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LCJC - Comité permanent

Affaires juridiques et constitutionnelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles

Fascicule 17 - Témoignages du 7 mai 2008


OTTAWA, le mercredi 7 mai 2008

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles auquel a été renvoyé le projet de loi S- 224, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada (sièges vacants), se réunit aujourd'hui à 16 heures pour examiner le projet de loi.

Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous poursuivons donc notre étude du projet de loi S-224, Loi modifiant la Loi sur le Parlement (sièges vacants).

Nous avons le grand plaisir d'accueillir l'honorable Peter Van Loan qui est leader du gouvernement à la Chambre des communes et ministre de la réforme démocratique. Il est accompagné de témoins du Conseil privé en la personne de Dan McDougall, directeur, Analyse et planification stratégique, Réforme démocratique, et de David Anderson, conseiller principal en politiques, Réforme démocratique. Bienvenue, monsieur le ministre.

Honorables sénateurs, le ministre n'a pas un, mais bien deux engagements à 17 heures et nous allons devoir l'écouter attentivement afin de lui adresser des questions qui soient les plus concises possible.

Monsieur le ministre, vous avez la parole pour vos remarques liminaires.

L'honorable Peter Van Loan, C.P., député, leader du gouvernement à la Chambre des communes et ministre de la réforme démocratique : Merci. Je suis heureux de me trouver parmi vous et de voir tous ces visages familiers pour parler de sujets également familiers.

Le débat concernant l'avenir de nos institutions démocratiques repose en fait sur un choix tout simple : le changement, ou le statu quo. Les personnes en faveur du changement s'efforceront de trouver des solutions afin d'aller de l'avant. Celles en faveur du statu quo non seulement s'insurgeront contre tout changement, parfois au moyen d'arguments rusés, mais tenteront d'implanter encore plus le statu quo et de faire obstacle au changement.

Notre gouvernement croit fermement que nos institutions doivent être davantage démocratiques, responsables et transparentes. Autrement dit, elles doivent changer. En ce sens, le gouvernement a préparé le terrain. Depuis notre arrivée au pouvoir, nous avons modifié considérablement les façons de faire à Ottawa.

[Français]

Le Parlement a adopté la Loi fédérale sur la responsabilité qui prévoit des mesures telles que l'interdiction pour les syndicats et les entreprises de faire des dons à des candidats ou à des associations de circonscription; la limite de 1 100 $ par année concernant les dons individuels à des partis politiques; l'élargissement des mesures législatives touchant l'accès à l'information afin d'y inclure Postes Canada, VIA Rail, la Société Radio-Canada, ainsi que des organisations telles que la Commission canadienne du blé; la création de postes d'agents indépendants du Parlement, par exemple le poste à la Direction parlementaire des budgets, poste comblé récemment.

Une mesure législative a été adoptée pour renforcer les règles concernant l'identification des électeurs et pour améliorer le processus électoral. La question du prolongement de la mission en Afghanistan a été mise aux voix au Parlement à deux reprises.

Des audiences parlementaires ont été tenues concernant la nomination du juge Rothstein à la Cour suprême du Canada et deux projets de loi ont été déposés en vue de moderniser le Sénat afin d'en faire une institution démocratique reflétant les valeurs, les principes et les traditions du XXIe siècle. Mais l'opposition s'est montrée extrêmement rigide à l'égard de ces mesures et des autres propositions.

Par exemple, le Parti libéral et le Bloc québécois se sont opposés à la Loi fédérale sur la responsabilité. Le projet de loi visant à offrir aux électeurs davantage de possibilités pour exercer leur droit de vote a été disséqué par l'opposition à l'étape de l'étude en comité, et celui exigeant que les électeurs montrent leur visage au moment de voter est bloqué par l'opposition à l'étape de l'étude en comité.

Le projet de loi concernant une réforme sénatoriale graduelle et qui vise à limiter les mandats des sénateurs à huit ans — comparativement au maximum de 45 ans — et à consulter les Canadiens en ce qui touche leur choix concernant leurs représentants au Sénat, a été retardé et bloqué par les défenseurs du statu quo.

[Traduction]

Cela nous amène au projet de loi S-224, qui vise à obliger le premier ministre à faire des nominations au Sénat dans les six mois suivant la date à laquelle un siège est devenu vacant. Comme je l'ai mentionné plus tôt, il y a ceux qui souhaitent que les choses changent, et il y a ceux qui veulent maintenir voire renforcer le statu quo. Ce projet de loi maintient le statu quo : il aurait pour effet de consolider le processus de nomination actuel et de rendre encore plus complexe tout effort visant à rendre le Sénat plus moderne, démocratique et responsable.

Le gouvernement estime que cela est inacceptable. Nous n'appuierons pas un projet de loi qui obligerait le premier ministre à faire des nominations non démocratiques au sein d'une institution qui ne respecte pas les principes modernes de la démocratie.

Certains sont d'avis qu'il ne s'agit rien de plus qu'une tentative du Parti libéral pour justifier les nominations partisanes au Sénat par un futur premier ministre libéral. Si l'on considère le manque d'enthousiasme des libéraux à l'égard d'une véritable réforme du Sénat, cette hypothèse est loin d'être invraisemblable. Je peux très bien m'imaginer un futur premier ministre libéral justifiant de telles nominations en disant : « Je n'avais pas le choix, c'est la loi qui le veut. »

Chers membres du comité, je vous dis très respectueusement que vous avez le choix. Vous pouvez embrasser le changement et rejeter le statu quo. Vous pouvez vous opposer à ce projet de loi. Vous pourrez collaborer avec le gouvernement pour véritablement changer nos institutions parlementaires telles que le Sénat, les moderniser, les transformer; autrement dit, faire en sorte qu'elles reflètent les valeurs, les principes et les traditions, ancrés dans la démocratie, du XXIe siècle.

Par exemple, nous avons répété que nous étions prêts à considérer d'autres approches. Donc, si un processus de sélection des sénateurs — comme celui que prévoit le projet de loi C-20 — était inclus dans le projet de loi S-224, ce dernier serait considéré comme renforçant la démocratie et la légitimité au Sénat. Mais puisqu'il ne prévoit aucun processus démocratique, le projet de loi S-224 ne fera que maintenir le statu quo en renforçant l'absence de légitimité démocratique au Sénat.

Je viens de vous exprimer mon point de vue et je serai heureux de répondre à vos questions.

Le sénateur Joyal : J'ai eu l'occasion de lire le texte de l'allocution du ministre. Monsieur le ministre, quand le gouvernement a renvoyé le projet de loi S-4 à notre Chambre, notre comité a effectué une étude approfondie de ce texte et recommandé au gouvernement qu'il fasse un renvoi à la Cour suprême relativement à la constitutionnalité de l'article 44. En effet, de quel pouvoir le Parlement dispose-t-il pour modifier des caractéristiques essentielles du Sénat sans l'aval des provinces. Notre comité était arrivé à cette conclusion à partir de mémoires qu'il avait reçus des gouvernements du Québec, de l'Ontario, du Nouveau-Brunswick, de Terre-Neuve-et-Labrador ainsi que d'autres provinces qui avaient exprimé les mêmes réserves.

Pourquoi le gouvernement n'a-t-il pas donné suite à ce rapport, après sa publication? S'il l'avait fait, nous disposerions aujourd'hui de paramètres en fonction desquels le gouvernement ou le Parlement pourrait apporter des changements dans le respect de la Constitution.

M. Van Loan : J'ai déjà dit que, selon nous, ces deux projets de loi sont tout à fait constitutionnels. Tous les théoriciens ayant émis des avis réfléchis sur cette question se sont dit du même avis. Si vous estimez que ces projets de loi ne sont pas constitutionnels, si c'est la conclusion à laquelle vous parvenez après y avoir mûrement réfléchi, alors la logique veut que vous concluiez également que le texte qui vous est soumis n'est pas plus constitutionnel. Les deux s'articulent autour du même fondement constitutionnel. Ils partent du principe voulant que l'on peut apporter des réformes progressives au Sénat dans la façon de nommer les sénateurs sans enfreindre la Constitution. Dès lors, vous ne pouvez voter pour le projet de loi S-224 et insinuer par ailleurs que les projets de loi C-19 et C-20, tels qu'ils se présentent aujourd'hui, sont inconstitutionnels. Voir les choses ainsi c'est faire preuve d'incohérence.

