Délibérations du comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule 10 - Témoignages du 2 juin 2008 - séance en soirée
IQALUIT, Nunavut, le lundi 2 juin 2008
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd'hui, à 19 h 1, afin d'examiner, pour en faire rapport, les questions relatives au cadre stratégique actuel, en évolution, du gouvernement fédéral pour la gestion des pêches et des océans du Canada. Sujet : l'étude sur l'Arctique.
Le sénateur Bill Rompkey (président) occupe le fauteuil.
[Note de la rédaction : Certains témoignages ont été présentés par l'intermédiaire d'un interprète inuktitut.]
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs, nous abordons maintenant la partie de nos audiences prévues sous forme d'assemblée publique à Iqaluit. Nous accueillons parmi nous ce soir John Amagoalik, le père du Nunavut, et c'est là une vérité historique. Plus que tout autre, il a mené le combat des revendications territoriales, auxquelles il s'est consacré avec une grande détermination. Il est célèbre non seulement au Nunavut, mais aussi ailleurs. Il a été d'un grand secours aux Inuits du Labrador quand ils ont présenté leurs revendications territoriales, et je l'ai vu également dans d'autres parties du monde. L'une des dernières fois où je l'ai vu, nous étions dans un aéroport à Londres, je crois, et il se rendait quelque part en Europe pour présenter un exposé.
M. Amagoalik a une grande expérience et nous allons tous profiter de sa sagesse; j'aimerais qu'il nous fasse un exposé maintenant et qu'il nous dise tout ce qu'il voudra. Il sait que nous sommes ici pour étudier toute la question de la Garde côtière en particulier, ce qui comprend la souveraineté dans l'Arctique, mais nous savons aussi que la pêche et les quotas de pêche sont un problème important ici aussi. Nous aimerions profiter de son expérience à cet égard.
Veuillez accueillir avec moi John Amagoalik.
Le sénateur Robichaud : Dans la langue de son choix.
Le président : Dans la langue de son choix. Nous avons un service d'interprétation en inuktitut, en anglais et en français.
John Amagoalik, directeur, Gestion des terres et des ressources, Qikiqtani Inuit Association, à titre personnel : Merci, sénateur. Je n'avais pas prévu de comparaître devant ce comité, mais je suis venu assister aux délibérations de cet après- midi. Le sénateur Rompkey m'a demandé si je voulais dire quelques mots au comité, ce que je vais faire avec plaisir. Je ne pourrai pas rester très longtemps.
Je suis le directeur de la gestion des terres et des ressources de la Qikiqtani Inuit Association mais dans l'immédiat, je comparais ici à titre personnel. Je ne m'occupe pas directement des questions de pêche au Nunavut, et je ne peux donc pas en parler en détail ni même répondre en détail à des questions à ce sujet. Néanmoins, je peux vous donner un large aperçu des problèmes de pêche et des autres questions qui se posent au Nunavut.
Je connais Willie Adams depuis l'âge de cinq ans. En 1953, nous étions à bord du même bateau, le C.D. Howe. Il se rendait à Churchill. Le gouvernement du Canada l'avait envoyé à Churchill pour y travailler. Ma famille se rendait du Nord du Québec à Resolute Bay. Je connais donc le sénateur Willie Adams depuis longtemps.
[Interprétation]
Bienvenue à Iqaluit. Je vous remercie d'être venus nous voir.
[Traduction]
Il y a 15 ans, on signait l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Nous en sommes maintenant à essayer par tous les moyens de créer une économie. Jusqu'à maintenant, le gouvernement a été le principal pourvoyeur d'emplois, et nous sommes un peu lassés des emplois gouvernementaux. Nous voulons faire autre chose. Nous voulons diversifier notre économie. L'industrie minière va sans doute avoir un important effet de stimulation de l'économie, et nous espérons également que les pêches vont devenir un facteur important dans l'économie du Nunavut.
Le gouvernement du Canada a certaines obligations en vertu de l'Accord sur les revendications territoriales du Nunavut. Lorsque cet accord a été signé en 1993, il a fallu au gouvernement libéral un certain temps avant de comprendre les obligations que lui imposait ce traité. Après l'avoir signé, les membres du gouvernement pensaient pouvoir continuer à fonctionner comme ils l'avaient toujours fait. Ils n'ont pas tardé à constater qu'ils allaient devoir s'accommoder de certaines obligations découlant de ce traité moderne, qui est protégé par la Constitution. Au fil du temps, les gens du gouvernement ont commencé à comprendre leurs obligations et à s'y conformer. Par la suite, les libéraux ont perdu les élections et le gouvernement conservateur s'est mis en place. Il a alors fallu tout recommencer, car l'une des premières choses qu'a faites le nouveau gouvernement a été d'attribuer des quotas de pêche à des sociétés du Sud sans même nous en parler. Il avait pourtant l'obligation de consulter sérieusement les Inuits et leurs organisations représentatives pour tout ce qui touche à l'exploitation des ressources, et non pas uniquement l'industrie minière, mais également les pêches.
La semaine dernière, nous avons appris que le ministre des Pêches et des Océans avait attribué à des intérêts du Sud une quantité encore plus grande de poissons provenant de nos eaux. Lorsque je parle de nos eaux, je veux dire qu'elles sont à nous, car les stocks de poisson constituent une ressource qui nous appartient. De la même façon, l'Alberta peut dire que son pétrole et son gaz appartiennent à la province, et Terre-Neuve-et-Labrador peuvent dire qu'ils ont les droits de profiter de l'exploitation de leurs ressources « offshore »; pour nous, c'est la même chose. Je reconnais que notre territoire a un statut constitutionnel différent puisqu'il s'agit d'un territoire, et les avocats vont prétendre que nous n'avons pas véritablement les mêmes droits que les habitants des provinces. Cependant, cela ne nous empêche pas, nous qui vivons au Nunavut, de dire que ces ressources nous appartiennent et que nous avons le droit d'en profiter.
Nous nous efforçons de sortir d'une ère coloniale qui nous a été imposée pendant des centaines d'années. C'est une démarche très difficile qui se heurte à beaucoup d'inertie, je suppose, et parce que les gouvernements et la bureaucratie doivent comprendre qu'ici, la réalité a changé.
Nous avons besoin de meilleures infrastructures pour que les pêches se développent ici. C'est tout à fait évident. Nous avons besoin d'aménagements portuaires, d'usines de transformation et de tout le reste. Nous sommes pauvres. Nous n'avons pas d'argent pour nous équiper ainsi. Le Nunavut connaît le coût de la vie le plus élevé. C'est ce qui rend toute action beaucoup plus difficile.
Je n'avais pas l'intention de parler de souveraineté, mais vous y avez fait référence dans votre déclaration liminaire, et je vais donc en dire quelques mots.
Pour nous, la souveraineté dans le Haut-Arctique ne suscite aucune question. La région appartient au Canada, principalement parce que les Inuits canadiens vivent ici, qu'ils occupent le territoire et qu'ils s'en servent. Effectivement, nous nous en servons.
Je dois dire que j'ai été déçu lorsque le premier ministre est venu à Nanisivik l'été dernier pour annoncer qu'un nouveau port en eaux profondes allait être aménagé à cet endroit. Il ne s'est pas soucié d'inviter notre premier ministre. Il n'a jamais invité les chefs Inuits. Il n'a jamais parlé des Inuits. Les choses ne peuvent pas se passer ainsi.
C'est tout ce que j'ai à dire. Merci.
Le président : Merci, monsieur Amagoalik.
Le sénateur Adams : J'ai reçu un livre de M. Amagoalik, et il a parfaitement décrit ce qui s'est passé en 1953. Nous avons quitté Kuujjuaq sur le C.D. Howe au cours du mois de juillet, et nous sommes arrivés un peu plus tard à Inukjuak. Il y a eu une grande fête avant que le bateau ne reparte.
Je n'oublierai jamais Annie Pudluk. Elle était interprète à bord du C.D. Howe lorsque ce bateau servait d'hôpital, car la tuberculose faisait de nombreuses victimes parmi nous en 1950. Le C.D. Howe voyageait d'une communauté à l'autre. Les gens se déplaçaient pour l'atteindre, et certains se sont retrouvés au Manitoba. Des gens de l'île de Baffin se sont retrouvés à Hamilton, en Ontario, parce que le C.D. Howe y avait amené des patients de l'Arctique.
