. C'est difficile de généraliser, mais, selon moi, ce qui inquiète Islamabad, c'est que le régime en place à Kaboul est trop allié à l'Inde, entre autres. Le gouvernement afghan a conclu une alliance stratégique étroite avec l'Inde. Le gouvernement indien participe à la reconstruction du Parlement afghan et à plusieurs projets de construction de routes. Ce qui préoccupe Islamabad, c'est que 80p.100 de la frontière pakistanaise sont partagés soit avec l'Inde, qui a fait la guerre au Pakistan à plusieurs reprises, soit avec l'alliance Afghanistan-Inde, ce qui fait que le Pakistan a l'impression d'être encerclé. Les talibans sont donc une force interposée utile, parce qu'ils peuvent pousser vers le sud et l'est de l'Afghanistan, ce qui signifie que l'ISI et le Frontier Corps — qui est un service paramilitaire de maintien de l'ordre et de l'application de la loi actif dans les régions tribales administrées par le gouvernement fédéral — l'appuient. En ce qui concerne le Frontier Corps, c'est en partie idéologique et en partie stratégique. Voilà comment je vois le contexte stratégique.
Le sénateur Moore: En raison de la concurrence historique entre l'Inde et le Pakistan, ce dernier voit l'intervention de l'Inde en Afghanistan comme un problème. Ainsi, le Pakistan mine les efforts de l'Inde pour défendre sa position en Afghanistan et pour éviter que l'Inde y fasse ce qu'elle veut.
M.Jones: Exactement.
Le sénateur Moore: Vous avez parlé une ou deux fois de la question de l'effondrement de la gouvernance en Afghanistan, du fait que la corruption était plus importante que jamais et que les services de police étaient corrompus et inadéquatement formés. J'entends continuellement les mots «corruption» et «corrompu». Je ne l'ai pas avec moi, mais l'entente qui a été signée à Londres comporte une liste des différents objectifs à réaliser en Afghanistan. L'un de ceux-ci concernait la réduction, sinon l'élimination, de la corruption, mais les choses empirent.
Vous parlez de poursuites judiciaires visant des membres du gouvernement. Quelle est la situation du système de justice? Est-on en train de le mettre en place? Est-ce que le modèle de ce système est celui auquel nous sommes habitués, celui qui correspond à la définition nord-américaine? Comment les choses évoluent-elles à cet égard? Si les Canadiens travaillent dans des bureaux du gouvernement à aider les ministres à gouverner leur pays, je ne comprends pas pourquoi la situation empire au lieu de s'améliorer.
M.Jones: Après Bonn en 2001 et en 2002, les Italiens ont pris la direction de l'effort de reconstruction du secteur de la justice. Ça a commencé comme un effort mené par l'Italie.
Je dirais que le système de justice peut être divisé en plusieurs parties. À l'échelon local, il y a un système de justice non officiel fondé sur une djirga. C'est quelque chose qui nous est étranger, à nous Occidentaux. Il va falloir des décennies ou des siècles pour que ça change.
En ce qui concerne la justice pénale, on a déployé des efforts pour améliorer le système pénal officiel. On a par exemple mis sur pied à Kaboul un tribunal pour les gros trafiquants de drogues. C'est moins un problème institutionnel qu'un problème politique. Ce n'est pas que les institutions n'existent pas; c'est plutôt que la volonté politique d'intenter des poursuites judiciaires contre d'importants membres du gouvernement ou trafiquants de drogues est faible, vu la possibilité, en pleine période d'insurrection, de rendre la situation pire. Le problème, c'est que les Afghans et peut-être une partie aussi de la communauté internationale a fait preuve de peu de volonté politique d'intenter ces poursuites. Le problème concerne moins les institutions que la volonté de le faire. Les institutions existent.
Le sénateur Moore: C'est le gouvernement central qui doit faire preuve de cette volonté, mais il semble y avoir un système de justice traditionnel dans les régions tribales, et ils n'adoptent pas — ils pensent peut-être qu'ils n'en ont pas besoin — un système national de justice comme celui que nous avons au Canada.
M.Jones: Oui. Selon moi, c'est bien dans une certaine mesure. Surtout dans les régions pachtounes, lorsque quelqu'un vole un animal qui appartient à quelqu'un d'autre, le problème peut être réglé par une djirga locale. On fait appel aux aînés de la tribu, qui se réunissent et règlent le litige. Les affaires plus graves, par exemple, les meurtres, sont parfois réglées par des djirga, et parfois par des instances supérieures. Dans certaines provinces, nous avons vu ce genre d'affaire réglées dans le cadre d'une structure de gouvernance talibane. Aux niveaux inférieurs, il y a un système non officiel fondé sur les djirga, et aux niveaux supérieurs, il y a un système assez officiel. C'est seulement qu'il n'est pas très efficace.
Le sénateur Moore: La corruption tourne autour de l'argent — de l'aide qui ne se rend pas là où elle devrait aller. Est-elle siphonnée par les fonctionnaires?
M.Jones: Le domaine le plus important où on voit de la corruption, c'est la participation au trafic de stupéfiants. Il y a des gens qui participent de toutes sortes de façons au contrôle de certaines zones ou de certaines forces et qui tirent profit de la production et de la culture du pavot et du trafic de l'opium en imposant des taxes ou par d'autres moyens. C'est probablement à ce chapitre qu'il y a le plus de corruption.
Le fait que, de différentes façons, il y a de l'argent qui aboutit dans les poches des chefs de police des districts est bien documenté. Je vais vous donner deux exemples de corruption au sein de la police. Premier exemple: il y a de l'argent qui est acheminé vers les chefs de police des différents districts, qui en gardent une partie pour eux. Deuxième exemple: il est tentant pour les chefs de police d'avoir ce qu'on appelle des agents fantômes, c'est-à-dire qu'un chef de police peut prétendre avoir 1000 ou 2000 agents de police dans son district ou dans plusieurs districts, ce qui veut dire qu'on lui verse de l'argent pour les agents qui n'existent pas. Voilà deux exemples où il y a de la corruption: les chefs de police gardent pour eux une partie de l'argent ou reçoivent de l'argent pour des gens qui n'existent pas.
Le sénateur Nancy Ruth: Je m'intéresse à la Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies, sur les femmes, la paix et la sécurité. Lorsque vous étiez en Afghanistan, qu'avez-vous vu qui témoigne du fait que les forces de l'OTAN tiennent compte de cette résolution et l'appliquent?
M.Jones: En pratique, sur le terrain, j'ai vu très peu de choses indiquant qu'on prend vraiment cette résolution au sérieux. Ce qu'on entend dire, entre autres, sur le terrain, c'est que la résolution devance probablement de plusieurs décennies la situation de l'Afghanistan, et qu'il est trop tôt pour promouvoir une réforme en ce qui concerne les femmes. Je pense que ce n'est pas un bon argument, mais c'est le principal obstacle. Je n'ai pas vu de vrais signes de l'application de cette résolution à un quelconque niveau.
Le sénateur Nancy Ruth: Est-ce que cela ne fait pas partie de la formation des policiers que vous avez vue se dérouler?
M.Jones: Il y a environ 200 agentes de police, mais, pour la plupart, elles n'occupent pas de postes importants, à quelques exceptions près. De façon générale, c'est plutôt la situation contraire.
Le sénateur Nancy Ruth: Est-ce que cela revient à dire que, d'après ce que vous avez pu voir, les femmes ne participent pas beaucoup au processus de reconstruction de l'Afghanistan?
M.Jones: En ce qui concerne la sécurité, c'est assurément le cas. Je n'ai vu aucune preuve systématique du fait que les femmes sont mieux traitées qu'il y a cinq ans. Il y a encore beaucoup de viols. J'ai entendu parler récemment d'une femme qui avait été violée dans le sud de l'Afghanistan et qui avait été punie par la suite. La femme est stigmatisée. Je ne crois pas que les choses aient vraiment changé au cours des dernières années.
Le sénateur Nancy Ruth: Au chapitre du développement, quelles devraient être les priorités du Canada et des autres membres de la communauté internationale pour améliorer la situation en Afghanistan, particulièrement à Kandahar et dans le Sud?
M.Jones: À mon sens, pendant une opération anti-insurrectionnelle, ce qui compte le plus, c'est la population locale, et, en ce sens, ce qui compte le plus, c'est de régler les problèmes à l'échelle locale. Pourquoi les talibans profitent-ils d'un certain soutien, disons à Kandahar? Pourquoi y a-t-il des gens qui les appuient? À mon avis, le développement doit être axé sur le fait de régler certaines questions très précises.
Nous sommes témoins de problèmes en ce qui a trait à l'électricité. S'il était fonctionnel, le barrage de Kajaki, dans la province de Helmand, pourrait permettre de fournir beaucoup d'électricité à Kandahar, et ce serait un enjeu important sur le plan stratégique. C'est une chose dont les Afghans se plaignent régulièrement.
L'idée, c'est de déterminer les causes de plaintes et d'élaborer une stratégie de développement qui permette de régler ces problèmes précis plutôt que d'aborder le développement de façon générale. En d'autres termes, il faut orienter l'aide au développement vers des problèmes précis, par exemple celui de l'électricité, qui sont des préoccupations importantes de la population locale.
Le sénateur Nancy Ruth: C'est une situation difficile. Merci.
Le sénateur Banks: Je veux revenir sur la question soulevée par le sénateur Moore. Vous avez affirmé que toutes les opérations militaires normales et mesures anti-insurrectionnelles ne changent rien, pour les Afghans, s'ils se font voler leurs animaux, n'ont pas d'électricité et ne trouvent pas d'emploi. Ce qui les intéresse, c'est de savoir qui peut leur offrir la meilleure situation pour leur famille et pour eux. Parfois, il ne semble pas que le nouveau régime soit la solution, peu importe qui le dirige.
Comme le sénateur Moore l'a dit, l'entente conclue entre les différents pays, notamment l'Afghanistan, que tous les pays se sont engagés à respecter, comportait un engagement du gouvernement de l'Afghanistan à régler le problème de la corruption. Nous pouvons gagner toutes les batailles, reprendre toutes les villes et peut-être occuper tout le territoire, mais si on ne s'occupe pas de la corruption de façon qu'ils — pas nous, mais bien les Afghans — puissent constater que des progrès sont faits pour l'amélioration de leur vie, alors tout cela ne sert à rien.
En un sens, il y a un rapport avec la question du Pakistan. N'est-il pas raisonnable d'affirmer — je ne l'affirme cependant pas — que si les Afghans veulent que nous, les bons, intervenions et le disent, mais qu'ils ne sont pas prêts à porter des accusations de trafic de drogue contre le beau-frère de vous savez qui, que nous n'avons pas à nous soucier de tout cela, mis à part nos propres intérêts? Nous pourrions ériger une clôture autour du pays dans notre propre intérêt.
Vous avez dit qu'il y a de l'espoir. Pour ma part, j'ai beaucoup de difficultés à voir en quoi il y en a.
M.Jones: Je ne pense pas qu'il s'agisse de choses qui s'excluent mutuellement. En d'autres termes, il est certain que le gouvernement afghan souhaite que les intervenants de la communauté internationale restent au pays. C'est quelque chose qu'on peut utiliser pour le faire bouger. On pourrait dire clairement: «Des choses importantes sont en jeu, et nous voulons que vous preniez des mesures concrètes pour lutter contre la corruption, par exemple, sans quoi vous allez perdre l'appui de la communauté internationale».
Le sénateur Banks: Est-ce que cela a été fait? Est-ce que quelqu'un a dit au président et aux gens qui l'entourent: «Nous savons que vous voulez que nous restions, mais vous devez faire votre part et régler ces questions. Si vous ne le faites pas, nous partons»?
M.Jones: J'espère que ça a été fait. Je ne peux parler de discussions qu'aurait eues le président Karzai et d'autres personnes, surtout si je n'étais pas là, mais j'espère que ça a eu lieu. Pour être honnête, je dois dire que je ne le sais pas.
Il y a eu, dans l'histoire des insurrections, à tout le moins depuis 1945, toutes sortes de cas où les mesures anti- insurrectionnelles ont échoué parce que le gouvernement local était inadéquat, corrompu et finissait par perdre l'appui de la population. Si on ne fait pas de la population le centre des préoccupations et si on perd l'appui populaire pour toutes sortes de raisons, surtout si la population perd confiance dans son gouvernement, alors les opérations militaires ne vont jamais permettre de venir à bout de l'insurrection, parce que, le jour où les forces armées quitteront le pays, le gouvernement s'effondrera. Ça s'est produit en Afghanistan pendant l'occupation soviétique. L'histoire est jonchée de ce genre d'expériences.
Le sénateur Banks: C'est un travail déprimant, parce que c'est très répandu. Nous faisons toutes sortes d'efforts pour aider les conseils de tribus locales et pour leur donner les outils nécessaires au développement et tout ça, mais la corruption entre en jeu.
Le comité est formé, bien entendu, de stratèges militaires réputés dont le génie ne fait aucun doute. Tout le monde nous a dit que le problème, c'est la frontière; les personnes qui commettent des attentats se réfugient de l'autre côté de la frontière, et il y a la question de la souveraineté du Pakistan, et nous ne pouvons pas y faire grand-chose. Nous avons en fait eu la témérité de proposer l'instauration d'une zone interdite le long de la frontière, un endroit où l'on n'ose pas aller à moins de vouloir passer par les points de contrôle — mais du côté afghan, pour que ce ne soit pas près de la ligne qui suit les sommets des montagnes. Une espèce d'espace dégagé, comme le mur de Berlin, j'imagine. Est-ce que ce serait réalisable, ou sommes-nous tout à fait hors de propos?
M.Jones: Je ne pense pas que ce soit une solution possible. Je vous donne l'exemple de l'expérience des États-Unis à la frontière mexicaine; les États-Unis n'arrivent pas à empêcher les Mexicains de traverser la frontière, et ils ont construit un mur. L'idée de construire quoi que ce soit dans l'une des régions les plus montagneuses du monde n'est à mon avis tout simplement pas réalisable, surtout qu'il y a des gens qui souhaitent traverser la frontière et que les gouvernements sont prêts à les laisser faire. En ce sens, il est tout simplement impossible d'empêcher cela de se produire. Si les gens trouvent un appui de l'autre côté de la frontière, on ne pourra jamais les empêcher de la traverser ni de faire traverser des marchandises. Ils fournissent les explosifs et des véhicules pour les attentats-suicides. On ne sera jamais en mesure de faire cesser cela.
Le sénateur Banks: Vu ce que vous venez de dire, et vu, comme vous l'avez signalé, que le Pakistan utilise les talibans et d'autres groupes comme moyens de promouvoir ses intérêts en Afghanistan, tant que la frontière demeure poreuse et que ceux qui sont pour nous les méchants peuvent la traverser à volonté, si l'on met de côté l'idée de gagner, parce qu'il n'y aura pas de victoire, y a-t-il une quelconque façon de connaître le succès sans que le gouvernement du Pakistan modifie son attitude à cet égard? Même si le gouvernement pakistanais changeait de perspective, serait-il en mesure de faire appliquer quoi que ce soit dans ses zones tribales administrées par le gouvernement fédéral mais certainement pas contrôlées par lui?
M.Jones: Oui, je crois que le gouvernement serait en mesure, sinon de faire appliquer des mesures, à tout le moins de faire bouger les choses. Ses services secrets, et même son Frontier Corps, sont des organisations assez compétentes, et nous ne parlons pas, dans la plupart des cas, des personnes précises intervenant auprès des talibans ou les appuyant. Il s'agit d'agents réguliers des ISI.
Je pense qu'il y a plusieurs choses dignes de mention qui se sont produites. Il y a la talibanisation des régions tribales qui, bizarrement, a été utile aux personnes actives en Afghanistan. Le gouvernement pakistanais voit son autorité remise en question par ses propres régions tribales, puisqu'il y a eu des attentats-suicides aux quartiers généraux des ISI et de l'armée. Le Pakistan se voit maintenant également menacé par les talibans qu'il avait appuyés et qu'il appuie encore dans une certaine mesure. C'est quelque chose qui peut être exploité, et il pourrait y avoir des mesures à prendre en collaboration avec le gouvernement du Pakistan pour faire face à une menace qui échappe maintenant à son emprise.
Pour être honnête, je dois dire que cette responsabilité appartient en bonne partie au gouvernement américain, comme il se doit, parce que c'est celui-ci qui a de loin le plus d'influence sur le gouvernement pakistanais, vu qu'il lui fournit une aide d'un peu plus d'un milliard de dollars par année. Il va y avoir des changements à Washington dans moins d'un an. Il y aura peut-être lieu d'apporter des changements dans ce domaine également, à ce moment-là. Je dirais qu'il n'est pas nécessairement mauvais, et que je pense qu'il y a des possibilités de changement du côté pakistanais, comme je l'ai mentionné. Je ne perdrais pas tout à fait espoir à ce chapitre. Il y a encore des choses à faire.
Le sénateur Zimmer: Je veux parler de la culture du pavot. C'est un produit qui peut être utilisé à de bonnes fins. Mais c'est aussi quelque chose qu'on peut mal utiliser, pour en faire une drogue. En juin dernier, vous avez dit aux membres du comité que, selon les Afghans, la culture du pavot est contraire à la culture islamique, mais qu'elle devient nécessaire à leur survie dans les régions rurales. Êtes-vous toujours de cet avis?
M.Jones: D'après les sondages d'opinion dont j'ai pris connaissance, qui dataient de la fin 2006 et peut-être même de 2007, les Afghans sont nombreux à penser que la culture du pavot est anti-islamique, oui, ce qui veut dire que, sur le plan religieux, les gens qui le font sont stigmatisés. Ils le font pour des motifs économiques.
Le sénateur Zimmer: Vous pensez toujours qu'il en est ainsi.
M.Jones: Oui.
Le sénateur Zimmer: Pensez-vous que les États-Unis vont revoir leur politique d'élimination du pavot en Afghanistan? La semaine dernière, nous avons entendu le témoignage de l'ambassadeur afghan, et il nous a dit que son gouvernement n'est pas en faveur de l'élimination de la culture du pavot en ce moment.
M.Jones: Récemment, le gouvernement américain a officiellement déclaré à plusieurs reprises qu'il est en faveur de certaines mesures d'élimination, mais qu'il a connu plusieurs obstacles. On a parlé récemment de faire un épandage aérien — de détruire les champs à l'aide d'avions —, mais le gouvernement afghan a rejeté l'idée. Je pense donc que le gouvernement américain est placé devant une ligne rouge, même en ce qui concerne l'élimination de la culture du pavot: une opposition véhémente de la part du gouvernement afghan peut mettre fin aux efforts d'élimination et, en fait, a déjà mis fin à une partie des efforts. Je pense que c'est le cas en ce qui concerne l'épandage aérien.
