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Sous-comité sur les villes

 

Délibérations du Sous-comité sur les villes

Fascicule 3 - Témoignages du 29 mai 2009


OTTAWA, le vendredi 29 mai 2009

Le Sous-comité sur les villes du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 h 8 pour étudier les questions d'actualités des grandes villes canadiennes.

Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je vous souhaite la bienvenue au sous-comité sur les villes qui étudie la pauvreté, le logement et les sans-abri.

[Traduction]

Nous parlons de sécurité du revenu aujourd'hui. Je présenterai tout le monde sous peu, mais, d'abord, je ferai le point sur nos travaux.

Il y a quelques années, le Sous-comité sur les villes que nous formons a reçu pour mandat d'étudier un certain nombre de problèmes sociaux qui touchent les grandes villes de notre pays. Au départ, nous nous sommes penchés sur la pauvreté, le logement et l'itinérance. C'est à ces questions-là que nous nous sommes attachés jusqu'à maintenant. L'étude s'est échelonnée sur deux ans, sauf que, en réalité, cela représente moins d'une année de travail, étant donné qu'il y a eu deux prorogations, une élection et les congés estivaux.

Nous n'avons pas encore fini. Tout de même, comme vous le savez peut-être, nous avons publié en juin dernier un rapport sur les enjeux et les options cernés dans le domaine, un rapport qui énonçait notamment 103 idées qui nous avaient été révélées. Nous travaillons actuellement en vue de produire le dernier rapport, dont la publication est prévue pour l'automne. Les gens y sont appelés à commenter nos enjeux et options, de même que diverses autres idées qui se retrouveront peut-être dans ce document-là, mais pas nécessairement.

Nous allons achever nos audiences. Nos audiences et nos tournées d'enquête nous ont amenés dans diverses villes du Canada. Il reste encore du travail à faire de ce côté-là. Les tournées d'enquête doivent nous permettre de relever les pratiques prometteuses et les différents programmes et services qui existent dans les différentes villes du pays, par les soins, essentiellement, d'organisations non gouvernementales. Nous allons essayer de voir s'il est possible de faciliter l'échange de renseignements et d'idées sur les pratiques qui, jugées bonnes à un endroit, pourraient être adaptées en vue d'être appliquées ailleurs. Nous espérons terminer tout ce travail-là d'ici la fin du mois de juin. Havi Echenberg se chargera alors d'élaborer le rapport pour nous. À l'automne, nous nous pencherons sur la question des recommandations finales.

Nous nous donnons pour prémisse que le système est brisé et qu'il faut le réparer. Nous avons accueilli d'abondants témoignages en ce sens. D'abord, nous allons étudier des mesures qui seraient peut-être utiles à certains des groupes les plus vulnérables dans l'immédiat. Les mesures en question reposeraient sur le système qui est déjà en place. En même temps, nous envisageons une refonte entière du système de sécurité du revenu, thème que nous abordons aujourd'hui, sans oublier la question d'une stratégie nationale sur le logement et l'itinérance. Nous allons également voir en quoi il serait nécessaire de brosser un tableau de l'ensemble de la situation et d'adopter une vision d'ensemble de la situation.

Aujourd'hui, nous abordons la question de la sécurité du revenu. Je veux vous souhaiter la bienvenue et présenter brièvement chacune des personnes présentes, même si je soupçonne que vous vous connaissez déjà, dans certains cas. Je connais Laurie Monsebraaten depuis l'époque où je travaillais à l'hôtel de ville. Elle travaille au Toronto Star depuis toujours. Elle y signe des reportages sur la justice sociale. Elle a beaucoup écrit sur les questions sociales, dont la pauvreté, le logement et la sécurité du revenu. Grâce à elle, je serai dispensé de la nécessité de diriger la réunion. C'est elle qui animera l'échange et nous gardera sur la bonne voie, pour que nous traitions de tous les thèmes figurant à l'ordre du jour que vous avez devant les yeux.

Ensuite, il y a le sénateur Wilbert Keon. Il est vice-président de notre Comité des affaires sociales. Il vient de mettre la dernière main à un rapport sur la santé de la population, qui sera déposé au Sénat la semaine prochaine. Il existe de très forts liens entre les déterminants sociaux de la santé et les questions dont nous discuterons aujourd'hui. De fait, nos comités ont tenu plusieurs réunions mixtes.

Ensuite, il y a le sénateur Joan Cook, qui vient de Terre-Neuve-et-Labrador. Elle sait tout ce que l'on peut savoir à propos des comptes communautaires, merveilleux système qu'ils utilisent là-bas et qu'elle pourra peut-être aborder à un moment donné.

[Français]

Nous souhaitons également la bienvenue à Marie-France Raynault, directrice scientifique adjointe, santé des populations, directrice du département de médecine sociale et du programme de résidence en santé communautaire de l'Université de Montréal.

[Traduction]

Dre Raynault a œuvré dans un quartier pauvre de Montréal pendant 13 ans, puis elle a étudié l'épidémiologie et est devenue spécialiste de la santé publique, principalement auprès des sans-abri. Elle a été coprésidente d'un groupe de travail chargé de concevoir une stratégie de prévention de la pauvreté au Québec; et le Québec, bien entendu, est l'un des meilleurs exemples que l'on puisse citer au pays pour ce qui est des stratégies de réduction de la pauvreté.

Le sénateur Hugh Segal est originaire de Kingston, en Ontario. Son point de vue sur la question d'un revenu annuel garanti est bien connu, tout comme l'est celui du comité sénatorial qui s'est penché précédemment sur la question de la pauvreté au Canada, sous la direction du sénateur Croll. De même, c'est ce rapport-là que nous mettons à jour et, j'en suis sûr, vous allez en entendre parler souvent au fil de la discussion.

Miles Corak n'a pas eu à faire un long voyage pour se rendre ici. Il est professeur à l'école supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa. Il est l'auteur de nombreux articles sur des questions comme la pauvreté chez les enfants, l'accès aux études universitaires, l'apprentissage intergénérationnel, la mobilité sur le plan scolaire et le chômage. Ses recherches les plus récentes portent sur la définition de la pauvreté, la pauvreté chez les enfants (pour l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE) et la situation socio- économique des immigrants et des enfants d'immigrants. C'est à propos de certaines de ces questions-là que nous sommes très reconnaissants du témoignage que vous venez nous livrer.

Michael Mendelson n'est pas encore arrivé. Nous avons changé de salle à la dernière minute. J'espère que ça ne l'a pas embêté. Nous espérons qu'il arrivera bientôt. Tout de même, je vais le présenter dès maintenant. Chercheur principal au Caledon Institute of Social Policy, il a occupé de nombreux postes de haut rang au sein de la fonction publique avant d'être nommé à l'Institut Caledon. Il a été sous-secrétaire du cabinet en Ontario. Au Manitoba, il a été secrétaire du Conseil du Trésor et sous-ministre des services sociaux. Il a également exercé les fonctions de sous- ministre adjoint dans divers ministères en Ontario.

Sid Frankel est professeur agrégé à la faculté de travail social et directeur du groupe de recherche sur les enfants et la famille à l'Université du Manitoba. M. Frankel enseigne la politique sociale et la méthodologie de recherche. Il a déjà été président du Social Planning Council of Winnipeg, membre du conseil d'administration d'Operation Go Home pour Winnipeg et membre du comité directeur de Campagne 2000.

Evelyn Forget est professeure et directrice des études du département des services de santé communautaire de l'Université du Manitoba. Elle a publié maints livres et articles sur l'économie et la santé des populations; en ce moment, elle travaille à une étude des expériences sociales sur le revenu annuel garanti réalisées durant les années 1960 et 1970.

Puis, il y a le sénateur Yonah Martin, qui vient de la Colombie-Britannique. Nouvelle au Sénat, elle participe à nos délibérations.

Enfin — le dernier, mais non le moindre — est Michael Prince, professeur de politique sociale à l'Université de Victoria. Il enseigne l'analyse des politiques, l'analyse organisationnelle et l'administration publique. En ce moment, ses recherches portent sur les tendances relatives aux politiques sociales depuis 25 ans et pour la génération à venir, les relations fédérales-provinciales, la gouvernance autochtone et les orientations gouvernementales touchant les personnes handicapées sur le plan de la politique et des politiques.

Havi Echenberg est recherchiste à la Bibliothèque du Parlement. Keli Hogan est notre greffière.

Je cède maintenant la parole à Mme Monsebraaten.

Laurie Monsebraaten, chroniqueure, Toronto Star : Bienvenue à tous. J'anticipe, pour ce matin, un débat animé sur les divers aspects de la sécurité du revenu.

Depuis quelques mois, voire quelques années, le comité est mis au fait des diverses options qui se présentent dans le domaine. Aujourd'hui, nous espérons approfondir la question et déterminer en particulier quel devrait être le rôle du gouvernement fédéral quand il s'agit de réparer ce que le sénateur Eggleton a qualifié à juste titre de système brisé.

Nous allons d'abord entendre les observations de Michael Prince.

Michael J. Prince, professeur titulaire de la chaire Lansdowne en politique sociale, Université de Victoria : Je commencerai par aborder le premier thème. Il y a quelques questions à se poser à ce sujet. Entre autres, quel devrait être le rôle du gouvernement fédéral? J'aimerais formuler quelques observations sur le contexte, puis présenter mes propres idées sur ce qui a pu se faire dans un passé récent et ce qui se fait en ce moment.

Il faudra s'efforcer aujourd'hui non seulement de reconnaître les effets de la récession qui sévit en ce moment, mais également se tourner vers l'avenir et parer les coups. Je crois que, tous, nous allons nous sentir tiraillés entre les deux. Nous allons envisager les problèmes d'aujourd'hui et de demain, par l'esprit comme par le cœur.

Voici la première récession de la période postérieure à l'assurance-chômage et au RAPC. Lorsque nous avons modifié les choses et mis fin au Régime d'assistance publique du Canada en 1996, et transformé l'assurance-chômage en assurance-emploi en 1996-1997, nous venions de connaître au pays 14 années marquées par une croissance soutenue de l'emploi et des budgets équilibrés — époque qui paraît assez heureuse, selon la famille ou la collectivité dont vous faites partie aujourd'hui. À Oshawa, en Ontario, ou à Windsor, en Ontario, voilà une époque qui paraît assez heureuse, par rapport à la nôtre.

Nous avançons quelque peu en territoire inexploré dans le sens où nous avons modifié fondamentalement certaines orientations gouvernementales durant les années 1990 et au début du siècle nouveau, avec ceci d'intéressant que nous n'avons pas essayé de voir comment les nouveaux programmes feraient figure durant une période de profonde récession.

J'ai quelques observations générales à formuler. Le gouvernement fédéral a joué un rôle important dans le dossier de la sécurité du revenu depuis les années 1920. On peut même remonter à une période antérieure — à la Première Guerre mondiale et aux anciens combattants, en 1919. L'histoire du phénomène que nous étudions a commencé il y a 80, 90 ans.

Le gouvernement fédéral est le principal responsable de la sécurité du revenu au Canada. Une évolution certaine a marqué les cinq à dix dernières années, évolution parfois positive, parfois négative. Parmi les éléments positifs que je soulignerais, du côté des mesures fédérales, il y a les prestations pour enfants, l'enseignement postsecondaire, la situation des anciens combattants et des familles où les parents travaillent, dans une certaine mesure.

Cependant, je crois que le rôle du gouvernement fédéral dans le dossier de la sécurité du revenu s'est sensiblement amenuisé depuis 10 à 15 ans, pour certains secteurs de programmes importants et pour d'autres groupes démographiques, y compris les pauvres vivant de l'assistance sociale, les personnes à faible revenu, les chômeurs et les personnes handicapées. Quelques modifications secondaires ont été apportées, quelques avantages secondaires ont été consentis à ces groupes-là, mais, de manière générale, en tant que groupes de taille au Canada, ils ont pu observer une diminution, un déclin de l'activité du gouvernement fédéral dans le domaine de la sécurité du revenu pour la période commençant il y a 10 ou 15 ans jusqu'à aujourd'hui, et même avant que la récession arrive à l'été ou à l'automne dernier.

Comme le sénateur Eggleton l'a dit en ouvrant la séance, à court et à moyen termes, il faut régler des difficultés entourant les mesures conçues pour répondre aux besoins des populations vulnérables; de même, nos décideurs ont comme obligation de mener une réflexion approfondie sur les changements importants qui doivent survenir à moyen et à long termes.

Que devrait faire le gouvernement fédéral, selon moi? Il pourrait notamment moderniser l'assurance-emploi. Je pourrais m'attarder à cette question-là, mais disons que les Canadiens souffrant d'une déficience ont besoin de revenu de base. Nous l'avons vu récemment, il y a là un besoin réel. À preuve l'examen des mesures réalisé dans au moins trois provinces et, maintenant, l'examen des pensions et des revenus de retraite relevant du Régime de pensions du Canada, annoncé récemment par le gouvernement fédéral. De même, il faut continuer de se pencher sur la situation des familles pauvres avec enfants.

Je m'arrêterai là et j'ajouterai que j'anticipe une séance fructueuse.

Mme Monsebraaten : Merci. Voilà un excellent survol de la situation, qui permet de voir ce que nous avons fait et aussi ce que nous devons faire.

Monsieur Corak, pourriez-vous nous présenter une déclaration liminaire, quelques observations préliminaires?

Miles Corak, professeur, École supérieure d'affaires publiques et internationales, Université d'Ottawa : Merci. Assurément, il y a peu à redire à ce que M. Prince a dit pour commencer; je pourrais donc situer mes observations dans une optique différente, plus en rapport avec la question des principes et du leadership.

Si on regarde la situation dans le monde et que l'on compare le degré relatif de progression des pays quand il s'agit de réduire la pauvreté et la pauvreté chez les enfants, par exemple, d'un point de vue international, un des éléments clés des mesures adoptées — en tenant quand même pour acquis que les établissements diffèrent grandement d'un endroit à l'autre parmi les pays membres de l'OCDE —, c'est le leadership. Quand quelqu'un au haut de la pyramide affirme que c'est une priorité, cela sert à canaliser les énergies dans le système entier.

Au Canada, historiquement, nous avons donné le ton de cette façon. Durant les années 1990, nous avons dit que nous souhaitions réduire le déficit à néant; et, bon sang, nous y sommes arrivés. Nous avons dit qu'il fallait réduire l'inflation à néant; et, bon sang, nous y sommes arrivés. Nous avons dit aussi qu'il fallait éliminer la pauvreté chez les enfants, mais, bon sang, nous n'y sommes pas arrivés. À mon avis, ce n'est pas l'absence de mécanismes qui a fait défaut, mais plutôt, essentiellement, l'absence de volonté politique. Dans le débat sur la pauvreté chez les enfants, nous nous sommes enlisés dans des questions de définition.

Pour reprendre le fil d'une question que le sénateur Eggleton a soulevée ce matin, il y a ici un rôle d'information que quelqu'un doit jouer pour faire connaître les pratiques exemplaires dans tout le pays. Il y a d'autres modèles à imiter aussi. Par exemple, que faire de la question des soins de santé? Nous avons l'impression de nous entendre sur les objectifs en la matière : des soins accessibles et de première qualité pour tous les Canadiens. Le gouvernement fédéral a certainement un rôle financier à jouer à cet égard, mais il a aussi un rôle de courtier en information, c'est-à-dire qu'il peut souligner les cas où ça ne tourne pas rond à certains endroits. On peut imaginer que le gouvernement fédéral joue ce rôle-là.

Quelle est la cible à atteindre en matière de pauvreté? Nous devons nous entendre sur la façon de mesurer la pauvreté, comme Tony Blair l'a fait, par exemple, à la fin des années 1990, au Royaume-Uni. Il a affirmé qu'il y avait un but à atteindre, et cette société-là, en deux ou trois ans, a établi la façon de mesurer la chose. Depuis, le gouvernement s'attache à la question, la presse se concentre sur des indicateurs clairs et le gouvernement est pressé de réaliser son engagement.

Si nous nous donnons un but clairement articulé, si nous mettons en place une structure d'information sur laquelle nous nous sommes entendus pour mesurer la progression en la matière et si nous faisons valoir sans cesse l'importance d'atteindre le but partout au pays, cela sera une façon de signaler que nous prenons en charge la situation et que nous sommes concentrés sur la tâche.

Mme Monsebraaten : Merci. Voilà une observation très utile, une bonne recommandation. Monsieur Mendelson, veuillez commencer.

Michael Mendelson, chercheur principal, Caledon Institute of Social Policy : Merci d'avoir organisé la séance. Je suis très reconnaissant de pouvoir y participer.

Pour parler du rôle du gouvernement fédéral dans le domaine de la sécurité du revenu, cela a peut-être déjà été souligné, mais je crois qu'il importe pour nous de le rappeler : le gouvernement fédéral joue déjà un rôle dominant dans le domaine de la sécurité du revenu. Selon la méthode que l'on décide d'employer pour comptabiliser les prestations du Régime de pensions du Canada, soit qu'il s'agit d'un problème fédéral, soit qu'il s'agit d'un programme fédéral- provincial, il y a là plus ou moins 85 p. 100 de l'ensemble des transferts de revenu aux particuliers.

Les provinces ont à jouer un rôle capital qui est d'autant plus important qu'elles sont responsables de bon nombre des programmes dont les gens se prévalent en dernier recours, surtout l'assistance sociale. Si on totalise les montants en argent, c'est relativement faible.

En discutant du rôle du gouvernement fédéral, nous ne nous demandons pas vraiment si le gouvernement fédéral a un rôle à jouer dans le dossier de la sécurité du revenu. De la façon dont elle a évolué, la Constitution canadienne, en réalité, accorde en ce moment un rôle dominant sur ce plan au gouvernement fédéral.

À propos de la réflexion que nous menons sur le rôle du gouvernement fédéral en la matière, bon nombre des personnes présentes connaîtront un document que nous avons préparé au Caledon Institute, et où nous échafaudons la vision que nous avons d'un nouveau plan de sécurité du revenu. Ce document-là fait voir les champs d'action où le gouvernement fédéral fait œuvre utile et est en mesure d'intervenir.

J'imagine que notre conception de la chose peut se résumer comme suit : le gouvernement fédéral fait du bon travail là où le programme suppose l'envoi d'un chèque, mais peu d'interaction avec les citoyens. Pour établir que quelqu'un a droit à un chèque, il suffit d'appliquer quelques critères et de recourir au régime d'imposition sur le revenu. Or, le gouvernement fédéral a toute la capacité et la compétence nécessaire pour le faire. Il peut administrer un programme qui sera cohérent et, nous l'espérons, uniforme d'un endroit à l'autre du pays, d'une façon qui nous réunit et qui constitue un soutien important du point de vue des Canadiens.

En particulier, nous devons nous rappeler que c'est le gouvernement fédéral qui a en réserve les ressources financières, qui contrôle la politique monétaire et ainsi de suite; il convient donc que le gouvernement fédéral joue un rôle important à cet égard.

Selon nous, les provinces font un bon travail là où le programme exige une interaction notable avec les citoyens. Ce sont des programmes qui reposent sur une relation suivie et intime — si vous me permettez d'utiliser ce terme — avec le bénéficiaire d'un programme de sécurité du revenu, ce qui suppose, en même temps, un travail important que nous qualifierions, selon les cas, de gestion de cas ou d'administration d'un programme.

À ce sujet, nous présentons l'exposé d'un programme idéal, qui comporte deux extrémités, pour ainsi dire. À une extrémité, on trouve les gens qui sont actifs sur le marché du travail en ce moment même et qui vont le demeurer. Les recherches sont assez claires sur ce point-là; les personnes ayant une présence active sur le marché du travail et qui cherchent du travail n'ont pas besoin d'une assistance, d'interventions très importantes. De fait, la documentation fait voir que les interventions de cette nature peuvent retarder le moment où la personne trouve du travail et rendre la chose plus coûteuse, plutôt que d'accélérer la démarche.

En fin de compte, la personne qui a déjà une présence active sur le marché du travail, là où il n'est pas question d'un recyclage important de capital humain, a seulement besoin d'une aide limitée — peut-être pour savoir mieux rédiger son CV ou bénéficier d'un club de recherche d'emploi. De fait, et c'est important, il faut s'organiser pour que les informations sur le marché du travail — anciennement, on parlait simplement de placement — soit facilement accessible. Il n'y a pas tant d'interventions; c'est plutôt une forme d'aide.

À ce sujet, nous présentons deux programmes clés pour les gens qui se trouvent à ce bout du marché du travail, et je parle d'abord du maintien de l'assurance-chômage, si vous me permettez d'utiliser le terme général plutôt que le terme officiel, qui est assurance-emploi. Nous souhaitons que l'assurance-chômage soit maintenue, mais nous aimerions que le régime soit lié plus clairement aux cotisations qui y sont faites; ainsi, nous aimerions que ce soit plus clairement un régime d'assurance sociale au niveau microéconomique et macroéconomique. Au niveau microéconomique, il est question de la cotisation individuelle; au niveau macroéconomique, ce sont les cotisations globales des employeurs et des employés dont on se soucie.

En guise de complément à ce programme-là — particulièrement s'il correspond davantage à un régime d'assurance sociale —, nous avons prévu un deuxième programme, un programme de revenu temporaire. Je suis sûr qu'il y a 10 000 personnes qui arriveraient à imaginer un meilleur titre que celui-là, mais l'idée centrale d'un régime de revenu temporaire, c'est celle d'un programme qui n'est pas du tout interventionniste, qui repose sur les besoins financiers de la personne qui se trouve temporairement au chômage pour, disons, six mois. Ce ne seraient pas les actifs qui compteraient, il ne s'agirait pas d'assistance sociale, et cela correspondrait à un très faible degré d'intervention avec un barème de taux très simplifié, pas du tout comme le régime d'assistance sociale. Ce serait un régime parallèle à l'assurance-chômage, que le gouvernement fédéral pourrait administrer, selon nous, même s'il existe aussi des façons où ce serait la province qui s'en chargerait. Savoir qui l'administre n'est pas une grande importance. À mes yeux à moi, en dernière analyse, ce serait une responsabilité financière fédérale. Je pourrais vous en donner les raisons.

Je sais que nous disposons d'un temps limité; je vais donc accélérer. Je dirai brièvement que, à l'autre bout, il y a les gens qui présentent des besoins constants très importants, mais dont le besoin d'aide financière demeure assez prévisible. Ce sont les gens dont on ne peut raisonnablement s'attendre qu'ils tirent un revenu adéquat d'un emploi quelconque, surtout en raison d'un handicap important qui les afflige. Nous avons décrit cela comme étant un régime de revenu de base pour personnes handicapées. Je verrais le gouvernement fédéral chargé d'administrer tout simplement ce qui revient à une prolongation des prestations d'invalidité du RPC. Il faudrait voir encore si ce serait fédéral ou provincial, étant donné qu'il y a les prestations d'invalidité du Régime de rentes du Québec, mais, en fin de compte, je verrais là un programme fédéral.

Les provinces interviendraient auprès des personnes ayant besoin d'aide pour tirer un revenu adéquat de leur emploi et dont on peut s'attendre qu'elles évoluent sur le marché du travail. Il s'agit de l'acquisition de capital humain, ce qui peut vouloir dire une formation, voire l'acquisition d'aptitudes de base avant même la formation.

Voilà comment se dessine le nouveau régime, comment nous voyons sa structure. Comme vous pouvez le constater, le lien avec les marchés du travail est très important, ce qui nous apparaît être la bonne façon d'aborder ces questions- là, du point de vue analytique.

Quant à la façon d'y arriver, le gouvernement fédéral a aussi pour rôle d'organiser l'ensemble, de rassembler les intervenants. Je ferais valoir que, depuis le début des années 1970, le gouvernement fédéral n'a pas occupé une place importante sur le terrain de la sécurité du revenu dans son ensemble. Je parle de l'examen mené par Marc Lalonde à l'époque où il était ministre. Je ne compte pas les autres parmi les exercices fédéraux-provinciaux d'importance. Celui qui a été mené au début de l'ère Chrétien n'engageait pas les provinces dans la démarche.

Par conséquent, la première tâche du gouvernement fédéral, dans la mesure où vous souhaitez que le projet aboutisse, serait de réunir les intervenants pour un exercice fédéral-provincial visant à réviser le système de sécurité du revenu de fond en comble. Je n'entends pas par là que les gens devraient se contenter d'une cinquantaine de réunions d'une heure autour d'un repas. J'envisage plutôt un exercice qui permet réellement d'engager les gens dans la démarche sur une période de un an, sinon plus.

Mme Monsebraaten : Merci, monsieur Mendelson. Il y a là matière à réflexion.

Dre Raynault, pouvez-vous nous brosser un aperçu de vos idées sur la question?

[Français]

Dre Marie-France Raynault, directrice scientifique adjointe, Santé des populations, Université de Montréal : Monsieur le président, je vous remercie de me recevoir. Pourquoi un médecin de santé publique vient-il parler de sécurité du revenu à un comité du Sénat?

