Délibérations du Sous-comité sur la Santé des populations
Fascicule 5 - Témoignages du 30 avril 2008
OTTAWA, le mercredi 30 avril 2008
Le Sous-comité sur la santé des populations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 18, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les divers facteurs et les diverses situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé.
Le sénateur Wilbert J. Keon (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Le comité est maintenant dûment constitué et nous avons le quorum. Le sénateur Fairbairn devra nous quitter plus tôt ce soir parce qu'elle assistera à l'inauguration du nouvel institut de cardiologie d'Edmonton, le Mazankowski Alberta Heart Institute. Je l'envie beaucoup, parce que j'y étais également invité, mais je ne peux pas y aller. Ce sera un grand événement, et elle nous représentera très bien.
Nous sommes ravis d'accueillir le groupe de témoins de cet après-midi. Nous vous avons convoqués pour discuter des questions posées aux pages 12 à 14 de notre rapport intitulé Politiques sur la santé de la population : Enjeux et options. Si vous voulez une copie du rapport, nous pouvons vous en remettre une.
Nous accueillons de nouveau M. Michael Wolfson, de Statistique Canada. Nous entendrons aussi le Dr John Frank, de l'Institut de la santé publique et des populations. Nos autres témoins sont M. Cliff Halliwell, de Ressources humaines et Développement social Canada, ainsi que M. Marc Brooks, d'Affaires indiennes et du Nord Canada.
Nous avons un groupe de témoins vraiment remarquables et nous allons en profiter au maximum. La principale raison pour laquelle nous vous avons convoqués est de donner suite aux enjeux et aux options présentés aux pages 12 à 14. Lorsque nous en aurons discuté, si vous me le pardonnez tous, je vais vous entraîner dans d'autres discussions plus générales, puisque le comité a cette chance unique de profiter de votre expertise.
Michael Wolfson, statisticien en chef adjoint, Analyse et développement, Statistique Canada : Je vous remercie de me donner l'occasion de contribuer au travail très important de votre comité. Vous devriez trouver une copie complète de mon texte et des diapositives dans votre dossier.
[Français]
Pour répondre à l'invitation du comité, étant donné le rôle de Statistique Canada, mes remarques porteront surtout sur les parties du premier rapport qui traitent des données et des recherches. Le comité a noté, à juste titre, que les données et les informations de qualité élevées sont essentielles à l'élaboration des politiques appropriées et efficaces en matière de santé.
Or, comme l'ont signalé certains témoins, le Canada dispose déjà d'assez bonnes et souvent d'excellentes données et d'informations sur la santé, selon les normes internationales. Toutefois, selon ce qui est possible et ce dont nous avons besoin en tant que pays, il nous reste, à mon avis, d'importantes lacunes à combler. Dans les quatre diapositives et deux diagrammes qui suivent, je présente brièvement les plus importantes de ces lacunes.
[Traduction]
Le premier besoin en information de base porte sur l'état de santé réel de la population canadienne. Nous avons accompli de grands progrès au cours des dix dernières années, particulièrement en ce qui concerne l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes. Lors de sa conception en 1999, cette enquête était, à notre avis, de très vaste portée, comparable à celle de l'enquête qui nous donne le taux de chômage mensuel. Au deuxième cycle, toutefois, les provinces acquéraient des unités d'échantillonnage additionnelles et la demande des régions sociales sanitaires de données à un niveau géographique encore plus détaillé augmentait.
Comme vous l'avez entendu vendredi dernier, il y a moins de deux semaines, l'intersectorialité est l'un des aspects clés de stratégies efficaces en matière de santé de la population. Les secteurs d'intervention se croisent dans une large mesure au niveau local. Or, si nous disposons d'excellentes données nationales et provinciales, nous n'avons pas de données solides au niveau local.
En outre, en ce qui concerne les données, la situation reste dans une large mesure celle de deux solitudes : des données présentées en langage clinique et des données présentées en langage courant. Nous recueillons rarement des données sur l'ensemble de la personne. Nous procédons plutôt à des collectes de données fragmentées qui, dans la plupart des cas, portent sur l'état de santé défini en termes biomédicaux et moins souvent en termes de fonctionnement et de handicap. Idéalement, ces données seraient regroupées.
La deuxième lacune importante concerne les résultats en matière de santé, dont Mel Cappe a parlé il y a deux semaines. Les cliniciens conviendront, je pense, qu'une grande partie de ce qui se fait dans notre système de soins de santé n'est pas évalué systématiquement, même au niveau de base qui consiste à déterminer si l'intervention a ou n'a pas amélioré l'état de santé du patient. L'expression « résultats en matière de santé » semble prêter à confusion, mais en réalité elle est très simple : nous évaluons l'état de santé d'une personne avant et, parfois, après une intervention. Si l'état de santé s'est amélioré, alors nous avons un bon résultat. Malheureusement, lorsque ces types de données sont recueillis, nous trouvons des exemples non négligeables où les résultats en matière de santé définis de cette façon sont nuls ou même négatifs.
Outre ce qui concerne la description périodique de l'état de santé des Canadiens et l'évaluation systématique des résultats en matière de santé, une autre lacune importante s'observe en matière d'information. Il s'agit des données de cohorte, soit des données longitudinales qui permettent de faire le suivi de l'évolution de l'état de santé des personnes et de déterminer quels facteurs — facteurs de risque en amont ainsi que traitements de soins de santé — y sont associés le plus étroitement. Je me rappelle de ce que David Butler-Jones disait la dernière fois au sujet des parapluies et de la pluie, de la causalité et de l'association. Nous avons besoin des données de cette nature pour faire la part des choses et déterminer plus facilement ces facteurs.
Ce type d'information est essentiel pour comprendre les principaux déterminants de la santé et déterminer quelles interventions ont des effets bénéfiques. Je ferais remarquer que les études de cohorte ne sont pas toutes les mêmes : certaines portent sur la santé de la population, et d'autres sont davantage axées sur la génétique.
Le comité a également soulevé la question des buts en matière de santé, à la page 16. J'aimerais faire deux observations à ce sujet. Premièrement, un ensemble d'objectifs nationaux, à la condition qu'ils soient concrets et non de simples généralités, joueraient un rôle très important et utile pour ce qui est d'orienter l'élaboration d'information sur la santé. L'exercice décennal « Healthy People » aux États-Unis en est un exemple notable, malgré ses points forts et ses lacunes.
Deuxièmement, il serait extrêmement utile si l'un de ces objectifs en matière de santé était une mesure agrégée générale de la santé de la population — essentiellement, le « résultat net » servant à évaluer le rendement du système de santé en tenant compte de l'ensemble intégral des déterminants de la santé, qui joue un rôle analogue à celui des bénéfices dans le cas des entreprises et du PIB dans le cas de l'économie. Une telle mesure existe et devient de plus en plus répandue à l'échelle internationale : il s'agit de l'espérance de vie ajustée sur la santé, l'EVAS, ou tout autre nom semblable.
Vous trouverez à la page 5 un graphique que j'ai montré au comité l'an dernier illustrant l'EVAS. Pour paraphraser le rapport de la Commission Rochon au Québec d'il y a quelques années, l'EVAS vise non seulement à ajouter des années de vie, ce qui est mesuré de façon générale par l'espérance de vie, mais à ajouter de la vie aux années. L'EVAS combine la durée de vie et la santé durant ces années de vie. Étant donné que le comité s'intéresse aux disparités, vous remarquerez que le graphique à droite montre l'EVAS ventilé par tiers de revenu. Les petites parenthèses montrent que l'écart entre le tiers supérieur et le tiers inférieur est du même ordre que celui attribuable aux maladies du cœur et au cancer du poumon combinés. Ce n'est pas négligeable.
Le graphique suivant montre en outre que l'EVAS donne dans certains cas une impression très différente de ce à quoi tiennent les véritables fardeaux de la maladie. Par exemple, les barres en haut du graphique à gauche montrent les effets de l'élimination des décès dus à la cardiopathie ischémique : cela ajouterait 2,4 ans à l'espérance de vie des hommes et 1,8 an à celle des femmes. Les barres à droite montrent les effets de l'élimination d'une maladie sur la mortalité ainsi que sur l'état de santé, c'est-à-dire sur l'EVAS. Les résultats sont les mêmes dans le cas de l'élimination de la cardiopathie ischémique; l'EVAS augmenterait de juste un peu moins, soit 2,2 ans pour les hommes et 1,5 an pour les femmes.
Généralement, lorsque la cause du décès est supprimée, l'espérance de vie et l'EVAS ont des profils similaires, la maladie cardiaque se situant au premier rang et les cancers suivant en importance. Toutefois, j'aimerais attirer votre attention sur l'avant-dernière ligne, où l'ostéoarthrite a essentiellement un impact nul sur l'espérance de vie à gauche, mais l'impact le plus important sur l'EVAS des femmes, soit de 2,4 ans, impact beaucoup plus important que celui de la maladie cardiaque, du cancer du poumon et du cancer du sein. De plus, l'impact des troubles mentaux a presque triplé, passant d'une réduction de 0,4 an de l'espérance de vie à une diminution de 1,1 an de l'EVAS.
Ce graphique et le graphique précédent montrent que l'EVAS, qui serait le PIB de la santé, non seulement pourrait être utile pour définir un but général, mais il s'agit aussi d'un concept qui peut être décomposé de manière à offrir divers éclairages, y compris sur l'équité.
Disposer d'information sur le passé est une chose. C'en est une autre que de disposer de projections et de simulations de ce qui se passerait si une politique donnée était adoptée. Les modèles de simulation sont un élément fondamental des systèmes d'information aux fins de l'élaboration de politiques économiques, fiscales et sociales depuis les années 1960. Aucun ministre des Finances qui se respecte ne présentera un budget sans avoir soumis ses chiffres à un modèle de simulation. Je le sais; c'est ce que je faisais autrefois.
Toutefois, je suis désolé d'indiquer que ce type d'analyse quantitative fait défaut dans le secteur de la santé. Alors qu'une grande synergie opère entre les systèmes de données et les modèles de simulation dans ces autres domaines — par exemple, pour ce qui est des comptes nationaux — elle commence à peine à s'établir dans le domaine de la santé de la population, et ce, sous la direction des chercheurs, et non des administrations publiques.
L'une des synergies clés qui reste encore à réaliser, tant pour les analyses de simulation que de façon plus générale, consiste à garantir que les systèmes de soins de santé et de collecte de données cliniques, à mesure qu'ils évoluent, sont ancrés dans une perspective intégrale de santé de la population. Les investissements dans les systèmes de dossiers de santé électroniques — par exemple, l'Inforoute Santé du Canada — représentent actuellement des milliards de dollars. Cependant, on pense très peu à leur énorme potentiel pour la santé de la population.
Je ne veux pas insister sur ce point. L'idée commence à germer, et je crois que Mme Glenda Yeates a attiré l'attention du comité sur cette question il y a deux semaines.
À cet égard, j'aimerais souligner l'initiative des données longitudinales administratives et sur la santé de la population, DLAS, que Statistique Canada a entreprise en partenariat avec les provinces pour rapprocher les deux solitudes que j'ai mentionnées plus tôt — le langage clinique et le langage courant — afin de créer des données de cohortes longitudinales plus puissantes et, de façon plus générale, afin de prendre appui sur les données administratives recueillies systématiquement pour intégrer ces données dans un cadre explicite de santé de la population. À cet effet, nous procédons, dans les cas où les répondants à nos enquêtes le permettent, au couplage de centaines de milliers de résultats d'enquêtes à leurs dossiers médicaux provinciaux.
