Délibérations du comité sénatorial permanent de
l'Agriculture et des forêts
Fascicule 4 - Témoignages du 26 mai 2009
OTTAWA, le mardi 26 mai 2009
Le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts se réunit aujourd'hui à 17 h 5 pour étudier l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada.
Le sénateur Percy Mockler (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts.
[Traduction]
Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick, le président du comité. Je voudrais d'abord demander aux membres du comité qui sont ici aujourd'hui de se présenter.
Le sénateur Fairbairn : Je suis le sénateur Joyce Fairbairn, de Lethbridge, en Alberta.
Le sénateur Callbeck : Je suis le sénateur Catherine Callbeck, de l'Île-du-Prince-Édouard. Je ne suis pas membre du comité.
Le sénateur Fairbairn : Vous l'étiez.
Le sénateur Baker : Je suis le sénateur Baker, de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
Le sénateur Rivard : Sénateur Michel Rivard, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Housakos : Je suis le sénateur Leo Housakos, de Montréal, au Québec.
Le sénateur Eaton : Je suis le sénateur Nicole Eaton, de l'Ontario.
Le sénateur Carstairs : Je suis le sénateur Sharon Carstairs, du Manitoba. Je remplace le sénateur Cordy, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Meighen : Je suis le sénateur Michael Meighen, de l'Ontario. Je remplace le sénateur Duffy.
[Français]
Le président : Merci beaucoup, la réunion aujourd'hui est la huitième réunion du comité au sujet de son étude sur l'état actuel et les perspectives d'avenir du secteur forestier au Canada.
[Traduction]
Au nom du comité, je remercie les témoins d'avoir accepté notre invitation. Nous avons décidé dès le début que ce comité inviterait tous les intervenants du secteur forestier. Vous êtes des intervenants très importants.
Nous accueillons aujourd'hui Tom Beckley, de l'Université du Nouveau-Brunswick, faculté de foresterie et de la gestion de l'environnement, Don Floyd, président du Canadian Institute for Forest Policy and Communications, de l'Université du Nouveau-Brunswick, et Jeremy Williams, consultant en foresterie, forestier professionnel en Ontario.
Je vous invite à faire vos déclarations préliminaires, après quoi les sénateurs vous poseront des questions. Comme nous avons convenu de procéder par ordre alphabétique, je vous invite à prendre la parole le premier, monsieur Beckley.
Tom Beckley, Université du Nouveau-Brunswick, faculté de foresterie et de gestion de l'environnement, à titre personnel : Je suis très excité à l'idée de témoigner devant les honorables membres du comité ce soir. Depuis 16 ans environ, je travaille dans divers domaines du secteur forestier au Canada — comme fonctionnaire au Service canadien des forêts, en Alberta, comme assistant à la recherche à l'Université de l'Alberta et maintenant comme professeur à l'Université du Nouveau-Brunswick.
J'ai travaillé dans l'Ouest et dans l'Est et j'ai fait de la recherche dans huit provinces et un territoire. Par conséquent, j'ai accumulé une expérience assez considérable en foresterie, d'un bout à l'autre du pays.
J'ai une formation de sociologue et nons de forestier. Ma recherche et mes compétences sont donc principalement axées sur les aspects humains de l'aménagement forestier, y compris quelques aspects stratégiques. Je me suis intéressé tout particulièrement aux collectivités forestières, ainsi qu'aux valeurs sociales que les Canadiens rattachent à leurs forêts et à l'évolution de nos rapport avec nos forêts.
J'aimerais répondre à toutes les questions qui ont été posées, mais je voudrais faire d'abord remarquer que la portée des questions est à mon sens trop restreinte. Un problème se pose au niveau de la gestion des ressources forestières dans ce pays depuis que je suis étudiant dans ce domaine. Il semblerait que les questions portent toujours sur la compétitivité de l'industrie et pas sur la taille que devrait avoir ce type d'industrie, ou à quel coût il faudrait la maintenir, ou encore quelles pourraient être des solutions de rechange réalistes. Il est également important de s'attaquer à ces questions d'une portée plus générale. Actuellement, bien des signes indiquent que le grand public n'est pas satisfait du maintien du statu quo, qu'il ne soutient pas l'industrie forestière et qu'il n'approuve pas le fait que les gouvernements provinciaux aient eu tendance à considérer les forêts comme une vache à lait plutôt que comme une précieuse source de qualité environnementale.
Je pense que la principale cause de la crise actuelle est due au fait que nous ne nous soyons pas adaptés rapidement aux nouvelles réalités économiques de l'économie mondiale. Au Canada, l'industrie forestière est née dans le contexte d'un modèle colonial, que nous avons maintenu, d'abord à titre de colonie britannique et, plus récemment, à titre de colonie économique des États-Unis. Par « modèle colonial », j'entends que nous expédions la grosse majorité de nos produits, qui sont relativement de faible valeur, soit bruts ou légèrement transformés, à un seul client ou à un seul pays. Je pense que nous avons fait preuve de paresse dans ce domaine. Nous n'avons pas investi dans la R-D autant que d'autres pays et nous avons vécu des largesses de ressources naturelles abondantes et d'une densité de population relativement faible. Nous ne nous sommes pas très appliqués à diversifier nos produits essentiellement primaires, de faible valeur. Nous n'avons pas visé très haut.
À l'heure actuelle, en raison des progrès technologiques et du développement de nouvelles sources de fibre dans d'autres régions du monde, surtout dans les pays du Sud, notre industrie et nos collectivités qui en dépendent sont en difficulté. D'autres pays ont adopté une approche différente. La Finlande et la Suède, et j'y suis allé dernièrement, ont gravi les échelons de la chaîne des valeurs. Ces pays se sont diversifiés. Ils sont dépendants de la forêt, mais créent des produits et services de valeur supérieure associés à l'industrie forestière, qu'ils vendent dans le monde entier. Taïwan est un exemple différent. Depuis la Seconde Guerre mondiale, ce pays a exploité ses ressources naturelles et a réinvesti le capital ainsi généré dans des secteurs manufacturiers. Son PIB lié à l'agriculture et à la foresterie a baissé de 32 p. 100 à 2 p. 100 entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le début du XXIe siècle. Les habitants de ce pays ont un revenu confortable, mais ils ne sont plus dépendants, pour leur bien-être économique, des marchés des produits primaires qui sont inconstants.
En ce qui concerne le rôle du gouvernement fédéral dans le contexte de la crise, je pense que deux principaux facteurs entrent en jeu. L'un est lié aux relations entre les principales institutions forestières du secteur public et l'autre, au rôle du gouvernement fédéral en matière d'aide et de recyclage de la main-d'œuvre pendant que nous amorçons un retrait ordonné et planifié de certaines des villes à vocation exclusivement forestière les plus éloignées et les plus éprouvées. Je voudrais d'abord faire quelques brefs commentaires sur les relations institutionnelles.
J'ai travaillé pour le gouvernement fédéral, au Service canadien des forêts, et je connais bien son mandat. J'ai également étudié et observé les relations ténues entre les ministères fédéral et provinciaux des Forêts et je travaille maintenant dans un milieu universitaire.
Mon analyse sociologique du volet institutionnel public du secteur forestier au Canada est la suivante. Il y a trois principaux intervenants institutionnels : les facultés universitaires de foresterie et les ministères fédéral et provinciaux. Trois facteurs interviennent : la richesse, le statut et le pouvoir. Ce sont des éléments que les sociologues ont tendance à étudier. D'après mon expérience, les facultés de foresterie des universités ont eu le statut. Les universités semblent être les lieux de travail les plus convoités et les plus prestigieux pour les professionnels en foresterie. Les gouvernements provinciaux, qui ont pour mandat de gérer les terres domaniales, détiennent le pouvoir. Ils décident de ce qui se fait sur le terrain. Le gouvernement fédéral a eu la richesse, et essentiellement les meilleures installations, le plus d'argent pour la recherche et, à l'époque des ententes fédérales-provinciales, dans les années 1990, les fonds nécessaires pour donner une orientation précise à certaines politiques.
Cette répartition de la richesse, du statut et du pouvoir entre ces trois institutions différentes est intéressante, car chacune semble être un peu jalouse de ce que les autres ont. Ce triangle de la jalousie, faute d'un terme plus approprié, a rendu la collaboration extrêmement difficile. On observe une forte concurrence et beaucoup de dénigrement entre ces trois groupes.
La collaboration est exactement ce qu'il nous faut pour mettre en œuvre un plan d'action commun, et je pense que le gouvernement fédéral pourrait jouer un rôle important à ce niveau. Ce plan d'action commun devrait comporter une réduction rapide de nos pertes en ce qui concerne l'industrie telle qu'elle est actuellement et le réinvestissement dans de nouveaux produits et de nouvelles possibilités. Il est essentiel que nous donnions une nouvelle image de marque au secteur forestier canadien. Ce processus de réduction de nos pertes sera douloureux et ne se fera pas sans dislocation sociale considérable.
Un grand nombre de collectivités septentrionales éloignées, surtout dans toute la ceinture boréale, au centre du pays, ne seront pas viables à l'avenir. Elles ne survivront pas toutes et celles qui se réinventent le feront probablement à une échelle réduite. L'époque des centaines, voire des milliers, d'emplois syndiqués rémunérateurs dans le Grand Nord est révolue dans le secteur forestier. Le gouvernement fédéral doit intervenir dans le recyclage des travailleurs — les initiatives annoncées hier sont un bon pas en avant dans ce domaine — et donner de l'aide financière aux personnes dont tous les actifs sont bloqués dans des maisons et des entreprises qui se trouvent dans ces collectivités, qui pourraient bientôt ne plus avoir aucune valeur en cas de déclin.
Il y a quelques leçons à tirer. Nous avons connu une situation très semblable dans le secteur minier il y a quelques dizaines d'années. Nous savons comment aider à gérer cette transition et à apporter un certain soulagement.
En ce qui concerne le positionnement et la compétitivité à long terme de l'industrie forestière et, d'une façon plus générale, du secteur forestier au Canada, il est essentiel d'adopter une approche complètement différente. À l'heure actuelle, nos principaux concurrents sont des pays en développement, où les coûts de production sont plus bas et les règlements environnementaux moins stricts, pour la fourniture de fibre ligneuse aux pays développés qui la transforment en produits à valeur ajoutée.
Quand je travaillais en Alberta, on venait d'y ouvrir deux grandes usines pour produire de la pâte destinée à l'exportation au Japon, où est fabriqué le papier à valeur ajoutée. Au Nouveau-Brunswick, la situation est analogue. Un de nos principaux clients est une entreprise de l'Inde où nous exportons de la pâte également. Autrefois, le Canada était catalogué par les étrangers comme un pays qui exploitait la forêt avec rapacité. Je me souviens de la campagne intitulée « Le Brésil du Nord » menée contre la Colombie-Britannique dans les années 1990. Il est essentiel de donner au Canada une nouvelle image de marque à titre de producteur de produits forestiers « écologiques ». Ce ne peut être une simple manœuvre de marketing. Il est impératif que nous soyons les gestionnaires forestiers les plus éco-conscients au monde.
Des entreprises procèdent à la certification forestière et ce processus devrait être encouragé, mais il faut également investir dans de nouveaux produits ou de nouvelles technologies et gravir les échelons de la valeur ajoutée dans la chaîne de production. Il est beaucoup question d'une révolution liée au biocarburant. Tout un chacun anticipe dans ce domaine, mais il s'agit à mon avis d'une course vers le bas. C'est peut-être une étape nécessaire de l'avenir du secteur forestier, mais je ne pense pas que c'en soit la pièce maîtresse. Il est essentiel d'avoir de plus hautes visées et de réfléchir à la façon de produire de la valeur ajoutée à partir de plus petites quantités de bois ainsi qu'à partir de toute la forêt, et pas seulement de la fibre qu'elle contient. En procédant ainsi, on laissera davantage de forêts disponibles pour toutes les autres valeurs — comme les services écologiques et l'habitat —, car les Canadiens font savoir continuellement que c'est plus important pour eux que la culture de la fibre pour l'industrie. J'ai participé à une recherche-sondage qui le démontre sans équivoque.
L'industrie forestière continue de faire du lobbying pour être renflouée, pour obtenir des tarifs plus avantageux pour l'énergie qu'elle consomme, pour que les droits de coupe soient réduits et pour obtenir des concessions en matière de main-d'œuvre afin de rester concurrentielle. Ce sont des palliatifs à court terme et c'est un effort désespéré pour maintenir le statu quo. Ça n'offre pas de solutions à long terme. Nous faisons preuve d'un manque manifeste de vision en ce qui concerne les produits, nos marchés potentiels et les façons d'utiliser nos forêts pour générer de la valeur dans le futur. Par exemple, je pense que la valeur des forêts en ce qui concerne la régulation des eaux sur les plans qualitatif et quantitatif sera nettement supérieure à l'avenir à sa valeur comme source de fibre.