Certains ont passé deux mois à Churchill en attendant que la débâcle permette au C.D. Howe de faire escale à Resolute Bay. C'est pourquoi sept d'entre nous ont débarqué à Churchill. À l'époque, nous n'avions pas de famille. Nous avions laissé nos familles derrière nous à Kuujjuaq. Des familles entières, avec leurs meutes de chiens et tout leur équipement, s'embarquaient sur le C.D. Howe. Les familles qui voulaient aller à Grise Fiord et à Resolute se trouvaient à l'arrière du navire, tandis que les tuberculeux étaient à l'avant. Il fallait nourrir les chiens tous les jours à bord du navire, où on les avait logés sous la piste d'atterrissage pour hélicoptère.
J'ai fini par me retrouver dans l'armée à Churchill pendant 11 ans. Par la suite, j'ai obtenu un emploi au ministère des Affaires indiennes et du Nord, et j'ai travaillé comme électricien à Rankin Inlet.
Je voulais simplement vous dire quelques mots sur ce qui s'est passé avant 1953.
Le président : Bien. Merci.
Monsieur Amagoalik, on a abordé de nombreuses questions. On a parlé d'infrastructure, de pêches, de sécurité et de mines. Vous n'avez pas beaucoup parlé, et nous non plus d'ailleurs, je le souligne, d'éducation, de santé, et de ce genre de choses. En vous appuyant sur votre rétrospective, pouvez-vous nous dire s'il y a une ou deux questions importantes en ce moment pour le Nunavut? Comment les définiriez-vous?
M. Amagoalik : J'ai l'embarras du choix. Le logement pose un problème extrêmement urgent. Je pense que tout le monde sait ça. Il y a des gens qui sont sur une liste d'attente depuis des années et des années. On trouve jusqu'à 20 personnes vivant dans des maisons de trois chambres à coucher. La pénurie de logement crée d'autres problèmes. Les enfants ne peuvent pas faire leurs devoirs. Ils sont tout le temps malades. Ils ne peuvent pas dormir.
L'autre problème, c'est l'éducation. Le Nunavut existe depuis sept ou huit ans maintenant, et nous n'avons toujours pas de loi sur l'éducation.
Les résultats scolaires de nos jeunes commencent à s'améliorer lentement, mais il nous faut davantage de ressources pour offrir un bon enseignement au Nunavut.
Le sénateur Robichaud : Vous avez exprimé une certaine déception lorsqu'on a annoncé que Nanisivik serait l'endroit où le gouvernement du Canada va investir des ressources. Dois-je en conclure que si ce projet ne se concrétise pas, vous n'aurez pas de peine?
M. Amagoalik : Je n'ai rien contre Nanisivik. J'étais déçu du fait que le gouvernement du Canada n'a jamais communiqué avec nous avant de prendre sa décision. Il n'y a eu absolument aucune consultation quant à l'emplacement du futur port en eaux profondes. Ça nous est tombé comme ça, du jour au lendemain, et c'est la raison pour laquelle nous sommes déçus.
Le sénateur Robichaud : S'il y avait eu consultation, croyez-vous qu'on aurait recommandé un autre lieu?
M. Amagoalik : Peut-être. Je n'en ai aucune idée.
Le sénateur Robichaud : On a fait valoir à notre comité qu'Iqaluit a besoin d'installations portuaires, et qu'on desservirait un plus grand nombre de personnes qu'avec le port de Nanisivik.
M. Amagoalik : Il est parfaitement vrai qu'une installation portuaire à Iqaluit aurait des usages multiples, et pas seulement pour les navires militaires. On recevrait des navires militaires mais aussi des cargos, des navires-citernes, de petits bâtiments et des navires commerciaux. Je ne sais pas si le gouvernement savait cela.
Le sénateur Robichaud : Vous avez fait tant de démarches pour faire connaître les besoins des gens d'ici qu'on doit savoir ce genre de choses.
M. Amagoalik : Oui, nos organisations et nos dirigeants ont tous fait valoir publiquement la nécessité d'une consultation. Je ne peux pas affirmer qu'il n'y en pas eue, mais si c'est le cas, je ne suis pas au courant.
Le sénateur Robichaud : C'est malheureux. On l'a vu aussi dans la décision qu'a prise le ministre d'accepter le transfert d'un certain quota qui, à mon avis, aurait dû profiter au Nunavut mais a été cédé à certains intérêts du Sud. On ne devrait pas faire ce genre de choses, mais j'imagine qu'au fil des ans, ce genre de choses s'est vu souvent.
M. Amagoalik : Oui. J'ai été personnellement déçu d'apprendre que le quota allait être cédé à des intérêts du Sud. C'est tout ce que je peux dire. Ceux qui sont actifs dans le milieu des pêches étaient visiblement beaucoup plus mécontents. Ils ont brûlé des bateaux, ce genre de choses. C'est une question importante chez nous.
Le sénateur Robichaud : Quelqu'un m'a dit que le fait de brûler des bateaux n'était pas la manière inuite de résister ou de faire connaître un point de vue.
M. Amagoalik : Non, c'est vrai; mais il y a des moments où on se lasse d'être trop gentil.
Le sénateur Robichaud : C'est une manière de dire les choses.
Le sénateur Hubley : Monsieur Amagoalik, quand nous ressasserons nos souvenirs d'Iqaluit, votre présence et votre exposé ce soir occuperont une place privilégiée pour tous, certainement pour moi. Je trouve extraordinaire que vous soyez revenu ici pour nous faire part de vos pensées et de vos visions pour votre patrie.
Vous avez mentionné dans votre exposé que le statut territorial diffère du statut provincial. Y a-t-il des avantages à avoir un statut territorial? Quels avantages tireriez-vous d'un statut provincial pour le Nunavut?
M. Amagoalik : Tout d'abord, je ne suis pas constitutionnaliste. Je ne connais rien à la Constitution. Cependant, comme je l'ai dit plus tôt, les territoires et les provinces ont des statuts constitutionnels différents. Cela veut dire que les citoyens de ces juridictions n'ont pas les mêmes droits. Ils ne tirent pas les mêmes avantages de l'exploitation de leurs ressources.
Vaut-il mieux rester territoire ou devenir province? Je ne peux pas vraiment vous le dire. Que nous voulions être une province ou non, cela va prendre des années, essentiellement parce que nous ne nous sentons pas prêts. Nous allons faire savoir au reste du Canada quand nous serons prêts à réclamer le statut provincial, et ce pourrait être dans 50 ans, 100 ans ou même 20 ans. Qui sait? Notre objectif, c'est d'avoir un jour le même statut que tous les autres citoyens de notre pays.
Le sénateur Hubley : Je crois qu'il est important aussi pour les gens de tirer profit des ressources qu'ils ont, qu'il s'agisse des ressources minières ou de la découverte de ressources gazières et toute cette industrie. Pensez-vous que l'on vous accorde toute l'attention voulue, à vous et à vos gens et à votre gouvernement, lorsqu'il s'agit des ressources que vous avez?
M. Amagoalik : Je ne peux pas dire oui parce que les négociations sur la dévolution semblent n'aller nulle part. Nous ne touchons pas de redevances de l'exploitation des ressources, si ce n'est que les organisations inuites vouées aux revendications territoriales touchent certaines redevances de l'exploitation des ressources. Cependant, notre gouvernement ne touche pas un sou, et il a désespérément besoin d'argent. Il y a tant de choses à faire. On avance, mais c'est difficile.
Le sénateur Cowan : Ce qui me frappe, c'est qu'il est difficile pour le gouvernement du Nunavut d'être indépendant et autosuffisant sans avoir accès à certaines des sources de revenus que les provinces ont. Tant qu'il demeurera presque totalement tributaire des transferts — j'allais dire des aumônes, mais des transferts — du gouvernement du Canada, votre gouvernement n'aura pas le genre d'autonomie pour laquelle vous vous êtes battus pendant si longtemps et avec tant de succès. Nous avons parlé des redevances tirées des ressources naturelles. Cela fait évidemment partie du gâteau. J'imagine que vous voulez aussi améliorer l'accès à l'éducation pour vos jeunes gens et leur assurer un vrai gagne-pain, peut-être en travaillant pour le gouvernement au début, pour qu'ils puissent revenir ici, vivre ici, payer des impôts ici et contribuer aux ressources ou aux recettes du territoire. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?