En guise de conclusion, j'aimerais signaler non pas d'autres lacunes en matière d'information, mais trois possibilités importantes.
En premier lieu, le dossier de santé électronique offre un potentiel énorme pour ce qui est de la collecte de données au niveau de la population. Toutefois, pour tirer pleinement parti de cette possibilité, nous avons besoin de trouver un juste équilibre entre la confidentialité et la protection des renseignements personnels, et d'élargir la collecte de données au-delà du stricte cadre biomédical ou clinique. En ce qui a trait à la protection des renseignements personnels, je crois que nous ne péchons par excès de zèle en restreignant l'accès à ces données alors qu'il s'agit de les utiliser à des fins légitimes et très bénéfiques.
En deuxième lieu, comme dans le cas de l'initiative DLAS que je viens de mentionner, Statistique Canada, étant donné ses assises constitutionnelles et législatives, pourrait être un centre d'élaboration et d'utilisation beaucoup plus dynamique de la nouvelle information sur la santé de la population, tout en étant respectueux de la confidentialité des renseignements personnels.
Enfin, un commentaire sur la façon dont nous finançons la recherche sur la santé de la population. Je trouve que nous faisons trop « cavalier seul ». Nous n'avons pas créé les institutions de financement qui traitent ce domaine comme étant de la mégascience, à l'instar de la physique des hautes énergies, avec ses cyclotrons, ou de la génomique, avec des investissements massifs en séquençage et en bioinformatique. Tout comme dans le cas du nouveau domaine de la biologie des appareils anatomiques, d'énormes avantages découleraient, à mon avis, de la recherche sur la santé de la population.
Cela étant dit, j'ai touché brièvement à divers aspects. Je serai ravi de répondre à vos questions. Je vous remercie.
Cliff Halliwell, directeur général, Direction générale de la recherche en politiques stratégiques, Ressources humaines et Développement social Canada : Pour commencer, j'aimerais préciser que je suis ici en ma qualité de directeur de recherche en politiques dans un ministère qui ne s'occupe pas souvent de la santé de la population directement. Cela étant dit, je suis directeur de recherche en politiques dans un ministère qui s'occupe d'enjeux qui ne sont pas bien différents de ceux que présente la santé de la population. Bien que l'objet des outils stratégiques — les résultats que nous souhaitons influencer — soit différent, bon nombre d'outils stratégiques dont nous disposons sont semblables et, en particulier, bon nombre d'outils pratiques en matière de recherche et de données sont de nature semblable.
Comme c'est le cas avec l'investissement dans le capital humain, la production de meilleurs résultats en matière de santé exige la modification du travail d'une personne à l'aide d'un instrument d'intervention. Savoir comment y parvenir requiert plus que de simples mesures et recherches sur les déterminants des résultats. Il faut disposer de renseignements sur les éléments efficaces des interventions.
Je souhaite toutefois commencer par examiner la première option du rapport du sous-comité sur les enjeux et les options visant à déterminer s'il faut élargir et enrichir la base de données sur la santé de la population au Canada. J'ai plusieurs points à soulever à ce sujet.
Premièrement, les trois étapes de l'initiative du Carnet de route de l'information sur la santé ont récemment favorisé la production d'une quantité de données importantes sur la population canadienne. Nous sommes en bien meilleure position qu'autrefois. Deuxièmement, la recherche actuelle concernant les données sur la santé au Canada est insuffisante. À quoi bon produire plus de données si elles ne font l'objet d'aucune recherche; assurément, cela ne fera qu'aggraver le résultat.
Troisièmement, l'examen des données sur la santé de la population révèle que la quantité croissante de données transversales, c'est-à-dire des données qui concernent un échantillon différent de la population chaque année, n'aidera les intervenants qu'à en savoir davantage sur les grandes corrélations contemporaines des résultats en matière de santé. Elles ne permettront pas d'analyser les causes de ces résultats dans le passé parfois récent et parfois lointain. Il faut donc, comme M. Wilson l'a déjà mentionné, recueillir des données longitudinales, des données amassées tout au long de la vie des gens, pour mettre en évidence les antécédents des résultats satisfaisants ou insatisfaisants.
Quatrièmement, pour appuyer le message de M. Wolfson, je dirais que de telles données longitudinales seront idéalement composées de données d'enquête et administratives recueillies à l'intérieur du système de soins de santé. Cela représente un énorme défi en raison de la complexité des données administratives, qui bien souvent ne sont pas conçues à cette fin, et des dispositions relatives à la confidentialité qui protège ces données.
Finalement, je désire signaler que la période actuelle est favorable à un enrichissement important des données sur la santé. Je parle, comme M. Wolfson l'a mentionné, du travail en cours sur l'Inforoute Santé du Canada, qui vise à créer un dossier de santé électronique pancanadien. Si on néglige d'utiliser éventuellement ce type d'information pour la recherche, on aura perdu une excellente occasion. Je fais cette recommandation au sous-comité, bien que vous sembliez avoir exploré cet enjeu également. Cette initiative ouvre la porte à d'importantes possibilités.
J'aimerais maintenant poursuivre avec l'examen du deuxième enjeu : investir davantage dans la recherche sur la santé de la population et améliorer l'application des connaissances. Je tiens à mettre en évidence les deux options possibles et à indiquer laquelle constituerait une erreur, selon moi. En effet, il serait insensé d'investir principalement dans la connaissance des déterminants généraux des résultats en matière de recherche. Il s'agit là de l'option la plus facile, et beaucoup de ces déterminants sont déjà connus. Il faut plutôt combler l'énorme écart des savoirs sur les interventions efficaces de la politique publique.
Cela peut commencer à ressembler à une évaluation de programme, et c'est effectivement le cas en grande partie. Toutefois, il s'agit d'une évaluation de programme impartiale qui respecte des normes rigoureuses de qualité. Elle se plie également à des normes méthodologiques cohérentes, ce qui permet de faire confiance dans une certaine mesure aux coefficients coûts-avantages relatifs de différentes interventions. Le Canada n'a pas investi suffisamment dans une telle évaluation efficace et impartiale, soumise à des normes de qualité et revue par des pairs, surtout dans le domaine de la santé de la population.
On ignore particulièrement comment comparer les coûts et les avantages d'une intervention avec les coûts et les avantages d'une autre. Les défenseurs de la santé reconnaissent difficilement que l'analyse des coûts et des avantages est pertinente dans le domaine de la santé, car ils soutiennent que l'amélioration de la santé constitue un résultat qui n'a pas de prix. Toutefois, il est légitime de se demander s'il n'est pas possible de mieux utiliser les ressources existantes afin de produire des résultats plus intéressants sur le plan de la santé. Sans connaissance sur les instruments efficaces d'intervention, une bonne compréhension des seuls déterminants généraux des résultats en matière de santé s'avère intéressante d'un point de vue intellectuel, mais demeure inapplicable au fond de la politique publique.
À ce sujet, j'ai toujours considéré qu'il existait une différence entre la recherche biomédicale et la recherche sur la santé de la population. En recherche biomédicale, comme chacun le sait, la norme consiste à sélectionner un groupe d'intervention et un groupe de contrôle au hasard, à procéder à l'intervention sur le premier groupe et à observer les différences en comparant les résultats des deux groupes. Le processus permet d'obtenir des résultats très fiables, surtout lorsque l'échantillon compte un grand nombre de participants. Les résultats sont aussi faciles à expliquer, parce qu'il s'agit d'une variante du « Défi Pepsi ».
Cela permet également de déterminer les relations dose-effet, c'est-à-dire de savoir dans quelle mesure le résultat dépend de l'ampleur de l'intervention. C'est un aspect que nous ne considérons généralement pas dans le contexte des politiques publiques, mais on ne peut pas s'imaginer devoir se passer de ce genre de renseignements lorsqu'il s'agit de décider de la quantité d'antibiotiques à prescrire à un patient.
Aux États-Unis, on applique depuis longtemps ces méthodes aux interventions relatives au marché du travail, à l'éducation, aux compétences, à la politique sociale et même à la promotion de la santé. Ces interventions sont d'ailleurs souvent qualifiées d'expériences sociales. À bien des égards, il s'agit de l'avant-garde en matière de recherche à l'échelle mondiale, un iPod dans un domaine où règnent encore les radiocassettes.
Au Canada, mon ministère a été l'un des premiers à tenir de telles expériences, quoique dans une moindre mesure, dans ses secteurs d'intervention au cours des années 1990. Je me suis toujours demandé pourquoi le Canada ne désirait pas plus ardemment réaliser des expériences semblables dans le domaine de la politique publique. Je me suis surtout demandé pourquoi nous ne le faisions pas davantage dans les domaines de la santé de la population et des interventions en amont, lesquels se prêtent si bien à de telles approches.
Même lorsque les évaluations de programme relatives aux interventions sont effectuées de manière rigoureuse et quantitative, il nous est difficile de cibler le groupe de contrôle le plus approprié. On a généralement recours à des techniques économétriques pour tenter de déterminer quels auraient été les résultats obtenus pour le groupe n'ayant pas participé à l'intervention et n'ayant pas fait l'objet d'observations directes. Les résultats sont souvent fragiles, car une légère modification des méthodes employées peut bien sûr les faire varier considérablement. De plus, les résultats ne s'attardent pas aux relations dose-effet. En outre, il va de soi que l'économétrie est complexe et difficile à expliquer aux décideurs.
Ces approches expérimentales ne se limitent pas à la médecine; on les retrouve de plus en plus dans le monde des affaires. J'ai lu récemment Super Crunchers, un livre de l'Américain Ian Ayres; on y apprend comment le milieu des affaires utilise de plus en plus des données semblables et déstabilise aléatoirement ses clients pour voir comment ils réagissent aux différentes interventions. Leur but se distingue un peu du nôtre, mais l'exercice témoigne bien du pouvoir de la technologie.
Au sujet de l'application des connaissances, je sais que les chercheurs se plaignent souvent d'un manque d'impact sur le processus décisionnel, mais c'est une situation inévitable si la recherche se concentre principalement sur les déterminants, sans pouvoir indiquer quelles interventions seront efficaces. J'insisterais également sur le fait que les organismes décisionnels doivent disposer de leur propre capacité de recherche, de manière à faciliter les liens avec les chercheurs, car cette capacité peut servir en quelque sorte de « pierre de Rosette » et faciliter la traduction de la recherche dans une langue officielle connue, que ce soit le français ou l'anglais.
Je veux ajouter que le savoir doit être considéré comme un bien. Trop souvent, on a l'impression qu'on doit transmettre en vrac aux décideurs tous les résultats obtenus au fur et à mesure que des recherches sont effectuées. Il faudrait plutôt mettre l'accent sur le développement de ce bien et la façon de le rendre accessible. À cet égard, les référentiels de connaissances comme la Cochrane Collaboration sont un modèle à suivre.
En dernier lieu, le personnel du sous-comité a demandé à RHDSC de commenter le site web des indicateurs du mieux-être au Canada. Dans l'état actuel des choses, cet outil n'est pas apte à favoriser la progression directe de la recherche sur la santé de la population au sein de l'élite de la recherche et de l'élaboration des politiques. Cette élite connaît déjà tous les renseignements qui s'y trouvent, lesquels sont d'ailleurs faciles à dénicher à d'autres endroits ainsi que dans les rapports continus sur le système de santé.