À Montréal, par période, selon les cycles économiques, jusqu'à 33 p. 100 de la population se trouve sous le seuil de faible revenu, de sorte qu'on a été à même de constater à plusieurs reprises que cette situation entraîne des problèmes de santé; cela en fait notre principal facteur de risques pour la santé à Montréal.

Comme nous tenons à ce que notre population reste en santé, nous nous sommes donc intéressés aux solutions. La meilleure façon de chercher comment garder nos gens en santé est de se comparer avec les pays qui réussissent à avoir des indicateurs de santé très positifs et qui réussissent, curieusement, en même temps à avoir de très faible taux de pauvreté.

Ces comparaisons internationales nous amènent à regarder les régimes de protection sociale. En regardant la littérature économique à laquelle nous avons dû nous intéresser, on voit que les solutions à court terme ou centrées sur les individus, sur les gens qui connaissent des mauvais coups du sort, ne font que mettre en lumière une vulnérabilité préalable. Cette vulnérabilité aurait pu être prévenue par des investissements sociaux qui sont universels plutôt que ciblés.

Lorsque l'on regarde les régimes de protection sociale qui sont efficaces, on s'aperçoit que l'État a un rôle très important d'investissement dans les dépenses sociales de façon large et pas seulement au dernier moment pour soutenir le revenu de quelqu'un qui tombe dans le besoin suite à un échec professionnel. Le gouvernement fédéral est vraiment au cœur de ces choix d'investissements et de cette mentalité. Je l'invite à avoir une approche préventive bien en amont des problèmes, qui fera en sorte que le soutien au revenu deviendra moins important si on investit précocement dans toutes sortes de programmes sociaux.

Par « social », j'entends une définition très large; l'éducation en fait partie, il faut veiller à avoir un marché de l'emploi qui soit intéressant et qui protège les gens de la pauvreté, plutôt qu'un marché qui risque de les fragiliser à tout moment. Il y a des leviers que le gouvernement fédéral possède bien.

Il y a une bonne relation aussi entre les inégalités et la pauvreté, on l'observe à répétition. Là aussi, le gouvernement fédéral peut instaurer des standards pour faire en sorte que notre coefficient de Gini soit plus intéressant.

Un dernier point que je veux citer concernant le rôle du gouvernement fédéral est que, par rapport aux gens qui se retrouvent en situation de pauvreté ou de vulnérabilité, le discours dominant est très important. Les représentations sociales de la pauvreté, de quelqu'un qui vit un échec ou qui a été malchanceux, selon le cas, peuvent faire en sorte que l'on va soutenir des programmes sociaux qui aideront les gens ou au contraire qu'on va les blâmer. C'est particulièrement important de se rappeler cela en période de récession économique, car plusieurs personnes vont tomber, les plus vulnérables, et il faut voir tout l'écosystème; il faut que le gouvernement fédéral véhicule un discours de solidarité plutôt qu'un discours qui consiste à blâmer les victimes.

Je suis loin d'être une spécialiste de l'articulation des programmes fédéraux, provinciaux et municipaux. Je sais en revanche qu'il y a un lien très étroit entre ce qui se retrouve dans la cour des provinces et ce que le gouvernement fédéral décide de prendre, et que le lien entre l'assurance-emploi et « l'assistance emploi », comme on l'appelle au Québec, est un lien de continuité de sorte qu'il y a certainement un besoin d'harmonisation et aussi de voir les conséquences de telle ou telle décision au niveau du gouvernement fédéral.

J'aimerais parler rapidement des municipalités. J'ai vécu en Europe plusieurs années et les municipalités en Europe étaient beaucoup plus actives dans l'intervention sur le soutien au revenu et la prestation de programmes sociaux au niveau des citoyens. Je trouve qu'il y a une proximité qui fait en sorte que ces programmes sont appliqués avec peut- être plus d'adéquation que lorsqu'ils sont définis par des grandes lignes à des niveaux supérieurs. Le gouvernement fédéral a aussi un rôle à jouer dans ce qui sera dévolu aux municipalités et je l'inviterais à bien regarder cela.

Pour conclure, je suis ambivalente par rapport aux mécanismes fédéraux sur un point. Je trouve que le gouvernement fédéral, par rapport aux provinces, a l'avantage de pouvoir mettre en œuvre des programmes qui servent de programme pilote ou d'expérimentation sociale. On pourrait aller plus loin, je pense, dans l'expérimentation sociale et la documentation, car on lance des programmes complets, souvent, sans que cela ait vraiment été évalué. Du point de vue médical, on sait bien qu'il y a des choses qui semblent être de bonnes idées, mais qui, lorsqu'on les expérimente, entraînent nombre d'effets secondaires; je pense que cela s'applique aussi aux programmes sociaux.

D'un autre côté, mon ambivalence vient du fait qu'il faut veiller à la durabilité des initiatives. Souvent, quand on fait la preuve auprès d'une population que tel programme est vraiment très utile, on se retrouve avec un déficit parce que la province ne peut pas le reprendre. Je pense qu'il faut faire attention aux conséquences de ce genre d'expérimentations que je considère néanmoins vraiment importantes.

Le gouvernement fédéral pourrait établir des standards pour tout le Canada à partir des meilleures pratiques, pas seulement des groupes communautaires, mais peut-être aussi des provinces qui ont fait des efforts notables de lutte à la pauvreté, notamment le Québec.

En termes de pauvreté des enfants, ces dernières années, le Québec a fait en sorte que deux parents et deux enfants ne sont pas infiniment plus pauvres que deux adultes sans enfants. Cela fait une grosse différence dans la vulnérabilité des jeunes enfants. Cela a beaucoup d'importance à long terme sur la capacité de ces enfants à s'éduquer comme il faut et à être des citoyens actifs et productifs.

Le gouvernement fédéral pourrait voir quelles sont les provinces les plus performantes et faire en sorte que les autres provinces atteignent les mêmes résultats.

[Traduction]

Mme Monsebraaten : Merci. Nous avons entendu de bonnes propositions là où il s'agirait pour le gouvernement fédéral de s'assurer que les pratiques exemplaires adoptées localement soient connues dans le reste du pays.

Monsieur Frankel, auriez-vous l'obligeance de nous présenter une déclaration liminaire, puis nous allons pouvoir conclure avec la déclaration liminaire de Mme Forget.

Sid Frankel, professeur agrégé, Faculté de travail social, Université du Manitoba : J'ai entendu exprimer beaucoup d'idées qui emportent mon assentiment et j'en suis heureux. Je voudrais simplement faire quelques observations d'ordre contextuel.

D'abord, j'espère que vous n'allez pas vous soucier outre mesure du concept ou du principe de fédération. J'espère que la dimension concrète de ce que le gouvernement fédéral prend actuellement en charge, comme M. Mendelson en a parlé, et de ce que les provinces prennent en charge, les interactions entre les deux ordres de gouvernement seront des facteurs déterminants de votre analyse — quand il s'agit de savoir ce que le gouvernement fédéral devrait continuer de faire et de la façon dont il devrait élargir son champ d'action.

La deuxième observation contextuelle que je ferais est la suivante : il n'est pas utile de réfléchir au soutien du revenu en tant qu'élément distinct de certains services publics qui sont essentiels aux personnes à faible revenu. Nous ne pouvons remédier entièrement au problème en accroissant le revenu des ménages et en améliorant l'économie des ménages. Dans certains cas, il faut la participation de l'ensemble de la population pour établir ou améliorer l'infrastructure. Je songe ici au logement social, par exemple, ou encore à la garde des enfants. Mettre les services publics de cette nature-là dans une enveloppe distincte du fait qu'ils sont considérés comme essentiels m'apparaît être une distinction plutôt artificielle et inutile.

Je ferais valoir que le gouvernement fédéral a trois rôles à jouer.

Premièrement, il y a le rôle primaire qui consiste à administrer directement les régimes de soutien du revenu. Je vais reformuler les propos de M. Mendelson. Peut-être trouvera-t-il à redire à une partie de ce que je dis, mais, selon moi, le gouvernement fédéral est mieux placé pour administrer les régimes qui répondent plus ou moins aux trois critères énoncés.

Le premier critère renvoie au cas où la marge discrétionnaire requise du point de vue de l'exécution est faible, voire inexistante. Je crois que M. Mendelson a souligné cela. Le deuxième critère tient au fait que le régime représente déjà un avantage important pour tous les Canadiens figurant dans une catégorie particulière aux fins de l'admissibilité, un avantage d'une ampleur telle qu'il présente une certaine valeur dans chaque province et dans chaque territoire. Je n'avance pas qu'il faudrait que ce soit le même montant pour tous, bien entendu. Le troisième critère renvoie à un facteur normatif, à une définition normative : ainsi, les prestations sont en accord avec les valeurs fondamentales des Canadiens et représentent une façon d'opérationnaliser les avantages de la citoyenneté, les dimensions de l'identité canadienne, si bien que les appuis à son égard se maintiendront. Or, le gouvernement fédéral a besoin que ces appuis-là se maintiennent.

À mon avis, la plupart des régimes de sécurité du revenu répondent à ces critères-là, mais pas tous.

En deuxième lieu, dans la catégorie des services publics, le gouvernement fédéral joue toujours un rôle important — qui est appelé à s'élargir, pour l'avenir, espérons-le — quand il s'agit de soutenir les investissements sociaux faits par l'ensemble des provinces et des territoires, surtout pour la garde des enfants et le logement. Il devrait y avoir des programmes-cadres nationaux qui servent d'assises aux ententes à conclure avec chacune des provinces. On peut ajouter à cela les services aux Autochtones à faible revenu du Canada, d'une façon quelconque, secteur où le gouvernement fédéral assume une responsabilité spéciale.

Dans le contexte actuel, je crois qu'un troisième rôle revient au gouvernement fédéral. Comme M. Corak l'a dit, nous avons besoin de leadership. Je ferais valoir que, au Canada, le leadership en matière de réduction de la pauvreté est venu des provinces : d'abord, du Québec; ensuite, de Terre-Neuve-et-Labrador; de l'Ontario pour la lutte contre la pauvreté chez les enfants; et, de manière oblique, mais moins significative, du Manitoba depuis une semaine.

Nous voyons qu'un mouvement se dessine. Je ne crois pas qu'il faudrait encourager une lutte entre les autorités fédérales et provinciales, à savoir qui mènera le bal. Je crois que le gouvernement fédéral devrait dire : il y a de bonnes choses qui se font. Regardons-les. Concluons avec chaque province des accords pour soutenir ce qui est jugé bon; et, là où les provinces n'ont rien entamé encore, essayons de nous entendre avec elles là-dessus.

Il importe que la nouvelle structure dont M. Mendelson a parlé bénéficie de larges appuis. Je l'appuierais certainement moi-même. Cependant, il reste encore un groupe qui demeure la responsabilité des provinces, celui des personnes qui connaissent une période sans travail à moyen ou à long terme, sans souffrir pour autant d'un handicap. Le service auquel il a droit, si je peux utiliser le terme « service » correctement dans ce cas-là, c'est d'avoir droit au régime provincial d'assistance sociale.

Ce sont là de piètres régimes. Les prestations qu'ils permettent de verser sont inadéquates. Par exemple, les données invitent fortement à penser que les enfants de ces familles-là, même celles qui ne vivent que brièvement de l'aide sociale, sont troublées. Pour mesurer le tort causé, il suffit de regarder le taux de morbidité concernant toute une série de maladies, jusqu'au milieu de l'âge adulte — ou jusqu'au début, tout au moins. Ce sont des régimes associés à une très forte stigmatisation. Il y a donc là un argument en faveur de l'administration locale, mais il y a aussi un côté négatif à cette administration locale.

Comme M. Mendelson et d'autres ont pu le montrer, les régimes dissuadent les gens de s'intégrer au marché du travail et comportent des effets secondaires involontaires, si vous permettez que j'emploie ce terme-là — certains parlent d'un mur ou d'un précipice. Fait intéressant, les bénéficiaires de l'assistance sociale sont relativement plus nombreux à se trouver du travail, même s'ils n'obtiennent pas des revenus accrus.

Les régimes provinciaux et territoriaux de l'assistance sociale sont à refaire. Les provinces et les territoires ne semblent pas être prêts à se lancer d'eux-mêmes dans un tel exercice. La mise au rancart du Régime de l'assistance publique du Canada a provoqué un brusque nivellement vers le bas, pas une course vers les sommets.

Je crois que le gouvernement fédéral doit reprendre sa place dans ce domaine-là. Le gouvernement fédéral y oeuvrait de deux façons : en versant plus d'argent et en exigeant le respect de conditions plus nombreuses. Je sais à quel point les initiatives de ce genre peuvent être difficiles, mais c'est une tâche à laquelle le gouvernement fédéral doit commencer à s'atteler.

Evelyn Forget, professeure, Sciences de la santé communautaire, Université du Manitoba : Je suis ici d'abord et avant pour parler de l'étude que je réalise actuellement sur le revenu annuel garanti. À ce sujet en particulier, nous avons pu dresser un bilan chronologique et confronter l'expérience des programmes de revenu des années 1970, l'expérience canadienne du revenu annuel garanti, et les données recueillies par ailleurs.

En utilisant les données d'administration de la santé, les données que produit l'administration du régime d'assurance-maladie, nous avons montré que les sujets dûment enregistrés de l'expérience de revenu annuel garanti ont moins recouru aux services de santé et, en particulier, à l'hospitalisation, compte tenu d'une série de contrôles soigneusement choisis.

Nous avons pu, ainsi, consigner certaines économies associées au revenu annuel garanti; personne ne sera non plus surpris d'apprendre que je suis très favorable aux régimes qui s'apparentent à celui du revenu annuel garanti.

Vous avez déjà entendu la majeure partie de ce que je voulais dire de la bouche de M. Mendelson. Les grands coups portés contre la pauvreté sont les mesures comme le programme de Sécurité de la vieillesse, la SV, et le Supplément de revenu garanti, le SRG, qui constitue, de fait, un programme de revenu annuel garanti. Nous allons peut-être vouloir enrichir la Prestation fiscale canadienne pour enfants et, de même, le rôle que joue le gouvernement fédéral pour s'attaquer à la pauvreté chez les enfants par l'entremise de ce programme-là, mais c'est un programme de revenu annuel garanti de fait.

Je crois que le gouvernement fédéral est particulièrement bien placé pour donner de l'expansion à ces programmes- là, en recourant à la palette actuelle de crédits d'impôt remboursables. La grande lacune du système, en ce moment, c'est qu'il n'y a pas de soutien direct du revenu des Canadiens en âge de travailler, y compris les personnes handicapées. Un mécanisme de même type permettrait aussi de s'attaquer à ce problème-là.

Quant à la capacité d'action des provinces, je suis d'accord avec plusieurs commentateurs, qui font valoir que les provinces sont les mieux placées pour prendre en charge l'application directe des programmes sociaux s'adressant particulièrement à certains groupes — par exemple le logement avec services de soutien pour les personnes souffrant de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie et les programmes pour personnes handicapées.

Je crois que les provinces sont mieux placées pour prendre les décisions de cette nature et créer des programmes de ce genre, étant donné qu'il est beaucoup plus facile pour les commettants de demander des comptes à un gouvernement provincial qu'à un gouvernement fédéral. Si une décision est prise localement, les décideurs seront davantage tenus de rendre des comptes aux gens à ce niveau. À titre de chercheur, je reconnais que, s'il y a concurrence entre les provinces quant à la façon dont les programmes en question sont exécutés, cela donnera une série d'expériences naturelles. Nous pouvons apprendre beaucoup de choses sur la façon d'exécuter ces programmes-là, pour trouver la meilleure façon. Le gouvernement fédéral, comme M. Mendelson l'a si bien dit, s'en tire particulière bien là où il s'agit d'administrer des mesures de soutien du revenu et autres par l'entremise du régime fiscal, en particulier.

Le président : Je vais commencer par M. Corak. Vous avez parlé de l'expérience vécue au Royaume-Uni, du fait que les gens y ont proposé des cibles et des échéanciers, et qu'ils bénéficiaient de la volonté politique nécessaire, qui venait du sommet de la pyramide. Vous avez exposé ce modèle-là, que nous connaissons. Vous avez affirmé que, en 1989, la Chambre des communes a présenté une résolution qui avait pour objectif d'éliminer la pauvreté chez les enfants avant l'an 2000. Bien entendu, rien n'en est ressorti. Évidemment, c'est tout à fait différent quand il s'agit d'établir des objectifs. S'il n'y a pas une assise conséquente, c'est-à-dire que vous ne disposez pas des programmes nécessaires pour y arriver et vous assurer de demeurer sur la bonne voie —, le seul fait de vous donner un but louable ne sert à rien.

Comme il est question de revenu annuel garanti, disons qu'il y a eu beaucoup de propositions à ce sujet, mais, toujours, cela tournait autour de l'idée d'examiner, d'étudier la chose ou quelque autre affaire du genre. Il n'en est jamais rien ressorti, à commencer par le rapport du sénateur Croll, qui remonte à 1971. Il faut faire reposer les objectifs sur quelque chose de solide.

J'anticipe le rapport du comité. Nous pourrions déclarer qu'il faut réduire la pauvreté de 50 p. 100, ou de 30 p. 100, d'ici telle année. Ces genres d'objectifs existent dans les provinces; les partis politiques en ont proposé. Ne vaudrait-il pas mieux songer à des programmes et à des changements particuliers, de même qu'à une refonte entière du système, au bout du compte — être plus normatif, autrement dit — que d'imaginer des objectifs qui finissent par s'évaporer, qui ne prennent jamais? Qu'en pensez-vous?

M. Corak : Votre critique n'est pas sans fondement. Je pourrais vous renvoyer ces propos-là en remplaçant seulement « objectifs » par « programmes ». Nous avons eu droit à un grand nombre de propositions et de programmes, dont aucun n'a vraiment abouti. En dernière analyse, il faut dire que nous n'avons pas réduit la pauvreté chez les enfants de la façon envisagée parce que nous n'avions pas vraiment la volonté de le faire; ce n'est pas parce que les programmes faisaient défaut.

Je ne donne pas à entendre que le comité devrait établir les objectifs en ce sens en oubliant de les asseoir sur quelque chose, mais, à un moment donné, il faut dire : voici ce que nous souhaitons en tant que société. Je crois que M. Mendelson l'a dit plus clairement que moi : il s'agit d'un engagement fédéral-provincial et d'une discussion qu'il faut avoir là-dessus. Que nous ayons un régime fédéral et qu'il y ait toutes ces expériences qui ont lieu, voilà qui est à tout à fait louable. Cependant, s'il n'y a pas d'intermédiaires qui tirent les leçons utiles des expériences menées ni d'énergie pour faire avancer les choses, c'est plus ou moins l'impasse. C'est par le truchement des objectifs en question que je cherche la source de cette énergie-là.

Le président : La question s'adresse à M. Mendelson, mais elle découle des observations de M. Frankel. J'ai ici un diagramme. En rapport avec les programmes que vous proposez, M. Frankel semble laisser entendre que certaines personnes tomberont entre les mailles du filet. Vos programmes s'adressent essentiellement à des gens employables — dont les difficultés peuvent être parfois à court terme, parfois à plus long terme — qui ont besoin d'un soutien variable, sinon aux gens qui ne sont pas employables, du fait d'être handicapés. Il faut voir à quel point la définition du terme « handicapé » que vous employez est large. Il fait valoir qu'il y aura encore des gens qui tomberont entre les mailles du filet. Ce que vous essayez de faire, au moyen du système que vous avez conçu, c'est d'envoyer au rebut les régimes provinciaux d'assistance sociale tels que nous les connaissons aujourd'hui, ce qui m'apparaît être une bonne idée. Quelqu'un tomberait-il entre les mailles du filet avec le système que vous avez décrit?

M. Mendelson : Je crois qu'il y aura toujours des gens qui seront laissés pour compte, quel que soit le système. Soyons réalistes. Il est utile de souligner que, même dans les sociétés qui ont le mieux réussi à réduire la pauvreté, dans les pays nordiques, il y a encore 3 p. 100 ou 4 p. 100 de la population qui est pauvre pour toutes sortes de raisons. Tant et aussi longtemps que nous aurons une société libre où les gens peuvent faire leurs choix eux-mêmes, et ça m'apparaît être la bonne chose, il y a des gens qui feront des choix mal avisés et seront laissés pour compte.

Oui, il y aura toujours quelqu'un qui tombe entre les mailles du filet. J'emploie les termes « handicapé » et « employable » parce qu'ils sont courts et faciles d'emploi, mais ils ne renvoient pas vraiment aux critères que je voudrais employer. Je voudrais employer le critère suivant : est-il raisonnable d'attendre d'une personne qu'elle tire un revenu adéquat de son travail? Voilà un critère d'une autre catégorie. Ce n'est pas vraiment l'employabilité; c'est de savoir si c'est raisonnable. Les tribunaux se sont penchés nombre de fois sur la notion d'attente raisonnable. Est-il raisonnable d'attendre de quelqu'un qu'il puisse tirer un revenu adéquat de son travail, surtout s'il obtient de l'aide pour se parfaire au point de pouvoir acquérir de meilleures compétences humaines?

Selon moi, le rôle des provinces consisterait alors à administrer ce qui était auparavant un régime d'assistance sociale, mais qui serait redéfini en tant que système d'emploi. Ce serait un système fondé sur la gestion de cas dont l'objectif principal serait d'amener les gens au stade où ils peuvent participer au marché du travail et tirer des revenus conséquents d'un emploi. Dans de nombreux cas, ce sera un combat long et difficile. Il peut même s'agir de prendre deux années pour que la personne apprenne à lire et à écrire. Après, elle pourrait devoir travailler encore pendant un an à se préparer au test d'équivalence d'études secondaires.

Nous envisageons un système bien ancré, fondé sur la gestion de cas, où l'appel à l'engagement est profond. La première question qu'il faut poser à la personne, ce n'est pas : « quels sont vos besoins financiers? » La première question qu'il faut poser, c'est : « quels sont vos besoins en capital humain? » si vous permettez que j'emploie le terme « capital humain ». Pour certains, c'est un terme odieux, mais c'est une formule abrégée qui m'est utile. Ce serait un système qui permet de verser une aide financière aux gens qui en ont besoin au moment de se refaire une place dans la société. Certaines personnes ne feront pas ce choix-là. C'est leur droit. Si elles veulent vivre de cette façon-là, soit. C'est tout de même le genre de système que nous envisageons.

Nous n'avons pas réglé tous les détails entourant les services sociaux. Dans notre diagramme, il y a la garde des enfants et le logement. Oui, ces éléments-là font partie intégrante de l'ensemble, tout à fait. Évidemment, s'il est question d'un système de ce genre, fondé sur la gestion de cas et orienté vers l'emploi à l'échelle provinciale, la garde d'enfants en fait partie intégrante. Si vous ne pouvez offrir un service de garde, vous ne pourrez administrer un système du genre. Le service de garde d'enfants représente un élément essentiel.

Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question, sénateur.

Le sénateur Segal : J'ai quelques questions à poser. Je vais les poser toutes d'un coup, pour que les gens puissent réfléchir aux réponses à donner.

Monsieur Prince, étant donné les 25 programmes fédéraux qui sont donnés dans la liste ici et certaines des lacunes que vous avez relevées au fil du temps, conseilleriez-vous au gouvernement fédéral, de manière générale, d'éliminer carrément certains des programmes et d'étoffer la contribution prévue dans les champs d'action mentionnés par Mme Raynault, M. Mendelson et M. Frankel en ce qui concerne les mesures de soutien, sinon croyez-vous que la meilleure façon pour le gouvernement fédéral d'exercer son leadership, c'est de passer par la myriade de programmes en question, qui, évidemment, visent tous un aspect différent du problème?

[Français]

Ma question à docteure Raynault concerne les relations entre la pauvreté comme réalité sociale et la santé communautaire, en tant qu'indicateur fondamental. Si la santé communautaire est de juridiction fédérale, est-ce que l'attaque de la part du fédéral pour l'élimination de la pauvreté est la meilleure façon de procéder ou doit-il y avoir des programmes différents pour les divers aspects de cette question de santé communautaire, selon vous?

[Traduction]

Monsieur Corak, je veux être sûr de comprendre les chiffres. Vous, vous avez effectué un travail de comparaison. Selon les meilleurs chiffres qui nous ont été fournis par la Bibliothèque du Parlement, et ils remontent à 2004, indépendamment des transferts en santé et en éducation, le Canada consacre grosso modo 130 milliards de dollars par année en transferts aux particuliers. Je voudrais connaître le lien que vous faites entre cela et ce qui se fait parmi les pays membres de l'OCDE dans son ensemble, dans la mesure où vos recherches peuvent se révéler utiles en ce sens — et, de même, si quelqu'un d'autre ici a un autre point de vue : les statistiques ont-elles changé, peut-être de façon marquée, depuis 2004?