Le gouvernement fédéral pourrait aider à dégager cette vision qui est essentielle. Il pourrait également financer un processus qui permettrait de réunir les entreprises existantes et émergentes du secteur, les organismes de certification forestière, les universités et les fonctionnaires provinciaux pour établir un plan d'action commun et procéder à une réflexion stratégique sur la façon d'aider notre secteur à faire la transition et à abandonner cette façon de penser coloniale axée sur des produits primaires. C'est une recommandation.
D'autres rôles et recommandations possibles pour le gouvernement fédéral seraient de procéder au recyclage des travailleurs forestiers, surtout de ceux des scieries et autres usines, qui possèdent certaines des meilleures compétences techniques et mécaniques que l'on puisse trouver dans notre main-d'œuvre, afin de leur permettre de quitter le secteur forestier pour aller travailler dans d'autres secteurs. Et même lorsqu'il y aura une reprise dans ce secteur, la capacité y sera accrue, mais les emplois y seront moins nombreux.
On a peut-être la responsabilité de faciliter la transition pour les habitants des collectivités forestières, mais pas uniquement pour les travailleurs du secteur forestier. C'est souvent sur eux qu'est fixée l'attention et à eux que sont destinés les fonds octroyés dans le cadre de certains programmes, mais les enseignants et les propriétaires de petites entreprises, ainsi que les agents d'assurance de localités comme Kapuskasing, en Ontario, ou Mackenzie, en Colombie- Britannique, ou encore Dalhousie, au Nouveau-Brunswick, sont probablement en fait plus vulnérables que les travailleurs du secteur forestier.
Le gouvernement fédéral devrait examiner les investissements faits dans des stratégies de transition économique par des pays qui se sont diversifiés dans le secteur forestier, comme la Suède et la Finlande, et qui ont gravi les échelons de la chaîne des valeurs ou qui, comme Taïwan, se sont retirés du secteur forestier pour investir dans la fabrication d'autres produits.
Enfin, je pense que le gouvernement fédéral pourrait encourager une collaboration plus étroite entre les intervenants institutionnels fédéraux, provinciaux et universitaires qui se font concurrence, en débloquant des fonds pour des projets de recherche coopérative axés sur le visage qu'aura la prochaine économie forestière plutôt que de soutenir l'économie forestière actuelle.
J'apprécie l'occasion d'exposer ce point de vue au comité, et c'est avec plaisir que je donnerai des précisions sur certains points ou que je répondrai à vos questions, le moment venu.
Don Floyd, président, Canadian Institute for Forest Policy and Communications, Université du Nouveau-Brunswick, faculté de foresterie et de gestion de l'environnement à titre personnel : Monsieur le président, mesdames et messieurs, je vous remercie de me donner la chance de comparaître devant vous aujourd'hui. Je m'appelle Don Floyd. Je suis professeur de politique forestière et président du Canadian Institute for Forest Policy and Communications, à l'Université du Nouveau-Brunswick.
La valeur des forêts canadiennes va continuer d'augmenter au fur et à mesure que la viabilité de cette ressource deviendra un impératif. Les perspectives à long terme pour les forêts canadiennes et l'économie forestière sont donc excellentes, mais il faudra coordonner nos politiques et cibler nos investissements pour éviter les écueils à court et à moyen terme.
Les défis les plus importants pour le secteur forestier du Canada sont liés aux facteurs mondiaux. Parmi ces facteurs, notons les changements climatiques, la mondialisation de l'industrie des produits forestiers et une récession à l'échelle planétaire. Or, le gouvernement fédéral peut prendre des mesures importantes pour relever ces défis dans le cadre du rôle qu'il joue relativement à la politique forestière.
Et peut-être par-dessus tout, nous devons trouver des moyens de diversifier les produits et services tirés de nos forêts. Plus la valeur de nos forêts augmente, plus nous sommes susceptibles d'investir dans leur protection, leur conservation et leur gestion.
Il se pourrait très bien que la valeur de l'eau, de l'énergie neutre en carbone et d'autres bioproduits qu'on peut tirer des forêts canadiennes égale ou excède la valeur de la fibre. Le problème est, bien entendu, lié au fait qu'il n'y a pas de marchés pour tous ces produits. Pensez un instant à ce qu'il faudrait pour remplacer l'eau potable qui vient des forêts canadiennes; je crois qu'on pourrait soutenir que la valeur de l'eau est peut-être aussi élevée ou plus élevée que celle de la pâte, du papier et du bois d'œuvre que nous produisons.
Le comité a déjà entendu des témoignages qui donnent un aperçu des problèmes fondamentaux entourant la mondialisation de l'industrie des produits forestiers. M. Lazar a témoigné, et vous avez également entendu d'autres témoins. M. Farrell, du Service canadien des forêts, a donné un bon aperçu de la situation.
Les perspectives à long terme de l'industrie canadienne du papier journal ne sont pas très bonnes. Mes enfants et mes étudiants ne lisent pas de journaux imprimés sur du papier journal, et vos enfants ne le font probablement pas non plus. Demandez à n'importe lequel de vos employés dans la vingtaine ou la trentaine depuis quand il n'a plus acheté un journal. Nous savons que la situation est grave dans le secteur du papier journal, surtout avec ce qui est arrivé à Bowater.
Mis à part cela, la FAO, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, qui fait des statistiques mondiales, indique que la demande mondiale en ce qui concerne le bois et le papier augmente. C'est dans les économies en développement de l'Amérique du Sud et de l'Asie du Sud que la demande est la plus forte.
Le problème est que, de nos jours, il est possible de construire une grande usine de pâte à papier efficace en Argentine ou en Uruguay, puis de planter une forêt à proximité de cette nouvelle usine pour avoir une source de fibre moins coûteuse et générer de plus gros profits pour les multinationales qui exploitent ces installations. On ne peut pas arriver à un résultat semblable au Canada, en grande partie en raison de la nature du climat dans le contexte duquel nous devons travailler.
La crise financière mondiale est en grande partie liée à des bulles immobilières aux États-Unis et en Europe. Nous venons d'examiner les données concernant les mises en chantier annuelles aux États-Unis. J'ai été surpris. Je pensais qu'elles avaient diminué d'environ un tiers, mais elles ont en fait diminué à moins d'un quart de leur niveau de 2006.
Nous avons jusqu'à présent exporté traditionnellement, du moins dans les Maritimes et au Canada atlantique, 90 p. 100 de notre bois d'œuvre aux États-Unis. Lorsqu'il y a un ralentissement sur le marché américain, la conséquence inévitable est que nous perdons notre marché. M. Beckley a déjà fait des commentaires au sujet de la diversification des marchés et c'est clairement ce qui s'est passé ici.
Il s'agit d'un phénomène cyclique — le changement dans le secteur du papier journal est, quant à lui, probablement séculaire —, et par conséquent, on observera une certaine reprise à un moment donné dans le secteur du logement. Le problème est lié au fait que, lorsqu'il y aura reprise, la technologie de la construction de type classique, qui utilise des deux par quatre et des deux par six pour construire des maisons unifamiliales, sera remplacée par la construction par panneaux, avec du bois d'œuvre en placage lamellé et par toutes sortes de nouveaux produits et de nouvelles technologies. Plutôt que de s'entêter à exporter des deux par quatre et des deux par six, il faut que les Canadiens se positionnent en tant que maîtres dans cette technologie pour être prêts quand la transition se fera.
Quelle est la conséquence de tous ces facteurs mondiaux? Le premier commentaire que je voudrais faire est que les producteurs de produits de base comme les scieries réussissent à survivre parce qu'ils sont les producteurs dont les coûts sont les plus faibles. On a de la difficulté à faire la différence entre des deux par quatre. La solution est de s'assurer qu'on est le producteur au coût le plus faible.
L'autre façon pour les scieries de s'assurer d'être les producteurs dont les coûts sont les plus faibles est de réduire leurs coûts de main-d'œuvre. Les scieries continueront par conséquent de remplacer la main-d'œuvre par de l'équipement de pointe et du capital. La conséquence de cela est, comme l'a déjà fait remarquer M. Beckley, que les emplois ne reviendront pas. La foresterie ne sera plus le moteur de développement rural qu'elle a toujours été au Canada. La situation a évolué. Je ne pense pas qu'il soit réaliste de penser que, d'ici cinq ou dix ans, on reverra des emplois bien rémunérés dans les villes dont l'activité économique repose sur la présence d'une scierie ou d'une usine.
Le deuxième commentaire que je voudrais faire est que, paradoxalement, la valeur de la forêt continuera d'augmenter. Cela a déjà été le cas au Canada où il y a des propriétés forestières privées, et aussi aux États-Unis. Les sommes que les sociétés d'investissement forestier sont disposées à payer pour des propriétés forestières ont considérablement augmenté au cours des cinq ou des dix dernières années.
Il y a une raison à cela. Ce n'est pas pour la fibre; c'est pour toutes les autres valeurs associées aux forêts. Il y a en partie la valeur immobilière et en partie le fait que l'on peut y pratiquer de l'exploitation forestière neutre en carbone. On peut obtenir des crédits de carbone qui entrent en jeu à un certain moment. C'est peut-être aussi parce que ces forêts sont la meilleure source d'eau de haute qualité ou pour l'irrigation, dans les États de l'Ouest.
Comme nous le savons, en Amérique du Nord, l'agriculture serait impossible sans irrigation. C'est un fait en Californie et en Alberta. La ressource hydrique est le bien le plus précieux que nous puissions produire dans nos forêts des Rocheuses.
Quel rôle devrait jouer le gouvernement fédéral? À moyen et à long terme, l'augmentation du nombre d'emplois dans le secteur forestier et de la valeur des forêts est tributaire du développement de la science et de la technologie forestières. Le gouvernement fédéral a augmenté le financement de la recherche par l'entremise de FPInnovations — et nous pensons que c'est bien. Par contre, le gouvernement fédéral n'a pas tenu compte du reste de la chaîne de recherche.
FPInnovations intervient à partir du moment où l'arbre est abattu jusqu'à sa transformation en différents produits. Le travail qui doit être fait en matière de recherche pour l'aménagement forestier est fait au Service canadien des forêts (SCF) ou dans les universités. Quand on parle de lutte contre les insectes et les maladies, on pense à la façon de gérer pour assurer la biodiversité et la qualité, ainsi que la protection des bassins versants. Ce sont là des fonctions qui sont surtout assumées au SCF ou dans les universités.
Dans le Canada atlantique, comme je l'ai fait remarquer, ce travail est effectué en grande partie par le SCF et par nos universités. Dans notre région, le SCF a perdu des postes de chercheurs. Le nombre de chercheurs y a diminué depuis cinq ou dix ans. Plusieurs projets de financement fédéraux — le Programme d'aménagement forestier durable et un programme du SCF/CRSNG — ont expiré sans être renouvelés.
En plus de financer des programmes de recherche traditionnels — et je pense que c'est une idée intéressante; on en a d'ailleurs beaucoup discuté au Nouveau-Brunswick dernièrement —, le gouvernement fédéral, les provinces et l'industrie devraient envisager d'établir un réseau de grappes de R-D dans le secteur forestier financé.
On sait bien que le maillage de centres de recherche et d'entreprises novatrices donne de bons résultats. Quand on pense à ce qui a été réalisé à Waterloo, on reconnaît que ce modèle s'est avéré très efficace. Nous aimerions procéder ainsi pour le secteur forestier et pour la science et la technologie forestières.
Un réseau national de centres de recherche sur les forêts, qui regroupe tous les aspects de la foresterie, de l'aménagement sur le terrain jusqu'aux nanoproduits, augmenterait les chances du Canada de retrouver son titre de leader mondial dans la R-D forestière d'avant-garde.
Bien que l'éducation ne fasse pas partie des responsabilités traditionnelles du gouvernement fédéral, nous sommes confrontés à une pénurie de chercheurs forestiers, d'aménagistes et de techniciens en sylviculture hautement qualifiés. Nous savons que l'avenir de la science forestière et de la gestion des forêts est crucial pour la viabilité de nos forêts, mais il est difficile pour les étudiants et les parents d'entrevoir autre chose qu'un scénario catastrophique pour le secteur forestier canadien, d'après ce qu'ils apprennent en écoutant les bulletins de nouvelles.
Plus nos forêts prendront de la valeur, plus nous aurons besoin de bons gestionnaires pour gérer ces ressources naturelles. Le Canada — et pas seulement le Canada, mais les pays en développement également — aura besoin de femmes et d'hommes qui comprennent les processus écologiques, qui peuvent prédire les effets de la manipulation des ressources naturelles et qui peuvent transmettre leur passion pour l'intendance de notre patrimoine naturel à une population de plus en plus inquiète. En Amérique du Nord, les inscriptions diminuent dans la plupart des principaux programmes de premier cycle en gestion des ressources naturelles — c'est particulièrement vrai en ce qui concerne la gestion des forêts — et je pense qu'il faut que le fédéral et les provinces se concertent pour renverser la vapeur.