Le site peut toutefois faire progresser indirectement le programme d'élaboration de politiques en présentant des faits aux groupes d'intérêts, aux médias et au grand public et en mettant l'accent sur les résultats. Cela contribue, à son tour, à hausser d'un cran le débat sur les politiques. Le site web peut aussi engendrer un appui favorable aux données et à la recherche, car celles-ci ressemblent beaucoup à des croustilles; il est difficile de ne pas en profiter une fois que le sac est ouvert.
Dr John Frank, directeur scientifique, IRSC, Institut de la santé publique et des populations : Je suis heureux d'être de nouveau des vôtres. Je vais essayer de vous parler brièvement d'au moins trois secteurs dans lesquels il serait possible, selon moi, d'améliorer la cueillette de données au cours des cinq prochaines années, un objectif que votre sous-comité devrait s'employer à mettre de l'avant.
J'ai trouvé votre mémoire très probant et je suis d'accord avec tout ce que vous y écrivez. J'irais même jusqu'à qualifier d'actions essentielles, ce que vous appelez les deux options possibles, parce que c'est exactement ce qu'elles sont : il faut élargir et enrichir la base de données sur la santé de la population au Canada et investir dans une recherche mieux adaptée aux fins de la transmission des connaissances. Nous reviendrons certes sur ces questions.
Mes diapositives débutent par un rappel des trois principes fondamentaux de la santé publique, la première chose que j'enseigne aux 120 nouveaux étudiants à la maîtrise et au doctorat que j'accueille à chaque mois de septembre à l'Université de Toronto. Il faut d'abord rechercher les causes profondes de la maladie et de l'invalidité. On vous a déjà indiqué qu'il nous faut des données longitudinales pour ce faire, notamment pour toutes les étapes de la vie humaine.
En deuxième lieu, on doit tenir compte et s'occuper des populations au complet. Au Canada, on parle beaucoup des gens qui se présentent aux cliniques médicales. Une grande partie des problèmes sont toutefois liés aux personnes qui ne fréquentent pas ces cliniques. Parmi les diabétiques de type 2 âgés de plus de 70 ans, environ la moitié ne sont pas connus du système.
Troisièmement, il faut comprendre et appliquer les principes du changement social au cours de toute une vie. Si vous prenez l'exemple du tabagisme, vous savez pertinemment que c'est un changement social qui a fait la différence. Il s'agit de savoir comment on peut orchestrer un tel changement de manière à obtenir les mêmes résultats pour d'autres problèmes, d'autres types de déterminants.
Le premier exemple est celui des enfants. Il s'agit de savoir dans quelle mesure ils se portent bien et sont en santé, en comparant avec leur taux de mortalité ou la fréquence de leur admission en établissement.
La diapositive suivante est intitulée « Les données que nous recueillons, et que nous ne recueillons pas ». Il faut reconnaître que nous n'avons aucun problème pour ce qui est des renseignements qu'une personne pourrait obtenir en se rendant au cimetière. Nous connaissons le moment de votre naissance et celui de votre décès. Nous ne faisons pas si mal pour ce qui est des causes de votre mort. Nous arrivons très bien à répertorier vos deux, trois ou quatre hospitalisations, ce qui correspond au nombre moyen de fois où la plupart d'entre nous serons hospitalisés avant d'atteindre un âge avancé. Il faut cependant noter qu'un très petit groupe de patients comptent pour une bonne partie des admissions. C'est tout simplement au sujet de tout le reste, de toutes les choses de la vie courante, que nous n'en savons pas beaucoup. C'est ce qui est problématique.
Nous n'avons toujours pas de système national pour recueillir des données sur le développement de nos enfants. Je sais qu'Hillel Goelman est venu vous parler du Human Early Learning Partnership de Clyde Hertzman. Je ne sais pas s'il vous a présenté l'approche utilisée en Colombie-Britannique où chaque élève de la maternelle est évalué à tous les ans au moyen d'un instrument simple que l'éducateur doit remplir. Il lui faut environ une journée de son temps pour ce faire. Chose formidable, le processus a été instauré dans le cadre de la négociation collective dans 59 districts scolaires, y compris toutes les communautés des Premières nations. Le grand avantage, c'est que l'évaluation est menée avant que les enfants n'arrivent à l'école primaire. Les écoles adorent donc le système, car elles ne seront pas blâmées pour les résultats. Tout le monde est enchanté. On ne s'en sert pas pour intervenir individuellement auprès des enfants. C'est un point très important. On l'utilise pour concevoir des outils et répartir les ressources entre les différentes communautés qui ont également accès à l'information. Clyde Hertzman et son personnel parcourent la Colombie-Britannique et choisissent au sein des différents conseils scolaires des collectivités servant de groupes de comparaison pour un même niveau de statut socioéconomique. Ils peuvent même sélectionner des communautés des Premières nations pour voir comment elles se comparent à des collectivités équivalentes du même niveau.
Les exemples que je vous ai donnés montrent bien qu'il est possible d'évaluer de façon très pointue la situation des enfants fréquentant la maternelle. Il faut malheureusement avouer qu'à peu près tout le reste de leur vie est fonction de ces résultats. Vous pouvez constater que certains quartiers de Vancouver font bien piètre figure et que les écarts sont énormes. Il y a des secteurs qui ne comptent que 6, 7 ou 8 p. 100 d'enfants se situant dans le dernier 10 p. 100 sur l'une des cinq échelles de ce petit instrument. Il y a par contre des quartiers de Vancouver où cette proportion dépasse les 35 p. 100 pour une ou plusieurs des échelles. De nombreux témoins vous l'ont déjà fait valoir; c'est le milieu d'où vous venez, le niveau de scolarité de vos parents et la quantité de stimulation que vous recevez qui déterminent en grande partie dans quelle mesure vous risquez d'être défavorisé ou de connaître des problèmes de fonctionnement.
À la page suivante, on peut voir la répartition des places en garderie et en prématernelle. Où croyez-vous qu'on les retrouve? Il existe un principe très connu dans le milieu des soins de santé, appelé « corrélation inverse entre défaveur sociale et qualité des soins », qui semble également s'appliquer à l'éducation de la petite enfance. C'est le Dr Julian Tudor Hart, un médecin généraliste réputé d'un village minier de Galles, qui a proposé ce concept. Le Dr Hart est arrivé à ce principe en établissant que la quantité de soins que reçoit une population, à moins de disposer d'un système public géré assez efficacement pour redistribuer les services, est inversement proportionnelle à la quantité de soins dont elle a besoin. C'est également vrai pour les places en garderie.
La carte de la diapositive suivante montre la situation dans l'ensemble de la Colombie-Britannique, après plus de cinq ans d'efforts acharnés par le groupe de promotion de la santé à l'Université de la Colombie-Britannique.
Nous avons ensuite plusieurs diapositives sur le fameux centre sur les politiques de santé du Manitoba. Je sais que Noralou Roos est venue vous en parler. Le centre possède une extraordinaire capacité de couplage des données longitudinales dans tous les domaines, mais la Colombie-Britannique le rattrape rapidement. Le système est toutefois en place depuis plus longtemps au Manitoba. Le centre dispose de 30 ans de dossiers pour certaines personnes, et toutes ses bases de données peuvent être interreliées.
C'est le travail de Marni Brownell, scientifique associée du groupe de promotion de la santé. Mme Brownell s'est posé les questions suivantes : à quoi ressemblent les écarts socio-économiques entourant le rendement pédagogique si on compare les résultats des examens scolaires à la situation économique des familles, selon le revenu familial moyen de chacune des régions, comme on l'utilise dans bien d'autres analyses au Canada? Et à quoi ressemblent les écarts socio- économiques pour les mêmes résultats d'examen si on inclut tous les enfants qui n'ont pas participé au test écrit parce qu'ils avaient abandonné l'école, par rapport aux mêmes groupes socio-économiques?
Si on examine le diagramme à barres à gauche, on constate qu'il n'y a pas tellement d'écart pour la 12e année entre les quartiers pauvres et les quartiers riches de Winnipeg, je crois. On passe de 70 p. 100 pour le groupe des basses conditions socio-économiques à un peu plus de 90 p. 100 pour le taux de réussite au test normalisé de connaissances linguistiques en 12e année. Malheureusement, ces données ne tiennent pas compte de tous les enfants qui sont nés cette année-là. Dans les faits, si on inclut tous les enfants nés cette même année, ce que peut faire le centre du Manitoba en reliant les groupes de données, le pourcentage de réussite au test de 12e année est de 27 p. 100 dans le groupe des basses conditions socio-économiques, et de 77 p. 100 pour le groupe des conditions élevées.
Il ne faut pas trop s'attarder à se demander comment on se compare par rapport à l'an dernier, parce que les statistiques sur le rendement scolaire dépendent réellement de ceux qui ont fait les examens, de ceux qui sont en classe, de ceux qui vont encore à l'école.
Je trouve aberrant que les données pour la population du Manitoba soient presque aussi défavorables au niveau de la 3e année. Le diagramme suivant montre un écart quatre fois plus important si on inclut tous les enfants nés cette année-là, plutôt que seulement ceux qui ont fait l'examen en 3e année. On ne joue pas nécessairement avec les chiffres de façon délibérée. Je tiens simplement à vous rappeler qu'il ne faut pas croire ce que le système scolaire nous dit à propos d'une génération. Cela ne reflète pas la réalité. On ne peut pas jeter tout le blâme sur les écoles.
Parlons maintenant des maladies cardiovasculaires. Ce que je revendique est simple, et le Dr Keon le sait. Il m'a déjà entendu le dire, mais les gens ne comprennent toujours pas. Nous savons un tas de choses sur les victimes de maladies cardiovasculaires et d'AVC. Nous pouvons vous dire où elles sont mortes et même vous donner des détails sur le combat qu'elles ont mené. Nous pouvons en outre schématiser tout ça par rapport au revenu familial moyen du quartier, ce qu'a fait de brillante façon Russell Wilkins de Statistique Canada.
Vous remarquerez dans le diagramme du bas que l'écart s'est amenuisé pour les hommes, mais la situation n'a pas bougé au cours des dix dernières années de la période de 25 ans visée par l'analyse.
Le système ne fonctionne pas pour les femmes. On ne voit aucun écart parce que le revenu familial moyen ne reflète pas la classe sociale véritable des femmes. Cette donnée découle plutôt, par rapport aux victimes de maladies cardiovasculaires, du revenu des hommes au cours des cinquante premières années du dernier siècle. Ce sont surtout des hommes qui décèdent de maladies cardiaques, alors c'est ce que l'on retrouve dans les statistiques.
Nous devons faire mieux pour les femmes. Cela signifie qu'il faut recueillir des données individuelles, comme l'ont mentionné MM. Wolfson et Halliwell. Il faut par ailleurs que ce soit fait en temps réel et que les données renferment plus que le revenu familial. Il faut obtenir des renseignements sur le niveau de scolarité de la personne et, préférablement, la situation professionnelle, pour laquelle nous disposons de plusieurs échelles normatives.
Toutefois, le cœur du problème réside dans le fait que nous ne savons toujours pas si les programmes que nous mettons en place depuis 25 ans dans ce pays pour prévenir la maladie et faire la promotion de la santé permettent réellement de réduire l'incidence des maladies cardiovasculaires, puisque nous n'amassons aucune donnée à cet égard. Aucune donnée. Ce n'est pourtant pas si difficile à faire. Il faut coupler toutes les données sur les décès soudains survenus en-dehors de l'hôpital, qui sont consignées dans les registres de décès, avec les données sur les hospitalisations, qui sont détenues par un autre ministère de l'Ontario à des fins totalement différentes et qui sont entreposées à l'Institut canadien d'information sur la santé, l'ICIS. Certaines personnes s'y opposent. De petits ministres et de petits ministères nous empêchent de le faire.