Monsieur Mendelson, les programmes de sécurité du revenu de l'après-guerre au Canada ont notamment ce trait caractéristique-là : privilégier les catégories considérées comme étant politiquement sûres. M. Prince a parlé des anciens combattants après la Première Guerre mondiale, de R.B. Bennett et de M. Borden, et tout le reste. Nous avons alors établi la catégorie des personnes âgées et toutes sortes d'autres catégories, du fait qu'elles nous paraissaient politiquement acceptables à ce moment-là. Bien entendu, il reste alors le groupe qui a été laissé en plan, auquel M. Frankel a fait allusion, c'est-à-dire les gens en âge de travailler qui ne présentent pas de handicap apparent, mais qui ne font pas partie de la population active et qui n'ont pas de revenu.

Permettez que je dise, à titre d'ancien rival à la solde d'une autre cellule de réflexion : à mon avis, aucune cellule de réflexion au pays n'est parvenue à accomplir un aussi bon travail que Caledon — rendons-lui hommage — quand il s'agit de moduler et d'aider à mettre en place les innovations en politique sociale qui font avancer les gouvernements, toutes allégeances confondues.

D'après ce que vous avez vu et le travail que vous avez pu accomplir en Ontario et ailleurs à l'échelle provinciale, êtes-vous d'avis que nous ne pouvons sortir de ce carcan-là, que nous avons seulement adopté des cibles politiquement acceptables ou sûres et que nous ne sommes pas en mesure d'exercer un leadership en dehors de cela?

Madame Forget, compte tenu des recherches que vous avez effectuées à Dauphin, que répondriez-vous à la question posée à la rubrique du thème 1? D'après ce que le projet de recherche expérimental Mincome réalisé à Dauphin vous a permis de constater, si le gouvernement fédéral devait faire des choix, quels sont les facteurs qu'il devrait mettre en tête de liste et que nous devrions envisager dans notre rapport sur cette question-là?

Je n'ai pas d'autres questions à poser.

M. Prince : Pour le bien des autres sénateurs, qui auront eux aussi, je l'espère, une aussi longue liste de questions, je vais essayer d'être bref.

À propos de la question des profils, c'est environ 60 p. 100 des dépenses fédérales, du total de 130 milliards de dollars, qui sont consacrés aux personnes âgées, par la SV, le SRG et l'allocation de conjoint — et j'ajouterais à cela le Régime de rentes du Québec et le Régime de pensions du Canada, le RRQ et le RPC. Ce ne sont pas des fonds fédéraux sur toute la ligne, mais il y en a une partie qui provient du fédéral. Les fonds consacrés à l'assurance-emploi auront certainement augmenté depuis 2004, tout comme ceux qui vont à l'assistance sociale; je suis donc certain que c'est maintenant supérieur à 130 milliards de dollars. Les principaux groupes de clients sont les aînés, les personnes handicapées et les enfants; les bénéficiaires de l'assistance sociale se situaient probablement au quatrième rang en 2004. Leur part relative de l'argent en question, par rapport aux autres groupes, a probablement augmenté.

Comment faire pour que cela aboutisse? Vous avez dit qu'il y a 25 programmes. Je n'ai pas la liste devant les yeux, mais il faut penser de tenir compte aussi des dépenses fiscales. Les programmes en question ne font probablement pas partie de la liste; si c'était le cas, ça donnerait probablement 50 ou 60 programmes fédéraux.

Pour être tout à fait réaliste, je crois que, à court terme, il faudra se contenter de rafistolages et de petites réformes. Pour être franc, le manque d'imagination de tous les partis politiques fédéraux à propos de l'assurance-emploi — tous — me déçoit au plus haut point. Ils sont tous à raccommoder et à rabibocher un programme qui est très, très important. À l'autre extrémité du spectre, il y a les adeptes du big bang, qui souhaitent fusionner les 25 ou 30 programmes en question pour en faire 5, 10 ou 15. Pour moi-même, je ne suis pas particulièrement en faveur de cette idée-là.

J'ai tendance à me situer quelque part entre les deux et à tenir compte de réformes stratégiques et de groupes démographiques. L'exposé qu'a fait John Stapleton de la situation, ce qu'il appelle l'ADN des programmes sociaux canadiens, me plaît. Cela nous renvoie à notre histoire, à nos valeurs, à nous-mêmes. Ed Broadbent a bien pu présenter en 1989 une résolution avec laquelle tout le monde s'est dit d'accord, pour ne pas vouloir en être embarrassé. Dans un régime fédéral, il y a le premier ministre Tony Blair qui, s'appuyant sur le programme du Parti travailliste et un État unitaire, a abordé la question de la réduction de la pauvreté d'une façon qui est très différente. Nous, Canadiens, ne répondons simplement pas à l'appel.

Le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes fait actuellement le tour du pays pour traiter de la question, mais il n'y a pas de la part du public un grand mouvement populaire en faveur de la réduction de la pauvreté. Je félicite les provinces qui ont pris les rênes de la situation; elles l'ont fait en réaction à des mouvements sociaux particuliers qui se sont manifestés localement.

Je serais plus enclin à porter un regard stratégique sur certains programmes — l'assurance-emploi, le RPC et d'autres encore.

Ma dernière observation porte sur une observation de Mme Raynault. En annulant le RAPC en 1996, le gouvernement du Canada a essentiellement tranché le dernier lien qu'il entretenait par solidarité avec les pauvres de notre pays. Voilà la question : souhaitons-nous, oui ou non, renouer ce lien direct et solidaire avec les personnes les plus pauvres du Canada?

[Français]

Dre Raynault : Merci pour cette question qui me fait bien plaisir. L'âge est le principal déterminant de la mauvaise santé. On le sait tous. Mais il y a beaucoup d'interaction entre l'âge et le statut socioéconomique, ne serait-ce parce que les gens plus pauvres ne vivent pas assez vieux pour être malades longtemps.

Mais au-delà de l'âge, le principal déterminant est nettement le niveau socioéconomique. On a calculé à Montréal que si on avait, dans les quartiers pauvres comme Centre-Sud et Pointe St-Charles, le même niveau de revenu qu'on a dans les quartiers plus riches comme Westmount ou le West Island, on aurait gagné plus d'espérance de vie que ce tout ce que le système de santé, les améliorations sociales ont amené durant les 15 dernières années.

C'est beaucoup plus puissant que tout ce qu'on peut faire en santé, par ailleurs. Et c'est certainement le meilleur investissement santé, qui est clairement de compétence fédérale, qu'aucun gouvernement provincial ne pourra jamais contester.

J'ajouterais aussi qu'en ce qui concerne la pauvreté des enfants, on a eu au Québec, depuis 2005, l'expérience d'investissements quand même substantiels qui ont reçu un énorme appui de la part de la population. Malgré le fait que ce soit le gouvernement actuellement en place qui a contribué à cette aide, il a néanmoins fait quelques tentatives afin de la diminuer, notamment en augmentant les tarifs de garderie. Le gouvernement s'est alors heurté à beaucoup de résistance de la part de la population, de sorte que maintenant les mesures de soutien au revenu pour les familles, via l'assurance parentale, via les garderies, reçoivent un si grand soutien que le gouvernement n'ose plus s'y attaquer et, au contraire, les développe. C'est donc une situation gagnant-gagnant pour les deux côtés.

[Traduction]

M. Corak : Je ne peux vous mettre à jour sur le montant global des transferts à l'échelle internationale. Nous pouvons certes discuter des niveaux, mais ce qui importe aussi — et je crois qu'on l'a laissé entendre —, c'est la répartition. Nous voulons une société où les personnes relativement défavorisées profitent davantage de ces transferts- là.

Dans certains cas, au Canada, la vérité en est évidente. Par exemple, parmi les membres de l'OCDE, ce sont les États-Unis, bien plus que tout autre pays, qui consacrent le plus d'argent à l'éducation, par étudiant. Néanmoins, c'est un système où les fonds profitent davantage aux personnes relativement favorisées. Le pays qui consacre le moins d'argent à l'éducation à ce chapitre, c'est la Finlande. Néanmoins, c'est la Finlande qui enregistre les meilleurs résultats pour les examens scolaires et la mobilité sociale. Ce n'est donc pas le montant dépensé qui compte.

C'est là la leçon qu'il faut tirer, à mon avis, du travail de comparaison qui a été fait : la façon de dépenser compte elle aussi.

Pour revenir à la question des cibles pour un instant, il y a une chose qui distingue bel et bien le Canada des autres pays. Nous ne nous entendons pas sur une mesure de la pauvreté ici. Il me semble que, essentiellement, notre souhait serait de rassembler les énergies autour d'une statistique que la société accepte comme indicateur, pour que nous puissions aller de l'avant. Nous nous entendons sur le taux de chômage; voyez comme cette question-là canalise les énergies depuis quelques années.

Dans la mesure où nous pouvons adopter des indicateurs précis à propos de l'itinérance et des déficiences, nous allons être nettement mieux à même d'agir. Cependant, quand il est question d'un phénomène aussi fuyant que la pauvreté et des transferts d'argent dont il est question, très rapidement, le débat devient très confus.

M. Mendelson : Avant de répondre à la question que vous m'avez posée, je dirai que, pour aborder la question des inégalités, au-delà de celle de la pauvreté, les inégalités constituent vraiment un des marqueurs de choix des différences de santé entre les groupes démographiques; ce n'est pas seulement la pauvreté. Il est très important de se rappeler ce fait.

En matière d'inégalité, nous devons envisager non seulement des transferts, mais aussi les taxes et impôts, le régime fiscal. Nous devons envisager le système de transfert fiscal dans son ensemble, et on ne s'attache là qu'au revenu non tiré du marché. La répartition sous-jacente des revenus tirés du marché comme facteur déterminant des inégalités, voilà qui est encore plus important.

Je voudrais souligner que la pauvreté ne saurait être réduite à la part congrue dans la société si l'économie en use abondamment. Peu importe que nous recourions à des transferts pour combler les lacunes, si les lacunes prennent encore et toujours de l'ampleur parce que le marché accentue encore les écarts, nous n'allons pas réussir. De fait, cela explique probablement ce qui s'est passé au Canada depuis quatre ou cinq ans, pour une grande part.

L'OCDE a procédé récemment à une très bonne étude comparative des tendances en matière d'inégalité des revenus, que vous avez tous vues, j'en suis sûr. Je vous invite à y jeter un œil.

Pour répondre à la question du sénateur Segal, cela est vrai : là où nous avons le mieux réussi à lutter contre la pauvreté, c'est en nous attachant aux éléments non controversés. C'est une des optiques possibles. Autre optique possible : une perspective centrée sur le marché du travail.

Les marchés du travail libres ont jugé la proposition difficile : comment pouvons-nous fournir de l'aide au revenu aux particuliers, aide qui sera suffisante, mais qui n'aura pas d'effets défavorables sur le marché du travail? C'est une discussion qui se déroule littéralement depuis plus ou moins 200 ans, depuis la naissance du marché du travail moderne, à l'époque où les gens se sont libérés des corvées paysannes payées en nature.

Nous n'avons pas vraiment trouvé de solutions parfaitement fructueuses à ce problème-là. C'est une des raisons pour lesquelles nous discutons de l'idée de restructurer le marché du travail. Autre façon de le voir : nous avons choisi les éléments du système de sécurité du revenu là où nous pouvons dire qu'il n'y a pas à se soucier d'interactions importantes avec le marché du travail — le cas des personnes âgées, le cas des personnes handicapées, sous certains aspects. Nous pourrions certainement en faire plus. Comme on l'a souligné, les personnes handicapées en âge de travailler, même dans les provinces où le programme est relativement plus généreux, en Ontario, par exemple, n'ont pas droit à un traitement très généreux. Nous ne nous sommes pas vraiment attaqués à la pauvreté chez les personnes handicapées.

À mon avis, il est utile de choisir des éléments non controversés des programmes dans la mesure où il est possible, précisément, de les dissocier quelque peu du marché du travail sur le plan des effets produits. Nous sommes intervenus là où il y a une interaction entre le programme et le marché du travail. Nous avons conçu ces mesures-là avec soin, en vue d'encourager la participation de la personne au marché du travail, comme dans le cas de la prestation fiscale pour enfants ou de la Prestation fiscale pour le revenu de travail.

C'est une autre optique et, si vous voulez mon avis, ni l'une ni l'autre des optiques n'est fausse. Si nous concevons le problème de cette façon-là, nous pouvons nous demander : comment concevoir une structure qui est adéquate, mais réaliste face aux attentes quant à l'interaction avec le marché du travail — et qui ne présente pas un point de vue utopique, sans aucun réalisme, où toutes les personnes recevraient la même somme d'argent et toutes seraient heureuses aussi, peu importe les choix qu'elles feront. Cela ne marchera pas.

Mme Forget : La plus grande surprise que nous ayons eue en étudiant les données recueillies à Dauphin, c'est de constater qu'il y avait toute une cohorte d'adolescents qui avaient terminé leurs études secondaires et, dans certains cas, présume-t-on, avaient poursuivi des études collégiales et universitaires. Ce sont des personnes qui, si on se fiait aux tendances relevées dans le passé, n'auraient pas dû fréquenter l'école secondaire. Une fois que les fonds accordés à l'expérience Mincome ont été coupés, le phénomène s'est arrêté.

Il y a une petite augmentation du nombre d'inscriptions d'adolescents aux années 11 et 12, et je crois qu'il y a là un des résultats les plus importants de l'expérience. Permettez-moi de souligner que les adolescents n'étaient pas inscrits nommément comme bénéficiaires du programme de revenu annuel garanti; ce sont leurs parents qui recevaient l'argent. Les parents n'étaient pas handicapés; c'était des parents pauvres qui travaillaient, pour la plupart. Ce sont des gens dont on suppléait au revenu. Nous avons toutes sortes de données qui le laissent voir. Nous avons constaté un effondrement de la courbe de fécondité des femmes de moins de 25 ans; les filles restaient à l'école, puis se mariaient plus tard.

Cela m'apparaît être un des résultats les plus importants de l'expérience. C'est une des meilleures choses qu'un tel programme suscite — ce genre d'investissement dans le capital humain.

Le sénateur Keon : Je vous remercie tous de vos commentaires pénétrants. Comme ceux parmi vous qui ont témoigné devant mon sous-comité le savent peut-être, nous venons de mettre la dernière main à un rapport sur la santé de la population, qui sera publié le 4 juin. J'ai donc étudié la question de la pauvreté, pas en profondeur, mais en tant qu'élément majeur des inégalités sur le plan de la santé.

Ce sont quelques observations de Sid Frankel et de Michael Mendelson qui ont suscité mon intérêt pendant la discussion ce matin. Je crois que M. Mendelson est venu témoigner devant moi trois fois déjà; je devrais donc savoir ce qu'il a à dire.

Madame Forget, je veux féliciter votre groupe, au Manitoba, du travail superbe qu'il a accompli et du rapport qu'il a produit et de tout le reste.

Je voudrais m'attacher à ce que M. Frankel a dit, et à quelques propos tenus aussi par M. Mendelson. Je voudrais que vous vous penchiez tous là-dessus. Si je me rappelle bien les propos de M. Frankel, on ne saurait vaincre la pauvreté en prenant pour unique cible la pauvreté. C'est un fait, à mon avis, qu'il y a un segment de la population qui peine, mais si c'est seulement la pauvreté qui est ciblée, il ne pourra s'en sortir. Nous devons aider les gens à se relever.

Bien trop souvent, les programmes gouvernementaux reposent sur une prémisse majeure : si vous êtes pauvre, vous allez toujours être pauvre. Restons simples et gardons-nous des nuances; injectons là quelques fonds pour aider les gens. C'est une solution conçue isolément et à laquelle je ne crois pas. C'est une forme d'aide, mais ce n'est pas la solution au problème.

À mon avis, tant que nous n'allons pas présenter un modèle structurel aux gens qui savent vraiment ce qu'ils font — les gens dans les collectivités elles-mêmes —, nous n'allons pas éliminer la pauvreté. La structure permet de naviguer dans le système à l'échelle fédérale, provinciale, territoriale, civique et, particulièrement, communautaire. Notre rapport sur la santé de la population exposera un tel modèle.

Il y a une chose qui importe davantage que l'argent, et c'est le sentiment de valeur que ressentent les gens en faisant œuvre utile en tant que citoyens, que ce soit comme bénévoles, ou en faisant un travail actif, que l'on souffre d'un handicap mental ou physique, par exemple. Une fois que les gens entrent dans la productivité globale de la société, leur schème de pensée opérationnel change du tout au tout.

Je voudrais que vous nous parliez de cela.

M. Frankel : En réfléchissant à l'idée de réduire la pauvreté, il importe en même temps de réfléchir à l'idée de prévenir la pauvreté. Nous avons affaire ici à un tabouret à trois pattes. La première patte, c'est le soutien du revenu, structuré en système de soutien du revenu, comme M. Mendelson l'a évoqué, espérons-le. Soit dit en passant, je peux dire qu'il parle là aussi d'un remaniement fondamental et raisonné de l'assistance sociale provinciale, pour que ce soit non plus un programme dont les prestations sont peu élevées et la surveillance est accrue, mais un programme qui est beaucoup plus orienté sur le développement. Voilà une distinction importante. Le gouvernement fédéral devra jouer un rôle à cet égard.

La deuxième patte, ce sont les services publics, et surtout le logement, la garde d'enfants et certains types de formation et d'éducation professionnelles dont M. Mendelson a parlé aussi. Sans la participation du public, les personnes à faible revenu ne pourront avoir accès à une quantité suffisante de ces services.

La troisième patte est celle du développement des collectivités locales, et non seulement des économies locales. Le développement économique de la collectivité est important, mais le capital social local est important aussi. Les données invitent fortement à croire que les interventions en développement communautaire, les stratégies fondées sur le lieu et ainsi de suite forment pour ainsi dire une troisième patte importante dont on ne parle probablement pas suffisamment.

[Français]

Dre Raynault : Pour moi il est clair qu'on ne réduira pas la pauvreté en intervenant seulement auprès des pauvres. La pauvreté, il faut réaliser que c'est l'aboutissement de plusieurs déficits pendant longtemps et on ne peut pas tout faire reposer sur leurs épaules.

Il faut tout faire pour prévenir la pauvreté parce que c'est compliqué d'y remédier par la suite. L'approche préventive devrait être beaucoup plus universelle pour faire en sorte qu'on garde une classe moyenne en santé au Canada et éviter que les disparités s'installent.

Au niveau international, la preuve est faite depuis longtemps que cette approche fonctionne. Nous sommes un pays du nord, j'aimerais que nous devenions plus nordiques dans notre façon de voir les choses par rapport aux inégalités sociales.

[Traduction]

M. Corak : Je comprends ce que vous dites, sénateur Keon. Peut-être puis-je réagir en faisant référence à la pensée économique et sociologique. C'est certainement pertinent dans les discussions qu'il y a sur la santé de la population.

Je comprends que le rapport Croll constitue un antécédent important des travaux de votre comité. Le mandat semble englober uniquement la question de la sécurité du revenu. Or, réfléchir à la pauvreté en faisant uniquement référence au revenu, c'est adopter une approche trop étroite pour nombre de discussions sur les politiques publiques à adopter. En dernière analyse, nous voulons donner à nos citoyens l'occasion de participer de façon normale à la société et les armer des qualités nécessaires pour vivre la vie qu'ils prisent. Cela va bien au-delà de la seule question de l'argent.

Imaginez que l'on réfléchisse à la pauvreté dans le sens général du terme et aux programmes qui s'imposent suivant les différents stades du cycle que représente la vie d'une personne. Si nous songeons à la veuve des années 1950 et 1960, nous savons que, là où elle était pauvre une année donnée, elle était pauvre à jamais. Il convient aussi de dire que l'argent était non seulement un symptôme du problème qu'elle avait, mais aussi une cause. Le manque de fonds l'empêchait de participer de façon normale aux affaires de la société. Dans ce cas, à ce stade-là de la vie, les transferts de revenu représentent peut-être le mécanisme approprié. Un des grands exploits attribuables au régime d'assistance sociale du Canada consiste à avoir suscité le déclin de la pauvreté chez les personnes âgées.

Cependant, à l'autre extrémité du spectre de l'âge — nous avons affaire à l'enfant ici —, l'intervention tout indiquée sera qualifiée peut-être d'investissement et non pas de soutien du revenu. L'argent s'apparente davantage à un symptôme qu'à une cause du point de vue des conséquences à long terme pour le développement d'un enfant. Les chercheurs s'entendent dans une certaine mesure sur la question. Cela comprend les travaux de Mme Forget et d'autres expériences encore. La Société de recherche sociale appliquée a réalisé une expérience qui, elle aussi, fait ressortir les conséquences des mesures pour les enfants. L'accroissement des ressources financières avait pour effet d'abaisser le degré de stress dans le ménage, d'aménager plus de temps libre dans l'horaire et de susciter un plus grand engagement de la part des parents, ce qui était important du point de vue du développement de l'engagement de l'enfant lui-même.

La métaphore que j'emploie, c'est celle de l'investissement auquel nous devons réfléchir, un investissement et non pas seulement un soutien du revenu pour les premières années de la vie. Cela mène au développement du capital humain. Le souci est non pas tant que l'enfant soit pauvre ou non, mais plutôt qu'il y a des conséquences à long terme à la situation.

Au milieu de la vie, nous réfléchissons davantage en termes d'assurance. Les gens sont actifs sur le marché du travail, c'est comme cela qu'on fait son chemin dans la vie. Tout de même, un accident peut arriver. Il faut une forme d'assurance sociale.

J'entrevois que le programme entier s'accorde avec les différents besoins présents à différents stades. Ce n'est pas seulement une question d'argent, particulièrement là où il s'agit de petits enfants ou de personnes handicapées, en particulier pour le dépistage précoce des déficiences chez les enfants.

Comme M. Mendelson l'a donné à entendre, le problème semble résider dans le fait que le gouvernement fédéral exerce d'abord et avant tout la fonction d'argentier. Nous avons donc tendance, par défaut, à nous tourner vers des instruments qui supposent un transfert d'argent.

Certes, je suis d'accord avec ce que vous avez dit dans l'ensemble. Il faut une autre définition de la pauvreté, autre que celle où il n'est question que d'argent. Il faut des mécanismes différents à différents stades de la vie, pour répondre aux besoins qu'éprouvent les gens de participer de façon normale aux affaires de la société.

Mme Monsebraaten : Je vais accepter une dernière observation. Il est 10 heures. Je crois que nous allons tous profiter d'une courte pause. Monsieur Mendelson, vous vouliez parler?

M. Mendelson : Premièrement, il y a la définition de la pauvreté telle qu'elle figure dans la législation québécoise, et qui est très utile et très fonctionnelle. Je vous recommande à tous d'y jeter un coup d'œil : c'est une très bonne définition qui peut servir de guide.

Quant à la question de l'engagement, je suis tout à fait d'accord avec ce que vous avez dit, sénateur. C'est vraiment une question de dignité humaine; c'est l'idée que nous puissions nous épanouir et avoir un ménage qui est stable au profit des enfants et de toute autre personne, non seulement parce que c'est un bon investissement, mais parce que les enfants méritent de pouvoir vivre une vie décente.

Tout de même, je tiens à rappeler à tous que la majorité des personnes à très faible revenu au Canada travaillent. Elles sont engagées. De fait, elles sont parfois à ce point engagées dans les affaires de la collectivité qu'elles occupent deux ou trois emplois. C'est là que se situe vraiment la majorité des cas de très faible revenu. Nous avons tendance à songer aux pires cas, aux gens qui éprouvent très certainement une grande difficulté à joindre les deux bouts, qui n'ont absolument pas de revenu, et qui sont isolés de la collectivité, et complètement aliénés aussi. Tout de même, dans la majorité des cas, ce sont des gens qui travaillent et qui sont engagés dans les affaires de la collectivité. Le problème n'est pas là; c'est vraiment un problème de revenu.

Mme Monsebraaten : Le sénateur Martin souhaitait formuler quelques observations; nous allons donc commencer par écouter ses observations à elle en rapport avec le premier thème, puis nous entendrons les questions du sénateur Cook et, enfin, nous passerons au deuxième thème, c'est-à-dire : comment procéder pour que le projet aboutisse. Certains parmi nous ont déjà présenté quelques propositions à cet égard.

Le sénateur Martin : Premièrement, je tiens à dire que le trésor de savoir dont font preuve les experts qui se trouvent autour de la table, et nos sénateurs aussi, m'impressionnent vraiment. Je suis nouvelle ici, mais, pendant le temps que j'ai passé à travailler au sein des comités et à visiter des villes, j'ai vu tout le bon travail que nous avons accompli au Canada. Comme bon nombre d'entre vous l'avez fait remarquer, il faut une certaine coordination des mesures pour que nous poussions tous dans le même sens. Nous poussons tous dans le même sens, mais il y a des facteurs qui nous tirent dans diverses directions et, de ce fait, nous avons l'impression de faire du surplace, plutôt que d'avancer. Merci beaucoup de nous faire profiter de votre sagesse et de votre perspicacité.

