Délibérations du Sous-comité sur les villes
Fascicule 2 - Témoignages du 29 avril 2009
OTTAWA, le mercredi 29 avril 2009
Le Sous-comité sur les villes se réunit aujourd'hui à 16 h 14 afin d'étudier des questions d'actualité des grandes villes canadiennes et d'en faire rapport.
Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue au Sous-comité sur les villes, qui examine la situation de la pauvreté, du logement et de l'itinérance dans les grandes villes du pays.
Nous examinerons particulièrement aujourd'hui la situation des Autochtones urbains qui vivent dans la pauvreté. Plusieurs témoins sont là pour nous aider. Nous avons à la table Mme Frances Abele, Ph. D., professeure à l'École de politique et d'administration publiques de l'Université Carleton, dont les champs d'intérêt comprennent les relations entre les Autochtones et l'État ainsi que le développement économique autochtone. Elle a été codirectrice de recherche pour la Commission royale sur les peuples autochtones et a produit, en 2004, le rapport Urgent Need, Serious Opportunity : Towards a New Social Model for Canada's Aboriginal Peoples, qui a été publié par les Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques.
Sur notre écran vidéo, vous pouvez voir M. Doug Durst, Ph.D., professeur à la Faculté du travail social de l'Université de Regina. Originaire de Regina, il a travaillé avec des groupes communautaires sur la question de l'autonomie gouvernementale des Premières nations dans diverses régions du Canada. Il est l'auteur du rapport À la fois « perdus » et « retrouvés » : les Autochtones vivant en milieu urbain dans les villes canadiennes.
Andy Siggner est un employé de longue date de Statistique Canada qui s'intéresse particulièrement à la situation économique et sociale des Autochtones. Il a récemment présenté à l'Université de la Colombie-Britannique une communication sur les défis affrontés par les Métis, les Indiens non inscrits et les Autochtones urbains, fondée sur l'Enquête de 2007 sur la population active.
Nous avons aussi un représentant de l'une des institutions qui sert les Autochtones du Canada, l'Association nationale des centres d'amitié, qui, comme chacun le sait, est présente dans de nombreuses villes. Il s'agit de M. Peter Dinsdale, directeur exécutif de l'Association, qui a déjà comparu devant notre Sous-comité sur la santé des populations. Nous sommes heureux de vous revoir, monsieur.
Andy Siggner, à titre personnel : Monsieur le président., c'est un plaisir pour moi de comparaître devant le comité. Quelques-unes des personnes assises à la table des témoins savent que je me suis occupé de statistiques autochtones pendant presque toute ma carrière, depuis mon entrée dans la fonction publique en 1971. Je suis toujours heureux d'avoir l'occasion d'en parler avec vous.
Je vais plus ou moins survoler le sujet. J'ai une série de diapositives dont je me servirai pour vous donner un aperçu des données démographiques de la population autochtone urbaine. Les chiffres sont tirés en grande partie des données des recensements de 1996 à 2006. Je vous présenterai également quelques renseignements provenant de l'Enquête sur la population active, autre source de données qui n'est entrée en scène que depuis quatre ou cinq ans. L'enquête comporte maintenant une question sur l'identité autochtone, ce qui permet à mes collègues de Statistique Canada de suivre les statistiques de la population active autochtone sur une base mensuelle. La collecte des données a commencé dans l'Ouest, c'est-à-dire dans les provinces des Prairies et la Colombie-Britannique. Depuis 2007, elle s'étend maintenant à tout le Canada. L'enquête fournit une masse de nouvelles données très intéressantes. Bien sûr, Statistique Canada a également mené sa troisième Enquête auprès des peuples autochtones, dont je ne parlerai pas aujourd'hui. Je n'ai tout simplement pas le temps d'aborder ces données. Toutefois, c'est une extraordinaire source d'information sur les Autochtones. En fait, l'enquête de 1991 a servi de source de données à la Commission royale sur les peuples autochtones pour laquelle Mme Abele et moi avons travaillé dans les années 1990.
En 2006, il y avait au Canada 1,2 million de personnes qui se sont identifiées comme Autochtones, par rapport à 800 000 il y a dix ans. Vous pouvez le voir sur le premier graphique. Si vous voulez bien suivre sur les diapositives, vous pourrez examiner quelques-uns de ces chiffres.
Cette croissance est évidemment liée à des facteurs tels que la fécondité et la mortalité. Toutefois, ces dernières années, une série de facteurs non démographiques ont eu des effets très sensibles sur la taille de la population autochtone. En particulier, au milieu des années 1980, la Loi sur les Indiens a été modifiée pour permettre aux femmes et à leurs enfants qui avaient perdu leur statut d'Indiens de retrouver ce statut. Ce changement a provoqué une augmentation de bien plus de 150 000 de la population des Indiens inscrits.
De plus, nous suivons depuis un certain temps un phénomène que certains sociologues qualifient de « mobilité ethnique ». Il s'agit du changement de la façon dont les gens s'identifient d'un recensement à l'autre quant à leur statut d'Autochtones. Nous avons par exemple été témoins d'une énorme augmentation de la population des Métis et de la population des Indiens de l'Amérique du Nord, telles que dénombrées dans les recensements successifs.
La population a donc augmenté très sensiblement. Entre les recensements de 2001 et de 2006, le nombre des Métis s'est accru d'environ 40 p. 100. Cette hausse dépasse de loin la croissance démographique normale. Nous savons que quelque chose se passe et que les raisons sont multiples. J'ai présenté des comptes rendus de ce phénomène dans différents documents et rapports, mais je n'en parlerai pas aujourd'hui. Je veux simplement m'assurer que vous avez une bonne idée de la taille de la population.
Je vous prie de passer maintenant au deuxième graphique qui ne présente que le chiffre absolu de la population autochtone dans les régions urbaines. Par exemple, quelque 623 000 vivent en milieu urbain. Cela représente environ 53 p. 100 de l'ensemble de la population autochtone. Parmi ces urbains, 366 000 vivent dans des régions métropolitaines, c'est-à-dire dans les plus grands centres du pays.
Par rapport à ces 53 p. 100, 81 p. 100 des non-Autochtones vivent en milieu urbain. Nous avons souvent entendu ce chiffre. Le nombre d'Autochtones urbains a beaucoup augmenté dans les 10 dernières années, mais pas tellement auparavant.
Vous pouvez voir sur le troisième graphique la nature de cette croissance. On peut dire en gros que le pourcentage des Autochtones urbains est passé de 49 p. 100 en 1996 à 53 p. 100 en 2006.
Les Métis tendent à s'urbaniser davantage que les Premières nations. Ils sont urbains à 69 p. 100, à comparer à 45 p. 100 dans le cas des Indiens des Premières nations de l'Amérique du Nord.
Comme vous êtes en train d'examiner le graphique sur les 14 grandes villes que je viens de regarder, je vous dirai que quatre de ces villes n'ont pas une très importante population autochtone. Les autres en ont, comme on peut le voir sur la diapositive suivante. La diapositive mentionne quelques autres villes qui ne font pas partie du groupe des 14 ayant des proportions appréciables d'Autochtones. Je pense en particulier à Prince Albert. Même si Winnipeg a la population autochtone la plus importante en chiffres absolus, environ 68 000, Prince Albert avait en 2006 près de 34 p. 100 d'Autochtones. Il y a aussi un certain nombre d'autres villes, comme Thunder Bay, Sault Ste. Marie, Sudbury et Saskatoon, qui ont au moins 9 p. 100 d'Autochtones. Je vous donne ces chiffres pour situer le contexte.
Je vais maintenant passer à l'une des questions de fond qui vous intéressent particulièrement, le logement. On peut trouver sur le site Web de la Société canadienne d'hypothèques et de logement une base de données intéressante qui permet de déterminer la proportion de ménages autochtones ayant des besoins impérieux de logement. Ces besoins sont définis en fonction de l'état du logement, de son abordabilité et de la densité, c'est-à-dire du nombre de chambres à coucher par personne.
À cet égard, j'ai de bonnes et de mauvaises nouvelles. Le pourcentage de ménages autochtones ayant des besoins impérieux de logement a baissé, passant de 32 p. 100, soit un ménage sur trois, en 1996 à 21 p. 100 en 2006. L'aspect négatif, c'est que ces pourcentages sont sensiblement plus élevés que dans la population non autochtone. L'écart a diminué, ce qui est une bonne chose. J'ai un autre graphique qui montre cette diminution aussi bien dans les RMR ou grandes régions métropolitaines que dans les petites villes.
Le rapport entre Autochtones et non-Autochtones, qui était de 2 à 1, a baissé à environ 1,5 à 1. Plus ce rapport se rapproche de l'unité, plus il y a de parité entre les deux groupes. Il y a donc un aspect positif dans cette statistique.
Je n'ai pas eu le temps de faire des recherches sur les raisons pour lesquelles les besoins impérieux de logement ont baissé, mais il est intéressant de noter que cette baisse se manifeste depuis 10 ans.
Le sénateur Segal : Monsieur le président, puis-je demander une précision sur ce graphique? J'aimerais être certain d'une chose. Avez-vous bien dit que l'écart entre les Autochtones et les non-Autochtones en détresse en matière de logement est en train de rétrécir?
M. Siggner : C'est bien cela.
Le sénateur Segal : Dans les deux cas, il s'agit de chiffres mesurant la détresse, n'est-ce pas?
M. Siggner : C'est exact.
M. Siggner : Vous pouvez voir sur le graphique que les proportions, dans les deux populations, baissent avec le temps. Les deux avancent dans la bonne direction. Par conséquent, l'écart rétrécit, mais il reste quand même assez grand.
Le comité examine également la question de la pauvreté. On se sert dans le recensement de ce qu'on appelle le « seuil de faible revenu » ou SFR, qui mesure l'incidence des faibles revenus. Lorsqu'on considère la situation du point de vue des familles économiques, il est certain qu'il y avait encore beaucoup de pauvreté en 2006. Je ne vous montre pas des données chronologiques, mais si j'avais eu le temps de vous en présenter, vous auriez pu constater que le pourcentage des familles qui se situent au-dessous du SFR était en baisse d'après les derniers recensements parce que l'économie allait vraiment bien jusqu'à très récemment.
Le pourcentage de non-Autochtones faisant partie de familles à faible revenu se situe à 13 p. 100, ce qui représente moins de la moitié des 30 p. 100 de la population autochtone. Le pourcentage est presque deux fois et demie plus élevé. Dans les régions métropolitaines, cela signifie qu'un ménage sur trois est en deçà du SFR.
La situation est un peu plus grave dans le cas des personnes qui ne font pas partie d'une famille. Je parle des Autochtones qui ne vivent pas en famille. Plus de la moitié d'entre eux sont dans cette situation. Ils sont au-dessous du SFR, quoique l'écart par rapport à leurs homologues non autochtones ne soit pas aussi grand que dans le cas des familles.
Le sénateur Segal : S'agit-il d'adultes célibataires ou d'aînés vivant seuls? S'agit-il de mères chefs de famille? Qui fait partie de cette catégorie?
M. Siggner : Une mère ferait automatiquement partie d'une famille. Par conséquent, il s'agit essentiellement de gens ou d'aînés qui vivent seuls. En fait, la catégorie englobe toutes les personnes de 15 ans ou plus.
Le sénateur Segal : Qui vivent seules.
M. Siggner : Oui. Toujours au chapitre des caractéristiques de revenu, vous pouvez voir sur la diapositive 10 le revenu médian provenant de toutes les sources, y compris les transferts gouvernementaux, l'emploi et autres. Il y a un écart de plusieurs milliers de dollars entre ceux qui se sont déclarés Autochtones et les autres. Les Autochtones ont déclaré un revenu annuel d'environ 19 000 $, par rapport à un peu plus de 26 000 $ pour les non-Autochtones. Ces chiffres, qui remontent à 2005, ont été déclarés dans le recensement de 2006.
La diapositive 11 présente les sources de revenus des deux populations dans les régions urbaines, les régions rurales et les réserves. Vous pouvez constater que, dans les régions urbaines, environ 15,5 p. 100 des Autochtones ont un revenu de source gouvernementale par rapport à 10 p. 100 pour les autres. La proportion est plus importante dans les réserves et se situe entre les deux dans les régions rurales.
Le graphique suivant se fonde sur les données de la population active des provinces de l'Ouest, à l'exclusion des réserves. Je me suis servi de ce qu'on appelle le « taux de chômage supplémentaire », qui prend en compte les travailleurs découragés. Ce taux était en baisse parmi les Autochtones entre juin 2004 et décembre 2008. Comme on pouvait s'y attendre, les chiffres ont légèrement remonté vers la fin de 2008. Il sera intéressant de voir les chiffres les plus récents, que je n'ai malheureusement pas pu obtenir de Statistique Canada.