Le sénateur Zimmer: Avez-vous une opinion sur les autres cultures qui pourraient remplacer le pavot, si l'élimination de la culture du pavot n'est pas une option viable? L'ambassadeur nous a dit la semaine dernière que le gouvernement afghan envisageait de subventionner les agriculteurs qui cultivent le pavot.
M.Jones: Je ne suis pas spécialiste des drogues. Je dirais que vous feriez mieux de poser la question à quelqu'un qui connaît davantage le domaine des stupéfiants en Afghanistan. Je sais qu'on cultive le blé dans certains cas, mais il faudrait que je fasse une analyse des cultures qui pourraient remplacer celles du pavot. Je ne suis pas en mesure de vous donner une réponse complète à la question de savoir quels produits cultiver à la place du pavot. Je peux vous dire que la culture du pavot est de loin beaucoup plus profitable que la culture d'autres produits, à tout le moins de ceux que j'ai vus. Il va falloir faire quelque chose pour inciter les agriculteurs à cultiver des produits qui rapportent moins.
Le sénateur Zimmer: La semaine dernière, j'ai demandé à l'ambassadeur: «Quand une mesure d'incitation devient- elle une subvention? Où tracez-vous la ligne de démarcation?» J'avais déjà entendu la réponse qu'il a donnée: «Nous allons faire un projet pilote et voir si ça marche.» C'est peut-être une partie de la solution.
Que pensez-vous de la position du Senlis Council, selon laquelle on pourrait délivrer des permis de culture du pavot en Afghanistan pour la production de morphine et d'autres médicaments? MmeMacDonald, qui est membre de ce conseil, a témoigné devant nous la semaine dernière. Encore une fois, l'ambassadeur dont je vous ai parlé a dit aux membres du comité que le gouvernement afghan n'est pas en faveur de la proposition du Senlis Council d'utiliser l'opium produit pour élaborer des médicaments.
M.Jones: J'ai pris connaissance de cette proposition. Je crois qu'une faible proportion des terres cultivées de l'Afghanistan servent à la culture du pavot et à la production. Ce qui me préoccuperait, c'est de savoir comment le secteur agricole en général serait touché si une partie au moins de la culture de l'opium était légalisée. Il y a beaucoup d'endroits où on pourrait faire pousser davantage de pavot dans le pays. Cela soulève des questions importantes au sujet du fait de poursuivre la culture du pavot en Afghanistan, de façon légale, dans ce cas, aussi bien qu'illégale.
La culture du pavot a diminué de façon importante dans plusieurs pays, notamment le Pakistan. Une idée intéressante qui vaut la peine d'êtes analysée est la suivante: comment ces pays ont-ils réussi à faire diminuer la culture du pavot? Fait intéressant, ils n'ont pas eu recours à la légalisation. Ils ont eu recours à toutes sortes de moyens. Je dirais qu'il faut envisager les stratégies employées de façon plus sérieuse avant de légaliser. J'aurais peur que la culture du pavot augmente, plutôt que de diminuer, si l'on décidait de procéder à la légalisation.
Le sénateur Tkachuk: Nous avons passé pas mal de temps à parler de la guerre et de la reconstruction. J'aimerais savoir comment, selon vous, la situation actuelle se compare à d'autres situations, au cours de l'histoire, dans lesquelles les objectifs ont été semblables. Après la Seconde Guerre mondiale, le Japon et l'Allemagne ont plaidé pour la paix, l'ennemi a capitulé, de nouvelles forces ont dirigé ces pays, et ceux-ci ont ensuite entamé le processus de reconstruction. Par ailleurs, ils ont lancé le processus de démocratisation, surtout le Japon. Au Vietnam, nous étions en guerre en même temps qu'on essayait de développer le pays et d'en faire une démocratie. Cet effort n'a pas été couronné de succès. Y a-t-il des données qui montrent que le genre de plans que nous appliquons en Afghanistan et en Irak va fonctionner? Y a-t-il des cas, au cours de l'histoire, où cela a vraiment fonctionné?
M.Jones: C'est une excellente question. Il y a une riche histoire de ce qu'on appelle souvent l'«édification d'un État» depuis la fin de la guerre froide — par exemple, les opérations de l'ONU, de l'Europe et de l'OTAN dans les Balkans, en Bosnie, au Kosovo, en Haïti, en Namibie, au Mozambique, au Congo, en Côte d'Ivoire et dans toutes sortes d'autres pays. Je dirais que même cette histoire récente de l'édification d'État, même dans certains cas, dans des situations passablement violentes ou qui auraient pu donner lieu à des actes de violence, comme nous l'avons vu dans les Balkans, nous enseigne une leçon très claire: on ne peut pas le faire à peu de frais.
Dans les Balkans, le nombre de soldats était de plusieurs fois supérieur au nombre de soldats déployés en Afghanistan, et la situation était la même au chapitre du développement et de l'aide. En réalité, si on envisage le montant de l'aide et le nombre de soldats déployés en Afghanistan par rapport à la population du pays, c'est l'une des opérations les moins importantes depuis la Seconde Guerre mondiale. J'ai des données là-dessus, si vous voulez les voir. Franchement, je trouve embarrassant que la quantité de ressources fournies soit aussi faible. Il y a deux grandes leçons à tirer: c'est quelque chose qu'il est possible de faire, mais pas à peu de frais. Malheureusement, nous avons essayé de reconstruire l'Afghanistan en procédant à une intervention légère, peu coûteuse. Je crois que l'histoire montre que ce genre de stratégie n'est pas particulièrement susceptible d'être appliquée avec succès.
Le sénateur Tkachuk: Pour moi, la question de l'Afghanistan, c'est une question de sécurité. On ne parlait pas beaucoup de l'Afghanistan avant les événements du 11 septembre. Je me souviens d'avoir été choqué et surpris de voir à la télévision comment les femmes sont traitées en Afghanistan. La femme de Jay Leno a participé aux États-Unis à un mouvement visant à modifier l'attitude du gouvernement. Je me rappelais vaguement l'Afghanistan et la guerre que les États-Unis avaient soutenue, ainsi que les communistes qui se faisaient battre, mais je ne connais personne qui s'intéressait à l'Afghanistan avant le 11 septembre.
Peu de pays s'occupent de cette question de la sécurité. Plusieurs pays ne l'envisagent pas avec sérieux. Ce ne sont pas eux qui envoient des soldats ou des ressources en Afghanistan. Ils s'attendent à ce que les États-Unis et la Grande- Bretagne, avec quelques autres pays, s'en occupent pour eux.
En réalité, tout ce que nous voulons, c'est assurer la sécurité. S'ils veulent vivre au XVe siècle ou à l'âge de pierre, ça ne me dérange pas, tant qu'ils ne font pas exploser de bombes, n'envoient pas d'avions et ne s'attaquent pas à ma famille. Après tout, tout pays doit assurer sa propre défense.
Il me semble qu'il faut que le Canada et les États-Unis fassent passer le message selon lequel nous allons nous concentrer exclusivement sur la sécurité de nos pays; nous n'allons pas nous concentrer sur l'injection de plein d'argent dans le processus de la construction, surtout si les autres pays ne s'en soucient pas. Si nous sommes tous dans le même bateau, nous sommes tous dans le même bateau.
J'ai l'impression que nous débattons de la question de savoir si nous devrions être présents en Afghanistan. Ce débat a lieu aux États-Unis et en Grande-Bretagne aussi. Si personne ne veut intervenir là-bas, nous allons devoir sacrifier notre sécurité. C'est un problème grave — plus grand encore que l'échec des efforts de reconstruction.
M.Jones: Fait intéressant, le débat aux États-Unis porte non pas sur le retrait des troupes, mais sur l'augmentation de l'effectif. Il y a ce débat parallèle aux États-Unis sur l'Irak, mais celui sur l'Afghanistan va dans l'autre sens. L'élément central de la campagne électorale, c'est l'augmentation des ressources en Afghanistan. Je pense que la tendance est semblable au Royaume-Uni.
Je pense que vous avez raison au sujet de la sécurité, quoique j'ajouterais une mise en garde, c'est-à-dire qu'il est également important de comprendre ce qui motive les gens à l'échelle locale à s'intéresser aux problèmes qui contribuent à la sécurité en Afghanistan.
Le développement est une chose importante s'il permet de commencer à régler les problèmes dont les gens se plaignent. Cependant, la question a davantage trait à la sécurité, et, au sujet du retrait ou de la réduction de l'effectif, je dirais qu'il vaut la peine d'envisager ce que serait la vie dans un territoire contrôlé par les talibans. Il y a déjà dans les zones tribales des camps où s'effectue, comme nous l'avons vu avec les attentats de juillet 2005 en Grande-Bretagne, la formation des personnes qui sont à l'origine des attentats, réussis ou non. Nous l'avons également constaté lorsque nous avons appris l'existence d'un complot en Allemagne, récemment. Je dirais qu'il vaut la peine de réfléchir à ce à quoi ressemblerait l'Afghanistan si nous nous retirions des zones contrôlées par les talibans, vu l'alliance qu'ils ont conclue avec al-Qaïda. Il convient vraiment de nous demander si nous voulons composer avec cette réalité.
Le sénateur Tkachuk: Pour ma part, c'est non, absolument pas. C'est la raison pour laquelle le débat qui a lieu ici m'inquiète. Nous parlons du fait que nous arrivons à procurer de l'eau aux gens ou non. Toutes ces choses vont continuer, et rien ne sera réglé rapidement. L'idée importante, cependant, c'est que nous ne pouvons pas laisser l'Afghanistan devenir un lieu de formation et de recrutement des terroristes, qui sont non pas des gens pauvres, mais bien des jeunes hommes de la classe moyenne qui sont tout simplement fous. Voilà ce qu'ils sont. C'est ce que nous savons d'eux. Ce sont les gens qui sont en prison et ceux qui sont morts. Il s'agit de gens dont le revenu est moyen et qui sont fous, et ils sont très nombreux. J'aimerais revenir sur l'aspect de la sécurité et sur le fait qu'il serait dangereux que nous nous retirions du pays. Je vais demander au gars de l'armée s'il pense que nous devrions nous occuper de la reconstruction.
M.Jones: On a discuté du fait que l'Irak était le front principal de la guerre contre le terrorisme. Les données sont assez claires, comme nous avons pu le constater récemment. Le milieu du renseignement américain a diffusé son évaluation nationale et déterminé que le front principal se trouvait au beau milieu des zones tribales du Pakistan. La plupart des organismes de renseignements du monde occidental sont du même avis: ce qui se passe à la frontière de l'Afghanistan et du Pakistan, en lien avec de nombreux complots, réussis ou non, à l'échelle internationale, est grave. Les Arabes, les Libyens, les Ouzbeks, les Tchétchènes et les autres gens qui se trouvent dans cette région — par exemple Abu Ubaidah al-Masri — ne sont pas des militants ordinaires; ce sont plutôt des gens compétents, comme nous l'avons vu dans le cas de Londres, de Madrid et de Washington. Je ne prendrais pas cela à la légère.
Le sénateur Banks: Je pense que al-Masri est un homme sur qui les bons ont déjà compté. Il n'est plus là. Son fils va- t-il s'en tirer?
M.Jones: Nous parlons peut-être de personnes différentes. Je parle de Abu Ubaidah al-Masri, dont on pense actuellement qu'il est en train de remplacer Khalid Sheikh Mohammed, le chef des opérations d'al-Qaïda qui a participé aux attentats de Londres en 2005 et du complot transatlantique en 2006.
Le sénateur Day: M.Jones, merci de nous faire part d'une évaluation franche de la situation. Cela nous est utile. Dans le résumé de votre déclaration, vous avez parlé de trois choses: premièrement, nous avons besoin de plus de soldats dans le sud de l'Afghanistan, dans les provinces de Helmand et de Kandahar; deuxièmement, nous devons nous occuper de la situation du Pakistan et troisièmement nous devons adopter une démarche intégrée. Pouvez-vous approfondir le troisième point?
M.Jones: Certainement. Au Kosovo et en Bosnie, il y avait une structure de commandement et de contrôle relativement unifiée pour ce qui est des efforts d'édification de l'État. Il y avait une chaîne de commandement civil et militaire claire. Il n'y a rien de tel en Afghanistan. On a parlé de faire quelque chose de semblable à ce que Paddy Ashdown, l'ancien haut-représentant pour la Bosnie-Herzégovine, a fait dans les Balkans. Ce serait un bon pas de fait. L'argument, c'est que, du côté militaire, il y a plusieurs chaînes de commandement qui passent par l'OTAN, par le United States Special Operations Command et par le Commandement central — au moins trois chaînes de commandement différentes. Du côté civil, il n'y a aucune chaîne de commandement — il y a des Canadiens, des Britanniques et des Américains qui effectuent des opérations sur plusieurs fronts du côté civil. Il y a également des organisations non gouvernementales et des organisations internationales comme la Banque mondiale, l'ONU et le FMI. Il n'y a pas vraiment d'organisations ou de personnes qui dirigent tout ce monde. Il n'y a pas de structures de commandement et de contrôle clairement établies. Nous participons à un effort de lutte contre l'insurrection, qui devrait être composé surtout d'efforts non militaires, avec environ 10p.100 d'opérations militaires cinétiques. Non seulement nous ne sommes pas en mesure de combiner les aspects militaires et civils, mais nous n'arrivons même pas à combiner les différents aspects des opérations civiles. Il faut sérieusement repenser à l'efficacité et la coordination entre les États, les organisations internationales et les organisations non gouvernementales, même du côté du développement, parce que nous sommes tout à fait inefficaces en ce moment.
Le sénateur Day: Quel rôle les Nations Unies ont-elles à jouer dans ce domaine, si elles en ont un?
M.Jones: Eh bien, les représentants de la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan ou MANUA, ont participé à plusieurs dossiers choisis, et ils ont participé à toute l'entente de départ, à Bonn, en 2001. Ils ont participé aux efforts de désarmement, de démobilisation et de réinsertion de la milice, ainsi qu'à une partie de la réforme du secteur judiciaire et à d'autres trucs par-ci par-là, mais ils n'ont joué aucun rôle coordonné.
Le sénateur Day: Auraient-ils dû le faire? L'OTAN est d'abord et avant tout une organisation militaire. Nous semblons avoir de la difficulté, du point de vue de l'OTAN, à participer à l'aspect développement. Qui prend les rênes, lorsque le gouvernement Karzai, à Kaboul, n'est pas en mesure de coordonner? Il est clair qu'il ne se passe rien. Qui dirige, dans le cadre de l'approche dont vous parlez?
M.Jones: Plusieurs options valent la peine d'être envisagées. L'une d'entre elles, c'est d'offrir aux Nations Unies de jouer un rôle de coordination plus important. Il serait également possible, suivant le modèle des Balkans, de nommer une personne qui s'occuperait au moins d'importants portefeuilles. Cette personne ne serait jamais en mesure de diriger les opérations d'organisations gouvernementales ou internationales comme la Banque mondiale, mais elle pourrait les coordonner. Cela signifierait qu'un important représentant du Canada, des États-Unis ou de l'Europe aurait à sa charge le fonds en fiducie et certains autres aspects importants de la reconstruction. Cela pourrait se faire par l'intermédiaire des Nations Unies ou de façon indépendante de celles-ci. En fait, l'OTAN et l'Union européenne sont deux possibilités. Il y a des coûts et des avantages liés à bon nombre de ces options, mais il existe plusieurs options.
Le sénateur Day: Le Canada fait partie de l'OTAN, et nous nous sommes engagés envers cette organisation. Ce n'est pas le Canada, c'est l'OTAN. Il y a un certain temps, le Canada s'est engagé à participer aux activités de développement jusqu'en 2009 et à fournir de l'aide jusqu'en 2011. Je suis sûr que nous allons respecter cet engagement. C'est l'OTAN qui dirige, dans le sud de l'Afghanistan, sur le plan militaire. Les Britanniques ont la même impression dans la province de Helmand. Il s'agit d'un problème relatif à l'OTAN que nous devons régler, et l'OTAN est encadrée là-bas par les Nations Unies. Nous sommes là-bas pour aider les Nations Unies, alors nous ne pouvons leur attribuer un rôle plus important. Il faut que ce soit les Nations Unies qui décident de jouer ce rôle plus important de leur propre chef.
M.Jones: Dans une certaine mesure, il faut aussi que les Nations Unies se voient confier un rôle plus important, parce qu'elles ne peuvent pas faire grand-chose d'autre que ce que les principaux membres du Conseil de sécurité leur permettent de faire. Qui siège au Conseil de sécurité? S'agit-il de représentants permanents? Il s'agit en grande partie des principaux pays de l'OTAN.
Il y a un peu de recoupement, mais je suis d'accord avec l'essentiel de ce que vous dites. Je vous mettrais en garde en vous disant que cela devient en partie une question de relations publiques. Est-ce que le retrait ou la réduction des effectifs canadiens à Kandahar serait vu comme une réduction de l'effectif de l'OTAN ou comme une réduction ou un retrait de l'effectif canadien? Je ne peux pas répondre à cette question, mais il est possible que cela serait vu comme une réduction ou un retrait de l'effectif canadien. Encore une fois, c'est une question de perception.
Le sénateur Day: Ces derniers temps, il y avait deux opérations en cours, une dans la province de Helmand, avec l'Armée nationale afghane et britannique, et l'autre, juste au sud de Kandahar, avec les Canadiens et l'Armée nationale afghane. Les articles que nous lisons donnent à croire que l'Armée nationale afghane dirige et que les forces canadiennes et britanniques la soutiennent. Vous qui vous êtes rendu là-bas et qui avez examiné cette question, êtes- vous convaincu que l'Armée nationale afghane en est rendue au point où elle dirige les opérations, alors que nous ne faisons que la soutenir? Sera-t-elle en mesure de contrôler le territoire ou les villes cette fois-ci, même si elle n'a pas été en mesure de le faire par le passé?