M. Amagoalik : Avoir à se mettre à genoux chaque année pour mendier un budget est humiliant et improductif. Les paiements de transferts du gouvernement fédéral aux territoires devraient être équitables si nous voulons vivre de la même manière que les autres Canadiens. Chez nous, dans de nombreuses petites localités, on retrouve des conditions dignes du tiers monde. Les infrastructures sont en ruines. Le chômage est élevé. Il y a de nombreux, nombreux problèmes sociaux et de santé. Nous avons besoin d'une injection massive de fonds du reste du Canada pour que nous puissions nous relever et rester debout.
Le sénateur Cowan : Nous sommes tous issus de provinces qui reçoivent des paiements de transferts du reste du Canada. Ce ne sont pas des transferts d'une province à une autre; ce sont des transferts des Canadiens aux régions du Canada les moins nanties. Terre-Neuve-et-Labrador va heureusement se sortir de ce régime d'ici une année ou un peu plus, et les autres provinces devraient s'employer à atteindre le même objectif. Mais nous sommes au Canada. Si je vous comprends bien, vous voulez que Nunavut soit aussi un partenaire de la Confédération, qui reçoit parfois et qui contribue parfois.
M. Amagoalik : Oui, c'est vrai. Nous n'avons pas l'impression ici de vous demander votre argent. Vous savez que nous sommes Canadiens. Nous le sommes depuis plus longtemps que quiconque. Nous ne sommes pas en train de demander l'argent des autres; il s'agit de notre argent. C'est tout au moins ma façon de voir la chose.
Le sénateur Cochrane : Il nous fait plaisir d'être ici parmi vous pour vous entendre. Je me réjouis que vous soyez venu échanger avec nous aujourd'hui.
Vous avez abordé quelque peu la question de la souveraineté. Vous avez affirmé que vous êtes hors de tout doute des Canadiens. La souveraineté est bel et bien reconnue. Parlez-moi toutefois de votre peuple réparti dans l'ensemble du Nord. Est-ce que ses membres partagent vos idées à propos de leur patrimoine canadien? Si non, quelles sont leurs préoccupations?
M. Amagoalik : Eh bien, il y a une trentaine ou une quarantaine d'années, bon nombre des Inuits du Canada n'étaient pas certains d'être des Canadiens, et ils ne savaient pas non plus s'ils y tenaient. Toutefois, avec les années, grâce au règlement de nos revendications territoriales, de la reconnaissance de nos droits dans la Constitution canadienne et à l'évolution des mentalités des Canadiens, à mon avis, les Inuits se sentent aujourd'hui à l'aise d'être des citoyens canadiens. Cela fait longtemps que nous affirmons que l'entente sur nos revendications territoriales constitue notre entrée dans la Confédération. Elle précise en effet les conditions dans lesquelles nous avons accepté de devenir des citoyens canadiens. Aujourd'hui, tous les Inuits sont de loyaux Canadiens.
Le sénateur Cochrane : C'est excellent.
M. Amagoalik : Cela dit, il faut admettre qu'il reste encore toute une liste de questions à régler. À mon avis, celle des pensionnats ne l'est pas encore, ni celles des déplacements forcés, de l'abattage de nos chiens, des politiques assimilatrices des gouvernements passés — pour les Inuits de notre partie du pays, il faut s'occuper de tout cela.
Le sénateur Cochrane : Si le climat évoluait plus vite qu'à l'heure actuelle — et cela nous paraît possible — et si, en conséquence une grande partie du passage du Nord-Ouest se dégageait, il se pourrait que d'autres pays soient plus actifs dans l'Arctique. Est-ce que votre peuple prévoit quelque chose de ce genre?
M. Amagoalik : Cela fait longtemps que nous nous soucions énormément de la souveraineté de l'Arctique. À nos yeux, la nation canadienne doit s'organiser davantage, car, pour le moment, on dirait que le gouvernement du Canada veut s'occuper à lui seul de la souveraineté, sans vouloir que les autres groupes de la société aient voix au chapitre. Les Inuits ont été laissés de côté; on n'a pas tenu compte d'eux.
Le gouvernement du Canada devrait donner suite à nos accords de revendications territoriales, les mettre en œuvre. Justement, il était prévu qu'on crée un conseil maritime chargé des questions liées au passage du Nord-Ouest. Le gouvernement du Canada devrait collaborer avec ceux du Nunavut et du Yukon ainsi qu'avec tous les organismes de Métis et d'Autochtones qui représentent ceux qui vivent dans cette partie du Canada afin qu'ensemble on s'occupe de la souveraineté de l'Arctique. Le gouvernement du Canada découvrira alors qu'il compte beaucoup d'amis qu'il négligeait.
Le sénateur Adams : J'aimerais faire une observation au sujet des gens déplacés de force à Grise Fiord et à la Resolute Bay.
À l'époque, Martha Flaherty, qui a servi d'interprète, était très jeune. Un livre a été écrit au sujet de notre déplacement forcé depuis Inukjuak. Les gens qui ont subi cela sont arrivés dans un climat différent, et compte tenu du moment de l'année de cette arrivée, les glaces étaient déjà prises et ils n'étaient pas en mesure de construire un igloo ni de faire quoi que ce soit. Nous avons eu un peu de chance toutefois parce que les militaires, l'armée de l'air, je crois, étaient en train de construire la base à Resolute. Les gens se sont donc servis à la décharge publique et ont construit des tentes au moyen de rebuts métalliques. Ils ont ensuite attendu qu'il neige afin de pouvoir construire des igloos.
[Interprétation]
Monsieur Amagoalik, j'ai récemment entendu un Blanc dire que le gouvernement du Canada, s'il ne sait pas clairement quelles sont ses responsabilités et si nous ne lui disons pas les expériences que nous avons vécues au cours des années, ne connaîtra jamais les épreuves que nous avons traversées. Avez-vous pensé à ce que cela pourrait nous coûter?
M. Amagoalik : Oui, j'en ai parlé. Bon nombre d'entre nous continuons de tenir des discussions à ce sujet. Depuis que l'accord sur la revendication territoriale a été mis en vigueur et que nous avons notre propre gouvernement du Nunavut, nous sommes toujours oubliés; pourquoi? Nous sommes les exilés qui avons été relocalisés dans l'Extrême- Arctique. Nous sommes la société oubliée, même au sein du gouvernement et de l'infrastructure actuelle du Nunavut. C'était comme ça dès le départ. C'est toujours le cas aujourd'hui. Nous sommes toujours le peuple oublié, nous, les exilés du Haut-Arctique. Nous devons exprimer nos expériences, notre isolement et notre manque de participation.
Le sénateur Adams : Les Inuits sont éparpillés au Groenland, en Alaska et partout dans les régions circumpolaires. Selon vous, quelle est l'opinion du gouvernement du Canada au sujet de la région circumpolaire?
M. Amagoalik : J'ai mes opinions là-dessus, mais je refuse de les exprimer pour l'instant.
Le sénateur Adams : Plus tôt, vous avez dit que vous travaillez avec la Qikiqtani Inuit Association au sujet de l'exploration minière; je fais partie du Comité sénatorial de l'énergie, tout comme le sénateur Cochrane, juste ici. Si l'exploration minière débute, pourrez-vous participer aux audiences sur les incidences environnementales? Écouteront- ils ce que vous avez à dire au sujet des impacts des mégadéveloppements? Dans votre propre région, comment les Inuits accueillent-ils le mégadéveloppement?
M. Amagoalik : Auparavant, avant que nous n'ayons notre propre revendication territoriale, avant que nous ayons notre propre voix, nous étions silencieux et nous nous contentions d'être des victimes, de sorte que l'industrie minière était totalement libre de s'installer et de commencer à chercher les possibilités de développement exploratoire. Elle n'avait aucune responsabilité environnementale. Elle laissait ses déchets derrière. Elle laissait des produits toxiques derrière, comme des BPC, et des produits chimiques. Elle envoyait des produits chimiques dans notre océan. C'est ainsi qu'on faisait les choses auparavant. Aujourd'hui, des organismes de réglementation sont au courant et assurent le suivi. Nous sommes maintenant les protecteurs de l'Extrême-Arctique et des régions arctiques et nous veillons à la protection de notre environnement.