Fait intéressant, la tendance générale du chômage est à la baisse, mais on peut voir que l'écart commence à se creuser un peu quand on examine les proportions, comme nous l'avons fait dans le cas des besoins impérieux de logement. L'écart entre Autochtones et non-Autochtones commence à augmenter, même s'il reste relativement moindre.
Le dernier graphique présente des aspects positifs parce qu'il nous renseigne sur la valeur de l'instruction et ses effets sur l'employabilité. La courbe montre les variations du taux d'emploi avec le niveau d'instruction. Nous pouvons voir que le taux d'emploi parmi les Autochtones augmente avec le niveau de scolarité et qu'il atteint celui des non- Autochtones dans le cas des diplômés d'université. Par contre, il y a un écart d'environ 15 points entre les deux populations dans le cas de ceux qui n'ont pas fini leurs études secondaires, les Autochtones se situant à environ 50 p. 100 par rapport à 65 p. 100 pour les autres. On peut voir ce qui arrive à ceux qui ont un diplôme universitaire. Bien sûr, le pourcentage des diplômés d'université est beaucoup moins élevé parmi les Autochtones que parmi les non- Autochtones. Il n'en reste pas moins que ce graphique montre clairement la valeur de l'instruction.
Doug Durst, professeur, Faculté du travail social, Université de Regina : C'est un honneur pour moi de prendre la parole devant votre comité pour vous présenter de l'information que j'ai recueillie ou à laquelle je me suis intéressé pendant un certain nombre d'années. Je ne voudrais pas revenir trop souvent sur les statistiques que M. Siggner vient de vous donner, mais j'aimerais attirer l'attention du comité sur quelques points.
Il y a des Autochtones un peu partout au Canada. Toutefois, dans les plus grandes villes, ils sont pratiquement invisibles. Les Autochtones forment environ 4 p. 100 de la population canadienne. Vous venez d'apprendre que les Métis sont très urbanisés, la proportion de citadins parmi eux s'élevant à près de 70 p. 100, tandis que les membres des Premières nations, c'est-à-dire les Indiens inscrits, se situent à environ 45 p. 100.
Les Métis sont les plus urbanisés, mais il est intéressant de noter certaines différences régionales. Dans le Canada atlantique et les trois territoires, le pourcentage d'Autochtones vivant dans des villes est, à 46 p. 100, très inférieur à la moyenne nationale. Même si les provinces des Prairies n'ont que 17 p. 100 de la population canadienne, elles comptent 43 p. 100 des Autochtones et plus de 50 p. 100 des Métis du Canada.
Suivant la tendance nationale, les Autochtones des Prairies sont urbanisés à environ 53 p. 100, les Premières nations se situant à un peu plus de 40 p. 100 et les Métis à environ 70 p. 100. Vous trouverez quelques statistiques nationales dans un document que j'ai transmis cet après-midi pour distribution. Ce document met à jour des travaux antérieurs portant sur les données nationales.
Environ 60 p. 100 de l'ensemble des Inuits vivent dans les trois territoires, mais vous trouverez peut-être un peu surprenant d'apprendre que 40 p. 100 des Inuits vivent dans des collectivités des plus ou moins urbaines de 1 000 habitants ou plus. L'image traditionnelle des Inuits isolés faisant partie de petits groupes réunissant quelques familles n'est pas conforme à la réalité. Les Inuits modernes vivent dans des collectivités ayant des magasins, des restaurants, des hôtels, des programmes publics, des écoles, des services de santé et des services sociaux.
Parmi les collectivités urbaines, Winnipeg a une énorme population autochtone bien connue et très visible. Calgary compte entre 38 000 et 40 000 Autochtones qui ne représentent que 5,3 p. 100 de la population. Ils sont plus ou moins invisibles, à part ceux qui circulent dans les quartiers pauvres. Il y a donc dans la ville une énorme population qui est invisible parce qu'elle se fond dans la masse. Montréal compte 7 600 Autochtones, Toronto en a 13 000 et Vancouver, 11 000. À part quelques-uns qu'on peut voir sur la rue Hastings Est et dans les environs, ces Autochtones aussi sont quasi invisibles.
Certaines études répartissent les Autochtones urbains entre quatre catégories. La première, celle des navetteurs, comprend ceux qui vivent dans une réserve, mais qui passent beaucoup de temps en ville. Si la bande se caractérise par un important développement communautaire et économique qui offre des occasions sur place, ses membres décideront le plus souvent de rester dans la réserve. La deuxième catégorie comprend les itinérants, qui vont d'une ville à l'autre, rentrent dans la réserve puis la quittent et qui n'ont jamais de domicile permanent. Les membres de ce groupe dépendent d'amis et de membres de la famille, faisant ce qu'on appelle parfois la « tournée des canapés », et sont souvent considérés comme des sans-abri. La troisième catégorie se compose de migrants qui s'établissent en ville, mais qui n'ont des relations qu'avec d'autres Autochtones. Ils ne s'adaptent et ne s'intègrent jamais vraiment à la vie en ville. Enfin, la quatrième catégorie est celle des citadins. Ce sont des Autochtones qui s'établissent en ville d'une façon permanente. Certains d'entre eux peuvent même être nés dans une ville, mais beaucoup maintiennent d'étroites relations culturelles avec la réserve de leur famille. Même si certains sont établis en permanence dans la ville et y bénéficient de services d'éducation et d'emploi ou de services spéciaux auxquels ils n'auraient pas accès dans leur réserve, ils demeurent fortement liés à celle-ci.
Le rapport publié en 2007 par la Commission d'étude sur les Autochtones vivant en milieu urbain mentionne un certain nombre de difficultés que les Autochtones connaissent en ville. La commission précise que le rapport se base sur des renseignements provenant de l'Association nationale des centres d'amitié et de l'Association ontarienne des centres d'amitié indiens. Comme je l'ai dit, l'étude souligne les difficultés auxquelles les Autochtones doivent faire face en ville.
Ils ont à affronter du racisme de la part de leur propriétaire, des employeurs auxquels ils s'adressent, des commis dans les magasins et des serveurs dans les restaurants lorsqu'ils montrent leur carte d'Indiens inscrits, ainsi que de la police et des autorités qui appliquent la politique dite de tolérance zéro. Le racisme est à la fois personnel et systémique. Faisant partie du système, il est difficile à combattre.
La situation est aggravée par l'impact générationnel des pensionnaires indiens. C'est particulièrement le cas dans les régions où un fort pourcentage des enfants ont été envoyés dans les pensionnats, surtout dans les Prairies, mais aussi dans l'Est et dans la région de l'Atlantique.
M. Siggner a également mentionné la pénurie de logements abordables. C'est un facteur dont font états de nombreux rapports. De plus, un autre facteur démographique entre en jeu parce que les jeunes Autochtones doivent affronter trois défis. Ils trouvent difficile de développer une identité autochtone positive et ont du mal à trouver un emploi convenable et à réussir dans leurs études secondaires. On dispose de statistiques et de données qui confirment cette situation.
Par ailleurs, les femmes autochtones — je vais aborder brièvement la situation des familles et des femmes vivant dans les collectivités — sont confrontées en quelque sorte à un double préjudice, étant à la fois femmes et autochtones. Elles ont de la difficulté à trouver de la nourriture, des vêtements et un abri pour leurs enfants dans un milieu hostile qui favorise l'isolement. Elles sont souvent seules, privées de l'appui d'un mari ou du père de leurs enfants.
Au fil des ans, le nombre d'organismes offrant aux Autochtones des services sociaux assurés par des travailleurs autochtones a augmenté. Beaucoup d'entre eux sont organisés et exploités par des chefs autochtones, mais d'autres constituent des succursales distinctes de services publics. Certains relèvent de programmes soutenus et subventionnés par le gouvernement fédéral et d'autres gouvernements, tandis que d'autres sont des organismes indépendants sans but lucratif. Les Autochtones et les membres des Premières nations préfèrent recourir à des services de ce genre.
L'accès aux services est l'une des questions les plus difficiles qui se posent dans le cas des Autochtones handicapés ou des mères ayant des enfants handicapés. Des choses telles que les services de santé non assurés peuvent causer de sérieux problèmes aux personnes qui se trouvent dans cette situation.
Une chose très simple, comme le fait pour une mère d'obtenir des lunettes pour son enfant, peut se transformer en cauchemar parce qu'il faut faire la navette entre les bureaux de la bande, les services de santé fédéraux pour les Indiens et les autorités provinciales. Dans certains cas, les mères n'ayant pas le statut d'Indiennes inscrites sont beaucoup mieux servies parce qu'elles peuvent recourir directement aux différents programmes provinciaux.
Pour les Autochtones, tout ne va cependant pas si mal en milieu urbain. Beaucoup d'entre eux sont en train de former une classe moyenne évoluée. On peut voir une impressionnante série de voitures rutilantes dans le stationnement de l'Université des Premières nations, ici, à l'Université de Regina. Nous avons en ville un groupe qui a bien réussi, avec des niveaux d'instruction croissants, des emplois durables et des activités d'entreprenariat couronnées de succès. Ils ne semblent pas recourir aux services sociaux, de sorte qu'il est parfois difficile de déterminer l'importance de cette population. Comme on ne lui a pas consacré beaucoup de recherches, nous ne savons pas grand-chose d'elle, mais elle est certainement présente dans nos villes.
J'ai bavardé avec quelques collègues de l'Université Carleton, ici même à Ottawa, de ces Autochtones urbains évolués qui font beaucoup à l'échelle nationale pour la communauté autochtone des Premières nations.
Il n'y a pas de doute que la population autochtone urbaine est assez importante. Elle continuera à croître et aura de profondes répercussions sur nos villes, particulièrement dans l'Ouest, mais dans d'autres régions aussi. À cause de leur histoire et de leur culture particulières, les Autochtones ne recourent pas aux services publics, préférant s'adresser à des services culturellement adaptés.
Comme le dit le titre de mon document, beaucoup de ces Autochtones se sentent perdus et connaissent des difficultés que les pouvoirs municipaux, provinciaux et fédéraux ne peuvent plus faire semblant de ne pas voir. En même temps, il y a aussi des exemples de réussite. Le succès dépend souvent de partenariats avec les dirigeants autochtones, hommes et femmes. Il y a de plus en plus d'expériences positives, et une classe moyenne croissante participe économiquement, socialement et politiquement à la vie urbaine. Dans la situation actuelle, on trouve donc dans la jungle urbaine des villes canadiennes aussi bien des gens perdus que des gens qui se sont retrouvés.
Frances Abele, professeure, École de politique et d'administration publiques, Université Carleton : Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. J'ai lu le rapport d'une franchise encourageante du comité ainsi que certains des témoignages. J'ai décidé de concentrer mes observations sur deux points concernant le rôle fédéral, dont les témoins ont beaucoup parlé, mais peut-être pas d'une manière intégrée.
Les renseignements que je vous présenterai sont tirés de trois sources. La première est l'étude que vous avez mentionnée, qui se poursuit sur les Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques. Je m'occupe avec Martin Papillon des répercussions des changements apportés à la sécurité sociale dans les années 1990 sur différents groupes d'Autochtones du Canada.
Ma deuxième source est une partie récemment terminée d'une étude d'envergure nationale sur la gouvernance à niveaux multiples. Mon travail consistait à examiner les rapports entre les pouvoirs municipaux et les Autochtones vivant dans les villes de l'Ontario.
Le troisième projet était une étude générale que j'ai réalisée de concert avec Katherine Graham sur l'évolution historique de la politique fédérale touchant les Autochtones urbains. Je transmettrai au comité les versions finales de ces deux dernières études.
Le premier point dont je veux parler — et que vous comprenez bien tous — est que la pauvreté est un problème systémique auquel seul le gouvernement fédéral peut s'attaquer d'une manière intégrée et fondée sur les faits. Cela comprend la pauvreté disproportionnée des Autochtones urbains.
La plupart des Autochtones qui vivent dans nos villes profitent et subissent toujours l'influence des politiques de sécurité sociale d'application générale. Qu'on parle de soutien du revenu, d'initiatives de lutte contre l'itinérance ou de projets destinés à la population active, les programmes en cause ont très souvent un aspect autochtone particulier malgré leur caractère national.
Beaucoup des gens qui vivent dans les villes canadiennes sont plus touchés par les changements ou les inefficacités du système national, tout comme les autres habitants de ces villes. Les Autochtones connaissent une pauvreté disproportionnée et ont un statut constitutionnel distinct qui crée des obligations particulières pour le gouvernement fédéral et les provinces.