M.Jones: Je ne peux rien dire au sujet de ces opérations en cours, parce que je ne connais pas la réponse à votre question. L'Armée nationale afghane a rarement dirigé des opérations importantes, ou peut-être qu'elle ne l'a jamais fait. Dans la plupart des cas, ce sont des éléments compétents de l'OTAN qui dirigent les opérations. L'Armée nationale afghane fait souvent partie des opérations, notamment lorsqu'il s'agit de contrôler un territoire après qu'il a été dégagé. Ce serait quelque chose d'assez nouveau si l'Armée nationale afghane était l'organisation qui dirige ces opérations militaires. Je ne connais tout simplement pas le réponse à votre question.
L'Armée nationale afghane est relativement bonne. L'Armée est de plus en plus compétente au chapitre de la conduite des opérations. La plupart des recrues de cette armée n'ont peur de rien. Les soldats sont prêts à se battre. L'Armée a connu quelques problèmes de maintien de son effectif, mais sa situation est potable, surtout par rapport à celle de la police. L'Armée ne peut pas effectuer des opérations de façon autonome pour plusieurs raisons. L'une d'entre elles, c'est qu'elle ne dispose d'aucune puissance aérienne, ce qui fait qu'elle devrait donc avoir recours à un soutien extérieur si elle devait avoir besoin d'une force aérienne. L'Armée nationale afghane ne compte pas suffisamment de soldats pour lancer une opération autonome contre des groupes d'insurgés.
Le sénateur Day: Combien de temps faudra-t-il avant qu'elle soit en mesure d'agir de façon autonome et avant que les forces de l'OTAN puissent commencer à se retirer?
M.Jones: La réponse dépend de plusieurs variables. Si ces groupes d'insurgés disposent d'un sanctuaire de l'autre côté de la frontière où ils peuvent trouver des armes, des engins explosifs improvisés, des personnes prêtes à commettre des attentats-suicides et des commandants, alors ça va prendre beaucoup de temps, peut-être une éternité — peut-être 10, 15 ou 20 ans. Si nous arrivons à faire quelque chose au sujet de ce sanctuaire, on peut peut-être parler de cinq à sept ans. J'évaluerais cette durée en périodes de cinq ans ou à peu près. Il y a des variables qui vont avoir un effet là-dessus.
Le sénateur Day: Qu'en est-il de la Police nationale afghane? La situation n'est pas rose, d'après ce que je comprends.
M.Jones: La Police nationale afghane, dans l'ensemble, a été fortement critiquée, et à juste titre, parce qu'elle est corrompue et pas nécessairement loyale envers le gouvernement afghan ou la coalition. On a à de nombreuses reprises fait état de la participation de la Police nationale afghane à certaines opérations, dans certains cas avec les talibans. Bien sûr, ils ont profité de la situation pour soutirer de l'argent aux gens aux points de contrôle. Je l'ai vu de mes propres yeux.
Ce qui me préoccupe le plus, c'est l'encadrement. D'après ce que j'ai vu à Kandahar, les Canadiens ont commencé à régler le problème de l'encadrement, mais, pendant longtemps, la police n'était pas encadrée sur le terrain. Les agents recevaient leur formation aux principaux centres de formation régionaux à Mazar-e Sharif, Kandahar ou Gardez, puis étaient ensuite laissés à eux-mêmes et renvoyés sur le terrain. On a multiplié les efforts pour les encadrer. Il s'agit d'une mesure importante, qui va contribuer à rendre leurs activités plus transparentes. Cependant, cela va prendre du temps. Malheureusement pour eux, les Canadiens sont placés devant le fait que les Allemands et les Américains ont tout d'abord échoué à former une force policière compétente. Les Canadiens doivent composer avec les échecs des autres pays.
Le sénateur Mitchell: Voilà qui est très intéressant. J'ai plusieurs questions à poser sur des sujets différents.
Je ne sais pas si c'est vrai, mais, selon des notes que j'ai lues, vous auriez dit que le Pakistan et l'Inde se livrent peut- être une guerre par procuration en raison de l'appui qu'offre l'Inde au gouvernement afghan actuel, et le Pakistan est donc réticent à laisser l'Inde aider l'Afghanistan à cause d'autres enjeux. Quelle est l'importance de cela? Pensez-vous toujours que cette théorie ou cette observation est fondée?
Vous avez dit plus tôt que l'incertitude ou l'instabilité que certains groupes causent le long de la frontière est peut- être un contrepoids. Comment situer tout cela? En somme, le Pakistan a-t-il intérêt à ce qu'il y ait de l'instabilité en Afghanistan ou de bonnes raisons de ne pas être en faveur de la prise de mesures au sujet de cette région qui entoure la frontière?
M.Jones: Voilà de bonnes questions. Si je ne réponds pas à certaines, posez-les moi de nouveau.
Je crois fermement qu'un élément important, sans que ce soit le seul, c'est l'aspect de la situation qui a trait à l'Inde. J'ai interrogé les dirigeants de l'armée pakistanaise, et, de leur point de vue stratégique, leur relation avec l'Inde est un jeu à somme nulle. L'Afghanistan constitue un enjeu important. C'est un État qui partage une frontière avec le Pakistan. Le fait que le gouvernement afghan entretienne des liens étroits avec l'Inde rend fou la plupart des gens du milieu de la sécurité nationale du Pakistan.
C'est la pire situation qui puisse exister. À la fin des années 90, les Pakistanais se trouvaient dans une situation idéale. Ils avaient aidé à mettre sur pied un gouvernement à Kaboul. Les ISI avaient appuyé les talibans qui, à partir des provinces de Kandahar et de Herat, s'étaient déplacés vers Kaboul et vers le Nord. Les ISI exerçaient une influence sur les talibans. Ils avaient posté des gens un peu partout en Afghanistan pour aider les talibans à gagner. Aujourd'hui, la situation est inversée, et ce sont les Indiens qui sont les principaux alliés régionaux des talibans. Le gouvernement du Pakistan voit dans cela une menace directe. C'est un incitatif, quoique ce ne soit pas le seul. À l'échelle locale, il y a des partis politiques au Pakistan — par exemple, le MMA — près des zones tribales qui jouissent de leur propre soutien idéologique, alors ce n'est pas stratégique en ce sens.
Il y a d'autres raisons, mais la dimension du problème qui a trait à l'Inde est d'une importance capitale.
Le sénateur Mitchell: Est-ce que le problème actuel — le fait que des groupes causent de l'instabilité le long de la frontière et présentent une menace pour l'autorité pakistanaise et le fait que les ISI ont été bombardés — est suffisant pour faire contrepoids, ou est-ce qu'il ne fait qu'engendrer davantage de tension, de façon globale?
M.Jones: Ça incite le Pakistan à mieux gérer la situation. En d'autres termes, la situation idéale, ce serait de contrôler ou d'influencer suffisamment les talibans et les autres insurgés de l'Afghanistan, de façon qu'ils se concentrent sur l'Afghanistan, ce qui nous permettrait de faire des progrès sur le front afghan.
Ce qui s'est passé, c'est que les talibans se sont également retournés contre les Pakistanais. Ils ont conquis des zones tribales du Pakistan et se sont installés dans de grandes villes. Nous l'avons constaté lorsqu'il y a eu l'incident de la Mosquée rouge à Islamabad. Le gouvernement pakistanais a vu ces organisations échapper à son emprise. Les militants qui lancent des opérations à partir des régions tribales, y compris les talibans, ont échappé à l'emprise de leurs services de sécurité. En un sens, ils ont réussi au début à garder une certaine emprise sur ces groupes, mais je pense qu'ils ont maintenant perdu toute emprise, et ils sont maintenant la cible des attentats eux aussi.
Le sénateur Mitchell: Qu'est-ce qui empêche les forces occidentales de se déployer dans ces régions pour livrer combat du côté pakistanais de la frontière? J'ai posé cette question à un témoin précédent, qui m'a répondu que l'on s'inquiète de ce que le Pakistan possède des armes nucléaires et que ce genre d'action pourrait rendre la situation encore plus instable. Ce n'est pas ce que je pense. Ce serait peut-être une menace pour le gouvernement pakistanais si cela avait pour effet de provoquer encore davantage les militants, mais est-ce que ça va au delà de ça? Il me semble que c'est tellement l'anarchie dans cette région qu'il est même difficile de toute façon d'imaginer que le Pakistan puisse prétendre dominer la situation là-bas. À quel point cela serait-il un affront si les forces étaient déployées dans cette région? Pensons au Vietnam et au Cambodge, et à l'incapacité des forces de composer avec le fait que l'ennemi était en mesure de se cacher, de se regrouper et de se reposer. Pourquoi ne pas simplement intervenir là-bas?
M.Jones: Voilà une question fondamentale qui porte sur les causes de la situation, les causes fondamentales de l'instabilité en Afghanistan. Comment régler ce problème? Il faut examiner avec sérieux plusieurs questions touchant les opérations de l'OTAN dans les zones tribales du Pakistan, et, à mon avis, ces questions n'ont que peu de choses à voir ou même rien du tout avec les armes nucléaires.
Premièrement, il y a là-bas des attitudes profondément anti-occidentales et anti-américaines, et même, dans certains cas, les gens sont contre le gouvernement du Pakistan. La question est de savoir si on provoquerait la population locale en déployant des forces là-bas. C'est une question importante.
Deuxièmement, les régions tribales sont encore considérées comme faisant partie du territoire pakistanais. Le Pakistan exerce une grande influence sur ces régions, non seulement grâce à son Frontier Corps, mais aussi grâce à ses services de renseignement, et s'il jugeait que le déploiement de forces internationales n'était pas dans son intérêt, il ferait n'importe quoi pour miner ces efforts. C'est quelque chose qu'il vaut également la peine d'éclaircir.
J'ai également des questions sur la mesure dans laquelle la communauté internationale, et plus particulièrement l'OTAN, comprend les régions tribales et la dynamique tribale, et si elle est en mesure d'intervenir de façon compétente. Ces solutions exigent un examen attentif. Il y a eu un changement au cours des dernières années dans ces régions. Il y a cinq ou six ans, le pouvoir était concentré entre les mains des chefs de tribu. Aujourd'hui, il est surtout entre les mains des talibans qui ne sont pas des fervents. Déployer des forces internationales signifierait que le pouvoir changerait de mains, c'est-à-dire qu'il reviendrait de nouveau aux tribus ou qu'il serait réparti en fonction d'ententes conclues entre les tribus et le gouvernement pakistanais. Il faudrait obtenir le soutien, comme les États-Unis l'ont fait en 2001, des gens de l'endroit qui comprennent la situation et les réseaux de tribus, et il faudrait disposer de meilleurs services de renseignement. Il faudrait collaborer avec les Pakistanais; c'est leur pays, et ils feront obstacle aux efforts qu'ils ne jugent pas être dans leur intérêt.
On parle d'une mise en commun de l'aide internationale, surtout du côté du renseignement. La communauté internationale, et plus particulièrement l'OTAN, a de bien meilleurs services de renseignement d'origine électromagnétique, de renseignements aériens et d'imagerie satellitaire que le Pakistan en aura jamais, ce qui fait qu'elle est en mesure de déployer des ressources et une puissance de feu, mais il faut que cela se fasse en collaboration avec les Pakistanais et les tribus locales. Déjà pour ça, il y a de nombreuses raisons de penser qu'une opération dirigée par l'OTAN ou par les États-Unis serait difficile dans les régions tribales, puisque celles-ci sont l'un des endroits du monde où le ressentiment à l'égard du monde occidental est le plus fort.
Le sénateur Mitchell: Je pense qu'on peut affirmer que le développement du tiers monde est favorisé par l'éducation des femmes et qu'il en dépend peut-être même. Un rapport publié récemment laisse entendre qu'environ deux millions de filles fréquentent maintenant l'école en Afghanistan. Est-ce vrai? S'agit-il d'un progrès? Qu'arrivera-t-il si nous nous retirions?
M.Jones: Je ne connais pas le nombre exact de filles qui fréquentent l'école, mais dans les régions du pays où je me suis rendu — Kaboul, par exemple, quoiqu'il s'agisse probablement d'un mauvais exemple puisqu'il s'agit de la capitale —, j'ai vu des filles fréquenter l'école le matin.
Nous avons déjà vu ça. Nous connaissons notre ennemi. Si les forces de l'OTAN se retiraient en grand nombre et que le gouvernement perdait continuellement du territoire au profit des talibans et d'autres forces insurrectionnelles, le réseau Haqqani, al-Qaïda, ou de leur idéologie, nous savons ce qu'ils feraient. Nous avons vu cela se produire en Afghanistan dans les années 90. Ils ont interdit la musique. Ils ont interdit les cerfs-volants. Ils ont interdit tout ce qui pouvait rappeler le monde moderne. Ils sont prêts à faire obstacle à tout progrès réalisé au chapitre des droits des femmes. C'est ce qui arrive lorsque les talibans s'emparent du territoire.
Le sénateur Moore: Monsieur Jones, connaissez-vous le Senlis Council?
M.Jones: Oui.
Le sénateur Moore: Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez du travail qu'il fait et de la qualité de ce travail?
M.Jones: J'ai lu certains des rapports publiés par le Senlis Council. Je pense qu'une partie du travail qu'il fait est bon. Une partie du travail qu'il fait sur le terrain est bon. Dans le milieu diplomatique, des questions ont commencé à faire surface au sujet des motivations du Council et de ses bailleurs de fonds. Je crois qu'il vaut la peine de poser la question et de trouver qui sont ces bailleurs de fonds. Dans le milieu diplomatique, à l'OTAN, et aussi aux États-Unis, on se pose des questions au sujet du rôle des fabricants de produits pharmaceutiques qui financent le Senlis Council. Pour moi, il ne s'agit que de rumeurs, mais je pense qu'il vaut la peine d'éclaircir la question des sources de financement du Council. Certains rapports publiés par le Council ont été utiles, d'autres moins, ce qui fait que j'ai un point de vue mitigé sur leurs produits.
Le sénateur Moore: En ce qui concerne le travail de développement qui est effectué, vous avez dit que vous rentrez tout juste d'Afghanistan. Quels organismes avez-vous vus à l'œuvre, et quel est le travail qui est fait, surtout dans le sud de la province de Kandahar?
M.Jones: Les organismes avec lesquels je suis entré en contact pour ce qui est du développement, ça a été surtout l'Agence américaine pour le développement international, l'USAID, ainsi qu'un certain nombre d'organisations de l'ONU et d'organisations non gouvernementales actives dans le Sud, et un peu l'ACDI, quoique je ne prétendrais pas être spécialiste de ses opérations sur le terrain. J'ai deux choses à dire là-dessus.
La sécurité dans le Sud a un effet très important sur la possibilité de travailler au développement, non seulement dans la province de Kandahar, mais dans le Sud en général. L'absence de sécurité fait qu'il est extrêmement difficile même de se rendre là-bas.
Le sénateur Moore: Voulez-vous dire que la sécurité fait qu'il est difficile pour les travailleurs des ONG de se rendre là-bas?
M.Jones: Il est difficile pour les travailleurs des ONG ou d'organismes gouvernementaux, que ce soit l'ACDI ou USAID, de se rendre sur le terrain pour superviser le travail. Il y a clairement des pressions politiques qui empêchent les gens de sortir de la zone délimitée. C'est un milieu dangereux. Les travailleurs doivent être accompagnés par des soldats lorsqu'ils se rendent sur le terrain. La sécurité a un effet important sur la possibilité de faire du travail de reconstruction et de développement dans le Sud. Certaines organisations de l'ONU font face à moins de restrictions, et elles ont pu superviser la construction de certains ponts et de certaines routes.
Le sénateur Moore: Qui fait ce travail?
M.Jones: Je dirais que la plupart des organismes de développement jouent essentiellement le rôle de banquiers. Elles paient les gens de l'endroit pour effectuer le travail. Dans certains cas, j'ai vu des Afghans faire le travail sous supervision d'entreprises privées. Dans d'autres, ce sont des entreprises pakistanaises qui font le travail en Afghanistan. La réponse à votre question, c'est que ça dépend des projets. En règle générale, on parle d'être obligé d'effectuer une supervision à distance.
Le sénateur Moore: Pouvez-vous préciser ce que vous voulez dire par «banquiers»?
M.Jones: Pour le meilleur ou pour le pire, la plupart des organismes de développement versent de nos jours de l'argent à d'autres personnes qui se chargent d'exécuter les projets. Les organismes ne réalisent pas les projets eux- mêmes. USAID, par exemple, ne réalise pas de projets. L'organisme donne de l'argent à d'autres organisations pour le faire. C'est ce que je veux dire.
Le sénateur Moore: Il y a deux ou trois mois, les médias occidentaux ont fait état de ce que le président Karzai voulait négocier avec les talibans. Que pensez-vous de cela? Est-ce une bonne idée? Est-ce qu'il va falloir que ça se passe, à un moment donné, et qu'est-ce que cela aurait supposé? Que va-t-il arriver, selon vous?
M.Jones: Voilà quelque chose dont on parle beaucoup en Afghanistan. Premièrement, si l'on envisage ce qui s'est passé dans l'histoire, les guerres civiles et les insurrections se finissent de deux façons; soit il y a un gagnant sur le champ de bataille, soit on négocie la fin du conflit. L'histoire nous enseigne également que, pour qu'il y ait négociations, il faut qu'il y ait d'abord entre autres une impasse pour qu'on accepte de négocier des deux côtés. Une impasse, c'est pour moi une situation dans laquelle ni l'un ni l'autre des groupes qui s'affrontent n'est convaincu du fait qu'il va gagner ou perdre. Deuxièmement, il faut qu'il y ait une certaine mise en correspondance ou une certaine combinaison des objectifs. La fin des affrontements à l'issue de négociations signifie que les deux groupes n'obtiennent pas tout ce qu'ils voulaient, mais qu'ils sont en mesure d'atteindre une partie de leurs objectifs.
Malheureusement, à l'heure actuelle, il n'y a en Afghanistan ni impasse, ni correspondance claire entre les objectifs des talibans et du réseau Haqqani et de l'OTAN et des Afghans.
Le sénateur Moore: Sur le plan idéologique, ils sont très éloignés, et vous ne pensez donc pas qu'ils pourraient essayer de régler le problème de façon constructive.
M.Jones: Je veux formuler une mise en garde. Je ne pense pas qu'il est possible de conclure un marché avec ces organisations d'insurgés. Il n'est pas question de négocier avec eux comme l'a fait le gouvernement salvadorien.
Le sénateur Moore: À cause de l'absence d'une structure de commandement central?
