Délibérations du comité sénatorial permanent des
Langues officielles
Fascicule 3 - Témoignages du 10 mars 2008
OTTAWA, le lundi 10 mars 2008
Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui à 16 h 3 pour étudier, afin d'en faire rapport de façon ponctuelle, l'application de la Loi sur les langues officielles, ainsi que des règlements et instructions en découlant, au sein des institutions assujetties à la Loi.
Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Nous allons commencer la réunion. C'est une occasion tout à fait spéciale aujourd'hui puisque le Comité sénatorial des langues officielles a entrepris l'étude de la culture francophone au Canada et reçoit cet après- midi des représentants de l'Ouest du Canada, du Nord ainsi que des Territoires du Nord-Ouest.
J'aimerais rappeler à ceux qui nous écoutent aujourd'hui que les arts et la culture font partie des principaux axes de développement des communautés francophones et acadienne à travers le pays. Le comité a entrepris cette étude qui nous permettra de mieux comprendre les enjeux des communautés francophones en situation minoritaire et leur engagement pour la diversité culturelle.
La défense de la culture francophone au Canada implique également une meilleure définition des liens entre le Québec et les communautés francophones en situation minoritaire.
Permettez-moi de vous présenter nos témoins invités à prendre part à la table ronde cet après-midi. Nous avons, par vidéoconférence, M. Jean Johnson, président du conseil d'administration de l'Association canadienne-française de l'Alberta et M. Stéphane Rémillard, directeur général du Conseil culturel fransaskois. En personne, ici à Ottawa, nous avons Mme Johanne Dumas, représentante de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique, Mme Diane Bazin, gestionnaire du développement communautaire à la Société franco-manitobaine et M. Fernand Denault, président de la Fédération franco-ténoise.
La table ronde d'aujourd'hui a pour objectif d'étudier l'état de la culture francophone au Canada. Nous recevons l'ensemble des témoins qui représentent l'Ouest et le Nord du Canada, et nous planifions rencontrer à une date ultérieure des représentants d'autres communautés ainsi que des organismes gouvernementaux et des associations nationales du secteur des arts et de la culture. Nous en sommes au tout début de notre étude.
Tel qu'on vous l'a indiqué, chers témoins, nous allons vous donner cinq à sept minutes pour votre présentation et ensuite, les sénateurs poseront leurs questions.
En tant que présidente du comité et au nom de nos membres, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation de comparaître devant nous aujourd'hui. Je vous invite maintenant à prendre la parole, en commençant par MM. Johnson et Rémillard et nous poursuivrons avec les témoins à Ottawa.
Jean Johnson, président du conseil d'administration, Association canadienne-française de l'Alberta : Madame la présidente, le sujet que nous abordons aujourd'hui a une importance vitale pour la Francophonie albertaine dans un contexte de modernisation et dans le concept d'une vision globale.
La Francophonie en Alberta devient, depuis les dernières années, un carrefour mondial grâce à la migration et à l'immigration. Lorsqu'on parle de migration, on parle bien sûr de nos concitoyens canadiens de l'Est du pays, mais aussi de nouveaux arrivants qui viennent se relocaliser en Alberta pour des raisons économiques évidentes pour tous.
Nous travaillons présentement sur un plan de société dans laquelle la Francophonie s'inscrit comme une communauté linguistique plutôt qu'une communauté culturelle traditionnelle. Alors, de dire que nous sommes une communauté de Canadiens français en Alberta, cela allait jusqu'à il y a 20 ans. Mais depuis les cinq dernières années, on voit une évolution rapide et marquée.
Par contre, en Alberta, un des éléments que nous comprenons très bien et au sujet duquel on se fait souvent ramener à l'ordre, c'est au niveau de la communauté traditionnelle qui est forte et fière de son héritage, qui nous donne la fondation essentiellement pour la communauté émergente, il s'agit de la communauté traditionnelle de Canadiens français franco-albertains. C'est une base importante pour la nouvelle Francophonie qui vient s'installer en Alberta. Il importe de signaler que la communauté traditionnelle est une communauté qui a dû lutter et qui reconnaît l'importance de revendiquer ses droits; on le fait depuis toujours, et cela est un fait historique peu connu de la part des nouveaux arrivants. Lorsque je parle des « nouveaux arrivants », je parle de la migration et de l'immigration.
Pour vous donner un exemple, en 2005, nous avons lancé un concours dans notre communauté pour changer le nom de l'Association canadienne-française de l'Alberta, justement pour sortir le mot « canadien-français », qui faisait état d'une époque et d'une population, afin d'être plus ouvert et plus inclusif au niveau de nos messages. Le projet n'a pas eu le succès escompté, mais il nous a ramené à l'ordre quant à l'importance d'accorder beaucoup d'attention au patrimoine francophone de l'Alberta. Lors du processus, nous avons donné l'impression d'avoir négligé la place et l'identité des gens qui s'identifient à l'expression « canadien-français ». Avec force, ces gens se sont mobilisés et ont bloqué le résultat. Nous demeurons encore l'Association canadienne-française de l'Alberta. Nous avons appris que lorsque nous parlons à des groupes, nous devons trouver des formules inclusives, tant auprès de la communauté traditionnelle que des nouvelles communautés.
Un défi auquel nous faisons face aujourd'hui concerne la création d'une société civique commune. Nous sommes à reconstituer, en Alberta, une communauté francophone reposant sur la fondation construite par la communauté d'accueil, c'est-à-dire bâtir sur un patrimoine culturel solide. La redéfinition de cette Francophonie est importante, car la Francophonie albertaine miroite essentiellement la ville de Toronto, par exemple, dans sa diversité culturelle.
Il est important aussi de noter que la majorité des francophones de l'Alberta ne sont pas nés en Alberta. Dans nos discours et interventions, soit auprès des médias anglophones ou auprès du gouvernement albertain, nous travaillons très fort pour nous assurer que les gens comprennent que la Francophonie albertaine, ce n'est pas une communauté culturelle, mais une communauté linguistique de part égale avec la société de langue majoritaire en Alberta, la communauté anglophone. Notre but est de bâtir cette Francophonie à l'intérieur de la société civile albertaine. Notre objectif est de reconstituer cette Francophonie de façon à permettre aux Québécois, aux Acadiens et aux Congolais de vivre pleinement leur culture et leur identité en Alberta.
Je vais dresser un profil de la Francophonie en Alberta. Il est important de le comprendre parce que sur le plan de l'impact de la notion des arts et de la culture, il faut sortir du traditionnel et commencer à penser en fonction d'une nouvelle réalité, c'est-à-dire une réalité diversifiée quant aux valeurs culturelles, à l'expression culturelle et à l'expression des arts.
Le défi est de demander à une communauté — qui est déjà étirée tant au niveau des ressources humaines que des ressources financières — de créer d'autres occasions pour promouvoir ces expressions culturelles qui font la richesse et le dynamisme de cette belle communauté francophone en Alberta.
Quels sont, selon nous, les défis du gouvernement fédéral? Nous croyons que le gouvernement fédéral a un rôle à jouer comme porteur du dossier ou responsable de toute la notion des valeurs canadiennes de diversité et de dualité linguistique. Lorsque je dis « dualité linguistique », je ne parle pas du bilinguisme canadien, mais plutôt de dualité linguistique où il y a deux langues officielles égales. Donc dans le contexte culturel, dans celui des arts et dans celui du quotidien, cela doit se manifester et être reconnu.
Le gouvernement fédéral devrait inclure des clauses lorsqu'il signe des ententes avec les provinces. Il faut faire une place aux francophones. Il devrait donc y avoir une clause qui dit ce que le gouvernement fait pour les communautés linguistiques minoritaires de la province ou du territoire. Le gouvernement canadien, dans plusieurs de nos grandes villes, a l'occasion de créer et d'alimenter cet espace francophone avec l'affichage.
Il y a encore beaucoup de travail qui pourrait être fait dans la création d'un espace francophone à partir des efforts du gouvernement fédéral, également par le biais de l'offre de services active. Plutôt que d'être proactif, il faut offrir un service en français. Le gouvernement devrait assumer cette responsabilité, ce qui devrait être évident pour tous, mais cela ne l'est pas nécessairement lorsqu'on se présente à un guichet du gouvernement fédéral.
Je viens donc de vous donner un profil de l'ensemble de la Francophonie en Alberta, reconstituée dans un contexte moderne.
Stéphane Rémillard, directeur général, Conseil culturel fransaskois : Madame la présidente, ma présentation comporte trois éléments dont le premier sera axé sur les caractéristiques de la communauté fransaskoise; le deuxième point sera axé sur les défis culturels rencontrés par la communauté et le troisième portera sur l'appui du gouvernement fédéral auprès des communautés.
Succinctement, j'aimerais simplement présenter la communauté fransaskoise avec ses principaux critères et éléments qui la caractérisent. Tout d'abord, c'est une communauté de souche, qui représente environ deux p. 100 de la population. Évidemment, il y a de plus en plus une composante externe, c'est-à-dire des apports extérieurs qui viennent en Saskatchewan, mais à la base, il y a des communautés qui existaient depuis le début de la province. C'est une population qui est très disséminée sur l'ensemble du territoire, mais elle est concentrée surtout au nord et au sud. Cela représente énormément de contraintes en termes de déplacements et d'efforts pour amener les gens à se regrouper.
Historiquement, c'est une communauté qui a l'épiderme assez dur parce qu'elle a rencontré beaucoup de difficultés au cours de son histoire; des épisodes parfois assez difficiles. Par exemple, pendant les années 1920 avec le Ku Klux Klan et aussi pendant la période de la première réforme scolaire des années 1950 où les francophones ont été submergés dans le bassin anglophone. Également, pendant quelques décennies, il n'y a eu aucune possibilité d'éducation en français. On parle ici de ce qu'on appelle les générations perdues en Saskatchewan.
Malgré tout, la communauté a réussi, avec beaucoup d'efforts, à développer un réseau associatif qui a été efficace dans certains cas pour la survivance du français en Saskatchewan. On pense entre autres à la ACFC — l'ancêtre de l'ACF — qui a mené le dossier de l'éducation en français avec brio. On pense aussi au CCS quant aux dossiers économiques ou, plus récemment, à la Commission culturelle fransaskoise, dans les années 1970, qui ont permis un travail efficace sur le plan de la diffusion des produits culturels et du développement des arts et de la culture auprès des artistes.
Ces éléments ont joué un rôle important. Cependant, l'élément qui a fait une différence importante en Saskatchewan, c'est évidemment le tournant avec le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau avec la Loi sur les langues officielles. C'est un peu comme si on avait ouvert les fenêtres dans une chambre où l'on étouffait depuis trop longtemps. Cela a donné une pulsion nouvelle à cette époque et le réseau associatif s'est bonifié et a beaucoup prospéré.
On se rend compte qu'avec la Loi sur les langues officielles, il y a eu une évolution sociologique en Saskatchewan dans les rapports entre la majorité et la communauté francophone, entre autres. Sur le plan de Statistique Canada, on a tendance à identifier une diminution du nombre de parlants français, des gens qui parlent français au foyer. D'un autre côté, ce que les médias ne font pas ressortir, c'est qu'on a de plus en plus de francophiles et de parlants français, souvent des gens qui font partie de la majorité ou qui sont des immigrants.
On dénote aussi une transformation sociologique déterminante : il semble que ce que nous appelons les groupes ou les tendances antifrancophones soient en déclin, ce qui crée un renversement des tendances porteur d'une modernisation de la communauté fransaskoise, soit une communauté plus ouverte à l'immigration et aux groupes extérieurs enrichissant la communauté.
Je crois donc qu'il faut considérer les dernières statistiques de façon positive. L'analyse doit s'effectuer différemment. Par exemple, on pourrait cesser d'observer les gens utilisant le français au foyer, mais regarder plutôt ceux qui sont aptes à parler le français et qui sont prêts à construire une communauté francophone en Saskatchewan.
J'arrive à la deuxième partie sur les défis culturels.
La communauté fransaskoise rencontre un certain nombre de défis identifiés et étudiés sous tous leurs aspects. C'est l'une des caractéristiques des rapports avec le gouvernement fédéral. Par exemple, on parle beaucoup des ménages exogames; c'est une réalité qui influence beaucoup le phénomène d'assimilation en Saskatchewan. L'idée est d'emmener ces ménages à adopter le français davantage.
L'accès aux services en français est un autre défi très important pour nos communautés ainsi que l'accès à du matériel culturel francophone et l'absence de réseaux de distribution pour les produits culturels durables. Le CCF y travaille très fort depuis plusieurs années. On a développé le réseau de diffusion des spectacles pour essayer de contrer cette problématique. Le réseau fonctionne et est très efficace, c'est l'un des gros succès du CCF.
Au niveau de l'intégration des immigrants francophones, il se fait un travail intéressant du côté de l'ACF qui commence à donner des résultats.
Le CCS voit aussi à la problématique de l'exode des jeunes et travaille présentement, au niveau économique, sur le développement d'une stratégie afin de ramener nos jeunes en Saskatchewan et les y garder.