J'ai l'impression d'être enseignante et étudiante à la fois ici, moi qui ai enseigné pendant 21 ans. Je vais me faire l'écho de certains des points clés que vous avez énoncés. La première question que nous avons étudiée sous le premier thème, c'est la suivante : quel est et quel pourrait être le rôle du gouvernement fédéral? Si vous le permettez, je m'en ferais l'écho pour voir si ce sont bel et bien des points clés. Le comité aura l'occasion de s'installer à la table de travail et de s'assurer que le rapport fait état des points de vue relatés. Nous voulons nous assurer que le rapport est tout à fait utilisable, qu'il répond aux besoins relevés et qu'il débouche sur des changements positifs.

J'ai apprécié le contexte que vous avez brossé à notre intention, et qui nous a fait voir d'où nous venons, où nous en sommes aujourd'hui et vers quoi nous nous en allons. Le mot clé que j'ai entendu, c'est « modernisation ». Nous en parlons souvent, mais c'est énorme. Comment commencer à travailler au système, comment le moderniser pour tenir compte de la diversité des besoins changeants qui sont les nôtres? Voilà le mot clé que j'ai entendu tout au long de la première partie de notre réunion.

Monsieur Corak, j'ai bien aimé la formule : « courtier en information ». Je crois que nous occupons une place clé au gouvernement fédéral dans le sens où nous avons accès au tableau dans son ensemble et pouvons réunir un groupe de témoins comme celui-ci pour dégager les pratiques exemplaires et les connaissances utiles qui existent dans l'ensemble du pays.

Pour sauter à ce que la Dre Raynault a fait valoir, disons que nous avons aussi l'occasion d'aller au-delà de l'exemple du Canada lui-même et de porter notre regard sur nos partenaires, sur les chercheurs étrangers, pour voir ce qui se fait ailleurs dans le monde. Nous parlons d'une récession mondiale, de crises mondiales et de toutes ces choses négatives qui nous touchent mondialement et, là où il y a quelque chose de positif, il faut que nous puissions en bénéficier. J'ai vraiment apprécié ce que vous avez dit sur ce point.

Pour revenir à la question de l'éducation, ce qui est mon domaine à moi, M. Mendelson a affirmé que c'est le gouvernement fédéral qui dispose des ressources financières. Pour une saine gestion à cet égard, nous devons nous assurer de fournir aux provinces un financement suffisant et, espérons-le, accru. Vous reconnaissez tous le rôle important des provinces.

Vous parlez tous de relations. Nous sommes partenaires sur un pied d'égalité. Nous ne sommes pas nécessairement égaux pour ce qui est de l'argent que nous amenons à la table, mais nous avons une importance égale. Personne n'a parlé des municipalités, sauf pour dire qu'il existe de nombreux autres éléments, mais j'ai des nouvelles des maires, de conseillers municipaux et d'organisateurs communautaires qui, souvent, disent avoir l'impression que la province s'est déchargée de ses responsabilités sur eux. Il faut donc maintenir et respecter la conversation et la relation.

Je suis d'accord aussi avec les observations que vous avez faites à propos du contexte, monsieur Frankel, soit que nous devons avoir un sens pratique en plus d'être visionnaires et réfléchir à ce que nous devons faire. Vous avez soulevé deux points clés à propos de l'idée d'accroître les fonds et d'imposer certaines conditions, étant donné que le gouvernement fédéral a une vision d'ensemble de la situation et qu'il peut prévoir le cadre nécessaire. Quant au tabouret à trois pattes, vous avez mentionné en particulier le capital social local et, encore une fois, vous avez nommé les autres partenaires et parlé de ce que nous pouvons faire en tant que collectivité et en tant que société dans l'ensemble.

En dernier lieu, je reviendrais à la question des relations. Nous reconnaissons tous le rôle que jouent les gouvernements provinciaux quand il s'agit de cultiver une relation positive. J'ai vu des provinces qui cultivaient une relation relativement plus positive avec le gouvernement fédéral en place et j'ai constaté en quoi cela profite aux habitants de la province. Nous devons continuer à faire ça avec tous les gouvernements.

Je voudrais revenir à la dernière question évoquée à propos de l'éducation et du cycle de la pauvreté. J'ai vu cela dans les écoles. Les premiers à s'occuper des enfants sont les parents, et peu importe le temps que je passe avec les enfants à l'école, peu importe le rôle que je joue à titre d'enseignante, les enfants retournent toujours à la maison. Ce cycle de pauvreté est extrêmement puissant, mais je crois que l'éducation constitue un élément absolument essentiel que nous devons apprécier en tant que Canadiens. D'autres pays y arrivent mieux que nous; tout de même, comme je viens de la Colombie-Britannique, je peux vous dire que les enseignants qui vont travailler à l'étranger l'affirment : l'éducation canadienne est vivement respectée et tenue en haute estime. En tant qu'enseignante, je dis que nous avons devant nous une excellente occasion : concrétiser le genre de changement générationnel qu'il faut dans les écoles, auprès de la jeune génération.

Au cours des sept dernières années, j'ai travaillé dans des écoles intermédiaires. Avant cela, je travaillais dans des écoles secondaires. Nous sommes allés à Calgary et à Edmonton, nous avons rencontré des jeunes sans abri qui avaient 11 ou 12 ans. Il y a une intervenante du programme jeunesse là-bas qui a dit quelque chose de très perspicace. Elle a dit que nous ne devrions pas avoir la folie des grandeurs; les programmes nationaux finissent par aspirer beaucoup d'argent. Plus le programme est gros, plus l'agilité qu'il faut pour fonctionner diminue. Les mesures des résultats ne sont pas d'une grande finesse; ils ne parviennent pas à saisir les nuances particulières et le récit individuel du client. Souvent, il n'est pas possible d'établir le parcours de la personne. Il n'y a pas de solution universelle. C'est pourquoi il est essentiel de travailler de concert avec des partenaires locaux, provinciaux et municipaux, de même que des groupes communautaires. La pauvreté est une cause distante, mais pas une cause directe, de l'itinérance. La cause première est souvent l'effondrement de la famille. L'éducation représente un des meilleurs instruments qui soient pour s'attaquer aux causes premières ou aux problèmes familiaux, mais, si je comprends bien ce que vous dites, voici les rôles du gouvernement fédéral : courtier en information, gardien des ressources financières, organisateur, convocateur; il doit jouer un rôle sur le plan international et s'assurer que notre élément à nous, une des pattes du tabouret, soit solide.

Voilà mes observations, et vous allez peut-être vouloir réagir à l'une d'entre elles.

Mme Monsebraaten : Merci, sénateur. Vous avez présenté une merveilleuse récapitulation de notre premier thème. Sénateur Cook, avez-vous quelque chose à ajouter? Je sais que votre nom était sur la liste. Avez-vous des questions à poser à propos du premier thème?

Le sénateur Cook : Oui. Il est difficile de rester concentrée ce matin. Il y a tant de sagesse qui nous vient des gens autour de la table.

Monsieur Corak, je veux vous remercier d'avoir employé le terme « investissement » en parlant de nos jeunes. M. Mendelson a utilisé le terme « dignité ». Si ces deux éléments-là disparaissent, nous aurons failli à la tâche. Voilà mes principes prédominants.

Il y a un régime merveilleux qui s'appelle Régime de pensions du Canada, et qui se divise en cinq volets. L'assurance-emploi se divise en sept volets. Là où notre système fédéral parvient à concevoir des programmes intelligents qui sont fondés sur des données probantes, pourquoi faut-il les fragmenter dès le départ, avant l'exécution? Une fois qu'on a tenu compte du plan d'assistance sociale et du financement global prévu pour l'éducation, à l'intention des provinces, on constate que les municipalités, dans ma province à moi, sont essentiellement bénévoles. La responsabilité doit s'appliquer dans l'ensemble du continuum.

Nous n'avons pas parlé des organisations non gouvernementales, les ONG. Ce sont les piliers de notre société dans les milieux populaires. Si on remonte la filière fédérale... nous vivons dans une fédération et, la plupart du temps, l'attention est quelque peu détournée de l'essentiel, mais voilà notre façon de vivre.

Pourquoi le système fédéral ne peut-il concevoir les programmes avec toute la sagesse et tout le savoir dont il dispose pour laisser ça ensuite entre les mains des provinces? Pourquoi cette folie des grandeurs? Pourquoi n'arrivons-nous pas à laisser porter? Le visage de la pauvreté se rencontre ici-bas, pas dans les hautes sphères.

M. Prince : Je viens de recevoir l'aide-mémoire, les notes sur la liste des programmes. Vous avez parlé de l'assurance- emploi, des sept prestations. Quand elle a été mise sur pied en 1940-1941, il n'y avait qu'une prestation, qui s'appliquait de façon très limitée. Bon nombre de groupes professionnels étaient exclus. Les femmes ne devaient pas faire partie de la population active, et nous n'avons pas pensé aux enfants.

Au cours des 40 dernières années, depuis les années 1970, nous nous sommes attachés à des questions comme celles des parents adoptifs et des parents biologiques, nous avons prévu des prestations de maternité; des prestations parentales et des prestations de maladie. À mes yeux, ce n'est pas là une fragmentation; c'est une politique sociale qui s'adapte à un monde en constante évolution, toujours plus complexe.

Le même argument vaut pour les prestations d'invalidité, les prestations de survivant, les prestations d'enfants et les prestations de retraite du RPC. Ce sont des prestations qui font d'ordinaire partie des régimes d'assurance et de retraite de l'État de par le monde.

Pour les gens qui veulent quelque chose de simple, il ne faut pas se tourner vers le Canada et le fédéralisme ou sa politique sociale. Voilà un monde complexe. La complexité ne me trouble pas tant, pas rapport à d'autres personnes. À mes yeux, c'est l'histoire d'un pays qui, sur 90 années, collectivement, de manière imparfaite, parfois de façon plutôt brutale, parfois d'une façon qui est soucieuse de la dignité des gens, parfois encore de façon bassement partisane, cherche à répondre, ne fût-ce que de façon partielle, aux besoins de différents groupes. Nous en sommes où nous en sommes aujourd'hui non pas parce que c'est l'idéal recherché, mais plutôt parce que c'est l'aboutissement de nos histoires. Il y a encore des voix et des groupes qui sont laissés pour compte.

Vous avez raison à propos des ONG. J'ai fait beaucoup de travail au sein d'une ONG particulière en Colombie- Britannique. Il y a une crise du secteur des ONG au pays, qui découle de l'élimination du RAPC en 1996, des compressions touchant le transfert social canadien. Nous vivons encore en 2009 avec les conséquences des compressions faites pour équilibrer les budgets en 1995, 1996 et 1997. Voilà que nous retombons dans le monde des déficits pour quatre à six ans peut-être. C'est une histoire terriblement déprimante pour les ONG qui, la dernière fois, se sont fait dire qu'elles devaient faire leur part pour que nous ayons des budgets équilibrés et qui ne se sont pas encore tout à fait remises des mesures antidéficitaires en question.

Vous avez raison; le gouvernement fédéral a un rôle à jouer en rapport avec le secteur bénévole et les organisations non gouvernementales. Pour être tout à fait honnête, je ne vois pas là une folie des grandeurs. Encore une fois, je vois ces programmes comme étant conçus pour répondre à des besoins.

Par exemple, l'assurance-emploi essuie beaucoup de critiques. À mes yeux, le régime ne comporte pas de défaut fondamental; d'un point de vue fondamental, il se tient. On ne dit pas cela très souvent au Canada par les temps qui courent. Le régime est une cible facile. Nous devons remédier à ce qui n'y va pas, mais, fondamentalement, il se tient, à mon avis. Il nous faut seulement l'améliorer et le moderniser. Méfiez-vous du chant des sirènes qui voudrait nous ramener aux principes d'assurance prétendument vrais des années 1940. Nous ne vivons pas dans les années 1940; nous devons réfléchir aux programmes d'aujourd'hui.

Lorsqu'il y a des gens qui souhaitent simplifier les programmes et en éliminer des éléments, par exemple le régime d'invalidité du RPC, je deviens nerveux. Qu'est-ce qu'on en fera? Qui s'en fera le défenseur alors?

Je suis heureux d'entrer dans les détails, mais je dois dire d'abord que je suis d'accord avec vous à propos des ONG. Nous devons penser à elles et aux municipalités.

Le hic, c'est que le gouvernement fédéral ne finance pas les conseils scolaires et c'est là que se situent bon nombre des questions concrètes liées à la santé publique et au bien-être des familles — c'est une voie indirecte qu'empruntent pour ainsi dire les paiements de péréquation et le Transfert social canadien. Pour financer des services communautaires d'une importance capitale, ce sont là des instruments de très large portée qui, d'une certaine façon, ne sont pas très raffinés.

Le gouvernement fédéral devrait-il cibler davantage ces mesures? Je ne crois pas. Ce n'est pas ma façon de voir la Constitution ou la fédération, mais c'est ma façon de penser. Il ne faut pas croire que je ne suis pas bien au courant des besoins qui existent et des grandes lacunes qu'il faut combler, et que l'avenir du pays tient à ce que nous ayons des enseignants compétents et bien rémunérés, de bonnes salles de classe de même que des services de santé et des services sociaux locaux solidement appuyés.

Pour revenir à ce que M. Corak ou M. Frankel a dit plus tôt, l'effort à fournir porte sur les conversations intergouvernementales sur ce point; à un moment donné, le gouvernement fédéral doit apporter quelque chose à la table de négociation. En dernière analyse, tout de même, je crois qu'il s'agit d'une responsabilité municipale et provinciale.

Mme Monsebraaten : M. Mendelson et Mme Forget voudraient aborder cette question-là. C'est M. Mendelson qui, je crois, a soulevé la question des modifications particulières que le gouvernement fédéral devrait adopter; nous devrions peut-être donc passer au thème 2, si vous avez des observations à faire.

M. Mendelson : Le premier article que j'ai publié — c'était en 1971, je crois — avait pour titre « Many Programs for Many Purposes », ou : Programmes multiples pour des objectifs multiples. J'y faisais valoir que l'idée de prendre tous les programmes de sécurité pour en faire un seul et unique programme ne reflétait pas la réalité sociale ou économique ni les objectifs très différents qui peuvent être établis. Les programmes sociaux, par exemple, ont été conçus exclusivement pour lutter contre la pauvreté ou encore pour venir en aide aux travailleurs à faible revenu. Or, ce sont là des objectifs différents, et le fait qu'ils se caractérisent toujours par un transfert d'argent fait qu'ils sont liés en quelque sorte, mais ça ne veut pas dire qu'ils doivent être identiques.

Une liste comme celle-là fait un peu penser au film sur Mozart, où quelqu'un dit : « Trop de notes ». Voilà la critique qui est formulée ici : trop de programmes. Le Régime de pensions du Canada n'est pas vraiment un ensemble de programmes différents; c'est un régime de pension; il comporte donc des prestations de survivant, comme les régimes de pension privées.

Cela dit, il y a un programme qui n'est pas mentionné, et qui figure peut-être parmi les plus importants, soit l'assistance sociale dans les réserves, à l'intention des Premières nations. C'est le troisième ou quatrième régime d'assistance sociale en importance. Il relève directement de la responsabilité du gouvernement du Canada, et c'est probablement le régime de sécurité du revenu dans le pire état qui soit au pays.

Je ne parlerai même pas de la question de l'éducation dans les réserves, qui est liée. En ce moment, la sécurité du revenu des Premières nations dans les réserves est une catastrophe. Certains efforts ont été faits — non seulement par le gouvernement en place, mais également par des gouvernements précédents — pour instaurer un changement, mais cela n'a pas porté fruit. Les responsables des programmes fédéraux ne sont pas parvenus à reproduire les meilleurs aspects du régime provincial.

Globalement, des pressions énormes se sont exercées sur Affaires indiennes et du Nord, AINC, en faveur de la réduction des coûts. C'est que, malgré une légère augmentation de son budget, ce ministère fait constamment face à des pressions démographiques et autres. Par conséquent, tous les suppléments prévus dans les régimes provinciaux, conçus pour donner des occasions aux gens et les aider à trouver du travail, amènent souvent la réaction suivante de la part du gouvernement fédéral : « Oui, nous avons l'obligation de faire pendant au régime provincial, mais cela ne fait pas partie du régime provincial. Ce n'est pas de l'assistance sociale; c'est autre chose; nous n'allons donc pas nous engager là- dedans. Nous assumons seulement les frais des éléments fondamentaux de l'assistance sociale. »

Il en reste un régime d'assistance sociale digne des années 1960 ou même 1950 dans la plupart des réserves. Il y a toujours des exceptions où on peut dire que ça se déroule très bien. Voilà un gros programme, un programme coûteux qui relève directement de la responsabilité fédérale, et je crois qu'il faut le mentionner.

Soit dit en passant, l'Ontario a commencé à verser sa Prestation ontarienne pour enfants, qui représente une bonne somme d'argent. La prestation en question se substitue aux prestations qui étaient versées au nom des enfants dans le cadre du régime d'assistance sociale. Cela veut dire que le gouvernement fédéral a fait d'importantes économies, de façon inattendue, dans les réserves en Ontario.

Lorsqu'un programme semblable à celui de la Prestation ontarienne pour enfants a été mis en place dans d'autres provinces, par exemple en Saskatchewan et en Colombie-Britannique, le gouvernement fédéral a convenu de dédommager la province — autrement dit, de lui verser la somme d'argent qu'il aurait autrement économisée, étant donné que la province prenait maintenant à charge les prestations pour enfants dans les réserves. Soit dit en passant, c'est le gouvernement fédéral qui traite les prestations.

Jusqu'à maintenant, le gouvernement fédéral a refusé de dédommager l'Ontario. Je ne sais pas à quel montant cela s'élèverait, mais c'est de l'ordre de 10 ou 15 millions de dollars. Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais disons que le Manitoba parle de la possibilité de mettre en place une prestation manitobaine pour enfants. L'Ontario peut procéder unilatéralement, mais le Manitoba ne peut aller de l'avant si le gouvernement fédéral n'accepte pas de verser un dédommagement, étant donné que le coût de la mesure dans les réserves représenterait pour lui un fardeau démesuré. Le refus par le gouvernement fédéral d'accorder le dédommagement qu'il a accordé à d'autres provinces dans le passé représente donc un obstacle à la réforme de l'assistance sociale dans les réserves.

Mme Forget : Au Manitoba, AINC fournit un soutien du revenu dans les réserves. Au Manitoba, si quelqu'un quitte la réserve et va s'installer en ville pour accéder à des soins de santé ou pour une autre raison, AINC assume les frais pendant trois mois. La province du Manitoba commence à payer après 12 mois. Entre le troisième et le douzième mois, personne n'assume la responsabilité du soutien du revenu des familles qui quittent la réserve.

J'ai deux observations à formuler à propos de la fragmentation des politiques gouvernementales. Il y a deux raisons pour lesquelles nous finissons par fragmenter les politiques. Il y en a une qui, à mes yeux à moi, ne pose pas de difficulté, ce qui n'est pas le cas de l'autre.

La difficulté qui explique la fragmentation survient dans les cas où il y a une seule et unique politique, par exemple, celle de l'assurance-emploi, qui comporte un trop grand nombre de cibles et un trop grand nombre d'objectifs; d'une part, on essaie d'offrir l'assurance telle qu'elle a été conçue et, d'autre part, on essaie en même temps d'offrir un soutien du revenu. Cela donne un programme avec une sorte de bifurcation, mais dont les deux volets seraient mieux menés s'ils étaient indépendants. Cela pose des difficultés, et on pourrait faire en sorte que ce soit plus cohérent.

Il y a une autre raison qui explique la fragmentation, mais qui ne pose pas de difficulté à mes yeux. Parfois, quand on progresse en vue d'atteindre un but particulier, par exemple l'instauration d'un programme rationalisé, disons pour le revenu annuel garanti, le contexte politique fait qu'il vaut mieux y aller de façon fragmentaire. Il n'y a pas un seul programme; il y a peut-être six programmes, qui reposent tous sur des principes semblables, qui comportent tous un but semblable, mais qui seront tous plus acceptables, tout au moins à court terme, pour vous garder sur la bonne voie.

Cela nous amène à notre deuxième thème : comment concrétiser le projet? Je ne suis pas analyste des politiques ni politicien, mais il me semble qu'il faut garder à l'idée que le projet doit être politiquement acceptable. Si on sait où on s'en va, avancer pas à pas n'est pas une chose si terrible.

[Français]

Dre Raynault : J'aimerais revenir au commentaire du sénateur Martin au sujet des ruptures familiales. Depuis deux ans, nous menons une étude sur les familles monoparentales. Nous avons analysé les données du Luxembourg Income Study afin de déterminer quelles familles, selon le pays, se retrouvaient en situation de pauvreté.

Nous avons ensuite examiné les sources de revenu de ces familles et nous analysons présentement le détail de certains pays exemplaires. Mes conclusions préalables sont à l'effet que premièrement, pour une même rupture familiale, le niveau de pauvreté diffère grandement entre les pays. Deuxièmement, je dois dire que les politiques sociales sont compliquées un peu partout, car il faut beaucoup de patience et beaucoup d'informateurs clés au sein des gouvernements pour bien comprendre l'architecture.

Il reste que dans tous les pays occidentaux développés, on retrouve de grands pans et, par rapport à ces grands pans, on peut voir comment le Canada se comporte. Pour le moment, j'en conclus que le Canada a mis en place les grands pans, sauf que parfois la dose n'est pas assez forte, dans le sens où le niveau n'est pas suffisant.

Il y a aussi un manque flagrant de certaines politiques, notamment les politiques relatives au logement pour les familles monoparentales. Il existe différentes formes de soutien au logement que certaines personnes appellent le « soutien à la pierre », qui consiste à construire des unités de logement ou à combler une pénurie de logements. Dans les cas de divorces, les politiques qui touchent l'accès à la pension alimentaire sont différentes selon le pays. Lorsque la pension alimentaire n'est pas versée, c'est l'État qui supplée à l'absence de pourvoyeur et cela fait une grosse différence.

On peut faire ce genre d'analyse pour déterminer où sont les carences dans notre système de politiques sociales. La fragmentation est peut-être un concept compliqué, mais elle s'est développée au cours des années pour des raisons de correction des éléments antérieurs. À mon avis, il vaudrait mieux s'assurer que l'on a toutes les pièces nécessaires et qu'on donne suffisamment plutôt que de consacrer beaucoup de temps à l'architecture pour avoir quelque chose de plus intellectuellement élégant.

[Traduction]

M. Frankel : Je suis d'accord avec bon nombre des points qui ont été soulevés à propos de l'approche progressive, mais disons qu'elle comporte un inconvénient : l'interaction des programmes fédéraux et des programmes provinciaux conduit souvent à des effets pervers; c'est-à-dire que les gens travaillent davantage tout en ayant un revenu disponible inférieur. Il y a lieu de penser que cela conduit parfois à la rupture de familles.

Pour une communication que je suis en train d'écrire, j'ai trouvé un article de 1963 qui analyse les effets du genre dans trois provinces. Dans deux des cas, d'après ce que j'ai pu déterminer, les effets sont pires aujourd'hui qu'ils étaient en 1963. C'est un problème que nous connaissons depuis longtemps. Nous disposons d'un mécanisme pour y remédier. Si nous ne sommes pas encore prêts à y apporter une solution macro-économique, tout au moins, au niveau individuel, il nous faut un mécanisme en place pour essayer d'y remédier quelque peu.

Deuxièmement, à propos de l'éducation, comme Mme Forget l'a fait remarquer, le risque de ne pas terminer l'école est beaucoup plus grand chez les enfants des familles à faible revenu que dans la population générale. Par l'entremise de la fondation du millénaire, le gouvernement fédéral a pratiqué certaines interventions importantes sous la forme de projets pilotes dans plusieurs provinces. Il s'agit de mettre à l'essai des programmes visant à aider les enfants pauvres, et dans certains cas, les enfants pauvres autochtones, à l'école. Il est à espérer que le gouvernement fédéral conservera un rôle dans le dossier une fois que la fondation du millénaire mettra un terme à ses activités. Il s'agit de financer les programmes jugés fructueux et d'essayer d'aider les provinces à les mettre en œuvre.

Le sénateur Segal : Je pose la question qui suit en prévision de la prochaine séance. Personne n'a pris le temps d'y répondre jusqu'à maintenant, mais nous avons parlé des différents facteurs en cause en ce qui concerne la pauvreté et la sécurité du revenu. Le sénateur Martin a parlé de rupture des familles, et d'autres ont fait des observations. J'essaie de faire le lien avec ce qui a été dit plus tôt à propos de ce que le gouvernement fédéral devrait faire, par opposition à ce qui serait mieux pris en charge ailleurs.