Enfin, une des caractéristiques les plus impressionnantes de la politique forestière du Canada est qu'elle avait mis en place un mécanisme qui permettrait la tenue d'un débat public entre tous les Canadiens, par l'entremise de la Coalition pour la Stratégie nationale sur les forêts et du processus d'établissement de cette stratégie.
La stratégie forestière du Canada pour 2008 et au-delà a réduit l'importance de la coalition; par conséquent, nous n'avons plus de forum permanent où tous les Canadiens peuvent se réunir pour faire la promotion de l'aménagement durable de la forêt. Bien qu'une coalition de groupes de citoyens ne soit peut-être pas le moyen le plus efficace d'obtenir des résultats mesurables, il est important d'encourager l'engagement civique et les processus démocratiques dans le cadre de nos efforts pour garantir la gestion durable de la forêt.
Je vous remercie de m'avoir permis de comparaître devant vous aujourd'hui. Je suis ravi de l'intérêt que vous portez à nos forêts et à nos localités rurales. Il me fera plaisir de répondre à vos questions et de vous aider de quelque façon que ce soit.
Le président : Merci. Allez-y, monsieur Williams.
Jeremy Williams, consultant en foresterie, forestier agréé de l'Ontario, à titre personnel : Honorables sénateurs, je suis honoré que l'on m'ait demandé d'exposer mes opinions sur les circonstances qui ont mené à la situation dans laquelle se trouve l'industrie forestière, sur certaines des mesures qui seront nécessaires pour régénérer le secteur et pour lui donner des assises plus solides et plus durables pour l'avenir.
Comme le savent un grand nombre d'entre vous, le secteur est depuis longtemps essentiel au Canada. Nous sommes considérés comme un peuple de bûcherons et de porteurs d'eau. L'industrie nous a bien servis pendant des années. Elle est restée généralement en santé tout au long des années 1970, mais les nuages ont commencé à s'amonceler à l'horizon dans les années 1990. Cette décennie a débuté par une grave récession caractérisée par des taux d'intérêt très élevés, point culminant d'une inflation croissante qui a duré une dizaine d'années. Les taux d'intérêt élevés ne sont jamais bons pour une industrie à prédominance de capital.
Par ailleurs, à cette époque, les pressions pour inclure davantage de matières recyclées dans le papier ont nécessité une série d'investissements dans les installations de désencrage, ce qui a eu tendance à faire pencher la balance du pouvoir en faveur des usines plus rapprochées des centres urbains et des sources d'approvisionnement en vieux journaux et en d'autres matières recyclées.
La demande de papier en Amérique du Nord s'est mise à plafonner également. Au cours de cette période, le taux de rendement des capitaux investis est tombé à zéro ou en dessous, pour la plupart des années. La plupart des accords de tenure qu'avaient les titulaires de permis d'exploitation forestière les ont empêchés de rationaliser la production. C'est terrible lorsque la seule scierie en ville ferme ses portes et que les gouvernements provinciaux exercent de fortes pressions sur le secteur pour éviter que cela se fasse, mais cela ne fait que retarder l'inévitable. Le régime foncier n'a par ailleurs pas encouragé d'autres investissements dans la forêt que ceux qui étaient indispensables pour se conformer aux exigences réglementaires. Par conséquent, il y a eu un sous-investissement dans les scieries et dans la forêt.
Comme l'ont mentionné mes deux collègues, des concurrents émergents sont apparus en Amérique latine, en Australie et en Asie. Des investissements dans ces pays avaient un rendement plus élevé et attiraient une grande partie du capital mondial qui était injecté dans le secteur forestier. Notre réaction au Canada a été de s'appliquer à réduire les coûts, à procéder à des fusions et à s'orienter vers des produits à valeur ajoutée.
Nous avons toutefois fait très peu d'investissements dans les nouvelles régions productrices et nous sommes restés extrêmement dépendants à l'égard des exportations vers les États-Unis. Les mesures compensatoires contre le bois d'œuvre de résineux ont pris de l'ampleur au cours des années 1980, et elles sont parvenues à saper la vitalité du secteur canadien.
L'image de l'industrie auprès du public a commencé à se détériorer, car elle niait les impacts environnementaux négatifs de ses activités. J'ai visité la vallée de Carmanah peu après qu'on en ait fait une réserve. Il fallait traverser des zones de coupe à blanc sur de très longues distances pour y arriver. On pouvait voir les chemins que la compagnie forestière avait tracés dans la réserve pour gagner de vitesse le gouvernement de la Colombie-Britannique et couper le plus possible d'arbres avant qu'il n'en fasse une aire protégée.
De tels agissements font une terrible impression auprès de la population. Bien que l'industrie ait considérablement amélioré ses pratiques, son image reste négative dans l'esprit de la plupart des gens.
Dans les années 1990, l'industrie a été confrontée à de nombreux défis. C'était une industrie à coûts élevés et à faible rendement. Elle est très très réglementée. Elle était très dépendante à l'égard des marchés américains, où les mesures commerciales hostiles devenaient de plus en plus efficaces. La demande pour ses produits de papier diminuait. La qualité de la ressource déclinait et son coût augmentait. Elle avait une image publique négative et était dépassée par les concurrents.
Ni le secteur ni le gouvernement n'ont réagi efficacement à cette situation. Au début de la présente décennie, le boom du logement aux États-Unis et la faible valeur de la devise canadienne ont aidé l'industrie papetière à survivre malgré ces faiblesses. Cependant, lorsqu'il y a eu un renversement de situation pour ces deux facteurs, les faiblesses ont été exposées et le résultat a été un échec systémique du secteur.
Pourquoi le secteur n'a-t-il pas agi avec plus de détermination lorsqu'il disposait de plus d'options? Au cours des années 1970 et même des années 1980, il avait le capital, le leadership et les prouesses technologiques nécessaires pour aller de l'avant et consolider ses assises, mais il n'en a pas profité, en partie parce que bon nombre de pdg et de conseils d'administration se sentaient bien au Canada. Ils avaient une perspective axée sur des enjeux intérieurs et hésitaient à s'aventurer à l'extérieur.
Avec le recul, il apparaît que leur évaluation des risques et des avantages de différentes possibilités d'investissement était inadéquate, car ils étaient très dépendants du marché canadien et du marché américain. Ils faisaient également preuve d'un manque de vigilance, car l'industrie avait été dominante pendant des années et tout allait si bien qu'ils n'avaient pas remarqué que la situation avait fondamentalement changé.
La question est de savoir si le Canada pourra à nouveau soutenir un secteur forestier viable. Je pense que oui, car le Canada conserve plusieurs avantages concurrentiels. La reconstruction prendra du temps, car il a fallu beaucoup de temps pour en arriver à la présente situation.
Le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer à cet égard. La principale contribution possible de sa part est probablement d'apporter le leadership. De nombreux intervenants n'ont pas été particulièrement coopératifs dans le passé. Il faut que le gouvernement joue un rôle de leadership pour aider à développer une vision de l'orientation que le secteur pourra prendre et s'assurer que les initiatives nécessaires pour y arriver soient mises en place et mises en œuvre.
Parmi les domaines dans lesquels le gouvernement fédéral peut, à mon sens, assurer le leadership, il y a les accords commerciaux et l'accès aux marchés. Il est essentiel pour l'industrie de se libérer des restrictions liées aux mesures compensatoires prises par les États-Unis. Il est temps de réexaminer les vues traditionnelles selon lesquelles on ne peut pas avoir de marché au Canada pour le bois sur pied. Étant donné que les copeaux et les grumes sont expédiés vers différentes scieries et usines situées à des centaines de kilomètres, il n'est pas plausible que nous ne puissions pas avoir un marché pour le bois sur pied dans la plupart des régions du pays du moins. Si nous pouvions en établir un, cela calmerait en grande partie les doléances américaines.
Il est également essentiel de diversifier nos marchés. Alors que le marché américain sera toujours un marché capital, il ne faudrait pas en être aussi dépendants que nous le sommes. Le gouvernement fédéral peut aider par la négociation d'accords commerciaux, en contribuant à éliminer les barrières phytosanitaires inutiles ou en aidant l'industrie à les franchir quand elles sont légitimes et en appuyant l'adoption de normes internationales qui permettent de miser sur les atouts du Canada.
Il se fait très peu d'abattage illégal au Canada alors que dans l'Est de la Russie, entre un tiers et deux tiers de la récolte forestière est illégale. Dans certaines régions de l'Asie et de l'Afrique, un grand pourcentage de la récolte est également illégal. Ainsi, une norme internationale qui aurait pour effet de mettre un frein à l'exportation de bois récolté de façon illégale serait intéressante à l'échelle planétaire et pour le secteur forestier canadien.
Le gouvernement fédéral peut également jouer un rôle capital en soutenant la productivité. Avrim Lazar, de l'Association des produits forestiers du Canada, a probablement fait des commentaires beaucoup plus intéressants que ceux que je pourrais faire sur ces enjeux.
Le gouvernement fédéral peut aider à encourager l'entrepreneuriat autochtone. Les Autochtones et leurs collectivités veulent participer. Il existe de nombreux obstacles à leur participation. Ils vivent toutefois dans les forêts ou à proximité. Ils ont toujours vécu là, et il serait intéressant sur le plan stratégique que leur participation dans le secteur soit beaucoup plus forte que maintenant.
Le gouvernement fédéral peut également jouer un rôle de leadership dans son soutien aux technologies émergentes et dans le règlement des questions émergentes. Le gouvernement fédéral a un rôle de leadership à jouer, car de nombreuses questions émergentes ou de nombreux défis qui se posent à l'industrie nécessitent l'intervention de plusieurs ministères et services différents. Il est important de coordonner les interventions des différents ministères et services gouvernementaux et des partenariats avec celles des autres intervenants. Il serait également utile d'établir une infrastructure cognitive nationale en matière de foresterie.
Je citerai l'exemple de l'Inventaire forestier national, ou IFN. Je viens de terminer une analyse de rentabilisation pour le SCF et, bien que la première évaluation ait été faite et que l'inventaire soit jugé nécessaire, les gouvernements n'ont pas encore prévu un financement sûr, et le programme semble être continuellement en danger.
Le gouvernement peut aussi soutenir la R-D axée sur de nouveaux produits. Comme l'ont fait remarquer mes deux collègues, le portefeuille de produits que le secteur forestier produira probablement à l'avenir sera entièrement différent et beaucoup plus large que le portefeuille actuel. Il inclura des biocarburants et des produits chimiques. Il y a aussi de la place pour une efficacité énergétique accrue dans le secteur et plus de R-D serait utile.
Les crédits de carbone, et peut-être aussi des crédits de biodiversité et des crédits d'eau, formeront un autre volet du portefeuille. Le carbone est particulièrement important, car l'Amérique du Nord est sur le point d'entamer une nouvelle étape du développement d'un marché du carbone. Au Canada, nous avons raté une occasion de jouer un rôle de chef de file dans le développement d'un système de crédits compensatoires et dans l'acquisition de compétences liées à la gestion du carbone. Le gouvernement fédéral pourrait envoyer un vigoureux signal indiquant qu'il reconnaît l'enjeu et l'appuie en s'engageant à devenir plus neutre en carbone dans un certain délai. Le gouvernement fédéral pourrait également modifier sa politique d'approvisionnement afin de favoriser l'achat de produits du papier et de produits forestiers certifiés, par exemple; ce changement soutiendrait également les efforts de nombreuses entreprises canadiennes et étrangères qui sont très progressistes sur le plan écologique et ont adopté des normes très strictes en matière de gestion forestière.
En terminant, je voudrais souligner que j'estime qu'il est important d'adopter une stratégie cohérente. Une série de mesures isolées ne seront pas efficaces pour renverser la situation. Le gouvernement fédéral a une très belle occasion de jouer un rôle de chef de file dans ce domaine en aidant à remettre le secteur sur pied et à le régénérer pour l'avenir.
Le président : Merci, monsieur Williams.
Le sénateur Baker : Je souhaite la bienvenue aux témoins. J'ai remarqué que vous avez tous un titre de doctorat et, par conséquent, je vous appellerai « docteur ». J'ai des questions précises à poser à chacun de vous; je poserai toutes les questions l'une après l'autre et vous laisserai répondre chacun à votre tour, si cela vous convient.
Chaque témoin est une personne très en vue en ce qui concerne l'industrie forestière et ses activités — M. Beckley du point de vue de la forêt communautaire, M. Williams du point de vue de la forêt modèle et M. Floyd pour ses critiques à l'égard du gouvernement pour ne pas avoir investi suffisamment dans la recherche et pour avoir indiqué que les fonds destinés aux entreprises pourraient peut-être être mieux investis. Comme il l'a dit textuellement, « un meilleur investissement à long terme peut être appliqué à la recherche et à la technologie transférée pour promouvoir les nouvelles idées, processus et produits nécessaires pour assurer la durabilité à long terme du secteur forestier ». J'ai trois questions toutes simples à poser.