Je veux dire par là que le comité devrait se montrer extrêmement audacieux dans la formulation de ses recommandations concernant les nouvelles politiques fédérales. Nous avons abouti à la situation actuelle à cause de plusieurs décennies de changements fragmentaires, souvent motivés par des considérations idéologiques, qui s'ajoutaient à des réductions des engagements financiers fédéraux et provinciaux et à un affaiblissement de la capacité fédérale d'agir en fonction d'une vision de ce que le Canada pourrait être. D'autres mesures fragmentaires ne nous aideront pas à résoudre les problèmes que nous connaissons dans les domaines du logement, du soutien du revenu, de l'emploi et des soins de santé.
Nous avons besoin d'une approche holistique car les faiblesses d'un élément du système se répercutent sur les autres. Tout s'enchaîne. Comme certains témoins l'ont déjà dit, nous avons besoin d'un mécanisme quelconque pour réfléchir à ce qu'il conviendrait de faire maintenant, tout en reconnaissant que tous les secteurs des services sociaux sont étroitement interdépendants.
Nous pourrions avoir un programme national de logement qui éliminerait pratiquement l'itinérance. Nous aurions la possibilité de le faire en créant plus d'endroits où les gens peuvent vivre. Une telle initiative aurait des effets positifs sur l'état de santé, aiderait les enfants à l'école et réduirait la toxicomanie. Elle permettrait aux villes de servir plus facilement leurs habitants à faible revenu car elles n'auraient plus affaire à de grand nombre de sans-abri auxquels il est difficile et peu satisfaisant de fournir des services. Elle aiderait aussi les villes et leurs organisations non gouvernementales à concentrer leurs efforts sur des mesures correctives favorisant l'intégration, ce qui pourrait aboutir un jour à l'élimination de la pauvreté.
C'était là un exemple touchant du domaine du logement, qui montre que le fait de mettre un logement décent à la disposition des gens peut entraîner des économies dans d'autres secteurs et permettre aux villes d'améliorer la qualité de vie de l'ensemble de leur population.
Je crois que vous avez entendu des témoins de l'Association canadienne d'habitation et de rénovation urbaine. L'association a fait une intéressante analyse des inconvénients de l'actuelle Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance. En dépit du fait que cette stratégie est admirablement centrée sur les activités communautaires de planification et de prévention, elle ne dispose pas de fonds et de pouvoirs suffisants. Ce n'est qu'une demi-mesure. L'association dit qu'il n'y a pas d'engagement à assurer un financement durable permettant d'accroître les stocks de logements abordables. La plupart des provinces n'ont pas officiellement réagi à la stratégie et n'ont pas désigné un ministre ou un ministère responsable de la lutte contre l'itinérance.
Les services aux sans-abri sont souvent financés par des services communautaires, de santé ou de logement. Les municipalités et le secteur bénévole dispensent la plupart des services destinés aux sans-abri. Or, chacun sait que notre secteur bénévole compte parmi les secteurs les moins nantis de notre société.
L'association aboutit à la conclusion que les mesures nationales de lutte contre l'itinérance sont fragmentées, manquent de cohésion et ne sont pas suffisamment financées pour atteindre leurs objectifs. Cela illustre bien tout le mal que peuvent faire des demi-mesures et l'incapacité du gouvernement fédéral de jouer un rôle de leadership d'une façon durable. Les partenariats sont bons. Les programmes ciblés sont essentiels, de même que les programmes particulièrement destinés aux Autochtones et placés sous contrôle autochtone constituent un aspect essentiel de tout programme national. Toutefois, je crois que c'est le gouvernement fédéral qui peut diriger un tel rajeunissement de tous ces systèmes interdépendants. Je sais bien que ce que je propose n'est pas une petite affaire. Il est d'ailleurs probable que cela vous est déjà arrivé auparavant. C'est vraiment le seul moyen de s'attaquer efficacement aux problèmes de la pauvreté dans les villes, et particulièrement aux problèmes de la pauvreté parmi les Autochtones.
Mon second point concerne la communauté autochtone qui vit dans les villes et les institutions qu'elle a créées. Les changements apportés dans les années 1990 ont eu au moins un résultat positif : ils ont créé une nouvelle orientation au gouvernement fédéral et dans beaucoup d'autres gouvernements, qui favorise le partenariat et permet aux Autochtones de former des organisations chargées de dispenser des services dans leur propre communauté.
Grâce aux changements apportés après l'examen des programmes et les autres modifications structurelles qui se produisent, toute une série d'organisations sous contrôle autochtone — qui ont de grandes chances d'être culturellement adaptées — ont fait leur apparition dans toutes les villes du Canada et même dans quelques régions rurales. Elles dispensent des services appropriés et sont proches des collectivités qu'elles desservent. Voilà le résultat positif des changements apportés dans les années 1990.
Ces nouvelles organisations ont un certain nombre d'avantages et constituent elles-mêmes un actif pour la solution des problèmes que nous connaissons maintenant. Leur principal avantage réside dans leur simplicité, le caractère dépouillé de leur structure et l'engagement extraordinaire de leur personnel. Elles sont toutes assez petites et souvent insuffisamment financées, mais elles sont en général très efficaces et très proches des collectivités qu'elles desservent. Elles constituent en quelque sorte un modèle de développement et de prestation de services.
Ces organisations ont commencé à former des réseaux dans les villes, un peu partout dans le pays. Il y en a un ici, à Ottawa, qui regroupe un certain nombre d'organisations de services, des centres d'amitié — les vénérables centres d'amitié — et d'autres. Ces organisations deviennent des porte-parole, exprimant un point de vue unique au nom d'une communauté diverse et hétérogène d'Autochtones vivant en ville. Elles améliorent la mise en œuvre des programmes en veillant à la diffusion de l'information. Elles aident les villes en donnant aux pouvoirs municipaux un interlocuteur unique connaissant bien les besoins de collectivités particulières.
Nous avons donc de nouvelles organisations souples et dépouillées. Nous avons aussi des réseaux qui sont efficaces au stade de la définition des politiques et font du bon travail aux stades de l'élaboration et de l'exécution des programmes. Des réseaux de ce genre existent maintenant dans plusieurs villes canadiennes.
Ils constituent un atout important. S'il y a de nouveaux programmes fédéraux, ils devraient être conçus pour renforcer ce secteur et non pour le saper, l'écarter ou le plonger dans la bureaucratie parce que les objectifs poursuivis ont été définis ailleurs.
Je voudrais mentionner deux facteurs qui ont favorisé ou renforcé le développement de ces réseaux. En Ontario, la Commission d'étude sur les Autochtones vivant en milieu urbain, que M. Durst a mentionnée et que dirigeaient les centres d'amitié, avait créé une série de comités consultatifs communautaires. Ces comités établis dans certaines villes de l'Ontario se sont transformés en réseaux d'échange d'information et de collaboration parmi les gens qui essaient de dispenser des services aux différents éléments de la communauté autochtone dans chaque milieu. La commission était à l'origine un groupe de recherche, mais elle a contribué à l'édification de la collectivité.
L'autre initiative vient du gouvernement fédéral. Il s'agit de la Stratégie pour les Autochtones vivant en milieu urbain, ou SAMU, qui existe depuis quelques années. C'est un programme fédéral visant à habiliter les collectivités et à créer, dans quelques villes, un espace où les Autochtones peuvent discuter des questions qui les touchent.
La SAMU a des difficultés. Elle souffre du problème des demi-mesures que je viens de mentionner. Elle ne dispose pas d'un financement à long terme et semble manquer de stabilité. Pourtant, là où elle a fait du travail, on trouvera probablement des réseaux durables d'organisations de services autochtones.
Nous avons deux exemples de ce qu'il est possible de réaliser en consacrant un peu d'attention et d'argent à des organisations communautaires du secteur tertiaire pour les aider à se développer elles-mêmes. Voilà une chose que tout nouveau programme fédéral devrait prendre en compte.
Je voudrais, pour conclure, présenter quelques observations sur les besoins urgents des petites organisations faisant partie de ce que j'appelle le secteur tertiaire autochtone. Ce sont essentiellement des organisations sans but lucratif qui sont petites, relativement fragiles et souvent tributaires d'un financement provenant du gouvernement fédéral ou d'autres paliers de gouvernement.
Toutes ces organisations vous ont dit — et nous savons tous que c'est vrai — qu'elles ont besoin d'un financement beaucoup plus stable et d'une durée beaucoup plus longue. Elles ont besoin de plus de certitude au sujet des arrangements de financement et d'un système beaucoup moins onéreux de reddition de comptes et de rapports financiers.
Quiconque a des doutes à ce sujet devrait aller travailler dans l'une de ces organisations pendant une semaine et s'occuper des rapports à présenter aux commanditaires et de la recherche des fonds nécessaires pour payer le personnel l'année suivante. Il est possible de remédier à ce problème, mais nous ne le faisons pas au Canada en dépit du fait qu'il persiste depuis des années.
Il faut également dire que la plupart de ces petites organisations pourraient sans doute profiter d'un accès à des experts juridiques et financiers. Elles n'ont pas toutes besoin d'un avocat ou d'un comptable agréé à demeure, mais elles pourraient profiter des conseils de tels professionnels. C'est une chose simple et pratique, mais il y a l'obstacle du financement. Je crois que cela pourrait beaucoup les aider.
Bien sûr, les temps ont changé, et beaucoup de ces organisations comptent en partie sur le secteur caritatif, surtout pour leurs activités les plus coûteuses et les moins courantes. Nous savons tous ce qui est arrivé au secteur caritatif par suite de la crise financière mondiale. Il n'y a plus d'argent. Toute mesure pouvant atténuer les répercussions de cette situation sur ces petites organisations serait donc la bienvenue. Nous ne voulons pas les perdre à cause de cette crise.
Enfin, la SAMU est souvent critiquée car, même si son appui au développement communautaire est très opportun, elle ne permet pas de prendre des engagements à long terme au chapitre du soutien financier. Les organisations ont besoin d'un soutien public durable. Les versions futures de la stratégie devraient donc se baser sur un modèle qui assure un soutien durable et prévisible aux initiatives qui marchent bien, pour que leurs responsables qui ont commencé à profiter de l'occasion puissent mener leurs efforts à terme et même envisager des étapes futures raisonnables.
Il est intéressant de noter que les réseaux de collaboration qui se forment dans les villes canadiennes comprennent des organisations aussi bien autochtones que non autochtones parmi lesquelles on trouve des organismes sans but lucratif, des organisations bénévoles et des agences gouvernementales. À Kingston, par exemple, il y a un réseau d'information communautaire autochtone dont les membres se recrutent à des endroits aussi disparates que le Collège militaire royal — qui a de bons programmes de recrutement autochtone — et les centres d'amitié. Le réseau réunit des gens de milieux très différents, que pour la plupart d'entre nous imagineraient mal ensemble.
Ces entreprises de collaboration de la base sont une occasion en or pour nos villes. Elles permettent aux petites organisations qui travaillent ensemble d'être plus efficaces. Ces alliances valorisent tous les participants et jettent des ponts à travers les fossés ethniques.
Nous voulons enfin éviter, lors de l'élaboration de nouvelles politiques fédérales, une répétition des erreurs du début des années 1970 quand la politique fédérale a mis fin à la collaboration entre les Autochtones, les Indiens non inscrits et les Premières nations. Nous souhaitons bien sûr respecter les relations historiques entre les trois groupes, mais nous croyons aussi qu'il est important de respecter le processus communautaire visant à surmonter de vieux différends qui ne peuvent que nuire à la cohésion sociale dans les villes du Canada.
Peter Dinsdale, directeur exécutif, Association nationale des centres d'amitié : Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser au comité. C'est un honneur pour moi d'être ici et de comparaître en compagnie des autres témoins, à qui nous avons déjà eu affaire d'une façon ou d'une autre. Il est intéressant que nous soyons ici ensemble pour parler de cette question.
Mon exposé sera bref. Je vais juste dire quelques mots — je vous le promets — de notre association pour situer le contexte du travail que nous faisons. Je vous parlerai de nos recherches, particulièrement dans les 14 collectivités que vous avez mentionnées, pour mettre en évidence les problèmes urbains que nous y voyons. C'est encore du travail en gestation, et je n'aurai donc à vous donner que des renseignements assez bruts. J'aimerais cependant vous faire part de l'analyse qui a été faite. Je vous parlerai également de mes réactions à votre premier rapport, dont nous avons pris connaissance. Nous avons quelques observations à formuler à ce sujet. Je vous donnerai ensuite une idée des principaux problèmes, tels que nous les percevons, non seulement dans ces collectivités, mais partout.