Je ne suis pas en train de vous dire que le projet loi S-224 est inconstitutionnel, mais je peux vous garantir que les universitaires de tout acabit devront se livrer à une véritable gymnastique intellectuelle pour arriver à conclure que ce texte est constitutionnel tandis que les deux autres ne le sont pas.

Le sénateur Joyal : Comme vous êtes juriste, je suis certain que vous comprenez la portée de l'article 44 de la Constitution ainsi que les limites que l'alinéa 42(1)b) impose au Parlement en précisant que la sélection, la nomination ou le choix des sénateurs doit se faire dans le respect de la formule générale d'amendement de la Constitution. Cette formule exige que sept provinces au moins représentant 50 p. 100 de la population du Canada soient d'accord sur tout amendement proposé. C'est précisément de cela dont il est question ici.

Quand je parle des provinces, je ne suis pas en train de tenir un discours politique, parce qu'elles nous ont envoyé des mémoires. Vous connaissez l'appareil gouvernemental et je suis donc certain que les mémoires qui nous sont parvenus et qui ont été signés par les ministres provinciaux des Affaires intergouvernementales sont passés par les procureurs généraux et les ministres de la Justice qui ont dû s'assurer que la position énoncée par leur province était solide.

Tous ces gouvernements risquent fort de devoir un jour défendre leur position en justice. Les procureurs généraux des provinces ont officiellement déclaré que si les projets de loi étaient adoptés tels quels, ils se rendraient devant les tribunaux.

Puisque nous risquons de nous retrouver aux prises avec une longue bataille judiciaire, pourquoi ne pas essayer de régler tout de suite la question dès le début par le truchement d'un renvoi à la Cour suprême du Canada afin de tirer les choses au clair?

Vous vous souviendrez que c'est l'approche qui avait été adoptée en 1977 quand le gouvernement de l'époque avait déposé le projet de loi C-60. Les provinces avaient contesté la position adoptée dans ce projet de loi et le gouvernement avait conclu qu'il valait mieux faire un renvoi à la Cour suprême au sujet du Sénat. Celui-ci, qui fait l'objet d'une décision en 1979, a permis de définir le cadre dans lequel il était possible d'apporter des changements au Sénat.

Je ne vois pas pourquoi le gouvernement s'entête à rejeter cette approche. Les provinces participent de plein titre à la définition de la structure du Sénat. Quatre provinces au moins, qui représentent plus que 50 p. 100 de la population du Canada, ont avisé le Parlement fédéral et l'ensemble des Canadiens qu'elles voulaient tirer la question au clair et s'attaquer à la réforme.

Je suis certain que, si le gouvernement avait accepté de faire ce renvoi à la Cour suprême du Canada, celle-ci aurait pu clairement définir la portée des pouvoirs du Parlement fédéral en regard de l'article 44, c'est-à-dire la durée du mandat des sénateurs. Notre Chambre aurait alors pu tenir compte des paramètres fixés par la cour et disposer du projet de loi en conséquence.

Je ne comprends pas l'entêtement politique du gouvernement, à moins qu'il ne veuille faire passer le Sénat pour un mauvais joueur. Si l'on aborde cette question sous des angles purement juridiques et constitutionnels, il apparaît logique de demander à la cour de tirer toutes ces questions au clair.

M. Van Loan : Les législateurs que nous sommes doivent assumer leurs responsabilités. Nous ne pouvons pas renvoyer toutes les questions que nous nous posons à la Cour suprême avant même d'en avoir débattu entre législateurs. Nous assumons nos responsabilités en la matière et nous prenons les avis qui nous sont donnés, juridiques et autres.

Comme je l'ai indiqué d'entrée de jeu, quand votre comité a étudié ces projets de loi, il a constaté qu'ils étaient tout à fait constitutionnels.

Par ailleurs, vous savez fort bien que les opinions varient énormément d'une province à l'autre. Quand vous adoptez le point de vue d'une province ou deux, vous décidez, délibérément, de faire fi de ce que pensent les autres. On ne peut certainement pas affirmer que les vues de deux provinces, peu importe leurs motivations ou les intérêts politiques en jeu, sont définitives quand d'autres provinces n'ont pas le même point de vue. Je ne considère certainement pas que les points de vue d'une province ou deux marquent la fin du débat.

La grande question revient à savoir si la structure du Sénat est visée. Eh bien non! Elle n'est pas visée par le projet de loi S-224 dont nous sommes saisis et elle n'est pas visée non plus par les projets de loi C-19 et C-20. Aucun de ces textes ne modifie la composition du Sénat en ce qui a trait à la représentation des provinces ou à la discrétion de la Couronne de nommer des sénateurs.

D'ailleurs, le plus contraignant de ces trois projets de loi est celui dont vous êtes saisis aujourd'hui parce qu'il oblige le premier ministre ou le gouvernement à agir d'une manière particulière, ce qui n'est pas le cas des deux autres textes. Si l'on veut juger la chose sous l'angle de la constitutionnalité des dispositions proposées, ce qui justifie le projet de loi S-224, force est de constater que les deux autres textes se tiennent davantage, parce qu'ils sont constitutionnels.

Votre comité devra trancher cette question. Comment pouvez-vous conclure à une certaine orientation pour un projet de loi et à une autre pour les deux autres textes?

J'estime qu'ils sont tous trois constitutionnels, mais ceux d'entre vous qui ont tranché dans un sens pour un texte devront se demander s'il leur est possible de changer d'avis et de faire une pirouette pour les deux autres. J'ai hâte de voir ce que vous allez faire.

La présidente : La vice-présidente du comité a gracieusement accepté de céder ce qui aurait normalement été son temps au parrain de ce projet de loi, le sénateur Moore.

Le sénateur Moore : Merci, monsieur le ministre de vous être déplacé. Dans votre déclaration, on peut lire :

Nous n'appuierons pas un projet de loi qui obligerait le premier ministre à faire des nominations non démocratiques au sein d'une institution qui ne respecte pas les principes modernes de la démocratie.

Nous avons une Constitution qu'il faut respecter. Quand celle-ci est changée, le peuple suit la nouvelle règle de droit. Je ne comprends pas vos propos quand vous parlez de nominations non démocratiques. Je viens de la Nouvelle-Écosse. Eh bien, en vertu de l'entente qui a donné naissance à ce pays, on nous avait garanti 10 sièges au Sénat pour les Maritimes. Actuellement, trois de ces sièges sont vacants dont certains depuis plus de deux ans.

Parlez-moi donc de votre sens du respect démocratique de notre Constitution. Nous avons le droit de veiller à ce que ces vacances soient comblées. Vous pouvez toujours nommer des progressistes conservateurs, des conservateurs, des réformateurs ou peu importe. Personnellement — si la décision m'appartenait — je préférerais qu'il ne s'agisse que de femmes pour favoriser l'équilibre des sexes à la Chambre haute.

Je ne comprends pas ce que vous avez dit au sujet de la loi du pays. Sans l'entente signée par la Nouvelle-Écosse et les autres provinces, il n'y aurait pas eu de Canada. Vous ne pouvez faire fi de cette entente et dire qu'il est maintenant non démocratique de respecter la loi du pays.

M. Van Loan : J'ai du mal à vous suivre. Je m'exprime au sujet d'un principe de la démocratie et de ce que la démocratie représente au XXIe siècle.

Le sénateur Moore : C'est précisément ce dont il est question.

M. Van Loan : Tous les Canadiens, mêmes les Néo-Écossais, sont fortement convaincus qu'il faut réformer le Sénat. Prenons un récent sondage d'Angus Reid où l'on a posé la question suivante : laquelle de ces déclarations exprime le mieux votre point de vue? D'abord : le Canada n'a pas besoin du Sénat. Toutes les lois devraient être examinées par les députés à la Chambre des communes. En réponse à cette question, 38 p. 100 des résidents de l'Atlantique se sont dit d'accord avec l'énoncé. Deuxièmement, on leur a demandé si, partant du principe que le Canada a besoin d'un Sénat, les Canadiens ne devraient pas avoir voix au chapitre dans le processus de sélection des sénateurs. Quarante-quatre pour cent des résidents de l'Atlantique se sont identifiés à cet énoncé. C'est le point de vue dominant. Troisièmement 40 p. 100 des résidents de l'Atlantique se sont dit d'accord avec le fait que le Canada a besoin d'un Sénat et qu'il ne faut pas modifier les actuelles lignes directrices régissant la nomination des sénateurs.