Docteur Beckley, en ce qui concerne l'idée de forêt communautaire et de participation du public, qu'en pensez-vous maintenant, notamment après avoir suivi le processus des audiences publiques?
Docteur Williams, quelles sont vos conclusions après avoir participé à l'élaboration de modèles forestiers dans d'autres régions du monde, notamment en Russie?
Docteur Floyd, j'ai apprécié votre allocution dans laquelle vous avez mentionné qu'en Nouvelle-Écosse, il y a en fait une fabrique de granules qui exporte du bois en Union européenne pour la production d'électricité. Je m'intéresse également à vos idées sur l'électricité verte et aux raisons pour lesquelles vous préconisez d'investir des ressources considérables, en particulier dans l'Université du Nouveau-Brunswick.
M. Beckley : J'apprécie la question. C'est quelque chose dont je tenais beaucoup à parler. Je suis, depuis une dizaine d'années au Nouveau-Brunswick, un défenseur de l'idée de faire une expérience avec des forêts communautaires; cela correspond à peu près à tout le temps que j'ai passé dans cette province. Le gouvernement provincial a été extrêmement hésitant à s'engager. Nous avions mis sur pied un projet pilote, il y a une dizaine d'années, qui s'appuyait sur une conception différente d'une forêt communautaire. Nous préconisions de prendre quelques parcelles éparses de terres domaniale et de les mettre entre les mains de petits entrepreneurs privés, en pensant qu'ils pourraient les jumeler à leurs terres privées et les exploiter de façon plus efficace. Nous avons pu obtenir du secrétariat royal des fonds pour faire une étude de faisabilité et nous avions obtenu les fonds nécessaires pour une deuxième année, pour la mise en œuvre du programme. Nous avons demandé au gouvernement provincial, qui était un partenaire, s'il pouvait mettre à notre disposition 6 000 hectares de terres domaniales pour un programme pilote. Il a refusé. Je me suis vu dans l'obligation de renvoyer les fonds au gouvernement fédéral; c'est la seule fois que j'ai dû faire cela après avoir obtenu une subvention de recherche.
Une occasion en or se présente actuellement au Nouveau-Brunswick. Nous avons fait en 2007 un sondage public indiquant que l'idée de faire des expériences avec de nouveaux régimes fonciers bénéficie d'un appui considérable. Une des questions que nous avons posées au cours de ce sondage était celle que nous avons appelée « question sur le plan B ». Que se passerait-il si les grands détenteurs de permis pliaient bagages et si nous restions en plan avec un important permis concernant des terres domaniales à réattribuer? À qui le public aimerait-il qu'on confie la gestion de ces terres? Les répondants ont mentionné les collectivités locales, les associations locales de gestion des bassins versants, des entrepreneurs forestiers locaux, des personnes qui ont une certaine capacité et certaines compétences pour le faire. Les grandes entreprises étaient tout en bas de la liste.
Le gouvernement provincial a repris du service. Actuellement, le permis 5, qui était un permis Weyerhaeuser, est administré à titre provisoire par le ministère des Ressources naturelles, en attendant de trouver un autre titulaire de permis industriel pour le reprendre. Les habitants de la localité concernée aimeraient beaucoup en reprendre la gestion. Ils ne peuvent toutefois pas le faire tout seuls. Ils ont besoin de l'aide du gouvernement. On observe dans le public une volonté considérable de faire une certaine expérimentation avec différents régimes forestiers et régimes de gestion. Ces collectivités locales sont tellement liées aux modèles traditionnels en ce qui concerne les produits et la clientèle qu'elles pourraient être beaucoup plus prestes à profiter de certaines des occasions de générer de la richesse et de la valeur à partir de nos forêts en s'éloignant de ces modes de gestion traditionnels.
Un gros obstacle est de convaincre les ministères provinciaux qui ont le pouvoir de décision absolu sur les terres domaniales et de les amener à accepter tout type d'expérimentation. J'ai toujours recommandé que cela se fasse avec toutes sortes de mesures de surveillance, dans un cadre de gestion adaptatif, en se conformant à tous les règlements environnementaux existants. Les ministères pensent qu'il s'agirait seulement de céder des terres en fief simple pour qu'elles deviennent comme un boisé communautaire, auquel sont rattachés les mêmes droits que ceux qu'a un propriétaire de boisé privé, plutôt que de laisser autant de contrôle et de surveillance au gouvernement que dans le contexte de la gestion actuelle des terres domaniales.
J'ai signalé qu'au Nouveau-Brunswick, il y avait actuellement trois grands titulaires de permis. Ils ont le bras très long sur le plan politique. Si le même territoire était subdivisé en 50 forêts communautaires, le ministère des Ressources naturelles serait à nouveau en mesure de gouverner le navire. Pour une raison quelconque, il a beaucoup d'hésitation à adopter ce concept. Le Québec a fait beaucoup plus dans ce domaine. C'est regrettable que Luc Bouthillier ne soit pas là pour faire également des commentaires à ce sujet, car je suis certain qu'il en ferait.
M. Williams : J'ai trois principales observations à faire. L'une est que le secteur forestier russe connaît la plupart des mêmes problèmes que le secteur canadien. Les occasions de coopérer et de collaborer avec les Russes pour toute une série d'aspects différents concernant la forêt, depuis des études scientifiques jusqu'au développement industriel, sont nombreuses. C'est une possibilité. Il y a beaucoup de points communs et les Canadiens sont bien accueillis en Russie, ce qui m'incite à croire qu'il devrait y avoir beaucoup plus de possibilités de collaboration.
Je pense que la Russie offre également d'excellents débouchés. Le logiciel de planification qui a été élaboré au Canada devrait être utilisé en Russie, mais il ne l'est pas. C'est dû à un manque de contact ou de possibilité d'y faire une percée.
Ensuite, étant donné que la forêt boréale russe est semblable à la forêt boréale canadienne, je pense que ce serait un endroit logique où être actives pour les compagnies forestières canadiennes. Les Scandinaves sont très actifs dans l'Est de la Russie. Il y a, bien entendu, des différences culturelles, mais en ce qui concerne la ressource comme telle et les problèmes qui y sont rattachés, il y a probablement moins de différence dans la forêt boréale russe que dans tout autre type de forêt étrangère où les Canadiens pourraient investir. C'est une autre possibilité.
Enfin, une des raisons pour lesquelles je participe à la gestion de la forêt modèle Komi, c'est que c'est une grande réussite, réussite que j'attribue notamment au fait que cette forêt bénéficie d'un vigoureux appui du ministère des Forêts et du gouvernement de cet État.
En ce qui concerne le Programme de forêts modèles canadien, un des faits regrettables est que, à l'exception peut- être de l'Alberta, du Nouveau-Brunswick, de Terre-Neuve et du Manitoba, les gouvernements provinciaux n'ont pas profité dans la mesure où ils auraient dû le faire de l'occasion de participer et d'examiner des façons de faire différentes. C'est un exemple regrettable de la tendance à laquelle mes collègues ont fait allusion, à savoir que la coopération entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux n'est pas toujours des meilleures. Ce fut malheureusement le cas en ce qui concerne plusieurs forêts modèles.
Le sénateur Baker : Monsieur Floyd, pourquoi tout devrait-il se faire à l'Université du Nouveau-Brunswick?
M. Floyd : Il y a des domaines dans lesquels nous excellons, mais je n'irais pas jusqu'à dire que nous devrions tout faire.
Ce que je voudrais dire en ce qui concerne la recherche, c'est que j'appuie beaucoup ce que le gouvernement actuel a fait en ce qui concerne FPInnovations. FPInnovations joue un rôle important ici. Cette entreprise fait de l'excellente recherche.
Comme la plupart d'entre vous le savent probablement, cette entreprise est subdivisée en trois ou quatre divisions différentes. L'une concerne l'aspect technique de l'abattage, les chemins, le transport et l'équipement. L'autre examine l'industrie des pâtes et papiers et la troisième le volet « bois d'œuvre ». On y met toujours l'accent sur ce qu'il y a à faire après avoir récolté la fibre.
Ce que je veux faire remarquer, c'est que la recherche dont nous avons besoin au sujet de la lutte contre les insectes et les maladies, de la gestion de la biodiversité et des ressources hydriques, n'est pas faite à FPInnovations, mais au Service canadien des forêts ou dans les universités. Nous recevons par exemple un bon soutien du Réseau de gestion durable des forêts. Un programme mixte SCF/CRSNG est également en place depuis plusieurs années.
La difficulté qui se pose, c'est que ces programmes changent et que, par conséquent, on n'a pas toujours la même formule de financement logique pour la recherche qui concerne la gestion des forêts que pour celle qui porte sur les produits forestiers. Ce n'est pas que toute la recherche devrait être faite à l'Université du Nouveau-Brunswick, mais je pense qu'on a d'assez bonnes raisons de croire que nous avons besoin d'un système de financement plus stable et plus constant pour la recherche qui porte sur la gestion des forêts, et pas seulement pour celle qui concerne les produits forestiers.
La deuxième question que vous avez posée concerne l'énergie verte, et plus particulièrement les granules. Dans l'Est du Canada où il y a de nombreux boisés privés, un des principaux problèmes qui se posent est lié à l'absence de débouchés pour les propriétaires de ces boisés, surtout pour les matières de qualité inférieure comme les bois francs de faible qualité. C'est très utile, en ce qui concerne le marché des granules.
Au Nouveau-Brunswick, jusqu'à présent, le gouvernement provincial a activement découragé la production de granules. Celui de la Nouvelle-Écosse l'a peut-être soutenue un peu plus. Ce qui se passe, c'est que des entreprises du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse produisent des granules qui sont expédiées en vrac d'Halifax vers Rotterdam. Étant donné que les Européens ont adopté des politiques en faveur de l'énergie verte qui considèrent ces granules comme de l'énergie verte et qui leur accordent des crédits, c'est un marché très lucratif pour eux.
Le sénateur Eaton : Je voudrais poser des questions qui se rattachent à celles du sénateur Baker et à un des commentaires de M. Beckley. La semaine dernière, nous avons accueilli des témoins du Québec et de l'Université Lakehead qui ont fait des commentaires sur des boisés de type communautaire gérés par la collectivité et qui ont parlé de ce qu'on était parvenu à tirer des forêts dans ces cas-là. C'était un excellent exposé. C'était intéressant de constater l'entente venant de deux côtés différents.
Un sujet dont nous avons discuté la semaine dernière — et je ne sais pas si c'est M. Williams ou M. Floyd qui l'a évoqué — est celui des Autochtones et des forêts. Plusieurs exposés ont été faits. Un des commentaires faits dans ce contexte — et je pense que ça vous concerne tous les trois, étant donné que vous êtes des universitaires —, c'est qu'il ne semblerait pas y avoir de pont dans les universités entre la façon de voir des Autochtones ou des Premières nations en ce qui concerne les forêts et notre façon de voir traditionnelle.
Les programmes sont très peu nombreux dans ce domaine. Avez-vous une idée des possibilités qu'on aurait de faire participer les Autochtones pour les encourager et les aider un peu?
M. Beckley : M. Floyd et moi-même faisons partie d'un comité de doctorat d'un Autochtone qui travaille pour le SCF. C'est un inconditionnel du savoir traditionnel et il essaie de l'intégrer au mode de gestion actuel des forêts.
Nous faisons différents efforts pour le recrutement de membres des Premières nations à notre faculté de foresterie. Je suis entièrement d'accord avec ce qu'a dit M. Williams. Surtout lorsque j'étais au SCF et dans l'Ouest, j'ai beaucoup travaillé dans des collectivités autochtones et j'avais l'impression que ce clivage entre le fédéral et le provincial était extrêmement dysfonctionnel pour les collectivités autochtones. Celles-ci sont entourées de cette ressource forestière qui pourrait générer des richesses pour elles — même à titre de participants, comme simples travailleurs dans cette économie — et pourtant, pour des motifs culturels et d'autres liés à des questions de compétence, qui veulent que la province ait la responsabilité de la gestion des terres et que le gouvernement fédéral ait celle du bien-être des Autochtones, ce pont n'a jamais été établi.
Il y a des obstacles considérables à surmonter pour combler l'écart entre le degré d'instruction habituel des Autochtones, qui se situe au niveau de la huitième ou de la neuvième année, et le chemin considérable à parcourir pour réussir, surtout dans le domaine de la gestion des forêts, dans le contexte d'un programme menant à un grade qui est fondé sur les mathématiques et les sciences. Des mesures provisoires pour aider les personnes intéressées à perfectionner leurs compétences sont peut-être possibles. En intervenant au niveau des écoles techniques, des collèges communautaires et des programmes de formation de techniciens en sylviculture, on augmenterait peut-être les chances d'obtenir une main-d'œuvre autochtone.