Nous disposons maintenant d'un processus de réglementation à l'intention des gens qui souhaitent commencer la prospection. Tous doivent maintenant participer à des audiences sur les incidences environnementales et produire des énoncés à cet effet. Ils doivent songer à la faune qui dépend des terres où nous vivons, des eaux arctiques d'où nous tirons notre nourriture et des Inuits, résidents de l'Arctique. S'il y a des incidences sur les bénéfices, nous parlons d'indemnisation. Si des développements doivent être réalisés, nous parlons des ententes sur les répercussions et les avantages pour les Inuits. Nous pouvons maintenant nous exprimer et nous prononcer au sujet des développements proposés. Nous avons notre mot à dire sur la façon dont nous sommes indemnisés pour les dommages subis.
Nous sommes aujourd'hui dans une meilleure situation; nous ne sommes pas tout à fait sur un pied d'égalité, mais nous avons notre mot à dire.
Le sénateur Adams : Je sais que vous avez fait l'expérience de l'exploitation aurifère, de l'extraction de diamants et de l'extraction du minerai de fer. Les minéraux sont partout. Des gens se précipitent au Nunavut pour explorer et exploiter les mines. Disposez-vous d'une stratégie qui vise les intérêts des Inuits? Avez-vous pensé à former des Inuits pour qu'ils prennent le contrôle de l'exploitation minière et de l'extraction des ressources?
M. Amagoalik : Nous devons former des Inuits pour qu'ils deviennent apprentis mécaniciens et techniciens et, ainsi, veiller à ce qu'ils occupent un emploi significatif. Nous faisons des pressions pour que les Inuits s'impliquent grâce à des formations professionnelles. Nous soulignons que nous avons besoin de formation professionnelle. Nous ne voulons plus qu'ils occupent des postes subalternes comme auparavant, comme par exemple des postes de concierge. Nous voulons que nos gens suivent un programme d'apprentissage et obtiennent un diplôme pour qu'ils puissent gagner leur vie.
Souvent, lorsque les sociétés minières se trouvent sur des terres inuites, elles ne changent pas leurs habitudes. Elles agissent comme si elles étaient dans le Sud. Elles réalisent maintenant à quel point c'est difficile. Elles pensaient pouvoir simplement prendre le contrôle, piller la terre et extraire les ressources, mais elles réalisent maintenant qu'il n'est pas si facile de faire de l'exploitation minière dans l'Arctique. Nous faisons face à de nombreux obstacles. Il y a tout d'abord la température, de même que le coût élevé de la vie et du transport de marchandises.
Le sénateur Adams : Que feront-ils à la mine de minerai de fer de Mary River? Quel rôle les Inuits joueront-ils?
M. Amagoalik : Les Inuits se préoccupent du projet de Mary River. La Qikiqtani Inuit Association n'est pas mesure d'exprimer son appui ou son opposition à l'exploitation minière à Mary River. Nous nous en remettons aux membres de notre collectivité et à leur souhait. Si les collectivités voisines sont d'accord, le projet ira de l'avant; mais si elles s'y opposent, nous devrons exercer des pressions en leur nom. Beaucoup se sont dit insatisfaits et inquiets de voir l'océan Arctique utilisé comme route de navigation. Si la navigation se fait 12 mois par année, les habitants de Fox Bay s'inquiètent des effets sur la population de morses, dont les gens dépendent. Il faut poursuivre la discussion; il s'agit d'une discussion suivie.
[Traduction]
Le sénateur Robichaud : Monsieur Amagoalik, on vous a présenté comme le père du Nunavut; je suis certain que lors de toutes les séances auxquelles vous avez assisté, vous avez dû rencontrer les représentants des autres nations circumpolaires. Cela vous a-t-il permis d'établir des conclusions et de comparer la situation des Inuits ici, par rapport à celle des autres nations circumpolaires?
M. Amagoalik : Bien entendu, nous avons beaucoup de points communs avec les autres groupes autochtones de la région circumpolaire. Je pense que tous les peuples circumpolaires ont eu, à un moment ou à un autre, un statut de colonie. Nous espérons que cette époque tire à sa fin. Notre mouvement circumpolaire a démarré dans les années 1970, avec la création du Conseil circumpolaire inuit. Au cours des 30 dernières années, les Inuits de la région circumpolaire ont réalisé de grandes avancées, ont travaillé ensemble et ont obtenu de bons résultats. Ils ont dû s'attaquer à des problèmes complexes et ont trouvé des solutions détaillées à bon nombre d'enjeux nordiques. Nous souhaitons tous que les autres nations puissent travailler de la même façon.
Monsieur le président, je m'excuse de devoir quitter plus tôt que prévu, mais il y a une partie de hockey ce soir et ça pourrait bien être la dernière de la saison.
Le président : Je vous remercie d'être venu. Vous nous avez beaucoup aidés et vous nous avez permis de profiter de votre sagesse et de vos points de vue, et nous l'apprécions vraiment beaucoup.
M. Amagoalik : Merci sénateurs.
Le président : Sénateurs, nous accueillons maintenant M. Waguih Rayes, qui, comme je l'ai remarqué, est avec nous aujourd'hui.
Waghih Rayes, directeur général, Desgagnés Transarctik Inc. : Permettez-moi de commencer par remercier le comité de me donner la possibilité de parler. Je sais qu'il y a une partie de hockey, j'essaierai donc d'être très bref. Je tenterai de résumer mes observations.
Il est certainement indiqué de me présenter de façon adéquate. Je suis Waghih Rayes, directeur général de Desgagnés Transarctik. Desgagnés fournit des services de transport maritime depuis plus de 40 ans au Nunavut et au Nunavik.
Je suis également ici au nom de Nunavut Sealink and Supply et de Taqramut Transport, à titre d'associé directeur des deux sociétés dont les actionnaires sont majoritairement inuits et qui sont chargés de la commercialisation des activités de transport maritime dans le Nord.
J'aimerais commencer par vous dire que je m'intéresse plus particulièrement aux services fournis par la Garde côtière canadienne. Toutefois, c'est inévitable; je parlerai un peu de tout : la souveraineté, le passage du Nord-Ouest, les ports en eaux profondes, et cetera. Selon moi, tous ces éléments se rejoignent dans le Nord. C'est inévitable.
Desgagnés offre des services de ravitaillement par bateau dans le Nord depuis 40 ans. Cependant, lorsque nous parlons de ravitaillement par bateau dans le Nord, nous tenons pour acquis que tout le monde sait ce que cela veut dire, mais le fait est que bien des gens ne savent pas que pour fournir ces services, ce sont des services vitaux dans certains cas, nous devons transporter la cargaison, des barges, des remorqueurs, des chargeuses à pneus et des hommes pour débarquer la cargaison sur les plages. On pense parfois que cela se passe de cette façon seulement dans les pays du tiers monde, mais cela se fait de cette façon ici, dans le Nord du Canada.
Le coût est très élevé en raison de l'absence d'infrastructures portuaires; cela, nous le savons. Cependant, je crois qu'il n'est pas raisonnable de penser que nous pouvons construire des ports n'importe où. Cependant, je crois que les grandes collectivités qui ont grandement besoin de ports à raison du volume des livraisons qu'elles reçoivent devraient en avoir un, et si j'en ai la chance, je pourrais peut-être vous en reparler dans le contexte d'Iqaluit et de sa demande d'enquête.
J'aimerais vous dire que nous, à titre d'industrie, ou de client, avons toujours apprécié l'appui et la collaboration que nous recevons de la Garde côtière du Canada. Nous la mentionnons toujours. En fait, l'automne dernier, j'ai eu l'occasion de rencontrer le commissaire à une activité sociale, et je lui ai dit que chaque fois que j'ai l'occasion de mentionner la Garde côtière, je le fais. Je suppose que c'est ce que je fais aujourd'hui.
Cela étant, il est toujours vrai qu'on ne peut pas donner ce qu'on n'a pas. En tant qu'industrie, nous croyons que la Garde côtière fait de gros efforts, mais comme ses ressources sont limitées, cela pose un problème.