Voilà les Néo-Écossais dont vous parlez. Vous êtes en train...

Le sénateur Moore : C'est aussi...

M. Van Loan : Permettez-moi de terminer. Vous êtes en train de nous dire que vous représentez ces personnes-là. Or, ces gens-là ne vous ont pas donné de mandat démocratique. Vous avez été nommé par quelqu'un qui n'était même pas originaire de la Nouvelle-Écosse. Il est vrai que vous occupez un siège réservé à la Nouvelle-Écosse. Cependant, j'ai l'impression que les résidents de l'Atlantique ne sont pas du même avis que vous quand vous dites que vous illustrez un type de représentation démocratique au XXIe siècle.

Le sénateur Moore : Il se trouve que c'est la loi du pays à l'heure actuelle, que vous soyez d'accord ou pas.

M. Van Loan : Ils n'ont pas l'impression que leurs sénateurs devraient être choisis de cette façon.

Le sénateur Moore : Il est intéressant que le Parti progressiste conservateur, comme vous le savez sans doute, soit le parti qui constitue l'actuel gouvernement minoritaire de la Nouvelle-Écosse. Lors d'un récent congrès annuel, les membres du parti ont dit qu'ils ne voulaient pas élire les sénateurs. Je vous transmets cela à titre d'information, monsieur le ministre.

Passons à l'aspect de ce projet de loi qui concerne la Chambre des communes plus précisément au déclenchement des élections partielles dans l'ordre de réception des demandes d'émission des brefs. Cinquante jours se sont écoulés dans la circonscription de Roberval—Lac Saint-Jean entre le moment où le titulaire est parti et la tenue du vote. S'agissant de la circonscription Toronto-Centre, cette période a été de 259 jours. Les résidents de Toronto-Centre ont ainsi, durant tout ce temps, été privés d'une représentation à la Chambre des communes qui leur est garantie par la Constitution.

Quel bien public peut-on voir dans le fait de tenir une élection complémentaire huit mois et demi après le début de la vacance?

M. Van Loan : Pour ce qui est de votre question principale, soit celle qui touche aux dispositions du projet de loi d'intérêt privé ou plus exactement du projet de loi du sénateur concernant les dates, je n'ai pas d'opinion bien tranchée quant à l'ordre dans lequel il faut déclencher des élections partielles. Je ne suis pas certain que cela réglerait le problème que vous avez mentionné ou qui vous préoccupe. Je ne vois pas de problème à ce que l'on exige que des élections partielles soient déclenchées dans un certain délai. Cependant, dans le contexte actuel, vous savez qu'il n'y a pas de délai fixé à cet égard.

Le sénateur Moore : Je le sais.

M. Van Loan : Cela étant, la situation qui vous préoccupe pourrait tout de même se reproduire dans l'avenir, malgré l'adoption de ce projet de loi.

Si ce projet de loi devenait loi, la situation que vous décrivez — c'est-à-dire qu'un siège peut être ouvert et demeuré vacant très longtemps avant qu'un autre député soit élu, tandis qu'un autre siège serait comblé plus rapidement — pourrait se reproduire.

Le sénateur Moore : Le délai de six mois est là et il obligerait la tenue d'une élection partielle en conséquence. Je ne pense pas que vous ayez raison sur ce point.

M. Van Loan : Vous avez raison dans vos deux remarques, mais aucun délai n'est imposé pour le dépôt des brefs d'élection. C'est un concept intéressant, mais je ne vois pas en quoi il va changer quoi que ce soit. Il y a des raisons pour lesquelles nous voulons disposer d'une certaine souplesse. Nous n'y tenons pas particulièrement.

À l'heure actuelle, par exemple, la circonscription de Guelph est vacante et nous nous attendons à une autre vacance à Don Valley-Ouest. Devrait-on déclencher tout de suite les élections partielles de Guelph? Devrait-on attendre que la circonscription de Don Valley-Ouest se libère pour que les deux circonscriptions soient prêtes en même temps? Je ne sais pas. Cette situation est semblable à ce qui s'est passé au Québec. Il y avait déjà deux vacances, une démission annoncée et une démission à laquelle on s'attendait, ce qui explique pourquoi l'une des vacances au Québec a été comblée beaucoup plus rapidement que les autres étant entendu qu'il est plus rentable de tenir toutes les élections partielles le même jour.

Tous ces aspects sont autant de considérations légitimes. Je n'ai pas d'opinion bien arrêtée à ce sujet, mais je n'ai pas l'impression que ce projet de loi puisse contribuer à régler le genre de préoccupations que vous avez exprimées.

Le sénateur Andreychuk : Les témoins qui ont comparu devant le comité jusqu'ici nous ont dit que, si ce projet de loi était adopté, il contraindrait le premier ministre à agir en vertu de ce qu'il stipule. Quand nous leur avons demandé quel genre de sanction il conviendrait d'adopter contre un premier ministre qui déciderait de ne pas se plier aux exigences de ce texte, on nous a dit qu'il s'agirait de sanctions politiques. Le remède ne serait donc pas juridique au sens général du terme. Ce faisant, nous nous en remettrions à l'opinion du public. Ce sont les sondages suivants qui détermineraient si le premier ministre a agi correctement.

Estimez-vous également qu'il n'y a pas de disposition juridique contraignante pour le premier ministre? Autrement dit, que nous n'aurions aucune sanction?

M. Van Loan : C'est ainsi que j'ai compris le projet de loi.

Le sénateur Andreychuk : L'un des problèmes avec lequel nous sommes aux prises ici, c'est qu'il y a actuellement des sièges vacants et le sénateur Murray a déclaré au Sénat que les autres premiers ministres n'avaient pas comblé les vacances de la Chambre haute pendant très longtemps, surtout dans le cas de certaines régions. Il est possible de retracer cet historique depuis les origines du Canada.

Certains témoins que nous avons entendus au comité nous ont dit que nous en sommes à une situation de crise, que nous avons atteint un point critique. Cependant, quand nous leur avons demandé si nous faisons notre travail, si le sénateur que je suis fait son travail, si les sénateurs de l'opposition font leur travail, ces témoins nous ont dit que c'était peut-être le cas, mais que nous avions un peu plus de difficultés à le faire, étant entendu qu'il y a toujours de bonnes raisons pour expliquer ces difficultés. Ils nous ont dit que c'est dans l'avenir que la situation deviendrait particulièrement critique. Un témoin nous a précisé en des termes peu flatteurs pour le premier ministre — termes que je ne reprendrai pas — que cette situation de crise à venir est attribuable à la nature même de l'actuel premier ministre.

Voici ce qu'a déclaré le premier ministre Harper, le 7 septembre 2006, devant le Comité sénatorial permanent sur la réforme du Sénat :

Le gouvernement préfère ne pas nommer de sénateurs à moins d'avoir des raisons nécessaires. J'ai mentionné une de ces raisons dans le cas du sénateur Fortier. Je peux être franc en disant que nous sommes préoccupés par la représentation au Sénat et par le nombre et l'âge de notre caucus sénatorial. Il est nécessaire pour le gouvernement, même dans le système actuel, d'avoir un certain nombre de sénateurs pour faire le travail du gouvernement au Sénat. Nous ne sommes pas au point où il est nécessaire de nommer certains sénateurs pour remplir cet objectif. Je préfère avoir, à ce moment-ci, un processus électoral où nous pouvons consulter la population au lieu de nommer des sénateurs de façon traditionnelle.

Cela demeure-t-il la position de ce premier ministre et de son gouvernement?