M.Jones: Ce que Mollah Omar veut voir se produire en Afghanistan est diamétralement opposé dans ce que le gouvernement afghan veut voir se produire et veut faire. Il y a peut-être des façons de négocier avec les talibans des deuxième et troisième catégories qui sont motivés moins par l'idéologie que par les questions de gouvernance. Ils se battent et soutiennent des efforts pour toutes sortes de motifs de plaintes qui n'ont que peu de choses à voir avec l'idéologie.
Pour résumer, je dirais qu'il n'y a pas d'impasse. En réalité, je pense que les talibans jugent qu'ils sont clairement en train de gagner.
Deuxièmement, je ne crois pas que les chefs de ces groupes ne vont jamais accepter de négocier, ou même qu'ils pourraient le faire. Il faudrait dissoudre l'organisation.
Le sénateur Moore: En ce qui concerne les États-Unis et leurs forces armées, l'opération Enduring Freedom se poursuit, n'est-ce pas?
M.Jones: Oui.
Le sénateur Moore: Quelle est la relation hiérarchique entre l'opération Enduring Freedom et la Force internationale d'assistance à la sécurité dirigée par l'OTAN? Les opérations se déroulent-elles dans les mêmes régions?
M.Jones: Je pense que l'opération Enduring Freedom et le commandement et le contrôle de l'OTAN ne sont pas idéaux, parce qu'ils ne sont pas placés au sein de la même structure de commandement et de contrôle. Les opérations ont pour la plupart lieu dans des régions différentes. La majeure partie des forces américaines de l'opération Enduring Freedom sont déployées dans les provinces de l'Est, et non dans le Sud.
Je ne crois pas qu'il serait très avantageux d'améliorer la structure de commandement et de contrôle de l'armée. Cela comporterait quelques avantages, mais ce n'est pas la solution pour diriger les efforts de lutte contre l'insurrection en Afghanistan. Ça serait utile, mais je pense qu'il est possible que l'opération Enduring Freedom et l'OTAN connaissent le succès en effectuant des opérations dans des régions différentes. Ce n'est pas idéal, mais je ne sais pas si c'est la raison pour laquelle nous nous trouvons dans la situation qui est la nôtre aujourd'hui.
Le sénateur Banks: J'ai trois questions, rapidement. Premièrement, vous avez dit que si l'alliance ne consacrait pas davantage d'argent à son intervention, celle-ci ne donnera rien. Est-ce que la RAND Corporation prévoit cela? Y a-t-il quoi que ce soit en cours à cet égard?
Deuxièmement, d'après ce que nous avons entendu dire, le Senlis Council semble plus libre dans ses déplacements que les ONG dans l'ensemble. Avez-vous entendu parler de cela? Pouvez-vous nous l'expliquer?
Enfin, si, comme dans le cas qui nous occupe, la plupart des membres de l'alliance militaire voient leur participation à l'intervention limitée et assujettie à des conditions, est-ce que l'OTAN peut continuer d'exister? Si nous faisons partie d'une alliance au sein de laquelle ce n'est pas tout le monde qui fait sa part, est-ce que cela ne sonne pas le glas de l'OTAN?
M.Jones: Ce sont de bonnes questions. Je vais y répondre dans l'ordre. C'est moins la question de dépenser davantage d'argent que, à tout le moins d'envoyer davantage de soldats. Ainsi, sans augmenter l'effectif, il sera très difficile, peut-être même impossible de libérer et de contrôler des territoires.
Il y a quelques raisons d'avoir encore de l'espoir. Premièrement, on discute actuellement aux États-Unis d'augmenter la présence du Corps des Marines en Afghanistan, quoique pas autant que les Marines le souhaiteraient. On les retient en Irak, mais il est question d'une plus grande présence du Corps des Marines en Afghanistan.
Il y a la possibilité que des forces françaises soient déployées en Afghanistan. Je crois que cela serait utile; les Français disposent d'un corps expéditionnaire expérimenté. De plus, il y aura des élections aux États-Unis en novembre 2008, et pratiquement tous les principaux candidats font leur campagne sur la réorientation des intérêts des États-Unis au chapitre de la sécurité nationale sur le front de l'Afghanistan et du Pakistan. Ainsi, je pense qu'il y a des raisons de continuer d'espérer.
En ce qui concerne le Senlis Council et sa liberté de mouvement, je ne peux rien dire sur les endroits auxquels les représentants du Senlis Council ont accès. Dans les régions contrôlées par les talibans ou d'autres zones d'insurrection, je serais surpris qu'ils s'y trouvent vraiment, parce que la plupart des Occidentaux qui se rendent dans ces régions sont tués. Encore une fois, je ne connais pas la réponse à votre question, mais je doute du fait que les représentants du Senlis Council aient davantage accès à ces régions que les représentants d'autres organisations. Si on parle de Kandahar, c'est une chose. Si on parle plutôt d'opérations dans le nord de la province de Kandahar, où les talibans se sont infiltrés en grand nombre, j'ai des doutes. Si on vous dit qu'il y en est autrement, je serais sceptique à votre place.
En ce qui concerne votre question au sujet de l'alliance militaire, je vais vous surprendre; ma réponse, c'est que c'est ainsi que l'OTAN a toujours fonctionné. Que ce soit lorsque l'organisation prévoyait le combat contre les Soviétiques pendant la guerre froide ou les opérations en Bosnie et au Kosovo, il y a toujours des alliés qui en font plus que les autres. Il n'y a jamais eu partage équitable du fardeau au sein de l'OTAN, ni dans le cadre des opérations, ni dans celui de la planification.
Oui, l'organisation est en mesure d'effectuer des opérations malgré les contraintes si elle obtient suffisamment de ressources des autres pays qui sont prêts à contribuer aux forces. Il y avait clairement des écarts au chapitre des opérations au Kosovo et en Bosnie ainsi que du nombre de pays qui effectuaient des sorties, mais il y avait suffisamment de monde pour bombarder Milosevic et en arriver à un règlement. La question n'est pas de savoir s'il y a suffisamment d'Allemands, de Norvégiens ou de Suédois qui participent — ils sont visés par des réserves. C'est plutôt la question de savoir s'il y a suffisamment d'Américains, de Britanniques, de Canadiens et de Néerlandais pour faire ce qu'on fait dans le Sud. Avec les mêmes contraintes, mais avec des forces suffisantes, on serait efficace. Ce ne sont pas nécessairement les contraintes en soi qui sont la cause du problème.
Si je peux me permettre, j'ajouterais que nous devons également être honnêtes lorsque nous parlons des réserves. Il y a plusieurs pays au sein de l'OTAN qui n'ont pas dirigé d'opérations récemment dans un milieu non permissif comme celui des provinces de Kandahar ou de Helmand. Les Canadiens souhaitent-ils vraiment que les forces de pays n'ayant aucune expérience récente soient déployées là-bas, des pays qui devront diriger des opérations à partir de rien? Voudriez-vous vraiment que les Norvégiens et les Allemands participent à des combats malgré le fait qu'ils n'ont aucune expérience récente des opérations militaires, surtout dans un contexte d'insurrection? Ce sont des questions qu'il vaut la peine de se poser. Certains pays sont compétents. Je dirais que les Australiens ont démontré leur compétence et que les Français ont démontré la leur en Côte d'Ivoire, mais que les autres pays soulèvent des doutes importants. Je dirais que les réserves ne sont peut-être pas nécessairement une mauvaise chose, parce qu'elles nous protègent peut-être du fait que certains pays n'ont pas l'habitude d'effectuer des opérations dans ce genre de contexte.
Le président: Monsieur Jones, je vous remercie d'avoir témoigné devant le comité. C'est avec plaisir que nous avons pris connaissance de vos points de vue, aussi convaincants et précis que ceux dont vous nous avez fait part la dernière fois. Nous vous remercions et vous souhaitons bonne chance dans votre nouvelle carrière. Nous espérons que vous allez revenir discuter avec nous de temps à autre.
J'invite les téléspectateurs qui souhaitent communiquer avec les membres du comité pour leur poser des questions ou formuler des commentaires à visiter notre site Web, au www.sen-sec.ca, dans lequel nous affichons les témoignages et le calendrier confirmé de nos réunions. Vous pouvez aussi communiquer avec la greffière du comité, au 1-800-267- 7362, pour obtenir de plus amples renseignements ou pour joindre les membres du comité.
Honorables sénateurs, nous avons le plaisir d'accueillir notre prochain témoin, le brigadier général P.J. Atkinson. Il est directeur général des Opérations, État-major interarmées stratégique au quartier général de la Défense nationale.
Le brigadier général Atkinson s'est enrôlé dans les Forces armées canadiennes en 1977. Il a commandé des troupes, des escadrons et des régiments au sein des Royal Canadian Dragoons, à Gagetown, en Allemagne et à Petawawa. Il a également commandé la base des Forces canadiennes à Kingston, le 2e Groupe de soutien de secteur en Ontario et une force opérationnelle en Bosnie-Herzégovine dans le cadre de la Force de stabilisation de l'OTAN.
Le brigadier général Atkinson comparaît aujourd'hui devant nous pour nous faire part de son point de vue sur la situation en Afghanistan.
Brigadier général P.J. Atkinson, directeur général des Opérations, État-major interarmées stratégique, Défense nationale: Dans le cadre de mes fonctions à l'état-major interarmées stratégique, ma principale responsabilité est d'offrir au chef d'état-major de la Défense, le général Hillier, des analyses stratégiques et un soutien à la prise de décisions efficace et en temps opportun en ce qui concerne les opérations en cours et la coordination stratégique de son orientation.
L'exposé que je présente ce soir porte principalement sur des questions de sécurité à signaler pour la période de juillet à novembre 2007, inclusivement, jusqu'à la première semaine de décembre. Je serai prêt, après mon exposé, à donner des précisions sur les sujets abordés.
J'aimerais commencer par expliquer brièvement le lien entre la sécurité opérationnelle et notre mission en Afghanistan. Nos opérations en Afghanistan ont suscité de plus en plus l'intérêt de la population. Ce désir d'obtenir de l'information au sujet des opérations du gouvernement du Canada correspond à des objectifs positifs et illicites qu'il est nécessaire d'atteindre dans le cadre d'une démocratie parlementaire. Malheureusement, une bonne partie des renseignements qu'on souhaite obtenir sont délicats, sur le plan opérationnel, et leur divulgation pourrait nuire au succès des opérations des Forces canadiennes et mettre en jeu la vie de nos soldats, des membres de l'équipe pangouvernementale et des Afghans qui travaillent avec nous au quotidien.
Les Canadiens s'attendent du ministère et des Forces canadiennes qu'ils assurent la sécurité des soldats canadiens qui font face à des risques et qu'ils réduisent ces risques au minimum. Nous comprenons qu'il est important que nous informions la population, et nous travaillons dur pour nous acquitter de cette obligation dans les limites légales. Il faut cependant qu'il y ait un équilibre entre notre responsabilité de rendre l'information publique et celle de protéger la vie des hommes et des femmes qui portent l'uniforme. Le respect de la confidentialité d'une partie des renseignements concernant la mission en Afghanistan est essentiel à la préservation de la sécurité de tous les Canadiens qui travaillent en Afghanistan et du personnel de la coalition avec qui nous travaillons tous les jours.
En août, nous avons été témoins de la relève sur place du 3e groupement tactique du RCR de Petawawa et du 3e groupement tactique du R22eR, le Royal 22e, de Valcartier. Grâce à l'amélioration de la sécurité du fait des rotations précédentes, la force opérationnelle interarmées en Afghanistan actuelle, dirigée par le brigadier-général Guy Laroche et le commandant du 3e groupement tactique du Royal 22e, le lieutenant-colonel Alain Gauthier, a continué de mettre la pression sur les dirigeants des groupes d'insurgés actifs, ce qui a permis d'accroître la sécurité dans les districts de Zhari, Panjwaii et Arghandab. Leur contribution à la démarche pangouvernementale se mesure par le nombre de succès qu'ont connu les forces de sécurité nationale afghane au chapitre du renforcement des capacités.
Je formulerais cependant une mise en garde: nous connaissons des succès, mais les Afghans ont encore besoin de notre soutien et de notre présence avant de pouvoir atteindre le niveau requis d'autonomie.
Au cours des 30 prochaines minutes, j'aimerais aborder cinq thèmes. Les diapos que je vous ai remises portent sur ces thèmes. Le premier est la Force internationale d'assistance à la sécurité.
Le président: Avez-vous dit les 30 prochaines minutes, brigadier-général?
Bgén Atkinson: C'est le temps dont j'aurais aimé disposer pour mon exposé.
Le président: Nous espérions que vous présenteriez un exposé d'environ trois minutes. Nous aimerions que votre exposé soit très bref. Nous avions demandé que vous vous en teniez à cinq minutes. Si vous pouviez être bref; nous avons beaucoup de questions à vous poser.
Bgén Atkinson: Sénateur, je ne me suis pas préparé à présenter un exposé de trois minutes. Si c'est ce que je fais, vous n'aurez pas un compte rendu complet de ce qui se passe sur le terrain en Afghanistan.
Le président: Nous serons heureux de vous écouter si vous avez plus de temps, mais nous nous attendons à ce que vous vous pliiez à la demande du comité.
Bgén Atkinson: Monsieur, je n'étais pas au courant que vous vouliez que je ne parle que pendant trois minutes.
Le président: En fait, nous avons demandé que vous vous en teniez à cinq minutes.
Bgén Atkinson: Je ne le savais pas non plus. Ce renseignement, le fait que vous ne vouliez que je parle que pendant cinq minutes ne m'a pas été transmis, monsieur. Je serai heureux de répondre aux questions. J'étais prêt à présenter un mémoire exhaustif. Je suis prêt à répondre aux questions.
Le président: Si vous pouviez faire ça court plutôt que de nous donner un cours, nous serions heureux de vous écouter.
Bgén Atkinson: C'est malheureux: j'ai mis beaucoup de temps à me préparer, afin de vous donner une mise à jour complète sur la situation qui existe sur le terrain.
Le président: Je vous dis: allez-y, mais si vous pouviez être bref, nous vous en saurions gré.
Bgén Atkinson: La première partie dont je souhaite parler, c'est celle que j'intitule «Les talibans ont un vote». Quand je dis que les talibans ont un vote, il ne faut pas le prendre littéralement. J'affirme ainsi qu'ils ont leur mot à dire dans ce qui se passe en Afghanistan.
Les talibans poursuivent leurs efforts en vue d'élargir leur influence — et ils ont réagi aux préoccupations locales en adoptant des approches plus modérées où les décrets stricts qui sont les leurs ne sont pas acceptés. Cependant, ils n'ont réussi qu'en partie jusqu'à maintenant. Tout en reconnaissant que le gouvernement central d'Afghanistan a fait des progrès considérables depuis six ans, il faut dire que son absence d'influence et d'autorité en dehors des grands centres de district permet toujours aux talibans d'étendre leur influence. Comme le président Karzai l'a si bien dit à notre premier ministre, l'Afghanistan essaie d'accomplir en cinq années ce que le Canada a réussi à mettre en place en 100 ans — le pays est pressé d'agir et a besoin du type d'aide que le Canada est en mesure de fournir.
Dans la province de Helmand, les opérations successives menées par la Force internationale d'assistance à la sécurité, la FIAS, d'avril à juillet ont mis les talibans sur la défensive et nui à leur capacité de coordonner des opérations. Si le moral de leurs troupes a souffert à la suite de plusieurs défaites, il demeure que les talibans luttent avec acharnement pour garder leur influence et tentent d'accroître leur niveau d'activité durant l'hiver, pour essayer de ne pas perdre d'influence dans les zones contestées du pays.
Le mois dernier, dans la province de Kandahar, les forces afghanes, avec l'appui de la FIAS, ont défait la tentative des talibans de s'établir dans le nord-est de la ville. En réaction, les talibans ont continué à cibler la police afghane, comme ils l'ont fait le 23 novembre: ce jour-là, des militants talibans ont tué sept policiers après avoir pris d'assaut leurs points de contrôle. Les combats directs avec la FIAS et l'armée nationale afghane (ANA) se feront rares, car les talibans continuent de subir de lourdes pertes dans de tels combats. Cependant, ils vont recourir à des EEI, des engins explosifs improvisés, et employer des tirs indirects en essayant toujours plus de remporter quelques succès contre les forces progouvernementales.
Reconnaissant leur propre vulnérabilité, comme en témoigne une vidéo diffusée par l'OTAN la semaine dernière, les talibans ont commencé à se servir d'enfants et d'autres afghans innocents pour dissuader la FIAS d'agir. Ils vont essayer d'exploiter toutes les occasions possibles de discréditer le gouvernement d'Afghanistan ou les forces d'assistance à la sécurité, et ils vont continuer à essayer d'intimider la population locale au moyen de leur propagande, en exécutant ceux qu'ils désignent comme étant des traîtres et en attaquant les stations de police et les centres de district gouvernementaux. S'ils recourent à de telles tactiques, c'est que les forces progouvernementales ont mené contre eux des opérations fructueuses ces derniers mois.
L'armée nationale afghane a achevé récemment une opération mixte fructueuse visant à accroître la sécurité dans le district de Zhari de la province de Kandahar. La première Brigade du 205e Corps de l'ANA, de concert avec la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan du Canada et d'autres éléments de la FIAS sous la direction de l'OTAN, a mené à bien l'opération TASHWISH MEKAWA, ou «Aucun problème», comme on l'a traduite. L'opération en question comportait deux buts: chasser les insurgés du territoire entourant l'important carrefour de la région de Sangsar, à environ 40 kilomètres à l'ouest de la ville de Kandahar, et mettre en place un centre de résistance, une enceinte fortifiée, à partir duquel les forces de sécurité nationales afghanes assureront le contrôle du carrefour et maintiendront une présence dans le secteur, comme nous l'avons fait ailleurs en octobre.
La première phase cinétique de l'opération, l'assaut au sol, a eu lieu le matin du 17 novembre et a totalement surpris les insurgés, qui n'ont pas eu le temps d'organiser une réplique. Après un échange de tirs bref mais intense, ces derniers ont dû se retirer du secteur. La nuit précédant l'attaque, des soldats du groupement tactique du 3e Bataillon, Royal 22e Régiment, les Van Doos, et des éléments de deux kandaks, ou bataillons, de l'armée nationale afghane se sont infiltrés dans le secteur entourant le carrefour. C'est au cours de cette phase de préparation que deux militaires canadiens et leur interprète afghan ont perdu la vie lorsqu'une bombe placée en bordure de la route a frappé leur véhicule blindé.