Permettez-moi de vous dire ceci, à titre d'exemple. Je m'occupe du ravitaillement par bateau depuis plus de 20 ans. Au milieu des années 1980, lorsque je dirigeais l'approvisionnement par bateau pour les collectivités inuites du Nunavut — ça s'appelait à l'époque le Nouveau Québec ou la région de Kativik — une grosse cargaison était de l'ordre de 45 000 mètres cubes. Nous mesurons en mètres cubes, plutôt qu'en tonnes, parce que la cargaison est plus volumineuse que lourde. L'an dernier, Desgagnés a livré 250 000 mètres cubes pour le compte de Nunavut Sealink and Supply et de Taqramut. Notre concurrent a livré, pour sa part, au moins 150 000 mètres cubes dans la région de l'Arctique de l'Est. Ce n'est que la pointe de l'iceberg.
Cela m'amène à vous parler du développement économique. Le Nord est en plein essor. Il y a des mines, mais peu d'entre elles ont commencé à produire. Imaginez ce que ce sera lorsqu'elles seront à pleine production.
Au début de l'après-midi, le sénateur Robichaud a demandé ce que représente un gros brise-glace pour les collectivités. Je crois que c'était le sens de sa question. Eh bien, c'est très important. En fait, lorsque le nouveau navire sera construit, peut-être dans sept ou huit ans, il sera insuffisant, car il nous en faudra davantage. Pendant 10 jours au début de la saison et 15 jours à la fin de la saison, nous pouvons accomplir beaucoup avec l'aide de la Garde côtière, qui brise la glace pour nous et permet la navigation et la pêche à la traine en toute sécurité dans le Nord. Chaque jour compte.
De là, nous pouvons aller un peu plus au Nord dans le passage du Nord-Ouest. J'ai été invité à participer à de nombreux événements concernant le passage du Nord-Ouest et la traversée de cette étendue d'eau. Certaines de ces manifestations ont eu lieu en Russie et d'autres, en Europe. Je ne me donne jamais la peine d'y aller. La raison est très simple. Pour nous, l'industrie, le passage du Nord-Ouest c'est l'occasion d'étendre nos services de l'Est vers le centre de l'Arctique, ce qui ne s'est jamais fait auparavant. Le centre de l'Arctique, la région de Kitikmeot, est desservie à partir du Mackenzie, mais avec le gaz et les mines, le besoin de se connecter au reste du monde de l'autre côté de l'Atlantique est évident. Ils auront besoin de services provenant de l'Est. Dame nature nous permet de le faire. Nous les construisons plus gros, plus solides, et d'une certaine façon nous exerçons des pressions, mais nous obtenons de l'aide.
Nous parlons de changement spectaculaire de la température. Au sud de Bathurst Inlet, nombreuses mines sont en voie d'exploitation. Les conditions climatiques, les routes de glace, leur causent des difficultés. Il leur faut de plus en plus de combustible, mais avec le réchauffement de la température, la glace fond plus tôt qu'auparavant, et il se produit deux choses diamétralement opposées. Elles obtiennent moins de combustible; elles prennent de l'expansion; et il y a moins de glace.
Il y a là une certaine logique. D'une part, l'économie est en plein essor. Nous savons qu'il y a des discussions au sujet du Nord ou dans le Nord. Nous savons qu'on parle beaucoup également de la souveraineté canadienne. Nous avons deux choses : la main droite et la main gauche. À mon avis, et c'est une opinion personnelle, ce n'est pas l'opinion de la société, je vivais dans le Nord depuis dix ou 11 ans avant de diriger des entreprises qui font du ravitaillement par bateau. J'entends des choses; je vis des choses. Je crois que, que cela nous plaise ou non, ces deux mains finiront par travailler ensemble; alors pourquoi ne pas le faire d'une manière structurée? Pourquoi est-ce que ces deux mains travaillent chacune de leur côté sans jamais se rencontrer? Elles appartiennent au même corps, au même pays. Nous parlons de développement économique.
J'ai remarqué quelque chose il y a tout juste quelques minutes. Le sénateur Cowan parlait d'autonomie. Eh bien, il y a de l'argent dans l'exploitation des mines et les redevances. Il y a de l'argent, et, en bout de ligne, des impôts. Tôt ou tard, il y aura querelle. Il suffit de regarder la carte. Nous avons la porte d'entrée d'Iqaluit qui est située à un endroit stratégique. On l'a dit aujourd'hui. La mine Nanisivik s'y trouve déjà. Elle a besoin d'un peu d'argent, mais elle est là et peut être exploitée. Puis il y a Bathurst, qui se trouve exactement au centre du passage. Nous parlons de souveraineté. C'est ce dont nous avons besoin, ce croissant, un port. Je ne suis pas un stratège en matière de défense, mais au fond de moi je crois qu'au bout du compte il nous faudra les trois pour le développement économique et pour affirmer notre souveraineté.
J'aimerais ajouter une chose au sujet d'Iqaluit. Un petit port à Iqaluit, avec simplement une infrastructure de base serait un leurre plus qu'autre chose. Je m'explique.
Au début de la saison, il y a cinq ou six navires dans la baie. Deux entreprises livrent une cargaison sèche, il y a peut- être un navire de croisière ou un navire de transport. Si nous avions un port, nous nous demandons si les navires ne seraient pas obligés d'attendre leur tour. On l'a entendu aujourd'hui, ça coûterait très cher.
Nous avons mentionné tout à l'heure que nous devons transporter tout notre équipement. Dans une collectivité comme celle-ci, les gens pensent que ce sera moins cher s'il y a un port. Ce ne sera pas le cas. Si ce n'est qu'un petit port, ce ne sera pas moins cher. Cependant, si on tient compte de nos besoins et qu'on nous fournit une infrastructure convenable — au moins trois postes de mouillage — à des fins militaires, commerciales et touristiques, alors l'investissement en vaudrait la peine. Encore une fois, je crois que pour assurer le développement économique, nous devrons conjuguer r les deux aspects, militaire et commercial. Pourquoi ne pas y songer dès le départ et laisser la main droite et la main gauche travailler ensemble? C'est ce que je pense.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Merci, monsieur Rayes, de nous faire part de vos expériences dans cette région.
Ma question a trait aux brise-glace. Y a-t-il vraiment un besoin pour un énorme brise-glace si on compare ce qu'on a maintenant et si ce ne serait pas mieux ou plus avantageux pour les communautés du Nord d'avoir des installations ici, à Iqaluit? Vous avez dit que si on ne faisait que des installations modestes, cela ne changerait à peu près rien au prix des denrées alimentaires pour les gens de la région. Est-ce que la proposition d'Iqaluit, selon vous, serait des installations modestes qui ne changeraient rien ou est-ce que ce qu'ils proposent pourrait faire une différence?
M. Rayes : Certainement, je comprends qu'il y a eu des discussions après sur d'autres alternatives, mais aussitôt que j'ai vu « un seul quai », je me suis dit tout de suite que c'est sûr qu'il va y avoir un line-up, first come, first serve. Ça va coûter de l'argent. Certaines compagnies vont dire : « On a plus besoin de transporter nos barges, nos « tugs », pour livrer sur la plage, il y a un quai. » Ces compagnies vont devoir charger leurs clients plus cher parce qu'ils vont attendre trois ou quatre jours jusqu'à ce que le quai se libère. Et ceux qui vont transporter leurs équipements, parce qu'ils doivent aller ailleurs après avoir passé à Iqaluit, vont trouver qu'à cause du quai, peut-être que la plage a été négligée. Alors il y a toujours un dilemme. C'est sûr que si l'infrastructure ne répond pas aux besoins réels, l'économie d'échelle ne sera pas réalisée.
La réalité est qu'il y a beaucoup de demande. Cet après-midi, et je ne me souviens pas de quelle présentation, il y eu mention de cinq services ou cinq raisons d'avoir un port. La première raison qui a été mentionnée, c'est le « sealift ». C'est vrai que ce n'était pas dans un ordre de priorité. C'était la première raison. Le tourisme, le fuel et le « fisheries » et tout ça, ça arrive dans d'une fenêtre de cinq mois. Il va y avoir une compétition, sauf si le port permet de recevoir plus, et je pense que ça vaut la peine de considérer que c'est un investissement, pas une dépense. Ça vaut la peine d'étudier la possibilité d'avoir les deux besoins réels dont tout le monde parle aujourd'hui, et de travailler ensemble vers des objectifs communs. Je pense qu'il y a moyen de regarder cela de cette façon, si j'ai bien répondu à votre question.