M. Van Loan : Très certainement. Cette déclaration illustre l'essentiel de nos préoccupations face à ce projet de loi. Lors des dernières élections, nous nous sommes engagés envers les Canadiennes et les Canadiens à adopter un processus qui leur permettrait d'avoir voix au chapitre dans le choix de leurs sénateurs. Nous avons déposé un projet de loi qui vise à y parvenir. Il est actuellement à l'étude par un comité législatif spécial de la Chambre des communes. Nous espérons que ce texte finira par être adopté, qu'il deviendra loi et que les Canadiennes et les Canadiens auront leur mot à dire dans le choix des personnes qui combleront les postes vacants pour que les sénateurs soient véritablement représentatifs de la population des provinces qu'ils prétendent représenter et que nous insufflions un peu de démocratie dans tout cela. C'est ce que nous voulons faire.

Si cette loi avait été adoptée avant que tout cela ne se produise, nous aurions pu sauter sur toutes les occasions possibles pour légitimer le Sénat, puisque vous avez vous-même parlé d'une crise. S'il y a une crise de légitimité du Sénat parmi les Canadiens, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas suffisamment de sénateurs, ce n'est pas parce qu'ils sont surchargés de travail, c'est parce qu'ils ne sont pas démocratiquement élus et que le processus actuel n'est pas démocratique. C'est cela que les Canadiens expriment haut et fort quand ils parlent de la légitimité du Sénat.

Je suis conscient que des sénateurs travaillent fort et j'apprécie tout à fait le défi qui incombe plus particulièrement aux sénateurs du parti gouvernemental qui doivent faire leur part, qui doivent faire leur travail, bien qu'ils soient relativement peu nombreux. Quoi qu'il en soit, je pense que nous avons décidé de ne pas continuer à avaliser l'illégitimité d'un corps législatif nommé qui ne correspond pas aux réalités du XXIe siècle. Nous estimons que la solution consiste à favoriser la transition à partir de la situation actuelle qui, je le reconnais, s'inscrit dans une tradition dont il y a lieu de s'enorgueillir. Le Sénat fait partie de notre histoire et les vieux mécanismes en fonction duquel ils fonctionnent reflètent nos racines, c'est indéniable. La Chambre haute a été et demeure dans notre Constitution un lieu constitué de personnes nommées représentant une classe de possédants, une classe d'élites qu'il fallait protéger contre les masses. Cela fait partie de notre histoire. C'est indéniable et ce mode de fonctionnement demeure entériné dans notre Constitution. Or, l'heure est venue d'aller au-delà, de réfléchir sur le fait que nous sommes au XXIe siècle. Voilà la politique de notre gouvernement.

Si ce projet de loi était adopté, cette transition serait plus difficile et prendrait plus de temps.

Le sénateur Andreychuk : J'ai compris de ce que le premier ministre a dit que, si nous en arrivons à un stade de crise, il faudra maintenir l'institution en vie et éventuellement nommer des sénateurs à un moment donné, mais que nous n'en sommes pas encore là.

M. Van Loan : Les Canadiens ne nous ont pas laissé entendre que nous étions en crise. Nous ne pensons pas être en crise et même si j'entends parfois les sénateurs conservateurs dire qu'ils sont débordés et qu'ils travaillent très fort, aucun d'eux ne m'a indiqué qu'il fallait renoncer au projet de loi C-20 et commencer à combler les vacances.

Le sénateur Baker : Monsieur le ministre, comme vous le savez, le Sénat est en train d'étudier le projet de loi C-10 qui a été adopté à la Chambre basse, projet de loi qui comporte une disposition de neuf pages dont personne n'a entendu parler à la Chambre des communes. Le mot « film » n'a été employé à aucune des étapes de l'étude du projet de loi, dans aucun débat ni aucun rapport de comité. Vous ne saviez pas qu'il était là. Tout le monde l'ignorait. Eh bien, c'est un Sénat non élu qui s'en est rendu compte.

Monsieur le ministre, vous avez récemment rencontré notre comité pour nous dire que nous devions adopter la Loi électorale sans la modifier, mais voilà que celle-ci comportait une disposition qui aurait permis de publier la date de naissance de tous les électeurs. Des entreprises de télémarketing auraient pu appeler toutes les personnes âgées au Canada si le Sénat ne s'en était pas mêlé et n'avait pas renversé la décision de la chambre élue, c'est-à-dire de la Chambre des communes.

Dans votre discours, vous aviez dit que les libéraux s'étaient opposés à la Loi fédérale sur la responsabilisation. Il est vrai, monsieur le ministre, qu'un grand nombre de libéraux au Sénat étaient entrés en résistance contre ce texte. Nous nous étions alors objecté à l'adoption d'une infraction punissable par procédure sommaire, dans le cas des candidats ou des agents officiels, infraction qui aurait pu faire l'objet de poursuites 10 ans après les faits. Cette mesure législative était tout simplement honteuse. Ainsi, une poursuite intentée à la suite d'une perquisition au siège du Parti conservateur aurait pu donner lieu à une inculpation, 10 ans après les faits, tandis que le Code criminel parle de six mois. Nous avions recommandé de changer cette disposition, mais vous avez refusé.

Tout ce que je veux dire, c'est que nous effectuons un important travail ici. Nous réparons ce que fait la Chambre des communes. Le sénateur Moore essaie de vous dire que nous devons combler certaines vacances au Sénat. De plus en plus de postes sont en train de se libérer à la Chambre haute. Or, vous ne les combler pas sauf quand vous voulez nommer quelqu'un au Cabinet qui ne peut se faire élire. Le nombre de vacances augmente. Nous avons un important travail à faire, nous devons vérifier, jeter un nouveau regard sur ce que vous faites. Les exemples abondent. Nous n'agirions certainement pas de la même façon si nous étions élus, parce que nous nous comporterions comme des politiciens, comme vous aux communes.

Voici la conclusion logique à laquelle nous conduisent les propos du ministre devant ce comité : les vacances ne seront pas votées et si ce gouvernement est réélu, rien ne changera. Le projet de loi sur un Sénat élu n'a pas été soumis à la Chambre haute parce qu'il n'a pas franchi l'étape de la deuxième lecture aux Communes. Il est demeuré bloqué à cette étape à la Chambre des communes pendant quatre ans. L'Ontario traduira sans doute le premier ministre devant les tribunaux.

Le problème, c'est qu'il y a tous ces sièges vacants à combler au Sénat et qu'il n'y aura bientôt plus personne ici. Avez-vous l'intention de supprimer cette étape de vérification nécessaire dont les Canadiens ont besoin face à l'action de votre gouvernement?

La présidente : C'était sa question.

M. Van Loan : Je sais que c'était une question. Face à quelqu'un d'amer, on ne peut pas en placer une.

Quoi qu'il en soit, si j'ai bien compris, vous posez la question du second regard. Quand je songe à tous les dossiers que vous avez énumérés, je ne peux m'empêcher de penser que ce second regard concerne le caucus libéral. Or, je ne sais pas ce qui se passe au sein du caucus libéral.

Prenons le premier dossier que vous avez mentionné, celui de la divulgation des dates de naissance des électeurs. Cette proposition avait été appuyée par le Parti libéral au comité de la Chambre des communes et ce sont les conservateurs qui s'y étaient opposés.

Le sénateur Baker : Vous avez voté en faveur de la proposition.

M. Van Loan : Non, les conservateurs siégeant au comité s'étaient prononcés contre.

Le sénateur Baker : Mais vous avez voté pour à la Chambre des communes.

M. Van Loan : Uniquement en vertu d'une entente que nous avions conclue pour que le projet de loi soit adopté au Sénat.

Le sénateur Baker : C'est ce que je veux dire.

M. Van Loan : Nous nous y sommes objectés. Quoi qu'il en soit, il était évident que, sans cette disposition et à moins que nous nous prononcions en faveur de ce texte, il n'aurait pas reçu l'appui des conservateurs.

Le sénateur Baker : Autrement dit, « je n'avais pas le choix ».

M. Van Loan : Les libéraux au Sénat n'étaient pas d'accord avec les libéraux à la Chambre des communes qui avaient retourné leur veste et épousé le point de vue des conservateurs, ce que nous avons apprécié. Cependant, les choses auraient été beaucoup plus faciles si le caucus libéral avait commencé par adopter cette position.