Notre travail, à l'Association nationale des centres d'amitié, consiste à défendre les intérêts de nos 120 organismes locaux de première ligne qui dispensent des services dans tout le pays. Il y en a un ici, à Ottawa, le Centre d'amitié autochtone Odawa. Nous avons aussi sept organismes régionaux qui appuient les centres d'amitié dans les régions et font la liaison avec les autorités provinciales ou territoriales.
Dans les grandes lignes, notre mission est d'améliorer la qualité de vie des Autochtones vivant dans les régions urbaines. Nous nous occupons de stratégies de réduction de la pauvreté sur une base quasi quotidienne.
Nous mettons en œuvre des programmes prioritaires à l'intention de la population autochtone urbaine du Canada. Nous consacrons près de 114 millions de dollars par an aux services que dispensent nos 120 centres d'amitié. Nous obtenons environ un tiers de notre financement des pouvoirs provinciaux et un autre tiers du gouvernement fédéral. Le troisième tiers se classe dans la catégorie « autres », qui comprend des recettes provenant de nos propres activités ainsi que des fonds provenant de municipalités, de fondations, et cetera. Il s'agit d'une source de financement assez variée.
Les premiers centres d'amitié ont été créés dans les années 1950, à Toronto, Vancouver et Winnipeg. C'est à Winnipeg que la désignation « centre d'amitié » a été utilisée pour la première fois, pour être adoptée un peu partout par la suite. L'Association nationale des centres d'amitié a vu le jour en 1972. Elle relevait alors du ministère du Secrétariat d'État et portait le nom de Programme des migrants autochtones. Les Indiens des réserves migraient vers les villes. C'est ainsi qu'on le disait à cette époque. Nous avions reçu une attribution d'» années-hommes » dans nos premiers accords de contribution. C'est en quelque sorte un document historique à consulter pour se rendre compte du chemin parcouru en si peu de temps.
En 1996, le ministère du Patrimoine canadien nous a transféré l'administration directe du financement de base de ce programme. Nous sommes en quelque sorte des bureaucrates chargés de la mise en œuvre de ces programmes.
Nous vous avons fourni une carte pour vous donner une idée de la répartition géographique de ces centres dans le pays. Il y en a trois qui manquent parce qu'ils n'ont ouvert que très récemment. Ils se trouvent à Sept-Îles, au Québec, ainsi qu'à Sarnia et Peterborough, en Ontario. Nous sommes également présents dans les 14 collectivités dont vous avez parlé, mais, bien évidemment, il y a des problèmes qui se posent partout dans le pays.
Je vais maintenant passer à une diapositive intitulée « AFCP Program Reach » pour vous décrire nos programmes et services. J'ai dit plus tôt que nous avons des recettes de 114 millions de dollars, mais ce graphique n'en montre que 93 millions. La différence s'explique du fait que nos organismes régionaux reçoivent également un certain financement, qui n'est pas inclus ici. L'argent est dépensé sur le terrain.
L'année dernière, nous avons servi 1,3 million de clients. Si un client vient 10 fois, cela compte pour 10. C'est ainsi que nous procédons. Quoi qu'il en soit, nous avons donc eu 1,3 million de contacts avec des clients, auxquels nous avons consacré 93 millions de dollars de nos recettes.
Nous avons beaucoup de programmes destinés aux jeunes et des programmes de santé. Ce sont nos catégories les plus importantes. À la deuxième ligne, vous pouvez voir la catégorie « familles », qui comprend, par exemple, les programmes d'aide préscolaire aux Autochtones et les programmes destinés aux enfants dans les centres communautaires. Une grande partie de notre travail est axée sur la réduction et l'atténuation de la pauvreté : banques alimentaires, emploi et formation, conseils, aide aux sans-abri et ainsi de suite. Beaucoup de nos centres ont des refuges et certains exploitent des entreprises sociales qui louent des logements dont le loyer est fonction du revenu. Nous avons des réseaux évolués dans un certain nombre de régions.
Il y a des tiers qui appuient notre travail. EKOS a fait un sondage sur les Autochtones pour déterminer s'ils sont satisfaits des services dispensés par les Premières nations, les Métis, les Inuits, les centres d'amitié, et cetera. Nous avons obtenu de bons résultats. Vous trouverez ici quelques déclarations faites dans le cadre de cette enquête, qui indiquent que nous comptons parmi les organismes de services communautaires les plus populaires et les mieux connus.
Pour ce qui est de l'aspect démographique, M. Siggner vous a parlé de la croissance dans les centres urbains entre 1996 et 2006. Le problème, dans le système fédéral, c'est que lorsqu'on réfléchit aux questions autochtones, on pense rarement à des citadins. On pense plutôt aux réserves des Premières nations, aux problèmes d'eau potable et à de nombreux autres défis. On ne pense pas vraiment aux Autochtones qui vivent en milieu urbain. La réalité est pourtant très différente.
La population autochtone du Canada a un rythme de croissance six fois plus élevé que celui de la population non autochtone. À Winnipeg, une personne sur 10 est autochtone. À Edmonton, c'est une personne sur 20. Depuis le recensement de 2001, la population autochtone de Halifax a augmenté de 51 p. 100. Certaines des observations de M. Siggner concernant la mobilité méritent bien sûr réflexion, mais nous sommes en présence d'une croissance galopante. Les organismes de services de première ligne comme les nôtres sont constamment débordés.
Enfin, 48 p. 100 de la population autochtone a moins de 25 ans. La conclusion, pour moi, c'est que nous sommes vraiment très jeunes : près de la moitié de nos membres ont moins de 25 ans. Nous sommes urbanisés, puisque la moitié des Autochtones vivent en ville. De plus, notre niveau de scolarité est très faible, la moitié d'entre nous n'ayant pas fini l'école secondaire. Bref, la population autochtone urbaine est jeune et peu instruite. Voilà le genre de défi que le pays doit surmonter. Votre comité a la possibilité de réfléchir à certains de ces faits.
L'Association nationale des centres d'amitié participe à plusieurs forums s'occupant de politiques. Nous assumons la vice-présidence de la Conférence sur la recherche en matière de politiques autochtones aux Affaires indiennes et à l'Université Western Ontario. Nous essayons de profiter de notre présence dans ce domaine pour collaborer avec des partenaires et faire des recherches sur ce qui se passe dans les centres urbains du pays.
Une grande partie de la recherche sur les questions autochtones est axée sur 13 collectivités, constituées de RMR ou d'AR, avec un peu de chance. On parle rarement de Rankin Inlet ou de Kapuskasing, en Ontario, mais il y a des problèmes très particuliers qui se posent là. Nous faisons nos propres recherches dans 224 collectivités du Canada qui n'appartiennent pas aux Premières nations et ont une population de plus de 500 Autochtones. Ces recherches ont un caractère démographique.
Pour ce qui est des nombres que vous voyez ici, nous essayons de nous faire une idée de la façon dont les Autochtones urbains se comparent aux non-Autochtones des mêmes villes. Nous utilisons la méthodologie des Affaires indiennes fondée sur ce qu'on appelle l'indice du bien-être des collectivités, qui se base plus ou moins sur l'indice de développement humain des Nations Unies, mais qui est calculé à l'aide de données géographiques et de mesures tirées du recensement que nous appliquons aux régions urbaines.
Les graphiques que nous vous avons fournis sur les 14 collectivités montrent certaines des disparités qui existent. Nous avons isolé Gatineau et Ottawa dans notre analyse. Je voudrais souligner quelques éléments que nous avons trouvé intéressants. Si vous regardez les cotes relatives à la population active de l'indice de bien-être de ces collectivités, vous constaterez qu'à des endroits comme Halifax, Montréal, Ottawa-Gatineau, St. John's, Toronto et Québec, les Autochtones travaillent et que leur taux d'activité est supérieur à celui des non-Autochtones. Nous avons moins de chômage et participons davantage à l'économie. Nous sommes plus actifs que les non-Autochtones des mêmes collectivités.
Pourtant, dans ces mêmes collectivités, il n'y a pas de corrélation avec le revenu. Nous traînons de plus en plus de l'arrière. Dans certaines collectivités, comme Halifax, où nos taux d'activité sont élevés, nos cotes de revenu sont inférieures. Et c'est la même chose partout. Par conséquent, nous travaillons davantage, mais nous gagnons moins et nous vivons dans les quartiers pauvres. Il y a toutes sortes de problèmes sociologiques dont Mme Abele et d'autres vous ont parlé.
Je passe à la diapositive suivante. Nous avons là des cotes d'alphabétisme et de logement ainsi que des indices de bien-être. Nous serions heureux d'en parler avec vos analystes pour leur expliquer en détail ce que nous faisons dans le cadre de nos recherches. Nous publierons des rapports à ce sujet un peu plus tard dans l'année.
C'est parmi les Autochtones de Toronto que nous avons les indices de bien-être les plus élevés. Les disparités entre Autochtones et non-Autochtones sont les plus faibles à Toronto, mais nous nous situons quand même à 96 p. 100, ce qui signifie que notre indice de bien-être est en moyenne de 4 p. 100 moins élevé. L'écart le plus important a été noté à Regina, où l'indice de bien-être communautaire n'est qu'à 82 p. 100 de celui du reste de la collectivité.
Il y a de très importantes disparités dans les mêmes villes. Ne perdez pas de vue que nous travaillons autant, sinon plus, à ces endroits. Nous gagnons cependant moins et l'écart continue à se creuser.
Si j'avais été à votre place et que je faisais de la recherche sur la pauvreté et les villes, c'est le genre de question que je voudrais éclaircir. J'essaierai de mieux comprendre. On dit que les Autochtones doivent mieux participer au marché du travail et s'instruire davantage, mais à quoi cela sert-il?
Si nous venons en ville, si nous acceptons d'affronter tous ces obstacles sans pour autant avancer, quelles en sont les raisons?
Votre premier rapport a mis en évidence certains des domaines à explorer. Nous avons comparu deux fois devant votre comité. C'est donc la troisième fois que nous nous présentons devant vous. Vous avez déjà publié votre premier rapport que nous avons eu l'occasion d'examiner. Nous croyons — et cela ne vous surprendra pas — que les disparités que connaissent les Autochtones urbains sont beaucoup trop importantes pour que vous n'y consacriez pas un chapitre distinct de votre rapport. Dans certaines de ces collectivités, c'est dans la population autochtone que vous trouverez les plus pauvres du Canada.
La collectivité de Moccasin Flats, à Regina, est bien connue. Elle compte parmi celles qui ont les indices de bien-être communautaire les moins élevés, mais vous ne vous en occupez pas en particulier. Vous vous intéressez aux immigrants, aux problèmes d'établissement et aux personnes handicapées, ce que je trouve très louable. En même temps, les problèmes et les disparités des Autochtones du Canada sont trop importants pour ne pas faire l'objet d'un chapitre à part examinant d'une façon approfondie ce qui se passe dans ces collectivités.
Cela étant dit, vous avez réfléchi à un certain nombre d'options au sujet desquelles nous avons quelques observations à formuler. La première option de votre rapport consiste à concentrer les efforts sur les collectivités les plus vulnérables, Autochtones et autres.
Nous croyons que c'est une mauvaise idée. Nous craignons qu'une initiative de ce genre ne donne une connotation raciale à la pauvreté et aux pauvres, ou à ceux qui sont perçus comme tels dans ces collectivités. Cela pourrait détruire la trame sociale de certains de ces endroits. Nous estimons qu'il vaudrait mieux agir d'une façon plus générale sur la trame sociale. En ciblant des sous-populations particulières, on risque de susciter des problèmes négatifs plus vastes touchant l'intégration sociale.
Dans l'option 9, vous parlez de l'amélioration de l'accès aux programmes de l'assurance-emploi. Il y a toujours cette tension qu'on a mentionnée entre les autorités fédérales et provinciales et les problèmes du genre 91-24. La partie 2 de la Loi sur l'assurance-emploi permet au gouvernement fédéral de s'occuper des Autochtones urbains, mais le programme n'est pas assez énergique. La Stratégie fédérale de développement des ressources humaines autochtones vise à améliorer la situation de l'emploi des Autochtones, mais elle n'a pas vraiment de composante urbaine.
La politique-cadre du gouvernement fédéral — nous en avons parlé lors de notre comparution devant le Sous- comité sur la santé des populations — n'est pas axée sur les endroits où vivent les gens. Si 54 p. 100 des Autochtones vivent en ville, 54 p. 100 des ressources de tout programme fédéral visant à répondre aux besoins autochtones devraient leur être consacrées là où ils habitent, si on veut vraiment les aider.