La 1re Brigade afghane participait ainsi à une deuxième opération terrestre mixte, depuis l'étape initiale de planification jusqu'au parachèvement de l'opération. De même, c'était la première fois que plus d'un kandak était mis à contribution. Dès qu'on s'est assuré de la sécurité de l'objectif, les ingénieurs ont commencé la construction du centre de résistance, ce qui a pris sept jours.
Le temps demeure la seule mesure du succès connu en Afghanistan, mais les opérations menées avec succès le mois dernier ont permis d'accroître la stabilité et la sécurité dans l'ensemble de la région de Zhari-Panjwai, ce qui a favorisé le cheminement vers les objectifs du gouvernement du Canada en matière de gouvernance et de développement. Au cours du mois dernier, la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan a poursuivi le travail d'envergure de l'opération GARRANDY ZMARRAY visant à étendre la présence des forces de sécurité dans les régions de Zhari et de Panjwai. Misant sur le succès des opérations mixtes précédentes de la police nationale afghane, de l'armée nationale afghane et de la FIAS, la Force opérationnelle interarmées a mené à bien une série d'opérations de grande envergure, dont le résultat a été de nuire à la liberté de mouvement des insurgés et de réduire la capacité de commandement et de contrôle des dirigeants insurgés, si bien qu'ils ont été contraints de se rabattre sur des actions en petits groupes et le recours à des EEI.
Grâce au projet d'ELMO policière — l'équipe de liaison et de mentorat opérationnel policière —, la police nationale afghane travaille avec une plus grande efficacité; fait plus important encore, elle réussit à survivre sous la pression constante exercée par les insurgés. En outre, nous améliorons continuellement la sécurité de notre personnel et des Afghans en opérationnalisant notre nouvelle capacité d'ouverture d'itinéraire de circonstance, que nous mettons à profit sur tous les grands réseaux routiers. Le recours à ce nouveau matériel complète les opérations ciblées et efficaces que nous continuons d'exercer à l'encontre des responsables des EEI. Évidemment, le matériel sert à repérer les mines sur les routes.
Nos équipes de liaison et de mentorat opérationnel travaillent actuellement auprès de trois kandaks de l'infanterie, qui ont chacun la taille de l'un de nos bataillons, un avec une unité de soutien au combat et un au quartier général de brigade à Kandahar. De fait, le Canada a eu un impact direct sur la formation et le perfectionnement des recrues d'une armée nationale afghane professionnelle et crédible, qui compte maintenant 41 500 hommes. À tout instant, nos équipes de liaison et de mentorat opérationnel encadrent 2000 soldats.
L'opération INTIZAAR ZMARAY a été menée dans la province d'Arghandab il y a trois semaines de cela. De fait, elle est toujours en cours. À la demande des autorités afghanes, la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan et les forces de sécurité nationales afghanes, qui regroupent l'armée et la police, ont mené à bien des opérations concertées dans le district d'Arghandab pour que la population locale puisse y vivre dans un milieu sûr et sécuritaire. Les responsables vont maintenir l'opération jusqu'à ce que la sécurité soit renforcée et les activités des insurgés dans le district, contenues, et que les autorités afghanes locales puissent gérer la situation. Il nous faut certes continuer à insister sur le renforcement de la capacité des forces de sécurité nationales afghanes, mais l'opération en question représente la première fois où, dans le secteur sous responsabilité canadienne, un kandak de l'ANA et la police nationale afghane réalisent des opérations de manière tout à fait indépendante de nos opérations sous direction canadienne. Le commandant du kandak a mené ses troupes au combat d'une manière remarquable et avec un grand succès. La police nationale afghane a atteint les objectifs qui lui revenaient. La capacité d'intervention des forces de sécurité nationales afghanes, qui ont su lancer leur attaque en ayant eu un temps très limité pour planifier et se préparer, est en soi un exploit majeur.
Je vais aborder maintenant les signes de progrès dans le domaine de la gouvernance. En règle générale, on a progressé sur tous les fronts et dans les secteurs qui comptent, par exemple à Kandahar et dans le district de Zhari- Panjwai. La population a exprimé ce point de vue à l'occasion d'enquêtes. Il en va de même pour le renforcement de la capacité des forces de sécurité nationales afghanes. Nous avons établi les conditions voulues pour approfondir et élargir la sécurité, la gouvernance et le développement dans des zones où habitent 90p.100 de la population de la province de Kandahar. Cependant, il faut songer au fait qu'il n'y a pas que des nouvelles heureuses dans un tel contexte. Par exemple, là où la FIAS dans le district a pu miner l'influence des insurgés, en réaction à cela, les insurgés ont lancé des attaques dans les districts avoisinants pour essayer de détourner l'attention de la FIAS des efforts qu'ils déploient dans la région de Zhari-Panjwai. S'il y a bien eu des progrès, il demeure que des actes de violence peuvent éclater dans d'autres secteurs. Le rythme du progrès peut donc être mal saisi, pour qui voit les choses à court terme. Cela ne doit pas occulter le fait que des progrès importants ont été réalisés depuis l'an dernier.
L'équipe provinciale de reconstruction de Kandahar a parrainé cet automne une foire commerciale à Kandahar avec 27 stands, 3 800 produits d'artisanat locaux différents et 3000 visiteurs. L'équipe a dépensé l'équivalent de 10000$ américains pendant la foire de cinq jours, qui a servi merveilleusement à promouvoir la culture locale.
En septembre, le ministre de la Reconstruction et du Développement rural a annoncé l'attribution de 69 contrats d'une valeur globale de 4,2 millions de dollars pour des projets de développement dans les provinces du Sud. Si l'on compte ces projets-là, le nombre total de projets visés par un contrat dans le Sud s'élève à 480.
[Français]
Du point de vue du développement, les efforts sont nettement mesurables. Dans la région d'Arghandab, la force opérationnelle interarmées pour l'Afghanistan bâtit présentement un passage dans la rivière d'Arghandab afin d'améliorer les déplacements entre deux villes majeures, et ce pour la sécurité et aussi le développement économique.
[Traduction]
Le pont-jetée qui est en construction relie deux villes et se raccorde aux routes 1 et 4. Ce sera un bienfait énorme pour l'économie et la population locale, une fois terminé. Nous prévoyons la fin des travaux pour la fin de cette semaine.
La station de radio RANA-FM rejoint désormais la partie sud-est de la province. Le programme d'aide de l'UNICEF aux familles vulnérables du Sud, dans la province de Kandahar, a permis de délivrer 70000 doses de vaccins contre la rougeole et 60000 contre le tétanos.
Les signes de normalité sont prévalents à Kandahar. Des enfants jouent dans la rue, des femmes circulent nu-tête en public, des milliers de personnes assistent à un match de soccer dans le grand stade sans qu'il n'y ait d'incidents.
La diapositive qui suit fait voir une image prise en avril 2007, au bazar de Sangin. En dessous, on voit l'image prise en septembre 2007. En mars 2007, l'opération Achilles est lancée. Le général Howard vous en a sûrement parlé. L'image du haut remonte à l'époque où l'opération a été lancée, en mars. On peut voir l'impact au bazar de Sangin. Au cours de l'été, la sécurité s'est visiblement accrue au point où on y voit de nouveau des gens qui circulent et un marché qui s'anime, signes de normalité.
Le centre antimine des Nations Unies a entamé ses travaux dans la province de Kandahar. Il a ainsi déminé 400000 mètres carrés de terrain, au profit de plus de 10000 personnes. L'armée nationale afghane et la police nationale afghane ont commencé à planifier et à réaliser leurs propres opérations. L'établissement de six nouveaux postes de police secondaires et l'instauration d'un système de paie des membres qualifiés de la police nationale afghane viennent s'ajouter à la capacité d'une police nationale afghane à l'état naissant.
Ces progrès ne vont pas sans difficultés. Malgré les efforts déployés pour améliorer la sécurité dans les régions de Zhari et de Panjwai — deux secteurs qui relèvent de notre responsabilité —, la menace des insurgés continue de retarder les efforts de développement et de reconstruction d'organisations non gouvernementales.
La situation devrait s'améliorer sur le plan de la sécurité tandis que les postes de police secondaires nouvellement construits accroissent leurs champs d'action. Les zones sécurisées par nous ont augmenté de manière sensible au cours des mois d'octobre et novembre. Comme je l'ai fait remarquer plus tôt, la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan et les forces de sécurité nationale afghanes, les FSNA, ont construit et pourvu six postes de police secondaires et plusieurs points de contrôle. Les FSNA nous ont permis d'entrer dans un secteur non sécurisé, d'établir les conditions nécessaires au succès des projets, de laisser derrière nous une force afghane apte au travail grâce aux bons soins des petites équipes de mentorat policières. Dans chacun de ces postes de police secondaires, il y a des soldats canadiens qui travaillent aux côtés des Afghans, qui les encadrent et qui veillent à ce qu'ils puissent survivre.
Pour continuer à élargir les zones sécurisées, il nous faut d'autres FSNA dans notre secteur. Il importe de souligner que l'armée nationale afghane et la police auxiliaire nationale afghane sont chaque jour plus riches en force et en capacité. Il y a trois ans, il n'y avait pas d'ANA à proprement parler. De fait, il y a six mois, il y avait un seul kandak, alors qu'il y a aujourd'hui trois kandaks, un quartier général de brigade et une unité de soutien. Les progrès réalisés depuis le printemps ont été énormes.
La police nationale, dont le développement a été plus long, est maintenant considérée comme une force qui s'améliore de jour en jour. C'est un élément essentiel de notre expansion des zones de sécurité.
Nous devons réussir à mieux faire connaître nos succès auprès des Canadiens et des Afghans, particulièrement pour ce qui touche la reconstruction et le développement. C'est un défi, car les médias ont tendance à se concentrer sur la question de la sécurité au détriment des deux autres aspects de la situation, ce qui attire de manière disproportionnée l'attention sur la situation de la sécurité en ce moment et qui peut, par conséquent, donner lieu à des perceptions erronées.
Nous travaillons constamment à des façons d'améliorer nos communications en Afghanistan. Les talibans tentent toujours de désinformer la population locale; ils mènent des opérations d'information pour jeter le discrédit sur nos réussites. Ils sont passés maîtres dans cet art.
Je vais terminer en évoquant quatre points: nous améliorons la sécurité en soutenant la démocratie et les valeurs démocratiques en Afghanistan; nous améliorons la sécurité en accroissant la capacité qu'a le gouvernement légitime de gouverner de manière efficace; nous battons les talibans en favorisant le développement économique et social; et nous battons les talibans en renforçant les forces de sécurité nationale afghanes, pour que des Afghans puissent défendre leur gouvernement et leurs concitoyens contre de violents extrémistes.
Je serai heureux de répondre à vos questions.
Le sénateur Banks: Il est bon, mais inhabituel, et peut-être unique, d'entendre un point de vue positif, sinon optimiste sur la progression des forces de sécurité afghanes du point de vue de la qualité et de l'efficacité. Nous entendons souvent dire autre chose à ce sujet. Je crois que vous nous avez donné de l'espoir. J'espère que vous avez raison.
Je veux parler des 480 projets que vous avez mentionnés en ce qui concerne le développement. Je présume que les Forces canadiennes réalisent les 480 projets en question grâce au fonds de développement dont elles disposent. Est-ce bien cela, sinon, incluez-vous les organismes comme l'Agence canadienne de développement international?
Bgén Atkinson: Les Forces canadiennes ne réalisent pas de projets. L'ACDI réalise ses propres projets. Nous fournissons l'enveloppe de sécurité pour que les projets puissent se réaliser. L'Équipe provinciale de reconstruction fait un travail qui sollicite tous les membres de l'équipe. L'ACDI gère les projets et prend en charge toute la coordination du travail sur le terrain, pour que les choses se fassent. C'est ce qui se passe dans la province de Kandahar.
Le sénateur Banks: Les Forces canadiennes protègent 480 projets menés par l'ACDI dans la province de Kandahar?
Bgén Atkinson: Je n'ai pas dit «protégé». Lorsque les projets sont mis en place, nous assurons la sécurité. Les 480 projets en question ne sont pas tous des projets de l'ACDI. Il y a d'autres gouvernements dont le travail bénéficie de l'appui d'organismes non gouvernementaux canadiens et d'argent que le Canada investit là. Cette question se situe un peu en dehors de mon champ de compétence. L'ACDI est la première responsable à cet égard, et elle est mieux placée pour donner des précisions. Je peux parler de l'enveloppe de sécurité que nous mettons à profit, pour appuyer ce genre d'activité.
Le sénateur Banks: Les Forces canadiennes disposent tout de même de fonds pour acheter autres choses que des cartouches. De fait, notre comité a recommandé que le montant qui leur est alloué soit doublé, et cela a été fait.
Bgén Atkinson: Il y a le fonds pour éventualités du commandant. En cas de problème dans notre secteur, les soldats peuvent mener une action qui «rapporte tout de suite» comme je me plais à le dire, qu'il s'agisse de creuser un puits ou de réparer un ponceau.
Cependant, si vous souhaitez des progrès durables, il faut que ce soit des Afghans qui fassent ce travail. Nous, nous devons fournir la structure. L'ACDI doit attribuer les contrats et fournir le matériel, mais les Afghans doivent pouvoir constater que ce sont des Afghans qui font le travail et obtiennent la reconnaissance à cet égard. Sinon, on nous voit comme une bande d'étrangers en uniforme. Pour que cela fonctionne vraiment, nous devons jouer le rôle de catalyseurs et laisser les Afghans faire le travail. Si c'est le Canada qui le fait, ça ne compte pas. Ça compte quand les Afghans le font eux-mêmes, grâce aux bons soins du Canada, qui assure la sécurité.
Le sénateur Banks: Vous avez fait partie du Corps blindé, et moi, je suis un civil. Souvent, les soucis que nourrissent les Canadiens à propos des risques que courent nos forces en Afghanistan tiennent à des histoires d'engins explosifs improvisés, de bombes de circonstance et ainsi de suite. De la manière dont nous concevons la situation, il manque aux Forces canadiennes le matériel voulu, des véhicules en particulier, pour se protéger contre de telles choses. Tout de même, il est question dernièrement d'améliorations à cet égard. Disposons-nous maintenant de meilleurs véhicules pour contrer les EEI, les bombes de circonstance, les attentats-suicides?
Bgén Atkinson: Aucun autre groupe n'est mieux équipé que notre groupement tactique canadien, qui peut recourir aux LAV3, aux Nyala, à des chars d'assaut, au dispositif d'ouverture d'itinéraire que nous venons de déployer, aux camions blindés et lourds que nous venons de déployer. En bref, nous disposons du meilleur matériel, cela ne fait aucun doute.
Le président: Nous parlons des Cougar, des Husky et des Buffalo qui ont été envoyés au printemps.
Bgén Atkinson: C'est le matériel d'ouverture d'itinéraire. Je vais donner des précisions à son sujet. Nous avons déployé un système en septembre, et nous continuons d'en recevoir des éléments. Le système d'ouverture d'itinéraire de circonstance, dont j'ai parlé brièvement pendant ma déclaration, fonctionne comme suit: une fois l'itinéraire établi, nous asphaltons. Voilà comment nous nous y prenons pour qu'il n'y ait pas d'engins explosifs improvisés sur les routes.
Le sénateur Banks: Combien y a-t-il de Husky, de Buffalo et de Cougar en ce moment?
Bgén Atkinson: C'est un système. Les différents véhicules sont réunis. Pour celui qui les regarde passer, ça ressemble à un train.
Le sénateur Banks: Combien y en a-t-il en Afghanistan en ce moment?
Bgén Atkinson: Nous avons un système, puis les éléments d'un deuxième système, et il y aura les pièces d'un troisième système. Le système se compose des trois véhicules réunis.
Le sénateur Banks: Le système se compose de trois véhicules?
Bgén Atkinson: C'est un Husky, un Buffalo et un Cougar, oui.
Le sénateur Banks: Disposons-nous de chacun de ces véhicules à Kandahar en ce moment?
Bgén Atkinson: Je confirmerai pour vous le nombre exact de véhicules dont nous disposons. Je sais qu'il y a un système complet qui est fonctionnel. Un deuxième est arrivé par avion. Je ne sais pas si tous les systèmes sont complets. On utilise ça depuis plus d'un mois. Nous avons renvoyé un système ici pour l'entraînement des soldats qui seront appelés à prendre la relève. Je vais confirmer le nombre exact de systèmes dont nous disposons sur le terrain.
Le sénateur Banks: Cela nous aidera à comprendre — pour l'avenir, disons que, lorsqu'il est question d'un système, il faut savoir qu'un Husky, un Buffalo et un Cougar composent le système.
Bgén Atkinson: Oui. Le système de COIC, ou Capacité d'ouverture d'itinéraire de circonstance, réunit les trois véhicules pour en faire un tout.
Le sénateur Banks: Un système comporte trois véhicules, deux en comporteraient six, trois en comporteraient neuf et ainsi de suite?
Bgén Atkinson: Oui. Chaque véhicule a une fonction différente.
Le président: Nous avions l'impression que vous alliez recevoir entre cinq et sept de chacun de ces véhicules. Nous ne savons pas très bien à quel moment. Nous savions que les livraisons allaient commencer en septembre, mais nous ne savons pas à quel moment la dernière livraison se fera.
Bgén Atkinson: Je crois que tous les véhicules se retrouveront sur le théâtre des opérations un peu après Noël, ceux que nous livrerons là. Il y a aussi un dispositif de réserve. Si bons que soient les véhicules, dans ce genre de milieu, il y a des pannes — et les talibans ont tendance à attaquer des véhicules comme ceux-là. Le véritable avantage réside dans le fait que le soldat aux commandes est bien protégé — ces véhicules sont très bien conçus. Malgré le vacarme et les réverbérations, nous pouvons faire des réparations et continuer sur notre travail.
Le sénateur Banks: Nous vous saurions gré de nous donner le calendrier de livraison, de nous dire à quel moment le tout sera livré.
Bgén Atkinson: Certainement, sénateur.
Le sénateur Banks: De même, pour rester dans les blindés, les chars d'assaut que nous avons empruntés, loués — la nouvelle génération de Leopard — ont été livrés ou sont en voie de l'être.
Bgén Atkinson: Ils ont déjà été livrés. Il y en a tout un escadron sur le théâtre des opérations.
Le sénateur Banks: Est-ce que nous rapatrions les vieux Leopard ou les laissons-nous là?