Le sénateur Eaton : Oui, car nous discutons du fait qu'on ne veut pas créer un système parallèle. On veut trouver le moyen d'établir un programme de jonction ou de sensibilisation d'un type ou d'un autre, qui permettrait de faire participer les Premières nations et de les encourager, au niveau collégial, au niveau technique ou à tout autre niveau.
M. Beckley : Il y a peut-être également un peu d'hésitation de la part de certains Autochtones, en raison de l'attitude et de la domination de l'industrie, et de l'écart qu'il y a entre cette attitude et leur vision de la forêt et de la vie dans ce milieu. Cela a peut-être également été un obstacle pour ce qui est d'attirer des Autochtones dans ces types de programmes. Il faudrait peut-être être davantage disposés à adopter une perspective plus large, qu'il s'agisse d'une plus vaste gamme de produits, de services écologiques, de l'habitat, et cetera, plutôt que de demander aux Autochtones, pour la simple raison qu'ils sont Autochtones, de nous aider à exploiter le bois.
Le sénateur Eaton : En ce qui concerne les programmes de type communautaire, ils concernent en fait des produits comme les bleuets, les champignons et les produits médicinaux. Si la pâte à papier est sur une courbe descendante, faudrait-il envisager de planter des essences différentes quand on reboise et se demander si le reboisement actuel est suffisant?
M. Williams : Une des règles fondamentales est qu'on plante des variétés adaptées au lieu.
Le sénateur Eaton : Oui, bien entendu.
M. Williams : Je ne pense donc pas qu'il faille planter des essences différentes, étant donné que de nombreuses compagnies forestières gèrent actuellement la forêt en se basant sur un paradigme relativement naturel. Elles tentent au moins de régénérer le type de peuplement qui se trouvait là. Si les arbres qu'elles abattent se trouvent à un endroit qui ne leur convient pas tout à fait ou sont dégradés en raison de pratiques d'abattage antérieures, elles essaient de replanter les mêmes essences qu'avant ou des essences appropriées.
L'approche de gestion devrait peut-être changer. On va chercher le bois d'œuvre de plus en plus loin alors que se trouvent, à proximité des scieries, des boisés qui sont, dans bien des cas, très productifs, mais qui n'ont pas été bien gérés. Ils sont devenus une sorte de jungle. C'est probablement le résultat d'abattages successifs au cours des 50 ou 60 dernières années. Ce qui y pousse n'est pas vraiment vendable. Il est toutefois coûteux d'enlever tout et de remplacer par une forêt appropriée. Par conséquent, ces boisés ne sont pas gérés ou exploités. Certaines compagnies préfèrent aller à 300 ou 400 kilomètres plus au nord pour abattre des arbres, souvent de petite taille et à coût très élevé.
Le sénateur Eaton : En laissant la pagaille derrière elles?
M. Williams : Oui. J'y ai fait allusion lorsque j'ai signalé que l'investissement dans les forêts n'était pas substantiel et que les ententes de tenure n'encourageaient pas les compagnies à investir. Le choix des investissements est une question qui pourrait être examinée et un domaine où l'on pourrait apporter des changements.
Le changement climatique et le carbone ont également un impact considérable. L'abattage dans des tourbières à épinettes qui contiennent de grandes quantités de carbone et produisent très peu de bois devrait être abandonné définitivement. Je ne pense pas que ça représente encore de la valeur.
Pour revenir à votre question précédente concernant un programme qui serait axé sur les Autochtones et sur l'éducation formelle, j'aimerais également que l'on établisse un programme de mentorat d'un type ou d'un autre. Plusieurs cadres supérieurs de compagnies forestières sont allés travailler pour des bandes autochtones. Ils sont parvenus à accomplir beaucoup de choses. Ça aiderait toute la collectivité. Si l'on mettait en place un système analogue au CUSO (Service universitaire canadien outre-mer) pour travailler avec les collectivités autochtones, cela pourrait être efficace.
Le sénateur Eaton : Pourriez-vous m'instruire : en ce qui concerne un régime foncier limitant la capacité des entreprises, est-ce lié au nombre d'années pendant lesquelles une entreprise détient les droits de coupe?
M. Williams : C'est cela, mais il s'agit également des conditions générales du permis.
Le sénateur Eaton : Y a-t-il une durée moyenne pour les permis?
M. Williams : Il existe différents types de permis. Au Canada, les gros permis sont généralement d'une durée de 20 à 25 ans. Un grand nombre de permis sont réexaminés tous les cinq ou dix ans; si le détenteur du permis a respecté les conditions, il est renouvelé pour une période égale à la période initiale.
Le sénateur Eaton : Les permis sont-ils automatiquement renouvelés?
M. Williams : Oui, c'est bien cela.
Le sénateur Meighen : Messieurs, une des me frustrations est que j'aurais toujours voulu être diplômé en génie forestier de l'Université du Nouveau-Brunswick. C'est un des nombreux domaines dans lesquels je n'ai pas réussi.
M. Floyd : Nous cherchons des étudiants. Nous serions heureux de vous recruter.
Le sénateur Meighen : Il me faudra une double spécialisation.
Cette question concerne l'ensemble du pays — je l'ai toutefois posée en Colombie-Britannique il y a quelques années et on m'a répondu que la coupe à blanc présentait de gros avantages en matière de régénération forestière. Pensez-vous que ça tienne debout?
M. Floyd : Oui, absolument. C'est très approprié dans certaines circonstances.
Le sénateur Meighen : Pourriez-vous décrire certaines de ces circonstances?
M. Floyd : Les exigences en matière de régénération varient d'une essence à l'autre. Quand il s'agit d'une essence comme le pin Douglas, sur la côte Ouest, qui se régénère bien en plein soleil, mais pas particulièrement bien dans des zones très ombragées, un des objectifs est de dégager le peuplement pour exposer le sol et faciliter la régénération.
Nous en faisons beaucoup dans les Maritimes. Nous faisons moins de coupe à blanc qu'avant, mais nous en faisons toujours beaucoup et nous reboisons en nous basant sur notre modèle sylvicole dominant. Cette façon de procéder présente incontestablement des avantages économiques, mais entraîne également des coûts écologiques.
On peut difficilement dire que c'est toujours néfaste. Ça dépend de l'endroit et de l'essence avec laquelle on travaille.
Le sénateur Meighen : Où en est-on d'une façon générale à l'échelle nationale en ce qui concerne l'adoption d'une réglementation sensible, qui permette la coupe à blanc dans les cas où ce serait avantageux et l'interdirait là où ça ne le serait pas?
M. Floyd : Cela varie, bien entendu, d'une province à l'autre, selon les normes réglementaires de chaque province. Je pense que le Canada a généralement des normes très élevées en ce qui concerne l'exploitation, la protection et la régénération. Nous faisons généralement du bon travail. Ça ne veut pas dire que les gens aiment les coupes à blanc, car la plupart des Canadiens ne les apprécient pas.
M. Beckley : C'est un des éléments qui est ressorti clairement de notre recherche-sondage. La population est très opposée aux coupes à blanc. C'est au secteur forestier qu'il incombe de faire davantage d'efforts et d'améliorer ses pratiques pour la convaincre et obtenir son appui.
Nous avons survolé le Maine ce matin, et ça se voit très bien qu'on y pratique beaucoup moins la coupe à blanc et que le secteur forestier de cette région est bien positionné. Parmi les exemples qui concernent la Scandinavie, en Finlande, la superficie maximale de coupe à blanc autorisée est de quatre hectares. Elle est d'au moins dix fois plus dans la plupart des provinces et territoires du Canada. La Scandinavie est compétitive; elle est en concurrence avec nous sur des marchés semblables et s'en tire avantageusement. C'est possible.
Le thème général de certains de mes commentaires est que nous avons adopté les façons de procéder les moins coûteuses et les plus faciles, sans faire preuve de beaucoup de vision ni de trop d'application. C'est un autre cas où ce serait possible, avec un peu plus d'intelligence, de perspicacité et de planification. Nous pourrions continuer d'avoir une industrie des produits forestiers de grande valeur, même en réduisant les coupes à blanc.
C'est par la certification forestière qu'on pourra y arriver. Je ne suis pas sûr que l'approche réglementaire soit le meilleur bâton, par rapport à la carotte, mais je pense que ça ne nous nuirait pas que le secteur soit moins réglementé.
M. Williams : Un grand nombre de provinces ont des exigences en matière de commercialité qui obligent les compagnies à tout couper, sauf leurs arbres rémanents. Les règlements provinciaux les forcent dans bien des cas à pratiquer la coupe à blanc.
Le sénateur Meighen : De nombreuses personnes possèdent des boisés privés dans les Maritimes. Existe-t-il des programmes ayant pour objet d'apprendre aux propriétaires à faire de la coupe sélective sur leur boisé et à le gérer? Ces programmes sont-ils très accessibles, à votre connaissance?
M. Floyd : La Nouvelle-Écosse fait du bien meilleur travail que le Nouveau-Brunswick en matière de sensibilisation des propriétaires de boisés privés. Le Nouveau-Brunswick a en fait pris, il y a plusieurs années, la décision de supprimer son programme de sensibilisation et d'éducation permanente, ce qui fut, à mon avis, une grave erreur.
Cependant, l'Université du Nouveau-Brunswick apprend aux étudiants comment gérer de plus petites parcelles; elle leur apprend les techniques de gestion des forêts inéquiennes et d'autres techniques de gestion. Le programme d'éducation permanente du ministère des Ressources naturelles de la Nouvelle-Écosse est efficace. Certaines des forêts modèles ont prospéré grâce à cet effort de sensibilisation.
Si vous me demandiez quelle serait une priorité pour les boisés privés au Nouveau-Brunswick, je répondrais que nous devons faire du bien meilleur travail en matière de sensibilisation des propriétaires de boisés et leur offrir beaucoup plus de soutien technique.
Le sénateur Meighen : D'après mes observations personnelles, dans le comté de Charlotte, chaque arbre était une victime potentielle lorsque le marché de l'habitation américain prospérait; on abattait tout.
Enfin, quel serait le pronostic en ce qui concerne la construction de maisons de bois en Asie? Nous avons mis beaucoup d'effort sur ce marché au fil des années et avons expliqué que c'était un type de construction avantageux pour de nombreuses raisons, notamment dans les zones d'activités sismique. Je n'ai pas l'impression que nous avons fait une percée importante sur ce marché-là.
M. Floyd : J'ai lu la transcription des questions que vous avez posées à M. Farrell et je suis certain qu'il en sait beaucoup plus que moi sur la question. C'est une question difficile qui est liée aux normes de construction, qui diffèrent non seulement d'un pays à l'autre, mais, comme vous le savez, d'une province à l'autre et, aux États-Unis, d'un comté à l'autre. C'est une question vraiment difficile. Je ne peux pas signaler que nous avons fait autant de progrès que nous le souhaitions. Nous pensons qu'il y a du potentiel à ce niveau-là. Nous avons enregistré une bonne croissance dans le domaine de la construction écologique et des normes de construction écologique et on commence à utiliser davantage de produits du bois dans des structures commerciales légères au Canada et aux États-Unis. Il y a des choses intéressantes à dire à ce sujet.
Le sénateur Fairbairn : Monsieur Williams, presque à la fin de vos commentaires, vous avez mentionné des programmes de mentorat pour les collectivités autochtones et avez signalé qu'il faudrait les faire participer. C'est une question importante. Pourriez-vous faire des commentaires un peu plus précis à ce sujet et nous faire part de ce que vous pensez au juste, en indiquant dans quelle région du Canada ça aurait le plus de succès? Si d'autres personnes ont des commentaires à faire à ce sujet, je serais heureux de les entendre.
M. Williams : Sénateur Fairbairn, j'ai vu cela fonctionner très bien dans une petite collectivité autochtone située dans la périphérie immédiate de White River, en Ontario. On y avait engagé un homme qui avait perdu son emploi à AbitibiBowater. Cet homme a aidé cette collectivité à élaborer une stratégie forestière, ce qu'elle essayait précisément de faire depuis un certain temps. Il a la capacité de l'aider à élaborer une stratégie. Il connaît le secteur et les politiques qui le concernent. Il sait comment faire.
Il me semble qu'un certain nombre de personnes comme lui sont disponibles, et leur nombre augmente probablement de jour en jour. On pourrait peut-être mettre sur pied un programme qui leur permettrait de faire en quelque sorte comme les bénévoles du CUSO et de travailler pour une période de temps déterminée avec les collectivités, afin de les aider à déceler les possibilités intéressantes dans le secteur forestier, pas seulement en ce qui concerne la récolte du bois, mais aussi dans d'autres domaines, à mettre en place un plan pour atteindre cet objectif et peut-être travailler avec elles à la mise en œuvre du plan. Ce pourrait être très utile. Ça ne remplace pas des cours de niveau supérieur, mais ce serait un élément qui pourrait très bien compléter ce type de mesures.