Dans l'option 19, vous parlez de la nécessité d'accorder un soutien social plus étendu aux enfants et mentionnez en particulier la prestation fiscale canadienne pour enfants. Je tiens à vous dire que, dans les différentes provinces du pays, la récupération de ces prestations auprès des gens qui les reçoivent est très réelle. Ces gens vivent de l'aide sociale. Ils reçoivent la prestation fiscale canadienne pour enfants, mais on leur en retire une grande partie, sinon la totalité. Voilà une réalité à laquelle le Sénat peut réfléchir et au sujet de laquelle il pourrait formuler des recommandations. Toute mesure prise à cet égard aiderait des gens qui comptent parmi les plus défavorisés de ces collectivités. Vous pouvez avoir une influence directe sur la vie des gens qui ont des enfants et qui dépendent de l'aide sociale.
Vous avez examiné le Plan d'action canadien contre le racisme. À notre avis, ce plan ne rend pas justice aux Autochtones. Nous ne savons pas qui est le principal responsable de la prestation de services aux Autochtones du Canada. Nous n'avons absolument aucun lien avec le Plan d'action canadien contre le racisme. On n'a pas l'impression que ce plan concerne les Autochtones. Il est vrai que vos conclusions et recommandations préconisent d'accorder une plus grande priorité à cette question. Je vous encourage à poursuivre dans cette voie. Nous croyons que c'est essentiel.
Soit dit en passant, je crois qu'une partie des écarts entre les taux d'activité et les revenus des Autochtones est attribuable à cette notion de « plafond de verre », qui comporte un élément de racisme. Nous devons en parler. Il s'agit de notre situation. Nous croyons que le Plan d'action canadien contre le racisme peut avoir de grands avantages à cet égard.
Même si nous avons des préoccupations générales au sujet du traitement des Autochtones dans votre rapport, nous sommes heureux de constater que vous avez consacré d'importants efforts à la question du logement. De ce point de vue, vos recommandations sont très sérieuses. Il y a deux leçons à tirer de cela, qu'il serait important pour vous d'examiner si vous produisez un second rapport.
Quand le gouvernement fédéral a réservé 300 millions de dollars aux logements autochtones hors réserve — je crois que c'était dans le budget 2006, mais je pourrais me tromper —, l'argent a pris la forme de transferts aux provinces dans le cadre d'une fiducie d'habitation. Beaucoup de gens ont dû vous dire, j'en suis sûr, que l'accès à cette fiducie a été au mieux sporadique. Il existe des modèles de prestation de loin plus efficaces que le Canada devrait explorer. Même si vous avez formulé de très fortes recommandations au sujet du logement, je crois qu'il serait important de penser au mode de prestation utilisé, qui s'est transformé en obstacle à la construction de logements malgré la disponibilité des fonds.
Nous croyons en outre qu'il y aurait des changements administratifs à faire pour encourager les fournisseurs de logements autochtones à but non lucratif. Ces fournisseurs ont contracté auprès de la SCHL des prêts hypothécaires qui sont bloqués. Il faudrait leur permettre de réhypothéquer ces logements afin d'être en mesure d'en acheter d'autres. Ils n'ont pas actuellement la possibilité de le faire à cause de la nature des ententes qu'ils ont signées. Il me semble curieux, à un moment où nous insistons sur le développement économique et l'entreprenariat, que nous ne puissions pas obtenir un simple changement administratif qui ne coûterait rien, à part peut-être l'assurance à prendre sur les nouvelles maisons, et qui contribuerait à atténuer la crise du logement qui sévit dans ces collectivités. Nous encourageons donc le comité à réfléchir à cette question et peut-être à recommander qu'on autorise l'octroi de nouvelles hypothèques sur des unités d'habitation existantes de la SCHL.
Vous avez entendu parler des réseaux qui se sont formés. Nous avons eu des difficultés à financer le programme des centres d'amitié autochtones. Il y a un seul point sur lequel je ne suis pas d'accord avec les témoins qui ont pris la parole aujourd'hui. Le milieu des années 1990 n'a pas été très favorable pour nous au chapitre de la formation de réseaux. Nous avons écopé d'une réduction de 25 p. 100 par suite de l'examen des dépenses, et notre niveau de financement est resté bloqué à ce niveau jusqu'à présent. Nous devons nous suffire du financement de 1996 pour régler les problèmes qui se posent en 2009, même si ces problèmes ne cessent pas de se multiplier et de devenir plus compliqués.
Il est évident que je défends nos propres intérêts, mais je dois dire que beaucoup de nos centres ont d'énormes difficultés à recruter, à trouver du personnel compétent et à naviguer dans l'environnement extrêmement complexe de la formation dans ces collectivités. Tout cela nécessite de sérieux investissements. Par conséquent, pour combattre la pauvreté, il faudrait veiller au maintien de ces établissements et s'assurer qu'ils disposent de ressources suffisantes. Voilà une autre recommandation que vous pourriez formuler.
Il y a aussi une question plus vaste d'inclusivité. Le mouvement des centres d'amitié et d'autres veulent être certains que les autorités fédérales, où qu'elles se trouvent et où qu'elles agissent, n'oublient pas les Autochtones urbains. Nous avons connaissance de nombreuses situations dans lesquelles ils n'ont pas pu profiter de programmes de logement, d'emploi et de formation. Il faut qu'ils y aient accès.
Nous croyons enfin que la Stratégie pour les Autochtones vivant en milieu urbain constitue un important premier pas. Elle est appliquée dans 13 collectivités, où elle permet de financer des projets de développement, dans le cadre du processus communautaire de planification qui consiste à concentrer les investissements sur les secteurs prioritaires. Toutefois, il reste tellement plus à faire. À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral est encore excessivement cloisonné. Les programmes de formation professionnelle ne sont liés ni à la SAMU, ni au programme de lutte contre l'itinérance, ni à votre travail sur le logement, ni aux services limités d'éducation hors réserve qui sont dispensés. Je crois que cela relève de votre Sous-comité sur la santé des populations.
Il est donc difficile d'agir d'une manière stratégique ou d'avoir une stratégie si on demande simplement aux collectivités de faire de la planification sans que la famille fédérale ne coordonne son travail axé sur les problèmes des Autochtones urbains. Voilà un troisième. Je crois quand même que la SAMU des Affaires indiennes constitue un important premier pas. Il faudra se fonder sur les succès de cette stratégie pour coordonner l'action fédérale d'une façon un peu plus stratégique.
J'ai terminé mon exposé. Je serais maintenant heureux de répondre à vos questions. Encore une fois, je suis tout à fait disposé à parler des détails du projet de recherche que j'ai mentionné plus tôt.
Le président : Nos témoins nous ont présenté aujourd'hui une masse d'information très intéressante. Nous allons maintenant passer aux questions.
M. Dinsdale et Mme Abele nous ont fourni des données statistiques d'un grand intérêt. M. Siggner nous a montré que des progrès ont été réalisés et que l'écart rétrécit, mais cet écart est encore là. Même les non-Autochtones ont besoin d'une plus grande aide. Bien sûr, les Autochtones ont des besoins encore plus criants.
Monsieur Dinsdale, vous nous avez dit quelques mots dont vous voulez que nous nous souvenions. J'ai bien entendu que votre budget n'a pas augmenté depuis 1996. C'est affreux.
Vous avez dit trois choses que nous devons garder à l'esprit. L'Autochtone aujourd'hui est surtout jeune, urbanisé et peu instruit. Parlons un peu de ce qu'il serait possible de faire sur le plan de l'éducation. Vous avez dit que le problème n'est pas simplement lié au marché du travail ou à l'instruction et que les Autochtones doivent affronter du racisme et d'autres problèmes. Le graphique 13 de M. Siggner montre un écart très important dans le cas des personnes qui n'ont pas fini leurs études secondaires, écart qui s'annule plus ou moins avec l'obtention d'un diplôme universitaire.
Que pouvons-nous faire pour les gens qui n'ont pas fait suffisamment d'études? La semaine dernière, nous avons entendu des témoins de l'organisation Pathways to Education, qui travaillent à Toronto, dans le secteur Regent Park. Ce groupe nous a donné de merveilleux exemples de réussite qui lui ont permis d'aider des gens à poursuivre leurs études, puis à passer au niveau postsecondaire. D'après le graphique de M. Siggner, ceux qui arrivent à finir l'université ont de meilleures chances de bien gagner leur vie, malgré les autres problèmes que vous avez évoqués. Est-ce que des organisations du genre Pathways to Education qui offrent des programmes de mentorat peuvent être particulièrement utiles dans les régions urbaines?
M. Durst : Je vous remercie de votre question. D'après l'expérience que nous avons acquise dans nos centres d'amitié, les jeunes ont besoin d'un ensemble complet de services pour les aider à poursuivre leurs études. J'ai participé, il y a quelque temps, à l'organisation d'une école parallèle pour les enfants autochtones de la rue dans le centre-ville de Toronto. D'une façon générale, nous n'avons pas, dans nos collectivités, une culture d'éducation et de réalisation. Quand un jeune décroche de l'école secondaire parce qu'il s'agit d'un parent seul, parce qu'il a des problèmes sur le marché du travail ou qu'il a besoin de gagner sa vie pour aider financièrement sa famille, il ne perçoit pas cela comme un échec, contrairement au reste de la société. Nous avons besoin d'aspirer davantage à des réalisations.
J'ai été le premier de ma famille à aller à l'université. Le fait de quitter la collectivité pour aller étudier n'était pas très bien vu. On m'a demandé pourquoi j'agissais ainsi et quelles difficultés je ressentais. Personne ne m'a jamais incité à étudier quand j'étais enfant, mais je peux vous garantir que je n'hésiterai pas à pousser les miens.
Beaucoup de nos écoles parallèles essaient d'amener les jeunes femmes autochtones et leurs enfants à poursuivre leurs études. Si une jeune femme autochtone peut finir l'école secondaire, soit dans le modèle parallèle ou le modèle de l'ensemble global de services, elle pourra mener une meilleure vie et ne laissera pas son enfant décrocher quand il ira à l'école. Nous avons besoin de créer une meilleure culture d'éducation dans nos collectivités.
Un certain nombre d'initiatives d'éducation ont bien réussi dans le pays. Chacune, prise à part, est un grand succès, mais elles n'ont pas de liens entre elles et ne s'inscrivent pas dans une vraie stratégie. Comme exemple de ce que la SAMU peut ou devrait faire, je crois qu'elle devrait permettre de négocier des questions d'éducation avec les provinces, qui ont compétence dans ce domaine. Nous devons trouver des moyens de surmonter les obstacles de compétence pour avoir davantage de programmes éducatifs, d'écoles parallèles et d'autres initiatives pouvant ramener les gens dans le système d'éducation.
Nous manquerions à notre devoir si nous ne nous occupons pas de deux autres questions liées à l'éducation. Il y a une limite budgétaire de 2 p. 100 pour les Premières nations admissibles au financement postsecondaire. Le montant correspondant de l'aide est trop petit par rapport au nombre de personnes désireuses de faire des études. Nous avons beaucoup de gens prêts à aller à l'université, mais le financement est insuffisant. Nous avons donc un arriéré à cet égard. Si nous voulons que plus d'Autochtones aillent à l'université, il faut augmenter le financement.
Je voudrais en outre parler du fait que les Premières nations qui n'ont pas d'école secondaire doivent envoyer leurs étudiants en ville. Elles ont des ententes avec les commissions scolaires qui acceptent les étudiants. Ces ententes sont conçues de façon telle qu'il suffit aux étudiants d'être présents pendant les 30 premiers jours pour que la commission touche la totalité des frais annuels de scolarité. Dans ces conditions, les écoles ne gagnent rien à garder les étudiants des Premières nations jusqu'à la fin de l'année. Bien au contraire, elles ont tout à gagner s'ils décrochent après les 30 premiers jours, car elles pourront avoir moins d'étudiants par classe tout en gardant les frais de scolarité acquittés pour l'année. Je suis sûr qu'elles ne font pas de calculs aussi mesquins, mais c'est l'impression qu'on a du système. Nous recommandons depuis longtemps à d'autres comités de faire modifier ces ententes pour que les frais de scolarité soient remplacés par une subvention. Les écoles devraient alors signaler que les étudiants assistent aux cours et réussissent aux examens pour recevoir leur argent. On pourrait aussi prévoir de leur verser un supplément si les étudiants obtiennent un diplôme. Ainsi, les écoles feraient plus attention et fourniraient les services de soutien nécessaires. C'est peut-être compliqué, mais je dirais qu'une stratégie d'éducation hors réserve est nécessaire là où les gens vivent. Le gouvernement fédéral doit exercer son pouvoir en prévoyant des ententes de limitation des frais de scolarité et en réexaminant le plafond de 2 p. 100 des études postsecondaires ainsi que les accords relatifs aux frais de scolarité des Premières nations.