Je n'ai pas encore une idée très nette de la chose; ce sera peut-être le cas à la fin de la journée. Prenons une question comme la rupture des familles, qui est extraordinairement importante. À votre avis, nos recommandations devraient- elles porter sur des facteurs qui expliquent clairement la pauvreté, par exemple la rupture des familles, ou faut-il s'attacher uniquement à ce que le gouvernement fédéral est capable de réaliser avec les instruments à sa disposition, et, peut-être, à l'idée que le gouvernement fédéral rassemble les collègues des provinces pour discuter de modifications structurelles d'ensemble? Ce serait peut-être pour la prochaine section.

Autre question capitale dont je ne me fais pas une idée parfaitement nette — je crois que le sénateur Keon et moi entretenons un désaccord assez profond là-dessus —, c'est celle de savoir si la pauvreté est une cause ou un effet. Selon le point de vue éclairé d'éminents savants du domaine, la pauvreté découle de mille autres variables, par exemple, la toxicomanie, l'analphabétisme, le manque de scolarité, l'absence de compétences linguistiques suffisantes, le manque de capacité, l'absence d'emplois et ainsi de suite. À mon avis, ce point de vue éclairé revêt une grande importance dans le cadre de notre étude.

J'ai pour moi-même un point de vue qui est nettement moins raffiné. Si nous prévoyons le budget fédéral entier pour enrayer toutes les causes de la pauvreté — et je formule la question pour que les spécialistes puissent donner leur avis —, nous n'arriverions probablement pas à en enrayer une seule, étant donné que ce n'est pas possible. Par contre, si nous accroissons les dépenses ou si nous réorganisons les 140 milliards de dollars de manière à bien cibler la pauvreté dans le rôle qu'elle joue en tant que cause de la rupture des familles, en tant que cause de l'analphabétisme, en tant que cause d'une mauvaise santé, nous aurons peut-être plus de succès.

J'ai le point de vue qui est le mien, mais les spécialistes ont peut-être un autre point de vue. Aujourd'hui, j'espère que les spécialistes réunis nous présenteront leur avis sur la question, pour que nous puissions mettre à profit leur jugement.

Mme Monsebraaten : Qui voudrait s'attaquer à cette question-là? C'est assez provocateur.

M. Prince : J'aimerais traiter brièvement de la question de la politique familiale. Dans l'ensemble, la résilience des familles est une affaire qui relève de la compétence provinciale et du travail des organisations non gouvernementales. Prenons par exemple encore une fois l'assurance-emploi. Le débat qui a lieu en ce moment au pays sur la question est très étroit. Il est intéressant de voir que, tandis que les prestations ordinaires ont diminué et que le pourcentage de la population active qui a droit aux prestations a diminué depuis 10 à 20 ans, ce qui est raconté à propos des prestations spéciales devient très différent. Nous avons ajouté et amélioré des prestations. Sous l'égide de l'assurance-emploi, le Canada applique un des régimes de prestations parentales les plus généreux qui soient dans le monde. Cela a découlé en partie d'affaires portées devant les tribunaux sous le régime de la Charte. Je ne lancerai pas de fleurs à trop de mandarins pour les féliciter de cela.

L'assurance-emploi vise à améliorer la sécurité du revenu des familles où il y a un nouveau-né. Elle vise à protéger la santé physique des femmes qui ont des enfants et elle vise à promouvoir l'égalité entre les sexes en responsabilisant davantage les deux parents dans la foulée d'une naissance. Si imparfaitement que ce soit, elle vise à mieux concilier le travail et la vie familiale. Ce sont là des objectifs louables, que les Canadiens appuient, je crois. Le Québec est allé encore plus loin en adoptant le Régime québécois d'assurance parentale, le RQAP, qu'il a négocié bilatéralement avec le gouvernement du Canada en 2006. Au fur et à mesure que les Canadiens des autres provinces vont entendre parler de ce régime-là, ils voudront pouvoir bénéficier de quelque chose de semblable eux aussi. Je ne leur reprocherais pas. C'est une innovation merveilleuse. Et qui ajoute de la souplesse sous forme de choix et de programmes. Il s'applique notamment aux travailleurs indépendants, un groupe extrêmement nombreux — c'est environ 20 p. 100 de notre population active qui n'est pas protégée.

Mesdames et messieurs les sénateurs, voilà un bon exemple de l'assurance-emploi en tant qu'elle existe sous le régime de la Constitution. Cela ne fait aucun doute. Il y a peu de temps de cela, la Cour suprême du Canada a statué dans une affaire qui lui a été renvoyée que les prestations spéciales de cet ordre s'inscrivaient clairement dans le champ des responsabilités fédérales, mais que cela n'empêche pas les autorités fédérales d'innover et de négocier bilatéralement avec les provinces pour qu'on ait des politiques familiales mieux adaptées.

Par ailleurs, les écoles et certains des éléments de notre système et de notre société qui sont liés au développement des enfants relèvent de la compétence provinciale, municipale aussi, mais le gouvernement fédéral a un rôle à jouer en ce qui concerne la politique familiale. La question évolue discrètement. En même temps, il y a cet autre débat sur l'assurance-emploi qui a fait de l'ombre à cette question-là, mais il s'agit d'un fait nouveau qui est très prometteur. Nous devons nous concentrer davantage sur ce genre de dialogue et mobiliser les Canadiens davantage aussi, pour que les instruments fédéraux puissent servir à favoriser la résilience des familles.

M. Corak : Il y a aussi quelques observations que je voudrais faire à propos de d'assurance-chômage à un moment donné, mais je vais mettre cela de côté pour l'instant et essayer de réagir au deuxième élément soulevé par le sénateur Segal, soit la mesure dans laquelle la pauvreté est une cause plutôt qu'un symptôme.

Pour donner un peu de contexte, je dirai que j'aborde la question d'un angle particulier, soit la documentation scientifique sur le développement des enfants. Je pense au cas d'un enfant qui grandit dans une famille pauvre et je me demande si l'argent a des conséquences à long terme pour cet enfant-là. Les parents pauvres élèvent-ils des enfants qui deviennent des adultes pauvres? Si c'était simplement une question d'argent, ce serait merveilleux. Nous pourrions instaurer un revenu annuel garanti ou quelque chose du genre, pour donner de l'agent à ces familles-là.

Le sénateur Segal : Est-ce une motion?

M. Corak : Non. Je crois que j'ai repris une chose que j'ai déjà entendue.

Il y a tout lieu de croire l'inverse, que ce n'est vraiment pas qu'une question d'argent. De fait, ce sont 30 à 35 p. 100 des enfants qui vivent dans une famille à faible revenu, une famille du dernier quart dans la répartition des revenus, qui deviennent des adultes pauvres. D'une part, les deux tiers échappent à la pauvreté d'une génération à l'autre; d'autre part, le problème a une certaine persistance. Soit dit en passant, il y a aussi une certaine persistance qui s'observe à l'autre extrémité de la répartition. Le tiers environ des enfants élevés par des parents riches deviennent des adultes figurant au premier rang pour la répartition des revenus; il y a donc là aussi une bonne persistance, ce qui confirme le point soulevé par Mme Raynault plus tôt, soit que l'égalité compte, pas seulement la pauvreté. Les transferts d'argent ne peuvent, je crois qu'on ne se trompe pas en le disant, faire échec à cette persistance dans les rangs inférieurs.

Le sénateur Martin a souligné à juste titre que la famille représente l'influence par excellence. Tout cela survient au sein de la famille avec le style parental que pratiquent les parents et le temps qu'ils accordent à leurs enfants.

Fait intéressant, ce n'est pas un effet qui est attribuable au quartier. Un chercheur de l'Université de Toronto, qui travaille maintenant à l'Université de la Colombie-Britannique, a réalisé une très bonne étude sur les enfants pauvres élevés dans différents complexes immobiliers à Toronto. C'était une sorte d'expérience : les gens qui demandaient un logement social — d'autres personnes seraient mieux renseignées que moi — se trouvaient à participer; ça ne se faisait donc pas tout à fait au hasard. On avait le droit de refuser une des offres faites, mais il était difficile de résister à la deuxième. Votre famille pouvait être envoyée dans un complexe immobilier à forte densité au centre-ville, sinon être envoyée dans une banlieue moins peuplée. Cela a certainement un impact net sur la vie des enfants qui vivent dans l'ici- et-maintenant, et c'est une question importante qui détermine leur exposition à la criminalité et aux drogues et à des trucs du genre. C'est une question dont il vaut la peine de discuter. Cependant, il faut s'attacher à l'aboutissement des enfants en question à long terme, peu importe où on les envoie. Ce n'est pas le quartier qui a influé sur le recours à l'assistance sociale en tant qu'adulte, sur le recours à l'assurance-emploi et sur leurs gains.

D'autres études ont permis de comparer les enfants avec leurs frères et sœurs de même qu'avec leurs voisins. Les frères et sœurs ont ceci de commun avec les voisins qu'ils vivent dans le même quartier, mais ils ont autre chose en commun, soit le même milieu familial. Si on regarde les résultats à long terme, on constate qu'il n'y a pas de relation entre les résultats constatés chez les enfants et chez leurs voisins, mais qu'il y a une forte corrélation entre les résultats chez les frères et sœurs. Cela donne à penser que c'est non pas le quartier ou la qualité du quartier qui compte, mais plutôt ce qui se passe au sein de la famille.

Nous avons parlé de parents seuls et de dissolution. Si vous étudiez les familles où il y a eu un divorce, si traumatisant que cela ait pu l'être pour les enfants dans l'ici-et-maintenant, fait intéressant, on constate qu'il n'y a pas d'effets sur les résultats à long terme. Les enfants d'une famille où il y a eu un divorce ont été comparés aux enfants qui ont vécu une séparation familiale d'un type différent. Des études ont permis de comparer les enfants de familles endeuillées, où il y a eu perte d'un parent, et les enfants ayant perdu un parent du fait d'un divorce. Sur le plan économique , il n'y a aucune différence quant aux résultats atteints. La différence réside dans la dimension sociale, car il y en a une. Les enfants provenant d'une famille où il y a eu un divorce ont tendance à considérer le mariage comme une option plus risquée. Ils ont tendance à reporter le moment du mariage. Si tant est qu'ils se marient, leurs taux de séparation sont plus élevés. La fécondité ne semble pas entrer en ligne de compte. Du point de vue du revenu, de la capacité d'autonomie et de la participation au marché du travail, en moyenne, il n'y a pas d'effets véritables.

Il n'y a pas que cela qui se passe au sein de la famille. Autre axe de recherche : étudier les enfants qui ont été adoptés, comparer les enfants biologiques et les enfants adoptés. Les résultats atteints laissent voir une énorme différence. Pour être franc, cela tient en partie au fait que les parents refilent à leurs enfants des traits caractéristiques — qu'il s'agisse d'hérédité ou d'autres choses — qui sont valorisés sur le marché du travail avec le temps. Ce genre de transmission comprend environ 40 p. 100 des résultats, alors que la chance en explique 20 p. 100, les 40 p. 100 qui restent tiennent à la famille, par exemple le style parental et le stress, de même que la mesure dans laquelle les parents disposent des ressources qui permettent de répondre aux besoins des enfants, par exemple le réseau scolaire et le marché du travail.

Quatre jeunes adultes sur dix ont, à un moment donné, œuvré pour un employeur ou une entreprise qui avait aussi employé leur père. C'est 40 p. 100 des jeunes adultes ayant trouvé un emploi à un moment donné, jusqu'à l'âge de 30 ans, qui ont travaillé au sein de la même entreprise que leur père. Cela dénote l'importance des relations — c'est-à-dire le fait de connaître les bonnes personnes — pour aider les enfants à franchir les étapes de la vie, la dernière étant l'intégration au marché du travail, la façon de chercher un emploi et la façon de se faire une place sur le marché du travail. Entre les années de l'école intermédiaire et celles de l'école secondaire, il y a toute une série de transitions où les parents jouent le rôle important d'intermédiaires.

De la façon dont j'interprète la documentation, la famille joue un rôle central. Nous devons réfléchir à la place qu'occupe la famille. La famille est une institution capitale. Les deux autres institutions capitales sont le marché du travail et l'État. Nous devons nous demander quelle est l'interaction entre les familles et le marché du travail, et nous demander si les programmes, fédéraux ou autres, protègent et soutiennent les familles, ou encore si elles modèlent les familles en fonction du marché. Dans certaines sociétés, les politiques sociales et autres sont structurées de manière à modeler les familles en fonction du marché et non pas l'inverse. Dans certains pays, si vous avez un enfant, vous vivez une expérience très stressante qui exige beaucoup de temps et beaucoup d'argent aussi. Dans d'autres sociétés encore, par exemple les sociétés nordiques, où élever un enfant, sur le plan éthique, relève des deux parents et où les programmes sociaux appuient cette notion-là, c'est beaucoup moins stressant.

Nous devrions nous demander en quoi nos politiques appuient la famille, en quoi elles la protègent contre les chocs que produit le marché du travail et en quoi elles l'aident à s'intégrer au marché du travail. Il est beaucoup plus difficile de répondre à cette question-là, et l'argent n'est pas forcément un élément causal dans cet enchaînement-là.

Le sénateur Segal : Sauf pour 35 p. 100 des enfants.

M. Corak : Ce que je fais valoir, c'est qu'il y a cette transmission de la pauvreté entre générations pour le tiers des enfants, mais que c'est le symptôme du mal, si vous voulez. Si vous donnez de l'argent à ces familles-là, des transferts directs d'argent comptant, je ne suis pas sûr que cela permettrait d'éliminer entièrement le problème.

En étudiant ce transfert d'argent, il faut songer au fait que l'argent est un symptôme dans cette histoire-là. Cela ne veut pas dire qu'il n'exerce aucune influence. Cependant, ce n'est pas l'argent qui produit l'effet; c'est le fait que l'argent sert à réduire le stress dans le ménage. À ce moment-là, il y a toutes sortes d'autres facteurs qui entrent en jeu, dont Mme Forget a fait la description.

Le fait d'envoyer des chèques aux gens ne réglera pas le problème. Ça entre dans une boîte noire d'une façon qu'on voudrait bien comprendre.

Souvent, les politiciens abordent cette question-là. Je ne veux montrer personne du doigt, mais il est facile de se dire en faveur de la lutte contre la pauvreté chez les enfants. Nous voudrions pouvoir signer simplement un chèque pour penser que, d'une certaine façon, nous avons réglé ce problème.

Nous faisons la chose qu'un État peut faire. Nous y allons à coup d'impôts et de transferts. Nous sommes en mesure de faire cela, alors nous le faisons. Cependant, d'après mon interprétation de la documentation, même si cela est nécessaire et important à la fois, ça ne permet pas de régler le problème entièrement. Vous pouvez signer tous les chèques que vous voulez et, d'ici une génération, il y aura peut-être encore le tiers des enfants pauvres qui seront devenus des adultes pauvres.

Si vous lisez la documentation scientifique avec honnêteté et objectivité, vous verrez que, pour une bonne part, l'argent sert de signal ou de symptôme, mais qu'il n'est pas une cause. Puis, il y a tout le débat sur la troisième question, qui est important, mais je mettrai cela de côté pour l'instant.

[Français]

Dre Raynault : Je répondrai tout d'abord qualitativement à votre question, puis, à l'aide de données sur la santé, je répondrai plus quantitativement.

De façon qualitative, si je me retrouve aujourd'hui devant vous, après avoir été médecin de famille dans le quartier Centre-Sud de Montréal pendant 15 ans, c'est parce que je crois que la question d'argent est primordiale. J'ai constaté, chez les familles que je soigne sur une base quotidienne, un stress intense relié au souci de ne pas pouvoir joindre les deux bouts. Ce stress a des conséquences sur le quotidien et mène à la dépression, au découragement et au désinvestissement.

De façon quantitative, les études sur la santé menées à Montréal ont révélé que l'argent est un déterminant majeur. Par exemple, on a démontré que le fait d'habiter près d'une autoroute engendre des problèmes respiratoires et augmente les incidences d'asthme chez les enfants. Or, les gens choisissent d'habiter près d'une autoroute lorsqu'ils n'ont pas le choix. On a posé la question, de façon qualitative, à des individus. Ceux-ci nous ont répondu qu'ils n'aimaient pas habituer près d'une autoroute et préféreraient habiter un peu plus loin. Toutefois, ceux qui n'ont pas d'argent doivent habiter près des autoroutes.

Pour ce qui est des choix alimentaires, on a beau prescrire une alimentation saine, toutefois, les quartiers où vivent ces gens n'offrent pas de denrées intéressantes. Les produits vendus dans les dépanneurs sont plus dispendieux, les choix sont limités en fruits et légumes.

Autre exemple, prenons l'activité physique chez les enfants. On a observé dans le quartier Centre-Sud de Montréal que bien souvent les professeurs ne laissent pas sortir les enfants à la récréation pour faire de l'exercice, car ceux-ci n'ont pas de vêtements pour les tenir au chaud.

Ces deux exemples de problèmes sont liés à un manque d'argent et à la dépression qu'il engendre.

Au cours des années, j'ai vu l'impact de certains projets visant à faciliter la réintégration et augmenter le revenu des familles. On constate d'une part que les gens retournent au travail, ce qui, entre autres, les fait mieux paraître. J'ai parlé de l'importance de bien paraître au niveau social et M. Mendelson a parlé de la dignité humaine. D'autre part, plusieurs problèmes se règlent. Les gens ne sont plus obligés, par exemple, d'emprunter chez un usurier pour faire réparer la lessiveuse. Ce sont de telles choses qui, de façon quotidienne, compliquent la vie.

Les gens vivant en milieux défavorisés ont souvent beaucoup de savoir-faire. Malgré tout, ces gens vivent des échecs uniquement dus au manque d'argent. Recevoir un chèque plus considérable veut dire beaucoup. La possibilité de participer tout en recevant son chèque est tout à fait bénéfique. Un programme permettant de réintégrer le marché du travail tout en offrant une prestation est préférable et constitue une solution viable pour ceux qui veulent s'en sortir pour de bon.

[Traduction]

M. Mendelson : Pour arriver à ce constat, j'ai envisagé les choses sous de nombreux angles différents. Je vais commencer par dire, de façon très générale, que je ne crois pas que nous — et par nous, j'entends qui que ce soit — puissions régler tous les problèmes de l'humanité. Je ne crois pas que notre société est une société idéale; en fait, je ne crois pas qu'une telle société est souhaitable.

Nous ne sommes pas embrigadés. Les gens ne font pas tous les mêmes choix. Parfois, ils font de mauvais choix et doivent en subir les conséquences.

Je n'ai pas d'enfants, mais j'ai des nièces et des neveux. Quiconque a déjà essayé d'aider un adolescent sait à quel point il est difficile d'aider quelqu'un. Je travaille dans ce secteur depuis environ 35 ans, et ce n'et pas facile d'aider les gens. C'est une tâche très ardue.

Je ne suis pas sûr que ce soit vraiment mon secteur de compétence. C'est l'une des raisons pour lesquelles, au sujet de votre question, j'hésite un peu à utiliser la terminologie des investissements, particulièrement quand cela concerne des enfants. Pourquoi un enfant de neuf ans ne pourrait-il pas s'amuser pendant l'été, quel que soit ce qui lui arrivera quand il aura 10, 20 ou 30 ans? Il s'agit parfois simplement d'essayer de rendre la vie des gens plus agréable.

Pour moi, une grande part des mesures de répartition du revenu que nous prenons vise non pas des avantages dans l'avenir, mais bien quelques avantages dans le présent, soit le fait d'avoir un revenu plus élevé. Si vous versez des prestations pour enfants suffisantes, les gens seront en mesure d'élever leurs enfants à l'aide d'un revenu plus élevé. Nous ne contribuons pas tant que ça, en tant que pays. Le Caledon Institute of Social Policy a effectué une comparaison entre des pays anglo-américains — le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Australie — et il en est ressorti que nous sommes loin d'être les meilleurs en ce qui concerne le niveau des prestations.

Je crois qu'un des sénateurs — ou c'était peut-être Dre Raynault — a dit que l'important, c'est non pas le programme, mais le montant qui est offert. Nous avons déjà certains programmes; ils ont été conçus, et ils pourraient fonctionner. L'un d'entre eux est la Prestation fiscale canadienne pour enfants. Mais ce n'est pas encore suffisant, même si le montant offert a augmenté.

Je dirais aussi que nous nous sommes montrés un peu trop négatifs précédemment quand nous avons affirmé que rien ne fonctionne, puisqu'il y a eu de grandes améliorations. Par exemple, la Prestation fiscale canadienne pour enfants a eu, et continue d'avoir, une grande incidence sur la réduction de la pauvreté des enfants et a permis une amélioration qui n'aurait pas eu lieu autrement.

Malheureusement, le revenu du marché est de plus en plus inégal. Nous nous retrouvons donc, un peu comme dans Alice au pays des merveilles, à devoir courir de plus en plus vite pour pouvoir rester à la même place. Cela dit, et compte tenu de ce que serait l'idéal, il faut faire attention de ne pas nous fixer des objectifs en matière de services sociaux qui seraient si élevés que nous échouerions à tout coup.

Pour en revenir à la question, je pense que nous devrions essayer de séparer les rôles du gouvernement fédéral de ceux du gouvernement provincial dès la conception du programme de façon à réduire un peu les chevauchements.

Je ne crois pas que ce soit possible de fonctionner dans des « compartiments » étanches, comme le disait la commission Rowell-Sirois. Ce n'est pas possible. C'est toutefois possible de mieux définir le rôle du gouvernement fédéral et celui du gouvernement provincial.

Je reviens à ce que je disais au tout début : je crois que le mandat revient aux gouvernements provinciaux. En fait, leur souveraineté s'étend aux services sociaux, ce qui signifie que ceux-ci ne sont pas assujettis aux dispositions législatives fédérales en matière de services sociaux; les gouvernements provinciaux sont souverains de plein droit. C'est la même chose dans le secteur de l'éducation, à tout le moins jusqu'à la douzième année.

Je crois que, en toute logique, les provinces devraient être responsables de tout ce qui touche les interactions plus personnelles avec les citoyens qui reçoivent des services sociaux et qui participent à tous les types d'interventions qui visent, par exemple, à aider les familles ou à régler certains des problèmes mentionnés par M. Corak.

Cela dit, il est tout de même vrai que les programmes fédéraux ont une incidence sur les familles et sur la façon dont les enfants sont élevés. Nous devons donc veiller à concevoir des programmes qui réduisent le plus possible le stress des familles, qui les aident à faire des choix raisonnables, qui favorisent la participation à la société, plus particulièrement au marché du travail, et qui garantissent une certaine sécurité afin que les gens sachent qu'ils ne seront pas laissés à eux- mêmes quand il seront vieux ou s'ils deviennent invalides; les programmes fédéraux doivent faire tout cela. Je ne dirais pas qu'ils ne sont pas pertinents; cependant, quand on parle d'un engagement plus profond, je crois que celui-ci doit se faire plutôt à l'échelle provinciale.

Je suppose que je n'ai pas répondu à la question concernant le deuxième thème. Parlons-nous encore du thème 1? Il faudrait commencer par entreprendre un vaste examen fédéral-provincial, qui aurait un véritable objectif, et qui ne serait pas qu'un souper au cours duquel les premiers ministres discuteraient pendant deux heures et qui aurait pour seul résultat un communiqué. Il faudrait plutôt un effort important soigneusement planifié. Il faudrait s'occuper de la planification pendant deux ou trois mois avant même d'entreprendre l'examen.

Voilà. J'ai essayé d'aborder le thème 1, ainsi que le thème 2.

Mme Monsebraaten : Nous entendrons maintenant Mme Forget, puis le sénateur Eggleton nous amènera à la moitié du thème 2 afin que nous soyons à jour dans le programme.

Mme Forget : J'aimerais faire un commentaire, rapidement. M. Corak a fait remarquer que l'argent permet de réduire le stress au sein des familles, ce qui donne des meilleurs résultats. C'est bien vrai, mais l'argent permet aussi autre chose : il permet habituellement de prolonger le temps dont dispose une famille pour prendre des décisions. Si vous avez assez d'argent, vous jouissez d'une stabilité résidentielle; vous pouvez profiter des programmes offerts dans les écoles et des programmes d'ONG. Vous pouvez faire toutes sortes de choses. Si, pour toute décision, vous devez essayer de choisir entre acheter du lait ou acheter du Kool-Aid, vous ne prenez pas les décisions à long terme qui seraient utiles pour votre famille.

Le président : Pour le thème 2, on dit : on parle « des changements précis que le gouvernement fédéral pourrait apporter », et on demande « comment procéder pour concrétiser les orientations que vous privilégiez? » J'aimerais souligner certaines choses qui ont été mentionnées pendant le premier tour de table et au sujet desquelles nous pourrions obtenir plus d'information.