Laissez-moi vous poser une question. En ne sachant pas combien de personnes sont victimes de maladies cardiovasculaires chaque année, et en ne connaissant que les taux de décès, comment pouvez-vous déterminer s'il faut investir davantage dans la prévention ou dans le diagnostic et le traitement des personnes qui se présentent à l'urgence avec des douleurs à la poitrine, que le Dr Keon a passé une bonne partie de sa vie à traiter? Vous n'avez aucune idée. Vous ne savez pas s'il faudrait faire plus de prévention, et vous ne savez certainement pas si les disparités sur le plan de la santé — un facteur encore prépondérant quant aux maladies cardiovasculaires, un fléau qui tuera un tiers d'entre nous dans cette salle — sont toujours aussi présentes parce que nous ne faisons pas assez de prévention auprès des groupes défavorisés ou parce que nous devons améliorer nos techniques de diagnostic et de traitement. Nous détenons certaines données sur ce dernier facteur, grâce au bon travail de la compagnie Isis et d'autres, mais nous pouvons remédier à la situation. Ce n'est pas compliqué de faire le couplage des dossiers. Il serait préférable d'établir un registre, mais la recherche sur le cancer a accédé en premier à l'assiette au beurre.
En passant, savez-vous pourquoi la situation est ce qu'elle est? Savez-vous pourquoi nous recueillons actuellement des données sur une seule grande maladie, le cancer? Les pathologistes se sont rendu compte qu'il serait inapproprié qu'aucun contrôle de la qualité ne soit assuré auprès des patients chez qui on avait diagnostiqué un cancer. Il y a 30 ans, ils ont fait preuve d'une grande vision en insistant pour que l'on crée des registres permettant de normaliser et de consigner les données recueillies sur les patients atteints de cancer au moyen de différents examens : pathologie, biopsie chirurgicale, tests en laboratoire, tests d'imagerie. C'est brillant; toutefois, on ne le fait pour aucune autre maladie grave. Si la maladie n'est pas diagnostiquée pendant que la personne est en vie, les données sur les hospitalisations ne servent à rien.
Quel portrait obtiendrait-on si on réunissait toutes ces données pour nous faire une idée du nombre de personnes souffrant de maladies cardiaques au cours d'une période donnée, ce qui est légèrement différent du nombre de personnes qui en ont souffert à un moment ou un autre de leur vie, ce qu'on appelle la prévalence? Le centre du Manitoba a fait l'exercice. C'est possible parce qu'il peut aller chercher les données sur les médicaments, car beaucoup sont prescrits exclusivement pour les maladies cardiovasculaires. Ces données indiquent que les taux de décès diminuent depuis une soixantaine d'années, mais que le nombre de personnes souffrant de maladies cardiaques reste le même d'année en année. Une conclusion qui s'explique par le fait que l'on garde les patients en vie plus longtemps.
Les coûts ne peuvent pas diminuer, parce que ce sont tous ces médicaments qui font grimper la facture. Il s'agit de médicaments de première classe, qui nous coûtent plus que tout le reste mis ensemble. Des patients doivent prendre des médicaments contre l'hypertension toute leur vie. Certains doivent prendre de la statine pour toujours.
Au bout du compte, nous ne tenons même pas les commandes dans cette affaire, et c'est en grande partie un différend fédéral-provincial-territorial. Il faudrait établir une structure commune et globale. Statistique Canada pourrait en faire beaucoup, l'ICIS aussi, mais il faut leur donner le pouvoir d'agir.
Je terminerai avec ceci : il est formidable que nous ayons des données d'excellente qualité sur le tabagisme — déclarées par les répondants eux-mêmes, mais très bonnes tout de même. Nous avons maintenant différentes mesures grâce à l'Enquête canadienne sur les mesures de la santé, et nous en obtiendrons d'autres auprès de la population, entre autres par le dosage de la cotinine urinaire, pour veiller à ce que nous ayons un portrait complet de la consommation de tabac. Le tabagisme est de loin la plus importante cause de décès prématuré et inutile. Il est important de comprendre cette réalité, mais aussi de savoir qui commence à fumer et qui délaisse la cigarette chaque année, par groupe d'âge, par sexe, par classe sociale et par région. Ce sont là les différents déterminants.
Si on arrivait à empêcher les gens de fumer jusqu'à l'âge de 21 ans, 95 p. 100 d'entre eux ne prendrait jamais cette habitude de leur vie. Ce n'est pas un créneau trop difficile à cibler, n'est-ce pas? Je suis persuadé que nous pouvons y arriver. Toutefois, nous ne découpons pas les données de façon à savoir qui commence à fumer et qui arrête de fumer et quelles sont les dernières tendances. C'est le premier problème.
Le deuxième, c'est que nous n'avons pas systématiquement recueilli les mêmes données que les Britanniques. On retrouve les références à la toute dernière page. En Grande-Bretagne, on dispose d'une série de données groupées par classe sociale qui s'échelonnent sur 50 ans. Ces données laissent deviner une situation peu reluisante, pour les femmes dans ce cas-ci. On constate que si les femmes, toutes classes sociales confondues, avaient une consommation de tabac semblable en 1955, aujourd'hui, les femmes défavorisées et celles qui ont un niveau de scolarité moindre fument quatre fois plus que les femmes les mieux nanties et éduquées. Je présume que l'on pourrait faire les mêmes constatations ici, et peut-être obtenir des résultats plus inquiétants encore dans certaines communautés.
Voilà le genre de données dont nous avons besoin. Sans elles, et sans l'appui de ce sous-comité pour bien diriger les investissements, nous ne serons pas en mesure de prendre les choses en main.
Marc Brooks, directeur général, Direction générale du développement communautaire, Politiques socio-économiques et opérations régionales, Affaires indiennes et du Nord Canada : Je tiens à remercier le président et les membres du comité de m'avoir permis de venir faire le point sur mon dernier rapport, que j'ai présenté en avril. Je parlerai principalement des conditions d'habitation et de l'approvisionnement en eau, qui influent sur les déterminants sociaux de la santé chez les communautés des Premières nations vivant dans les réserves. Je ferai également quelques observations quant à la façon dont notre travail contribue à suivre l'évolution des résultats en matière de santé et à soutenir la recherche sur les interventions afin d'améliorer la santé de la population.
Une des façons dont le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, le MAINC, peut influer le plus directement sur la santé de la population réside dans nos efforts continus pour améliorer l'accès à l'eau potable au sein des communautés des Premières nations. Je reconnais qu'il y a bien d'autres déterminants, mais j'insisterai sur les déterminants fondamentaux dont je m'occupe.
L'an dernier, lorsque j'ai témoigné devant ce comité, j'ai parlé des activités de notre ministère visant à permettre aux communautés des Premières nations d'accéder plus facilement à de l'eau potable propre et sûre. J'avais alors indiqué que le nombre de communautés des Premières nations desservies par un système de traitement des eaux à haut risque était passé de 193, en 2003, à 97. Dans ce contexte, on juge à haut risque les systèmes qui ne sont pas dotés d'un mécanisme auxiliaire automatique; donc, si quelque chose tourne mal, il est très peu probable que l'on puisse corriger la situation pour s'assurer que l'eau est bonne à boire. Au cours de la dernière année, nous avons réussi à réduire ce nombre à 85. De plus, la proportion d'opérateurs des installations de traitement de l'eau à avoir obtenu une certification de niveau I est passé à 41 p. 100. Je comprends que ce chiffre semble peu élevé, mais c'est en fait un pas en avant. C'est un secteur pour lequel on a extrêmement de difficulté à répondre à la demande partout au pays. Il n'y a pas suffisamment d'opérateurs au traitement de l'eau et nous avons du mal à les garder en poste dans bien des communautés. Ils partent à la recherche de meilleures conditions.
[Français]
Au début d'avril, le ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada a annoncé la prochaine étape du plan d'assainissement de l'eau potable dans toutes les communautés des Premières nations. Le plan prévoit un financement additionnel de 330 millions de dollars pour le plan de gestion de l'eau et des eaux usées des Premières nations.
[Traduction]
L'évaluation à l'échelle nationale de tous les systèmes d'aqueducs et d'égouts dans les collectivités des Premières nations est un élément clé de ce plan. Cette évaluation nous permettra d'avoir une vue d'ensemble des systèmes d'approvisionnement en eau potable et de décider des investissements à effectuer dans les communautés. Les résultats de l'évaluation seront rendus publics l'an prochain, et ils orienteront les décisions futures touchant les investissements dans les systèmes d'approvisionnement en eau et de traitement des eaux usées.
[Français]
Nous savons tous à quel point il est important d'assurer une permanence bien formée et certifiée dans les installations de traitement des eaux. Non seulement les opérateurs qualifiés assurent un approvisionnement sûr aux résidants, mais ils veillent aussi à la conservation des infrastructures. Nous avons doublé le mandat du programme des formateurs itinérants, grâce auquel les opérateurs reçoivent une formation pratique dans leurs communautés et auprès des professionnels certifiés.
[Traduction]
Dorénavant, AINC compte promouvoir la construction de systèmes conformes aux ressources techniques, financières et administratives des communautés auxquels ils sont destinés, de manière à réduire les risques à long terme pour la santé.
La plupart des habitations rurales au Canada sont dotées de puits et d'installations septiques. Ces dernières années, les communautés des Premières nations se sont mises à s'équiper de systèmes centraux de canalisations. Mon ministère élabore présentement des normes claires pour guider les Premières nations dans la planification, la conception et l'exploitation de plus petits réseaux d'égouts et d'alimentation en eau, tels que les fosses septiques et les puits, lorsque c'est possible. Les systèmes d'approvisionnement en eau potable et de traitement des eaux usées constituent une solution plus rentable, ce qui est d'autant plus important que le financement des infrastructures est limité.
Enfin, AINC et Santé Canada se sont engagés à faire participer les communautés des Premières nations, les organisations régionales et nationales, ainsi que les gouvernements provinciaux et territoriaux à la création d'un cadre fédéral législatif sur l'eau potable et les eaux usées dans les réserves. Une mesure législative donnerait au gouvernement du Canada le pouvoir de combler l'écart dans la réglementation actuelle entre les réseaux d'alimentation en eau dans les réserves et à l'extérieur. Cette étape importante permettra de protéger la salubrité de l'eau dans les communautés des Premières nations au même titre que partout ailleurs au Canada.
[Français]
Je voudrais maintenant parler du rôle du gouvernement du Canada dans le dossier du logement des Premières nations qui comprend les nouvelles constructions, les rénovations, le logement public, le développement des compétences et d'autres activités liées au logement. La contribution du gouvernement à ce chapitre est importante, mais il cherche des façons de la rendre aussi plus efficace.
[Traduction]
Le gouvernement s'est engagé à revoir la politique d'AINC de 1996 relative au logement dans les réserves. Ce faisant, il reconnaîtra que toutes les communautés ne disposent pas des mêmes ressources pour offrir des logements convenables à leurs membres. La nouvelle politique vise à aider ceux qui en ont le plus besoin, et à ce que les Premières nations aient davantage accès à toutes les options possibles, y compris aux logements du marché ou à l'accession à la propriété.