Bref, au niveau des défis, le réseau associatif est très efficace. Il s'occupe beaucoup de ce qu'on appelle les macroproblématiques. D'un autre côté, il y a aussi ce qu'on appelle les microproblématiques qui sont plus dépendantes des courants, soit des tendances politiques ou des événements qui interfèrent sur l'évolution normale de la communauté fransaskoise.
L'abolition du programme de contestation judiciaire a eu un impact très important en Saskatchewan. Suite à cet événement, on a pu observer que certains groupes avaient tendance à glisser, si je peux utiliser ce terme, sur les services qui normalement devraient être offerts. Tout le monde connaît probablement le dossier de M. Bell de la Saskatchewan avec la Gendarmerie royale du Canada. L'absence du programme de contestation judiciaire a fait que la procédure n'a pas pu être poursuivie. Une autre plainte vient d'être déposée devant le Commissaire aux langues officielles, et dans ce cas, on ne parle plus ici de zone unilingue anglaise, mais d'une zone bilingue où la GRC n'a pas été capable d'offrir un service en français.
Cette tendance devient un peu inquiétante. Nous avons la forte impression que l'abolition de ce programme a provoqué un laisser-aller général au niveau des services en français dans les institutions fédérales. La dynamique derrière cela serait que les francophones sont bilingues, donc ce n'est pas grave. Non, au contraire, c'est très grave parce que, si on prend pour acquis que les francophones sont bilingues pour ne pas donner de service, on accélère le processus d'assimilation qui est déjà un phénomène très fort en Saskatchewan.
Cela m'amène évidemment à parler de l'appui du gouvernement fédéral aux efforts faits par le réseau associatif pour répondre aux différentes problématiques, qu'elles soient micro ou macro. Beaucoup de promesses ont entouré la dernière entente Canada-communauté qui arrive bientôt à terme. On nous a amenés à penser à un plan de développement global, à adopter une gestion axée sur les résultats, toutes des choses qui paraissaient positives; on avait l'impression d'être dans les ligues majeures. Le problème indirectement causé par cette approche, c'est que les organismes communautaires se sont retrouvés avec un surcroît de responsabilités et peu de financement, ce qui fait que beaucoup d'organismes, dont le CCF et bien d'autres, ont dû vivre avec des réalités un peu contraignantes. Sur cinq ans, en Saskatchewan, on a connu un gel du financement couvrant une période de quatre ans. En réalité, on pourrait presque parler de « permafrost » en matière de financement des organismes en Saskatchewan.
Sans trop entrer dans les détails, j'ai pu noter au moins cinq conséquences observables au niveau des organismes en ce qui concerne les effets du sous-financement.
La première, c'est la dégradation générale des conditions de travail et salariales. Au CCF seulement, par exemple, le salaire d'un employé qui est avec nous depuis 1992 n'a pas été ajusté depuis au moins dix ans. Quand il a joint l'équipe, son salaire équivalait à un enseignant avec plus de cinq ans d'expérience, aujourd'hui il équivaut à celui d'un enseignant qui commence tout juste sa carrière.
Une autre conséquence du sous-financement, c'est le roulement des employés. Au niveau des organismes communautaires locaux, la durée de vie d'un employé dans son poste est d'à peine un an et demi. Au niveau des organismes provinciaux, on se rend difficilement à trois ans. Cela amène non seulement un problème de roulement, mais aussi un problème de continuité dans le travail. Au CCF, nous sommes très chanceux d'avoir un pilier avec nous depuis 1992 et quelques autres employés qu'on essaie de maintenir du mieux qu'on peut.
Ensuite, nous constatons malheureusement la dégradation de la qualité des services ainsi que la diminution des services. Dans plusieurs cas, les contraintes budgétaires ont obligé les associations à éliminer des services. Au CCF, on a entre autres éliminé des activités comme le Fransask'art, une retraite pour les artistes multidisciplinaires. C'était une belle occasion de création pour ces artistes. On essaie de le relancer, mais ce n'est pas évident dans le contexte du statu quo au niveau du financement. Un programme de financement pour les artistes avait disparu également, mais j'ai réussi à le rétablir en 2006 avec, malheureusement, des sommes bien inférieures à ce qui existait auparavant. Fantascripte, une revue pour initier les jeunes du niveau secondaire à l'écriture a également dû être éliminée.
Un autre phénomène qu'on observe dû au sous-financement et au nombre très restreint de programmes, c'est une forme de cannibalisme administratif, c'est-à-dire que la concurrence pour le financement entre les associations en Saskatchewan est tellement forte qu'on en arrive presque à se pénaliser les uns les autres dans le processus. La solution, je crois, se trouve peut-être dans le développement d'enveloppes séparées selon les secteurs. Les arts et la culture pourraient avoir une enveloppe distincte du secteur communautaire, et encore là, une enveloppe spécifique pour les organismes locaux alors que les organismes provinciaux pourraient piger à une autre source, ce qui éviterait que les organismes, entre eux, se concurrencent.
Il y a aussi toute la question du fardeau bureaucratique. Actuellement, beaucoup d'associations passent plus de temps à préparer des rapports qu'à vraiment livrer le travail sur le terrain.
Une dernière source d'inquiétude pour nous, en Saskatchewan, c'est que le marché de l'emploi devient extrêmement compétitif, et dans un contexte de statu quo du financement, nos associations ont de plus en plus de difficultés à soutenir cette concurrence. C'est encore plus troublant face au développement de l'industrie pétrolière qui exerce une pression à la hausse sur les salaires. Sans un redressement, d'ici peu, les meilleures ressources vont quitter le réseau associatif pour des salaires plus intéressants ailleurs. Je crois qu'il est impératif que la prochaine entente Canada- communauté considère sérieusement cet aspect.
La présidente : Nous entendrons le prochain témoin, M. Daniel Cuerrier, directeur général de l'Association des francophones du Nunavut, qui nous fera une brève présentation.
Daniel Cuerrier, directeur général, Association des francophones du Nunavut : Madame la présidente, je tiens d'abord à préciser que le Nunavut semble très loin et presque exotique, mais on est beaucoup plus près que nos voisins des Territoires du Nord-Ouest ou de Vancouver. Malgré mon retard, on n'est qu'à quatre heures de vol d'Ottawa.
Je commencerai non pas en brossant un tableau des défis du Nunavut, mais en parlant plutôt des possibilités et des espoirs que l'on nourrit. J'habite au Nunavut depuis 20 ans. En fait, c'est faux, car le Nunavut a été créé en 1999, mais j'habite la ville d'Iqaluit qui s'appelait Frobisher Bay avant 1987. À cette époque, il y avait environ 200 francophones à Iqaluit et aujourd'hui on en compte plus de 700.
Malgré les chiffres de Statistiques Canada, on pense que la population francophone au Nunavut compte environ 1 000 à 1 200 personnes. La raison de cette grande différence dans les chiffres, est due au fait que beaucoup de francophones issus de mariages exogames, lorsqu'on leur pose des questions à Statistiques Canada, disent qu'ils sont Inuits et parce que dans la communauté inuit, on adopte facilement.
Un leader inuit disait : « First Canadians, Canadians first ». C'est d'abord et avant tout être Inuit et ensuite francophone ou anglophone. Bien que la communauté francophone soit toute petite au Nunavut, elle possède quand même une commission scolaire, une école, une radio communautaire, une garderie, une coopérative de tourisme, un comité de développement économique et un autre en santé.
L'organisme porte-parole au Nunavut est l'Association des francophones du Nunavut. Bon an mal an, cela coûte au gouvernement fédéral environ 600 000 dollars pour « s'acquitter de ses responsabilités ». Je déteste l'expression parce qu'il ne s'acquitte pas, il fait en sorte que la communauté francophone ne crève pas.
Pour sa part, le gouvernement du Nunavut investit environ 600 000 dollars également dans la communauté francophone. Cela représente un tour de force compte tenu des grands défis du gouvernement du Nunavut. Cela représente également une grande manifestation du respect que l'on porte aux langues officielles chez nous.
Quand il est né en 1999, le Nunavut a hérité des lois en vigueur aux Territoires du Nord-Ouest. M. Denault qui est ici pourra en témoigner. Il n'est pas évident de vivre en français dans les Territoires du Nord-Ouest parce que le gouvernement fédéral ne s'occupe pas de respecter sa Loi sur les langues officielles.
Le jugement Moreau sur la Loi sur les langues officielles a démontré que la Loi sur les langues officielles était une bonne loi pour les Territoires du Nord-Ouest tout comme pour le Nunavut puisque nous en avons hérité. C'est une loi qui pourrait protéger les droits des francophones, mais qui ne le fait pas, faute de volonté politique.
Il ne faut pas perdre de vue que la situation des Territoires est très particulière. Contrairement aux provinces, c'est en somme le gouvernement fédéral qui est en mesure de dicter aux gens et aux gouvernements territoriaux quoi faire, comment le faire et comment respecter les lois.
Depuis maintenant neuf ans, le gouvernement du Nunavut tente d'établir un gouvernement malgré tous les défis. C'est un gouvernement qui est très jeune, qui apprend tout juste à gouverner, qui s'organise bien qu'il soit aux prises avec toute une gamme de problèmes, qu'ils soient d'ordre environnemental, éducationnel, financier, social, et cetera.
Pourtant, on a l'occasion ou presque la chance de travailler avec un gouvernement qui fait montre de beaucoup de bonne volonté. Pour mettre les choses en perspective, 1 000 personnes cela semble très petit comparé à la grandeur du Canada. Ce qu'il faut prendre en considération, c'est que la population totale du Nunavut s'élève à environ 30 000 personnes. Elle se répartit sur deux millions de kilomètres carrés, c'est-à-dire à peu près 20 p. 100 de la superficie du Canada. Inutile de vous dire que les défis sont gigantesques, ils sont à la mesure de l'Arctique.
Malgré ces défis, à travers ses essais et ses erreurs, ce gouvernement unique au pays fait montre à l'égard de sa minorité francophone, qui correspond à environ 3 p. 100 de sa population, d'une bonne volonté qui ferait l'envie d'à peu près toutes les autres communautés linguistiques de langue officielle au Canada.
Tantôt je vous parlais des fonds que le Nunavut investit dans sa petite communauté francophone. Je veux aussi mentionner que l'automne dernier, le gouvernement Nunavut a déposé en première et deuxième lectures un projet de loi sur les langues officielles qui refond la loi héritée des Territoires du Nord-Ouest.
Le projet de loi en question fera de cette loi la meilleure loi sur les langues officielles au Canada. Elle a été rédigée en bonne partie en consultation et en partenariat avec la minorité francophone. Elle a aussi tenu compte des recommandations émises par la juge Moreau dans les Territoires du Nord-Ouest. Une fois adoptée, c'est une loi qui impose l'égalité réelle des langues et l'instauration d'un plan global de mise en œuvre, la nomination d'un ministre de la Langue, même le trilinguisme municipal.
Il ne faut pas perdre de vue que c'est la seule juridiction au Canada qui compose avec trois langues officielles : la langue de la majorité de la population qui est la langue inuit, la langue dominante qui est l'anglais, et le français qui est en deuxième minorité.
Mon intervention d'aujourd'hui se résume à une chose, et c'est la raison pour laquelle je vous interpelle, membres du comité. C'est que pour qu'elle puisse entrer en vigueur, cette loi devra obtenir l'assentiment du Parlement canadien et par voie de conséquence, celui du Sénat.
La communauté francophone du Nunavut a donc besoin de votre appui. Elle a besoin de votre appui pour que le gouvernement du Canada adopte le plus tôt possible cette nouvelle loi sur les langues officielles. Il faut que le gouvernement du Canada attribue les budgets nécessaires pour permettre une mise en œuvre pleine et entière. Finalement, il faut que le gouvernement du Canada revienne sur sa décision et instaure de nouveau le Programme de contestation judiciaire pour faire en sorte qu'on ait à nouveau les outils pour faire les pressions nécessaires dans les cas où la loi n'est pas respectée.
Sur ce, je voudrais vous souhaiter unusakut, comme on dit chez nous, qui veut dire bonne fin de journée.
La présidente : Nous allons maintenant donner la parole à Mme Johanne Dumas, la représentante de la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique.
Johanne Dumas, représentante, Fédération des francophones de la Colombie-Britannique : Madame la présidente, je représente la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique, mais je suis à l'embauche d'une communauté historique en Colombie-Britannique, soit la communauté de Maillardville qui aura 100 ans en 2009. Je suis directrice générale de la Société francophone de Maillardville.
J'aimerais partager avec vous notre situation qui n'est pas tellement différente de celle des autres communautés francophones en milieu minoritaire dans l'Ouest canadien. Je vous donnerai le contexte de notre réalité, la situation géographique de la Colombie-Britannique. Les francophones de la Colombie-Britannique ne sont pas rassemblés dans une même région, ils sont littéralement partout en province. De là un fait intéressant, mais aussi un défi. Le fait qu'on soit répartis un peu partout dans la province, il n'y a pas d'importantes communautés francophones comme on en retrouve par exemple au Manitoba, où plusieurs communautés francophones sont plus proches l'une de l'autre. C'est un des défis importants de notre province et de notre Francophonie.