Bgén Atkinson: Non, nous n'allons pas les rapatrier encore. Nous y avons dépêché les nouveaux Leopard, avec nos rouleaux et charrues de déminage, mais les Allemands ne l'apprécieront pas si nous modifions leurs chars d'assaut de fond en comble. De ce fait, nous avons deux escadrons en Afghanistan, et nous allons en recombiner les éléments au besoin, durant la période à venir, jusqu'au moment où nous aurons réglé le problème et obtenu nos propres chars d'assaut des Néerlandais, chars d'assaut que nous avons acquis en échange de formation au Canada, comme vous le savez, puis viendront ensuite les véhicules opérationnels. Dans l'intervalle, il y a deux escadrons en Afghanistan; nous utilisons les chars avec canon, les Leopard 2, et les autres chars avec rouleaux et charrues. Ce sont des outils de travail capitaux.
Le sénateur Banks: Avons-nous tout le personnel voulu pour utiliser les deux escadrons de chars d'assaut?
Bgén Atkinson: Comme nous ne faisons pas fonctionner les deux indépendamment, nous avons assez de personnel sur le terrain pour faire ce qui doit être fait.
Le sénateur Banks: Est-ce que nous pourrions envoyer sur le terrain aujourd'hui deux escadrons de chars?
Bgén Atkinson: Nous ne pourrions pas envoyer sur le terrain deux escadrons complets. L'idée c'est de disposer d'un escadron complet. C'est au commandant sur le terrain qu'il revient de déterminer ce dont il a besoin, en soldats et en actions, suivant l'opération à mener.
Le sénateur Banks: Merci. Vous avez dit qu'il faut permettre au gouvernement démocratique de l'Afghanistan de gouverner correctement. Cependant, tout le monde nous dit qu'il y a lieu de se demander si le gouvernement chemine vraiment dans le bon sens, particulièrement pour ce qui touche la lutte à la corruption.
C'est une question de gouvernance et non pas une question militaire, mais vous avez abordé le sujet. Êtes-vous convaincus, les Forces canadiennes sont-elles convaincues du fait que le gouvernement afghan s'attaque aux problèmes de corruption au sein du gouvernement, pour que l'on parvienne à conquérir un jour le cœur et l'esprit des gens, d'une façon ou d'une autre?
Bgén Atkinson: Il ne convient pas que je commente personnellement la politique qu'adopte un autre gouvernement pour aborder cette question-là.
Dans le cadre de l'approche pangouvernementale, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, le MAECI, est le premier responsable du pilier «gouvernance»; pour le pilier «développement», c'est l'ACDI qui est responsable; pour la sécurité, c'est nous. Tout de même, nous travaillons de concert. Les Forces canadiennes ont aidé et continuent aujourd'hui d'aider le pilier «gouvernance» par l'entremise de notre Équipe consultative stratégique, qui reste à l'arrière-plan et met ses compétences en planification et en administration au profit du gouvernement de Kaboul. Nous travaillons aussi de concert avec le MAECI et avec l'ACDI. Nous travaillons en étroite collaboration avec notre ambassadeur, de fait. L'équipe consultative stratégique reçoit ses consignes de l'ambassadeur, alors que nous restons, nous, à l'arrière-plan. Les officiers que nous déléguons à cette équipe ont pour travail de planifier et de penser à l'avenir, et de faire les choses qu'il faut pour aider ces ministères à progresser.
Le sénateur Banks: Nous savons cela et nous avons beaucoup entendu parler de l'équipe consultative stratégique. Elle se compose d'officiers de l'armée canadienne. Lorsqu'elle fait ses rapports à la structure de commandement, dont vous faites partie, l'équipe croit-elle que les conseils qu'elle dispense pour la lutte à la corruption au gouvernement de l'Afghanistan sont respectés et, si ce n'est pas le cas, cela risque-t-il de nuire à notre réputation?
Bgén Atkinson: Notre travail ne consiste pas à dispenser des conseils au gouvernement de l'Afghanistan.
Le sénateur Banks: Ça s'appelle équipe consultative stratégique. Il faut bien qu'il y ait des conseils.
Bgén Atkinson: C'est une équipe de planification. Elle a été nommée au tout début, et j'admets que ça s'appelle équipe consultative stratégique. Le travail de l'équipe, c'est de procéder à de la planification stratégique et d'aider les ministères en question à préparer l'avenir. Nous n'irions pas dire au commandement comment le gouvernement là-bas se débrouille. Le MAECI est entièrement responsable du travail touchant le pilier «gouvernance». Il est bien placé pour commenter la progression du gouvernement du président Karzai, à l'échelle fédérale aussi bien qu'à l'échelle provinciale.
Le sénateur Banks: Je soupçonne que si nous posons la question aux gens du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, ils répliqueraient qu'ils ne commentent pas le travail de l'équipe consultative stratégique parce que ce sont des officiers de l'armée. Qui peut nous dire si ces gens croient bien au progrès en question?
Bgén Atkinson: Sénateur, j'espère que, lorsque vous irez en Afghanistan, vous allez profiter de l'occasion de rencontrer l'équipe consultative stratégique et de parler directement aux membres, pour avoir une meilleure idée des tâches quotidiennes qui font partie de leur mission. Si vous voulez, je peux vous préparer un court mémoire à l'avance, au sujet de leur mandat et de la répartition des tâches, mais la meilleure façon de faire la lumière sur leurs tâches quotidiennes consiste à traiter avec eux directement.
Le sénateur Banks: Nous vous serions reconnaissants de préparer pour nous un mémoire, général. Nous croyons savoir que l'équipe fournit les conseils directs au président en rapport avec plusieurs questions.
Le président: Je vous prie d'adresser le mémoire à la greffière du comité. Nous vous en sommes reconnaissants.
Bgén Atkinson: Oui, très bien.
Le sénateur Day: Vous avez suscité beaucoup d'intérêt et un grand nombre de questions, général. Je vais essayer de ne pas prendre trop de temps pour que mes collègues puissent poser leurs questions aussi. Cela nous donne une bonne idée de la situation, surtout après avoir entendu votre exposé.
Pouvons-nous prendre un peu de recul? Vous commandez l'état-major interarmées stratégique au quartier général de la Défense nationale, pour le chef d'état-major de la Défense.
Bgén Atkinson: Je travaille pour le contre-amiral Bruce Donaldson, directeur de l'état-major interarmées stratégique. L'organisation compte deux grandes parties: les opérations, que je dirige pour son compte; et les plans, qui relèvent du brigadier général John Collin. Nous avons aussi un directeur général de la coordination, mais mon travail à moi touche d'abord et avant tout les opérations courantes.
Le sénateur Day: Quel est son rang actuel?
Bgén Atkinson: Il est contre-amiral.
Le sénateur Day: Il avait le rang de capitaine au moment où il a témoigné devant le comité. Vous vous occupez des opérations et, en tant que membre de l'état-major interarmées stratégique, vous dispensez des conseils au chef de l'état- major de la Défense, vous travaillez de concert avec le commandant du Commandement de la Force expéditionnaire du Canada.
Bgén Atkinson: Oui, et Commandement Canada, le Commandement du soutien et le Commandement des Forces d'opérations spéciales.
Le sénateur Day: Le Commandement des Forces d'opérations spéciales du Canada et le Commandement de la Force expéditionnaire du Canada se trouvent en Afghanistan. Commandement Canada prépare les troupes à s'y rendre.
Bgén Atkinson: Commandement Canada est responsable des opérations intérieures, au pays.
Le sénateur Day: Aux fins de notre séance sur la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan: votre travail reprend-il celui du Commandement de la Force expéditionnaire du Canada?
Bgén Atkinson: Pas du tout. Notre travail se situe à l'échelle stratégique — nous traitons avec les Affaires étrangères, avec le bureau du Conseil privé, avec nos alliés et avec l'OTAN. Le Commandement de la Force expéditionnaire travaille à l'échelle opérationnelle. Son travail touche l'emploi de nos forces sur le terrain.
Le sénateur Day: Votre travail est stratégique alors que le leur est davantage tactique?
Bgén Atkinson: Oui, opérationnel et tactique.
Le sénateur Day: Nous essayons de comprendre le rôle de l'état-major interarmées stratégique, qui est un peu plus large que ce que nous avions prévu.
Bgén Atkinson: Il n'est pas très large. Mon équipe se compose de neuf officiers chargés des opérations courantes. J'ai aussi sept employés de soutien.
Le sénateur Day: Entrevoyez-vous que l'état-major interarmées stratégique va continuer son travail au fil de la transformation?
Bgén Atkinson: Certainement, oui.
Le sénateur Day: Il doit jouer un rôle important dans le nouvel ordre des choses.
Bgén Atkinson: C'est un élément capital pour faire le point sur la situation et soutenir la prise de décisions du chef de l'état-major de la Défense.
Le sénateur Day: L'équipe consultative stratégique — c'est elle qui est intégrée au gouvernement Karzai à Kaboul — vous le signale-t-elle s'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond?
Bgén Atkinson: Bgén Guy Laroche est le commandant en Afghanistan; tous les soldats en Afghanistan relèvent de lui. Le général Laroche, lui, rend des comptes au lieutenant général Michel Gauthier, commandant du Commandement de la Force expéditionnaire du Canada, le COMFEC. Il est à la tête non seulement de nos troupes en Afghanistan, mais aussi de nos soldats en mer, de nos soldats en Afrique et au Moyen-Orient et de toutes les forces expéditionnaires qui se trouvent à l'étranger. Évidemment, notre engagement en Afghanistan est le plus important en ce moment; c'est ce qui lui prend une bonne part de son temps.
Le sénateur Day: Lorsque les membres de l'équipe consultative stratégique intégrée à Kaboul s'aperçoivent que le ministère afghan chargé de contrôler la police ne fait pas son travail, que la police ne reçoit pas les bonnes consignes des hautes sphères et que la police nationale afghane n'est tout simplement pas à la hauteur et qu'il faut faire quelque chose, comment son message se rend-il au lieutenant général Gauthier?
Bgén Atkinson: Le Canada n'est pas seul en Afghanistan. Nous y sommes en tant qu'élément de la Force internationale d'assistance à la sécurité, la FIAS, et de l'OTAN. Notre principal centre d'intérêt est le sud de l'Afghanistan, où la majeure partie de nos soldats sont déployés. J'ai parlé de la police nationale afghane. À nos débuts là-bas, l'Armée nationale afghane y était et voilà que, cinq ans plus tard, elle compte environ 41000 soldats, ce qui comprend probablement quelque 35000 hommes en activité. Le Pacte de l'Afghanistan, qui vaut jusqu'en 2011, prévoit un effectif final de 70000 hommes. Ils sont rendus à la moitié; l'Armée nationale afghane se porte donc bien. Nous en constatons les effets positifs dans notre secteur.
On n'a commencé à insister sur le développement de la police nationale afghane que deux ans après celui de l'Armée nationale afghane, mais disons que la police s'améliore même si elle a toute une côte à remonter. Deux grandes tâches ont été réalisées auprès de la police nationale afghane. Premièrement, l'acquisition de techniques de survie. Les membres de la police nationale afghane sont considérés comme des cibles vulnérables par les talibans parce qu'ils se déplacent en petites camionnettes Toyota. Ils portent bien l'uniforme, mais ils n'ont pas eu beaucoup d'entraînement, et ne portent pas d'armure. Dans un tel cas, la première tâche à assimiler, c'est l'art de survivre.
La deuxième tâche, c'est le mentorat. L'équipe de liaison et de mentorat opérationnel de la police, l'ELMO, est chargée d'encadrer les policiers afghans et de les faire cheminer lentement mais sûrement. Les policiers afghans subissent leur entraînement à une installation de Kaboul, puis ils sont envoyés dans les régions et les districts. C'est en raison du succès que nous avons eu dans le cas de l'armée que nous insistons sur les ELMO policières, qui font cheminer les recrues. Nous faisons travailler ensemble des soldats et des policiers militaires dans chaque segment.
Les officiers à Kaboul prennent en charge des tâches d'administration et de planification dans chacun des ministères. Leur complexe est situé à côté de notre ambassade. Notre ambassadeur est la tête dirigeante du gouvernement, le chef de mission. Il sert de liaison, comme cela doit se faire, entre le MAECI et le gouvernement de l'Afghanistan. Si le gouvernement du Canada juge qu'une chose donnée n'est pas satisfaisante, il revient à l'ambassadeur de prendre l'initiative, et l'équipe consultative stratégique reçoit ses consignes de l'ambassadeur, comme cela doit se faire.
Le sénateur Day: Vous avez dit «nous» en parlant de l'entraînement des policiers. Qui est ce «nous»? Parlez-vous du Canada dans la province de Kandahar et au Commandement sud, ou encore parlez-vous d'un effort concerté de l'OTAN dans l'ensemble de l'Afghanistan?
Bgén Atkinson: L'entraînement à Kaboul est un entraînement national. Ce sont les Allemands qui dirigent la formation des gens, ensuite les gens sont envoyés dans les districts et dans notre secteur à nous. Nous jumelons des membres d'ELMO avec des policiers tous les jours. Nous construisons des postes de police secondaires et, avec chacune des rotations de l'effectif, nous allons mettre un plus grand nombre d'ELMO en place. Ce n'est qu'en les aidant à renforcer leur propre capacité que nous allons obtenir du succès à long terme, comme cela a été le cas pour l'armée nationale afghane.
Le sénateur Day: Les policiers subissent un entraînement central auprès des Allemands, puis ils sont envoyés dans le Sud.
Bgén Atkinson: Oui, c'est bien cela.
Le sénateur Day: Pendant votre exposé, vous avez parlé d'un changement touchant la paie. Pourriez-vous expliquer cela?
Bgén Atkinson: C'était certainement une des plus grandes plaintes des gens. On disait souvent que la police nationale afghane était vulnérable à la corruption tandis que, pendant longtemps, le salaire versé ne se rendait pas jusqu'aux policiers dans le secteur. Depuis un mois, le système de paie est finalement enclenché, et les agents reçoivent leur salaire.
Le sénateur Day: Qu'avez-vous fait pour changer cela?
Bgén Atkinson: Nous n'avons rien fait pour changer cela. Le gouvernement national de l'Afghanistan a commencé à progresser lentement dans un domaine critique. Le policier qui ne reçoit pas son salaire trouvera, malheureusement, une autre façon de boucler ses fins de mois. Ce n'est pas le genre de comportement que nous aimons voir sur le terrain.
Il y a eu des progrès, mais le gouvernement afghan n'a pas fini. J'ai mentionné le fait que le président Karzai est en place depuis cinq ans. Il a affirmé que ça prendra un certain temps et que les Afghans sont pressés d'agir, mais ils constatent tout de même des signes concrets sur le terrain.
Quelqu'un se demande si je peux répondre à la question posée au sujet de la COIC.
Le sénateur Day: Notre séance est télévisée, et quelqu'un prend le signal à votre poste de contrôle.
Bgén Atkinson: Nous avons autorisé l'usage de trois Husky, de trois Buffalo et de trois Cougar. Il y a quatre Husky, deux Buffalo et deux Cougar qui sont disponibles. Puis, il y en a un dans chacun des stocks opérationnels, un sur le théâtre des opérations, et un véhicule de formation ici même au Canada.
Le sénateur Banks: Les deux systèmes sont-ils rendus en Afghanistan?
Bgén Atkinson: Nous avons un système qui est entièrement fonctionnel et des éléments de deux autres. Je vous confirmerai ce renseignement. Lorsque je rédigerai la note sur l'équipe consultative stratégique, j'inclurai la répartition exacte pour qu'on puisse bien comprendre. Ce sera comme un tableau d'ensemble pour ce que je vous ai dit plus tôt.
Le sénateur Day: Il y a un dernier point que je souhaite éclaircir à propos de la planification à long terme par rapport à la tactique quotidienne en ce qui concerne la situation à Kandahar. Ça a trait à la carte que vous nous avez remise. Dans l'ouest de l'Afghanistan, à côté de la province de Helmand, c'est une des pires zones. C'est là que toute l'activité de trafic de stupéfiants se déroule. C'est tout juste à côté de Kandahar, mais, en se dirigeant vers l'ouest, on arrive à Nimrôz. Il n'y a pas de pays là en ce moment. C'est tout juste à côté de l'Iran. Nous entendons beaucoup parler des problèmes de l'autre côté, à Kandahar, du côté est, à côté du Pakistan, et du fait que les insurgés se rendent au Pakistan, s'y reposent, se procurent d'autres armes, puis reviennent. Pourquoi ne prête-t-on pas attention au côté iranien, et quelle est la différence entre les deux côtés de l'Afghanistan?
Bgén Atkinson: Il ne s'agit pas simplement de prêter attention à cela. C'est une question de capacité aussi. Le commandant de la FIAS et le Conseil de l'Atlantique Nord ont maintes fois répété que, selon l'énoncé semestriel interarmées multinational des besoins, qui désigne le niveau de dotation sur le terrain, il y a encore des places à combler. Nous n'avons pas tous les soldats qu'il nous faut. Nous sommes près de ce qu'a demandé le commandant de l'OTAN, mais ce n'est pas complet. Tant que l'on n'a pas tous les effectifs prévus dans l'énoncé semestriel en question ainsi que dans l'armée nationale afghane, on ne peut espérer couvrir entièrement le pays. C'est un vaste territoire.
Le sénateur Day: Je comprends cela. Devrais-je conclure qu'il y a à la frontière entre l'Iran et l'Afghanistan le même problème qu'il y a à la frontière entre l'Afghanistan et le Pakistan, mais que nous ne le savons pas parce que nous n'y avons envoyé personne?
Bgén Atkinson: Ce n'est pas le secteur où les Forces canadiennes sont déployées.
Le sénateur Day: Ça fait partie du Commandement sud.
Bgén Atkinson: Ça fait partie du Commandement sud, mais ce n'est pas là que les Forces canadiennes sont déployées. Les Forces canadiennes sont déployées à Kandahar, et c'est là le centre d'action de nos troupes sur le terrain.
Le sénateur Day: Nous avons déjà commandé le Sud.
Bgén Atkinson: Nous l'avons déjà fait, et nous le ferons de nouveau. Il y a des opérations qui sont menées à bien dans la région de Nimrôz.
Le sénateur Day: Peut-on dire que Nimrôz n'est tout simplement pas aussi active du point de vue des talibans parce que l'Iran ne coopère pas avec eux, sinon il y a peut-être beaucoup de choses qui s'y passent, mais nos effectifs ne sont pas assez nombreux pour que nous y soyons présents?
Bgén Atkinson: Monsieur le sénateur, vous demandez de faire des conjectures à propos d'une situation que je ne connais pas.