Le Fonds de 300 millions de dollars d'aide au logement du marché des Premières nations dont la création a été annoncée récemment favorisera l'achat d'habitations dans les réserves et offrira davantage d'autonomie en matière de logement aux membres des communautés. Le fonds sera géré par un conseil d'administration regroupant des représentants des Premières nations, du secteur privé des finances et du gouvernement fédéral. Ces membres ont été désignés au terme d'un processus de sélection public. Ils ont tenu récemment leur première réunion, au cours de laquelle ils ont approuvé les critères d'accès et les paramètres de fonctionnement du fonds, qui devrait être fonctionnel en mai 2008.
Le système de logement du marché peut procurer de nombreux avantages aux communautés des Premières nations, en créant notamment des emplois dans le secteur de la construction résidentielle, en réduisant la pénurie de logements, en donnant un sentiment de fierté aux propriétaires et en leur offrant les moyens d'accroître leurs actifs et de créer de la richesse. On pourra ainsi améliorer la qualité des logements et la qualité de vie dans les réserves. Le Fonds de logement du marché des Premières nations permettra de financer 25 000 nouvelles unités d'habitation d'ici 10 ans.
[Français]
Pour accroître la disponibilité de logements dans les communautés des Premières nations, il faut maintenir les niveaux actuels de logement. La moisissure dans certaines demeures est une menace à la santé et à la sécurité des Premières nations. Cette moisissure est plus répandue dans les logements des réserves en raison du nombre d'habitants qui s'y entasse, de la mauvaise qualité des bâtiments, du manque d'entretien, des inondations chroniques et du manque d'aération.
[Traduction]
Le comité des Premières nations sur la qualité de l'air intérieur, regroupant des représentants d'AINC, de Santé Canada, de la Société canadienne d'hypothèques et de logement et de l'Assemblée des Premières Nations, a mis sur pied une stratégie nationale de lutte contre la moisissure, en partenariat avec de nombreux intervenants clés des Premières nations. Cette initiative prévoit des activités telles qu'une campagne de sensibilisation, des formations techniques et un processus d'autoévaluation et d'identification conçu pour les Premières nations qui sont aux prises avec de graves problèmes de moisissure dans leurs communautés.
Tout comme le comité cherche à sensibiliser la population aux questions relatives à la santé, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien tente de lui faire prendre conscience des conditions de vie et des problèmes qui ont une incidence sur le bien-être des Premières nations. Notre ministère est fier d'être l'un des commanditaires de Closer to Home, un documentaire en six épisodes qui présente aux téléspectateurs la vie dans les réserves au Canada du point de vue particulier des Premières nations. L'un des buts de cette télésérie est d'offrir au public canadien un portrait plus fidèle des conditions essentielles à la santé.
[Français]
Je souhaite aussi souligner comment nous contribuons aux mesures intersectorielles préconisées par le comité ainsi qu'à la constitution de la base de données sur la santé de la population.
[Traduction]
Affaires indiennes et du Nord Canada reconnaît la gravité des difficultés sociales, économiques et sanitaires auxquelles beaucoup de communautés doivent faire face, de même que la nécessité d'appliquer des solutions globales et multidisciplinaires. En travaillant en partenariat avec d'autres ministères fédéraux, notamment Santé Canada, et en s'inspirant des méthodes holistiques et traditionnelles efficaces des Premières nations, le ministère élabore des politiques innovatrices et des plans communautaires exhaustifs qui apportent un soutien adéquat aux communautés en crise.
En ce qui concerne les recommandations relatives aux données et à la recherche, nous sommes tout à fait d'accord qu'il est essentiel d'améliorer l'échange de données et les pratiques de gestion des logements pour accroître le nombre d'habitations bien entretenues, salubres et sécuritaires dans les réserves.
AINC a créé un système intégré de gestion des immobilisations qui facilite la collecte de données, le suivi et les rapports de toutes les activités liées aux immobilisations dans les réserves, y compris celles qui concernent le logement, les infrastructures hydrauliques, les structures communautaires et la gestion des biens de la communauté. Ce système peut s'intégrer à une base de données globale sur la santé en fournissant des données sur la façon dont les infrastructures et leur gestion peuvent influencer la santé et le bien-être des Autochtones canadiens. Il peut aussi être une source de données précises à l'appui des recherches sur l'eau potable et la qualité de l'air intérieur dans les communautés des Premières nations.
De plus, notre division de la recherche et de l'analyse procèdera à une mise à jour de l'Indice du bien-être des collectivités des Premières nations, qui s'appuie sur les données du recensement. Actuellement, l'indice illustre les tendances au sein des communautés de 1981 à 2001. Une fois la mise à jour terminée, il tiendra compte des résultats du recensement de 2006. Cet indice intersectoriel et longitudinal comprend des données sur les niveaux d'instruction atteints, les activités de la main-d'œuvre, le revenu et la qualité des logements. Les composants de l'indice servent à évaluer les déterminants sociaux de la santé et du bien-être.
Pour conclure, nous estimons que les Autochtones au Canada, y compris les membres des Premières nations, doivent jouir des mêmes privilèges que tous les autres Canadiens. Nous savons qu'en dépit des progrès réalisés, il reste beaucoup à faire. Au moyen de cette présentation, j'ai tenté de vous faire part des initiatives qui nous aideront à améliorer la santé des Premières nations.
Le président : Merci beaucoup à tous. Je vais maintenant revenir sur la première option possible. Je devrais peut-être diviser ma question en deux; vous n'aurez qu'à me le dire.
En ce qui concerne l'enrichissement de la base de données sur la santé de la population, je vois différentes composantes. Premièrement, nous avons sans contredit de grandes bases de données, comme celles de Statistique Canada et de l'ICIS avec l'Initiative sur la santé de la population canadienne. Celle de l'Agence de la santé publique du Canada contient également beaucoup de renseignements. J'ai eu le privilège de la consulter. Nous avons aussi, bien sûr, l'Inforoute santé du Canada, qui est encore en phase de conception, ainsi que toutes les bases de données provinciales. Si nous pouvions trouver un moyen de regrouper toutes ces informations, nous aurions un excellent accès aux renseignements concernant la santé de la population. Cela pourrait être possible pour la composante de la santé, si nous pouvions trouver une bonne façon de le faire.
Passons maintenant aux autres déterminants dont M. Brooks a parlé, comme l'alimentation en eau, la nourriture, le logement, et cetera. C'est la raison pour laquelle je disais qu'il y a probablement deux volets à cette question. Nous devrions peut-être parler de la santé en premier, puis nous pencher sur la façon d'intégrer les onze autres déterminants à la base de données.
Les témoins pourraient-ils tous se prononcer sur la question à savoir s'il nous faut quelque chose de nouveau, et s'il y a déjà tout ce qu'il faut dans les ressources existantes? S'agit-il seulement de la manière de les intégrer et de les faire communiquer entre elles? Qui aura la grande sagesse de répondre?
M. Halliwell : Je vais traiter d'un aspect qui me dérange depuis un certain temps, et qui, je crois, pourra servir de cadre à cette question. Je l'ai constaté alors j'étais aux États-Unis, à Washington, en discutant avec les Américains du travail qu'ils effectuent. Il s'agit de la manière dont nous gérons les risques en matière de protection des renseignements personnels dans le milieu de la recherche au Canada. J'ai écrit là-dessus dans Horizons, une publication du Projet de recherche sur les politiques. Nous n'établissons pas de distinction entre un ensemble de données qui comporte de nombreux identifiants individuels — ce qui correspond à la manière dont la plupart des gens conçoivent la protection des renseignements personnels — et un ensemble de données d'où ces types d'identifiants ont été prélevés, mais qui renferment une quantité raisonnable de détails sur les antécédents personnels. Il existe un minuscule risque qu'en tant que chercheurs, nous examinions un dossier individuel en disant : « Je crois savoir de qui il s'agit. J'en sais plus sur cette personne que je n'en aurais su autrement ». Si je vous fais cette description, et que je devais vous montrer le type d'ensemble de données dont on parle, cela ne ressemblerait pas à de l'information personnelle. Toutefois, nous avons interprété les renseignements personnels de façon à ce que tous ces éléments soient englobés dans une norme élevée de protection contre les risques. Par conséquent, nous sous-exploitons ces données.
À l'inverse, aux États-Unis, on retirera les identifiants des données et on effectuera une certaine agrégation des données, mais les Américains ne réduisent pas littéralement à zéro un risque tel que, par exemple, en écumant les 3 000 dossiers de l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, on tombe sur son voisin. Le fait que nous le fassions, au Canada, est devenu un obstacle à notre capacité d'effectuer de la recherche dans ce domaine. Nous ne gérons pas les risques relatifs à des ensembles de données anonymisées utilisées à des fins de recherche, et cela devient lourd à porter. Il en résulte des ensembles de données agrégées de telle manière, souvent en fonction de la géographie, que même la capacité d'établir la correspondance entre les données, pas nécessairement de personne à personne, mais en fonction d'unités géographiques plus petites, plus fines, est difficile à gérer.
De fait, nous avons quelque chose qui existe en ce qui concerne les ensembles individuels de données — par exemple, les données contenues dans l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes —, et il s'agit du merveilleux travail accompli par Statistique Canada et le Conseil de recherches en sciences humaines pour transmettre ces ensembles de microdonnées aux centres de données de recherche universitaire de Statistique Canada. Là, les chercheurs canadiens ont maintenant accès à une mine de renseignements pratiquement inconcevable il y a 15 ans, et peuvent travailler avec le type de microdonnées dont le Dr Frank a fait la description. Toutefois, tandis que nous tentons de mettre ensemble ces sources de données disparates, si nous avons ce niveau de tolérance incroyablement bas pour tout ce qui nous semble présenter un risque sur le plan de la perte de la protection de la vie privée, cela pourrait constituer un obstacle insurmontable.
Le président : Monsieur Wolfson, qui est outillé pour faire face à cette situation?
M. Wolfson : Il n'existe pas de réponse simple à cette question. Je vais me prononcer là-dessus selon la manière dont on présente la question à la page 12, soit sous deux angles : premièrement, les échanges d'information existants et la manière dont le statu quo est susceptible d'évoluer; et deuxièmement, les nouvelles questions qui devraient surgir.
J'aimerais être en mesure de dire que Statistique Canada peut tout faire, mais ce n'est pas vrai. Si nous remontons à l'époque avant la naissance de l'Institut canadien d'information sur la santé, ou ICIS, et au rapport du groupe de travail qui lui a donné lieu, ce groupe de travail avait conclu, premièrement, que notre système de renseignements sur la santé était sens dessus dessous. Il s'est amélioré considérablement depuis, mais le rapport avait proposé un conseil de coordination des renseignements sur la santé. Pour le meilleur ou pour le pire, cette recommandation n'a pas été adoptée. Nous avons le conseil de l'ICIS. L'autre recommandation d'ordre organisationnel était de créer l'ICIS, un amalgame de ce qu'il y avait à Statistique Canada et d'une partie de ce qu'il y avait à Santé Canada, en plus de plus deux organismes prédécesseurs, l'un traitant de données sur les malades et l'autre, de données financières.
Au début des années 1990, on avait évalué que les intervenants étaient si disparates qu'ils n'incluraient pas seulement les ministères fédéraux, mais également les ministères provinciaux et les hôpitaux. Chaque groupe a un rôle important à jouer, mais aucun ne se charge de tout. D'une manière ou d'une autre, il est nécessaire de les rassembler.