C'est aussi la réalité avec laquelle on doit vivre dans le grand Vancouver, puisque le français n'est pas du tout majoritaire, la langue la plus parlée à Vancouver étant le mandarin. Je n'ai donc pas à vous dire que la réalité et les besoins de la Francophonie canadienne dans cette province ne sont pas une priorité et continuent de ne pas l'être compte tenu des défis quotidiens que rencontrent les regroupements culturels là-bas.
Le développement culturel dans notre province se fait bien, encore une fois malgré le manque d'appui de la province. À cause du manque d'appui de la province et du gouvernement fédéral, l'enveloppe ne s'est pas vraiment élargie lors de la dernière entente Canada-communauté, ce qui fait en sorte que les communautés ont de moins en moins d'argent du fait que la communauté est grandissante. Il y a énormément de francophones qui viennent s'installer en Colombie- Britannique pour le climat, les montagnes et le besoin, pour les jeunes, de venir s'immerger dans un milieu anglophone. Mais leur instinct de survie et de vivre des choses en français existe, il n'y a aucun doute. Comme il y a de plus en plus de communautés francophones et d'associations francophones, les parts de la tarte sont de plus en plus petites. C'est un défi auquel on doit faire face de façon quotidienne.
Notre nouvelle Francophonie aussi est migrante, provenant beaucoup de l'Ontario et du Québec, pour s'immerger dans un milieu anglophone. Mais il y aussi une nouvelle Francophonie qui est une Francophonie du monde. On voit de plus en plus des minorités visibles venir s'installer chez nous. C'est bien, mais même si ces minorités sont des minorités visibles, la communauté francophone demeure, de toute façon, une minorité invisible aux yeux de la communauté asiatique grandissante en Colombie-Britannique. Rien ne démontre que nous sommes francophones; que l'on soit du Sénégal ou de Montréal, personne ne sait que nous sommes francophones : on nous voit comme un Blanc ou comme un Africain.
On a la chance d'avoir un milieu scolaire qui grandit aussi. Heureusement, de plus en plus, les écoles anglophones en Colombie-Britannique ferment; dans notre région, de Coquitlam à Maillardville, il y a près de cinq écoles qui ont fermé en juin dernier — et c'est juste dans notre région, on est à 20 kilomètres de Vancouver. Je n'ai pas à vous dire que dans toutes les autres régions, il y a d'autres écoles qui ferment, le ministère de l'Éducation doit rencontrer de gros défis. Pour ce qui est du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, c'est une population grandissante; c'est le seul conseil scolaire en Colombie-Britannique qui grandit alors que tous les autres ferment.
Parmi les choses importantes que l'on doit réaliser, il y a les Jeux olympiques qui arrivent à grands pas. Comme vous le savez, en 2010, le monde visitera Vancouver-Whistler. On est très fier de cela, mais on a de gros, gros doutes quant à la place qui sera donnée à la Francophonie.
À la Société francophone de Maillardville, on a un évènement annuel qui s'appelle le Festival du bois. Parmi les activités du festival, nous avons élaboré un projet d'art visuel pour lequel on a invité une dame de la région de Joliette experte dans la confection de ceintures fléchées. Je l'avais rencontrée lors d'une exposition au musée de Joliette. Elle a apporté des artefacts et des ceintures pour démontrer l'importance des ceintures fléchées dans la culture canadienne française. Le Festival du bois a été invité à faire partie de la fameuse olympiade culturelle de 2008 en vue du COVAN. Je pourrais vous faire parvenir des exemplaires du programme pour vous démontrer la piètre qualité de la traduction informant le monde entier de cet événement. On retrouve le même problème sur le site Internet du COVAN, le Comité olympique de Vancouver. Le terme de « ceinture fléchée » qui, en anglais, se traduit par « arrow sash », avait été traduit par « carquois » qui est, bien sûr, un étui à flèches. Ils ne se sont pas tués à la tâche! C'est le genre de choses auxquelles la Francophonie en Colombie-Britannique doit faire face. C'est un peu insultant. Ils ont sept traducteurs à leur emploi. On a des questionnements là-dessus, mais aussi sur la programmation. On sait que la Fondation canadienne sur le dialogue se penche sur la réalité du contexte francophone durant les Jeux olympiques de 2010. On espère bien que notre Fédération des francophones de la Colombie-Britannique ainsi que le conseil culturel et artistique de notre province travailleront avec eux pour s'assurer que le français est bien en vue. Je pense que c'est une opportunité, non seulement pour la Colombie-Britannique, mais pour tout le Canada français entier, incluant le Québec, de faire valoir la dualité linguistique de ce pays. C'est une des grandes chances qu'on a, cela se passe chez nous, cela aurait pu se passer ailleurs. Je demande sincèrement au Sénat de faire valoir l'importance de la présence de toutes les communautés francophones lors des Jeux de 2010.
La présidente : Merci, madame Dumas. Notre prochain témoin sera M. Fernand Denault, président de la Fédération franco-ténoise.
Fernand Denault, président, Fédération franco-ténoise : Madame la présidente, on aimerait bien comparaître devant vous et vous donner de bonnes nouvelles. Cela viendra si on continue à travailler aussi fort; c'est un travail d'équipe et dans l'équipe, vous êtes certainement des joueurs très importants. Le Sénat a démontré, à travers vous, un très grand leadership. C'est triste qu'au Parlement, on n'ait pas vu la même chose. Par contre, un jour peut-être, on pourra convaincre les autres de la bonne démarche à suivre. Félicitations et merci de l'invitation.
Dans les Territoires du Nord-Ouest, la communauté francophone est organisée un peu plus comme les provinces; on a des communautés actives à partir de la mer de Beaufort, le delta du Mackenzie et Inuvik, jusqu'à Fort Smith, qui est à la frontière de l'Alberta, et au nord du lac, la capitale, Yellowknife, au sud du lac, la communauté de Hay River, autrefois connue sous le nom de « Rivière au foin ».
On est quand même très actifs, et même si nous rencontrons des défis majeurs, notre réalité est exactement la même que celle que l'on peut retrouver dans l'Ouest canadien, avec en prime les défis accrus des distances et des coûts de transport.
Dans le cadre de nos dossiers culturels, nous ne bénéficions d'aucune augmentation depuis 12 ans. Essayez de gérer un budget familial avec un budget établi il y a 12 ans pour voir si vous pourrez maintenir ou même continuer votre activité. C'est notre réalité.
On peut dire que la diversité culturelle n'est pas quelque chose de nouveau pour nous. Le Nord a toujours été, à ma connaissance, cosmopolite. On voit dans les écrits historiques, lors de l'expédition Franklin, que même son équipage, les voyageurs, contenait des éléments multiculturels. Il y avait même un Italien, si je me souviens bien. Avec l'industrie des mines qui a régné longtemps dans le Nord canadien, les Territoires du Nord-Ouest, la main-d'œuvre est parvenue longtemps de partout au monde.
Par contre, nous avons, au pays, quelque chose d'unique, dont on est fier, qui s'appelle la dualité. C'est un fait qui est maintenant supporté par 72 p. 100 des Canadiens. Sénateur Murray, vous vous rappelez, il y a 20 ans, c'était l'inverse : il n'y avait que 25 p. 100 des Canadiens qui supportaient l'idée de la dualité.
Beaucoup de progrès ont été faits, mais il n'est pas évident que nos politiciens devancent l'opinion populaire. On pourrait même dire qu'il y en a qui traînent de la patte. Espérons un jour que les votes soient assez importants pour respecter l'opinion du peuple.
Il a déjà été mentionné plus tôt que nous avons des défis additionnels. C'est vrai. Tristement, le gouvernement des Territoires du Nord Ouest ne respecte pas ses obligations envers nous. Ce qui est encore plus triste, c'est qu'un juge de la Cour suprême des Territoires du Nord Ouest a constaté une discrimination à notre égard. Il a imposé au gouvernement des réparations, cela a été contesté et progresse toujours devant les tribunaux canadiens. On attend présentement la décision d'une cour d'appel. Le Programme de contestation judiciaire est très important dans toute matière constitutionnelle. Lorsqu'un citoyen n'est pas respecté par son propre gouvernement, cela fait dur!
De plus, la cour a aussi constaté le laisser-aller du gouvernement fédéral envers la création de son institution qui est le gouvernement des Territoires du Nord Ouest. Comme vous le savez, la création du gouvernement des Territoires du Nord Ouest relève directement du ministère des Affaires indiennes et du Nord. On a témoigné une telle action récemment lors de la création du Nunavut. Cela n'a pas exigé de grandes consultations nationales; simplement la signature d'un ministre fédéral. C'est notre réalité.
On s'efforce toujours d'améliorer notre sort et cela ne va pas si mal, même si c'est peut-être difficile à imaginer lorsqu'on vient d'ailleurs — vous ne pouvez pas avoir d'aussi pires cauchemars. Le nombre d'alliés augmente toujours et on a des acquis. Les parents, par exemple, encore à travers les tribunaux, ont pu obtenir des écoles et la gestion des écoles. Si, un jour, on pouvait dire qu'on obtient quelque chose sans l'aide des tribunaux, ce serait fantastique.
Peut-être que nous, les francophones du pays, on pourrait soumettre la question de l'unité nationale. Peut-être qu'un citoyen francophone pourrait se sentir citoyen égal d'un bout à l'autre du pays. Peut-être que cela pourrait enlever certaines insécurités qui nourrissent les divisions internes qui ne semblent jamais vraiment disparaître. Quand on a une solution, elle nous coule souvent entre les doigts. Bang! C'est parti et on ne la voit plus. On se demande alors ce qu'on a fait de mal parce qu'on n'est pas allé au noyau de la question.
Le noyau de la question, c'est qu'un francophone, canadien, citoyen de ce pays, a de la misère à se sentir chez lui d'un océan à l'autre à l'autre. C'est quasi impossible dans le climat actuel. Pourtant, on s'est donné les outils pour régler ce problème, mais on ne semble pas avoir le leadership fédéral nécessaire pour réaliser des objectifs. Notre sens identitaire de citoyens francophones canadiens, dans ce continent américain, est fortement menacé si la langue et la culture ne font pas partie de notre vie. L'élément culturel est très important pour nourrir le sens identitaire de l'enfant et le maintenir jusqu'à l'âge adulte. Cela se perd vite. Des fois, on le tient pour acquis et c'est notre pire temps.
La dualité linguistique culturelle de notre beau pays est appuyée par 72 p. 100 de la population; les dernières statistiques le confirment. C'est une belle majorité grandissante. Tristement, nous, citoyens francophones, n'avons toujours pas le soutien nécessaire de notre gouvernement fédéral afin d'offrir à nos artistes des outils de développement équitables. En conséquence, notre pays se prive de notre témoignage, de notre célébration. Notre réalité pancanadienne d'un océan à l'autre n'est pas valorisée. Pourtant, notre gouvernement fédéral s'est donné la responsabilité d'atteindre des résultats à notre égard en respectant la charte de notre pays et le statut d'égalité entre les citoyens francophones et anglophones.
Nous avons, dans le Nord, comme dans l'Ouest — vous avez entendu M. Johnson et Mme Dumas —, une population francophone en mouvance. Elle migre d'un bout à l'autre du pays pour jouir d'une prospérité vers l'Ouest et le Nord comme les citoyens anglophones. Une prospérité qu'on espère améliorer lorsqu'on part de régions défavorisées pour essayer de se remettre sur pieds, pour essayer de remonter notre famille. Souvent, plusieurs retournent dans les régions défavorisées.
Si un citoyen francophone peut seulement bénéficier des occasions que le développement économique régional apporte dans certaines régions du pays au péril de son sens identitaire, au péril de sa dignité, est-ce juste de dire qu'on est de deuxième classe? Est-ce qu'on devrait accepter d'être de deuxième classe? Est-ce que le citoyen anglophone risque de perdre son identité anglophone s'il va dans des régions où il y a une majorité de citoyens francophones comme en Acadie et au Québec? Non. Pourtant, le gouvernement, même s'il s'est donné des objectifs pour améliorer le sort et voir à ce qu'il y ait une égalité réelle, ne prend pas les moyens appropriés. Au contraire, depuis qu'il se donne de nouveaux objectifs, les budgets diminuent, les paroles et les fleurs abondent. On a tout à part des pots. On reçoit de beaux bouquets, mais à chaque fois qu'on nous en livre un, on remarque qu'un programme a été coupé. C'est d'ailleurs ce qui est arrivé la veille de la disparition du Programme de contestation judiciaire. Rappelez-vous les paroles à Prescott Russell, la veille, elles étaient fantastiques.