Le sénateur Day: Nous ne savons pas cela?
Bgén Atkinson: Je ne le sais pas.
Le sénateur Day: Pourriez-vous essayer de voir si quelqu'un au Commandement Canada est au courant de ce qui se passe à Nimrôz?
Bgén Atkinson: Il y a des choses qui se passent dans toutes les régions du pays. Au début de mon exposé, j'ai parlé de la sécurité opérationnelle et des événements qui surviennent sur le terrain. Il y a des points que je ne peux aborder en raison de l'impact concernant la sécurité sur le terrain, et c'est l'un d'entre eux.
Le sénateur Day: La présidence a été d'une patience exemplaire avec moi. Merci. Je veux savoir si la situation en Iran peut nous aider à comprendre comment traiter avec le Pakistan.
Le président: J'ai un point à soulever à propos de l'observation du sénateur Day concernant l'état-major interarmées stratégique et les rapports de ce dernier avec le Commandement des Forces canadiennes. Vous dites qu'il n'y a pas eu double emploi. Est-ce dire que le rapport que le comité connaît très bien, celui des trois sages qui a été commandé par le chef de l'état-major de la défense, a suscité un changement de comportement? Il y est question d'un travail fait en double et en triple.
Bgén Atkinson: C'était au début, monsieur le président. Ce que les trois sages ont souligné dans leur rapport, c'est que l'état-major interarmées stratégique est un élément capital de l'équation, élément qu'il faut renforcer. Cela remonte maintenant à 18 mois, et on a beaucoup appris et rajusté le tir pendant les mois qui se sont écoulés depuis. Nous évoluons et nous nous améliorons tous les jours.
Vous avez tout à fait raison, monsieur. Au début, au moment où l'état-major interarmées stratégique se cherchait, il y a eu du travail fait en double. Nous avons déployé un effort énorme pour nous assurer que cela ne se produise plus. Nous sommes trop peu nombreux pour travailler en double de part et d'autre.
Le président: Je veux savoir s'il y a des bonnes nouvelles. Vous dites qu'il y en a.
Bgén Atkinson: C'est une bonne nouvelle, monsieur le président.
Le sénateur Moore: Vous avez présenté des statistiques et vous aviez une note sur le matériel qu'il y a en ce moment en Afghanistan. Vous avez parlé des Husky, des Buffalo et des Cougar. Il faut les trois éléments de matériel en question pour faire un système. C'est bien cela?
Bgén Atkinson: Oui, monsieur.
Le sénateur Moore: Vous dites qu'il y a un système en place et un en réserve sur le terrain. C'est bien cela?
Bgén Atkinson: J'aimerais revenir là-dessus. Oui, on m'a remis une note, mais j'aimerais revenir là-dessus, pour confirmer les détails et donner le renseignement voulu au comité. J'aimerais mieux vous donner le renseignement précis qu'il faut.
Sénateur Moore: Merci. Quelqu'un vous a posé une question au sujet des chars d'assaut Leopard 2. Vous dites que tous ces chars se trouvent sur le théâtre des opérations et qu'ils fonctionnent. Il y en a deux escadrons en ce moment, un qui est fonctionnel et un qui est de réserve. Combien de chars d'assaut y a-t-il dans un escadron?
Bgén Atkinson: Vingt.
Le sénateur Day: Il y a un escadron qui est entièrement opérationnel?
Bgén Atkinson: Le premier escadron à être envoyé, c'est celui du Canada même avec les Leopard 1 que nous avons déployés. Vous vous rappellerez que, ce sont des chars un peu plus vieux. Au moment où je me suis enrôlé il y a 30 ans, j'ai eu à utiliser les premiers que nous avons reçus. J'ai pris de l'âge, et eux aussi; notre capacité de les maintenir dans le milieu très dur que constitue l'Afghanistan représente un problème. Étant donné les types de systèmes qu'il y a à l'intérieur, la chaleur s'est révélée très difficile pour les équipages. L'armée canadienne a fait une demande au gouvernement, qui annonçait un programme prévoyant la location d'un certain nombre de Leopard 2 des Allemands. Les Leopard 2 ont une plus grande puissance de feu; ils sont plus mobiles et protègent mieux. Les trois grands facteurs étaient ceux-là, ainsi que le fait d'avoir une technologie plus récente.
Le président: Il y avait la climatisation.
Bgén Atkinson: De fait, le terme de climatisation ne convient pas tout à fait. À l'intérieur, les membres de l'équipageportent une chemise de refroidissement. C'est une chemise qui se branche et qui fonctionne à merveille, au point où il devient difficile de convaincre les soldats de sortir de la tourelle. Quand il fait 65 degrés dehors, on est bien à l'intérieur. C'est pour cela que nous avons envoyé le deuxième escadron. Cela concorde avec la vision plus à long terme que nous souhaitons adopter.
Le sénateur Moore: Les deux escadrons sont là. Un composé de Leopard originaux, et un deuxième, de Leopard 2.
Bgén Atkinson: Ce sont des Leopard 2 plus récents.
Le sénateur Moore: Quand vous dites qu'il y en a un complet, vous voulez dire qu'il y en a un qui est entièrement opérationnel?
Bgén Atkinson: Les Leopard 1 que nous avions en place étaient entièrement opérationnels et, de fait, ils le seraient encore si nous y assignions des hommes. Les Leopard 2 que nous avons apportés le sont. Notre matériel comprend les pièces installables. Ce sont les rouleaux et les charrues de déminage qui servent à ouvrir les itinéraires. Nous ne sommes pas en mesure de fixer notre matériel sur les Leopard 2, les chars que nous avons empruntés aux Allemands, de sorte que nous avons conservé les autres chars, les Leopard 1, les premiers, pour préserver cette capacité sur le terrain, car les fois où il faut s'en servir, leur usage est assez capital.
Nous avons l'équivalent d'un escadron d'hommes sur le terrain qui sert à doter un escadron de chars d'assaut.
Le sénateur Moore: En Afghanistan l'an dernier, nous avons entendu dire, comme divers témoins nous l'ont dit récemment, et même aujourd'hui, que l'ampleur de la corruption demeure. Le sénateur Day vous a posé une question à propos de l'équipe consultative stratégique, des 15 personnes qui sont intégrées au gouvernement afghan. Qui suit l'usage fait de nos fonds? Le Canada a remis 100 millions de dollars à la Banque mondiale. La Banque mondiale doit signer un chèque au gouvernement national de l'Afghanistan. Nous avons des gens qui travaillent au gouvernement national de l'Afghanistan.
Bgén Atkinson: Monsieur le sénateur, vous me demandez d'aborder une question qui ne relève pas de moi. Mon travail touche les opérations.
Le sénateur Moore: Vous n'êtes pas au courant de cela.
Le président: Nous allons accueillir un témoin de l'ACDI.
Bgén Atkinson: Les gens de l'ACDI vont pouvoir vous donner des précisions à ce sujet. C'est en dehors de mon champ de compétence, pour ainsi dire.
Le sénateur Moore: D'accord. Pour ce qui est de la police, on nous a dit en Afghanistan même l'an dernier que certains des formateurs étaient membres de la Gendarmerie royale du Canada.
Bgén Atkinson: Oui.
Le sénateur Moore: On nous a dit que la période de formation s'échelonnait sur sept semaines, que la plupart des gens n'y demeurent que pendant cinq semaines et qu'ils reçoivent 75 dollars par semaine. Pourquoi les recrues ne restent-elles pas les sept semaines prévues pour avoir l'argent? On dit qu'ils obtiennent de l'argent ailleurs, des dirigeants des talibans, des seigneurs de la guerre de tribus particulières ou de quelque fonctionnaire corrompu à Kaboul qui achètent leur loyauté. Vous dites qu'un nouveau système de paie a été instauré tout juste le mois dernier. Est-ce que les hommes reçoivent maintenant cet argent ou y a-t-il encore de la corruption et cette influence d'autrui sur eux?
Bgén Atkinson: Je peux parler de la police de Kandahar avec laquelle nous travaillons tous les jours. Le système de paie est entré en service, et il fonctionne. Nous avons été témoins des résultats de ce fait au cours du dernier mois, comme je l'ai dit. Nous en avons vu l'effet positif, et j'ai parlé du fait que la force policière acquiert lentement mais sûrement une réputation et un prestige, qu'elle s'améliore tous les jours. On n'a pas encore atteint le but, mais c'est pour ce rajustement que nos équipes de mentors les encadrent. L'avenir de l'Afghanistan, l'avenir de notre travail à nous tient à ce que la primauté du droit s'applique, et la police représente un élément capital à cet égard.
Le sénateur Moore: Cela ne fait aucun doute.
Bgén Atkinson: Il le lui faudra du temps encore pour devenir une force policière compétente qui est capable de travailler indépendamment, mais elle progresse et s'améliore constamment.
Le sénateur Moore: Quel est le coût qu'engage le Canada tous les mois pour financer la mission en Afghanistan?
Bgén Atkinson: Je peux vous donner ce chiffre, mais je ne l'ai pas ici. Je devrais probablement l'avoir, mais ce n'est pas le cas.
Le sénateur Moore: J'aimerais savoir ce que ça représente, à part les salaires, et j'aimerais savoir cela aussi.
Le président: Vous pouvez ajouter cela à votre liste et remettre la réponse à la greffière, s'il vous plaît.
Bgén Atkinson: Oui, je le note, monsieur le président.
Le sénateur Mitchell: Brigadier général, je pose ma première question pour obtenir une précision sur les leçons opérationnelles. Je me souviens que, il y a un an, pendant l'été, il y a eu une bataille importante, une des premières, je crois.
Bgén Atkinson: L'opération Medusa.
Le sénateur Mitchell: C'est cela. Les talibans s'étaient rassemblés en nombres importants et avaient cru bon de nous attaquer de cette façon. Nous les avons clairement écrasés. De fait, si je ne m'abuse, nous n'avons pas perdu un seul soldat pendant cette bataille, mais, très peu de temps après, plusieurs ont fait l'objet d'embuscades. De fait, même durant cette période, je crois qu'il n'y avait pas d'EEI, ce qui m'amène à croire, purement en tant que profane, que ce combat a peut-être détourné l'attention des talibans. Cette année, cependant, on donne à entendre qu'il y en aurait 2000 de regroupés et, selon les observations faites, ce serait un problème énorme pour nous. De fait, nous réussissons extraordinairement bien lorsque les talibans se réunissent et cessent les attaques qu'ils semblent commettre avec un degré de succès relativement plus grand. Est-ce le cas? Si c'est bien le cas, pourquoi les talibans continuent-ils de livrer bataille de cette façon? Est-ce pour des raisons liées à la propagande, pour montrer qu'ils sont forts même si cela n'est pas à leur avantage?
Bgén Atkinson: Il s'agit pour eux d'essayer de faire montre de leur réussite. Ils voudraient montrer à la communauté internationale, à la Force internationale d'assistance à la sécurité et aux gens qu'ils peuvent agir impunément. Malheureusement pour eux, et très heureusement pour nous, toutes les fois où ils se rassemblent et tentent ce genre d'opérations concertées, c'est pour eux l'échec. Étant donné le succès des opérations de la FIAS et de la coalition à ce sujet, ils doivent revenir à l'utilisation de tirs indirects et d'EEI, qui représentent à peu près la seule option qui s'offre aux insurgés comme eux. Quant à nous, nous continuons de rajuster nos tactiques et nos techniques, et notre action sur le terrain pour lutter contre cela aussi, en recourant au système de COIC et en essayant de faire tomber les réseaux de personnes. Cela n'est nullement un secret: nous recourons à des opérations fondées sur le renseignement et nous essayons de lutter contre les autres personnes qui installent les engins explosifs improvisés.
Au cours des 24 dernières heures, comme vous l'avez sûrement vu en prenant connaissance des actualités, une opération a eu lieu dans une fabrique d'EEI. Ce sont des soldats canadiens. Ça a été un franc succès. Il est évident que j'aime signaler ce genre d'événement: mettre ces gens-là hors d'état de nuire aura un effet positif et immédiat sur le terrain.
Le sénateur Mitchell: Est-il donc juste de dire que relativement peu de nos soldats sont tués ou blessés à l'occasion de combats directs, parce qu'ils sont si efficaces et si bien entraînés?
Bgén Atkinson: Nos soldats sont bien équipés et bien entraînés, et ils savent ce qu'ils font. La plus grande menace pour nous a été les EEI. Cela demeure le cas aujourd'hui.
Le sénateur Mitchell: Je n'en ai pas tant entendu parler récemment, mais il y a un certain nombre de mois de cela, on se demandait si l'armée pouvait continuer de déployer ce nombre de combattants pendant une période prolongée et si la durée de notre engagement ne pouvait pas faire l'objet de limites qui s'imposeraient d'elles-mêmes. Qu'en est-il maintenant?
Bgén Atkinson: Cela nous a pris un certain temps. Il y a l'emploi des forces et la mise sur pied des forces, et, évidemment, c'est l'armée qui est en premier lieu responsable de la mise sur pied des forces en Afghanistan. Il a fallu un certain temps pour que le recrutement porte ses fruits et que l'entraînement et tout le reste des mesures que nous avons adoptées se mettent à fonctionner rondement. Nous sommes en mesure d'honorer l'engagement du Canada. Ce n'est pas dire que c'est facile, car c'est une tâche difficile. Nous ne manquons pas de soldats dans l'infanterie, par exemple. Nous ne manquons pas d'hommes pour les blindés. C'est dans les métiers spécialisés que nous éprouvons plus de difficultés à recruter: certains soldats ont dû faire plus d'un séjour pour ce qui est de certains métiers spécialisés ou de soutien, mais nous avons rajusté le tir. Notre campagne de recrutement a commencé à vraiment porter fruit, et elle porte encore fruit aujourd'hui, et nous arrivons à respecter l'engagement que le Canada nous demande de respecter.
Le sénateur Mitchell: Nous ne pouvons poursuivre les talibans jusqu'au Pakistan ou encore les attaquer là. Jusqu'à quel point cela nuit-il à nos efforts en Afghanistan? Vous n'en avez pas parlé, mais est-ce une grande préoccupation du point de vue opérationnel? Si nous pourrions le faire, est-ce que ça irait nettement mieux?
Bgén Atkinson: Le Pakistan est un pays souverain. Ce serait comme si nous allions réaliser des opérations militaires de l'autre côté de la frontière américaine. Évidemment, le commandant de la Force opérationnelle interarmées en Afghanistan tient des réunions périodiques, coordonnées avec les troupes pakistanaises de l'autre côté de la frontière. C'est un élément capital de l'équation. Vous avez entendu le chef de l'état-major de la Défense et d'autres personnes dire que la solution du problème en Afghanistan se trouve au Pakistan. Cela n'est pas du tout un secret. Nous voulons installer notre zone de développement jusqu'à la frontière même du Pakistan. C'est pourquoi nous déployons des troupes le long de la frontière, dans la région de Spin Boldak. C'est une région qui revêt une importance capitale.
L'évolution et l'amélioration du sort des Afghans tiennent en partie à l'emprise qu'ils exercent sur leurs propres frontières. Il faudra du temps pour en arriver là, mais c'est évidemment un but que se donnent les Afghans, pour protéger leur souveraineté et montrer qu'ils sont souverains.
Le sénateur Mitchell: Le moral des troupes demeure-t-il bon?
Bgén Atkinson: Le moral des troupes est exceptionnel. Nos soldats sont nos meilleurs porte-parole. Ils savent ce qu'ils font et ils savent pourquoi ils sont là. Ils peuvent lire le résultat sur le visage des Afghans — des femmes, des enfants et des hommes auxquels ils prêtent assistance tous les jours. Les soldats reviennent à la maison, et ils ont hâte d'être formés et d'y retourner.
C'est un peu difficile à décrire, mais les jeunes soldats de Petawawa ou d'Edmonton ou de Valcartier, les jeunes hommes et les jeunes femmes qui sont chargés de la tâche tous les jours, comprennent; ils saisissent l'enjeu. Si vous avez l'occasion de leur parler, ils vous expliqueront en long et en large ce qu'ils font et l'impact que cela produit. Ils comprennent le rôle du Canada. Nous faisons partie du G8, notre pays peut aider, et il aide les autres, et les soldats voient cela tous les jours.
Le président: Général, vous avez dit deux fois à quel point nos soldats sont bien équipés. Nous recevons régulièrement des plaintes au sujet de nos aéronefs téléguidés, les Sperwer. Nous savons aussi que les Forces canadiennes souhaitent acquérir des Predator. Quels sont les progrès sur ce front?
Bgén Atkinson: Il y a des progrès. Comme vous le savez, monsieur le président, nous projetons de les remplacer. Si je pouvais demander un cadeau au père Noël, je lui demanderais un aéronef téléguidé doté de fonctions accrues. Notre Sperwer est mis à profit. Les ailes en tombent littéralement tant nous l'utilisons.
Le président: Nous entendons dire que les soldats veulent utiliser les Sperwer, qu'ils se battent pour pouvoir les utiliser quand ils en ont besoin.
Bgén Atkinson: Nous utilisons le Sperwer tous les jours.
Le président: Je comprends, mais il y en a en nombre limité.
Bgén Atkinson: Oui. C'est pourquoi nous avons un programme qui vise à le remplacer, mais je ne sais pas jusqu'à quel point ce programme progresse. Nous pouvons obtenir l'assistance d'autres pays membres de l'OTAN avec lesquels nous travaillons, mais, comme vous l'avez dit, un véhicule de type Predator serait un élément capital de notre succès.
Le président: Pouvons-nous nous attendre à voir des Predator en Afghanistan?
Bgén Atkinson: Je ne saurais vous le dire; je ne travaille pas au service d'acquisition du ministère. Le SMA ou le sous-ministre chargé du matériel serait mieux placé pour vous dire où en est ce projet.
Le président: Pourriez-vous nous envoyer une réponse à cette question?
Bgén Atkinson: Je peux poser la question, mais ça n'entre pas dans mon champ de compétence.
Le sénateur Tkachuk: La semaine dernière, nous avons entendu Norine MacDonald, du Senlis Council, qui a dit au comité que son groupe préconise la création dans le sud de l'Afghanistan d'organismes d'aide de combat, pour que la distribution de l'aide soit l'affaire de notre armée, ainsi que des armées britannique et néerlandaise dans le Sud, et que l'armée prenne en main le budget d'aide dans le sud de l'Afghanistan.
Que pensez-vous de cette proposition, de l'idée que, outre le fait de combattre les talibans, l'armée soit chargée aussi de distribuer l'aide?