Certains d'entre vous ont mentionné qu'il fallait non seulement réduire la pauvreté, mais aussi la prévenir. Y a-t-il des programmes particuliers que vous connaissez qui pourraient permettre d'y arriver? Encore une fois, des programmes qui relèvent du fédéral; M. Mendelson a tout à fait raison de souligner qu'il s'agit d'un secteur de prestation essentiellement provincial. Cela demeure néanmoins un rôle du gouvernement fédéral; bon nombre de programmes incluent des normes et des stratégies fédérales qui peuvent être exécutées dans le cadre de programmes conjoints avec les gouvernements des provinces.

Quoi qu'il en soit, discutons de prévention et des changements particuliers que nous pourrions apporter à ce sujet. Nous pouvons aussi discuter de la façon dont nous devrions procéder pour apporter ces changements. Une expression que j'utilise à l'occasion — et je crois que c'est M. Mendelson qui l'a inventée —, est celle de « gradualisme incessant ». À moins qu'elle ait été inventée par Ken Battle? Je sais que c'était un membre du Caledon Institute.

Devrions-nous adopter l'approche du « gradualisme incessant »? Un certain nombre d'entre vous avez dit qu'il y a déjà plusieurs bons programmes qui existent et qu'on pourrait les améliorer grâce à un peu de réflexion et de mises à jour. Est-ce la voie à suivre, ou est-il préférable d'adopter la méthode du big bang et de provoquer un grand changement? Cela me mène à aborder la question du revenu annuel garanti.

Quand les politiciens abordent la question du revenu annuel garanti, ils l'envisagent essentiellement comme une reformulation des programmes existants ou, comme quelqu'un l'a dit, comme l'élimination de certains aspects pour en construire d'autres, parce qu'il est très difficile d'envisager de créer un tel programme à partir de zéro, surtout si l'on tient compte des coûts; et surtout si l'on tient compte du fait que nous vivons actuellement un déficit de 50 milliards de dollars.

Si vous commencez à éliminer des parties de ces programmes, qu'est-ce qui arrivera? M. Corak a dit qu'il n'y avait pas que l'argent qui compte. Qu'est-ce qui arrivera si on essaie de procéder dans le cadre actuel des revenus, ce qui est l'une des propositions qu'on nous fait parfois quand nous discutons du revenu annuel garanti?

J'aimerais que vous nous parliez davantage de tout cela, ainsi que de la prévention, comme je l'ai dit. Ce sont des sujets que j'aimerais que vous abordiez.

Mme Monsebraaten : Dre Raynault souhaitait répondre au sujet de la prévention.

[Français]

Dre Raynault : Nous avons beaucoup parlé de revenus, mais pas de richesse. Les gouvernements font beaucoup pour diminuer les inégalités de revenus, cependant ces politiques augmentent les inégalités de richesse. Lorsqu'on pense au fait, par exemple, que nous pouvons maintenant mettre une partie de notre argent à l'abri de l'impôt, voilà un bon coup de pouce quand on a un emploi et qu'on gagne suffisamment d'argent, cela nous permet de bâtir des actifs. Par contre, pour les gens se trouvant au bas de l'échelle, les programmes pour les aider à bâtir leurs actifs n'existent à peu près pas. Le gouvernement fédéral pourrait certainement faire quelque chose à ce niveau.

Comme madame Forget le disait : avoir des actifs, c'est s'acheter du temps et se permettre des risques pour investir dans de nouveaux emplois, de nouveaux projets.

Je pense que ceci est un domaine encore assez inexploré où les gouvernements devraient s'investir un peu plus.

[Traduction]

Le sénateur Cook : Monsieur Mendelson, j'aimerais revenir à la question de ces programmes et de leur caractère inclusif. Je suis à la recherche du rôle du fédéral. Quel devrait être, à votre avis, le rôle du gouvernement fédéral par rapport à celui du rôle du gouvernement provincial? Loin de moi l'idée de ne pas inclure tous les segments de notre société.

Le programme qui nous préoccupe le plus est celui de l'assurance-emploi. Je viens d'une région du pays où le travail est saisonnier. Les normes de l'assurance-emploi ont des répercussions négatives sur les gens de ma région, comme sur les gens de la plupart des régions rurales du Canada.

Au début des années 1990, ma province a été frappée par le moratoire sur la pêche à la morue, et 30 000 personnes ont perdu leur emploi. Le premier ministre, Danny Williams, s'est assis avec les grands esprits de la région, un peu comme nous le faisons aujourd'hui, et a dit : « Que faisons-nous? » Ils ont mis sur pied un programme Internet. Vous le connaissez peut-être. Il s'agit du programme des comptes communautaires, les « Community Accounts ». Ils ont offert gratuitement une ressource par Internet. Le gouvernement s'occupe de tenir le site à jour et d'en effectuer la supervision, et il dit : « Voici un portrait de votre collectivité. Que pensez-vous pouvoir faire? »

Les artisans, les policiers, les travailleurs sociaux — toutes les personnes qui prennent part au bien-être de la collectivité — peuvent y mentionner leurs besoins. Le gouvernement est toutefois responsable de tenir le site à jour, d'en garantir le fonctionnement et d'effectuer la recherche.

M. Prince : En ce qui concerne l'assurance-emploi en particulier, nous savons qu'il y a des problèmes, comme une couverture insuffisante. Des discussions sont actuellement en cours en ce qui concerne les diverses exigences. Et si vous regardez le no d'aujourd'hui du Globe and Mail, vous pourrez lire un article du premier ministre Gordon Campbell. Mais il n'est pas seulement question d'exigences d'admissibilité qui varient; il s'agit aussi d'une autre façon très novatrice d'harmoniser les rôles du fédéral et du provincial à la jonction entre l'aide sociale et l'assurance-emploi dans le contexte de la récession actuelle.

Le processus de détermination des taux de cotisation, qui a été modifié il y a quelques années, doit être repensé. Les changements ont été faits à une époque où on ne tenait pas compte du cycle économique. M. Mendelson et d'autres ont écrit sur l'importance de revenir à un processus qui tient compte du cycle économique et qui peut jouer le rôle de stabilisateur automatique ou de mesures anticycliques. La caisse de l'assurance-emploi doit être conservée à part des autres recettes du gouvernement. La plupart des Canadiens et des hommes et des femmes politiques s'entendent au sujet de la caisse et de la transparence des finances. En ce qui concerne l'assurance-emploi, une proposition claire a été faite, et je suis heureux d'entendre ce que vous avez dit à propos du rôle des gouvernements fédéral ou provincial à titre de structure d'information sur les économies d'échelle et les technologies de l'information à l'intention des collectivités, des administrations régionales ou provinciales, ou de représentants d'autres ordres de gouvernement. Les ONG — même les clubs Rotary ou Kiwanis — n'ont pas le financement requis pour mettre sur pied des sites Web d'information. Il s'agit d'un exemple parfait de regroupement des ressources et d'une façon, pour le gouvernement fédéral, de jouer un rôle, certainement relativement aux programmes offerts par Service Canada et par d'autres. Il y a eu des progrès réalisés à ce sujet, mais il reste encore du travail à faire.

Une autre question importante concernant le rôle du fédéral et celui du provincial est liée aux Canadiens qui détiennent un emploi dans le secteur privé, c'est-à-dire 80 p. 100 des Canadiens, et qui n'ont pas d'autres régimes de retraite que le RPC. Ma province et l'Alberta ont mis sur pied un groupe de travail mixte qui examine une solution qu'on a appelée le plan ABC — le plan Alberta-British Columbia — qui permettrait de créer une sorte de régime de pension agréé ou régime de pension obligatoire. La Nouvelle-Écosse et l'Ontario ont aussi envisagé une telle solution. En outre, il semble que le gouvernement du Canada s'apprête à entreprendre une étude à ce sujet.

Quel est le rôle que doit jouer le gouvernement fédéral, seul ou en partenariat avec les provinces, pour aborder le problème de couverture insuffisante qui touche 80 p. 100 des Canadiens qui travaillent? Encore une fois, il s'agit autant d'une politique familiale que d'une question de sécurité du revenu. Quand ces personnes prendront leur retraite, elles seront pauvres. Devrons-nous doubler le montant du RPC? Le dernier grand débat sur le régime de pension remonte à 25 ans; il est peut-être temps d'en discuter de nouveau. Les Canadiens ont encaissé leur régime d'épargne-retraite et ont atteint un niveau d'endettement inégalé dans l'histoire. Ils n'ont aucun jeu sur le plan financier. Vous avez des familles où les deux personnes occupent deux, trois, quatre ou cinq emplois, et ils ne sont pas en meilleure position aujourd'hui qu'il y a 25 ans en ce qui concerne le revenu.

Il s'agit d'un énorme problème en matière de sécurité du revenu. S'agit-il seulement d'un problème national qui relève du gouvernement du Canada? Pour modifier le RPC, il faudrait, de toute façon, obtenir un consensus fédéral- provincial. Devons-nous laisser les provinces élaborer, comme le font l'Alberta et la Colombie-Britannique, un programme intéressant offert dans des régions précises du Canada, comme nous le faisons avec les stratégies de réduction de la pauvreté? L'Ontario et la Nouvelle-Écosse choisiront peut-être d'agir de leur côté. Devons-nous simplement souhaiter bonne chance aux cinq ou six autres provinces?

Voulons-nous d'un fédéralisme en damier? J'ose espérer qu'il y aura des discussions et des négociations intergouvernementales à ce sujet. Les Canadiens s'attendent à ce que les gouvernements collaborent pour régler ce problème. Il s'agit d'un problème qui touche la classe moyenne en ce qui a trait à la prévention de la pauvreté. Il s'agit aussi de mesures de soutien aux familles qui assurent une résilience. Le ministre des Finances de l'Ontario affirme qu'il s'agit de l'enjeu que devra relever la prochaine génération.

Je ne sais pas s'il a raison, mais je sais qu'il s'agit certainement d'un important problème; la sécurité du revenu nous pousse à remettre en question le fédéralisme et incite les gouvernements à percevoir leurs rôles respectifs de façon différente. Les régimes de pension agréés et les régimes offerts en milieu de travail pourraient constituer, pour les provinces, une façon de jouer un rôle de chef de file en matière de sécurité du revenu, à la place du gouvernement fédéral. Je suis ouvert à cette idée. Je n'ai pas d'idée particulière en ce qui concerne la façon dont on doit régler cet enjeu.

Il faut un débat national sur l'assurance-emploi. Le pays vit actuellement sa première récession post-assurance- chômage, ce qui fait que les Canadiens vont se rendre compte des lacunes et des insuffisances du programme d'assurance sociale auquel ils ont fidèlement cotisé. Ils vont découvrir, avec consternation et horreur, que le programme ne peut les aider.

Le sénateur Cook : J'aimerais dire une dernière chose à propos des comptes communautaires de ma province. Ils sont inscrits dans la loi, tout comme l'obligation de rendre des comptes à chaque année à la Chambre d'assemblée. C'est coulé dans le béton.

M. Prince : Cela nous mène au troisième thème, les mécanismes. Nous avons entendu des personnes s'interroger sur la pertinence d'une loi nationale. Je suis heureux que nous revenions sur cette question relativement au thème trois sur les mécanismes concrets.

Le sénateur Keon : Je m'excuse auprès des personnes présentes. J'ai un autre engagement à midi, que j'avais pris avant l'organisation de la présente rencontre. J'ai été vraiment enchanté d'être parmi vous, mais je dois partir.

J'ai fait partie du milieu de la recherche sur l'utilisation des caisses de retraite pour aider des petites sociétés à démarrer, à croître et à se développer. Ces grandes caisses de retraite sont des moteurs économiques incroyables, alors je vous encourage à en discuter de nouveau. Les personnes qui administrent les caisses de retraite doivent investir pour les maintenir en vie. Il s'agit de moteurs économiques incroyables, qui, au bout du compte, offrent de la sécurité du revenu.

Encore une fois, madame la présidente, je m'excuse, mais je dois vous quitter.

Mme Monsebraaten : D'accord.

Le président : Dre Raynault doit aussi partir.

Mme Monsebraaten : Nous vous remercions de votre participation, docteure Raynault. Vos commentaires nous seront très utiles.

M. Frankel : En ce qui concerne la prévention de la pauvreté, il ne faut pas oublier que le régime universel de soins de santé a été créé pour éviter que les Canadiens qui tombent malades sombrent dans la pauvreté. Le régime remplit toujours cette fonction. C'est aussi le bien-fondé de l'assurance-chômage. La Prestation fiscale canadienne pour enfants et son supplément, la Prestation nationale pour enfants, de même que la Prestation fiscale pour le revenu de travail constituent des mesures concrètes et mesurables de prévention de la pauvreté. Nous disposons d'une vaste gamme de programmes. D'une certaine façon, nous possédons l'architecture adéquate, même si elle peut être améliorée, et nous avons un problème avec la taille de l'investissement. Nous pourrions profiter d'une prévention de la pauvreté beaucoup plus importante si nous investissions beaucoup plus dans ces programmes. De cette façon, les coûts liés, plus particulièrement, aux enfants qui vivent dans la pauvreté n'augmenteraient pas. Pour l'instant, leur vécu immédiat est touché, mais on sait que, selon certains éléments de preuve, leur santé et leur développement à long terme risquent aussi d'être limités.

D'une certaine façon, nous avons à peu près toute l'architecture adéquate en place et, si nous investissions davantage, nous pourrions garantir une plus grande prévention de la pauvreté.

Je vais aborder brièvement la question du gradualisme par rapport à une conception intégrale. Il ne faudrait pas choisir l'un ou l'autre ni supposer qu'une solution exclut l'autre. Je suis d'accord avec M. Prince quand il dit que nous devons réunir le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires afin d'entreprendre des travaux qui mèneront à un système plus intégral qui sera plus simple et rationalisé. Nous ne pouvons pas nous contenter d'attendre le Messie, pour le dire d'une autre façon. Nous devrons tenter d'améliorer le système à mesure que nous allons de l'avant. Par exemple, on constate, dans toutes les provinces, une situation terriblement paradoxale : les gens travaillent plus, mais leur revenu disponible diminue. Cette situation existe depuis des années. Ces personnes ne devraient pas avoir à attendre la refonte intégrale.

Mme Monsebraaten : Voulez-vous dire que c'est par ici qu'il faut commencer à mettre sur pied un système fédéral- provincial territorial si nous envisageons de conserver les programmes actuels?

M. Frankel : Il faut commencer, d'une part, à l'échelon macroéconomique, pour déterminer si la refonte peut permettre d'empêcher un programme A d'annuler les avantages du programme B pour certaines personnes, puis, d'autre part, à l'échelle microéconomique, pour mettre en place un mécanisme. De cette façon, à mesure que des cas particuliers ou des ensembles de cas surviendront, on disposera de recours ou de mécanismes pour tenter de régler le problème.

M. Mendelson : Il serait utile d'essayer de définir ce que nous entendons par prévention. Nous pourrions définir la prévention comme la diminution de la probabilité que les ménages qui n'ont actuellement pas un revenu très faible voient le revenu diminuer ou passent de très longues périodes avec un revenu très faible. Vous pourriez améliorer cette définition. Je crois néanmoins qu'il peut être utile de définir avec plus de précisions ce que nous voulons dire.

J'aimerais répéter ce qu'ont dit M. Prince et M. Frankel. J'ai parlé de programmes multiples pour des objectifs multiples. Nos programmes d'assurance sociale sont essentiellement destinés aux membres de la classe moyenne et visent à les empêcher de devenir pauvres. L'un des problèmes actuels de l'assurance-emploi, c'est qu'un grand nombre de personnes n'y ont pas droit. Nous sommes inquiets du fait qu'elles seront obligées de recevoir de l'aide sociale. Une fois que vous tombez dans le piège de l'aide sociale, c'est difficile d'en sortir, entre autres pour les raisons mentionnées par M. Frankel, et aussi à cause de ses effets sur la dignité humaine.

C'est là l'une des principales raisons pour lesquelles nous souhaitons quelque chose comme un programme de revenu temporaire, qui n'entraînerait pas de stigmatisation, qui serait simple et qui offrirait un revenu forfaitaire. Un tel programme offrirait une solution de rechange à l'aide sociale pour les personnes qui ne seraient pas couvertes par un programme d'assurance sociale traditionnel.

Dans l'économie moderne, le marché du travail est de plus en plus atypique, surtout dans les villes comme Toronto, où il y a beaucoup d'immigrants. Il y a tant d'emplois atypiques qu'il est difficile de voir de quelle façon on pourrait adapter le modèle de l'aide sociale pour qu'il s'applique à tous. Néanmoins, si vous pouvez le faire, vous pouvez. Je serais prêt à envisager n'importe quel mécanisme qui permettrait d'y arriver.

Nous savons certaines choses au sujet de la prévention. Quand les personnes commencent à recevoir de l'aide sociale, nous les dépouillons de leurs biens. Une fois que vous êtes dans le trou, comment pouvez-vous en sortir? Certaines provinces ne permettent que 600 $ de biens. Cela n'inclut pas votre maison ni votre voiture déglinguée, mais si votre voiture dépasse un certain niveau...

Le sénateur Segal : Dans certaines provinces, les économies réalisées par un élève du secondaire pour ses études collégiales sont un bien dont il doit se débarrasser avant d'avoir droit à de l'aide sociale.

M. Mendelson : Votre régime enregistré d'épargne aussi. Si vous devez recevoir de l'aide sociale, vous pouvez être certain que vous êtes bel et bien pauvre.

Nous avons besoin de solutions intermédiaires. Malheureusement, c'est justement pendant la récession que nous en avons besoin, mais elles n'existent pas et n'existeront pas.

J'aimerais revenir au gradualisme incessant. Nous mélangeons les méthodes et les buts. À notre avis, le gradualisme constitue un mécanisme qui permet de se rendre quelque part. Notre but, c'est le revenu annuel garanti ou une autre vision de l'architecture. Nous pouvons aborder notre nouvelle architecture de façon graduelle, et je peux parler de la façon d'y parvenir. En fait, le gradualisme constitue la seule façon d'y parvenir puisqu'on ne peut tout faire en même temps. Je ne crois pas que ce soit des éléments qui s'opposent. Ils vont ensemble. D'un point de vue réaliste, vous voulez avoir un processus graduel, mais vous voulez aussi avoir une vision de l'endroit où vous vous rendez.

Prenons la Prestation fiscale canadienne pour enfants, qui est un bon exemple. Nous avons dit, comme l'ont fait d'autres personnes, que nous aimerions que le niveau de la prestation pour enfants soit équivalent au coût différentiel associé aux soins donnés à un enfant dans un ménage à revenu modeste. C'est ce que nous souhaitons. Nous ne connaissons pas précisément le montant, mais nous pensons qu'il se situe actuellement aux environs de 5 500 $. Malheureusement, aucune étude scientifique solide n'a jamais été faite pour déterminer ce montant. J'aimerais bien qu'il y en ait une.

Par où devons-nous commencer? Par exemple, nous avons défendu l'importance d'un revenu de base pour les personnes handicapées. Nous avons un plan détaillé. Le gouvernement fédéral pourrait le mettre en place. Il n'aurait pas à l'exécuter en entier. Il pourrait, par exemple, commencer par un revenu de base pour les personnes handicapées qui ont de 55 à 65 ans. Si vous touchez le Crédit d'impôt pour personnes handicapées ou que vous y êtes admissible et que vous avez 55 ans, il est très peu probable que vous trouviez du travail. C'est la réalité.

Nous avons élaboré un mécanisme, un appareil administratif. Il pourrait être mis sur pied de façon graduelle. Nous pourrions offrir un revenu de base pour les personnes handicapées. Nous pourrions éliminer une grande part de la pauvreté qui touche la population adulte grâce à cette seule mesure.

Évidemment, cela coûte de l'argent. Il s'agit d'un problème. Cependant, mon expérience m'a appris qu'une politique solide et attrayante sur le plan politique finit toujours par attirer l'argent dont elle a besoin.

M. Corak : J'aimerais apporter des précisions concernant certains commentaires que j'ai formulés précédemment à propos du rôle de l'argent. Je crois qu'il est important de se souvenir de la distinction établie par M. Mendelson. Il faut tenir compte de la situation actuelle des personnes, et l'argent joue un grand rôle à ce sujet. Je voulais néanmoins souligner qu'il n'est pas toujours souhaitable de transposer ces solutions à plus long terme. Il faut voir les choses dans une perspective plus large.

En ce qui concerne la réduction de la pauvreté par rapport à la prévention de la pauvreté, je suis d'accord avec ce qui a été dit aujourd'hui. Le comité doit absolument définir ce qu'il souhaite accomplir. En tout temps, au cours d'une année, il y a entre un cinquième et un quart de la population dont le revenu est inférieur à 50 p. 100 du revenu médian. Cela signifie que ces personnes ont moins de la moitié de ce qu'a la personne qui se trouve au milieu de la courbe de répartition du revenu. Le système de transfert actuel permet de réduire cette proportion de moitié, jusqu'à environ 12 ou 13 p. 100.

Sur une période de six ans, 40 p. 100 de la population connaissent la pauvreté à un moment ou à un autre. C'est donc un état très dynamique dans lequel se retrouve une partie de la population. Ces personnes sont parfois juste en dessous de la limite ou juste au-dessus et passent d'un état à l'autre.

Pendant la même période de six ans, de 12 à 13 p. 100 de la population vivent dans la pauvreté pendant chacune de ces années. Il y a là des distinctions très importantes à faire, entre le court terme et le long terme. À court terme, les gens goûtent à la pauvreté, mais sont capables de s'en sortir. Il faut donc concevoir des programmes distincts pour répondre à ces besoins distincts, c'est-à-dire pour prévenir ou réduire la pauvreté.

Le gradualisme incessant constitue l'excellente transition qui m'amène à parler de ce que vous devriez faire ou de ce que vous devriez envisager en ce qui concerne l'assurance-emploi ou l'assurance-chômage. À titre de femmes et d'hommes politiques, vous êtes mieux placés que moi pour savoir si vous devriez procéder de façon graduelle ou adopter l'approche du big bang. Au début des années 1990, le ministre Axworthy a adopté cette dernière approche. La réforme de la sécurité sociale, à tout le moins les documents de travail préliminaires, avait une portée très large. Au bout du compte, tout cela a mené à une réforme de l'assurance-emploi par le ministère des Finances.

Peut-être que l'approche du big bang est préférable s'il s'agit d'un programme qui relève de vos compétences et dont vous avez le contrôle. Cependant, dans le contexte plus complexe d'une fédération au sein de laquelle on souhaite effectuer de la prévention, il est peut-être préférable d'y aller de façon graduelle.

Au bout du compte, la discussion portera sur les programmes dont vous avez le contrôle, dont le programme d'assurance-emploi. Je pourrais peut-être, pour vous, décrire deux visions de la réforme de l'assurance-emploi. La greffière m'a envoyé votre document de travail publié en juin dernier. J'ai donc pu le lire et avoir une idée de l'endroit où en étaient rendues vos discussions.

La prévention de la pauvreté est étroitement liée au développement du capital humain, essentiellement à la santé et à l'éducation, du moins d'un point de vue économique. Pour exprimer cela autrement, je dirais que les personnes qui modifient leur ensemble de compétences occupent un meilleur créneau au sein du marché du travail.

C'est là l'essence même du débat entre les mesures « actives » et les mesures « passives ». Ce sont des expressions de l'OCDE. Le Canada a modifié le nom de ce programme et a parlé d'un programme d'assurance-emploi. Je crois que cette appellation a été choisie à la suite de la lecture d'un rapport du Conseil économique du Canada déposé par Judy Maxwell. Quoi qu'il en soit, ce changement s'est en grande partie concrétisé par une augmentation des transferts aux provinces dans le cadre du régime d'assurance-emploi pour les mesures actives, probablement la formation ou l'éducation.

Mme Forget a souligné que l'assurance-emploi avait deux buts, jouer le rôle d'assurance et de soutien du revenu, mais elle en a maintenant un troisième : le développement du capital humain. Des fonds considérables sont transférés aux provinces. Connaissez-vous les résultats de tout cela? Quelles sont les véritables répercussions de ces investissements actifs sur le perfectionnement des compétences et sur la participation au marché du travail des personnes qui en profitent? Je n'ai pas les réponses à ces questions, et j'ai lu tout ce qui s'est écrit au Canada au cours des quelque 30 dernières années sur l'assurance-chômage.

J'ai l'impression que des sommes considérables sont consacrées à des mesures dont nous ne connaissons pas les résultats. Il faut évaluer ces programmes et savoir ce que font les provinces avec ces fonds. Tout cela est étroitement lié à la prévention de la pauvreté et à l'intervention active.

Un autre aspect déplorable de tout cela, c'est que, pour avoir droit à ces fonds, vous devez être admissible à l'assurance-emploi. Dans votre document, vous soulignez, de façon fort à propos, que certains groupes sont davantage touchés par la pauvreté, particulièrement les nouveaux immigrants. Les groupes qui ont véritablement besoin de ces fonds importants n'y ont pas accès.