Pour ce qui est du dossier de la culture, il me semble que ce serait une bonne occasion pour notre gouvernement de contribuer doucement, mais efficacement, à l'unité nationale. Si le message est qu'un citoyen francophone peut jouir de son pays à égalité avec le citoyen anglophone, qu'il peut en témoigner et célébrer à travers ses artistes — sa présence devenant valorisée —, n'aurions-nous pas ainsi atteint l'objectif d'un Canada uni par une méthode qui ne démontre aucune confrontation?
Diane Bazin, gestionnaire, Développement communautaire, Société franco-manitobaine : Merci, madame la présidente. Où commencer? J'aimerais d'abord mentionner que tous les témoins, jusqu'à présent, m'ont émue. On voit vraiment qu'on a beaucoup en commun. On vit les mêmes réalités, les mêmes défis, mais je vais quand même vous parler de ce qui arrive chez nous.
Je travaille avec une trentaine de communautés rurales francophones au Manitoba. De plus en plus, on voit l'importance de l'identité culturelle. On ne peut plus penser à l'économie sans y penser au sens culturel. Les deux vont ensemble. On ne peut plus parler de santé sans y penser au sens culturel. Le tout devient partie de qui nous sommes et devient très important pour l'épanouissement et même pour la survie de certaines de mes petites communautés. Je dis « mes communautés », car elles me tiennent toutes à coeur, qu'elles comptent 50, 200 ou 1 000 personnes.
Nos communautés francophones ont vraiment besoin de votre appui. Le gouvernement répond difficilement aux besoins des communautés francophones. Il ne faut pas toujours critiquer, il faut dire qu'il y a de bonnes initiatives qui se prennent présentement.
J'ai appris que dernièrement le gouvernement remettait en place le programme d'emplois d'été pour les jeunes. Pour les petites communautés, ce programme est très important, car sans lui, nous risquons de perdre une partie de notre patrimoine.
Qui sommes-nous et que devenons-nous? Nous devons connaître notre histoire, nous devons vraiment savoir d'où l'on vient. Tous ces programmes sont importants et je suis contente de voir qu'ils existent cette année. J'encourage fortement votre comité à continuer ses démarches et nous savons qu'il nous a beaucoup aidés dans le passé à miser sur l'importance des programmes destinés aux communautés francophones.
Ce ne sont pas nécessairement des programmes coûteux, mais ils sont importants pour nos petites communautés. Lorsqu'on parle d'identité culturelle, on parle des arts, on parle de la culture et du côté visuel, on parle du côté amusant de la vie en français.
Tout sort de là, de nos festivals et de nos fêtes communautaires. C'est de là que sort notre identité, c'est grâce à ces événements que nos jeunes découvrent qu'ils font partie de cette famille. C'est ce qui rend évidente notre identité.
Mes collègues ont mentionné qu'il y avait plusieurs défis à relever. Il y a l'exode des jeunes qui représente sans doute le plus gros défi de nos communautés. Un programme qui s'appelle « Place aux Jeunes » a été élaboré il y a quelques années. Cela nous a permis de constater que nos jeunes ont quitté pour aller étudier dans de plus gros centres. On a voulu savoir comment on pouvait les ramener chez nous. Ce programme a connu beaucoup de succès durant les deux premières années.
Il y a aussi beaucoup d'organismes provinciaux qui sont importants pour la survie de la communauté francophone et qui sont financés par Patrimoine canadien. Il est important d'encourager la survie de tous nos organismes et de tous nos programmes communautaires.
Au Manitoba, on parle de 30 à 40 groupes communautaires qui cherchent à établir des partenariats pour le maintien des programmes. La communauté francophone au Manitoba a développé des stratégies pour les cinq à dix prochaines années et elle aura certainement besoin de votre appui pour pouvoir les mettre en œuvre.
Il est question d'agrandir notre espace. C'est un défi auquel la Société franco-manitobaine travaille depuis quelques années et elle croit que l'immigration est devenue l'élément clé de ce défi. On réalise de plus en plus que l'agrandissement de l'espace passe par le fait d'accepter que cela risque de changer le portrait.
Je ne pense pas que ce soit quelque chose de négatif. Au contraire, cela ne peut qu'apporter du positif et d'autres richesses. Il faut embrasser l'idée d'agrandir notre espace dans le contexte d'un plan global.
Le fait de travailler avec l'ensemble de la communauté constitue certainement un autre élément clé. L'année dernière, un nouveau programme a vu le jour, qui s'appelle Changement 2008. C'est toute une aventure. Dans les six derniers mois, nous avons eu l'occasion d'échanger avec les leaders des différents groupes d'un peu partout dans la communauté francophone. On a commencé à se regarder le nombril, à vraiment analyser ce que chacun faisait. On a cherché à se connaître davantage et à voir comment on pourrait travailler ensemble.
Plusieurs intervenants travaillent dans le domaine de l'éducation, d'autres dans le domaine culturel. Il faut trouver un moyen de maximiser nos ressources, car nous manquons énormément de ressources.
Nous sommes tous dans le même bateau. Nous sommes tous confrontés aux défis qui ont été mentionnés plus tôt. Nous manquons aussi de temps et de ressources financières. Nous manquons de bénévoles et les bénévoles sont un élément clé pour la survie de la communauté. Avec le manque de temps et de ressources, nous nous inquiétons lorsqu'il est question de relève dans le secteur du bénévolat.
L'important pour nous est de savoir que vous êtes là pour nous aider. Madame le sénateur Chaput connaît très bien notre réalité et nous réalisons l'importance de ce qu'elle fait. On a vu ce qu'elle a accompli dans le passé et nous croyons qu'il est primordial d'encourager le gouvernement à prendre ses responsabilités face aux communautés francophones au pays.
On dit parfois que la Francophonie constitue une valeur ajoutée. C'est vrai en partie, nous croyons plutôt que la Francophonie devrait être tout simplement une valeur.
La présidente : Merci beaucoup, madame Bazin. Nous passons maintenant à la période des questions. À titre de présidente du comité, je me permets de poser la première question.
Je vous ai écoutés attentivement. J'ai essayé de comprendre quel était l'état de la culture francophone dans votre communauté. Notre étude porte sur l'état de la culture francophone. En vous écoutant, je voyais qu'il y avait des fils conducteurs, des liens communs entre vos défis.
Les arts et la culture sont des axes de développement pour une communauté. En présentant votre situation respective, vous êtes vraiment en train de redéfinir la culture francophone. Vous parlez de nouvelles communautés et de nouveaux arrivants. Vous parlez de mariages exogames et de formules inclusives pour arriver à intégrer cette nouvelle clientèle qui arrive dans l'Ouest, dans le Nord et dans les Territoires.
Ma question va vous sembler générale, mais j'aimerais que vous y répondiez. D'après vous, quelle place occupe la vie culturelle francophone dans votre communauté? Quels sont les intervenants principaux qui devraient vous aider à promouvoir et développer la culture francophone? Qui devrait appuyer vos initiatives? Bien sûr il y a les gouvernements, mais j'aimerais que vous alliez un peu plus à l'intérieur de votre communauté. Les intervenants travaillent-ils ensemble pour le développement de cette culture francophone?
Mme Dumas : La semaine dernière, j'ai rencontré Stéphane Audet, le directeur général de la fédération, pour faire un survol de tout ce qui se passe dans notre grande Francophonie.
L'état de la situation est assez dramatique. Je peux seulement parler pour notre province, mais on sait pertinemment qu'il y a déjà près de quatre directeurs généraux en état d'épuisement professionnel. Un a d'ailleurs dû s'absenter pendant un an.
On parle de bénévoles. Moi, j'en fais du bénévolat, en masse. Lorsqu'on travaille 70 à 80 heures par semaine, qu'on ne reprend pas ce temps, qu'on n'a pas le temps de prendre les vacances qui nous sont allouées, il y a un problème. Ce n'est pas unique à ma réalité, c'est ce qui arrive avec toutes les directions générales de la province. Le salaire moyen d'un directeur général d'un organisme culturel communautaire en Colombie-Britannique est d'environ 35 000 $. On est en Colombie-Britannique.
Je ne sais pas si vous savez combien coûte une maison en Colombie-Britannique? Ou même vivre en Colombie- Britannique? Juste l'épicerie coûte 15 à 20 p. 100 de plus qu'ailleurs. Je suis certaine qu'il y a d'autres communautés dans le pays qui vivent la même réalité. La situation est abominable.
Je regarde notre situation à Maillardville et je continue parce que j'y crois sincèrement. J'adore ma communauté. Je suis originaire de Montréal et ma famille sait très bien que je n'y reviendrai jamais. J'ai adopté ma communauté de Maillardville avec tout mon amour et tout mon cœur. Je me sens chez moi là-bas et je veux continuer à y vivre et à y travailler. Cependant, un jour, je vais craquer moi aussi parce qu'il y en a plusieurs qui sont en train de craquer présentement.
Quelle est la réalité et pourquoi cela se passe ainsi? C'est parce qu'il manque du financement pour embaucher des gens. Je ne suis pas la seule à faire du bénévolat au sein de mon organisme. Mes employés aussi font du bénévolat. Quand on embauche quelqu'un, je lui dis : « On s'attend à ce que tu puisses travailler et faire du temps supplémentaire, mais je ne peux pas de rémunérer. Il faut que ce soit fait de façon bénévole. Par contre, à l'occasion, si tu as besoin d'un congé pour des choses personnelles, je n'hésiterai pas à te l'accorder. » C'est la réalité. On négocie avec les employés qu'on embauche.
Oui, les communautés existent. Oui, elles continuent de vouloir grandir. On nous a donné les sous pour grandir et on a atteint une vitesse de croisière. Cependant, il n'y a plus assez d'argent pour nous permettre de continuer notre envol. J'ai parlé avec mes collègues de la province avant de venir ici et ils ont tous partagé la même réalité avec moi. Voilà l'état de la Colombie-Britannique.
Mme Bazin : Je suis absolument d'accord avec tout ce qui a été dit jusqu'à présent. Au Manitoba, l'état est bon. Il n'est pas parfait, mais on est à un point où on a réalisé l'importance de travailler ensemble. Quelque chose s'est réveillée chez nous.
On a des atouts qui fonctionnent bien, tels que des centres bilingues. Ce sont des lieux où on peut très bien fonctionner en français, 24 h/ 24. On a des centres où la langue de travail est le français. On a des communautés où 60, 75 p. 100 et parfois au-delà de la communauté francophone peut vraiment vivre dans sa langue. Les gens peuvent aller à l'église dans leur langue, faire l'épicerie dans leur langue et les enfants peuvent aller à l'école dans leur langue.
Cela ne veut pas dire qu'on n'a pas de défis. Un d'entre eux, avec notre conseil scolaire, est de travailler davantage ensemble et on n'est pas toujours habitué à cela. On a également des exemples dans le système de la santé. On a mis sur pied, dans notre communauté, un centre de santé qu'on appelle le Centre Albert-Gaillot. À l'intérieur du centre, il y a une bibliothèque, des services de médecin, des services de conditionnement physique et d'autres services qui tombent sous le parapluie de la santé. On a été capable de trouver des fonds pour une petite communauté de 620 personnes. On a recueilli 1,6 million de dollars. C'est la communauté qui a fait le premier pas. On s'est dit qu'on avait besoin de cela pour la santé et l'épanouissement de la communauté. « Santé » dans le sens large du terme. On parle de prévention, autant pour la santé mentale que physique. On a trouvé ces fonds. On a pu le faire avec l'appui de la province qui a injecté un peu moins d'un million. C'est vraiment fantastique d'avoir ces exemples où on peut travailler ensemble.
Ce sont des idées. Cela prouve qu'on est en vie.
Le sénateur Poulin : Nous avons le privilège aujourd'hui d'accueillir six personnes très impliquées. Vous devez savoir à quel point votre implication est touchante. Certains d'entre vous sont bénévoles, d'autres des employés rémunérés qui travaillent 80 heures par semaine, mais si ce n'était de votre implication et de votre générosité, nos défis seraient encore plus grands au Canada français et je tiens vraiment à vous le dire. Ce sont des gens comme vous qui trouvent des réponses aux nombreux défis.
Vos présentations ont démontré à quel point notre pays est immense géographiquement. Cette réalité cause des problèmes budgétaires sérieux pour des raisons évidentes. Cela cause des problèmes de communication entre nos communautés francophones. Les défis particuliers que vous vivez sont semblables. Il y a des liens communs, mais aussi de grandes distinctions.
Il y a un défi commun à toutes nos communautés francophones pour lesquelles j'ai été à l'écoute. Il s'agit de l'importance des communications publiques dans tout ce qui touche la culture francophone au pays. Lorsque je parle de communications publiques, je pense à la radio, à la télévision, à l'Internet, à la presse écrite, aux livres et aux revues.
Ces communications sont la clé du reflet de la culture, de sa valorisation et de son développement. Je me souviendrai toujours avoir entendu Daniel Lavoie chanter pour la première fois lors d'un concert organisé par la radio de Radio- Canada à Winnipeg. Il était tout jeune. Il était accompagné d'un groupe de musiciens de Winnipeg. C'est Radio- Canada qui avait organisé le petit concert. Voilà un exemple frappant de l'importance d'une radio publique pour le développement d'un talent, que ce soit la chanson, la musique ou l'écriture. C'est tellement important.