Le sénateur Fairbairn : Comme vous le savez peut-être, je suis du sud-ouest de l'Alberta, et je suis tout près des Autochtones, des montagnes, des forêts et de la vaste plaine qui forme cette région également. J'aimerais entendre les commentaires des autres témoins.
M. Beckley : Un des premiers projets qui m'avaient été confiés au Service canadien des forêts est une étude sur deux localités des Territoires du Nord-Ouest, Fort Laird et Nahanni Butte. Les activités y étaient déjà très axées sur la forêt et le gouvernement territorial voulait y développer une industrie forestière, mais il voulait au préalable évaluer l'utilisation qui était faite de la forêt. Nous avons fait ce qu'on appelle une étude sur les modes traditionnels d'utilisation et d'occupation du territoire, et nous avons constaté qu'environ un tiers de l'économie locale était toujours basée sur la forêt, c'est-à-dire sur des activités comme le trappage, la récolte de bois de chauffage et la cueillette de plantes médicinales. Il me semblait qu'il y avait là une excellente occasion de créer une économie forestière de petite envergure qui aurait complété et enrichi le mode de vie forestier que les habitants de ces localités appréciaient encore et voulaient préserver dans la culture locale. Je pensais notamment à une scierie qui ne serait pas en activité de façon permanente, mais seulement lorsque les prix sont décents, et qui pourrait peut-être vendre un produit spécialisé de bois écologique certifié à de riches Californiens, pour tirer le meilleur revenu possible d'une quantité restreinte de fibre. L'activité pourrait y être saisonnière, et les habitants pourraient travailler en ville, à la scierie, pendant les périodes où ils ne seraient pas en pleine forêt, à vivre des produits de la nature. Je venais d'obtenir mon diplôme et ma vision du monde était très idéaliste et très naïve.
L'approche typique, et c'est finalement celle qui a été adoptée, consiste à évaluer la quantité de bois sur place et à essayer de construire une scierie qui pourrait transformer cette même quantité de bois en développant cet aspect de la ressource sans devoir réfléchir aux impacts que cela pourrait avoir sur la collectivité et à l'éventuelle incompatibilité avec un mode d'utilisation de la forêt déjà existant. C'est une région à très faible densité de population et la forêt y est magnifique, ou du moins ce que j'en ai vu. Ce n'est qu'après être monté dans un avion que je me suis rendu compte que la forêt n'occupait que les vallées fluviales. C'était le couloir de transport pour les habitants de la collectivité. C'était là qu'il y avait du tourisme et que tous les beaux arbres se trouvaient. Bien qu'on avait l'impression que la forêt y était vaste, ce n'était pas réellement le cas. Toute exploitation d'assez grande envergure aurait eu des incidences catastrophiques.
Pour établir une industrie ou une économie forestière axée sur des produits, taillée sur mesure, dans un contexte autochtone, on aurait peut-être besoin d'un modèle différent qui tienne compte d'autres valeurs autochtones en ce qui concerne la forêt concernée.
M. Floyd : Il existe une Association nationale de foresterie autochtone. Vous auriez peut-être intérêt à l'inviter à témoigner. Le SCF a également un programme de foresterie autochtone. Certaines difficultés se posent en matière d'enseignement de niveau supérieur et en rapport avec la question que le sénateur Eaton a posée sur le recrutement. Aux États-Unis, certains programmes ont permis de travailler de façon très efficace avec les Autochtones. L'Université du Nord de l'Arizona et celle du Montana ont été particulièrement efficaces, mais elles ont investi beaucoup de temps et établi des liens solides avec les tribus. Ça leur a pris de 20 à 25 ans pour en récolter les fruits. C'est quelque chose que j'aimerais que l'on fasse à l'UNB et je pense que certaines autres universités s'y intéresseraient également. C'est un programme à long terme.
Le sénateur Fairbairn : Merci beaucoup. En Alberta et en Colombie-Britannique, où il y a les arbres nécessaires et différentes tribus, il me semble que ce serait, si l'on s'y prenait bien, une occasion qui pourrait ouvrir une porte pour régler certaines des difficultés qui se posent toujours là-bas.
Le sénateur Carstairs : Je représente le Manitoba, mais je suis née en fait et ai passé mon enfance à Halifax. Je suis allée à Dalhousie à une époque où l'on pensait que l'Université du Nouveau-Brunswick n'était qu'une faculté de foresterie, et rien d'autre.
Cela dit, je pense qu'il y a vraiment un manque de communication entre les gouvernements et les citoyens en ce qui concerne le respect que les Canadiens ont pour leurs forêts et pour leurs arbres. Je l'ai très bien compris après avoir visité Halifax peu après le passage de l'ouragan Juan. J'ai passé mon enfance et mon adolescence presque au sommet du parc de Point Pleasant, et ce fut très dur de voir l'état du parc après la catastrophe et la disparition des arbres. Et surtout, lorsqu'on demandait aux Haligoniens ce qu'ils en pensaient, ils répondaient qu'ils se sentaient comme si leur ville avait été entièrement dévastée suite à ce qui était arrivé dans le parc.
Un événement semblable est survenu à Vancouver, lors des terribles tempêtes qui ont frappé le parc Stanley et aussi au Québec et à Ottawa, lors de la tempête de glace. Les Canadiens chérissent leurs forêts, mais je ne suis pas sûre que les gouvernements leur attribuent une quelconque valeur, si ce n'est pour leurs ressources économiques, et je suis sûre qu'ils ne les apprécient pas pour des raisons comme celles que vous avez mentionnées tout à l'heure, à savoir les questions de bassins versants, les questions environnementales, le lien fondamental entre un Canadien et un arbre. Nous sommes des écolos, même si nous ne sommes pas de grands défenseurs de l'environnement; nous sommes pour la plupart des écolos, car nous aimons nos arbres.
J'en arrive à ma question qui concerne les Autochtones. Je viens d'une province où il y a beaucoup d'Autochtones. Il y a eu dans ma province un certain nombre d'usines de pâte à papier très rentables, comme celle de Pine Falls, qui n'employait qu'un très petit nombre d'Autochtones. Il y avait une grosse usine de pâte à papier à The Pas, au Manitoba, où la plupart des habitants étaient des Autochtones, mais où très peu d'Autochtones avaient un emploi.
Monsieur Floyd, pouvez-vous dire combien d'Autochtones font des études de foresterie à l'Université du Nouveau- Brunswick ou dans d'autres facultés de foresterie du pays?
M. Floyd : Très peu.
Le sénateur Carstairs : Le gouvernement a-t-il prévu des bourses ou des initiatives spéciales pour encourager les Autochtones à s'inscrire à des facultés de foresterie?
M. Floyd : Oui. Je n'ai jamais eu de difficulté à trouver des bourses d'études pour les Autochtones.
Le sénateur Carstairs : Quel est le problème, dans ce cas?
M. Floyd : Il serait préférable que ce soit un Autochtone qui réponde à votre question, mais puisque vous me la posez, je vous donnerai mon opinion. Je pense qu'il y a un clivage culturel.
D'après mon expérience, mon expérience personnelle à titre d'étudiant du premier cycle, c'était très difficile pour des Autochtones de quitter leur collectivité pour venir à l'université, dans un contexte culturel différent, où ils étaient souvent isolés, et de réussir à l'université selon nos critères de la réussite. C'est pourquoi, quand j'ai commencé mes études dans le Nord de la Californie, j'ai connu plusieurs étudiants qui étaient venus dans l'État de Humboldt, où j'étais, et qui avaient abandonné leurs études avant d'obtenir leur diplôme.
On constate une érosion assez importante des effectifs. Je n'ai pas les données correspondantes pour l'Université du Nouveau-Brunswick et je suis encore relativement nouveau là-bas, mais j'ai l'impression que c'est ce qui se passe.
Le sénateur Carstairs : Je pense que c'est cela. C'était même le cas au niveau secondaire, où j'ai enseigné. Il y avait des Autochtones en 10e année, mais ils ne restaient pas jusqu'à la fin de la 12e année. On observe des différences et des changements. Actuellement, il y a des Autochtones qui sont diplômés de facultés de droit, de facultés de médecine et d'écoles d'infirmières, mais pas de facultés de foresterie.
M. Floyd : J'hésite à signaler que je connais deux ou trois Autochtones qui sont diplômés d'une faculté de foresterie. Nous avions, il y a deux ans, un étudiant formidable qui a obtenu son diplôme et qui travaille maintenant pour le SCF, à Fredericton. Lorsque je travaillais sur la Stratégie nationale sur les forêts, j'ai rencontré deux Autochtones de la Colombie-Britannique qui ont été engagés comme forestiers professionnels par leur propre bande. Ce n'est pas que ça n'arrive jamais, mais ça n'arrive pas assez souvent.
Le sénateur Carstairs : Je pense que dans de nombreux secteurs de l'économie canadienne des problèmes de relations entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux se posent. Quels sont en fait les problèmes qui se posent entre les gouvernements provinciaux et le fédéral en ce qui concerne leur collaboration — que ce soit dans le contexte d'une forêt modèle ou dans celui d'un petit programme de développement qui pourrait être un programme de développement pour les Autochtones? Où se fait le clivage?
S'agit-il seulement d'un conflit de pouvoirs dans le contexte duquel les provinces ne veulent pas du gouvernement fédéral parce qu'elles considèrent le secteur forestier comme leur fief? S'agit-il d'un problème de financement? Ou s'agit-il alors d'une attitude dictatoriale de la part du gouvernement fédéral qui veut imposer ses volontés en matière d'administration des programmes, sous prétexte qu'il fournit des fonds?
M. Floyd : Je viens de devenir un résident permanent. Je suis reconnaissant pour l'occasion de pouvoir vivre et travailler ici, et j'apprécie beaucoup ce que j'ai appris au cours des dernières années. Les lectures que j'ai faites sur l'histoire canadienne indiquent que ça remonte à la Confédération. Il y a toujours eu un conflit de pouvoirs entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral au sujet du partage des droits et des responsabilités. Je pense que rien n'a changé.
Le sénateur Carstairs : Rien n'a changé, mais je pense qu'il faudrait que ça change. La question que je me pose est la suivante : où se posent certains de ces problèmes et comment peuvent-ils être résolus?
M. Floyd : Je pense qu'il existe beaucoup d'occasions pour des initiatives conjointes provinciales-fédérales. J'ai mentionné cette idée de grappes de recherche, par exemple. C'en est une. Les membres du Conseil canadien des ministres des Forêts collaborent assez bien — quoiqu'il y ait encore de temps à autre des guerres intestines. Il y a d'excellents exemples au sein du Conseil canadien des ministres de l'Environnement.
Nous avons établi des mécanismes pour ces dialogues à un niveau supérieur. Là où ça ne va plus, de toute évidence, c'est lorsqu'on se met à discuter de programmes spécifiques et qu'on se demande combien chaque gouvernement investira dans quel domaine et comment on répartira tout cela. De toute évidence, chaque fois qu'on parle de budget, des problèmes se posent.
D'une manière générale, en ce qui concerne le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, du moins au niveau supérieur, tout le monde est d'accord pour ce qui est des objectifs liés à la durabilité de la forêt et à l'industrie forestière, mais ça ne va plus lorsqu'il s'agit de discuter de programmes spécifiques ou de déterminer qui est responsable d'engagements précis en matière de financement.
M. Williams : D'une façon générale, j'ai tendance à être d'accord avec ce que M. Floyd a dit. Le problème réside en quelque sorte dans une certaine incapacité d'avoir une vue d'ensemble et de voir les avantages globaux d'une coopération.
J'ai déjeuné avec un ancien directeur du SCF et nous avons discuté de l'Inventaire forestier national. Il m'a confié que les sous-ministres provinciaux avaient raconté que lorsqu'ils arrivaient à une réunion fédérale-provinciale, ils n'avaient pas de fonds à offrir, mais qu'ils essayaient plutôt d'en obtenir. C'est le nœud du problème.
Le cas de l'Inventaire est un très bon exemple, car il est essentiel d'établir un inventaire national pour de nombreuses raisons, et pas seulement pour indiquer les quantités de bois disponibles. Ça nous aide pour notre comptabilisation du carbone; ça nous aide à obtenir l'accès à des marchés; c'est avantageux pour nous, à l'échelle nationale et aussi à l'échelle provinciale. On est toutefois dans l'incapacité de trouver une solution de financement qui assurerait une base de financement à long terme. Ça ne représente pas beaucoup d'argent, mais le problème réside dans l'absence de leadership et dans l'incapacité d'avoir une vue d'ensemble et de participer.
Le sénateur Carstairs : Un manque de volonté politique.