Le Parti conservateur n'a jamais changé de position en ce qui concerne la disposition dont nous parlons dans le projet de loi C-10. Ce sont les libéraux qui sont à l'origine de cette disposition qui avait été proposée par Sheila Copps parce qu'elle pensait qu'elle était nécessaire afin de régler le genre de préoccupation qu'elle avait au sujet du financement de l'industrie du cinéma, outre que cette position semblait bénéficier d'un large consensus public. Elle a été régulièrement reprise par les gouvernements libéraux qui se sont succédé et les libéraux ont régulièrement voté pour la faire adopter. Je suis certain que ce projet de loi a été présenté au caucus chaque fois qu'il a été déposé en chambre, mais les sénateurs libéraux n'ont pas soulevé le lièvre lors de ces réunions de caucus et ont attendu que le texte arrive au Sénat pour le faire.

La véritable question est de savoir pourquoi le Parti libéral ne cesse de changer d'avis. Pourquoi les sénateurs sont- ils régulièrement en désaccord avec la position des libéraux de la Chambre des communes? Du côté conservateur, en revanche, nous sommes tout à fait cohérents. Nous n'avons pas eu à jeter un second regard. Nous avons adopté la bonne position dès le début.

La présidente : Monsieur le ministre, je tiens à vous préciser pour mémoire que c'est ce comité qui a recommandé de retirer la date de naissance des listes électorales.

M. Van Loan : Je le sais bien.

La présidente : Nous l'avons fait après avoir entendu le témoignage du commissaire à la vie privée. Cette décision était non partisane.

M. Van Loan : Vous vous souviendrez que je suis venu devant ce comité et que je vous ai signalé, dans mon témoignage, que le Parti conservateur était opposé à l'adoption de cette disposition qui avait été introduite par l'autre parti.

Le sénateur Baker : Effectivement, monsieur le ministre. C'est ce que vous avez fait. Toutefois, vous venez juste d'abonder dans mon sens, n'est-ce pas? Nous ne sommes pas des politiciens ici. Nous sommes la Chambre du second regard.

M. Van Loan : C'est ça.

Le sénateur Baker : Le sénateur Moore dit que, tant que ce problème constitutionnel ne sera pas réglé, soit la façon dont les sénateurs sont élus ou nommés ou se retrouvent ici d'une façon ou d'une autre, vous devriez pour le moins commencer par combler les sièges vacants. Nous sommes investis d'une mission importante. Je vous ai expliqué une partie de notre travail. Vous commettez d'horribles erreurs dans les textes législatifs à la Chambre des communes. Ces erreurs sont scandaleuses. Vous venez de confirmer ce que j'affirme.

M. Van Loan : Je vous répondrai brièvement en vous disant que je ne pense pas que la magie de ce second regard tienne au fait que vous soyez nommés plutôt qu'élus ou désignés à la suite d'un processus de consultation quelconque. Je ne pense pas que ce soit une bonne chose. Je ne pense pas que nous devrions renoncer à la notion de démocratie sous prétexte que certains non élus peuvent jeter un second regard. J'apprécie, certes, le point de vue d'un aristocrate terre- neuvien sur l'importance de recueillir l'avis de non-élus sur certaines questions, mais j'estime que la démocratie demeure une bonne façon de faire les choses. La perfection n'est pas de ce monde et c'est pour cela que les projets de loi sont soumis à autant de lectures. Je crois que les sénateurs élus feront un aussi bon travail, si ce n'est meilleur, et qu'en plus ils jouiront d'une véritable légitimité aux yeux des Canadiens ce qui rendra leurs décisions encore plus acceptables.

Le sénateur Baker : La présidente me permettra-t-elle de rétorquer?

La présidente : La présidente vous inscrit pour un second tour.

Le sénateur Cowan : Bienvenue parmi nous, monsieur le ministre. Je vais répéter la phrase que le sénateur Moore vous a lue et qui est extraite de votre discours :

Nous n'appuierons pas un projet de loi qui obligerait le premier ministre à faire des nominations non démocratiques au sein d'une institution qui ne respecte pas les principes modernes de la démocratie.

Estimez-vous que seules les chambres élues sont démocratiques?

M. Van Loan : Je suis effectivement convaincu qu'au XXIe siècle, il est temps que le peuple ait voix au chapitre dans le choix de ses représentants. J'estime que les Canadiennes et les Canadiens...

Le sénateur Cowan : Croyez-vous que seules les chambres élues sont démocratiques?

M. Van Loan : J'estime que la démocratie repose sur les élections et que tout corps législatif devrait être choisi par le biais d'élections démocratiques.

Le sénateur Cowan : Donc, vous répondez par oui?

M. Van Loan : Oui.

Le sénateur Cowan : Estimez-vous que seules les institutions démocratiques, à la façon dont vous le décrivez, les institutions élues, sont légitimes?

M. Van Loan : Nous avons toutes sortes d'institutions dans notre société. Il y a également des institutions comme les tribunaux.

Le sénateur Cowan : Je ne vous parle pas des tribunaux, monsieur le ministre. Je vous parle de corps législatifs.

M. Van Loan : Le chef de l'État a un rôle à remplir en ce qui concerne la législation qui, je crois, est légitime au sein de notre industrie.

Le sénateur Cowan : Vous croyez qu'à moins que le Sénat du Canada, en tant qu'organe délibérant, soit élu ou choisi, il n'est ni démocratique ni légitime?

M. Van Loan : J'estime qu'il n'est certainement pas démocratique et qu'il n'a pas le genre de légitimité que les Canadiens recherchent.

Le sénateur Cowan : Selon vous, la seule façon de faire en sorte qu'une Chambre haute où ce Sénat soit légitime ou démocratique, consiste à faire élire les sénateurs?

M. Van Loan : Il existe toutes sortes de modèles que nous pourrions suivre, mais je préfère l'approche proposée par notre gouvernement voulant que l'on consulte les Canadiens et qu'on leur demande par qui ils veulent être représentés à l'échelon provincial. Il y a bien des façons d'y parvenir. Il existe de nombreuses variantes quant à la durée des mandats et au rythme de renouvellement des sénateurs. Chez les Américains, les mandats sont de six ans et il y a des élections tous les deux ans. Il existe bien des façons d'aborder la chose, mais nous croyons qu'il faudrait ajouter une pincée de démocratie dans la façon dont nous choisissons les sénateurs.

Le sénateur Cowan : Autrement dit, sans élection, sélection ou consultation, ce Sénat est illégitime et anti- démocratique. C'est ce que vous pensez?

M. Van Loan : Je ne pense pas qu'il réponde aux critères de la légitimité au XXIe siècle.

Le sénateur Cowan : C'est ce que vous pensez?

M. Van Loan : Je ne veux pas trop critiquer un organe qui a joué un rôle légitime dans notre histoire.

Le sénateur Cowan : Je me rends bien compte que vous ne voulez pas critiquer le Sénat.

M. Van Loan : Je pense toutefois qu'il doit changer.

Le sénateur Cowan : Monsieur le ministre, êtes-vous en train de laisser entendre que vous pourriez passer d'un Sénat nommé à un Sénat élu ou composé de sénateurs dont la nomination aura fait l'objet d'une consultation sans toutefois apporter d'amendement à la Constitution et sans consulter les provinces?

M. Van Loan : L'idéal serait bien sûr d'officialiser ce processus en parvenant au genre de consensus qui nous permettrait de régler des questions comme la représentation des provinces, les changements sur le plan de l'évolution de la représentation et la formule de représentation qui est prévue dans la Constitution. Je crois que tout le monde est d'accord sur le fait que cette formule est moins que parfaite.

Le sénateur Cowan : Monsieur le ministre, je ne parlais pas de la composition du Sénat, mais de la méthode de sélection, ou d'élection des sénateurs ou du choix de ces derniers après une consultation. Je veux que vous répondiez à la question.

La présidente : Donnez-lui une chance de vous répondre.

M. Van Loan : Toutes ces questions sont liées.

Je sais que beaucoup de sénateurs de votre parti estiment que seule une réforme d'envergure est envisageable, du moins c'est le message que vous aviez envoyé dans le passé. Force nous est toutefois de constater que ce projet de loi pointe dans une autre direction.