L'éducation est également liée à la formation. Les programmes axés sur le marché du travail doivent former les gens dans les villes où ils vivent pour qu'ils aient de meilleurs titres de compétence, qu'ils obtiennent un diplôme, entrent dans la population active et puissent soutenir la concurrence aux niveaux élevés. Il n'y a pas de doute que la question a de multiples aspects.
Le président : Je voudrais poser à Mme Abele une question sur le logement et les sans-abri. D'autres témoins qui ont comparu devant le comité venaient de villes qui avaient adopté des plans décennaux d'élimination de l'itinérance, comme Calgary et Edmonton. Aux États-Unis, quelque 300 villes ont de tels plans. Faut-il une stratégie différente en ce qui concerne la population autochtone, ou bien peut-elle être intégrée dans ces plans décennaux? Compte tenu des aspects culturels, faudrait-il un programme distinct? Certaines organisations autochtones consacrent tous leurs efforts à l'itinérance et aux besoins en logement. Comment faut-il s'attaquer au problème de l'itinérance dans la population autochtone?
Mme Abele : Je n'ai pas de réponse complète à donner à cette question car je n'ai pas étudié les programmes décennaux d'élimination de l'itinérance. J'aimerais avoir l'occasion de le faire avant de formuler des observations.
Il me semble clair que les programmes de logement social des villes que j'ai étudiées sont dirigés et utilisés par des Autochtones et sont très efficaces. Il y a des problèmes d'adaptation culturelle et de compréhension, mais il y a aussi la question des liens avec d'autres organisations qui dispensent des services. Je suis sûre que le besoin de logements sociaux pour les Autochtones existe.
Est-ce tout ce qu'il y a à dire à ce sujet? Je ne le sais pas. Je préfère laisser M. Dinsdale en dire davantage. Bien sûr, nous pourrions mieux financer les programmes existants de logement social pour ceux qui en ont le plus besoin.
En Ontario, la situation était vraiment mauvaise à cause des réductions fédérales des années 1990 et des programmes dont l'administration a été transmise aux provinces, qui se sont empressées à leur tour de les refiler aux villes. Le résultat, c'est que les gens qui travaillent pour les centres d'amitié et d'autres organisations ont dû familiariser les fonctionnaires provinciaux avec leur travail, puis recommencer encore une fois avec les fonctionnaires municipaux. Les administrations locales n'avaient pas les ressources voulues pour s'occuper de ce secteur.
Nous sommes passés par une très mauvaise période en Ontario, mais les choses commencent à s'améliorer maintenant qu'il y a un peu plus d'argent dans le système. Pendant tout ce temps, les gens ont beaucoup fréquenté les établissements strictement autochtones, qui se montraient très compréhensifs envers leurs pensionnaires.
Pour ce qui est de l'autre question, je ne suis pas sûre. Qu'en pensez-vous, monsieur Dinsdale?
M. Dinsdale : Dans le temps, quand je travaillais en Ontario, la Fédération ontarienne des centres d'amitié indiens gérait sa propre initiative provinciale de lutte contre l'itinérance.
Lorsque le programme dit Skippy avait été élaboré de concert avec la ministre Bradshaw, il était obligatoire d'aborder les questions d'itinérance dans tous les plans communautaires. La ministre Bradshaw s'occupait très sérieusement de ses dossiers. Elle insistait pour approuver elle-même la plupart des plans communautaires. Il y avait des retards dans le financement, mais elle examinait chaque dossier, et un certain nombre d'entre eux finissaient par être renvoyés. Le programme Skippy tirait son nom du titre anglais de l'Initiative de partenariats en action communautaire (Supporting Communities Partnerships Initiative).
Nous avons été témoins de tensions dans des collectivités telles que Belleville et Sudbury, qui ont des populations autochtones d'une certaine importance. Elles satisfaisaient aux exigences en mentionnant les questions autochtones dans leurs plans communautaires, mais elles n'avaient pas de projets ciblant particulièrement les Autochtones. C'était un problème compte tenu du nombre énorme d'Autochtones sans abri.
D'après notre expérience, la meilleure façon de procéder consiste à inviter des Autochtones à la table de planification. Ils devraient former un sous-comité, définir leurs propres priorités, puis en faire part au cours des réunions plénières de planification. Vous devez savoir que l'itinérance est une grande industrie. Dans les collectivités importantes, le comité de planification communautaire peut compter une cinquantaine de personnes et, s'il y a un ou deux Autochtones à la table, ils ne se sentent pas tout à fait à l'aise pour exprimer leur point de vue. Le fait que la ministre ait donné instruction d'inclure une composante autochtone dans les plans communautaires a été très utile. Pour nous, la formation d'un sous-comité autochtone constitue une pratique exemplaire, parce qu'elle permet aux organisations autochtones de se réunir pour définir plus directement leurs priorités.
Vous avez mentionné le plan décennal d'élimination de l'itinérance de Calgary. Nous avons reçu un appel du Centre d'amitié de Calgary qui voulait nous dire que le plan décennal de la ville n'avait pas une composante autochtone. L'itinérance parmi les Autochtones n'est même pas mentionnée une seule fois dans le document. Les autorités de la ville ne font pas participer la communauté autochtone aux projets qu'elles financent ni aux processus qu'elles engagent.
Nous revenons à la Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance. Nous demandons s'il est toujours obligatoire d'inclure une composante autochtone dans les plans communautaires. Qu'est-ce qui est prévu pour l'itinérance autochtone et quels sont les meilleurs moyens de la combattre?
Nous croyons que les Autochtones devraient participer au processus de planification parce que cela fait partie de l'inclusion sociale, mais il faut leur laisser l'espace nécessaire pour déterminer leurs priorités à leur manière.
Le sénateur Segal : Je voudrais poser une question à tous nos témoins, mais j'aimerais d'abord les remercier pour le temps qu'ils ont consacré à tout ceci. Ayant déjà travaillé avec Mme Abele sur d'autres projets, j'ai la plus grande estime pour sa contribution. Je suis également au courant de la contribution des autres. Je vous suis très reconnaissant du temps que vous nous consacrez.
En sciences politiques, il y a une théorie dite de la « dépendance de chemin ». Comme je l'explique à mes étudiants de l'Université Queen's, il est plus facile d'aller et de venir dans une même ornière, avec plus de vitesse et d'intensité, quelle qu'en soit la profondeur, que d'en sortir pour partir dans une nouvelle direction. C'est plus simple, par définition, à cause de toutes les attentes et de tous les intérêts autour de la table.
Ma question porte sur le problème particulier de la pauvreté autochtone. Je voudrais dire, en préambule, que j'accepte sans la moindre hésitation le fait que les facteurs qui contribuent à la pauvreté autochtone peuvent être très différents de ceux qui expliquent les autres formes de pauvreté dans nos collectivités. Toutefois, par quelque bout qu'on la prenne, la pauvreté, c'est le manque d'argent.
Ma question comporte sans doute un préjugé, mais n'hésitez pas à l'écarter. Dieu sait que mes collègues au comité ainsi que des milliers d'autres témoins l'ont fait. Cela ne me dérange pas du tout. J'ai la peau assez dure.
Monsieur Dinsdale, qu'adviendrait-il de votre évaluation des services remarquables que rendent les centres d'amitié partout au Canada, qu'adviendrait-il, madame Abele, de votre analyse de la dynamique de la pauvreté urbaine et de ses effets sur nos frères et sœurs autochtones, qu'adviendrait-il, monsieur Siggner, des tendances et changements statistiques qui, d'une certaine façon, ne sont pas très encourageants, qu'adviendrait-il, monsieur Durst, de votre inquiétude au sujet du contexte dans lequel les Autochtones doivent essayer de négocier une vie raisonnable pour eux- mêmes dans le Canada urbain, qu'adviendrait-il donc de tout cela si pas une seule famille autochtone, pas une seule personne du Canada urbain ne vivait en deçà du seuil de faible revenu? Qu'arriverait-il s'ils se situaient tous au-dessus de ce seuil? Est-ce que cela serait bon? Est-ce que cela ferait une différence?
Voici à quoi je pense. Si vous ne disposez que d'un marteau, pour vous, tout ressemblera à un clou. Il y a la règle de l'accumulation des politiques. Toute une série de politiques et de programmes intéressants sont élaborés au fil des ans, avec les meilleures intentions, pour aider les gens. Toutefois, après quelque temps, le labyrinthe créé par l'accumulation de ces politiques commence à avoir un effet contraire, de telle sorte que les gens n'arrivent plus à retrouver leur chemin dans le fouillis.
Si vous supposez que le gouvernement fédéral fait mal bien des choses — peu importe le parti politique au pouvoir —, si vous supposez que le gouvernement fédéral a une responsabilité fondamentale envers les Premières nations, pour des raisons qui tiennent à l'histoire, aux traités et à la nature confédérale de nos relations avec les Premières nations, est-ce que cela ferait une énorme différence si le gouvernement s'arrangeait pour que, parmi les Autochtones, aucun particulier et aucune famille ne vivent en deçà du seuil de la pauvreté? Vaudrait-il mieux pour le gouvernement de consacrer ses ressources à une foule d'autres programmes — dont certains ont les résultats remarquables que vous avez mentionnés ici aujourd'hui — pour essayer d'atteindre le but, si on suppose qu'il ne peut pas tout faire en même temps et qu'à un moment donné, il y a un choix à faire pour déterminer ce qu'il convient de réaliser en premier?
Si vous aviez 25 milliards de dollars à consacrer aux problèmes et que vous ne puissiez les affecter qu'à un seul projet, que feriez-vous? Est-ce que votre premier choix serait de porter tout le monde au-dessus du seuil de faible revenu, ou bien opteriez-vous pour autre chose?
Le président : Cette question ne vise pas à instaurer un revenu annuel garanti.
Le sénateur Segal : Je n'ai pas parlé de revenu annuel garanti. Le compte rendu prouvera bien que c'est le président qui en a parlé.
M. Dinsdale : Je donnerai l'argent au programme des centres d'amitié... Je plaisante bien sûr.
Je comprends où vous voulez en venir. Nous avons une économie en mouvement. Cela ferait un plan de relance de tout premier ordre. La prochaine fois que vous irez à une réunion de votre caucus, ce serait vraiment génial de le proposer.
Pendant que vous posiez votre question, j'ai pensé à Hobbema, en Alberta. Ce n'est pas une région urbaine, mais il y a là une des Premières nations les plus en difficulté du pays. Avant le boom pétrolier, on parlait beaucoup des gens de Hobbema qui reniflaient de l'essence. Après le boom pétrolier, avec l'arrivée de l'argent, les gens reniflent maintenant de la cocaïne. Leur comportement a changé, mais pas les dysfonctions sociales sous-jacentes.
J'investirais les 25 milliards dans une énergique stratégie autochtone de guérison et de mieux-être. On le fait en Ontario et ailleurs. Il n'y a pas de doute que nos collectivités ont besoin de guérison. L'exemple de Hobbema montre que ce n'est pas seulement un problème d'argent.
Je ne peux pas renoncer au point de vue que les Autochtones, même urbanisés, ont d'une certaine façon une vision différente du monde et de la façon dont ils veulent vivre leur vie. Pour eux, la bonne vie ne consiste pas simplement à grimper les échelons administratifs. Ils veulent vivre à leur manière, peut-être en travaillant à temps partiel pour pouvoir aller à la chasse et à la pêche dans des collectivités isolées ou en ayant des interactions particulières. Ils ne pensent pas toujours à monter dans l'échelle sociale. Nous devons en tenir compte.
Nous devons penser à la guérison des collectivités et permettre aux Autochtones de vivre selon leur propre vision et leurs propres orientations et de trouver des moyens de réaliser leurs propres objectifs. Les obstacles artificiels en éducation et formation au travail sont des barrières pour des gens qui veulent exercer leur libre arbitre et prendre leurs propres décisions. Nous devons chercher à éliminer ces obstacles pour qu'ils puissent prendre ces décisions et vivre à leur gré.
Je vais m'arrêter là car je suis sûr que d'autres veulent prendre la parole. J'encouragerais donc le gouvernement à donner cet argent au programme des centres d'amitié.
Une dernière chose. Je crois que le gouvernement fédéral souffre de la dépendance de chemin. Il ne fait qu'aller et venir en faisant toujours la même chose. Il parle aux mêmes personnes, élabore les mêmes programmes et dépense son argent de la même façon. Toutefois, je crois que nous devrions également réfléchir à notre propre dépendance de chemin. Si le gouvernement fédéral pouvait prendre une initiative audacieuse, comme on l'a mis au défi de le faire, s'il pouvait considérer la pauvreté urbaine dans le cadre d'une stratégie intégrée, il emprunterait peut-être quelques-uns des chemins que vous avez mentionnés.