Bgén Atkinson: Nous avons adopté une approche pangouvernementale à propos de l'Afghanistan. Le Senlis Council est l'auteur de plusieurs rapports. On m'a posé la question quand j'ai témoigné il y a deux semaines devant le Comité de la défense nationale de la Chambre des communes. C'est une proposition qui est faite, qui est formulée par un groupe particulier. Notre approche pangouvernementale ne correspond pas à cela. Nous estimons que notre travail porte fruit et qu'il permet d'obtenir des résultats meilleurs, de jour en jour.
Le sénateur Tkachuk: J'ai demandé au représentant de la RAND Corporation plus tôt aujourd'hui s'il fallait même que nous nous occupions de développement là-bas. La raison pour laquelle nous sommes en Afghanistan, c'est la sécurité. Si nous avons de la difficulté à faire passer notre message au Canada, cela tient en partie au fait que nous parlons de développement et d'aide, mais non pas de sécurité, alors que notre objectif principal en Afghanistan, c'est la sécurité. À notre avis, toutes ces choses permettront d'améliorer notre sécurité, mais, ce qui est important, c'est que les talibans soient détruits et que al-Qaïda ne s'y entraîne plus.
Vous avez dit plus tôt qu'il était difficile de faire passer notre message. Mais ce n'est peut-être pas de cela que les gens veulent entendre parler. Peut-être veulent-ils entendre dire que les gens là-bas sont en meilleure sécurité, et savoir pourquoi.
Bgén Atkinson: Les trois facteurs vont ensemble. On ne peut avoir la gouvernance et le développement et tous ces projets sans la sécurité. Si vous vous occupez uniquement de sécurité en négligeant les autres aspects, il n'y aura jamais de progrès. Nous avons ici au Canada et dans la partie occidentale du monde un cadre de référence déformé, qui ne correspond pas à ce que nous voyons sur le terrain.
Lorsque la FIAS, et en particulier les Forces canadiennes membres de la coalition, sont arrivées en Afghanistan, il n'y avait pas d'infrastructure. Les routes étaient cahoteuses et boueuses; les ponts avaient disparu; il n'y avait ni téléphone ni électricité. Toute l'infrastructure que nous tenons pour acquise n'existait pas. Lorsque les militaires arrivent et mettent en place le premier élément de l'enveloppe de sécurité, ils doivent réparer une partie de l'infrastructure capitale. Les ingénieurs militaires, avec l'appui d'une enveloppe de protection très marquée, doivent créer l'espace et certains éléments de base de l'infrastructure destinés à servir de point de départ à leurs travaux.
Grâce à une enveloppe de sécurité qui s'accroît, vous créez les conditions nécessaires pour que les organisations non gouvernementales, les organismes d'aide, les entrepreneurs du secteur civil et les Afghans entrent en scène. Il est très bien que nous ayons une gestion de projet et toute l'organisation et l'argent qui arrivent en grande quantité, mais, pour que cela soit efficace, il faut que les Afghans se projettent eux-mêmes dans l'avenir. Ils doivent voir que des Afghans construisent les routes et les ponts, réparent l'infrastructure électrique, les stations de télévision et de radio, tout cela. En fournissant l'enveloppe de sécurité et en continuant de l'enrichir, et en renforçant la capacité de l'armée nationale afghane et de la police nationale afghane, en travaillent ensemble pour créer les conditions voulues, nous aurons des projets d'aide et de développement qui pourront aller de l'avant. Cependant, il n'y a pas un seul de ces projets qui peut fonctionner indépendamment, et on ne saurait avoir de développement sans avoir de sécurité.
C'est une pression tout-terrain qui est exercée. Il n'y a pas que la question de la sécurité. Notre mission est une mission de sécurité, mais ce dont il faut vraiment parler, c'est ce qu'il arrive aux gens.
Je vous ai montré une photo qui fait voir la différence entre le mois d'avril et le mois de novembre à Sangin, dans la région de Zhari-Panjwai. À Noël, il y a un an, nous observions un certain secteur de la ville: il n'y avait pas âme qui vive. Quand j'y suis retourné en mai, cette année, 30000 personnes étaient revenues dans la région. Les lumières sont allumés, les routes sont ouvertes, des vignes ont été plantées, on creuse des puits. On peut le voir. En s'organisant pour que les forces de sécurité nationales afghanes inspirent espoir et confiance — et j'ai mentionné le fait qu'elles ont pris en charge des opérations pour la première fois, des opérations mixtes, puis des opérations indépendantes — on montre aux Afghans qu'ils ont leur mot à dire à propos de ce qui se passera à l'avenir, qu'il y a une place pour eux. Ils voient que leur propre armée et leur propre force policière se tiennent debout et les protègent. C'est le visage que nous devons montrer pour qu'on en arrive à un état où les Afghans sont à même d'assumer la responsabilité de leur propre avenir.
Le sénateur Tkachuk: Est-ce que cela se produit dans l'ensemble du pays et dans des secteurs qui relèvent d'autres éléments de l'OTAN, là où se trouvent les Américains, les Britanniques et les Néerlandais?
Bgén Atkinson: Les deux grandes zones de conflit sont l'Est et le Sud. Le Nord et l'Ouest, dans l'ensemble, ont été très calmes. Il y a eu des échauffourées de temps à autre, mais c'est surtout dans l'Est et dans le Sud que ça se passe. Nous sommes dans le Sud, et les Américains s'occupent tout d'abord de l'Est. Nous constatons des progrès dans le Sud, et les Américains observent aussi des progrès là où ils se trouvent.
Lorsque nous poussons les talibans dans leurs derniers retranchements, ils réagissent. Jusqu'à maintenant, nous avons réussi à prendre le contrôle des grands secteurs, des grandes routes. J'ai parlé du pont-jetée d'Arghandab que nous sommes en train de mettre en place. C'est un signe concret de progrès pour les gens sur le terrain. Ils verront les avantages économiques qui en découlent, les avantages qu'ils pourront en tirer immédiatement à l'ouverture, qui sera, je l'espère, cette semaine.
Le sénateur Tkachuk: Comment le processus décisionnel se déroule-t-il? Si nous admettons que le développement a cours, il doit y avoir plusieurs projets en cours que le gouvernement afghan ou le gouvernement provincial ou l'administration municipale ou la tribu elle-même envisage. Comment la coordination avec l'armée se fait-elle? Par exemple, s'il faut construire un pont, soit qu'on assure la protection des ouvriers pendant les travaux, soit qu'on ne le fait pas mais qu'on le fait ailleurs parce qu'il y a un ponceau dont il faut s'occuper. Qui prend la décision et comment s'y prend-il pour en arriver là?
Bgén Atkinson: Le gouverneur de la province est le point de départ de tout ce qui peut se faire dans la province de Kandahar. Nous avons maintenant des centres de district interarmées dans Kandahar, Zahri, Panjwai et Arghandab. C'est là que l'armée nationale afghane, la police et le maire, si vous voulez, se réunissent et s'occupent d'une telle coordination. C'est leur 11 septembre à eux, le centre névralgique pour leurs secteurs. Tout le travail que nous faisons du point de vue du développement se fait sous la direction et les bons soins des Afghans. C'est à ce point que nous arrivons. Les Afghans donnent le ton et fixent les priorités, et nous offrons du soutien aux côtés des forces de sécurité nationales afghanes, ce qui fait que les autres piliers peuvent fonctionner.
Le sénateur Tkachuk: Je ne me rappelle pas lequel des sénateurs a posé une question sur le budget et sur ce que coûte la mission aujourd'hui, mais pourriez-vous nous donner cette information avec une répartition des coûts que nous aurions à assumer, que l'armée soit là-bas ou ici? Quels sont les coûts supplémentaires qui découlent du fait d'avoir les soldats là-bas plutôt qu'ici? Comprenez-vous ce que je veux dire?
Bgén Atkinson: Il y a les salaires, mais il y a aussi le coût des opérations et de tout ce qui se fait par ailleurs là-bas.
Le sénateur Tkachuk: Très bien. Vous avez déjà dit que les talibans ne remportent pas les combats contre les troupes de l'OTAN, y compris les troupes canadiennes, et qu'ils recourent ainsi à d'autres mesures. J'ai remarqué que, en Afghanistan et en Irak, lorsque du mal arrive aux méchants, tout à coup, il y a une explosion qui tue 43 personnes. Habituellement, ce sont des civils ou des gens de l'endroit; ce n'est même pas nous. Les responsables des attentats cherchent ainsi à attirer l'attention de nos médias, je crois, car ils essaient de faire passer leur message — non seulement dans la région, mais aussi aux yeux de l'opinion mondiale — puisqu'ils s'opposent à notre présence. Comment combattre cela? Je sais que nous ne pouvons censurer des trucs du genre, mais, certes, les médias servent de carotte aux talibans qui commettent des attentats-suicides et causent des pertes chez les civils. Voici à quoi ça ressemble habituellement: une explosion dans un hôtel coûte la vie à 43 personnes. Personne ne se soucie de savoir que ce sont de vrais êtres humains qui n'ont rien à voir avec l'armée. Ce sont des cuisiniers et des travailleurs hôteliers.
Bgén Atkinson: J'ai déjà affirmé aujourd'hui que, à un moment donné, il faut non seulement un visage afghan, mais aussi un corps, des jambes et des bras afghans pour aller de l'avant.
C'est le moment où les Afghans commencent eux-mêmes à avoir confiance en leur armée et en leur pays. C'est le moment où ils se disent: ça suffit, nous ne voulons plus des talibans, et c'est le moment où les talibans se servent des femmes et des enfants comme boucliers, comme nous l'avons vu continuellement, et où les kamikazes talibans tuent les gens en grand nombre sur une place de marché. Ils sont passés maîtres en opérations d'information. Je l'ai dit plus tôt: chaque fois que nos attaques comportent un dommage collatéral, les talibans sautent sur l'occasion de le souligner. Même si nous faisons tout notre possible pour annoncer un raid aérien ou des tirs indirects, que nous avons signalé la chose souvent, lorsqu'il y avait possibilité de pertes civiles et que nous nous sommes abstenus, chaque fois qu'il y a des pertes civiles, les talibans sont là pour croquer la scène avec leur appareil. Nous devons mieux nous débrouiller sur ce point. Nous devons travailler de concert avec le gouvernement et le peuple afghan. Lorsque des Afghans utilisent des femmes et des enfants comme boucliers et qu'un malheur arrive, nous devons mieux le signaler. Ils sont très bons à ce jeu.
Le sénateur Tkachuk: Ils adorent le chaos.
Bgén Atkinson: Ils s'y abreuvent. Nous devons montrer aux gens un autre côté des choses et d'autres options. C'est ce que tous veulent. Ils veulent pouvoir quitter leur maison, aller au marché, aller à l'école, avoir une vie normale.
Le sénateur Zimmer: Merci, général, d'avoir présenté cet exposé ce soir. J'aimerais discuter de la question des alliés et de l'effort collectif. Dans le plus récent rapport de notre comité, nous recommandions que le gouvernement du Canada continue à exercer de la pression sur nos alliés, pour que ceux-ci envoient des soldats et des policiers comme mentors. Vous avez déjà évoqué la chose au moment de parler des ingénieurs et de la construction, pour l'encadrement. Selon vous, est-ce que nos alliés ont contracté des engagements nouveaux quant à l'édification des forces de sécurité nationales afghanes? Plusieurs pays ont fait des annonces à la plus récente rencontre des ministres de l'OTAN. Je crois que la Pologne, la République tchèque et deux autres pays ont annoncé un accroissement. Je crois que l'Allemagne et la France l'ont fait aussi. Voilà que d'autres pays membres de l'OTAN se lèvent. Nous n'en sommes pas encore au nombre précis de soldats qu'il faudrait avoir, mais des effectifs accrus sont promis. Tous ne proviendraient pas de pays membres de l'OTAN; il y a des pays partenaires qui ne font pas partie de l'OTAN. Évidemment, c'est une bonne nouvelle. Est-ce parce qu'on commence à voir que la mission a un certain succès qu'on souhaite s'engager? Autrement dit, les succès obtenus en inspireront-ils d'autres à entrer en scène?
Bgén Atkinson: J'aurais de la difficulté à imaginer quelles peuvent être les diverses motivations des pays, mais il y a eu beaucoup de pressions sur la scène internationale et de discussions entre les pays, pour que les pays fassent leur part.
Pour les pays membres de l'OTAN, la pression s'est faite constante. Nous voyons cela tous les jours. Nous voyons qu'un plus grand nombre de soldats est promis, et c'est là quelque chose de bien.
Le président: Pas dans le Sud, par contre.
Bgén Atkinson: Pas encore, mais j'espère voir, au cours des semaines et des mois à venir, d'autres soldats qui viendront dans le Sud.
Le président: Nous aussi.
Le sénateur Zimmer: Certains ont fait valoir que, parmi les pays membres de l'OTAN qui constituent la Force internationale d'assistance à la sécurité, il n'y a pas de cohérence d'un point de vue stratégique et que la difficulté éprouvée à en arriver à un consensus est le signe, pour certains, qu'il n'y a pas de véritable plan de bataille. Comment les alliés déterminent-ils leur participation à la FIAS et comment en arrivent-ils à un consensus stratégique, surtout pour ce qui touche la question des réserves?
Bgén Atkinson: Il ne convient pas que je commente les réserves d'autres pays. La FIAS reçoit ses consignes du Conseil de l'Atlantique Nord. C'est de là que vient cette discussion. Notre travail, en tant que soldats sur le terrain, c'est d'exécuter la politique ainsi adoptée.
Le sénateur Nancy Ruth: Je voulais vous poser une question au sujet des ELMO, les équipes de liaison et de mentorat opérationnel.
Bgén Atkinson: Je ne sais pas pourquoi nous nous sommes mis à utiliser ce terme. Les militaires ont tendance à faire cela. Je m'en excuse.
Le sénateur Nancy Ruth: Je ne savais rien d'eux; j'aimerais donc savoir comment ils travaillent avec l'armée nationale afghane. Comment recrutez-vous les gens, comment sont-ils formés à cette activité interculturelle, comment mesurez-vous le succès de leur activité et comment refondez-vous votre programme? Comment faites-vous tout cela?
Bgén Atkinson: Les membres des ELMO sont des soldats ordinaires qui travaillent depuis une unité. Essentiellement, le commandant encadre le commandant d'un bataillon afghan. Nos majors et nos capitaines vont encadrer les commandants des compagnies. Nous affectons nos sous-officiers et nos jeunes officiers à cette tâche. Évidemment, c'est un petit groupe qui peut se composer de 6 à 20 personnes à l'intérieur d'une compagnie. Ils travaillent directement auprès des gens sur le terrain, pour les encadrer et les former.
Avant de quitter le Canada, nous subissons un entraînement qui dure presque six mois. Eux, ils commencent lentement et étudient la culture afghane, la situation sur le terrain, et ils triment dur pour être en mesure de conduire nos opérations. Notre compétence en tant que soldats et que combattants, c'est ce qui leur permet de transférer les compétences directement aux soldats afghans.
Prendre un bataillon et le mener au cœur même d'une mission, c'est bien beau, mais il faut pouvoir le retirer de là: un officier, un sous-officier et un soldat travaillent côte à côte avec eux pour leur montrer comment appliquer sur le terrain ce qu'ils ont appris à l'école. C'est là qu'entrent en scène les équipes de mentorat opérationnel. Ils prennent les leçons apprises à l'école et les transforment en actions concrètes. Ils font de la patrouille avec eux, vivent avec eux, s'occupent des points de contrôle avec eux, se déplacent en véhicule avec eux, leur montrent comment entretenir le matériel et utiliser le matériel de communication, et ils leur enseignent la manière de planifier et d'exécuter une action.
Le sénateur Nancy Ruth: Quelle langue emploient-ils?
Bgén Atkinson: Nous avons recours à des interprètes, mais vous seriez étonnée de constater le nombre d'officiers afghans qui, dans ces compagnies, parlent anglais. Malheureusement, nous n'avons pas de soldats qui parlent le pachtou dans l'armée canadienne, mais nous en avons quelques-uns. Nous recourons abondamment aux interprètes pour relayer notre message. Pour certaines tâches, nul besoin d'un interprète. Pour le travail de soldat sur le terrain, un «suis-moi et fais comme moi» suffit, et les ELMO travaillent face à face avec les soldats dans le contexte, et c'est là que nous constatons l'effet de la démarche. Ce qui est notable, c'est que ces soldats travaillent main dans la main avec les Afghans et qu'il en aille de même avec les équipes de mentorat de la police.
Le sénateur Nancy Ruth: Combien de temps les soldats demeurent-ils au sein de cette unité?
Bgén Atkinson: Ils y demeurent pendant six mois.
Le sénateur Nancy Ruth: Y a-t-il un mécanisme de mesure qui est employé pour qu'on sache comment se débrouillent les Afghans?
Bgén Atkinson: On reconnaît l'arbre à ses fruits: les opérations menées sur le terrain. J'ai parlé des opérations indépendantes et interarmées menées à bien depuis un mois — les fruits de la démarche sont là. C'est un franc succès.
Le sénateur Nancy Ruth: Vous en êtes très heureux.
Bgén Atkinson: Nous en sommes très heureux, et nous allons continuer à travailler de cette façon.
Le président: Merci, brigadier général Atkinson, d'être venu témoigner et d'avoir répondu rigoureusement à nos questions. Nous espérons vous voir de nouveau au cours de l'année à venir; nous pourrons ainsi mieux nous connaître. Le comité a avantage à en apprendre plus sur ce qui se passe là-bas, surtout que nous prévoyons nous y rendre pour le constater nous-mêmes.
Bgén Atkinson: Sénateur, je tiens aussi à vous remercier: il est tout à fait capital que vous saisissiez ce que nos soldats font sur le terrain, vous et tous les autres membres de l'équipe pangouvernementale. Vos questions ne sont pas du tout embêtantes. Je les trouve stimulantes; elles m'obligent, lorsque je dois venir ici, à me préparer et à réfléchir rigoureusement aux enjeux. C'est là notre affaire. C'est important, et nous honorons l'engagement du Canada.
Le président: Nous sommes certes d'avis que vous honorez l'engagement du Canada et nous vous sommes reconnaissants, à vous et aux hommes et aux femmes qui servent leur pays en Afghanistan, ainsi qu'à ceux qui, ici, se préparent à le faire. Au nom du comité, merci beaucoup.
La séance est levée.