M. Williams : Oui.
M. Beckley : Je suis arrivé au Canada et au Service canadien des forêts au début des années 1990, lorsque les ententes fédérales-provinciales en matière d'exploitation forestière existaient encore. Elles disparaissaient progressivement, mais elles représentaient apparemment un partenariat efficace. C'était peut-être parce que les sommes en jeu étaient relativement élevées et que le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux avaient, chacun de leur côté, la possibilité d'émettre leurs desiderata. Ça bougeait beaucoup.
En ce qui concerne les observations de M. Williams sur le Programme des forêts modèles, j'ai participé à celui de l'Alberta et un peu à ceux du Manitoba et du Nouveau-Brunswick également. Pour une raison ou pour une autre, les gouvernements provinciaux ne semblaient pas vouloir participer.
Je pense que l'on a fait beaucoup de recherche utile et que de nombreux programmes intéressants ont été élaborés, mais que parfois, lorsqu'il s'agit de les mettre en œuvre, surtout dans les régions où des terres domaniales sont en jeu, la recherche n'a pas été appliquée sur le terrain. On observait un manque d'enthousiasme à ce niveau.
La situation décrite par M. Williams au niveau des directeurs est très répandue. J'ai participé à plusieurs collaboration au niveau de la base de ces institutions. Le sondage que j'ai mentionné a été financé par le ministère des Ressources naturelles. Cependant, mon collègue de l'Université de Moncton à Edmundston et deux employés du SCF, qui étaient des chercheurs à un niveau peu élevé, ont consacré beaucoup de temps à tenter de régler la question du partage des données et des droits de propriété intellectuelle. Nous avons travaillé à un haut niveau et la collaboration a été très efficace. Lorsque les résultats du sondage ont été publiés, le gouvernement n'a pas apprécié nos commentaires, et c'est devenu infernal à partir de ce moment-là.
Ça a toutefois fonctionné à un niveau inférieur, car c'est la meilleure façon dont je peux le décrire. Ça poserait un défi de trouver des façons d'obtenir des fonds. Souvent, les fonds ne sont pas accessibles à moins que du personnel fédéral, provincial et universitaire ne participe. Un changement permettrait peut-être à ces types de projets de se réaliser, s'il y a d'autres façons de proposer des fonds. Nous pourrions peut-être remonter vers le haut de la chaîne et convaincre les directeurs du bien-fondé de cette façon de procéder.
Le sénateur Callbeck : Vous avez tous parlé du rôle que le gouvernement fédéral devrait jouer en matière de leadership et pour ce qui est de dégager une vision. Vous avez soumis de nombreuses idées. Une idée se dégage d'une étude portant sur la pauvreté rurale, faite par le Comité de l'agriculture, lorsque le sénateur Fairbairn en était la présidente. Avez-vous témoigné dans le cadre de cette étude, monsieur Floyd?
M. Floyd : Non.
Le sénateur Callbeck : Une des recommandations était que le gouvernement fédéral convoque immédiatement un sommet national sur la forêt avec tous les intervenants concernés afin d'élaborer une stratégie forestière nationale. J'aimerais savoir si vous approuvez cette recommandation.
M. Floyd : J'aurais tendance à l'appuyer.
J'ai fait mention du processus de la Stratégie forestière nationale que le Canada a maintenant depuis près de 30 ans. L'idée de base était de trouver des possibilités de réunir tous les intervenants. Nous voulions fixer des objectifs en matière de gestion durable des forêts et de politique forestière. Ensemble, nous voulions créer cette vision et trouver un moyen de la mettre en œuvre.
Ce rôle appartient maintenant en grande partie au Conseil canadien des ministres des Forêts. Je pense qu'on aurait de vigoureux appuis dans certains milieux de la collectivité écologique. De nombreux intervenants différents apprécieraient cette occasion.
M. Williams : Je pense que ce serait une très bonne initiative.
En 1998, le gouvernement norvégien s'est embarqué dans un programme semblable présidé par le premier ministre du pays. C'était un des exemples que j'avais en tête et je pense que mes deux collègues ont signalé la réussite des pays scandinaves qui ont des ressources forestières semblables aux nôtres. Quatre des dix plus grandes compagnies forestières au monde, en se basant sur leur chiffre d'affaires, ont leur siège social en Scandinavie. Aucune de ces dix compagnies n'est canadienne.
Une approche stratégique qui bénéficie de l'appui de tous les partenaires, et dans le cadre de laquelle on aurait mûrement réfléchi et discuté de l'objectif que le pays voudrait atteindre, serait avantageuse. Une des questions à débattre serait la suivante : quelle taille souhaitons-nous pour notre secteur forestier? Des segments importants de la population voudraient qu'il soit très réduit ou inexistant. De nombreuses personnes n'ont pas d'opinion. C'est toutefois de bonne guerre de poser la question. Ce serait le sujet d'un très bon débat national.
M. Beckley : Si l'on avait fait quelque chose comme cela il y a une quinzaine d'années, c'eut été la bagarre et tous les participants auraient quitté la pièce furieux et vexés. L'ambiance est très différente de nos jours, en partie à cause de la crise et en partie à cause de la réussite de la certification forestière qui a rapproché les défenseurs de l'environnement et les éléments les plus progressistes du secteur forestier.
À une certaine époque, les écologistes s'alignaient d'un côté et le secteur forestier de l'autre. On observe maintenant une certaine bifurcation dans le secteur industriel. Des partenariats intéressants se sont formés entre des ONG écologistes et les entreprises forestières les plus progressistes. Les défenseurs de l'environnement utilisent ces groupes pour inciter les moins performantes à faire mieux en leur faisant honte.
Le terrain d'entente est beaucoup plus vaste. La culture du dialogue concernant la foresterie a évolué. Des personnes qui ne toléraient pas de se trouver dans la même pièce il y a 10 ou 15 ans se retrouvent régulièrement assises l'une à côté de l'autre, pour tenter de déterminer ce qu'elles ont en commun.
M. Floyd et moi avons participé à une initiative lancée par J.D. Irving Limited, au Nouveau-Brunswick. Cette entreprise avait engagé à prix fort un facilitateur de l'extérieur et avait invité des universitaires et toutes les ONG du Nouveau-Brunswick actives dans le domaine écologique à se retrouver pour cinq réunions, afin de déterminer s'il y avait des points sur lesquels les différentes parties pouvaient s'entendre. Si oui, pouvaient-elles faire quelque chose pour faire progresser ce plan d'action, même si ça ne représentait que 5 ou 6 p. 100 de l'ensemble? Cette façon de procéder a permis d'obtenir quelques très bons résultats.
Le climat est beaucoup plus propice actuellement à la réussite d'une initiative comme celle-là.
Le sénateur Callbeck : Je suis heureuse d'apprendre que vous appuyez cette recommandation.
Je voudrais poser une question au sujet d'une autre recommandation du comité, à savoir que le gouvernement fédéral mette sur pied des initiatives pour encourager les propriétaires de boisés privés à pratiquer un aménagement forestier durable par le biais du système fiscal. Approuvez-vous cette recommandation?
M. Beckley : Je pense que Peter deMarsh, de la Fédération canadienne des propriétaires de boisés, a déjà fait un exposé devant le comité. Je le connais très bien. Je suis également propriétaire d'un boisé. Je possède un terrain de 160 acres en dehors de Fredericton, et c'est là que je vis.
M. deMarsh et la Fédération des propriétaires de lots boisés du Nouveau-Brunswick ont préconisé de trouver une personne qui pourrait envoyer un chèque aux propriétaires de boisés pour le maintien de la qualité esthétique et de la qualité de l'eau, pour l'habitat, et cetera. Le fait que ce soit le gouvernement fédéral ou le gouvernement provincial n'a aucune importance pour ces propriétaires. M. Williams a fait remarquer que la plupart des Canadiens n'ont pas d'opinion. Je pense que la majorité des citoyens ne comprennent pas les subventions déjà accordées aux propriétaires de boisés pour cultiver de la fibre par la sylviculture, en plantant et en entretenant des peuplements d'arbres.
J'ai indiqué il y a quelques années que les fonds qui sont actuellement accordés aux propriétaires de boisés pourraient être acceptables sur le plan social, pas pour cultiver de la fibre dans le but d'approvisionner l'industrie, mais pour protéger les charmes de l'environnement. Il n'existe pas de programme semblable au Canada. Il y en a dans des pays comme le Costa Rica où ils sont rémunérés pour des services environnementaux. Les propriétaires privés sont payés pour maintenir la qualité de l'environnement.
Ce positionnement, pour être considérés comme les gestionnaires forestiers les plus écologiques au monde aurait, en fin de compte, des retombées bénéfiques pour nous lorsqu'il s'agira de vendre nos produits à l'étranger. Je pense qu'il y a amplement matière à innovation dans ce domaine.
M. Williams : La contrepartie devrait être qu'on exige que les propriétaires de boisés privés respectent des normes environnementales très strictes. Par exemple, ils ne peuvent pas faire de la coupe jusqu'en bordure des cours d'eau ni faire tout ce qu'ils veulent.
M. Floyd : Ce n'était pas seulement une question d'impôt — M. deMarsh a également mentionné devant le comité que c'était aussi une question d'impôt sur les successions. Les propriétaires forestiers ont le problème typique lié au fait d'avoir un revenu une fois tous les 20 ou tous les 25 ans. Ça dépend de la façon dont on traite ce revenu sur le plan fiscal.
Le sénateur Callbeck : M. Beckley a fait remarquer que la Suède et la Finlande avaient fait du bon travail pour ce qui est de gravir les échelons de la chaîne des valeurs. M. Williams a mentionné que le Canada avait essayé de le faire. Pourquoi la Suède et la Finlande ont-elles réussi, mais pas le Canada?
M. Beckley : Je ne le sais pas. Je vais en Suède dans trois jours. Je poserai peut-être la question à la ronde et en apprendrai un peu plus. J'ai un projet de recherche là-bas que je poursuivrai pendant deux semaines.
Je pense que ces pays ont fait preuve d'une grande perspicacité en décidant de fabriquer eux-mêmes leur équipement plutôt que de l'acheter en Allemagne ou dans un autre pays. Ma scie à chaîne est une Jonsered, de Suède; ma scie d'élagage est une Husqvarna. Ce sont des marques très connues des propriétaires de boisés ou des travailleurs du secteur forestier. Nous leur achetons également des services. Comme l'a si bien fait remarquer M. Williams, ces pays possèdent certaines des plus grandes entreprises manufacturières qui ont des filiales à travers le monde.
Je ne connais pas vraiment la réponse, mais j'ai l'impression qu'ils ont une stratégie d'investissement beaucoup mieux coordonnée que la nôtre et qu'ils se sont vraiment engagés à faire de la R-D pour être à l'avant-garde et pas pour faire du rattrapage.
M. Williams : C'est une bonne question. Je ne suis pas sûr de la réponse non plus, mais c'est probablement lié en partie à la R-D. Il y a plusieurs années, un effort concerté a été fait pour réorganiser la recherche forestière en Scandinavie, afin de saisir les possibilités de réaliser des économies. Les pays scandinaves consacrent de 3 à 4 p. 100 de leur PIB à la recherche, ce qui est beaucoup plus que dans notre cas.
M. Floyd : M. Beckley a fait remarquer, il y a quelques minutes, que si l'on observe nos marchés, on constate qu'ils ont été dans une large mesure dépendants du bois d'œuvre de catégorie utilitaire, c'est-à-dire des deux par quatre et des deux par six pour le marché de l'habitation, et que nous n'avons pas eu à innover, car c'était un marché auquel nous avions un accès assez facile et vers lequel il était aisé d'exporter. Nous n'avons jamais été forcés à faire preuve d'innovation ni à investir davantage dans la R-D, en particulier dans le développement de produits du bois de pointe, à forte valeur ajoutée. Si l'on comparait le secteur canadien des produits du bois à valeur ajoutée au même secteur dans les autres pays forestiers, on constaterait que la Scandinavie s'est appliquée davantage que nous à développer ce type de produits novateurs de valeur supérieure.
Le président : Avec la permission des sénateurs, j'aimerais poser quelques questions.
Je ne tiens pas à participer à la discussion que le sénateur Carstairs a reliée aux relations fédérales-provinciales. Je pense que les témoins ont raison. Notre secteur forestier est en crise et il est aux prises avec des difficultés. Sauf votre respect, certains des commentaires que nous avons entendus aujourd'hui n'auraient pas été possibles il y a une dizaine ou une quinzaine d'années. Nous sommes actuellement réunis pour discuter d'une crise et des défis dans un des secteurs les plus importants du Canada et d'Amérique du Nord, le secteur forestier, et nous pouvons en discuter.
Pour poursuivre dans la foulée du sénateur Carstairs, sans vouloir lancer un débat constitutionnel sur les responsabilités des provinces et celles du gouvernement fédéral, à supposer que vous soyez à la place du gouvernement fédéral, que feriez-vous dans l'immédiat, compte tenu de l'expérience que vous avez accumulée en qualité d'intervenants importants à titre de chercheurs universitaires, en ce qui concerne la formation des employés, la collaboration avec les employés au niveau de la sylviculture ainsi qu'avec les travailleurs des scieries ou des usines et les capitaines de l'industrie et les grosses entreprises forestières? Quelle serait votre recommandation?