C'est l'un des problèmes avec l'assurance-emploi et l'une des raisons pour lesquelles tous les autres volets du programme ont évolué. Nous avons maintenant des prestations de maternité et de paternité, ce qui est génial pour les mères et les pères qui y sont admissibles. Cependant, en premier lieu, j'aimerais que vous vous penchiez sur toutes ces mesures actives que nous prenons et sur le rendement de cet investissement. Quant à moi, je ne le sais pas.

Ensuite, si vous souhaitez réformer l'assurance-emploi à l'aide de la méthode du big bang, je vous présente deux modèles qui pourraient vous intéresser. L'un est étroitement lié au revenu annuel garanti. Je crois que nous avons déjà, en quelque sorte, un revenu annuel garanti au Canada. Vous pouvez recevoir des prestations d'assurance-emploi si vous ne travaillez pas, mais vous pouvez aussi en recevoir si vous travaillez. Vous avez le droit de travailler un certain nombre d'heures tout en continuant à recevoir des prestations, quel que soit ce nombre.

Supposons que nous considérons l'assurance-emploi ou l'assurance-chômage comme une assurance. Comment procéderiez-vous pour la mettre en place?

Vous établiriez des liens avec une autre excellente innovation en matière de politique, la PFRT, la Prestation fiscale pour le revenu de travail. Cela permettrait, d'une certaine façon, de s'occuper du mur ou du précipice de l'aide sociale, comme l'ont appelé M. Frankel et d'autres intervenants. Le fait d'intégrer un régime d'assurance-emploi à une PFRT beaucoup plus généreuse permettrait d'inciter les personnes à participer au marché du travail, en plus de peut-être permettre d'éliminer certaines mesures d'incitation. De cette façon, l'assurance-emploi serait ramenée à sa simple fonction de programme d'assurance.

L'un des aspects dont on ne parle pas suffisamment concernant la réforme de l'assurance-emploi, c'est l'aspect financier. Je crois que M. Prince l'a mentionné brièvement. Une partie des discussions résumées dans votre document de travail publié en juin dernier traite, je crois, de la possibilité de ramener le programme d'assurance-emploi à ce qu'il était en 1995. Pourquoi ne pas agir de façon encore plus radicale et le ramener à ce qu'il était en 1970? À l'époque où Bryce Mackasey a fait accepter le projet de loi par le Parlement, il s'agissait d'un programme très généreux.

La structure financière de notre innovation devait être soutenue par l'imposition de taux particuliers liés à l'expérience, si vous voulez. Cela signifie des primes qui varient en fonction du nombre de mises à pied qu'a faites une entreprise. C'est la forme que prenait la discipline financière dans la proposition initiale de 1970. La fixation d'un taux particulier pour les primes est une mesure qui a immédiatement été éliminée. Quand la loi a été adoptée, elle a été adoptée sans les taux particuliers.

Une innovation très importante consiste à resserrer la discipline du programme en apportant des modifications non seulement au volet des prestations, mais aussi à celui de l'imposition, de façon à intégrer ces deux volets au sein d'une PFRT beaucoup plus généreuse. Il s'agirait d'un programme d'assurance, et les mesures incitatives seraient les bonnes. Par exemple, l'indemnisation des accidentés du travail, qui se fait à l'échelle provinciale, est arrimée à l'expérience puisque les industries paient des primes variant selon le nombre d'accidents survenus au sein de leur industrie par rapport à une norme de l'industrie. La politique de l'assurance-emploi dépend toujours de la situation régionale; vous seriez donc obligé de discuter des enjeux concernant les répercussions de cette innovation sur les diverses régions.

L'autre modèle proposé consiste à accepter tout le monde. J'ai remarqué cela dans votre document de travail : vous dites : « Offrons de l'assurance-chômage aux travailleurs autonomes ». Si vous considériez ce programme comme une assurance, vous ne feriez jamais, au grand jamais, cela puisque, si les travailleurs autonomes ont été exclus du programme, c'est parce qu'ils contrôlent la probabilité qu'ils perdent leur emploi et qu'ils contrôlent l'ampleur de la perte. Du point de vue d'une assurance, cela n'a donc aucun sens. Vous pourriez adopter un autre point de vue et décider d'accepter tout le monde, mais d'adapter le programme sur mesure de façon à ce que chacun ait son propre compte et que, en conséquence, les primes varient. Si les travailleurs autonomes souhaitent y participer, une structure particulière de primes pourrait permettre de rendre leur participation viable. Vous pourriez offrir à la fois tous les programmes actuels en adoptant une structure différente de primes.

La plupart des discussions que nous avons à l'heure actuelle sur l'assurance-emploi ne jettent pas un nouveau regard sur le programme, et j'espère que les discussions du comité iront beaucoup plus loin que ce que je vois pour l'instant. Cette question de conditions d'admissibilité qui sont universelles soulève certaines préoccupations concernant le programme, préoccupations dont on devra s'occuper sur le plan politique. Cette proposition entraîne deux préoccupations, l'une à court terme, l'autre, à long terme.

La préoccupation à court terme est la suivante : nous avons tous vu venir cette récession, jusqu'à un certain point, et nous savions que de plus en plus des prestations seraient versées et que les habitants de l'Ontario, où le taux de chômage était peu élevé, auraient besoin de ces prestations. Malgré tout, les règles d'admissibilité au programme sont fondées sur l'industrie récente du chômage, ce qui signifie que, dans ce cas en particulier, nous savions que la situation changerait rapidement dans l'avenir et qu'il faudrait inclure ces personnes. Pourtant, le programme tenait compte de la situation en vigueur trois ou quatre mois auparavant. Tout cela donne à penser qu'il est urgent de tenir des discussions comme celles que nous avons présentement.

Cependant, à plus long terme, il y avait derrière tout cela l'aspect régional. Chaque année, l'Ontario transfère des fonds importants aux provinces plus à l'est. Je me souviens avoir rédigé un rapport qui s'était fait l'écho à l'époque des discussions avec le ministre Axworthy. Si je me souviens bien, pendant une période de 10 ans, l'Ontario avait envoyé dans les provinces de l'Est près de deux milliards de dollars par année par l'entremise du régime d'assurance-emploi. Depuis ce temps, l'Ontario ressent du malaise face à cette situation.

Le fait de repenser le fonctionnement du programme à l'échelle régionale fait aussi partie de la toile de fond de cette discussion. Le programme a été conçu pour stabiliser automatiquement la situation économique et pour offrir une assurance, mais il faut tout de même reconnaître qu'il a joué un rôle structurel dans certaines régions et qu'il les a peut- être aidées à renforcer leur structure, mais qu'il a aussi créé, à long terme, une série d'obstacles que remettraient en question bon nombre d'économistes. Quelle que soit la réforme qui sera faite, il faudra tenir compte de l'aspect régional, et cela suppose qu'il faudra aborder beaucoup plus de sujets que ce que nous faisons actuellement.

En ce qui concerne ce programme en particulier, j'aimerais vous inciter à voir grand puisque cela relève de votre ressort et de votre secteur de compétence.

Mme Monsebraaten : Le temps passe très vite. Je sais que nous passons d'un thème à l'autre; pour les 40 minutes qui nous restent, je demanderais aux témoins de parler plus particulièrement des mécanismes gouvernementaux — M. Corak parlait justement de l'assurance-emploi, il y a un instant — qu'ils recommanderaient ou déconseilleraient.

Le sénateur Segal : C'est une question qui porte précisément sur les mécanismes dont M. Corak a parlé. J'aimerais comprendre le lien que vous établissez entre la PFRT et l'assurance-emploi. Je crois que c'est vous qui avez fait une proposition à ce sujet. Je veux être certain de comprendre la dynamique de tout cela dans le monde meilleur que votre proposition pourrait nous aider à créer.

À M. Mendelson, j'aimerais demander ce qui suit : d'après ce que je comprends de la notion du programme de revenu temporaire, le TIP, comme on dit en anglais — j'utilise cette expression de Milton Friedman seulement pour faire augmenter la pression artérielle de tout le monde — d'après ce que je comprends de la notion de programme de revenu temporaire, il est temporaire parce que votre revenu s'est effondré. Il s'est effondré pour des raisons claires, la situation ne s'éternisera pas, et le programme ne fait rien d'autre que d'aider les gens à traverser une période difficile.

Je crois qu'il serait juste de dire que, ce que visait la proposition de M. Friedman en matière d'impôt sur le revenu négatif, c'était que, si vous arriviez en deçà d'une certaine limite après avoir produit votre déclaration de revenus, vous profitiez d'un supplément jusqu'à ce que, comme le propose M. Corak, vous remontiez au-delà de la limite. Nous n'avons pas défini quelle devait être cette limite, pour des raisons complexes qu'il faut surmonter, mais je veux être certain de bien comprendre le mécanisme particulier du programme de revenu temporaire, et je veux que M. Corak s'assure que nous ne quittions pas la salle, aujourd'hui, sans comprendre précisément ce qu'il entendait par un lien entre la PFRT et l'assurance-emploi.

M. Corak : Je voulais simplement souligner que le régime actuel d'assurance-emploi inclut une mini PFRT, simplement pour souligner qu'il s'agit d'un modèle que l'on pourrait plus ou moins élargir.

Le sénateur Segal : Le fait qu'une personne pourrait travailler un certain nombre d'heures par semaine tout en recevant un supplément de l'assurance-emploi constitue un mini régime de PFRT. Est-ce bien ce que vous dites?

M. Corak : C'est bien ça.

Le sénateur Segal : Vous dites que si cette aide financière était plus importante, nous pourrions faire plus de progrès?

M. Corak : C'est ce que je dis.

M. Mendelson : Le concept de programme de revenu temporaire ressemble un peu, je pense, à ce que proposait M. Corak à propos de l'assurance-emploi. Quand l'assurance-emploi prendra davantage la forme d'un régime d'assurance, si cela se produit un jour, il faudra absolument prévoir un programme connexe qui offrirait une aide temporaire aux personnes qui ont besoin d'aide financière, mais qui ont encore un lien étroit avec le marché du travail et qui n'ont en fait besoin de rien d'autre que d'un peu d'aide financière pour traverser une période difficile et qui ne sont pas admissibles à l'assurance-emploi, pour quelque raison que ce soit.

Pour nous, le programme de revenu temporaire est un programme connexe, et non semblablement distinct — l'analogie n'est peut-être pas parfaite —, au Régime de pensions du Canada, qui constitue l'assurance sociale, et au Supplément de revenu garanti de la Sécurité de la vieillesse, qui est un programme financé à même le Trésor et qui est simplement lié au revenu. Il y a donc une certaine assurance sociale à laquelle s'ajoute un programme fondé sur le revenu.

Pour nous, le programme de revenu temporaire est bel et bien temporaire puisqu'il n'est disponible qu'environ six mois tous les cinq ans, je crois. En d'autres termes, ce n'est pas un programme auquel une personne peut adhérer afin d'en profiter pour le reste de ses jours. C'est un programme qui vise à offrir de l'aide pendant une période temporaire, et c'est tout. C'est pourquoi il ne devrait pas être disponible pendant une période plus longue, et c'est pourquoi le barème de prestations devrait demeurer relativement simple afin que la personne qui présente une demande n'ait pas, par exemple, à demander un reçu à son propriétaire, ce qui, en passant, est un procédé odieux de l'aide sociale.

Cela dit, nous n'avons pas encore établi tous les détails d'un programme de revenu temporaire étoffé. Nous avons élaboré en détail à quoi ressemblerait le programme qui offrirait un revenu de base aux personnes handicapées. Nous connaissons précisément les montants qui seraient offerts et le fonctionnement du programme.

Ce qui distinguerait ce programme de la PFRT ou de l'impôt sur le revenu négatif, c'est que les gens qui ont besoin d'une aide financière en ont besoin maintenant; ils n'ont pas besoin d'une aide qui dépend de leur revenu de l'année précédente, ce qu'offre le régime fiscal actuel. Vous faites votre déclaration en mars ou en avril.

Le sénateur Segal : Le crédit d'impôt pour la TPS ne force pas les gens à attendre un an avant de présenter leur demande. Ils peuvent la présenter tout de suite.

M. Mendelson : Ils peuvent présenter une demande, mais le montant du crédit d'impôt pour la TPS est fondé sur leur revenu imposable de l'année précédente.

Le sénateur Segal : C'est exact. Ils n'ont pas à attendre la fin de l'année pour présenter une demande.

M. Mendelson : Non, mais il s'agit d'un régime rétroactif. Le revenu de base s'adresse aux personnes qui ne gagnent habituellement pas un revenu d'emploi important, ce qui signifie que l'on peut s'attendre à ce que leur revenu soit plutôt stable. Dans un tel cas, un régime d'imposition rétroactif est pertinent. Cependant, pour les personnes dont le revenu fluctue beaucoup au cours d'une année, il ne s'agit malheureusement pas d'un outil aussi utile. J'aimerais bien que ce le soit. En fait, John Stapleton et moi avons tenté par tous les moyens de l'adapter afin qu'il le soit.

Je ne veux pas trop m'éloigner du sujet, mais, d'après mon expérience au Royaume-Uni — nous avons participé à l'élaboration du régime des prestations pour enfants du Royaume-Uni —, le régime fiscal de ce pays est différent. C'est un régime par répartition. À la fin, je leur ai vraiment recommandé d'adopter plutôt un régime rétroactif. Ils ne l'ont pas fait, et ils ont eu beaucoup de problèmes, même avec leur régime fiscal, qui est beaucoup plus à jour que le nôtre.

Si j'étais un fonctionnaire habilité à formuler des recommandations à l'intention du gouvernement, je recommanderais au gouvernement d'éviter de procéder de cette façon s'il ne veut pas avoir des problèmes. Le régime fiscal ne peut être utilisé à cette fin. C'est une distinction qu'il faut établir. C'est une question de mécanisme et d'administration; ce n'est pas une question idéologique, ni quoi que ce soit du genre. C'est simplement une question administrative, mais une question très pragmatique.

Mme Monsebraaten : Y a-t-il des mises en garde que vous aimeriez formuler? Je crois que vous nous dites : « Ne venez pas tout gâcher ».

M. Mendelson : Ne vous servez pas du régime fiscal. Voici une recommandation très pragmatique à l'intention du gouvernement : ne mettez pas en place un programme de crédit d'impôt ou tout autre type de paiement qui suppose que les gens doivent rembourser des montants importants à la fin de l'année parce que cela crée du mécontentement au sein de la population. Il s'agit là d'une recommandation de mécanismes à éviter. Croyez-le ou non, de nombreux gouvernements n'ont pas évité ces mécanismes.

J'ajouterais aussi que l'assurance sociale devrait, probablement, être obligatoire. Il est très difficile de composer avec les problèmes associés au risque moral et aux personnes qui pourraient profiter du système, et de déterminer où se trouveraient ces personnes.

Je dois dire, malgré tout, que le régime d'assurance-chômage de la Suède est de nature volontaire. Je ne sais pas si les gens le savent. Je crois plutôt que, de par sa nature, l'assurance sociale est, essentiellement, une assurance à laquelle tous les membres de la société ont droit, quand nous l'avons décidé au préalable en tant que société. C'est un peu comme la plus grande assurance collective qui soit. Si vous faites partie du groupe, c'est-à-dire, si vous habitez au pays, vous êtes automatiquement couvert, comme vous serez couvert par le régime d'assurance collective si vous travaillez pour un employeur en particulier.

Je crois aussi que, dans le contexte mondial qui nous attend, nous devrons envisager d'élargir un programme comme le RPC pour les pensions. Cela ne fonctionne pas. Ce que nous constatons, essentiellement, en ce qui concerne les cotisations, les prestations déterminées et les modèles à cotisations déterminées, c'est qu'il a été prouvé que ces méthodes ne permettaient pas aux gens de traverser une période de changement économique en profondeur, et qu'il fallait envisager des solutions de rechange. Il y en a diverses, parfois dans le secteur privé, parfois dans le secteur plus ou moins privé. Je n'ai pas d'idée arrêtée à ce sujet. Je recommande n'importe quel programme qui fonctionnerait. Il s'agit là seulement de quelques réflexions.

M. Prince : Je vais poursuivre où M. Mendelson était rendu. Je crois qu'il y aura, un jour, un débat sur les pensions dans ce pays. Cela m'inquiète parce que je crains qu'on ressorte le vieux discours des années 1980 et 1970 sur le régime obligatoire par rapport aux régimes volontaires. Nous entendrons encore plus parler de diverses notions, avec les formulations qu'elles supposent, en ce qui concerne l'adhésion automatique et le droit de ne pas participer, ce qui se passe actuellement en Australie, aux États-Unis et au Royaume-Uni. On tente d'adapter le modèle d'assurance sociale au monde néo-libéral dans lequel nous vivons et au sein duquel les gens ont l'impression que l'État leur dit quoi faire. Ce que nous devons viser, c'est un régime qui offre une couverture totale ou très large, et nous n'y parviendrons pas seulement par de la bonne volonté. Nous avons essayé pendant 60 ans, et les résultats sont très clairs.

Le Canada occupe déjà une position très enviable à l'échelle internationale en ce qui concerne l'assurance volontaire, qui atteint environ 39 ou 40 p. 100. Ailleurs dans le monde, on ne semble pas trouver de taux plus élevés, sauf si le gouvernement commence à offrir tellement d'incitatifs fiscaux que cela incite aux abus un peu partout.

Je crois qu'il faut faire attention à la rhétorique qui entoure l'assurance-emploi. À mon avis, le régime n'est pas fondamentalement brisé. Je crois que nous devons renforcer nos programmes d'assurance sociale.

J'aimerais que vous fassiez preuve de prudence face à la théorie de l'approche du big bang, qui vise à éliminer un système pour le remplacer par un programme général; d'ailleurs, je ne crois pas que ce soit ce que souhaite tout le monde. D'un point de vue fiscal, nous avons déjà créé, au cours des cinq ou sept dernières années, au moins trois douzaines de nouvelles mesures fiscales ou de nouveaux crédits d'impôt, dont la plupart sont non remboursables. Nous avons rendu le régime beaucoup plus compliqué qu'auparavant. Il s'agissait essentiellement de petits crédits d'impôt spécialisés. Il est grand temps d'examiner le régime fiscal et la corrélation entre l'impôt et les transferts. On peut, encore une fois, parler d'un gradualisme incessant ou enragé qui a échappé à notre contrôle.

J'aimerais aussi dire qu'il faut se méfier de l'unilatéralisme, même si je ne crois pas que ce soit utile de le mentionner ici. Le message s'adresse davantage aux Canadiens. Quand je discute avec mes amis ou mes voisins, j'entends dire que le gouvernement du Canada doit faire ceci ou que le Parlement doit faire cela, ou qu'il faut une norme nationale à ce sujet.

Dans ce secteur, il est possible, il est vrai, d'avoir certaines normes nationales concernant certains aspects, mais le fait de s'attendre à ce que le gouvernement du Canada adopte à lui seul une politique officielle en matière de pauvreté ou de mesures de lutte contre la pauvreté ne tient tout simplement pas la route. Il faudra tenir des discussions intergouvernementales et faire participer le grand public, puisque celui-ci est bien loin des sénateurs, de même, peut- être, que certains mordus de politique.

En ce qui concerne l'invalidité, la vision ou le programme du gouvernement du Canada à ce sujet date de 1999. C'est la dernière fois que nous avons véritablement pris la peine, à titre de gouvernement de ce pays, de formuler une vision en ce qui concerne les personnes les plus vulnérables du pays. On compte 600 000 adultes canadiens qui ont un handicap et qui souhaitent travailler. Malheureusement, nous nous sommes peu préoccupés d'eux pendant les bonnes années. Ce sera encore plus difficile de le faire au cours des deux, trois ou quatre années à venir. Il s'agit là d'une perte énorme de capital humain et de dignité.

Nous avons besoin d'une nouvelle vision fédérale en matière d'invalidité. Nous devons faire en sorte, par quelque moyen que ce soit, que le crédit d'impôt pour personnes handicapées soit remboursable. Nous devons examiner tous les autres petits crédits d'impôt offerts aux personnes atteintes d'une incapacité, aux personnes qui ont la garde de personnes à charge ou qui offrent des soins auxiliaires, et cetera. Il y a actuellement une douzaine de ces petits crédits d'impôt, et il faut rationaliser ce secteur.

Nous devons viser à offrir aux Canadiens handicapés un revenu de base, comme le propose le Caledon Institute ou d'une autre façon, ou encore, comme l'a dit le sénateur Segal, leur offrir un revenu garanti, comme on le fait pour les aînés. Je suis d'accord avec le Caledon Institute : les définitions sont trompeuses. Bien honnêtement, on s'attend très peu à ce qu'il y ait un véritablement attachement envers la main-d'œuvre. Nous ne devons pas trop nous préoccuper du fait que l'aide peut être considérée comme une désincitation au travail.

Une telle mesure permettrait à un demi-million de Canadiens handicapés de ne plus dépendre de l'aide sociale. Cela constituerait un avantage inattendu pour les provinces. Il faudrait organiser un débat fédéral-provincial-territorial sur une stratégie de réinvestissement, dans ce cas. Cela supposerait aussi une injection massive des fonds réaffectés dans des éléments comme les services d'aide aux personnes, l'éducation, des écoles, des parcs et des services de loisirs qui favorisent l'intégration de tous, les services d'aide aux familles et le transport en commun afin que les gens puissent se déplacer dans leur collectivité, et, finalement, une citoyenneté à part entière pour les Canadiens qui font face à des barrières et à des obstacles immenses.

Les provinces n'investiront jamais dans ces services d'aide inadéquats, inappropriés et inabordables si le gouvernement fédéral ne joue pas son rôle de chef de file sur le plan des revenus. Il s'agit là, clairement, du rôle du gouvernement fédéral. Les provinces ont aussi un rôle à jouer, mais on aura besoin d'un partenariat exceptionnel si on ne veut pas que les Canadiens mettent sur pied, dans 10 ou 20 ans, un autre comité sénatorial qui se penchera sur la façon d'aider ces mêmes personnes, qui ont été oubliées et abandonnées par leur pays.

On peut voir ce que le gouvernement fédéral peut faire à lui seul, mais ce qu'il peut faire en partenariat est très clair.

Le président : Puis-je poser une question? Elle concerne les commentaires formulés par M. Prince et M. Mendelson à propos du fait de ne pas adopter l'approche du big bang et ce que vous avez dit à propos de l'impôt sur le revenu et d'une disposition qui reconnaît l'impôt négatif sur le revenu comme un revenu annuel garanti.

Vous dites que la plus grande faiblesse de toutes ces propositions, c'est qu'elles ne sont pas ancrées dans la réalité actuelle. Quand des gens vivent dans la pauvreté ou presque, leur situation change si souvent que leur revenu de l'année précédente ne peut être pas véritablement pertinent pour eux.

M. Mendelson : J'ai de nombreuses réflexions à ce sujet, mais l'une d'elles est que vous ne pouvez utiliser un régime qui accuse un retard pouvant aller jusqu'à 18 mois pour verser un revenu à des personnes qui en ont besoin dès maintenant. Cela ne fonctionne tout simplement pas.

Le sénateur Segal : Avec le régime de la TPS, les gens font une déclaration chaque trimestre. Les petites entreprises et les sous-traitants font une déclaration chaque trimestre, ce qui signifie que nous avons un système qui permet de faire mieux que des déclarations annuelles.

M. Mendelson : C'est exactement ce qu'a fait le Royaume-Uni. Vraiment, vous devriez en discuter avec certains des ministres qui ont participé au processus, parce qu'ils sont vraiment mal pris depuis. Je peux vous montrer les grands titres.

Vous pouvez tenter de modifier votre régime fiscal pour qu'il y ait des déclarations trimestrielles. C'est une chose que vous pouvez faire. Au Royaume-Uni, on a adopté les déclarations mensuelles; c'est un régime par répartition. Un rapprochement annuel est fait, mais la plupart des gens n'en ont jamais connaissance.

Le sénateur Segal : À l'université, nous disons à tous nos étudiants de produire leurs déclarations même s'ils n'ont pas de revenu puisque, si leur revenu est inférieur à 30 000 $, ils auront droit au crédit d'impôt pour la TPS. Nous leur recommandons de produire une déclaration très tôt, et ils le font tous.

M. Mendelson : Nous pourrons en discuter plus avant dans un autre contexte.

À mon avis, le fait de passer du régime fiscal ordinaire que nous avons actuellement à un régime fiscal par répartition constituerait un changement énorme.

Le sénateur Segal : Je ne le recommande pas.

M. Mendelson : Nous vivons dans un contexte où la plupart des gens font une déclaration de revenu rétroactive. Votre revenu de l'an dernier n'est peut-être pas le même que celui de cette année, mais vous avez besoin de ce revenu maintenant. On pourrait, bien sûr, mettre sur pied un régime qui permettrait aux gens de toucher leur argent puis, à la fin de l'année, il y aurait un rapprochement avec ce qu'ils auraient dû payer, mais c'est ce rapprochement en fin d'exercice, qui constitue précisément la méthode mise à l'essai par le Royaume-Uni, qui entraîne des remboursements énormes au gouvernement.