Une réforme à grande échelle porterait sur toutes ces questions et exigerait un amendement constitutionnel. Toutefois, on ne s'entend actuellement pas sur la réforme, pour toute une diversité de raisons, toutes compréhensibles, dépendant des intérêts de chaque province concernée.

L'absence de consensus ne devrait toutefois pas être un obstacle à l'amélioration de la situation, parce que nous devrions faire ce que nous pouvons, dans les limites de nos pouvoirs actuels, pour améliorer la légitimité démocratique du Sénat en apportant des changements, comme la consultation envisagée dans le projet de loi C-20 et les limites de mandat prévues dans le projet de loi C-19.

Le sénateur Cowan : Ce qui fait partie d'un ensemble.

M. Van Loan : Ce sont des propositions indépendantes. Chacune de ces améliorations seraient valables en soi, mais si on les appliquait en même temps, on se trouverait à renforcer davantage la légitimité du Sénat. Je crois que les gens ont des problèmes avec des mandats d'élus qui dureraient 45 ans, mais ce serait toujours mieux que d'avoir des gens nommés pour la même période.

Le sénateur Cowan : Vous aurez du mal à trouver un sénateur ayant passé 45 ans à la Chambre haute, monsieur le ministre.

Soyons clairs. Selon vous, il est possible que le Parlement fédéral passe d'un Sénat nommé, comme à l'heure actuelle, à un Sénat sélectionné ou élu sans consultation, sans la participation des provinces et sans un amendement aux dispositions concernées de la loi constitutionnelle. C'est ce que vous pensez?

M. Van Loan : Laissez-moi vous dire une chose. Vous avez un sénateur parmi vous, Bert Brown, qui a été choisi à la suite d'un processus de consultation. Pensez-vous que sa position au Sénat est illégitime?

Le sénateur Cowan : Absolument pas. Il a été nommé conformément aux dispositions de la Constitution. Nous avons été ravis de l'accueillir.

M. Van Loan : Il a été nommé à la suite d'un processus démocratique. J'estime que cela a considérablement amélioré le mécanisme de désignation au Sénat.

Le sénateur Cowan : C'est votre position.

Le sénateur Merchant : Sur le plan pratique, pourriez-vous me dire quand vous envisagez de faire des nominations? Va-t-on en arriver à un stade critique où vous allez dire que nous avons besoin de plus de sénateurs? Vous avez parlé de changement, mais nous ne savons pas comment ce changement va se dérouler. Que fait votre gouvernement pour préparer le terrain afin que nous commencions à combler les postes vacants?

M. Van Loan : Nous avons l'intention de combler les postes vacants après l'adoption du processus proposé dans le projet de loi C-20. Si des provinces désirent entamer les consultations démocratiques avant l'adoption du processus en question, afin de recommander des sénateurs pour combler les postes vacants, je ne suis pas certain que le premier ministre nommera qui que ce soit. Cependant, il a déjà prouvé par ses actes que c'est ce qu'il ferait et je m'attends à ce qu'il le fasse.

Le sénateur Merchant : Quand pensez-vous qu'il le fera?

M. Van Loan : Cela dépendra de chaque province. J'espère que nous pourrons adopter le projet de loi C-20 durant cette législature. Dans la négative, il sera peut-être adopté lors de la prochaine législature.

Le sénateur Merchant : Si j'ai bien compris, d'ici la fin 2009, près de 30 sièges seront vacants au Sénat, soit un tiers de nos effectifs.

M. Van Loan : Je m'attends à ce qu'il y ait une élection d'ici deux mois. On m'a parlé du mois de juillet dernièrement, mais j'ai aussi entendu parler d'octobre. Je ne sais pas. La date fixe tombe en octobre 2009. Cela ne nous appartient pas.

Quoi qu'il en soit, nous aurons amplement la possibilité d'adopter le projet de loi C-20 et de le mettre en œuvre. Lors des prochaines élections fédérales, plus tard au printemps, nous pourrions choisir des sénateurs démocratiquement élus, ou du moins nous pourrions les recommander. Je pense que les Canadiens seront heureux de voir cela, peut-être dès les prochaines élections fédérales.

Le sénateur Merchant : Pensez-vous que le gouvernement puisse agir unilatéralement pour mettre en œuvre le processus d'élection des sénateurs? Sinon, il faudra du temps pour le mettre en œuvre, parce que certaines provinces ont indiqué qu'elles allaient le contester. Je pense que ce type de changement ne se fera pas en quelques mois seulement.

M. Van Loan : Des provinces pourront toujours le contester. Je pense que si tel devait être le cas, les tribunaux seraient rapidement appelés à trancher, étant donné les enjeux. J'ai confiance dans les tribunaux pour cela.

Le sénateur Tardif : Je suis offusqué par ce que vous avez dit au sujet du manque de légitimité du Sénat. Le Sénat, tel qu'il existe actuellement, a été dûment constitué dans le respect de la Constitution.

Si vous voulez changer le processus de sélection des sénateurs, vous devrez commencer par changer la Constitution. Pour cela, il vous faudra consulter les provinces et, d'après la formule prévue, vous devrez recueillir l'accord de sept provinces représentant 50 p. 100 de la population.

Refusez-vous de vous orienter dans ce sens?

M. Van Loan : Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites à propos de ce projet de loi qui exigerait l'accord de sept provinces représentant 50 p. 100 de la population. Votre position, c'est que pour changer la formule et passer à un Sénat élu...

Le sénateur Tardif : Non, vous parlez des projets de loi C-19 et C-20.

M. Van Loan : Non, je parle du projet de loi S-224, du texte dont vous êtes actuellement saisis. Vous avez dit que tout changement de processus exigera la participation des provinces.

Le sénateur Tardif : La Constitution...

M. Van Loan : Vous avez dit que la formule est enchâssée dans la Constitution et que je dois obtenir l'accord des provinces pour la changer. C'est un des problèmes que pose ce projet de loi. Vous ne pouvez être...

Le sénateur Tardif : Sauf si vous êtes prêts à changer la Constitution. La Constitution dit qu'en cas de vacance au Sénat, le gouverneur général, sur avis du premier ministre, doit nommer quelqu'un — on dit bien « doit nommer ».

M. Van Loan : Effectivement, sur l'avis du premier ministre.

Le sénateur Banks : Ce n'est pas ce que ça dit. Ça dit que le gouverneur général doit nommer...

Le sénateur Tardif : Doit.

M. Van Loan : On ne dit pas que c'est le premier ministre qui doit le faire.

Le sénateur Tardif : Donc, c'est le gouverneur général qui doit le faire. Ce n'est pas une option.

M. Van Loan : C'est exactement la même chose. Cela ne sera absolument pas modifié par le projet de loi C-19, le projet de loi C-20 ou le projet de loi S-224. Ce ne sera modifié par aucun de ces trois textes. Si vous jugez que les amendements constitutionnels sont nécessaires, à ce moment-là vous estimez que des amendements constitutionnels s'imposent également dans le cas du projet de loi S-224.

C'est la position que vous soutenez et c'est ce que j'ai dit au début. Je n'ai pas de problème avec cela. Je crois que ces projets de loi sont légitimes. Vous pourrez toujours en débattre et apporter ces changements sans avoir à modifier la Constitution. Si vous estimez qu'un amendement constitutionnel s'impose pour les autres textes, à ce moment-là il faudra aussi des changements du même ordre pour ce projet de loi.

Le sénateur Tardif : Pas pour le projet de loi S-224, monsieur le ministre.

M. Van Loan : Quelle est la différence? Éclairez ma lanterne. Je ne vois pas de distinguo.

Le sénateur Tardif : Ce projet de loi ne change rien aux caractéristiques essentielles du Sénat.

M. Van Loan : Les autres non plus.

Le sénateur Tardif : Mais si.

La présidente : Nous allons passer à une seconde série de questions, mais avant cela, je veux poser moi-même une question au ministre.

Comme vous le savez, l'article 32 de la Loi constitutionnelle de 1867 dit ceci :

Quand un siège deviendra vacant au Sénat par démission, décès ou toute autre cause, le gouverneur-général remplira la vacance en adressant un mandat à quelque personne capable et ayant les qualifications voulues.