M. Williams : Je réunirais les participants et intervenants importants pour déterminer un processus dans le but d'élaborer une vision et un plan stratégique. Un plan stratégique cohérent est nécessaire. Un plan est non seulement nécessaire, mais encore faut-il que le processus pour y arriver soit développé et raisonné.
Il faut par exemple que nous réfléchissions à l'avenir en ne perdant pas de vue le fait que le plan que nous élaborons doit être adapté à nos prévisions pour l'avenir et qu'il ne s'agit pas nécessairement d'essayer de remettre l'industrie sur pied telle qu'elle était ou de recréer le passé. Beaucoup de discussions sont essentielles et probablement aussi quelques études intégratives importantes. Les enjeux sont hautement intégrés et il n'est pas très courant de voir collaborer les gouvernements, les partenaires ou les personnes dont la participation est nécessaire pour régler un problème.
Un bon exemple pourrait être le changement climatique et un autre pourrait être les espèces invasives, qui ont, de toute évidence, un rapport avec le changement climatique. Tout ce qui concerne l'eau serait un autre exemple intégratif. C'est à ces questions-là que je m'attaquerais en premier lieu.
M. Beckley : Ça peut revenir en grande partie à une simple question de sociabilité humaine de base. C'est pratiquement une question d'attitude et d'approche. Comme l'a fait remarquer le sénateur Carstairs, le gouvernement fédéral estime que, puisqu'il fournit les fonds nécessaires, il a le droit d'imposer ses volontés au lieu de demander comment il pourrait aider. On pourrait aussi poser les questions suivantes aux porte-parole des provinces : « Quels sont les problèmes qui se posent? Peut-on s'entendre sur la nature du problème? Quels sont les rôles appropriés pour nous? Que pouvez-vous faire? Que pouvons-nous faire? », et avoir une discussion. Ce serait en quelque sorte une version plus élaborée du processus auquel M. Floyd et moi avons participé avec J.D. Irving et des ONG. Ce processus a été en partie efficace en faisant intervenir un facilitateur indépendant ayant la formation voulue pour dégager un consensus, afin de gérer le processus. Ça ne viendra pas du jour au lendemain. L'établissement de relations de ce type doit évoluer et la confiance doit s'établir. En raison de la profondeur de la crise actuelle et de la nécessité d'apporter certains changements, les partenaires seraient peut-être maintenant mieux disposés à s'engager dans ce type de dialogue.
M. Floyd : Je pense à plusieurs initiatives de nature différente que l'on pourrait prendre tout de suite. Un réel besoin de projets de démonstration et de développement se fait ressentir et le gouvernement fédéral pourrait collaborer avec les gouvernements provinciaux pour réaliser deux ou trois projets semblables. On ne cesse de parler de biocarburant, par exemple. Qu'il s'agisse d'agents biochimiques, comme l'acide acétique, ou de production d'alcool à base de cellulose, il est temps de mettre en place quelques installations de ce type.
Les États-Unis l'ont fait avec succès par l'intermédiaire de leur département de l'énergie, en offrant, par le biais d'un concours, une série de subventions à des entreprises, souvent avec la collaboration d'universités, pour construire ces projets pilotes de démonstration. Le premier projet de fabrication d'alcool éthylique de bois d'envergure deviendra opérationnel en Géorgie l'année prochaine. L'Université du Maine a reçu une subvention de 26 millions de dollars du département de l'énergie pour construire un centre de biotechnologie à Orno. Ce sont des types de projets que nous avons encore à réaliser au Canada; il y a place pour ce type d'initiatives.
J'ai signalé brièvement dans mon exposé que le gouvernement fédéral et les provinces pourraient unir leurs efforts et offrir les bourses et autre type de soutien financier nécessaires, pas seulement au niveau universitaire, mais aussi au niveau collégial communautaire, puis vous avez suggéré la sylviculture et d'autres types de compétences sur le terrain. Un réel problème de recrutement de la main-d'œuvre se posera bientôt. On aura de plus en plus de difficulté à trouver des personnes qui veulent travailler en plein bois. On éprouve également de la difficulté à recruter des étudiants au niveau collégial communautaire et au niveau universitaire. Le gouvernement fédéral et les provinces ont un rôle à jouer ensemble, pour régler ce problème.
Le président : Il y a un autre facteur qui entre en jeu. Afin de trouver des solutions qui maintiennent la viabilité de nos forêts, de meilleurs emplois et l'économie forestière, un autre intervenant doit participer aux discussions, à savoir la collectivité, les districts de services locaux ou les administrations municipales.
Monsieur Beckley, je sais que vous aviez obtenu l'accord pour faire une recherche et que vous avez dû remettre les fonds qui vous avaient été accordés. C'est peut-être le moment de recommencer.
Je suis d'accord avec vous en ce qui concerne l'impact que nous avons eu dans le Nord-Ouest du Nouveau- Brunswick, ainsi qu'en Nouvelle-Écosse et au Québec, surtout à Dalhousie, en ce qui concerne AbitibiBowater. J'étais assis à une table et nous avons signalé qu'on ne pouvait pas se contenter de la présence de représentants du gouvernement fédéral ou de celle de représentants du gouvernement provincial, mais qu'il fallait aussi faire participer la collectivité; il fallait que les porte-parole des petites villes, des villages et des grandes villes puissent participer aux discussions. J'espère que les commentaires que vous avez faits aujourd'hui, au sujet de la gestion de nos forêts, s'appliquent également au secteur du bois de feuillus; est-ce bien le cas?
M. Floyd : Oui.
Le président : Par conséquent, il y a un commentaire sur lequel je voudrais que vous donniez des éclaircissements ou que vous fassiez des commentaires. Si vous avez d'autres commentaires à faire que ceux que vous avez déjà faits en réponse aux questions des sénateurs, sentez-vous libres de les faire parvenir par écrit au comité.
Monsieur Williams, comme vous vivez juste à côté de l'État du Maine, vous avez signalé qu'il fallait sortir du contexte des mesures compensatoires américaines. J'aimerais que vous fassiez plus de commentaires à ce sujet.
M. Williams : Depuis 1986 au moins, quand le gouvernement Mulroney a passé une entente avec le gouvernement américain concernant l'imposition d'une taxe à l'exportation sur le bois d'œuvre de résineux, il y a toujours eu une taxe ou des droits d'un type ou un autre sur le bois d'œuvre. Certaines limites ont toujours été imposées sur les quantités qui peuvent être exportées aux États-Unis.
Une partie des profits qui auraient dû revenir aux entreprises produisant le bois d'œuvre a fini par atterrir dans les coffres d'un des deux gouvernements. Dans certains cas, l'argent a été remis. Je pense que les sommes qui avaient été perçues à titre de taxe à l'exportation ont été remboursées, mais, après cela, il s'agissait de droits imposés par les États- Unis, et c'est de l'argent qu'on ne reverra jamais. Il a en fait été distribué aux concurrents américains de nos producteurs.
L'autre facteur est que certaines restrictions ont été imposées sur la part de marché également, ce qui a permis à d'autres concurrents d'avoir accès au marché américain et de se tailler une place plus importante sur ce marché.
La taxe à l'exportation a, quant à elle, rogné une petite partie de ce qui aurait dû être le profit des entreprises canadiennes; elle a en outre affaibli leur capacité de maintenir leurs marchés aux États-Unis. C'est un des facteurs qui, avec le temps, ont joué en défaveur de l'industrie.
Le président : Est-ce qu'un des autres témoins a encore des commentaires à faire à ce sujet?
M. Floyd : Vous êtes au courant des conflits qui remontent à 1840 ou quelque chose comme ça. Ce différend dure depuis 150 ans. Il ne disparaîtra probablement pas de si tôt.
M. Williams a raison; c'est nuisible. La question qu'il a abordée est intéressante à savoir si nous pouvons créer des marchés aux enchères pour les peuplements forestiers sur pied. C'est une question vraiment intéressante. Y a-t-il une possibilité de le faire?
Comme vous le savez très bien, le dernier rapport du vérificateur général du Nouveau-Brunswick signale que le système de tarification actuel n'est pas tout à fait équitable. Une façon plus intéressante de procéder serait de trouver un moyen de s'assurer que différentes entreprises sont en concurrence pour acheter le bois sur pied ou pour acheter le bois d'œuvre. Ce n'est pas toujours le cas.
M. Beckley : J'aimerais d'abord faire un commentaire sur votre notion du rôle de la collectivité. La collectivité est un intervenant d'importance capitale, et je pense qu'elle est complètement désabusée.
Avec un collègue de l'Université de l'Alberta, John Parkins, je travaille à un projet dans le cadre duquel nous examinons les entreprises forestières qui sont en difficulté; nous essayons de déterminer quelles sont les variables qui font que certaines d'entre elles se retroussent les manches et se réinventent un avenir alors que d'autres vont à la dérive.
L'été dernier, dans le cadre de ce processus, nous avons fait le tour des maires et des conseillers de Nackawick, Dalhousie, Bathurst et Miramichi. Nous avons constaté qu'ils étaient extrêmement agacés, non pas par le clivage entre le fédéral et le provincial, mais par le clivage au sein du gouvernement provincial.
Si un nouvel utilisateur de bois voulait ouvrir une usine dans une collectivité, il devrait traiter avec Entreprises Nouveau-Brunswick, mais le terrain est bloqué et il est administré par le ministère des Ressources naturelles. Il y avait des jalousies mesquines entre ces organismes. Quant aux questions de main-d'œuvre, elles étaient toutes traitées par les organisations de services humains et sociaux.
Les maires voulaient tout simplement mieux pour leur collectivité et tous ces différents organismes provinciaux leur faisaient multiplier les démarches. Je pense qu'à certains égards, les modèles de forêts communautaires et l'idée de leur donner la possibilité de prendre des initiatives personnelles, pourraient être une solution; encore une fois, on ne peut pas laisser les collectivités livrées à elles-mêmes et les obliger à réaliser leurs projets toutes seules, car il sera nécessaire d'accompagner cet effort d'un renforcement considérable des capacités.
Pour faire le lien avec la notion d'une plus grande ouverture des marchés pour le bois en grume, certaines des forêts communautaires pourraient être bien placées pour trouver des créneaux et entrer dans la concurrence afin d'obtenir un prix plus élevé pour ce type de grume, s'il était disponible. Elles pourraient attirer des partenaires du secteur privé si ceux-ci savaient qu'ils peuvent obtenir certaines quantités de bois qui ont été traditionnellement réservées à une très grosse clientèle.
Cela créerait un secteur forestier plus diversifié et plus robuste. Il serait plus prompt et mieux en mesure de tirer parti des occasions qui se présentent. Je ne sais pas très bien quel rôle le gouvernement pourrait jouer pour que cela se fasse, mais c'est une orientation importante qu'il faut tenter de prendre.
Le président : Il ne nous reste plus assez de temps et j'aimerais poser la dernière question. J'apprécierais que vous me fassiez parvenir une réponse par écrit.
En ce qui concerne les commentaires que vous avez faits sur la gestion du carbone, quelle recommandation feriez- vous aux gouvernements, c'est-à-dire aux gouvernements municipaux, provinciaux et fédéral?
Messieurs, au nom du comité, je tiens à vous remercier d'avoir accepté notre invitation et de nous faire profiter de votre professionnalisme. Comme je l'ai signalé avant le début de la séance, vous êtes un intervenant important. Comme vous l'avez si bien fait remarquer, en ce qui concerne certaines des conversations et certains des échanges d'informations que nous avons eus en ce 26 mai 2009, nous n'aurions certainement pas pu avoir ce type de conversation il y a une dizaine ou une quinzaine d'années.
Au nom du comité, je vous remercie d'avoir témoigné aujourd'hui. C'était très intéressant.
Chers collègues, nous nous réunirons à nouveau jeudi, à l'heure habituelle. Nous accueillerons des témoins de l'Ontario. Je lève la séance.
Le sénateur Fairbairn : Je voudrais faire un dernier commentaire. Je suis du Sud de l'Alberta. Il y a là-bas un problème qui se pose dans le milieu de la foresterie, dans nos montagnes, où le dendroctone du pin ponderosa fait son apparition. À deux occasions, en retournant là-bas, j'étais assise à côté de deux jeunes gens différents et d'une personne plus âgée. Toutes ces personnes venaient du Nouveau-Brunswick et se rendaient au pas du Nid-de-Corbeau. Elles avaient travaillé dans le secteur forestier et amenaient leur matériel avec elles, quittant leur famille pour aller donner un coup de main pour enrayer le processus dans cet endroit difficile.
M. Beckley : Nos jeunes gens sont une des principales exportations des Maritimes.
(La séance est levée.)