Mme Abele : Je sais qu'il me faut répondre à cela puisque je suis celle qui a soulevé la question du rôle fédéral.
C'est une très bonne question. J'aurais bien voulu disposer d'un an pour réfléchir à la réponse. Le labyrinthe, le fouillis est un problème qui se manifeste dans l'ensemble du secteur social, et pas seulement dans le cas des Autochtones. Je vais cependant me concentrer sur les programmes destinés aux Autochtones. Au Canada, nous avons eu tendance à entasser les politiques les unes par-dessus les autres, au lieu de faire table rase et de dire : Que devons- nous faire vraiment?
On en trouve un exemple parfait au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien : voilà tout un groupe d'idéalistes plein de bonnes intentions, qui administre activement une loi qui déresponsabilise et dévalorise les gens, maintient systématiquement une administration coloniale séculaire et constitue un exemple frappant de dépendance de chemin. C'est un problème bureaucratique ou un problème de l'appareil gouvernemental.
Ce n'est pas nouveau pour moi. Cela fait 20 ans que je pense qu'il faudrait se débarrasser de ce ministère ou, du moins, éliminer ses fonctions stratégiques et créer une unité de service qui se désisterait progressivement de ses pouvoirs en faveur du Bureau du Conseil privé, qui peut traiter avec les gouvernements autochtones. C'est un élément de la solution.
Nous devons ensuite considérer les programmes indépendants du statut ou encore ceux qui ne sont pas exclusivement destinés aux Premières nations et aux Inuits. Dans ce domaine, nous avons créé un fouillis inextricable de programmes sans liens les uns avec les autres. En fait, le manque de coordination est parfois dangereux parce que ceux qui travaillent au niveau communautaire sont incapables de concevoir un ensemble assez simple de mesures. Ils ne peuvent pas établir un centre communautaire qui donne de la formation linguistique, forme des charpentiers et s'acquitte d'autres fonctions communautaires ordinaires. Il est difficile de se retrouver dans le labyrinthe actuel des programmes.
Comme l'a dit M. Dinsdale, il est difficile de simplifier et d'intégrer. Une réforme est nécessaire dans ce secteur de l'administration fédérale. Je ne crois cependant pas que ce soit la réponse à la question concernant les dépenses. C'est une chose qu'il est essentiel de faire sans attendre.
Pour ce qui est de l'argent, j'en affecterai une bonne partie au logement car il est difficile pour les enfants de rester à l'école quand ils vivent dans un endroit surpeuplé. Il est difficile pour les jeunes de réussir à l'université s'ils n'ont pas une chambre quelque part et doivent habiter chez des parents qui restent debout toute la nuit.
De bien des façons, l'absence d'un logement décent — pour les pauvres en général et pour les Autochtones en particulier — réduit considérablement les chances de succès des jeunes quand ils font des études ou essaient de trouver un bon emploi. Si je devais prendre une décision cet après-midi, c'est là que je placerais une bonne partie de l'argent.
Je ne crois pas que la solution réside dans une chose telle qu'un revenu annuel garanti. Il ne réglerait pas les problèmes de développement social et communautaire qui, pour moi, sont vraiment très importants.
M. Durst : Les recherches sur les collectivités, le développement communautaire et l'édification de communautés saines tiennent compte de la stabilité économique ainsi que de l'aspect et du fondement social de la collectivité. Cela comprend les loisirs et les sports, de même que l'efficacité politique et le contrôle que les membres de la collectivité exercent sur les décisions touchant leur vie.
Compte tenu de ces trois facteurs, certaines études ont révélé que le développement économique ou la stabilité ne peuvent pas se concrétiser en l'absence d'un fondement social dans une collectivité saine. C'est à cela que M. Dinsdale faisait allusion quand il a parlé de guérison. À moins de s'occuper de ce fondement social, les efforts de développement politique et économique sont probablement voués à l'échec.
Mes projets cibleraient les jeunes et les enfants. Dans nos collectivités urbaines, je voudrais que ces enfants disposent — M. Dinsdale a parlé d'un ensemble complet de services — de ce qu'on appelle parfois, en programmation sociale, une enveloppe de services. L'enveloppe assure une couverture complète et s'inscrit dans une stratégie pluridisciplinaire globale visant les enfants et les jeunes pour leur permettre de développer une forte identité et de savoir ce qu'ils veulent faire.
Une fois cela fait, avec l'aide de leur famille, ils resteront à l'école. Je suis un éducateur. J'ai peut-être un préjugé, mais c'est là qu'on trouve des exemples de réussite. L'enfant réussit s'il a de l'amour-propre, des attitudes saines et une éducation qui lui permet de participer à la vie économique et sociale de la collectivité.
Il serait peut-être temps d'examiner les exemples de réussite de ceux qui sont parvenus à finir leurs études. Vivant à Regina, je suis surpris d'observer beaucoup d'attitudes racistes autour de moi. Mon voisin n'a jamais rencontré un Autochtone ou un membre des Premières nations qui ait un doctorat, qui soit avocat ou qui ait fait une contribution remarquable à la collectivité.
Beaucoup de nos études et de nos travaux sont centrés sur des problèmes. J'aimerais que nous nous écartions de cette voie, que nous cessions de réagir et que nous soyons plutôt proactifs. Je suis bien d'accord avec M. Dinsdale qu'il faut utiliser l'infrastructure existante, comme les centres d'amitié qui ont des activités partout dans le pays et les nombreux organismes et groupes communautaires forts et dévoués des Autochtones et des Premières nations. Ces groupes et organismes se débattent, presque semaine après semaine, afin d'obtenir suffisamment d'argent pour poursuivre leurs activités. Nous pouvons facilement nous servir de cette infrastructure. Voilà ma réaction à la question et aux arguments du sénateur Segal.
Le président : Monsieur Siggner, vous êtes statisticiens, mais vous ne travaillez plus pour Statistique Canada. Si vous avez une opinion, je vous prie de l'exprimer.
M. Siggner : Je voudrais aborder deux points. Premièrement, M. Durst a parlé d'essayer de garder les enfants à l'école et de les pousser à réussir. De toute évidence, nous pouvons le voir dans les données statistiques. Deuxièmement, je suis bien d'accord sur ce que Mme Abele a dit du logement. Ces deux domaines jouaient un rôle essentiel dans l'amélioration de la vie des Autochtones. Si vous avez de l'argent à dépenser, je dirais que ces deux domaines figureraient en tête de ma liste.
La façon dont vous avez présenté cette question est un peu simpliste. Par ailleurs, vous avez probablement entendu des témoins parler de la migration, des effets de retour et des mouvements d'entrée et de sortie dans les villes. On peut voir tout cela dans les nombres. Énormément de gens s'établissent dans les régions urbaines, mais il y en a aussi beaucoup qui les quittent. D'après les derniers recensements, la migration nette est en faveur des réserves. Les chiffres sont bien sûrs très petits, mais ils montrent bien qu'il n'y a pas, comme tout le monde le pense, énormément de gens qui arrivent en ville et qui y restent.
J'ai entendu dire pendant des années, simplement en parlant à des gens qui faisaient des consultations sur la collecte des données des recensements et des enquêtes, que les enfants ne restent pas aux mêmes endroits quand ils vont à l'école. Ils se déplacent beaucoup. Dans ces conditions, il est difficile d'avoir de la stabilité et de réussir quand on va d'une classe à l'autre et d'un logement à l'autre, même si c'est dans la même ville.
En fait, les données révèlent qu'il y a plus de déplacements entre maisons et logements de la même ville qu'entre des villes différentes. Les déplacements internes représentent vraiment le plus gros de la mobilité.
Je dois admettre que ce n'est pas en consultant les politiques et les programmes que j'ai abouti à ces conclusions. Ce sont les données qui nous disent que ce facteur touche la population, dont environ 40 p. 100 changent de domicile en l'espace d'un an ou de cinq ans. Le chiffre est important. Ce sont des déplacements à l'intérieur d'une même collectivité et non entre deux collectivités différentes.
Le sénateur Martin : Je tiens à dire que j'ai beaucoup appris en écoutant les témoins. Vous nous avez tous apporté beaucoup d'information et d'idées.
Je viens de Vancouver. J'ai visité le centre d'amitié de la ville et je fais partie du Conseil consultatif multiculturel. Nous allons rendre visite à différentes communautés culturelles où j'ai pu voir quels genres de services sont dispensés. À titre d'éducatrice, je crois qu'il est absolument critique de donner à nos enfants, dès leur plus jeune âge, un sens clair de leur identité et la fierté de leur culture. Je suis bien d'accord à cet égard avec notre professeur de Regina. Ma question porte sur quelques-uns de ces éléments.
Madame Abele, vous avez dit que vous aimeriez voir une présence fédérale plus forte pour faire le lien entre les groupes qui aident la communauté autochtone. J'ai visité des centres d'amitié et travaillé dans des écoles. Vous avez tous dit que l'infrastructure existe. C'est en quelque sorte un symbole du changement survenu dans votre communauté. Il y a une migration entre les réserves et la ville. Les centres d'amitié constituent donc un foyer ou un centre communautaire, où que les gens vivent.
Quand je suis arrivée au Canada en 1972, il y avait une église coréenne qui est devenue le foyer de la communauté. C'est l'église qui a organisé des cours de langue et différents festivals. Le centre d'amitié, c'est un second chez-soi et un important lieu de rencontre pour la communauté.
Monsieur Dinsdale, quel est le point de vue des bandes, des chefs et des gens des réserves sur les relations entre les centres d'amitié et les conseils de bande? Vous avez parlé d'inclusivité dans le cas du gouvernement fédéral, mais qu'en est-il de l'inclusivité dans votre propre communauté? Elle semble jouer un plus grand rôle à l'heure actuelle. Si la population quitte les réserves pour aller en ville et si les centres d'amitié jouent un si grand rôle, y aurait-il lieu de répartir autrement le financement? Faudrait-il s'occuper davantage des centres d'amitié? Quels sont vos relations actuelles avec les conseils de bande?
M. Dinsdale : Vous allez m'attirer des ennuis. Les relations varient d'un coin du pays à l'autre, s'échelonnant entre très bonnes et très mauvaises. L'Association des centres d'amitiés autochtones de la Colombie-Britannique a mis beaucoup de temps à négocier des protocoles avec les Premières nations locales ainsi qu'avec les autorités provinciales des Premières nations afin de faire accepter la notion que nous sommes des invités sur le territoire des Premières nations. À titre de fournisseurs de services autochtones, nous ne constituons pas un gouvernement. Nous servons les gens, nous servons les membres des Premières nations dans les collectivités. Nous essayons de collaborer avec elles. Les relations sont évidemment très fortes. Dans certaines des provinces des Prairies, elles sont très faibles.
De bien des façons, à cause de l'urbanisation — ce n'est pas nécessairement attribuable à la migration, c'est simplement l'augmentation des nombres —, c'est un peu le Far-West dans le domaine de la politique autochtone. On ne sait pas clairement qui prendra l'initiative ni à quel moment le financement sera plus ciblé, mais chacun essaie de bien se positionner. Des conseils tribaux commencent à se former dans les villes. Les responsables affirment qu'ils serviront leurs membres où qu'ils vivent. Cela signifie en réalité : « Donnez-nous l'argent, et nous servirons nos clients dans les villes. »
Certains le font très bien, mais les choses sont plus difficiles à Vancouver. Si je suis un Indien inscrit de la Première nation de Curve Lake, près de Peterborough, ma Première nation ne pourra pas me donner des services ici. Si j'ai besoin de quelque chose, je m'adresserai non à Peterborough, mais plutôt à Ottawa. Il y a des tensions à cet égard.
Appliquant la théorie de la dépendance de chemin, le gouvernement fédéral continue à s'adresser aux organisations politiques pour les questions de prestation de services. La prestation de services d'emplois et de formation aux Autochtones revêt-elle un caractère politique? D'après le gouvernement fédéral, oui, en un certain sens, parce qu'il a conclu des accords d'envergure nationale avec l'Assemblée des Premières Nations, le Ralliement national des Métis, l'Inuit Tapiriit Kanatami, le Congrès des Peuples Autochtones et l'Association des femmes autochtones du Canada au sujet de la prestation des services d'emploi et de formation professionnelle. Le gouvernement parle donc aux politiciens de la prestation des services, sans se soucier de ceux qui dispensent les services. C'est l'un de nos problèmes.
Les mêmes questions se posaient dans le cas de l'accord de Kelowna. On discute de la prestation des services avec les politiciens. Où se situe la ligne de démarcation?
Comme je l'ai dit, je vais m'attirer des ennuis. Bref, les relations sont très fortes dans certaines régions, mais il nous reste beaucoup à faire dans d'autres.