J'aimerais revenir sur le reflet, la valorisation et le développement de la culture. Plusieurs d'entre ont mentionné à maintes reprises le fait que la culture, c'est plus que les arts et la culture, c'est plus que la parole écrite, parlée ou chantée ou jouée au théâtre et à la télévision. Cela me fait penser à la fameuse phrase : « La culture, c'est ce dont on se souvient quand on a tout oublié ». Pour moi, la culture, c'est vraiment au sens très large, et je suis tout à fait d'accord avec votre analyse sur l'interdépendance des dossiers dont vous avez parlé.
J'aimerais savoir comment vous faites le lien dans vos différentes communautés avec, par exemple, la radio ou la télé de Radio-Canada ou avec la presse écrite. Quelle utilisation faites-vous d'Internet? Parce que pour moi, dans l'analyse que nous sommes en train de faire, ce sont de gros joueurs, ce sont des partenaires essentiels à notre sens d'appartenance de vie en français partout au pays.
Je pensais justement au Nunavut. Quand je suis allée à Iqaluit, j'avais visité la petite station de Radio-Canada/CBC, et j'ai pensé pour moi-même : L'avez-vous approché pour « This Hour Has Seven French Days », comme une petite émission spéciale en français même à l'émission locale? Parce qu'on sait qu'il y a quand même un nombre important d'heures locales et régionales dans chaque station régionale de la radio de Radio-Canada. Je pense que c'est 16 heures.
Je ne me souviens plus exactement de mes chiffres, madame la présidente, c'était 14 heures quand j'y étais, il y a 15 ans, mais je pense que cela a augmenté.
J'aimerais bien savoir comment vous faites le lien. Quels sont vos objectifs? Comment faites-vous ce travail?
Je ne sais pas qui aimerait répondre? Je sais qu'il y a une très bonne station de Radio-Canada à Regina, peut-être que notre directeur de la Saskatchewan veut en parler?
M. Rémillard : Les liens entre autres entre le CCF et Radio-Canada sont très étroits. Beaucoup de nos activités ou de nos programmes seraient probablement difficilement réalisables sans l'aide de Radio-Canada. À chaque année, il y a le Gala fransaskois de la chanson, qui est l'étape qui précède le Chant'Ouest. Radio-Canada, sur ce genre d'activité, est un partenaire privilégié. Radio-Canada joue un rôle central également pour le Chant'Ouest chaque année.
Une espèce de relation presque organique s'est établie entre Radio-Canada et notre réseau de diffusion de spectacle pour les artistes. Souvent, les artistes passent par une stratégie de promotion pour se faire connaître et Radio-Canada diffuse du matériel pour ceux qui sont en tournée en Saskatchewan à travers ses émissions. C'est un levier essentiel. Je sais que Radio-Canada joue aussi un rôle important avec plusieurs autres associations du réseau en Saskatchewan. Une dynamique très intéressante s'est développée.
D'autres partenariats se sont développés; je pense notamment à des journaux locaux comme L'eau vive.
Des partenariats se développent aussi avec la majorité des réseaux, même avec CBC et avec des réseaux comme CTV et Global. On réussit de cette façon à servir l'essentiel de notre clientèle.
Le CCF essaie aussi d'offrir des services à ce qu'on appelle les francophiles — parce qu'il y a toute la dimension de développement artistique — et les artistes, surtout les jeunes qui viennent du secteur de l'immersion, sont intéressés par nos programmes. À ce moment-là, on essaie de les rejoindre en couvrant le plus largement possible les clientèles via ces réseaux. Mais c'est indéniable, Radio-Canada est tout à fait essentiel chez nous.
M. Cuerrier : Je voudrais revenir à la question posée par madame la présidente tantôt. L'état de la culture francophone, si je parle du Nunavut, je vous dirais qu'on se bat avec l'énergie du désespoir. C'est essentiellement cela la réalité.
Pour revenir à votre question, sénateur Poulin, je pense que oui, effectivement, vous avez tout à fait raison : un réseau public fort, c'est essentiel et important. Je peux en témoigner. Il devrait d'ailleurs être plus fort que cela parce qu'à Iqaluit, cela n'existe pas. Le signal de Radio-Canada arrive à Iqaluit à travers des antennes comme Bell ExpressVu, autrement il n'y a aucun service.
Il y a la station CBC North, effectivement, à Iqaluit, mais il n'y a aucune programmation en français. Suite à des démarches avec les gens de CBC North, leur réponse a été que leur mandat n'est pas francophone. C'est quelque chose à part, cela ne relève pas nécessairement du reste du réseau canadien. Ne me demandez pas pourquoi, je ne le sais pas.
Ceci étant dit, le directeur de la station CBC North n'est pas du tout allergique à la langue française. Il y a quelques années, il nous avait offert une heure par semaine d'émission en onde. Quand on a parlé de signal radio de Radio- Canada, il nous a offert de capter le signal et de payer la ligne téléphonique jusqu'au centre communautaire pour qu'on puisse le retransmettre à même notre émetteur. Il n'y a aucune objection à ce qu'on rediffuse ledit signal. D'ailleurs, mon coordonnateur radio va m'en vouloir de vous dire cela publiquement. On s'est équipé effectivement d'une antenne parabolique, on capte le signal et on rediffuse certaines des émissions de Radio-Canada en français pour le public francophone d'Iqaluit, sans soutien ni contribution de la radio d'État.
Je ne suis absolument pas contre le diffuseur d'État, au contraire, je pense qu'il a un rôle important à jouer et on doit même augmenter ses budgets pour qu'il s'investisse davantage dans les communautés. Par contre, un réseau national ne tient pas compte et ne peut pas tenir compte de l'asymétrie de notre pays. On parlait des grandes distances et des différences, malgré les ressemblances qui sont nombreuses également, mais je pense qu'on doit revenir aussi au concept des radios communautaires interconnectées, comme cela s'était fait à l'aube de l'an 2000 où tout le monde parlait de cela comme la plus belle invention depuis le pain tranché. Mais c'est tombé à l'eau. Au fédéral, on a investi des millions dans ce projet. On a créé l'ARC du Canada pour aider les communautés à se parler entre elles, se rassembler, et c'est tombé à l'eau pour une question de 50 000 dollars par année pour une niche sur le satellite. Je trouve cela — excusez- moi — indécent.
On doit donner aux petites communautés — puis, bien sûr, je prêche pour ma paroisse —, les moyens de s'outiller, les moyens de travailler, de se concerter. C'est fondamental, sinon on va passer à côté de notre grand rêve canadien de dualité linguistique et de survie des communautés.
Si on investissait dans le budget existant de la Francophonie au Canada ne serait-ce que le prix d'achat d'un bateau de la garde côtière, sa construction ainsi que ses coûts d'entretien annuels, on changerait la face de la Francophonie au Canada. De petits gestes comme celui-là, à l'échelle du budget fédéral, qui est phénoménal, pourraient faire une différence considérable dans chacune de nos communautés.
Mme Dumas : Je crois que la situation de la relation de la Société Radio-Canada avec les communautés francophones en Colombie-Britannique est adéquate. Plus pour certains que pour d'autres, probablement parce qu'on est plus près du centre de Vancouver.
Nous venons tout juste de clôturer notre festival, le Festival du bois, le plus gros événement francophone en Colombie-Britannique. Comme l'a dit M. Rémillard, on a bénéficié de l'appui d'autres médias. On a mis sur pied, il y a quelques années, une campagne qui s'appelait « Flaunt your Frenchness », qui a attiré l'intérêt, entre autres, de Global et de CTV.
Par contre, quand je vois la situation qui existe avec la Société Radio-Canada et la CBC, je trouve que plusieurs situations sont injustes. La Société Radio-Canada à Vancouver appuie largement la visibilité d'événements anglophones qui se tiennent à Vancouver, comme le « PuSh Festival » et le « Jazz Festival ». C'est bien, c'est parfait, parce qu'il n'y a sûrement pas suffisamment d'événements en français pour soutenir la bande-annonce qui doit passer entre chaque émission. Mais la situation contraire n'existe pas à la CBC. Nous avons déjà tenté d'approcher la CBC — et je ne suis pas la seule, d'autres organismes l'ont fait également — afin d'obtenir de la visibilité de leur côté aussi.
[Traduction]
On nous a dit : « Non, il faut s'adresser à Radio-Canada si vous voulez avoir de l'appui. Nous n'appuyons pas la communauté francophone. »
[Français]
C'est dérangeant, parce qu'on voit que la Société Radio-Canada supporte les regroupements anglophones alors que le contraire n'existe pas. Je peux vous dire qu'en Colombie-Britannique, on est très fâchés. On trouve cette situation un peu ennuyeuse. Et comme le disait M. Denault, plus tôt, si on veut véritablement être reconnu comme un pays bilingue d'un océan à l'autre, il faut que ces réalités soient corrigées. Il faut que la CBC voie vraiment en la communauté francophone un partenaire, un ajout, une valeur ajoutée peut-être, à sa programmation, à sa réalité.
Vous avez vu ce qui s'est passé il y a quelques semaines, on ne va pas le répéter, c'était disgracieux et de très mauvais goût. Mais cette réalité existe. Ce n'est pas des farces. Je dois vous dire que le temps alloué par la CBC au Festival du bois cette année a été ridicule. Le Festival du bois est un événement qui attire environ de 15 000 à 17 000 personnes, dont environ 62 p. 100 sont des anglophones. On s'est fait donner deux minutes à 5 h 45 le matin et on s'est fait dire de se rendre en studio, on rêve! C'est la réalité, c'est l'appui qu'on nous a donné cette année. Six heures moins le quart un vendredi matin, et ils ne veulent pas le faire au téléphone, il faut que tu viennes en studio. On leur a dit de laisser faire.
Le sénateur Poulin : Je pense que vous venez de soulever un problème et c'est une question qui fera partie de nos recherches. C'est la responsabilité de la CBC face aux deux cultures, aux deux langues. Vous avez fait allusion à ce qui s'est passé la semaine dernière. On devrait le rappeler : lors de la télédiffusion d'un concert de clôture, tous les éléments francophones ont été exclus. Cela fait plusieurs jours que c'est arrivé. On a eu aussi des contestations des artistes francophones. J'attends toujours l'excuse officielle du président de la Société Radio-Canada. Je ne l'ai pas vu, je l'ai peut-être manqué, mais je pense que vous conviendrez que c'est une situation extrêmement importante.
La présidente : Monsieur Johnson je ne vous ai pas oublié. Je vais donner la parole à M. Denault et je vous reviens ensuite afin que vous puissiez répondre à la première question posée ainsi qu'à celle du sénateur Poulin.
M. Denault : Premièrement, je vais répondre à la question du sénateur Poulin. Vous avez soulevé des questions très intéressantes. Lorsque vous parlez de Radio-Canada, c'est flagrant. Je ne veux pas vous choquer, mais chez nous, les membres de notre petite communauté payent environ 6 400 $ par année, depuis environ 18 ans, afin d'entretenir les équipements de Radio-Canada et de recevoir le signal dans la capitale des Territoires du Nord-Ouest, un signal provenant de Montréal, des montants provenant du seul programme culturel existant, celui dont je vous ai parlé plus tôt en vous disant qu'il n'avait pas reçu d'augmentation depuis 12 ans. La part de ce budget est énormément grugée quand on voit l'augmentation qu'on a subie.
Par contre, la CBC n'a aucun problème quand il s'agit d'un projet d'assimilation, quand on veut assimiler des peuples en anglais, il n'y a aucun problème, le coût n'est pas important. Il n'y a pas une petite communauté dans le Nord — je vous lance le défi de vérifier —, quelle que soit sa population, qui ne reçoit pas la CBC. L'exercice était d'assimiler une population autochtone. Dans ces cas, le prix importe peu. Par contre, pour supporter les citoyens francophones, c'est une autre histoire. J'arrête de vous faire part de mes frustrations, vous m'avez ému.
L'Association franco-culturelle de Yellowknife s'est dotée d'une petite radio communautaire qui fait partie du réseau RFA, qui fonctionne très bien, mais par contre avec des ressources extrêmement limitées et des budgets qui disparaissent de plus en plus. Combien de temps la radio communautaire tiendra-t-elle? Elle risque de disparaître comme tant d'autres si on ne trouve pas de solutions. Notre réalité dans tout cela est de courir après l'argent. On s'essouffle à courir après les projets, parce que le support n'existe pas. Donc on brûle notre monde, on les perd, on espère pouvoir les remplacer. C'est de cette façon que l'on fonctionne. Ce n'est pas la façon la plus responsable d'administrer, mais c'est la seule qu'on nous donne.