Le sénateur Robichaud : La construction d'une route vers ce quai, si cela devait se réaliser, serait une des grosses dépenses, n'est-ce pas? Une fois la route construite, il ne coûterait pas tellement plus cher d'avoir trois installations de débarquement plutôt qu'une, et à ce moment-là, si vous n'aviez pas à transporter les barges pour décharger sur la plage, vous pourriez transporter beaucoup plus de biens utiles qui serviraient à la communauté. Ce serait la réalisation de double utilité, n'est-ce pas?
M. Rayes : Dans les faits, cette théorie, on pourrait dire qu'elle a du bon sens.
Le sénateur Robichaud : Vous pouvez me dire que je n'ai pas de bon sens.
M. Rayes : Non. La réalité est qu'un navire qui quitte Montréal, va s'arrêter dans huit ou neuf ports. Il va faire huit ou neuf destinations. Maintenant, on vient de convenir que, pour toutes les destinations aujourd'hui, à l'exception de Nanisivik, Churchill et Raglan, il n'y a pas d'autres ports. Ce sont toutes des plages, alors qu'on le veuille ou pas, il faut continuer à transporter ces équipements. Cependant, c'est pour ça que j'ai mentionné qu'une destination aussi grosse qu'Iqaluit, ça vaut la peine. Pourquoi? L'an passé, les derniers navires ont transporté 16 000 mètres cubes. C'est énorme. La demande est très forte à Iqaluit. Il est vrai qu'Iqaluit peut recevoir un navire « deep sea ». S'il y a un port, peut-être que ce navire-là n'aura pas à transporter l'équipement. Mais, encore une fois, si ce navire arrive pour attendre son tour et perd trois ou quatre jours à raison de 30 000 $ à 35 000 $ par jour, l'économie n'est pas réalisée. Alors, c'est un dilemme.
[Traduction]
Le président : Est-ce que l'industrie songe à construire des navires renforcés pour la navigation dans les glaces? On nous a parlé des Coréens, je pense, qui construisent des navires avec une coque réversible qui leur permet, lorsqu'ils sont pris dans la glace, de faire marche arrière et de briser la glace de cette façon. Que pouvez-vous nous dire au sujet de l'intention de l'industrie de s'équiper de navires renforcés pour la navigation dans les glaces?
M. Rayes : Les navires renforcés pour la navigation dans les glaces sont des navires de cote glace. Nous en avons déjà. Cette cote varie du niveau 1 au niveau 8 ou 9. Plus la cote est élevée, plus le navire est fort, pas seulement la coque mais aussi la puissance du navire.
De nos jours, on construit des navires qui sont plus grands et plus forts. Mais les coûts reliés à leur construction et à la mise en service des navires de côte glace à des fins commerciales sont énormes. Le coût quotidien de l'essence peut tripler dans certains cas.
Les brise-glace comme ceux qu'utilise la Garde côtière canadienne sont forts, mais ne sont pas nécessairement grands. Ils sont forts et sont dotés de puissants moteurs et de fortes coques qui permettent de foncer dans la glace. Ainsi, ils ouvrent la voie à la navigation commerciale. Nous les suivons au besoin. Si tout le monde construisait un navire commercial doté de la puissance d'un briseur de glace ou d'un navire de cote glace, le coût du transport serait très élevé. A mon avis, ce n'est pas une solution économiquement viable.
Le président : Merci beaucoup.
M. Rayes : J'aimerais faire une dernière, mais non moindre, observation. Je veux parler des frais de service de la Garde côtière. À l'heure actuelle, on est en train de prendre une décision au niveau ministériel.
J'aimerais que ces frais disparaissent. À mon avis, facturer des frais au Nord pour n'importe quel service essentiel n'est pas conforme à la Convention de la Baie James et du Nord québécois. L'objectif de celle-ci était de permettre à ses collectivités d'en arriver au même niveau que celles du Sud et d'atteindre un niveau de vie similaire. Je n'entrerai pas dans les détails. Une décision sera bientôt prise. J'espère que l'on décidera qu'il faut éliminer ces frais. Merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole.
Le sénateur Adams : Dès le départ, j'ai demandé à la Garde côtière et au MPO de me parler davantage des frais de navigation qui existent à Iqaluit et dans d'autres collectivités de la région de Baffin. Est-il vrai que la Garde côtière, le MPO, vous fait payer des frais de navigation?
M. Rayes : Dans l'accord, il est écrit que cela exclut les services au nord du 60e parallèle. Cela exclut donc le fait de fournir des services au nord du 60e parallèle, parce que 99 p.100, — et pardonnez-moi si j'exagère un peu — du commerce se fait du sud au nord. Pour d'autres cas, c'était le commerce au nord du 60e parallèle — autrement dit, depuis Iqaluit à Pond Inlet ou de n'importe quel endroit du Nord à d'autres destinations dans le Nord.
Ce tronçon au nord du 60e parallèle a toujours été exclu. Nous, dans l'industrie, avions toujours compris qu'au nord du 60e voulait dire les services fournis à cette région et non aux échanges entre une communauté et une autre localisées toutes les deux au nord du 60e.
Le sénateur Adams : Grâce à la technologie des satellites, vous savez où vous allez. Vous n'avez pas besoin de la Garde côtière pour faire cela. Est-ce que ce n'est pas ainsi que vous fonctionnez maintenant?
M. Rayes : Je ne suis pas un spécialiste dans le domaine, mais je sais que la technologie des satellites nous aide beaucoup.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Les frais d'utilisation qui vous sont relevés par la Garde côtière, est-ce que vous devez les payer de Montréal jusqu'au 60e parallèle?
M. Rayes : Oui. Ces frais-là, nous avons le devoir de les collecter pour la Garde côtière pour tout ce qui est transporté du sud du 60e au nord du 60e, c'est-à-dire de Montréal à n'importe quelle communauté dans le Nord.
Le sénateur Robichaud : Et vous dites que ces frais sont à l'étude actuellement ou est-ce qu'on est en train de considérer d'exiger des frais pour le nord du 60e?
M. Rayes : Je suis au courant qu'il y a eu des recommandations. Il y a un dossier qui est soumis, je pense bien, au ministre pour prendre une décision finale sur ce qu'on devrait faire concernant ces frais-là une fois pour toutes. Il y a eu beaucoup de demandes des usagers de l'industrie et des gouvernements concernés pour que ces frais-là, si minimes qu'ils soient, soient abolis à cause du principe de l'équité envers le Nord et ses besoins essentiels. Ça a toujours été la même réponse, parce que c'est établi et que ça doit être là comme partout au Canada, ce qui est vrai. C'est partout au Canada. Les frais qui sont chargés au Nord sont, en termes de montant d'argent ou de revenu global, minimes par rapport à ce qui est collecté à la grandeur du Canada. Mais c'est l'idée de l'équité envers le Nord qui a toujours été évoquée par l'industrie, les usagers et les gouvernements.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup d'être venu. Votre témoignage a été fort utile.
M. Rayes : Ce fut un grand plaisir pour nous. Merci encore de nous avoir fourni cette occasion.
Le président : Nous allons maintenant entendre le témoignage de Mme Aaju Peter.
Aaju Peter, à titre personnel : Je suis ravie de vous voir tous. Pour ce qui est de la partie de hockey, puisque je suis une adepte des Maple Leafs, je peux donc rester avec vous toute la soirée.
Je n'ai pas préparé de discours, mais je tenais à m'assurer à ce que les Inuits aient voix au chapitre. Je suis certaine que vous avez déjà entendu des témoignages d'Inuits. J'ai vu que John Amagoalik était ici, alors j'aurais pu rentrer à la maison.
J'aimerais que vous regardiez les photos derrière vous et sur le côté. Voilà le paysage dont nous parlons et c'est la région où nous vivons. Iqaluit, que vous visitez aujourd'hui, ne représente qu'une infime portion de notre territoire. Quand vous naviguez à travers cette région magnifique et resplendissante, vous voyez à quel point ce territoire est incroyable et vaste. Lorsque l'on parle du passage du Nord-Ouest, on parle de souveraineté, de naviguer à travers cette région magnifique et, que cela plaise ou non aux Canadiens et aux Inuits, la glace est en train de fondre et nous ne sommes pas en train d'arrêter ce phénomène. Alors quelle est la prochaine étape?