Le Conseil de l'Institut canadien d'information sur la santé, ou ICIS, a fait un merveilleux travail, mais il est légalement le conseil de l'entreprise privée sans but lucratif qu'est l'ICIS. Bien qu'il s'agisse là d'une bonne représentation, j'ignore s'il est l'organisme indiqué pour s'en charger. En conséquence, nous avons une lacune. Il y a eu le Forum national sur la santé, puis un comité sur l'information nommé par le ministre de la Santé, en 1997, qui a mené à la naissance de l'Inforoute Santé du Canada. Plusieurs efforts, au cours des années 1990, visaient à s'attaquer à cette question, mais aucun n'a porté ses fruits. Réunir tous ces éléments constitue un défi organisationnel.
Je suis d'accord avec M. Halliwell pour dire que cette question de protection des renseignements personnels est allée trop loin dans un sens. Elle entrave beaucoup de possibilités de bon travail.
Statistique Canada travaillait autrefois directement avec les provinces, et beaucoup de données nous étaient transmises de façon directe. Avec la création de l'ICIS, toutefois, la situation a changé. Pour éliminer les chevauchements et les recoupements, ils transmettaient les données à l'ICIS, et ensuite à nous, mais cela n'a pas très bien fonctionné. Nous avons rouvert les discussions avec les provinces. Malgré ce qu'en a dit M. Halliwell, pour effectuer le couplage des données, il nous faut les noms et les adresses. Une fois ces liens établis, deux ou trois personnes doivent pouvoir voir ces informations; il n'est pas nécessaire que d'autres les voient. Nous retirons des éléments pour que les gens aient l'information importante, sans les renseignements nominaux. Il existe une différence subtile entre dénominaliser — retirer les noms — et rendre les choses non identifiables. Et c'est là qu'intervient la gestion des risques. Comme je l'ai dit dans mes remarques, j'estime que Statistique Canada est en bonne position, compte tenu de la Loi sur la statistique, pour jouer un rôle important au chapitre du couplage des données et pour réunir les mondes vernaculaire et biomédical.
Une autre préoccupation concerne Inforoute. Je connais assez bien un certain nombre de gens à cette société, mais jusqu'à il y a un an environ, l'organisme se concentrait, pour de bonnes raisons, entièrement sur la perspective des soins dispensés aux malades. C'est seulement depuis un an, environ, que nous avons discuté à quelques reprises d'élargir ce que certains appellent l'» utilisation secondaire ». Je n'aime pas cette expression, car elle laisse entendre qu'utiliser les données pour autre chose que les soins immédiats aux patients a une importance secondaire, ce qui est tout à fait faux. En raison de craintes légitimes envers la réaction du public pour des motifs de protection de la vie privée, on a hésité à s'aventurer à en discuter.
Il existe un énorme potentiel sur le plan de la conception de ces systèmes et des incitatifs qu'Inforoute est en mesure d'accorder aux provinces, tandis qu'elles mettent sur pied ces systèmes, afin de leur dire : « Vous devez être capable de le faire, non seulement pour les soins immédiats aux patients, mais aussi en gardant en tête l'immense potentiel d'utilisation de ces données sur le plan de la santé des populations ». Je pense que les gens d'Inforoute Santé vous diront que personne ne leur a demandé d'appliquer une telle mesure, et que cela ne fait pas partie de leur mandat. Statistique Canada ne peut le faire, et l'ICIS non plus. Le conseil d'Inforoute dira probablement que ce n'est pas pour cela qu'on leur a accordé des fonds.
Qui devrait s'en charger? Je pense que la première étape consiste à reconnaître que la question se pose.
Nous avons déjà des discussions informelles — par exemple, entre l'ICIS, Statistique Canada, le Conseil de la santé ainsi que, dans l'avenir, je crois, la Commission de la santé mentale du Canada — où nous avons tenté d'en arriver à un consensus. Jusqu'ici, nous sommes tombés d'accord sur le fait que l'ICIS et Statistique Canada s'occupent principalement de la collecte de données, et que ces autres organismes, à mesure qu'ils voient le jour, n'entreprendront pas — sauf dans des circonstances exceptionnelles — d'aller recueillir leurs propres données. Au lieu de cela, ils utiliseront l'infrastructure existante. Sans aucune coordination ni direction explicites, nous avons élaboré, de manière informelle, un modus vivendi pour tenter de réduire les multiples processus de collecte de données.
Ce que vous m'entendez dire, monsieur Halliwell et Dr Frank en particulier, au moins de façon générale — et la question autochtone est spéciale —, c'est qu'il y a des possibilités formidables tandis que nous allons vers des renseignements davantage électroniques, ou que nous attendent diverses choses. Toutefois, il n'y a pas de lieu où l'on est responsable de la planification stratégique du système d'information canadien.
Dr Frank : Je suis confronté à la même question. Je pense qu'il est important de bien comprendre ce qui n'est pas en place. Par exemple, pratiquement tous les États-nations d'Europe, qui sont certainement ceux qui accomplissent le meilleur travail pour ce qui est de ce genre de collecte, d'analyse et d'interprétation de données à des fins de politiques, ont un institut national de santé publique. Ils sont bien différents de ce que j'ai dirigé pendant sept ans et demi, aux Instituts de recherche en santé du Canada, parce que je n'ai aucun scientifique à l'interne; j'ai quatre employés.
J'ai aimé exercer ces fonctions. C'est le meilleur travail que puisse trouver, au Canada, quelqu'un qui a des titres de compétences comme les miennes, mais je n'ai pas l'occasion de faire de la recherche au sein des IRSC, car l'organisme n'est pas conçu à cette fin. Seulement une part de 6 p. 100 du budget des IRSC va à autre chose qu'aux entités intermédiaires.
Qui s'occupe de mettre tout cela ensemble? Premièrement, il n'y a aucun cadre juridique qui permette à une agence ou à un ministère d'avoir le niveau d'autorité approprié pour réunir tout cela en exerçant la surveillance qui convient, y compris une surveillance éthique et juridique.
Deuxièmement, il ne vaudra même pas la peine de mettre sur pied une telle institution si on n'attire pas les meilleurs cerveaux. En ce moment, les personnes les plus brillantes souhaitent travailler dans les universités ou les instituts de recherche médicale. Elles ne veulent pas travailler pour un organisme fédéral. Mais il y a quelques exceptions, dont certaines personnes à cette table.
La jeune génération craint que travailler pour le gouvernement signifiera qu'on sera bâillonné s'il y a un problème, lorsqu'on trouvera une information que personne ne souhaite voir publicisée. Nous devons changer cela en créant une structure — peut-être une structure conjointe. Elle devrait avoir des liens étroits avec toutes les structures dont M. Wolfson et les autres nous ont parlé.
Nous avons besoin d'une structure qui a une certaine autonomie. Il nous faut de solides titulaires en milieu universitaire, puis on pourra embaucher des éléments brillants qui joindront leurs efforts dans un programme axé sur une mission — et non des chercheurs individuels, de manière ponctuelle, qui choisiront ce qui les intéresse. Aux IRSC, nous le faisons très bien. Pour avoir un programme axé sur une mission, il faut une structure de gouvernance dans une véritable institution, qui remplira ce mandat pour un État-nation. Je ne vois aucune autre solution.
Le président : Qu'entendez-vous exactement par « institution », docteur Frank?
Dr Frank : J'utilise cette expression au sens large que lui donne Fraser Mustard. Il faut qu'on ait une structure dont l'autorité s'appuie sur une base légale, et qui a une autonomie suffisante pour pouvoir dire la vérité à la population canadienne et aux décideurs; mais elle doit aussi être assez indépendante du travail ministériel — c'est-à-dire de la voie hiérarchique des ministères responsables — pour pouvoir attirer des gens vraiment brillants qui ont besoin d'autonomie, ou cela ne fonctionnera pas.
M. Wolfson : Le système est clairement de nature fédérale et provinciale. C'est un point d'achoppement majeur pour ce qui est de la création d'une structure générale.
Le président : La même chose vaut pour Inforoute. Vous vous souviendrez tous des conversations que nous avons entendues pendant des jours, alors que nous tentions de créer Inforoute.
Nous devons réellement régler cette question. J'espère que nous sortirons de cette réunion, ce soir, avec un certain concept que nous pourrons enrichir. Autrement dit, les ressources semblent être là, si nous arrivons à les rassembler. Est-ce une observation raisonnable? Avez-vous des doutes?
M. Wolfson : Il y a plusieurs catégories de ressources différentes. Par exemple, certains d'entre nous ont fait allusion à l'importance des données longitudinales. D'après ce que j'ai compris, nous avons une étude par cohortes sur le cancer au coût de 90 millions de dollars. C'est une grande ressource. On ne sait pas vraiment dans quelle mesure il s'agira d'une cohorte axée sur la santé de la population plutôt que sur la génomique.
Inforoute a les fonds pour mettre les choses en branle. L'organisme paie une fraction du coût, mais la participation des provinces et les domaines dont elles choisissent de s'occuper en premier varient considérablement d'une province à l'autre.
Tout le monde dira que normaliser l'information recueillie dans les hôpitaux, les cabinets des médecins et les laboratoires est une excellente idée; mais qu'en est-il si une somme considérable a déjà été engloutie dans la mise en place de chacun des systèmes provinciaux, sans que personne ne se soit présenté assez tôt pour préciser qu'il fallait recueillir l'information selon ce mode commun?
Nous tenons pour acquis les causes de décès, parce qu'il y a 100 ans, l'Organisation mondiale de la santé a mis au point un système de classification. Quand on aborde d'autres domaines — Pour quelle raison avez-vous consulté le médecin?— il existe de nombreux systèmes de classification différents à l'échelle du pays. Le Manitoba peut faire quelque chose à l'intérieur de la province, mais quand on voudra établir des comparaisons entre les provinces, les choses se compliqueront.
L'argent aide. Où est l'incitatif pour affirmer que nous voudrions, à l'échelle nationale, encourager les provinces non seulement à mettre au point ces systèmes, mais à le faire d'une manière qui comporte des normes? Inforoute accomplit cela à bien des niveaux, mais dans une perspective de santé de la population, je ne pense pas qu'il y ait suffisamment d'argent. Il n'y a pas d'argent sur la table à cette fin.
Dans le domaine de la recherche, M. Halliwell parlait de faire des expériences. Mais elles sont très coûteuses; il n'y a pas d'argent pour cela.
M. Halliwell : En guise de remarque là-dessus, je dirais que, dans un sens, nous entretenons cet idéal d'avoir un système pancanadien équivalent à celui constitué par le centre manitobain, mais nous avons le sentiment que quelqu'un doit s'en charger. Si cela se réalisait et que nous pouvions composer avec certaines restrictions relatives à la protection des renseignements personnels, peut-être pourrions-nous y arriver.
Ce qui me préoccupe, c'est de savoir pourquoi, avec le merveilleux exemple de ce qui a été fait au Manitoba, les autres gouvernements provinciaux n'ont pas déclaré qu'ils souhaitaient également une institution de ce genre, en faisant les investissements nécessaires pour concrétiser le projet. Cela s'est produit par bribes; je crois que la Colombie- Britannique a probablement un bon organisme, mais les autres provinces n'ont pas réellement pris de mesures en ce sens.
Je suis un peu préoccupé par le fait que, même avec une impulsion nationale et la barrière du privé qui est, dans un certain sens, surmontée, le fait de ne pas réussir à avoir 10 systèmes de ce type — ce qui constituerait un énorme progrès par rapport à la situation actuelle — pourrait être symptomatique d'un réflexe profondément ancré relativement à notre manque d'engagement à l'égard de la prise de décisions fondées sur des preuves dans ce domaine particulier.