On dit bien « quand un siège deviendra vacant ». On ne parle pas de temps en temps, ni au bon plaisir du gouvernement, ni quand le soleil percera par une journée ennuagée. On dit « quand un siège deviendra vacant ».

Je ne suis pas avocate. Personnellement, j'estime que ces mots sont évidents. Cela étant, comme vous êtes avocat, dites-moi ce que ces mots signifient, selon vous.

M. Van Loan : Il faudrait que je fonde mon opinion sur la pratique passée. Je n'ai jamais entendu parler de sièges qui, s'étant libérés, ont été comblés le jour même.

La présidente : Si je ne m'abuse, l'avant-dernière nomination a été faite dans la semaine qui avait suivi la vacance.

M. Van Loan : Disons que ce serait sans doute la période la plus courte. Bien des sièges sont demeurés vacants pendant longtemps. Cela ne donne pas forcément lieu au genre de situation extraordinaire envisagée dans cette mesure. Je ne vois pas, sinon, pourquoi vous vous embêtez à pousser ce projet de loi si vous pensez que tout cela est déjà prévu dans la loi.

La présidente : Je suppose que c'est parce qu'on utilise les outils qu'on a.

Le sénateur Murray : Je voudrais une précision. Le problème constitutionnel soulevé par les provinces de l'Ontario, du Québec et du Nouveau-Brunswick au sujet du projet de loi C-20 tient à ce que, selon elles, le Parlement du Canada n'a pas le pouvoir d'imposer l'élection ou la sélection, peu importe la terminologie retenue, des sénateurs.

Quand vous dites que le projet de loi S-224 appartient à la même catégorie, je dois vous dire que je ne parviens pas à suivre votre argumentation. Personne n'est en train de dire qu'il n'est pas de notre pouvoir unilatéral de faire ce que le projet de loi S-224 envisage au sujet des vacances au Sénat ou à la Chambre des communes. Pourquoi devrait-on invoquer la formule d'amendement constitutionnel pour appliquer les dispositions du projet de loi S-224? Quel est l'argument?

M. Van Loan : Je ne suis pas plus d'accord avec le fait que vous deviez invoquer cette formule pour le projet de loi C- 19 ou le projet de loi C-20, parce qu'aucun de ces textes ne modifie la représentation des provinces ou la composition fondamentale du Sénat.

Le sénateur Murray : Tout cela tient à la méthode de sélection car, comme vous le savez d'après le renvoi sur le Sénat, il y a déjà longtemps, la question est de savoir si un changement de durée du mandat vient modifier l'une des caractéristiques essentielles du Sénat. Ce que les provinces nous disent, c'est qu'il faut invoquer la formule générale d'amendement dans le cas du projet de loi C-20. Vous dites que, si tel est le cas, il faut faire la même chose pour le projet de loi S-224. Je ne vous suis pas du tout dans cet argument.

Nous contraignons ou cherchons à contraindre le premier ministre dans sa prérogative relative aux élections partielles à la Chambre des communes et au Sénat. Ces questions relèvent évidemment de notre compétence unilatérale, comme vous avez vous-même contraint la prérogative du premier ministre quand vous avez adopté le projet de loi C-16 qui prévoit des élections à dates fixes. Je ne vous suis donc pas dans votre argumentation.

M. Van Loan : J'estime qu'aucun de ces trois projets de loi, pour les mêmes raisons, ne font pas problème à cet égard. Pour ce qui est de la méthode de sélection, les éléments juridiques fondamentaux dont dispose le premier ministre pour recommander une nomination au gouverneur général ou à la Reine ne sont pas modifiés quant à la dimension discrétionnaire. Aucun des trois projets de loi ne modifie cela. Le fait d'exiger qu'une nomination intervienne dans un délai particulier touche au processus de sélection. C'est en partie cette exigence qui modifie le processus de sélection. Je ne suis pas d'accord avec ce fondement, mais si c'est celui à partir duquel vous soutenez qu'il faut apporter un amendement constitutionnel au projet de loi C-20, c'est alors la même chose. Il n'est question de rien d'autre dans ce projet de loi que de processus. Avec ce texte, vous vous trouvez à modifier, à imposer et à limiter le processus. Vous établissez un cadre juridique pour ce processus. Dès lors, si le problème réside dans le processus, les trois projets de loi sont sur un même pied. Indéniablement, il s'agit d'aspects différents d'un même processus, mais il est bien question de processus. J'estime que ces projets de loi sont tous légitimes et qu'ils n'exigent pas d'amendements constitutionnels. Vous ne pouvez pas soutenir qu'il convient d'apporter un amendement pour deux de ces textes et pas pour le troisième.

Le sénateur Murray : Pour en revenir à la suggestion faite par le sénateur Joyal, par moi-même et par d'autres, à savoir que le projet de loi C-20 devrait être renvoyé à la Cour suprême du Canada — je pense que c'est le sénateur Merchant qui vous a parlé de trois provinces — il se trouve que trois provinces ont indiqué que si ce projet de loi recevait la sanction royale, elles contesteraient devant les tribunaux. Vous semblez penser que cette contestation serait rapidement réglée. Vous en savez sans doute davantage que moi à ce sujet, mais il est certain qu'il faudra beaucoup de temps pour que trois causes, entendues par trois cours d'appel différentes, aboutissent devant la Cour suprême. J'estime que si vous voulez vraiment gagner du temps, vous devriez vous adresser directement à la Cour suprême du Canada en lui adressant un renvoi.

M. Van Loan : Vous pouvez toujours soutenir cela dans le cas de lois sur la réforme électorale ou sur le changement de processus électoral, mais je ne pense pas qu'il soit nécessaire de commencer par un renvoi à la Cour suprême en vue de modifier la Loi électorale du Canada, parce que le changement aura un effet sur les élections suivantes. N'importe qui pourra s'y objecter.

Le sénateur Murray : Monsieur le ministre, trois provinces ont clairement énoncé leur intention. Nous avons connu ce genre de situation en 1980, quand le gouvernement Trudeau a finalement eu la bonne idée de s'adresser directement à la Cour suprême du Canada.

M. Van Loan : Dans toute situation de ce genre, il faut s'attendre à ce que certains aient recours à des mesures injonctives et il appartient alors aux tribunaux de déterminer s'il convient de faire droit à de telles mesures injonctives eu égard aux circonstances.

Le sénateur Murray : Il va falloir que vous nous précisiez cela.

M. Van Loan : Si la situation était urgente à cause de la proximité d'élections, les tribunaux traiteraient de la chose en urgence. Même si la cause n'aboutissait pas devant la Cour suprême, les tribunaux de ressort compétent rendraient une décision qui aurait ce genre d'impact. Cela ne m'inquiète pas.

Le sénateur Murray : Dans la province concernée.

M. Van Loan : Non. Vous avez parlé des provinces et de leurs points de vue. En réalité, il faut considérer que chacune constitue une position politique qui traduit leurs intérêts.

Le sénateur Murray : Quant à vos intérêts à vous, ils ne sont pas politiques, vous vous élevez au-dessus de ça.

M. Van Loan : L'une des provinces dont vous avez parlé est celle-là même qui a changé d'avis quand son gouvernement a changé. Cela prouve bien que nous avons à faire à des positions politiques. Nous sommes satisfaits de l'opinion juridique que nous avons obtenue, opinion que vous avez vous-même recueillie par la voix d'éminents juristes qui vous ont dit que le processus appliqué convient, que le projet de loi C-20 serait constitutionnel, que le projet de loi C-19 serait constitutionnel et, par le fait même, que le projet de loi S-224 dont vous êtes saisi le serait également.

La présidente : Il reste assez de temps pour une brève question du sénateur Banks.

Le sénateur Banks : Je vois une différence et j'aimerais que vous me disiez ce que vous en pensez. La Constitution parle d'un changement fondamental dans la nature du processus de sélection. L'actuel projet de loi établit quand le premier ministre doit faire une recommandation au gouverneur général, mais pas s'il y est obligé. Il n'empêche pas le premier ministre de le faire. Les deux autres projets de loi contraignent la liberté d'action du premier ministre parce qu'elle exige de celui-ci, du moins par déduction, qu'il nomme toute personne sélectionnée, peu importe le processus appliqué, à moins que vous ne nous disiez que le premier ministre peut, dans tous les cas, faire fi de la sélection et nommer quelqu'un d'autre.