À titre de résidente de ce magnifique territoire, qui appartient au Canada, je peux vous dire que, la chose la plus importante qu'il faille comprendre du Nunavut, c'est qu'il faut tenir compte de ses habitants, parce que c'est notre territoire. Nous en sommes les gardiens et les protecteurs. La nature s'est occupée de nous et les animaux nous ont fourni de la nourriture pendant de nombreuses générations. Nous étions les seuls à être capables de vivre dans cette région. Donc, lorsqu'il est question de navigation, d'envoyer de grands navires du Sud vers le Nord ou les faire passer par le passage du Nord-Ouest, et si vous regardez ces photos magnifiques, il faut tenir compte des Inuits. On ne peut pas simplement dire que le Nunavut n'est qu'un territoire et qu'il n'est doté d'aucun pouvoir. Il ne s'agit pas d'une question de statut. Il ne s'agit pas de savoir qui est plus important. Il s'agit de protéger notre environnement.
Quand vous parlez aux Inuits, vous constatez que 100 p. 100 d'entre eux se rangeront toujours du côté des animaux et de la nature et que tout le reste est secondaire. Une fois que tous les règlements sécuritaires sont en place et qu'on a pris tous les moyens de protection humainement possibles, alors d'accord.
Bien entendu, nous sommes en faveur du développement. Il y a un taux élevé de chômage dans notre région. Bon nombre de nos résidents n'ont pas d'éducation. Pour aller à l'université la plus proche d'ici, je dois parcourir 2 000 milles en avion. Nous sommes le seul territoire à ne pas être doté d'une université. Or, nous sommes en 2008. C'est inacceptable.
Lorsqu'on songe à la souveraineté, aux navires qui vont naviguer dans notre territoire, aux avions qui vont le survoler et à tout ce qui va arriver dans la région, il faut que les Inuits soient les capitaines de ces navires, les pilotes des avions et à titre de membres éduqués à part entière de la société canadienne. Nous votons; nous sommes Canadiens; et notre drapeau flotte ici.
Je ne pourrai le répéter assez. Nous devons être dotés d'une participation égale à tous les niveaux. Rien de moins ne serait inacceptable.
Je travaille sur un bateau de croisière qui navigue à travers ce magnifique paysage et l'Arctique canadien. Nous allons également au Groenland. Nous habitons dans une des plus belles régions de la terre et le tourisme joue un grand rôle dans notre revenu de demain.
Il faut mettre au point un bon nombre de règles et de règlements pour protéger notre environnement : notamment le déversement d'eaux usées sanitaires, la protection de navires, mais aussi l'éducation et la participation à l'industrie des bateaux de croisière.
Je veux le répéter : participation législative. Il doit y avoir une participation inuite dans le passage du Nord-Ouest et à tous les niveaux. Merci.
Le sénateur Robichaud : Merci, madame Peter, d'être venue nous parler.
Vous avez évoqué la question de l'éducation. On a fait valoir un argument semblable en réponse à une question d'un membre de ce comité sur les problèmes de participation des jeunes Inuits à des activités exigeant une instruction collégiale ou universitaire. On a présenté la même difficulté dont vous avez parlé : l'université la plus proche se situe à 2 000 milles, ce qui veut dire que les étudiants doivent quitter leurs collectivités, non pas seulement pour quelques semaines pendant un certain temps. C'est la difficulté majeure. Êtes-vous d'accord avec cette déclaration?
Mme Peter : À mon école, la faculté de droit Akitsiraq, on a composé avec cette distance. En effet, l'université s'est transportée à Iqaluit, où vivent les Inuits. Si les gens ne veulent pas aller à la montagne, il faut déplacer la montagne jusqu'à eux. Le taux de réussite était étonnant. Des mères inuites avec de jeunes enfants faisaient des études de droit, et nous avions un taux de réussite très élevé. On a aussi exigé que l'on nous enseigne les coutumes, traditions et langues inuites dans le cadre de notre formation juridique. Je crois que c'était là la raison de notre succès.
Ce n'est pas tout d'acheminer l'instruction vers les gens. Il faut aussi respecter la langue et la culture inuites et ajuster le système en fonction de cet environnement. Pour les gens qui habitent ici, il faut déterminer les éléments à inclure dans l'enseignement. Quelles sont les coutumes? Sur quoi doit-on mettre l'accent? Si on veut réussir, je crois que ça doit être moitié-moitié.
Le sénateur Robichaud : Étant donné votre expérience avec la faculté de droit, pensez-vous qu'un programme semblable pour les autres professions pourrait réussir?
Mme Peter : Absolument. Nous avons examiné la comptabilité, les finances, le génie et bien d'autres domaines où ça pourrait s'appliquer. On dit que si une université n'a pas des centaines ou des milliers de personnes inscrites à ses programmes, alors ça devient assez coûteux. Il faut vraiment adapter le système en fonction de notre population qui est dispersée sur un énorme territoire. Autrement, on continuera à assister à une pénurie de diplômés.
Même si bon nombre de nos étudiants réussissent dans les universités du Sud, ils en paient le prix. J'ai dû aller à l'école au Danemark, où je vivais éloignée de ma langue et de ma culture. J'en ai payé le prix, et j'étais prête à le faire. Cependant, si on réussissait à faire venir des écoles dans les collectivités ou dans le territoire, on aurait un taux de réussite bien plus élevé.
Le sénateur Robichaud : Y a-t-il des efforts faits dans ce sens?
Mme Peters : Encore une fois, c'est toujours une question d'argent. Nous travaillons actuellement à la deuxième phase, la deuxième cohorte d'étudiants dans un autre programme de droit, et nous espérons pouvoir commencer l'année qui vient. La question de l'argent ressurgit toujours. C'est comme l'histoire de l'œuf et de la poule — qui est venu en premier? Pourquoi ne pas tout simplement investir l'argent et démarrer le processus?
Le sénateur Robichaud : C'est parfois plus facile à dire qu'à faire; n'est-ce pas le cas?
Mme Peters : Pas vraiment. Comme je l'ai dit plus tôt, je viens du Groenland, et lorsque nous nous rendons là-bas nos bateaux peuvent accoster dans des ports. Le Groenland a un environnement très semblable à celui-ci. Pourquoi est- il si difficile pour nous de construire même un seul port, quand eux en ont partout? La quantité d'argent qu'ils investissent en infrastructure et en développement industriel est vraiment incroyable, et ils n'offrent pas toutes ces excuses. Eh bien, c'est une question d'argent. Moi, je pense que c'est une question de priorité. Quelles sont vos priorités?
Le sénateur Cochrane : Avez-vous recours à l'enseignement à distance ici? À partir d'un centre, on peut accéder à des cours dans une salle de classe comme celle-ci. Cela existe à Terre-Neuve et nous avons obtenu d'excellents résultats. On peut même avoir accès à des programmes de l'Université Memorial, en salle de classe comme celle-ci. Les étudiants se présentent et suivent les cours pendant trois ou quatre mois. C'est un programme universitaire. Les résultats sont excellents.
Mme Peter : Oui, cela existe ici. Il y a quelques jours un groupe d'étudiants a reçu une maîtrise en éducation. Nombre d'étudiants qui ont suivi des cours grâce à l'enseignement à distance travaillaient comme instituteurs tout en préparant leur maîtrise en éducation.
Le sénateur Cochrane : C'est très encourageant.
Mme Peter : Toutefois, je tiens à redire que notre école de droit a été un franc succès parce que nous avons pu suivre les cours dans notre propre langue et approfondir nos connaissances de notre propre culture.
L'enseignement à distance, je suppose, serait dispensé entièrement en anglais et l'accent ne serait pas mis sur le territoire du Nunavut ou sur les particularités de cette région. Si je souhaitais devenir un scientifique chevronné, ou exercer un métier qui ne m'oblige pas à être ici, ce serait satisfaisant.
Le sénateur Cochrane : Je suis sûre qu'il y a des gens de votre culture qui ont les qualifications nécessaires pour réaliser cela dans votre propre culture. Il se peut qu'ils ne vivent pas dans le Nord. Ils vivent peut-être ailleurs au Canada ou dans un autre pays, mais ils pourraient très bien faire cela en inuktitut.