Le sénateur Eggleton : Docteur Frank, en ce qui concerne l'institut auquel vous avez fait allusion tout à l'heure, existe-t-il un modèle? J'essaye de bien comprendre comment cela fonctionnerait.
Dr Frank : Je visiterais la Scandinavie. Tous les pays scandinaves ont une telle structure, où un solide programme est mis en œuvre au sein d'une institution qui fait appel à des chercheurs de haut calibre, et qui a des liens étroits avec le monde universitaire.
J'hésite à ajouter quelque chose au mélange. La liste d'organismes, d'agences, de structures, de commissions et de bureaux est ahurissante, même au palier fédéral. On arrive à peine à déterminer qui fait quoi. Ce n'est pas conçu de la meilleure façon pour s'assurer les bons types de cerveaux et les bonnes données, en plus des liens avec les décideurs pour poser les questions qu'il faut.
Avez-vous examiné quelques modèles nord-européens et ouest-européens? Cela vaudrait la peine.
Le président : Nous avons interrogé des responsables de ces modèles par vidéoconférence, mais nous ne les avons pas visités.
Dr Frank : Ne vous donnez pas la peine d'aller en Écosse; les Écossais n'ont pas réussi à résoudre la question, eux non plus, alors qu'ils sont cinq millions.
Le président : J'ai l'impression que nous nous en approchons, que nous préconisions l'adoption du modèle manitobain ou que nous tentions de créer une structure générale. Soit dit en passant, je ne m'illusionne pas, monsieur Halliwell. J'en conviens.
Le sénateur Cook : Si je comprends bien, vous avez toutes ces merveilleuses données, mais personne n'est certain de la manière de les utiliser. Ai-je raison de penser ainsi? Je termine avec le second volet de ma question. Il semble y avoir des entraves au progrès. Voudriez-vous nous en dire plus sur la nature de ces obstacles et sur la façon dont vous vous y prendriez pour les éliminer, si vous le pouviez? Il nous tarde d'améliorer la santé publique dans ce pays afin que nous puissions mieux vivre. Nous devons éliminer les barrières et mettre au point des procédés réalistes.
M. Wolfson : Pour ce qui est de votre premier point au sujet de l'utilisation des données, M. Halliwell a bien cerné le problème. Il est bien de pouvoir décrire le problème. Nous disposons de données raisonnablement bonnes qui nous disent quelle est, à un moment donné, la répartition de l'état de santé et où se situent les iniquités. Toutefois, il faut aussi savoir que faire de ces données. La lacune identifiée par M. Halliwell en matière de recherche sur l'intervention me semble être le goulet d'étranglement.
Un des obstacles est la protection de la vie privée. J'hésite à employer l'expression, mais je vais parler du « froid jeté par la protection de la vie privée ». On craint, à bon droit selon moi, que nous n'ayons pas tout à fait frappé le bon équilibre en matière de recherche, d'analyse de politiques et de communication efficace de l'information au grand public canadien. Loin de moi l'idée de vouloir minimiser l'importance de la protection de la vie privée et du caractère confidentiel des données, et à Statistique Canada, nous avons comme valeur bien ancrée de garder jalousement la vie privée et d'être extrêmement prudents à son égard. Cependant, il faut pouvoir utiliser ces données. En tant qu'analyste de données, j'aime bien dire qu'il faut faire parler les données.
Un autre obstacle dont nous venons tout juste de parler vient des structures institutionnelles. Il y a de nombreux intervenants — aux niveaux fédéral, provincial et local —, et certaines décisions sont laissées à la discrétion de l'hôpital ou de la régie régionale de la santé plutôt qu'au gouvernement provincial ou fédéral. Il faut que tous ces intervenants aient une position commune et qu'ils soient disposés à travailler ensemble.
M. Halliwell : Ce que vous demandez à savoir, docteur Keon, c'est si nous avons déjà la matière première ou s'il ne manque que le liant. Peut-être était-ce là votre question également, sénateur Cook.
D'instinct, je dirais que, par rapport à la situation qui régnait avant le premier Carnet de route de l'information sur la santé, nous disposons désormais d'une grande partie de la matière première. Le grand public appuie massivement ce genre d'initiative, si nous arrivions à contourner les obstacles créés par les élites. À cette fin, j'aurai besoin de l'aide de M. Wolfson pour une statistique particulière. Quand les gens remplissent leur questionnaire aux fins de l'Enquête nationale sur la santé de la population ou de l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, on leur demande à la toute fin s'ils acceptent que ces données soient utilisées par Santé Canada à des fins de recherche. Si ma mémoire est bonne, 95 p. 100 d'entre eux acceptent, de sorte que Santé Canada pourrait avoir ce micro-fichier. La population en a approuvé le principe. Voilà qui est peut-être révélateur du niveau de confiance qu'on porte à Santé Canada en tant qu'institution, ainsi que du niveau de confiance dont jouit Statistique Canada.
De la même façon, je crois que l'Enquête nationale sur la santé de la population demande depuis des années aux répondants s'ils acceptent que ces données soient mises en corrélation avec les données sur la santé du RAMO ou de la RAMQ à des fins de recherche. Si je ne m'abuse, le taux d'acceptation à cet égard était également très élevé.
La grande majorité des Canadiens sont conscients du besoin de recherche, à condition qu'elle soit faite par des institutions auxquelles ils font confiance. Ils sont disposés à permettre l'utilisation des données et à l'appuyer mais, quelque part dans les hautes sphères, on nous refuse l'ingrédient clé qui nous permettrait de transformer cette matière première en produit fini. Je ne suis pas sûr d'en comprendre la raison, pour être tout à fait honnête avec vous.
Le sénateur Cook : Les personnes au service desquelles nous travaillons l'ont sûrement fait. D'où les autorités dont vous parlez tiennent-elles leur mandat pour mettre ainsi des bâtons dans les roues?
M. Wolfson : Nous participons à l'initiative relative à l'enquête longitudinale et à la collecte de données administratives. Elle vise justement à utiliser les 300 000 à 400 000 réponses reçues dans le cadre de l'enquête sur la santé, durant laquelle les personnes interrogées nous ont autorisés à corréler ces données avec leurs dossiers de santé provinciaux, puis de demander à la province de nous fournir ces dossiers. Nous en avons le pouvoir constitutionnel, grâce à la Loi fédérale sur la statistique et au consentement des personnes concernées. Pourtant, il nous a fallu deux ans de discussions, et nous sommes sur le point de signer des protocoles d'entente avec au moins trois ou quatre provinces. Chaque fois, il a fallu que notre avocat s'entretienne avec l'avocat provincial, qu'il lui explique dans le détail la Loi sur la protection des renseignements personnels et la loi provinciale de la santé, qu'il lui prouve que tout est dans les règles, mais les fonctionnaires de ces ministères sont nerveux, et le meilleur moyen qu'ils ont trouvé pour minimiser le risque est de ne pas divulguer les données.
Le sénateur Cook : Pourtant, les personnes au service desquelles nous travaillons ont autorisé leur utilisation. Terre- Neuve est-elle du nombre?
M. Wolfson : En réalité, à la réunion que nous avons eue la semaine dernière, Terre-Neuve était l'une des deux provinces entrées dans la course pour être la première à signer un protocole d'entente.
Le président : Nous allons maintenant nous éloigner de l'organisation plus générale, que nous espérons promouvoir pour la santé de la population, et en venir à celle de la communauté que nous ciblons actuellement, soit les Autochtones. Je suis conscient des nombreux obstacles à surmonter. Pour ce qui est d'avoir un système d'information qui serait utile en matière de santé autochtone, certaines régions sont déjà en train de mettre sur pied des banques de données autonomes.
Quelle devrait être l'approche adoptée en matière de santé autochtone, sur le plan de la technologie de l'information? Il faut nous dire ce que vous êtes en train de faire pour réunir des données sur l'air, l'eau et l'alimentation.
M. Brooks : Le système d'information que j'ai mentionné, soit le Système intégré de gestion des immobilisations, n'a rien à voir avec la santé. Il s'agit davantage d'un système sur la durée de vie des immobilisations en vue de recueillir de l'information que nous croyons pouvoir utiliser pour cerner certains facteurs d'influence sur les déterminants de la santé.
Il existe effectivement un Institut de statistiques des Premières nations, mais plusieurs collectivités ou groupes des Premières nations ont refusé de participer au recensement, ce qui a essentiellement créé un vide. La collecte de données a été difficile.
Je suis sûr que M. Wolfson peut vous parler avec plus d'éloquence que moi de ce qui se passe et de ce qui ne se fait pas. L'Institut de statistiques a pour objet, en partie, puisqu'il sera dirigé par les Premières nations, de réunir les bonnes données. Nous travaillons en étroite collaboration avec Statistique Canada à cet égard. Il y a nettement moyen pour l'Institut de statistiques de nous aider à réunir certaines de ces données.
Pour ce qui est de réunir tous les déterminants dont vous avez besoin, le système actuel qui, comme je l'ai mentionné, vise davantage la durée de vie utile est strictement axé sur ce dont je suis responsable, soit les biens immobiliers. Il ne tient pas compte des autres aspects, étant donné que si vous n'avez pas de bonnes infrastructures matérielles, vous n'obtiendrez probablement pas de bons résultats sur le plan de la santé. Il cible des secteurs comme le logement, l'eau et les eaux usées.
Je me rends compte que je ne vous fournis pas tout à fait la réponse demandée, sénateur Keon, mais ce genre de travail ne correspond pas vraiment à ce que je fais. Cependant, il existe des systèmes qui selon moi, du point de vue de notre ministère, pourraient nous être utiles, à moi et aux collègues réunis ici, pour améliorer les résultats en ce qui concerne les Premières nations. Ce travail est un peu plus particulier que de simplement réunir des données sur les Autochtones, puisque la plupart d'entre eux vivent à l'extérieur de la réserve et seraient probablement inclus dans la majorité des systèmes provinciaux actuellement.
M. Wolfson : C'est un domaine qui pose un grand défi, comme vous le savez, j'en suis sûr, surtout parce qu'un bon nombre de groupes autochtones vivant dans les réserves ont adopté le principe appelé PCAP, soit la propriété, le contrôle, l'accès et la possession. Dans la perspective d'un système statistique national, il serait malheureux qu'on mette sur pied un système statistique complètement indépendant de collecte de données sur les personnes habitant dans les réserves.
Deux principes clés sont à la base de tout système statistique national. D'une part, il faut qu'il existe au moins un noyau commun d'informations réunies exactement de la même façon partout au pays, de manière à pouvoir faire des comparaisons raisonnablement valables. D'autre part, d'un point de vue statistique, il existe des principes internationalement reconnus : l'objectivité, l'absence d'ingérence politique et, dans les faits, l'absence de vérification préalable ou de censure des résultats issus d'enquêtes statistiques et la publication des résultats. Avec un peu de chance, l'Institut de statistiques des Premières nations peut jouer un rôle important à cet égard.
Le dernier point que j'aimerais signaler, c'est que les deux tiers à peu près de la population autochtone n'habitent pas dans les réserves, de sorte qu'ils sont déjà inclus dans les données que réunit Statistique Canada, par exemple dans le cadre de son Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes, du recensement et des études d'évaluation postcensitaires des Autochtones et des enfants autochtones. Toutes ces analyses fournissent beaucoup de données.