On s'est également doté d'un journal territorial qui rend également service de temps à autre au Nunavut. Cela a été un franc succès, on peut maintenant communiquer entre nous, être au courant des dernières nouvelles et apprendre, en français, ce qui se passe ailleurs au pays. On s'est également doté en même temps d'une compagnie d'édition, qui produit de temps à autre. Par contre, le problème est encore qu'il faut courir après les projets. S'il y a des projets qui existent, on essaie, si on a le temps, si on ne doit pas courir après dix autres projets, d'y consacrer quelques heures, entre 22 heures et minuit.
Cela n'a pas été le cas. C'est facile de répondre brièvement à votre question parce qu'il y a si peu. L'espace francophone n'existe pas dans les Territoires du Nord-Ouest. On cherche des lieux de rassemblement pour la culture, on cherche des gymnases parce que nos écoles sont sans gymnase.
On parle d'éducation de qualité égale, mais c'est loin d'être le cas dans les Territoires du Nord-Ouest. C'est d'ailleurs pourquoi la communauté francophone perd son potentiel de développement. Les parents vont choisir une école d'immersion pour leurs enfants parce qu'elle est équipée d'un beau grand gymnase. Cela fait des enfants qui parlent français, mais qui sont de culture anglaise.
Quant au développement d'artistes, il est inexistant. On n'a jamais eu la charrue nécessaire pour faire les labours. On a semé des grains ici et là, quelques artistes poussent de temps à autre et quand il y en a un, on en est très fiers. Les artistes vont chercher de l'aide de façon indirecte via les organismes anglophones qui ont les budgets de promotion. D'autres artistes se débrouillent tous seuls. C'est quasiment un miracle, mais ça arrive. Cela veut dire que le défi des artistes francophones est plus grand. Cela veut aussi dire que des citoyens anglophones généreux aident des artistes francophones. Pour les artistes francophones, c'est une façon d'essayer de survivre dans le domaine.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur Denault. Nous allons maintenant laisser la parole à M. Johnson qui nous est revenu via la vidéoconférence.
M. Johnson : En ce qui concerne votre première question, vous avez parlé de l'état de la culture francophone et de la place qu'elle occupait. Présentement, on parle de toutes sortes d'acquis et de toutes les belles choses qui se passent en Alberta, mais il y a de gros défis à relever.
Notre inquiétude vient du fait qu'il y a une forte croissance de la population francophone. L'année dernière, 8 000 cartes d'assurance maladie du Québec ont été changées pour des cartes de santé en Alberta, et cela en dépit du fait que le recensement de 2006 comptait 2 500 francophones de plus.
En Alberta, on juge qu'on dépasse largement le nombre 100 000 citoyens d'expression française langue première et la demande de services est croissante. Cela remet en question tout l'aspect des arts et de la culture. La culture est mise à risque parce qu'on n'augmente pas la capacité de la communauté de répondre à la demande croissante de services. Maintenant, qui peut venir en aide?
La présidente : Nous venons de perdre le signal de la vidéoconférence. C'est malheureux. Peut-être retrouverons- nous M. Denault plus tard. Je cède maintenant la parole à Mme le sénateur Champagne, vice-présidente du comité.
Le sénateur Champagne : En vous écoutant tous et toutes, je me suis rendu compte que certaines phrases revenaient constamment et concernaient le gel du financement accordé aux organismes. M. Rémillard et M. Cuerrier ont parlé du respect des langues officielles et de l'existence de problèmes de financement. Mme Dumas nous en a parlé. À Iqaluit, M. Denault en a parlé également.
Bien sûr, tous savent que si on avait plus d'argent on pourrait faire davantage. Vous avez aussi tous parlé du Programme de contestation judiciaire qui a été mis de côté et dont on peut difficilement parler en ce moment parce que c'est encore devant les tribunaux. On verra ce qui va se passer.
Plusieurs comprennent difficilement que le gouvernement ait cessé de financer les gens qui poursuivaient le gouvernement. C'est tout de même un cercle vicieux bizarre.
Si vous aviez plusieurs associations et organismes, quelles seraient les possibilités, en l'absence de fonds additionnels, de les unir ou, tout au moins, de réussir à concrétiser certains projets qui vous tiennent à cœur?
Mme Bazin : Avec « Changement 2008 », on essaie de voir comment on pourrait travailler davantage ensemble. Bien sûr, on aimerait avoir plus de financement, mais on ne peut pas attendre que cela se produise parce qu'on risque de disparaître. C'est pourquoi il faut trouver des moyens de maximiser les ressources humaines. Au lieu d'avoir trois postes de directeur général, on pourrait en avoir qu'un seul. Suite à la première étude faite avec les 33 organismes, l'élément le plus important qui est ressorti est l'importance de la communication, qu'elle soit interne, locale, régionale, provinciale ou même nationale. Il faut mieux se connaître et trouver des façons de s'entraider parce qu'on ne peut pas attendre des sommes supplémentaires de la part du gouvernement. Cela fait peut-être dix ans qu'on n'a pas reçu de fonds supplémentaires et depuis ce temps, le coût de la vie a augmenté, ce qui fait qu'aujourd'hui on travaille avec beaucoup moins.
Le sénateur Champagne : J'imagine que si vos trois organismes s'unissent, ils auront des idées et ce nouvel organisme rejoindra davantage de gens qui auront besoin de vous.
Madame Dumas, j'ai été absolument touchée et dérangée lorsque vous avez parlé de vos problèmes de traduction. Nous avons rencontré des gens du COVAN parce que nous voulons nous assurer que la Francophonie du Canada ne soit pas mise de côté par le COVAN. Vous nous avez parlé de choses aussi simplistes que de la bonne traduction et j'espère que vous avez réussi à bien frapper à cette porte. De toute façon, nous reverrons les gens du COVAN. Dans les jours qui suivent Pâques, nous serons à Victoria et à Vancouver avec l'Association des parlementaires francophones. Je vous promets que je soulèverai cette phrase lors de nos rencontres.
Mme Dumas : Le problème ne se limite pas seulement au COVAN. Laissez-moi vous donner un exemple d'une erreur qui s'est glissée l'an passé dans le cadre d'un poste qui était affiché sur le site Internet de Services Canada. Il s'agit d'un emploi qui était offert dans la région de Maple Ridge, en Colombie-Britannique.
On pouvait lire : « Maple Ridge, B.C. », la traduction étant : « L'arête d'érable avant Jésus-Christ »!
Le sénateur Champagne : De toute évidence, c'est un ordinateur qui a fait cette traduction.
Mme Dumas : Absolument.
Le sénateur Champagne : C'est invraisemblable.
Mme Dumas : C'est invraisemblable. J'ai soulevé la question lors d'une rencontre avec la Fédération des francophones et les gens de Travaux publics qui étaient là nous en ont fait part. Je veux simplement préciser que les francophones payent eux aussi des taxes au Canada. C'était triste à voir.
C'était amusant, « l'arête d'érable avant Jésus Christ », mais ce n'est pas drôle. C'est vraiment triste.
Le sénateur Champagne : Que peut-on faire dans vos régions pour aider la Francophonie? Je sais, par exemple, que sur le plan de la musique, d'Iqaluit à Grise Fjord, ce n'est pas proche, on est à quelques centimètres du pôle Nord, des musiciens ont fait toutes les écoles, le long de la Baie James, pour apporter un peu de culture dans les écoles de ce coin. Que peut-on faire en français qui serait la même chose?
Je sais que cela s'est fait en musique. Mon mari a fait partie de plusieurs de ces tournées. Est-ce qu'on peut, avec des comédiens, arriver à leur présenter des poèmes, aller faire chanter les enfants? Que vous suggéreriez faire pour organiser ces tournées? La Guilde des musiciens avait payé les musiciens ainsi que les différents ministères des provinces et du gouvernement fédéral, qui se sont occupés d'avoir les fonds nécessaires pour les déplacements. Que peut-on faire au niveau francophone dans ces écoles, qui serait bien accepté, qui serait un petit surplus au travail que vous faites tous et toutes?
Mme Dumas : J'ai beaucoup à dire. Sénateur Champagne, je pense qu'il y a un besoin urgent au Canada français en situation minoritaire. Nous, à la Société francophone de Maillardville, nous postulons chaque année pour recevoir du financement du Conseil des arts du Canada. Nous avons été chanceux, nous avons été appuyés souvent, si notre projet était valable, bien sûr; nous comprenons qu'il y a d'autres projets, nous ne sommes pas les seuls à soumettre des projets. Nous sommes appuyés aussi pour obtenir du financement pour les déplacements d'artistes.
Là où j'ai un problème, c'est que je ne vois pas véritablement de programmes existants qui seraient des programmes à l'image des communautés francophones hors Québec. Lorsqu'on soumet une candidature au Conseil des arts du Canada pour un projet à l'intérieur des festivals, on se doit absolument d'avoir du contenu autochtone. L'inverse n'existe pas. Les programmes autochtones ne sont pas tenus d'avoir du contenu francophone ou anglophone. Je trouve cela un peu injuste, et ce n'est pas que nous ne soyons pas intéressés à avoir du contenu autochtone, car nous en avons toujours eu. Notre festival a 19 ans et nous le faisons chaque année avec grand plaisir; nous le faisons encore cette année et nous allons continuer de le faire, car nous voulons vraiment qu'une diversité soit présentée à notre public.
Il y a une chose que je veux faire valoir auprès de la Fédération culturelle canadienne française — et je ne sais pas si quelqu'un les représente ici — c'est que je souhaiterais que le Sénat du Canada fasse valoir aussi auprès du Conseil des arts, c'est qu'il y a une réalité francophone hors Québec qui n'est pas la même.
Je me suis souvent fait dire par certains gestionnaires que, si tel projet n'a pas été approuvé, c'était parce que nous ne prenions pas de risques. Si j'invite la Bottine Souriante, c'est certain, tout le monde va venir, mais nous ne sommes pas le festival de la Bottine Souriante, même si nous sommes un festival de musique traditionnelle et du monde. Si j'invite un groupe, par exemple, de l'Acadie ou le groupe La Bardasse du Québec, pour moi c'est une programmation risquée parce que, en Colombie-Britannique, personne ne connaît ces groupes. On n'invite pas Ginette Reno au Festival du bois, non pas que nous ne le voudrions pas, mais ce n'est pas ce que nous faisons comme festival; il y a un autre festival qui s'occupe de musique plus populaire.
Je pense qu'il est grand temps que le Conseil des arts du Canada voie vraiment la réalité francophone hors Québec comme étant une réalité autre que celle des festivals québécois.
Le sénateur Champagne : C'est peut—être quelque chose qu'on pourrait s'assurer de retrouver dans notre rapport, madame la présidente.
La présidente : Je vais me permettre de redonner la parole à M. Johnson.
M. Johnson : J'espère pouvoir être parmi vous pendant un peu plus de temps. Je vais commencer avec la dernière question quant à savoir ce que nous pouvons faire, et cela rejoint les commentaires que je faisais plus tôt.
C'est toute la question des programmes déjà conçus sans permettre d'avoir une consultation des communautés. J'appelle cela du parachutage. On prend un programme, on l'impose à la communauté et on lui dit : « adaptez-vous à ce programme. » Ce qu'on réussit à faire, c'est augmenter le travail administratif sans pour autant donner les ressources essentielles dont les communautés ont vraiment besoin pour la livraison de services. Je sais qu'il y a une responsabilité administrative, mais aidez-nous à vous aider pour développer des programmes qui répondent aux besoins des communautés plutôt que l'inverse.
Pour ce qui est de toute la question de la promotion et de la formation des artistes, pour moi cela se résume en un mot : « exposure », c'est-à-dire l'opportunité de mettre en évidence la richesse des artistes francophones, et une façon de le faire c'est à travers les radios communautaires. Radio-Canada a des éléments très restreints et je considère que la promotion des radios communautaires, pour nous dans l'Ouest ou en Alberta, de façon plus particulière, serait un moyen de créer un autre cachet et un autre point de sortie pour faire la promotion de nos artistes et de tout l'aspect culturel de nos communautés.
Chaque fois qu'il y a une intention de faire la promotion d'une activité sociale et culturelle dans nos communautés, cela devient un outil indispensable, parce que les gens cherchent à consommer des produits sans pour autant savoir où ils vont pouvoir réussir à le faire.
Pour répondre à la question initiale, madame la présidente, je considère la situation en Alberta comme une situation en péril, à cause de la croissance de la communauté francophone. Pour vous donner un exemple, 8 000 cartes de santé ont été échangées pour des cartes de santé albertaine, du Québec à l'Alberta. On considère que la communauté s'est accrue, de 67 000 à plus de 100 000 de 2001 à 2006, je dirais même à 2007. On dépasse les 100 000 sans pouvoir être capable de compter ces gens et de chiffrer leur nombre. Le gouvernement albertain est d'accord avec nous au point qu'il négocie actuellement des ententes pour la mise sur pied d'une politique de services.