M. Durst : Il y a un point que nous n'avons pas abordé, qui pourrait prendre de l'importance à l'avenir. C'est l'augmentation du nombre de réserves urbaines. Dans le cadre des programmes de mise en œuvre des droits fonciers et des règlements relatifs aux griefs du passé, des groupes des Premières nations ont commencé à établir des réserves urbaines qui créent toutes sortes de complications avec les autorités municipales.
Ces réserves urbaines ont parfois un aspect entrepreneurial. Ainsi, une station-service et un dépanneur appartenant à une Première nation de l'extérieur de la ville ont récemment ouvert à Regina. De plus, certaines de ces réserves urbaines dispensent différents services sociaux à des membres qui vont et viennent entre la réserve et la ville.
Cela pourrait faire l'objet d'une autre discussion. Je ne suis probablement pas très bien placé pour parler de cette question, mais il vaudrait peut-être la peine de l'examiner, surtout dans le cas des collectivités de l'Ouest.
Le président : La partie suivante de notre étude des villes portera sur la cohésion sociale. Je crois que cette question sera aussi soulevée dans ce contexte.
Le sénateur Martin : Monsieur Durst, vous avez dit que nous devrions concentrer notre attention sur les initiatives positives et nous montrer proactifs plutôt que de réagir aux événements. En ce qui concerne certains des autres groupes culturels, malgré les problèmes qui existent, nous devons nous en soucier et veiller à ce que le financement, le dialogue et la consultation se poursuivent.
Pour ce qui est d'être proactif, il est très important pour la collectivité d'amener les jeunes des centres urbains à célébrer leur culture et d'inviter d'autres à participer. J'aimerais beaucoup que cela se fasse davantage. Ce serait en concurrence avec beaucoup d'autres événements, mais les festivals sont très populaires, surtout dans les villes. Il est important de maintenir et d'encourager les manifestations culturelles.
Mme Abele : Nous avons à Ottawa une organisation intéressante, la Nunavut Sivuniksavut. Il s'agit d'un programme lancé par les Inuits du Nunavut avant la négociation du traité moderne. Ils voulaient aider les enfants des petites collectivités du Nunavut à faire la transition entre les écoles secondaires du Nord et l'université. Le programme existe depuis près de 23 ans.
Les gens qui l'ont établi ont commencé par familiariser les stagiaires avec le traité moderne, les revendications territoriales et leur histoire. Ils viennent sur la Colline parlementaire et vont toujours visiter la ferme du sénateur Watt. C'est un programme d'un an qui est extrêmement couru. Les responsables choisissent les meilleurs étudiants. Ceux qui sont passés par là s'occupent maintenant de l'administration du territoire partout au Nunavut.
J'ai des contacts avec les responsables depuis 23 ans. Avec le temps, ils ont donné de plus en plus de place aux activités culturelles, de sorte que les jeunes stagiaires ont maintenant un programme culturel très évolué. Ils font la danse traditionnelle du tambour, chantent en inuktitut et font du chant guttural. Ils se produisent partout en ville. Ils vont dans les écoles et les universités, répondant à toutes les invitations.
Le programme apprend aux jeunes qu'en prenant leur propre culture pour base et en l'affirmant, ils sont en mesure de traiter avec le reste de la communauté canadienne à partir d'une position de dignité.
C'est un merveilleux exemple de ce qu'une organisation communautaire peut réaliser. Des centaines d'enfants inuits sont passés par ce programme.
Le sénateur Cordy : J'ai lu quelque part que la folie consiste à faire constamment la même chose en se demandant pourquoi on aboutit toujours au même résultat. C'est un peu de cela que nous avons parlé aujourd'hui. Nous nous demandons pourquoi la situation ne change pas.
Il y a de bonnes choses qui se passent dans le domaine de l'éducation en Nouvelle-Écosse. L'éducation autochtone existe depuis longtemps à l'Université du Cap-Breton. L'éducation est à l'honneur aussi bien pour les Autochtones que pour les autres. Je sais aussi que beaucoup d'entreprises sont créées à Sydney.
Monsieur Durst, vous avez parlé de la corrélation entre l'emploi et l'éducation. Nous en avions déjà entendu parler dans le cas des non-Autochtones, mais vous nous avez donné aujourd'hui des détails sur la situation parmi les Autochtones. De votre côté, monsieur Dinsdale, vous avez dit que les gens ont peut-être un emploi, mais que leur revenu n'est pas le même que celui des non-Autochtones. Vous avez tous les deux parlé de racisme personnel et systémique en matière de logement et d'emploi, ce qui expliquerait dans une certaine mesure les revenus moindres. Vous avez ajouté que la situation se complique du fait de la question des pensionnats indiens du Canada atlantique et d'ailleurs.
Qu'est-ce que le gouvernement fédéral peut faire au sujet du racisme qui se manifeste depuis très longtemps contre les Autochtones? Nous pourrions certainement agir à cet égard. J'ai participé aux travaux d'un comité qui vient de terminer l'examen de la question du vieillissement et qui a passé en revue tout le sujet de l'âgisme et ce que le gouvernement fédéral peut y faire.
Par conséquent, que pouvons-nous faire? Si nous ne faisons rien, ce sera un autre cas où les mêmes actions se répètent à l'infini sans pour autant donner de meilleurs résultats.
M. Dinsdale : J'ai quelques idées à ce sujet. Nous devons d'abord nous rendre compte que le racisme ne vise pas seulement les Autochtones. Nous en faisons aussi nous-mêmes. J'ai fait partie d'un groupe de Halifax ou plutôt de Preston qui est allé parler du racisme entre la communauté noire et la communauté mi'kmaq et qui essayait d'établir des relations entre elles. Le racisme est un problème systémique très étendu.
Je n'ai pas l'impression que beaucoup de Canadiens comprennent vraiment la situation des Autochtones dans le pays. À l'école, beaucoup de programmes scolaires enseignent aux enfants que les Indiens ont disparu en même temps que le buffle. On leur montre un train qui s'arrête devant un squelette de buffle et un homme armé d'un mousquet. On passe ensuite au reste de l'histoire du Canada.
Il serait bon de leur parler des traités, des pensionnats indiens et des revendications territoriales modernes. Les Canadiens n'ont pas cette base qui leur permettrait de comprendre. Ce facteur contribue certainement à la situation actuelle.
Des programmes tels que le Plan d'action canadien contre le racisme devraient tenir plus particulièrement compte des Autochtones. Il n'y a pas de doute qu'il est nécessaire de s'attaquer au racisme et au préjudice auxquels sont confrontés les minorités visibles, les gais et les lesbiennes et d'autres dans notre société. C'est bien sûr indispensable, mais il faut qu'on tienne compte aussi des Autochtones. On ne le fait pas suffisamment à l'heure actuelle.
Dans une perspective fédérale, il est possible de faire preuve de leadership en matière de programmes scolaires dans les relations avec les régions, les provinces et les établissements d'enseignement. Là où existent des programmes et des services, il faudrait veiller à ce qu'ils soient solides et qu'ils tiennent compte de cet aspect qui est rarement pris en considération.
M. Durst : C'est une très bonne question et un sujet très important. Les programmes, plans d'action et initiatives antiracistes sont efficaces, contribuent à la sensibilisation des gens et permettent de réduire les manifestations de racisme à tous les niveaux. Je crois que M. Dinsdale a tout à fait raison en ce qui concerne l'enseignement de l'histoire des traités et les relations entre les cultures occidentales et les Premières nations. Les besoins autochtones doivent être mieux reconnus et pris en considération dans nos différents programmes d'éducation.
J'ai souvent dit, dans ce contexte, qu'il est nécessaire de faire plus de recherche sur le racisme en soi afin d'arriver à mieux le comprendre. Le racisme est très contextuel et se manifeste de différentes façons, parfois très subtiles. Cet aspect est important car je crois que les jeunes Autochtones de Regina sont exposés à une forme de racisme très différente de celle que connaissent, par exemple, les aînés Autochtones à Halifax.
À Halifax, avec une population noire indigène et une population autochtone juste à l'extérieur de la ville, l'expérience du racisme est très différente. Le sujet est délicat. Les gens se hérissent quand on en parle, mais nous n'avons pas fait suffisamment de bonnes recherches pour examiner le contexte des différents points de vue.
J'inclus aussi d'autres minorités visibles et les attitudes qu'elles peuvent avoir les unes envers les autres. Pour vous donner un exemple, je vous dirais que je travaille avec un étudiant du troisième cycle qui examine l'historique des attitudes négatives envers les Ukrainiens. Vous savez ce qu'on dit des Ukrainiens de l'Ouest et des plaisanteries qui circulaient, il y a 20 ou 30 ans. J'ai été surpris d'entendre des femmes ukrainiennes nous dire qu'elles étaient le plus affectées par l'attitude d'autres Ukrainiens, ceux de la première génération qui s'était établie au Canada.
Certaines questions touchant le racisme et les préjugés auxquels nous n'avions pas pensé auparavant sont en fait plus compliquées qu'on ne l'aurait cru au départ. Les hypothèses que nous avions posées ne tiennent souvent plus quand on examine le sujet dans son contexte d'une façon plus approfondie.
Le président : Est-ce que quelqu'un d'autre veut intervenir? Madame Abele, avez-vous des commentaires?
Mme Abele : Il est difficile de répondre à cette question sans être un peu subjectif. J'ai grandi dans une région rurale pauvre du sud de l'Alberta où se côtoyaient Ukrainiens, Anglais, Métis et Franco-Albertains. C'était une population très variée. Dans les années 1950, le racisme était omniprésent. Il n'avait vraiment rien de subtil et allait dans toutes les directions, comme l'a dit M. Dinsdale.
J'ai en quelque sorte passé ma vie à réfléchir à cela et à me demander ce que j'en pensais vraiment. Je suis bien d'accord qu'il existe différentes formes de racisme et que certaines sont plus tranchées et plus blessantes que d'autres.
À mon avis, il y a trois choses à considérer. Premièrement, nous devons commencer à dire la vérité sur l'histoire du Canada. Les Autochtones ont un rôle symbolique. On les associe aux Olympiques, à l'inukshuk et à différentes autres choses du même genre. Mais ce n'est pas cela la vérité. Cela ne dit rien de la façon dont les Européens ont pris possession du territoire, et ainsi de suite.
Quand les gens se familiarisent avec la réalité de notre histoire, certains de leurs préjugés tendent à s'estomper parce qu'ils commencent à comprendre les forces qui ont abouti à la situation actuelle.
Deuxièmement, il y a l'égalité économique. Les stéréotypes commencent à tomber quand on se rend compte que les Autochtones ne sont pas juste les pauvres gens qu'on voit dans la rue. Il y a des Autochtones qui exercent des professions libérales. C'est un peu grossier, mais j'ai remarqué que le fait de s'en rendre compte peut changer l'attitude des gens.
Troisièmement, et c'est le facteur le plus important, nous avons besoin d'avoir de nombreuses occasions de travailler ensemble et d'enjamber le fossé racial et ethnique. Nous avons besoin de projets pouvant améliorer nos collectivités, que nous puissions réaliser ensemble et qui nous permettent de collaborer. C'est ainsi que les gens finissent par se connaître et par se faire confiance.
Je crois vraiment que ce genre de processus communautaire constitue le moyen le plus sain de combattre le racisme.
Le président : Je vous remercie de votre participation. Nous avons reçu une masse d'information du plus grand intérêt qui nous sera très utile. J'ai noté que deux d'entre vous ont formulé des observations sur notre document d'enjeux et d'options. C'est exactement cela : ce ne sont que des enjeux et des options. Autrement dit, il n'y a rien d'immuable. Nous vous remercions de vos commentaires. Si vous en avez d'autres, vous pouvez nous les transmettre par écrit. En fait, monsieur Dinsdale, vous l'avez déjà fait dans votre rapport.
Nous publierons un rapport final cet automne. Nous terminerons nos audiences vers la fin juin. Soit dit en passant, nous avons l'intention d'aller nous renseigner à la source en faisant une tournée dans le pays. Nous avons déjà visité Halifax et St. John's l'année dernière. M. Durst doit venir passer une journée à Regina. J'espère que nous aurons l'occasion de le rencontrer. Nous irons aussi à d'autres endroits.
Ensuite, nos analystes produiront pendant l'été des documents que nous examinerons à l'automne au sujet de la pauvreté, du logement et de l'itinérance.
Comme je l'ai déjà dit en réponse à une observation de M. Durst, nous passerons ensuite à la question de la cohésion sociale. Cela fait partie du mandat de notre Sous-comité sur les villes.
Je remercie tout le monde. Cela met fin à notre réunion.
(La séance est levée.)