Une éventuelle possibilité vient du fait qu'en règle générale, les systèmes provinciaux de soins de santé n'incluent pas d'identificateurs des Autochtones dans leurs données. Je conçois mal comment ils pourraient le faire. Si nous n'étions pas aussi nerveux au sujet de la protection de la vie privée — et Statistique Canada est très strict dans l'application des règlements et des politiques à cet égard —, peut-être pourrions-nous trouver un moyen quelconque d'établir des liens qui permettraient de commencer à produire de l'information sur la santé des Autochtones, y compris, par exemple, les interventions en matière de soins de santé qui permettraient de faire certaines analyses basées sur l'identité autochtone, du moins dans la mesure où nous sommes capables de saisir ces données dans le cadre de nos diverses enquêtes.
M. Halliwell : Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce que vient de dire M. Wolfson et je vais me servir, pour m'expliquer, d'un point qu'il a lui-même fait valoir.
Je dois dire tout d'abord que l'anecdote qu'il m'a racontée date de la fin du XIXe siècle et portait sur un médecin de Chicago, je crois, qui a commencé à tenir des fiches sur ses patients de manière à pouvoir déterminer si leur état s'améliorait d'année en année. En un certain sens, aucune technologie de l'information n'était en jeu. C'était simplement le désir d'avoir de l'information.
Je crains un peu — et c'est là une opinion personnelle — que les efforts déployés en vue d'établir une norme mondiale, un système cohérent et statistique, surtout dans les réserves, ont eu tendance à se cantonner dans le vague jusqu'ici et, pourtant, peut-être que le genre d'information que nous souhaitons vraiment obtenir se trouve dans de plus petits échantillons. Plutôt que de pouvoir faire des comparaisons à grande échelle pour voir comment nous nous en sommes sortis par rapport à une bande comparable ou au Canada tout entier, une tâche souvent pleine d'écueils politiques, il serait peut-être plus utile de limiter le champ d'enquête.
On aimerait peut-être savoir en réalité quels sont les résultats par rapport à l'année précédente ou cinq ans plus tôt. Tant qu'on le fait sur une base comparable, même si on le fait au sein de collectivités individuelles, on est obligé d'assumer la responsabilité de ce qu'on fait dans sa propre région. On sera incapable de comparer ces données aux données nationales ou à celles d'autres compétences, ce qui est souvent avantageux parce que cela oblige les gens à se concentrer sur certains problèmes — par exemple, l'expérience de notre ministère dans les comparaisons internationales en matière de littératie des adultes et l'attention qu'elles attirent sur la question. Cependant, peut- être qu'un simple projet bâti au fil des ans reviendra à ouvrir le sac de croustilles, pour en revenir à ce que je disais tout à l'heure.
M. Wolfson : En un certain sens, je souscris à ce que dit M. Halliwell. J'essaie de me rappeler le nom de deux chercheurs de la Colombie-Britannique qui font de la recherche pionnière là-bas sur les taux de suicide. J'y suis : Chandler et Lalonde! Ils ont visité les collectivités une à une pour en examiner le taux de suicide, qui variait de nul dans certaines localités des Premières nations à très élevé dans d'autres. Il s'agit d'information de base, de sorte qu'on n'a pas besoin d'un système de collecte perfectionné.
Toutefois, il est crucial non seulement de pouvoir mesurer ces données d'une manière normalisée, mais également de commencer à cerner les covariants, c'est-à-dire les autres phénomènes qui jouent entre ces collectivités et qui expliquent les écarts draconiens dans les taux de suicide. Je répète qu'il n'est pas nécessaire d'avoir recours aux techniques d'avant- garde, à de la haute technologie ou d'avoir un système entièrement électronique. L'important, c'est que la collecte se fasse de manière systématique et rigoureuse selon des principes adoptés par tous.
Le sénateur Callbeck : J'ai une petite question au sujet des dossiers de santé électroniques. Je sais que dans ma propre province, l'Île-du-Prince-Édouard, au cours des deux dernières années, on a fait d'énormes progrès, et je crois savoir que c'est le cas également de nombreuses autres provinces. Nous avons entendu des témoins nous parler d'un système pancanadien. Il en a encore été question aujourd'hui.
Toutefois, je crois avoir entendu l'un d'entre vous dire qu'il faut bien que quelqu'un en assume le contrôle. Ai-je bien entendu? Qui est responsable du système? Qui dirige l'initiative?
M. Wolfson : J'hésite à m'aventurer sur ce terrain. Dick Alvarez est le PDG de l'Inforoute santé du Canada. Il a à sa disposition d'énormes fonds du gouvernement fédéral et un conseil d'administration qui inclut les sous-ministres des provinces; de plus, lui, son personnel et son organisme concluent toute une série d'arrangements bilatéraux, si j'ai bien compris, avec telle province, telle régie de la santé ou tel groupe de médecins pour aider à financer le développement de ce genre particulier de logiciels, l'accent initial étant mis sur la visualisation diagnostique, l'inclusion des laboratoires et des systèmes d'information des pharmacies.
Chaque province est autonome. De toute évidence, l'Inforoute déploie des efforts en vue d'établir une fois pour toutes un système logiciel et d'encourager d'autres provinces, si elles le veulent, à le copier et à l'adapter pour que le Canada puisse réaliser des économies d'échelle. Cependant, un critère essentiel, si j'ai bien compris, est l'interopérabilité, bien que ce soit là, je crois, la seule exigence dans le cadre de l'Inforoute.
Quant à l'utilisation des données à la manière d'un centre manitobain à l'échelle du pays, personne n'est en charge. Tant l'Institut canadien d'information sur la santé que Statistique Canada en rêvent parce que ce serait là une immense possibilité stratégique d'améliorer considérablement l'information sur la santé au pays, du point de vue tant de la santé de la population que de l'information sur les services de santé, mais rien ne nous y oblige ou ne nous y encourage. C'est de la persuasion morale.
Le sénateur Callbeck : En ce qui concerne l'argent versé aux provinces, n'est-il pas assorti d'une condition exigeant qu'il soit appliqué à un système pancanadien?
M. Wolfson : Il y a des exigences sur le plan de l'architecture de l'information. Cependant, pour ce qui est des normes, je n'en connais pas trop les détails. Il vaudrait mieux en parler directement avec l'Inforoute.
M. Halliwell : En un certain sens, la clef serait l'interopérabilité et la normalisation de la méthodologie informatique échangée. Si elle existe, on peut obtenir l'interopérabilité.
De toute évidence, ce qu'on peut partager fait l'objet de toute une série de contraintes, mais je crois qu'avec les bons protocoles et tout le reste, on pourrait créer une sorte d'Internet. Nul ne demande à savoir qui est en charge de l'Internet. Il s'agit tout simplement d'une série de protocoles au moyen desquels l'information circule entre ce qui revient à des explorateurs de données disparates et différents logiciels d'hébergement Web.
Comprenez-moi bien : je suis loin de vouloir que le système d'information sur la santé soit comme Internet et que les données soient disponibles sur une base aussi large. Cependant, il est possible qu'en portant l'attention qu'il faut à une série minimale de données, l'information puisse commencer à être colligée de manière distincte et différente du traitement en temps réel exigé par un véritable système informatique de suivi des malades.
La possibilité existe. Cependant, la fenêtre permettant de le faire se fermera si l'on ne réfléchit pas bien à la façon de procéder durant la toute première phase. Je me rappelle, du temps où j'étais au ministère des Finances, à quel point nous avions tous été hébétés de constater, lorsque la TPS a été introduite et que les entreprises ont commencé à demander un numéro d'enregistrement aux fins de la TPS, que nous avions oublié d'inclure dans le formulaire que devaient remplir les entreprises une question sur leur genre d'activité. Par conséquent, il nous manquait une série d'informations utiles et il a été difficile de les récupérer par la suite.
Même si vous n'êtes pas sûrs que nous y sommes autorisés ou que la population le tolérera, cela n'empêche pas de planifier la capacité au départ, de manière à pouvoir par la suite utiliser ces données à des fins de recherche, si telle est la décision.
Cela devait être une priorité, au niveau de l'Inforoute et des processus qui l'entourent, mais c'est difficile à faire. Dans mon milieu, on dit souvent : « Pourquoi Dieu a-t-il pu créer le monde en six jours et se reposer le septième? Parce qu'il n'y avait pas de sous-programme écrit par l'utilisateur ».
Le problème est qu'il faut s'adapter à ce qui existe déjà, plutôt que de partir de la case départ. Il existe des solutions techniques. Cependant, nous perdrons l'occasion de le faire si quelqu'un n'y accorde pas un soupçon d'intérêt,
Le président : Docteur Frank, je ne souhaite pas que vous quittiez le Canada sans nous avoir dit ce que vous pensez de la situation autochtone. Pourriez-vous, je vous prie, nous donner votre opinion?
M. Frank : Je n'ai pas de solution miracle à vous offrir. Vous allez devoir accepter que la longue série d'événements passés maintiendra de nombreuses collectivités des Premières nations dans leur conviction que la collecte de données est une occasion de livrer une bataille qui a des racines historiques dans des problèmes de justice. Par conséquent, pour dépolitiser l'exercice de collecte de données, je ne crois pas que vous ayez d'autre choix que d'adhérer aux grands principes énoncés par les collectivités des Premières nations dont vous a parlé M. Wolfson.
En fin de compte, les gens ne souhaitent coopérer à la collecte de données que s'ils en obtiennent quelque chose en retour. Ils ont besoin de résumés utiles qui les aideront à régler leurs propres problèmes en tant que collectivité, par exemple. Cela signifie selon moi qu'il faut qu'ils aient confiance dans ceux qui font la collecte, qui colligent et analysent les données.
Cela signifie qu'il faudrait qu'il y ait une gouvernance autochtone, quelle que soit sa définition. La marche est haute, comme le sait fort bien M. Brooks. On dénombre plus de 600 collectivités. C'est la seule façon de procéder. Dans le monde entier, des données sont collectées dans des systèmes sur les soins de santé; on coche de petites cases, et nous savons que la plupart de ces données sont inutiles parce que les gens n'ont pas vraiment de raison d'y accorder de l'importance. Ils n'obtiennent jamais rien en retour.
Qu'obtient en retour l'infirmière qui travaille dans un centre de santé africain comme je le faisais lorsque j'étais jeune médecin en Tanzanie? Absolument rien. Elle le fait parce qu'elle y est obligée, mais il a été démontré de nombreuses fois que ces données ne veulent pas dire grand-chose. Il n'y a pas d'avantages.
Quoi que nous fassions, nous devons constamment nous demander ce qu'obtiennent en retour les personnes qui contribuent, de même que leur administration locale et leur gouvernement provincial. Il faudrait qu'il y ait un accord exécutoire signé par les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral reconnaissant que la collecte centrale de données pour les dossiers électroniques et d'autres est dans l'intérêt de chacun et qu'on ait confiance dans la structure de gouvernance, inexistante actuellement.
Il faut convaincre les avocats du genre dont nous avons entendu parler tout à l'heure — ceux qui représentent chacune de ces structures de gouvernement autonome axquelles la Constitution a conféré ces droits — de s'entendre entre eux. Si vous ne parvenez pas à convaincre les avocats de s'entendre sur des données précises avant d'amorcer le projet, ne faites rien. Le projet sera voué à l'échec.
Le président : Le temps alloué est épuisé, de sorte qu'à moins que l'un d'entre vous ait une autre question ou un dernier commentaire, je vais lever la séance. Je vous remercie tous vivement. Vous avez été très généreux de venir ici nous rencontrer et de nous accorder autant de temps.
La séance est levée.