M. Van Loan : Légalement, le premier ministre pourrait faire fi de la sélection. Ce pouvoir discrétionnaire n'est pas modifié par le projet de loi C-20. Je crois qu'il y aurait des pressions politiques comme dans le cas de ce projet de loi. Quelle est la conséquence de ce projet de loi? Celui qui ne respecte pas la loi, on finit par en payer le prix politique. Il en irait de même d'un premier ministre qui ne nommerait pas une personne ayant été démocratiquement élue. Il en paierait le prix politique.

La question qui se pose sur le plan de la constitutionnalité est celle de la contrainte imposée au premier ministre et de l'existence de l'organisation. S'il faut que les sièges soient comblés et si cela, comme la présidente l'a indiqué, doit se faire par le biais de nominations, n'importe lequel de vous pourrait se pourvoir en justice avec cette question. Vous pourriez demander l'application d'une mesure injonctive, d'un mandamus, afin que le premier ministre comble les sièges vacants. Si aucun de vous n'est prêt à suivre cette démarche, alors je m'attends...

Le sénateur Murray : Êtes-vous en train de nous donner une opinion juridique?

M. Van Loan : Ce que je vous dis, c'est que tel n'est pas le cas et que si personne ne l'a fait, c'est ce que ce n'est pas nécessaire.

La présidente : Comme le programme de contestation judiciaire n'existe plus, il risque d'y avoir un problème de financement.

M. Van Loan : De financement pour les malheureux sénateurs appauvris.

Le sénateur Milne : Vous êtes ministre de la Réforme démocratique. Vous en tenez-vous à la décision de votre gouvernement d'avoir laissé les citoyens de Toronto-Centre sans représentant élu pendant plus de huit mois? C'est ça, la réforme démocratique?

M. Van Loan : Il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles on peut ne pas pouvoir déclencher une élection partielle avant un certain temps. Je ne vois pas de gros problème avec ce que dit le projet loi, bien que je ne sois pas certain que celui-ci concerne la situation dont vous parlez. Je ne suis pas certain que celui-ci permettrait d'éviter le genre de situation que vous avez évoquée. Celle-ci n'a rien d'exceptionnel et elle s'explique. On peut vouloir attendre de tenir une série d'élections partielles en même temps dans une grande région.

On peut ne pas vouloir tenir d'élections partielles pour éviter d'entrer en conflit avec des élections provinciales, des élections municipales et autres considérations du genre. Je sais que l'on a tenu compte de tout cela. Je ne pense pas qu'en règle générale les dispositions concernant les élections fassent problème.

Le sénateur Milne : Je suis surpris que vous puissiez défendre une période de latence de huit mois sans sourciller, monsieur le ministre.

M. Van Loan : Ce n'est pas la première fois que ça se produit. Je n'ai rien contre ce que vous proposez dans le projet de loi.

La présidente : Honorables sénateurs, nous en sommes au point où nous allons devoir tenir parole envers le ministre et le libérer à 17 heures. Je pense qu'il est 17 heures. Notre comité est sur le point de passer à huis clos.

Nous n'avions pas invité les fonctionnaires à rester sur place, mais avant que vous ne partiez, messieurs, j'aimerais savoir si des sénateurs désirent vous poser des questions. À condition qu'on vous permette de rester.

Le sénateur Joyal : J'ai une simple question à poser. Je viens de lire le mémoire qui nous a été présenté et je ne suis pas d'accord avec ce qui y est dit. C'est une déclaration politique. Je suis resté sur ma faim, parce que je m'attendais à lire une argumentation juridique ou constitutionnelle sur la nature de ce projet de loi et sur l'exercice de la prérogative du premier ministre. Nous avons entendu des témoins à ce sujet qui nous ont parlé des problèmes que la question de la prérogative soulève sous l'angle de la Constitution. Je suis certain que vous avez lu les délibérations de notre comité. Je m'attendais à ce que les deux pages que nous avons reçues aujourd'hui contiennent au moins un paragraphe répondant à ces questions-là.

Je me passerai de vos commentaires à ce sujet, mais il se trouve malheureusement que ce mémoire est un discours politique. C'est bien. Le ministre vient nous rencontrer, il a un point de vue politique et il fait des déclarations politiques. Je n'ai rien contre cela. Cependant, ce mémoire ne nous éclaire pas beaucoup dans notre tentative visant à comprendre les répercussions juridiques de ce projet de loi en ce qui a trait à l'application de la prérogative ou à l'encadrement de la prérogative du premier ministre en matière de recommandation des nominations au gouverneur général.

Je tiens à vous dire que, quand les fonctionnaires viennent nous voir en compagnie de leur ministre, je ne cherche pas à empêcher le ministre de faire des déclarations politiques, parce que c'est son droit. D'un autre côté, vous comprendrez que notre comité doit étudier ce projet de loi sur le fond et en fonction de ses répercussions constitutionnelles. Or, ce document ne nous dit rien sur ces plans-là.

Je ne sais pas si vous pourrez nous en dire davantage, par écrit ou autrement, mais je peux vous dire que je suis mécontent que ces aspects du projet de loi n'aient pas été abordés par le ministre ni par les fonctionnaires, à partir du texte dont nous sommes saisis.

Dan McDougall, directeur, Analyse et planification stratégique, Réforme démocratique, Bureau du Conseil privé : Je pourrai peut-être vous dire deux choses. Sénateur, je pense que le ministre a en partie traité de la question de la constitutionnalité dans ses remarques. Je suis d'accord avec vous qu'il ne l'a pas fait dans sa déclaration d'ouverture, mais il vous a fait part de son point de vue et du point de vue du gouvernement qui estime que le projet de loi ne soulève pas de problème sous l'angle constitutionnel et que ce qu'il propose est constitutionnellement valable.

S'agissant des autres éléments de la prérogative, un sénateur a fait un rappel au Règlement lors du débat sur ce projet de loi au sujet de la sanction royale et je crois savoir que le président a rendu une décision indiquant que la sanction royale dans ce cas n'était pas nécessaire. Cette décision touchait évidemment à la prérogative. Votre comité dispose donc d'une décision du président du Sénat à cet égard.

Le sénateur Joyal : Vous êtes donc convaincu que ce projet de loi est constitutionnel?

M. McDougall : Oui.

Le sénateur Moore : Êtes-vous les conseillers juridiques du ministre?

M. McDougall : Nous ne sommes pas ses conseillers juridiques, nous sommes ses conseillers politiques.

Le sénateur Moore : L'avez-vous aidé à préparer son intervention?

M. McDougall : Pas celle-ci, non.

Le sénateur Moore : Le ministre nous a dit que les provinces ne devraient pas faire obstacle au changement, mais il ne voit rien de mal à passer outre les droits actuels des provinces. Tout le débat sur la démocratie et la réforme démocratique s'articule autour de la primauté du droit. Nous avons une Constitution que le ministre ne semble pas juger nécessaire de respecter. Je veux savoir...

La présidente : Il est sur le point de poser sa question, sénateur Andreychuk. Il vient de dire « Je veux savoir ».

Le sénateur Moore : Je veux savoir ce que vous pensez de la primauté du droit et si, selon vous, la Constitution du Canada, dans son état actuel, devrait et doit être appliquée comme telle jusqu'à ce qu'elle soit modifiée.

M. McDougall : Je suis tout à fait d'accord avec vous, sénateur.

La présidente : Messieurs, je vous remercie beaucoup, d'autant que nous vous avons retenus tandis que nous ne vous en avions pas prévenus. Nous apprécions de nous avoir permis de le faire.

Honorables sénateurs, nous allons maintenant passer à huis clos pour étudier une ébauche de rapport de même que les travaux futurs du comité.

Le sénateur Andreychuk : Madame la présidente, vous nous avez fait parvenir un avis indiquant que nous allions passer à une étude article par article.

La présidente : C'est une des choses dont nous allons parler à huis clos.

Le comité poursuit ses travaux à huis clos.


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