Mme Peter : Absolument. Bien des gens qualifiés ici ne vont pas jusqu'au bout de leurs études ou n'entreprennent pas de les pousser, en raison de la distance. Si on ajoutait l'enseignement à distance à un financement accru et à un enseignement supérieur, ce serait formidable.
Le sénateur Cochrane : Tout à fait. Je pense que c'est réalisable.
Mme Peter : C'est réalisable.
Le sénateur Cochrane : Les navires de croisière ont une incidence positive sur l'économie. Les passagers, les touristes, achètent des objets d'art inuit, et cetera. Toutefois, pourraient-ils avoir une incidence culturelle négative dans les petites collectivités? Voyez-vous les choses de cet œil? Elle sourit.
Mme Peter : Je ris beaucoup. J'essayais d'imaginer les impacts négatifs qui pourraient découler du tourisme. Je ne sais pas quoi vous dire. Dans le personnel d'encadrement, il y en a beaucoup qui se déguisent en Vikings et c'est désopilant. Je ne pense pas que cela ait un impact négatif.
Si un gros navire accoste, avec 500 ou 600 personnes à bord, ces gens risquent de détruire en partie un site ancien, s'ils ne prennent pas garde, s'ils ne respectent pas le fait qu'ils se trouvent dans une petite collectivité d'une centaine d'âmes. Voilà pourquoi il est important que les Inuits participent à l'élaboration des règlements et des lois qui régissent le tourisme. Non seulement nous souhaitons que le secteur prospère — je pense que c'est l'avenir de notre territoire — mais nous devons prendre des précautions contre les éventuels impacts négatifs que le tourisme pourrait avoir sur nos collectivités.
J'ai eu la bonne fortune de constater l'incidence positive que nous pouvons avoir dans nos collectivités. Nous embauchons des gens sur place pour qu'ils parlent de leur culture, pour qu'ils nous montrent leurs objets quotidiens, pour qu'ils partagent leur nourriture avec nous, et cetera. Cet aspect s'est révélé très positif.
Le sénateur Cochrane : Merci. Je suis ravie que vous soyez venue.
Mme Peter : Moi aussi.
Le président : Aujourd'hui, un témoin est venu nous dire que si l'on ne respectait pas l'accord sur les revendications territoriales, si on l'enfreignait, les Inuits pourraient contester l'appui qu'ils donnent à la souveraineté. Qu'en pensez- vous?
Mme Peter : Que voulez-vous dire par enfreindre un accord?
Le président : On nous a dit que dans certains cas l'accord de revendication territoriale n'était pas respecté et qu'un ministère donné, par exemple, n'avait pas respecté ses obligations. Aujourd'hui, un témoin a évoqué la possibilité que les Inuits changent d'avis en ce qui concerne la souveraineté canadienne dans l'Arctique, si les choses n'étaient pas redressées.
Mme Peter : J'ai deux opinions contradictoires à ce sujet et je me demande comment il se fait que je puisse avoir deux opinions contradictoires sur la même question.
Le président : C'est possible.
Mme Peter : Absolument. Nous avons réclamé la mise en œuvre de l'accord sur les revendications territoriales. Le gouvernement ne l'a pas mis en œuvre. Dix ans se sont écoulés, et cela signifie que nous ne donnons pas pleinement la possibilité à ces territoires d'exercer ces compétences. Notre statut de territoire nous confère encore moins de pouvoir pour exercer notre compétence dans la région. Le gouvernement a pris possession des terres mais ne respecte pas l'accord signé avec les Inuits. Il ne fait pas sa part. Nous perdons quantité d'argent que les Inuits auraient pu utiliser pour améliorer l'éducation et le niveau de vie de leur peuple et pour développer le secteur du tourisme ou l'exploitation minière ou que sais-je.
On peut dire que si l'accord sur les revendications territoriales n'est pas mis en œuvre, si les conditions du contrat ne sont pas respectées, alors le contrat est défectueux. Je comprends l'argument de ceux qui disent qu'il n'y a pas ici de territoire canadien. Le Canada n'a pas vraiment compétence dans la région. J'hésite à abonder dans le sens de ceux qui disent cela car je ne voudrais pas qu'un autre pays intervienne et s'impose. Nous avons consacré 30 ans à la négociation de cette revendication territoriale, et je pense qu'avant tout, il faudrait voir si le Canada va mettre l'accord en œuvre ou au contraire, le rendre nul et non avenu, s'il demeure lettre morte.
Le sénateur Adams : Dans les écoles, vous avez activement fait la promotion de la langue et vous avez travaillé à sa protection. Contrairement à bien des Autochtones du Sud et de l'Ouest, je pense que nous ne perdrons pas notre langue, qu'elle demeurera vivante. Il se peut que cela s'explique par notre climat froid. La plupart des gens ne veulent pas venir ici quand le mercure marque moins 40 et moins 50. Le grand froid les décourage de venir vivre dans l'Arctique.
Notre langue est l'inuktitut. Le vocabulaire quotidien de la nouvelle technologie doit être intégré à l'Inuktitut. On l'absence d'un équivalent en inuktitut, le mot anglais est utilisé. Les inuktitut vivent dans diverses régions, le Nunavik, le Labrador et le Nunavut et ils parlent divers dialectes si bien qu'il est plus facile d'apprendre l'anglais. Il faut qu'ils aillent à l'école secondaire. Si je ne m'abuse, au Collège de l'Arctique, au Nunavut, il y a des programmes visant à inclure de nouveaux mots, des équivalents pour des mots comme « caméra », dans la langue d'enseignement.
Il existe maintenant une nouvelle politique en matière d'éducation au Nunavut. C'est la loi 21. Cette loi permet-elle de garantir que notre langue perdurera? Ed Picco, ministre de l'Éducation du Nunavut, a comparu devant le Comité sénatorial des transports en février dernier. Le Collège de l'Arctique au Nunavut a recours à l'aide de nos aînés car ces derniers comprennent notre lecture et notre langue, même s'ils ne sont jamais allés à l'école. Que pensez-vous de cette approche parce que vous connaissez bien la langue et la culture?
Mme Peter : Tout d'abord, les Inuits de la région circumpolaire parlent une et même langue. Quelqu'un peut parler son propre dialecte et moi mon dialecte groenlandais et mon dialecte inuktitut. Nous nous comprenons quand même. Nous avons divers dialectes. Nous sommes issus du même peuple mais nos colonisateurs venaient de pays différents et nous avons été séparés pendant 500 ans. Cela dit, le Groenland et l'Extrême-Arctique ont gardé des contacts si bien que leur population parle ni plus ni moins la même langue.
Au Nunavut, ici à Iqaluit, les syllabes sont représentées sous forme de signes. Avec l'orthographie syllabique, mon nom serait Aaju. Au Groenland, on utilise l'orthographie romaine. Par contre, au Groenland, une commission permanente élabore du matériel didactique en groenlandais et s'assure que la langue emboîte le pas à la technologie et à tout ce qui évolue.
J'avais inscrit sur ma liste de choses à faire, la lecture de la loi sur l'éducation. Je ne l'ai pas terminée mais je n'ai pas vu de disposition visant précisément la nouvelle terminologie. À mon avis, on devrait constituer une commission, un comité ou un groupe d'ainés ou de jeunes pour créer une nouvelle terminologie.
Le sénateur Robichaud : Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement est venu ici en février, je pense. Il s'agissait de voir s'il était possible d'offrir aux sénateurs qui parlent inuktitut un service d'interprétation au Sénat du Canada et nous voulions évaluer ce que cela représentait concrètement. On nous a invités à rencontrer le commissaire aux langues du Nunavut qui nous a dit qu'une des responsabilités confiée à son bureau était la création de ces termes techniques qui n'existent pas dans votre langue. Tout terme retenu l'est en consultation avec les ainés et après vérification dans les deux dialectes utilisés principalement au Nunavut. Nous avons été ravis d'apprendre que cela se faisait.
Mme Peter : Oui, c'est le cas et j'aurais dû signaler que les interprètes jouent un rôle important dans l'évolution de la langue car ils doivent interpréter des concepts comme la souveraineté. Le mot ne serait pas compris par un ainé. Les interprètes doivent trouver une traduction ou une interprétation du concept. Pour une grande part, l'évolution de la langue est le fait des interprètes.
Le président : Merci beaucoup d'être venue. Votre témoignage nous a été très utile et nous vous en remercions.
La séance est levée.