Le sénateur Segal : Pourquoi le RRAG pour les aînés fonctionne-t-il si bien?

M. Mendelson : Parce qu'il s'agit de personnes qui ont un revenu stable. C'est pourquoi nous avons proposé, pour les personnes qui ont un handicap grave, un revenu de base qui serait fondé sur le régime fiscal. Pour faire des paiements révisés, vous devez avoir certaines capacités, mais c'est un problème mineur. Nous avons fait cette recommandation parce que ces personnes ont un revenu stable.

Dans le cas de revenu différentiel, comme la prestation pour enfants, ce n'est peut-être pas la solution parfaite, mais nous pensons que ce serait bien si la prestation pour enfants pourrait être immédiatement à jour par rapport au revenu, mais le compromis n'en vaut pas la peine.

Ce que je dis, c'est que, malheureusement, il y a une limite à ce à quoi peuvent servir les crédits d'impôt.

Le président : Vous avez dit qu'il y avait d'autres choses. Quelles sont-elles?

M. Mendelson : C'est un aspect. L'autre est plus controversé. Bon nombre de mes collègues du secteur de la défense des intérêts me l'ont reproché, mais je ne crois pas qu'il est possible d'offrir de l'argent sans condition à des personnes en âge de travailler et desquelles la société s'attend qu'elles occupent un emploi. Je ne suis même pas certain que ce soit bon pour elles.

Je ne crois pas en un revenu qui serait versé sans condition. Je crois que, à titre de société, nous nous attendons à ce que les gens participent au sein de leur collectivité et jouent un rôle sur le marché du travail, et qu'il est bien, pour les gens, de mener une vie qui leur permet d'être des citoyens productifs. C'est ainsi que je vois les choses.

Je n'essaie pas de glorifier le travail, ou quoi que ce soit, mais je crois que le fait de participer au marché du travail et à la société et de gagner sa vie font partie des éléments qui vous permettent de vivre dignement et de réaliser votre plein potentiel en tant qu'humains.

À l'opposé, le fait de verser un revenu aux gens sans condition, ce qui est l'idée du revenu annuel garanti, se révélera irréaliste. Je peux passer en revue tous les antécédents, parce qu'il y en a beaucoup, et vous verrez qu'ils prouvent, encore et encore, qu'il s'agit d'une idée irréalisable.

En fait, l'une des plus importantes lacunes de la première version du Régime d'assistance publique du Canada était le fait que le besoin n'avait pas à être catégorique, ce qui s'est révélé tout à fait irréalisable dans la réalité. En fait, les provinces n'ont pas adopté cette méthode et n'ont jamais été en mesure de le faire.

Je crois que vous devez tenir compte de la relation avec le marché du travail. Il s'agit du vieux problème de lois sur les pauvres et de la loi de Speenhamland. M. Frankel peut vous raconter, de source sûre, toute l'histoire, en détail.

Ken Battle a rédigé un document sur la notion de revenu annuel garanti, le RAG. Il s'agit d'une idée formidable et d'une notion idéaliste. Il y a des possibilités. Les gens disent souvent que les prestations pour enfants constituent un revenu annuel garanti. Si vous voulez voir les choses ainsi, pourquoi pas?

Cependant, la notion de revenu annuel garanti selon laquelle toute personne qui a plus de 18 ans ou de 21 ans a droit à un certain revenu, quoi qu'elle fasse ou ne fasse pas, quelles que soient ses aptitudes au travail, et tout cela, cette notion selon laquelle il s'agit simplement de déterminer quel est le revenu d'une personne avant de lui verser automatiquement de l'agent, je ne crois pas que ce soit possible, ni raisonnable, ni acceptable sur le plan politique.

C'est ce fantôme, cette chimère que poursuivent constamment les gens du milieu de la politique sociale, plus particulièrement les étudiants de troisième année en politique sociale. Sans vouloir insulter qui que ce soit, sénateur.

Le sénateur Segal : Je me sens visé, mais je ne vous en tiens pas responsable.

M. Mendelson : Cela ne mène jamais nulle part. C'est le type d'objectif irréalisable qui fait qu'il n'y a jamais de réforme de politique sociale.

M. Frankel : Je suis d'accord avec la faisabilité sur le plan politique. Cependant, quand on observe les résultats d'expérimentation concernant le revenu annuel garanti, ces répercussions sont peu présentes. Nous constatons qu'il n'y a pas beaucoup de gens qui ne travaillent pas, et nous avons procédé à des expérimentations que nous ne pourrions mettre en place au Canada parce que les gens ne seraient pas d'accord pour recevoir des prestations pendant deux ans. L'économie classique présente des limites, et il faut que les économistes, ces grands empiristes, tiennent compte des résultats empiriques.

M. Mendelson : Il y a des restrictions pour les jeunes qui adhèrent au programme, et je pense à l'expérience américaine, même si je n'en connais pas tous les détails. C'est une chose de mettre un programme en place pendant quelques années, mais c'est une tout autre chose quand le programme est en place depuis 10 ou 15 ans.

Ce qui me préoccuperait, ce serait qu'un grand nombre de jeunes de 21 ou de 23 ans adhèrent à ce type de programme. Je crois qu'on ne leur rendrait pas service. J'ai peut-être l'air réactionnaire, mais je crois qu'on ne rend pas service aux gens en les retirant du marché du travail. Ils risquent de prendre de très mauvaises décisions en ayant des attentes irréalistes en ce qui concerne l'argent qu'ils peuvent obtenir.

Mme Forget : Il y a de bonnes raisons de limiter ce type de programme seulement aux personnes de plus de 25 ans, ou d'un certain âge, mais si nous observons les résultats de toutes les expérimentations qui mettent en jeu un impôt sur le revenu négatif, que ce soit aux États-Unis ou au Canada, nous constatons que ce sont les mêmes. Nous obtenons une réduction des heures de travail de 10 p. 100 répartie de façon à peu près équitable entre trois catégories : les premiers titulaires de revenu, les seconds titulaires de revenu et les troisièmes titulaires de revenu.

Les premiers titulaires de revenu travaillent habituellement un beaucoup plus grand nombre d'heures que les membres des deux autres groupes, ce qui signifie que, toutes proportions gardées, le programme a très peu d'effets pour les premiers titulaires de revenu.

Dans les années 1960 et 1970, les seconds titulaires de revenu étaient des femmes mariées. La participation des femmes mariées à la main-d'œuvre est bien différente aujourd'hui de ce qu'elle était dans les années 1970.

C'est toutefois des troisièmes titulaires de revenu que je veux parler, des adolescents qui entrent plus tard dans la population active. C'est difficile de considérer cette réduction comme un résultat négatif. Il y a bel et bien une énorme diminution du nombre d'heures de travail des adolescents, mais, si, au lieu de travailler, ils vont à l'école, on peut difficilement dire qu'il s'agit d'un résultat négatif.

M. Mendelson : Si les jeunes vont à l'école, c'est formidable, mais vous souvenez-vous des voyages de ski à Banff payés par l'assurance-chômage?

Mme Forget : Les résultats probants, c'est ce qu'ils font. On constate qu'ils accumulent du capital.

Ce qu'il y a, c'est qu'il faut bien distinguer ce qui se produit dans la réalité et la façon dont la classe politique réagit. Je reconnais que c'est un programme difficile à vendre sur le plan politique, mais, dans la réalité, les résultats probants sont très clairs.

Le sénateur Martin : C'est dommage que nous n'ayons pas plus de temps parce que nous avons des intervenants très intéressants aujourd'hui. Je demandais à M. Prince si vous vous étiez rencontrés l'un et l'autre auparavant et vous avez répondu par la négative.

M. Prince : Jamais dans le cadre d'un groupe comme celui-ci.

Le sénateur Martin : C'est digne de mention. Nous avons abordé à peu près tous les sujets, que ce soit les mesures de prévention, ce que nous devons faire en tant que société, et les mesures de contrôle de la richesse. Nous avons abordé bien des sujets.

Le comité déposera un rapport à l'automne, mais nous ne savons pas à quoi ressemblera le climat économique à ce moment. Nous espérons qu'il se sera légèrement amélioré.

Compte tenu de ceci, et étant donné que nous n'aurons pas le temps, aujourd'hui, de tirer des conclusions des sages conseils donnés par les intervenants, quelles sont les choses que nous pouvons faire immédiatement, et que recommanderiez-vous dans l'immédiat? Si l'on observe le système et les programmes actuels, comment pouvons-nous les rendre plus efficients et plus réalisables sur le plan politique? Quels seraient les changements que vous recommanderiez à court terme et qui seraient faciles à apporter, de même que les changements à apporter à long terme, et quels seraient les nouveaux programmes à mettre en place, y compris certaines des idées que vous avez mentionnées aujourd'hui? Quels sont certains des buts nobles que nous pourrions viser pour le Canada?

Nous ne pourrons pas en discuter aujourd'hui, mais est-ce possible de faire une place à certaines idées, si on les compartimente? Nous pouvons examiner des listes de recommandations, mais, après un certain temps, elles deviennent de simples mots sur une page. Les idées dont vous nous faites part ici me semblent très précieuses. J'aimerais que nous essayions d'organiser l'information. Je suis certaine que notre équipe formidable nous aidera à le faire, mais il y a tant d'informations dont nous aimerions tirer profit aujourd'hui.

Je reviens à la question de la faisabilité sur le plan politique, des occasions qui s'offrent à nous, des buts que nous pouvons atteindre dans la réalité et de ce que nous pouvons espérer atteindre.

Mme Monsebraaten : Compte tenu des contraintes de temps, je vais faire le tour de la table et demander à chacun de nous dire ce que nous devons faire dès maintenant et ce qui est réalisable sur le plan politique.

M. Prince : J'ai commencé mon mot d'ouverture ce matin par une description des difficultés liées au fait que nous vivons ici et maintenant, à la récession économique en cours et au fait que notre pays a un déficit d'au moins 50 milliards de dollars. Situé en contexte, cela ne représente qu'environ 3 p. 100 du PIB. Nous avons connu pire. J'aimerais faire une mise en garde concernant l'hystérie à laquelle nous assistons en ce qui concerne la situation économique et que nous semblons alimenter. Il y aura toujours des gens pour attiser les flammes pour des raisons politiques, partisanes ou autres.

Cela dit, et compte tenu de l'opinion publique, je dirais, entre autres, que le grand public n'est pas encore prêt du tout pour ce que propose le sénateur Segal. Je crois qu'il n'est même pas prêt à commencer à y réfléchir. M. Mendelson parle de valeurs fondamentales profondément ancrées dans l'ADN des gens en ce qui concerne l'importance du travail et du fait de gagner ses prestations plutôt que de recevoir la charité. À court terme, il y a un certain besoin.

Nous avons entendu parler du partage du savoir, de la recherche et des débats sur certaines expérimentations précoces qui ont été effectuées et des résultats que nous avons obtenus. Il faut faire connaître tout cela à plus grande échelle, par exemple à des audiences de comité comme celles-ci, ou dans le cadre de forums, d'ateliers, de rencontres régionales et de consultations.

On pourrait peut-être entamer un processus de dialogue fédéral-provincial-territorial sur la réduction de la pauvreté. Étant donné que cinq ou six provinces mettront sur pied des stratégies antipauvreté visant à réduire la pauvreté, on peut se demander où se situent les trois ou quatre autres provinces. Que pouvons-nous apprendre des expériences ou de l'innovation de Terre-Neuve-et-Labrador?

Le Québec possède davantage de données. Je crois que vous avez discuté avec Alain Noël de l'Université de Montréal. Les premiers résultats de la stratégie de lutte contre la pauvreté du Québec contiennent des données intéressantes.

J'aimerais beaucoup que ma propre province, à titre de province riche, fasse preuve d'un certain leadership en matière de réduction de la pauvreté, mais ce n'est pas encore le cas. J'aimerais qu'il y ait une certaine forme de collaboration intergouvernementale à ce sujet.

Il serait possible de mettre sur pied des projets pilotes qui permettraient d'effectuer des essais. Je suis heureux de voir que les ministres des Finances se sont entendus sur une réforme limitée du Régime de pensions du Canada, dont on a peu parlé dans les médias au cours de la dernière semaine. Nous éliminons enfin un obstacle important, soit le fait d'être obligé de cesser tout à fait de travailler pour pouvoir recevoir des prestations. Les conditions à remplir pour recevoir des prestations d'invalidité du RPC sont encore plus radicales, comme le sont les conditions d'admissibilité à d'autres de nos prestations. Vous êtes soit inclus, soit exclu, apte au travail ou inapte au travail. Nous savons, de par notre propre expérience, que bon nombre des membres de notre famille ont des périodes où ils travaillent et d'autres où ils ne travaillent pas, ils travaillent de façon épisodique, récurrente ou cyclique, ils ont des maladies, des déficiences et des capacités qui font qu'ils peuvent parfois travailler, et parfois pas. Nous devons en tenir compte. C'est, en partie, ce que j'entends lorsque je parle de « modernisation ». Certains projets pilotes pourraient porter sur les prestations partielles d'invalidité du RPC puisque nous envisageons d'offrir, dans le cadre du RPC, des prestations partielles de retraite. Des prestations de maladie offertes dans le cadre de l'assurance-emploi pendant une période pouvant aller jusqu'à 50 semaines pour combler les lacunes importantes pourraient aussi faire l'objet d'un projet pilote.

Il y a un temps pour effectuer des recherches et des analyses plus approfondies et un temps pour discuter.

En ce qui concerne les mesures qui pourraient être prises à l'échelle fédérale, on peut envisager de rendre le crédit d'impôt pour personnes handicapées remboursable. Le ministre Flaherty n'est pas contre l'idée. Pour l'instant, cela le préoccupe, mais c'est tout de même une réforme possible.

Une autre mesure consisterait à examiner et simplifier la pléthore de mesures et de crédits d'impôt qui se sont reproduits au cours des huit à dix dernières années, et cela relève, encore une fois, du fédéral. Cela pourrait être fait. Il faudrait toutefois procéder à une analyse approfondie parce qu'il existe de nombreux liens entre ces mesures et ces crédits, que nous devons bien comprendre. Il faut envoyer aux Canadiens un signal afin qu'ils sachent que leurs gouvernements ne se sont pas arrêtés, que tout n'a pas été placé en veilleuse ou oublié sur la cuisinière parce qu'il n'y a pas d'argent, et qu'il y a un temps pour procéder à des analyses et à des débats approfondis, de même qu'à des expérimentations sociales à petite échelle de façon à trouver notre position en ce qui concerne des visions plus claires à moyen et à long termes.

Vous devez faire connaître votre vision aux Canadiens. Le comité sénatorial pourrait jouer un rôle très important cet automne et rappeler aux Canadiens que nous n'avons pas oublié à quel point il est précieux de vivre dans un pays juste et de défendre la dignité humaine, l'équité et l'égalité des chances. Nous n'entendons pas beaucoup parler de ces choses à l'heure actuelle. Le Sénat pourrait jouer un rôle important à ce sujet.

Mme Forget : J'aimerais rappeler à tous que notre système d'aide sociale, dans sa forme actuelle, a été créé à la suite de la Crise de 1929, ce qui signifie que ce n'est peut-être pas un mauvais moment pour penser à la façon de restructurer les choses.

J'aimerais rappeler ce que j'ai dit au tout début de la séance. J'ai l'impression que la structure du système du gouvernement fédéral prend la forme de crédits d'impôt remboursables et que ce système pourrait être élargi afin de permettre au gouvernement fédéral de faire ce qu'il fait de mieux, c'est-à-dire offrir un soutien direct du revenu.

Il ne faut pas oublier que les transferts intergouvernementaux visent à faciliter les décisions concernant les programmes. Ils ne doivent pas les orienter. D'abord, il faut déterminer qui fait quoi, et ensuite, nous pourrons déterminer comment acheminer l'argent au bon endroit pour payer ces programmes. Il faut éviter de limiter ce que peuvent faire les provinces en raison des ressources financières dont elles disposent, et ne pas présumer que le gouvernement fédéral doit faire certaines choses simplement parce qu'il en a, justement, la capacité financière. C'est une chose que nous savons tous, mais il est important de le rappeler.

J'aurais tendance à pencher vers une simplification du système, de façon à permettre aux provinces de se consacrer davantage à la prestation directe de services puisqu'il s'agit d'un aspect qui exige des pouvoirs discrétionnaires et une connaissance approfondie de ce qui se passe dans la collectivité, et à laisser le gouvernement fédéral élaborer et élargir ses programmes, comme la Prestation fiscale canadienne pour enfants, la SV et le SRG, en s'appuyant sur leurs forces actuelles.

M. Mendelson : Je crois que le gouvernement fédéral devrait exiger un véritable exercice fédéral-provincial, mais devrait arriver avec une offre, un peu comme dans le cas de la commission Lalonde, qui s'était ouverte avec l'augmentation de l'allocation familiale à 20 $, même s'il s'agissait d'une mesure unilatérale. Le gouvernement fédéral pourrait offrir un crédit d'impôt pour personnes handicapées remboursable, ce qui est déjà dans sa mire. En passant, le crédit n'est offert qu'aux personnes atteintes d'un handicap grave et, à l'heure actuelle, il n'est pas remboursable, ce qui signifie que la plupart des personnes ayant un handicap grave ne peuvent en profiter parce qu'elles n'ont pas de revenu.

Le gouvernement fédéral pourrait aussi offrir le début d'un programme de revenu de base pour les personnes handicapées admissibles au crédit d'impôt pour personnes handicapées, programme qui pourrait être offert, comme je l'ai dit, aux personnes de 55 à 65 ans. Je crois qu'un tel projet serait réalisable, mais je ne sais pas exactement combien il coûterait. Il y aurait certainement un coût associé à ce projet, mais je ne crois pas qu'il serait très élevé. On parle d'environ un milliard de dollars, et non de 10 milliards de dollars.

Un autre élément pourrait être une augmentation supplémentaire de la Prestation fiscale canadienne pour enfants et du Supplément de la prestation nationale pour enfants, que je considérerais comme un regroupement de programmes existants. Cependant, comme ces programmes ont été créés par le gouvernement actuel, il hésitera peut-être à le faire.

J'aimerais soulever une autre question litigieuse. Je ne permettrais pas au gouvernement fédéral de travailler en vase clos. Je dirais aux provinces : « Écoutez, nous voulons nous asseoir avec vous et procéder à un examen consciencieux. Nous sommes ouverts à des discussions sur tous les sujets, y compris sur l'assurance-emploi, parce que nous avons reçu de nombreuses requêtes des provinces à ce sujet. Nous sommes ouverts à des discussions sur les régimes de retraite parce qu'il y a, de toute évidence, des problèmes à ce sujet. Voici trois initiatives bien précises que nous souhaitons proposer dès maintenant et qui vous permettront d'économiser beaucoup d'argent afin de vous prouver que nous voulons véritablement nous engager et que nous avons envie de mettre en branle ce processus. »

On reviendrait alors à une forme de fédéralisme coopératif comme nous n'en avons pas vraiment connu depuis un certain temps, mais cela serait possible. C'est ce que je tenterais d'obtenir.

J'aimerais ajouter quelque chose, mesdames et messieurs les sénateurs. Une fois que vous aurez terminé cette étude et que vous aurez réglé les problèmes de pauvreté et de faible revenu au Canada, il faudra vous occuper d'une catastrophe sociale imminente beaucoup plus grave que tout cela, et elle se situe dans les réserves. Les choses doivent bouger, et rien n'a bougé; on doit réagir, prendre les choses en main, faire un coup d'éclat, s'il le faut. Il faut absolument intervenir. Il y a environ un demi-million de personnes, plus particulièrement dans l'ouest du pays, qui sont condamnées. Il y a, présentement, des enfants qui fréquentent une école qui n'est ouverte que 50 ou 60 jours par année et où règne le chaos. Ces enfants n'ont aucune chance. Quelques-uns survivront miraculeusement et pourront continuer, mais ils seront très peu nombreux.

Une fois que vous aurez terminé ces travaux, il y aura une autre tâche à accomplir, peut-être de la part du Sénat, qui pourrait produire un rapport afin de commencer à faire bouger les choses parce que rien d'autre ne semble fonctionner.

M. Frankel : Je suis d'accord avec tous les commentaires concernant le fait que le gouvernement fédéral doit corriger ses propres programmes, essentiellement à l'aide d'investissements plus importants et, dans le cas de l'assurance- emploi, à l'aide de critères d'admissibilité plus larges. Je crois que l'idée d'utiliser ces propositions comme mesure incitative auprès des provinces est intéressante; d'ailleurs, certaines provinces ont mentionné qu'elles saisiraient la balle au bond.

Il y a trois éléments que j'aimerais voir figurer dans votre rapport. J'espère que vous traiterez, dans votre rapport, des coûts continus associés à l'immobilisme, du fait que l'immobilisme entraîne des coûts à l'autre bout du spectre pour le système de soins de santé et le système de justice pénale, et qu'il y a de plus en plus de données qui le prouvent.

J'espère aussi que vous traiterez, dans votre rapport, de la stigmatisation des pauvres et des préjudices que cela entraîne. Nous possédons des données probantes à ce sujet. Je crois que si les sénateurs abordaient cette question, cela aurait une incidence.

Troisièmement, un peu comme l'a dit M. Mendelson, le rapport devrait aborder la question des groupes à risque élevé, comme, certainement, les enfants autochtones et des Premières nations, dans le contexte du portefeuille des politiques, du portefeuille relevant des compétences du gouvernement fédéral.

Je pense aussi aux enfants des nouveaux immigrants. Nous recrutons actuellement des immigrants dans bon nombre de provinces, en collaboration avec le gouvernement fédéral, parce qu'ils représentent des avantages sur le plan économique. Je viens tout juste de voir les données provenant du Manitoba. On constate que les taux de pauvreté chez ces enfants sont d'environ 40 p. 100. Il est vrai que la situation s'améliore avec le temps, et on peut le souligner, mais ces enfants subissent tout de même des préjudices pendant jusqu'à six ans. Il faut le souligner.

M. Corak : Je pourrais diviser mon commentaire en deux parties. Je reconnais qu'il est important de parler de la situation actuelle. Comme le rapport sera rendu public en période de récession, il doit évidemment en tenir compte.

Une recommandation à ce sujet, qui permettrait de dépanner à très court terme, concerne le régime de l'assurance- emploi. Tout ce débat concernant l'admissibilité et le fait de faire partie du programme semble être, à mon avis, une espèce de diversion, puisque les gens qui perdent leur emploi seront admissibles de toute façon. La question, c'est de savoir ce qu'ils obtiendront quand ils se retrouveront dans cette situation. On peut penser que des augmentations immédiates du taux de prestations et de la durée des prestations joueraient un rôle important dans le renforcement du rôle de stabilisation automatique du programme, en plus d'offrir des avantages aux personnes qui en ont besoin ici et maintenant, pour faire un lien avec la question de la récession. Il serait aussi possible de réduire immédiatement le taux d'imposition applicable à l'assurance-emploi. Ce sont là toutes des mesures qui pourraient être prises rapidement. Le fait de proposer des mesures de ce type, étroitement liées à la situation actuelle, peut aider à surmonter la crainte d'échouer, si vous voyez ce que je veux dire.

En ce qui concerne la situation à long terme, les personnes qui se sont prononcées sur cette question avant moi l'ont fait avec éloquence, et je suis d'accord avec elles. J'aimerais toutefois insister sur l'importance du message en ce qui concerne l'invalidité. Peut-être que vous pourriez placer cette question entre la prévention et la réduction, comme vous l'avez fait auparavant. Le débat a, en grande partie, porté sur la réduction de la pauvreté chez les personnes handicapées.

Il ne faut pas oublier que le dépistage précoce de troubles d'apprentissage chez les enfants joue un grand rôle dans la réduction de la pauvreté à long terme. Encore une fois, je ne suis pas certain que cela fasse partie des compétences du gouvernement fédéral, mais le soutien offert au système d'éducation des provinces, qui a été souligné par le sénateur Martin, est un aspect important et pourrait occuper une place prépondérante dans cette proposition puisque cela concerne autant la réduction que la prévention.

Le président : C'est ainsi que se conclut notre rencontre officielle. Nous allons nous retirer pour dîner et nous en profiterons pour discuter de façon plus officieuse. La rencontre a été très instructive et nous a permis d'obtenir de nombreux renseignements qui poussent à la réflexion. J'aimerais formuler des commentaires sur certaines choses qui ont été dites, mais vous avez mentionné très clairement quels sont les secteurs qui exigent une intervention rapide, et nous en tiendrons grandement compte pour déterminer les mesures à prendre.

Je vous remercie tous d'avoir participé à cette discussion sur la sécurité du revenu. Nous avons parfois dévié vers d'autres sujets, mais il s'agissait toujours de renseignements importants.

(La séance est levée.)


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