Les enfants riches de l'Alberta sont, sur le plan de la Francophonie, des enfants pauvres parce qu'on a un gouvernement qui ne nous écoute pas beaucoup, mais qui a montré une volonté d'ouverture. Les partenaires qui devraient se retrouver à la table des négociations sont le gouvernement Albertain, qui, en se servant du gouvernement fédéral comme levier pour forcer la main de nos gouvernements, provinciaux et des territoires, pour toujours être fier de revenir à la charge en disant que nous voulons créer des espaces francophones, nous avons une responsabilité et nous voulons inclure des clauses dans les ententes qu'on signe avec les provinces; on veut offrir des services proactifs. Il y a beaucoup d'opportunités qui s'offrent à nous. J'ai entendu les interventions de mes collègues et des autres témoins et elles correspondent exactement à la situation de l'Alberta. Autrement dit, il faut faire quelque chose au plus vite pour commencer à accroître la capacité des communautés afin de pouvoir être de véritables partenaires pour le développement et la promotion des grandes valeurs canadiennes.
La présidente : J'accepterai deux réponses brèves à la question du sénateur Champagne, parce que messieurs Denault et Rémillard ont demandé la parole. Je vais ensuite donner la parole au sénateur Murray.
M. Denault : Je ne vais pas répéter ce qui a déjà été mentionné. Nous sommes tous d'accord. Oui, on se concerte de temps à autre pour des tournées. D'où nous sommes on a plus de proximité avec le Yukon et Whitehorse. Nous avons amené, dans le passé, des troupes dans nos communautés soit à Fort Smith, Hay River, Yellowknife et Inuvik en passant, par la suite, par Whitehorse. On regarde aussi la possibilité de collaborer pour des raisons diverses. On ne le fera pas pour sauver quelques meubles du feu, mais bien dans le but d'arrêter le feu, dans le but de rebâtir. Voilà où nous en sommes.
M. Rémillard : Tout d'abord, j'aimerais répondre à la question relative au développement de partenariat afin de trouver des solutions à la carence du financement pour les associations.
Des initiatives intéressantes se développent en Saskatchewan. Au CCF, un dossier qui évolue actuellement très rapidement, en grande partie avec l'aide de la province, c'est celui des industries culturelles. Le CCF a fait des démarches auprès du Conseil de coopération de la Saskatchewan, qui est l'organisme impliqué sur le plan du développement économique et du SEFFA, qui s'occupe de la formation aux adultes, afin de développer un partenariat pour mettre en valeur la dimension des industries culturelles et d'aider le développement artistique en Saskatchewan.
De plus, la province effectue des démarches auprès du Conseil des arts de la Saskatchewan afin, d'éventuellement, greffer tout cela ensemble. Du côté anglophone, on veut faire une société où se regrouperont tous les partenaires. Pour l'instant, c'est davantage le secteur de la musique, mais éventuellement, cela va s'élargir aux autres secteurs des industries culturelles.
L'Association jeunesse fransaskoise développe également des partenariats avec nous, avec l'Association des aînés et d'autres projets de cet ordre. C'est quelque chose de fréquent. On n'a pas le choix, il faut trouver des alternatives même s'il y a une concurrence pour le financement. Les histoires qui se terminent le mieux, c'est souvent à travers ces partenariats.
En ce qui concerne les tournées dans les écoles, en Saskatchewan il y a un programme scolaire, dont le Conseil culturel est responsable. On fait venir régulièrement des artistes dans les écoles. Évidemment, l'enjeu majeur c'est le transport. Le Conseil des arts du Canada ne répond pas du tout à nos besoins sur ce plan. Comme Mme Dumas l'a souligné, souvent, les programmes ne sont pas adaptés aux besoins de l'Ouest. Quand on nous dit qu'on ne prend pas de risque, c'est une perception qui est faussée.
Dans les faits c'est vrai que beaucoup d'artistes sont connus dans l'Est et ne le sont pas du tout dans l'Ouest et dans certains cas, les faire venir c'est un risque. Il y a des secteurs — styles musicaux ou disciplines artistiques — qui semblent être privilégiés par le Conseil des arts du Canada et qui ne sont pas très forts, à notre avis. Il y a là une question d'adaptation ou d'ajustement des programmes qui serait souhaitable. À ce sujet je ne peux pas faire autrement que d'appuyer la position de Mme Dumas.
J'aurais bien aimé aborder beaucoup d'autres questions. Les partenariats se font beaucoup avec la province à l'heure actuelle, et pour nous c'est très positif parce que l'on sent que les retombées de la politique sur les langues officielles commencent à se faire sentir en Saskatchewan. On réussit peu à peu à vendre l'idée à la Saskatchewan qu'un produit culturel, c'est quelque chose qui peut être positif. Il peut y avoir des retombées économiques importantes pour la Saskatchewan parce qu'il y a un marché qui existe et ce n'est pas parce qu'on est dans une province majoritairement anglophone qu'il n'est pas possible de développer un produit culturel francophone exportable. Ce sont des dividendes possibles pour la Saskatchewan. On essaie de le vendre de cette façon et, fait intéressant, la province semble vouloir aller en ce sens. Ce sont les efforts qu'on fait chez nous.
La présidente : Avant d'accorder la parole au sénateur Murray, j'aimerais vous mentionner chers témoins que nous allons aussi rencontrer les organismes au niveau national, tel que le Conseil des arts du Canada et d'autres, mais le comité voulait auparavant entendre la communauté et c'est la raison pour laquelle nous vous avons invités aujourd'hui.
Le sénateur Murray : Monsieur Johnson, d'abord, dans un passé pas très lointain, il y avait une culture franco- albertaine. Ces gens avaient leur langue commune et une histoire qui se rapportait au XIXe siècle. Il s'agissait d'une communauté plutôt homogène centrée sur l'église. La réalité que vous décrivez aujourd'hui c'est une réalité démographique dans laquelle la majorité des Franco-Albertains ou des francophones de l'Alberta ne sont pas natifs de l'Alberta, peut-être ne sont pas natifs du Canada et qui s'identifient comme communauté linguistique plutôt que culturelle.
Vous parlez des défis auxquels le gouvernement fédéral doit faire face. Le défi que vous avez à relever est de savoir comment créer cette dimension culturelle sans laquelle ce n'est pas une vraie communauté, c'est juste une collection d'individus qui parlent la même langue.
Vous êtes président ou représentant de l'Association canadienne-française de l'Alberta, y a-t-il des organisations chez les francophones de l'Alberta, des organisations à buts purement culturels ou est-ce qu'on est en train de les créer?
M. Johnson : Il y a déjà plusieurs regroupements comme la Société des arts visuels de l'Alberta, le Regroupement artistique francophone de l'Alberta, l'Uni Théâtre, la troupe de danse la Girandole. Il y a donc plusieurs initiatives et beaucoup d'infrastructures organisationnelles en place.
J'aimerais prendre un recul. La fondation de cette Francophonie ou de cette communauté dite franco-albertaine est toujours présente et c'est vraiment la fondation sur laquelle on se base pour construire cette nouvelle entité de Francophonie. Nous subissons un impact de croissance qui nous amène des Québécois, des Acadiens et des gens du nord de l'Ontario. Juste à ce niveau, cela change la dynamique communautaire francophone traditionnelle. Alors, le Franco-Albertain ou le Canadien français en fonction de son identité, a sa place égale à celui du Québécois qui vient en Alberta et qui prend sa place comme Québécois. Toutefois, on ajoute au mélange des communautés religieuses musulmanes du Nord de l'Afrique, on regarde les pays centraux de l'Afrique, le Rwanda, le Gabon, le Congo et on ajoute un mélange multiculturel là où les groupes communautaires des communautés visuelles sont présentent au sein des communautés francophones ce qui fait une communauté qui se diversifie.
Les groupes communautaires qui offrent un service dans le secteur des arts et de la culture réfléchissent sur la question des ressources et la capacité de ces communautés d'augmenter les services et de répondre aux besoins de ceux qui nous demandent des services. Les groupes en place sont en voie de changer leur rôle traditionnel pour un rôle beaucoup plus mondial et beaucoup plus moderne.
Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question, mais on est vraiment dans une structure d'un plan de société en Alberta.
Le sénateur Murray : Est-ce que cette population d'immigrés francophones est dispersée à travers la province ou est- ce qu'on les trouve pour la plupart dans ces régions dynamiques qu'on connaît comme « the oil patch »?
M. Johnson : Il est certain que la région de Grande Prairie et de Fort McMurray recevra un bon nombre de gens. Cependant, là où l'impact de l'immigration a été le plus grand, c'est à Calgary et à Edmonton. Vous avez raison, c'est autour de l'économie qui est « oil-patch driven ».
Le sénateur Murray : Je comprends. J'ai tendance à croire qu'il faut déployer nos efforts et nos ressources surtout là où il y a une masse critique. Évidemment, cela existe chez vous.
Madame Bazin, vous êtes la représentante d'une trentaine de communautés rurales francophones au Manitoba. Quelle proportion des Franco-Manitobains vit dans les régions rurales par rapport au grand centre métropolitain qu'est Winnipeg?
Mme Bazin : C'est une bonne question. Je n'ai pas les chiffres exacts. C'est sûr que la majorité des francophones vivent à Saint-Boniface. On a cependant une trentaine de communautés dont certaines comptent 60 habitants, d'autres frôlent les 10 000, comme à Sainte-Anne.
Le sénateur Murray : Tout le monde est familier avec la formulation dans la Charte canadienne des droits et libertés, dans le domaine de l'éducation, « là où le nombre le justifie. » Vous n'êtes pas en désaccord avec moi si je dis que le gouvernement fédéral doit concentrer ses efforts et ses ressources là où il y a une masse critique sur le plan culturel.
Mme Bazin : Absolument. Sauf qu'on ne sait pas si cela veut dire dix personnes ou 50 personnes. Ce n'est jamais clair; on ne sait pas exactement ce que cela veut dire. On a remarqué que lorsqu'on agrandit nos espaces, il y a des gens qui viennent. Cependant, il y a toujours un risque de perdre notre identité en tant que communauté francophone.
Le sénateur Murray : Dans les régions urbaines?
Mme Bazin : Urbaines et rurales, les deux. On a de petites communautés qui ont grandi très vite, mais avec cela, vient le risque de perdre son identité.
Le sénateur Murray : C'est pourquoi le gouvernement attache beaucoup d'importance, par exemple, aux centres scolaires communautaires dans les villes comme Fredericton et Saint-Jean au Nouveau-Brunswick.
Mme Bazin : Ce sont des coins clés.
Le sénateur Murray : Ces centres scolaires communautaires deviennent un point de repère pour la population francophone.
Mme Bazin : Justement. Elles sont très importantes. Quand on parle des différentes cultures, si on veut qu'elles s'impliquent dans la communauté, il faut une ouverture pour qu'elles fassent partie de la communauté. Dans certaines de nos petites communautés, on a remarqué qu'il y a des gens d'autres cultures qui arrivent et on ne leur a pas donné l'espace nécessaire. On se demande alors pourquoi ils ne s'impliquent pas davantage dans notre communauté. On n'a peut-être pas cogné à la porte pour les inviter à partager leur culture pour les comprendre davantage et pour qu'eux nous comprennent mieux. On va arriver à quelque chose de meilleur. Ce sont des défis pour lesquels nous n'étions pas prêts.
Le sénateur Murray : Monsieur Cuerrier, ai-je bien compris que vous avez, au Nunavut, certaines infrastructures sur le plan de l'éducation et de la culture? Je présume que pour la plupart, elles se trouvent à Iqaluit?
M. Cuerrier : Effectivement.
Le sénateur Murray : Les 1 000 ou 1 200 personnes francophones dans votre territoire sont-elles dispersées à travers le territoire ou se trouvent-elles en grande majorité à Iqaluit?
M. Cuerrier : Plus de la moitié habite à Iqaluit. On évalue entre 600 à 700 le nombre de francophones qui habitent à Iqaluit. Ceci étant dit, on a souvent des demandes de francophones vivant dans des communautés éloignées. Vu d'Ottawa, Iqaluit est assez éloigné. Il y a régulièrement des demandes qui nous parviennent d'ailleurs au Nunavut pour des services en français. Ce qu'on est absolument incapable de fournir présentement compte tenu de notre niveau de financement, de nos infrastructures ou de nos ressources humaines.
Cela m'a fait un peu tiquer quand vous avez parlé de masse critique parce qu'il faut faire attention. Est-ce que cela veut dire que les communautés, même si elles ont beaucoup d'énergie et qu'elles veulent se développer, parce qu'elles ne sont pas assez nombreuses, on va les laisser tomber et leur dire de déménager là où il y a plus de monde? C'est un peu embêtant comme approche. Selon moi, le Canada est un pays généreux et il a aussi les moyens de l'être. Alors si on était ailleurs, peut-être qu'on ne tiendrait pas ce genre de discours.
Il y a aussi une chose qui me trotte souvent dans la tête. On entend partout, à toutes les sauces — surtout quand on écoute les postes anglais — du nouveau Canada qui est en train de se dessiner : l'apport de l'immigration, l'influence positive, l'ouverture d'esprit et d'horizon que cela nous apporte. On parle toujours comme si ce nouveau Canada était nécessairement anglophone. Je pense qu'on doit donner à la communauté francophone — je reviens encore une fois là- dessus — les outils et les moyens nécessaires pour accueillir ces gens, pour s'ouvrir au monde.
Étant au Nunavut, je suis bien placé pour être au carrefour de toutes les cultures. Les francophones qui arrivent viennent en grande majorité du Québec. D'autres proviennent d'un peu partout à travers la planète, d'Afrique par exemple. Vous parliez tout à l'heure d'une espèce d'amalgame de gens qui parlent une même langue. Je pense que c'est au-delà de cela. Ce n'est pas un assemblage d'individus qui parlent le français. C'est un assemblage d'individus qui se retrouvent, qui se reconnaissent, qui parlent la même langue et qui vibrent au même diapason. À Iqaluit, qu'on soit Arabe, qu'on soit Noir, qu'on soit du Québec ou du Manitoba, on parle le français et on vibre sur la musique en français, quand on a l'occasion d'en avoir.
Vous avez justement demandé ce que vous pouviez faire pour nous aider. Ma réponse est la suivante : n'importe quoi! D'abord et avant tout, outillez les communautés pour qu'elles aient les moyens de leurs rêves. Amenez-nous des spectacles, n'importe quoi. On est dans le désert culturel. N'abandonnez pas les communautés francophones pour un discours uniforme de dualité linguistique alors que la langue, fondamentalement, c'est le pays, qu'on soit anglophone ou francophone. Qu'on soit de n'importe où, la langue est en nous. C'est cela notre pays et on vit, heureusement, dans un pays qui s'appelle le Canada, qui a les moyens de cette générosité. Il ne faut pas l'oublier.
Le sénateur Murray : D'après moi, il est bien évident que les francophones, tout comme les autres Canadiens, se déplacent de plus en plus vers les grands centres métropolitains. Les francophones à Toronto ou à Halifax ne forment qu'une petite proportion de la population, mais ils forment une masse critique. Et si la Francophonie hors Québec veut survivre, il faut absolument concentrer nos efforts dans ces grandes agglomérations métropolitaines.
Vous avez soulevé la question d'une loi; vous nous incitez à approuver au Parlement une loi sur les langues officielles, une loi territoriale, je présume?
M. Cuerrier : Absolument.
Le sénateur Murray : C'est une loi déjà approuvée par votre législature?
M. Cuerrier : Je vais tenter d'être bref. Vous ne devriez pas me parler de ces sujets; je me passionne et je ne peux plus m'arrêter.
Quand le Nunavut a été fondé, en 1999, il a hérité de toutes les lois des Territoires du Nord-Ouest; bonnes ou mauvaises, on a hérité de toutes les lois. Ce qu'on a fait, c'est qu'on a tout photocopié en disant qu'hier, c'était les Territoires du Nord-Ouest, et que maintenant, à partir du 1er avril 1999, c'est le Nunavut, c'est pareil. Tant et si bien que la Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest reconnaît, je crois, 11 langues officielles, si ma mémoire est bonne : neuf langues autochtones, l'anglais et le français.
Dans la réalité du Nunavut, c'est une aberration, parce qu'au Nunavut, on parle trois langues : l'inuktitut — ou l'inuinnaqtun, la langue inuit —, l'anglais et le français.
Le gouvernement du Nunavut a décidé de se doter d'une loi sur les langues officielles qui vise à rehausser le statut de l'inuktitut pour l'amener à égalité avec le français et l'anglais, parce que les langues autochtones, dans la loi héritée des Territoires du Nord-Ouest, sont à un niveau inférieur. Et le gouvernement du Nunavut a fait un très bon travail, parce qu'il a pris en considération les revendications de la communauté francophone, les discussions, les consultations. Il a pris aussi en considération les commentaires et le jugement de la juge Moreau à Yellowknife, il a mis cela ensemble et a essayé de faire une loi sur les langues officielles qui soit véritablement respectueuse des trois communautés qui cohabitent au Nunavut. Pour que ce projet de loi ait force de loi, il doit nécessairement être entériné par le Parlement canadien, cela fait partie de la démarche : quand on est un territoire, il faut que papa donne son approbation afin que cela devienne une loi. C'était là l'appel que je faisais, puisqu'après le Parlement, vous allez sûrement voir arriver cela sur vos pupitres au Sénat, pour faire en sorte que cela se fasse le plus vite possible...
Le sénateur Murray : Le Parlement, c'est deux chambres : la Chambre des communes et le Sénat.
M. Cuerrier : Pardon, je m'enflamme, mais je ne suis pas familier avec les détails. Donc, ce qui confirme qu'après la Chambre des communes, vous allez le recevoir au Sénat. Ma demande est que vous fassiez en sorte de faire jouer votre influence auprès des députés afin que cela se fasse vite et dans le meilleur intérêt de la communauté du Nunavut. Je vous demande donc, une fois que cela arrivera sur vos pupitres, d'expédier le processus.
Le sénateur Murray : Mais vous, monsieur Denault, vous dites que le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest ne respecte pas ses obligations. Quelles obligations? Les territoires sont des créatures du Parlement canadien. Ils ne jouissent certainement pas d'une très grande discrétion sur le plan des langues officielles.
M. Denault : Je ne suis pas le seul à le dire; la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest l'a également dit dans un jugement très clair et explicite.
Le sénateur Murray : S'agit-il d'obligations que le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest s'attribue ou bien des obligations imposées par la Loi fédérale sur les territoires?
M. Denault : Ce sont les deux. La juge a tranché le côté de la responsabilité du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest selon sa loi. Mais la Loi des Territoires du Nord-Ouest est calquée sur les lois fédérales et trouve ses racines dans notre charte. Ce qui fait que la juge n'a pas vu la nécessité de trancher le côté constitutionnel.
Par contre, avec les démarches de nos gouvernements, on peut être assuré qu'un jour ce sera tranché.
J'aimerais ajouter quelque chose à votre question...
Le sénateur Murray : Je ne voulais pas vous provoquer.
M. Denault : Non, je ne me sens pas provoqué. J'ai du plaisir. La question de masse critique s'applique différemment, dans différentes circonstances et dans différents pays ou réalités démographiques. On est 42 000 personnes dans les Territoires du Nord-Ouest au total. De ce nombre, un peu moins de 3 p. 100 se disent Canadiens francophones et presque 10 p. 100 se définissent comme parlant le français. Dans ce 10 p. 100, ce sont des gens qui aiment, qui veulent, qui participent à tous les événements qu'on met en place. Ils deviennent une partie de la masse critique. Ce 10 p. 100 fait que le français est la deuxième langue la plus parlée dans les Territoires du Nord-Ouest.
Et je comprends mal l'argument ou l'exemple. Si je me rappelle bien les faits historiques — je ne suis pas spécialiste de ce sujet —, après la défaite de résistance de Riel, une masse critique anglophone a été créée, dans l'Ouest canadien, à travers l'immigration. Et si la question se posait aujourd'hui, je ne sais pas si des statisticiens voudraient la poser, mais la question serait : qui sont les vrais anglophones dans le pays?
Parce que la masse critique anglophone a été créée à travers l'immigration. Avec le temps, les générations ont commencé à parler anglais. Par contre, ils ont gardé plusieurs éléments de leur culture ancestrale, ce qui est une bonne chose. Je crois que l'on biaise un peu les faits à ce sujet, quand on nous les relate. Qu'est-ce qui nous empêcherait à nous aussi de créer, avec les mêmes justices appliquées dans le temps, notre masse critique francophone? Cela ne devrait même pas être une question qui nous met sur la défensive, cela ne devrait même pas être posé. Quand des citoyens décident d'immigrer dans notre pays et de choisir de parler français, c'est aussi bien qu'une personne qui décide de parler l'anglais. C'est une question d'identification.
Mme Dumas : Pour faire suite à ce que disait M. Denault, je pense, sénateur Murray, qu'une des inquiétudes que nous avons, nous, en Colombie-Britannique, en tant de francophones, c'est qu'on essaye de plus en plus de nous insérer à l'intérieur de la réalité multiculturelle, une réalité où l'on perd tout sens de qui on est véritablement. C'est un beau melting-pot dans lequel on met tout le monde, on brasse et on est devenu multiculturel.
En Colombie-Britannique, je suis souvent invitée à participer à des tables sur le multiculturalisme. Et je dois leur répéter que je ne fais pas partie du multiculturalisme, mais que je suis bien membre d'une des réalités officielles du Canada en ce moment.
Pour toutes les raisons qu'ils ont citées, je pense que quand on parle d'appuyer les communautés, je peux comprendre que s'il y a trois personnes dans une communauté, on va peut-être leur dire de se joindre à une communauté plus grande, je peux comprendre le contexte financier de la chose. Pour créer une école francophone en Colombie-Britannique, le conseil scolaire francophone demande qu'il y ait au moins dix enfants qui puissent y participer; si dix enfants sont suffisants pour créer une école, je pense que dix personnes sont suffisantes pour créer une communauté.
Le sénateur Murray : Est-ce que la Colombie-Britannique a connu la même expérience que l'Alberta quant aux immigrés francophones?
Mme Dumas : Présentement, il y a effectivement beaucoup d'immigrants francophones qui arrivent ainsi que beaucoup de migrants francophones. C'est la même réalité qu'en Alberta.
De là vient le fait aussi qu'il y a beaucoup de concurrence au niveau du travail.
Le sénateur Murray : Prenez Maillardville, par exemple, est-ce que c'est la plus grande population francophone de la Colombie-Britannique?
Mme Dumas : Présentement, je pense que la réalité de Maillardville est une réalité historique. Les gens qui vivent là sont issus de sept générations de francophones qui continuent de parler français. Ce n'est pas la même réalité à Vancouver où il y a beaucoup plus de mouvance, de gens qui viennent pour un an ou deux et qui repartent. Maillardville est une véritable communauté où les gens s'installent et demeurent de génération en génération. Si cela est la réalité de notre communauté, cela ne veut pas dire que l'importance d'une communauté plus petite en province n'existe pas; c'est aussi important, à mon avis.
M. Rémillard : Je veux simplement apporter un complément au commentaire de Mme Dumas sur la dimension multiculturelle, sur cette perception qu'on a souvent des communautés francophones, particulièrement en Saskatchewan.
Dans les années 1980, lorsque le Conseil culturel a eu du financement de la part de la province sur une base régulière, c'était souvent sous ce programme qu'on était placés. La perception des francophones était souvent très — entre guillemet — ceinture fléchée. Avec le temps, avec beaucoup de représentations, on a réussi à changer cette perception qui freinait énormément les capacités du Conseil culturel. Aujourd'hui, nous avons quand même gardé des résidus de cela dans nos rapports avec la province si ce n'est notre siège permanent au sein du Multicultural Committee of interest, un comité consultatif.
Il y a aussi bien sûr toutes les activités autour de mosaïques qui sont très « ceinture fléchée ».
On aimerait présenter une communauté fransaskoise qui soit une communauté rattachée à la dimension internationale de la réalité francophone, c'est-à-dire qu'il existe une Francophonie internationale et les francophones de l'Ouest au même titre que tous les autres francophones au Canada font partie de cette réalité.
Ce que peuvent apporter les francophones au Canada, c'est toute cette réalité de la richesse qu'est la Francophonie. On est partie de cela, il faut accepter, et pas juste accepter, il faut amener le gouvernement fédéral à prendre conscience que si on veut avoir notre place au sein d'une tribune comme la Francophonie internationale, il faut absolument que les francophones de l'Ouest cessent d'être vus dans une perspective folklorique et qui soit partie prenante d'une société moderne. C'est mon opinion.
La présidente : Merci. Le temps file, nous allons être obligés de terminer cette ardente discussion, si je peux m'exprimer ainsi, mais fort intéressante.
Mesdames et messieurs les témoins, parce que nous n'avons pas eu le temps de passer à travers toutes les questions, j'aimerais vous donner un devoir à faire.
Le comité souhaiterait que vous envoyiez par courriel vos réponses aux trois questions suivantes :
Premièrement, la politique sur la Francophonie canadienne du gouvernement du Québec vous aide-t-elle? Si oui, de quelle façon? La politique du gouvernement du Québec à l'égard du secteur culturel, l'appui à la culture.
Deuxièmement, concernant la partie VII de la Loi sur les langues officielles, auriez-vous des exemples de mesures positives à nous suggérer qui viendraient appuyer les milieux culturels francophones?
Finalement — ce qui a suscité cet échange fort intéressant —, quand on parle d'une masse critique, quand on parle de nombres, le rural versus l'urbain, donnez-nous des exemples de réseautage.
Je sais que cela se fait déjà entre différentes provinces et différentes régions. En ayant des exemples de ce qui se fait déjà, le Comité pourrait avoir une meilleure idée de ce qui pourrait être recommandé.
Vous êtes devant le Comité sénatorial des langues officielles, qui est ici pour la protection des minorités, et nous ne faisons que commencer notre étude. Si vous pouvez, nous serions reconnaissants que vous fassiez parvenir ces informations au greffier de notre comité. Je vous remercie beaucoup, chers témoins, honorables sénateurs.
La séance est levée.