Délibérations du Sous-comité sur les villes
Fascicule 4 - Témoignages du 5 juin 2009
OTTAWA, le vendredi 5 juin 2009
Le Sous-comité sur les villes du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 9 h 4 pour étudier les questions d'actualités des grandes villes canadiennes.
Le sénateur Art Eggleton (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Bienvenue au Sous-comité sur les villes qui étudie la pauvreté, le logement et les sans-abris.
[Traduction]
Aujourd'hui, nous allons faire une table ronde sur les stratégies nationales sur la pauvreté, le logement et l'itinérance. Comme vous le savez, en juin dernier, après de nombreuses audiences, nous avons rédigé un document sur les enjeux et les options portant sur cette question. Que ce soit pendant nos voyages et ici à Ottawa, bon nombre des témoins qui ont comparu devant le comité ont dit vouloir une stratégie nationale sur la pauvreté, une stratégie nationale sur le logement et l'itinérance.
Aujourd'hui, nous approfondirons davantage la manière dont nous devrions formuler nos recommandations relativement à la façon dont le gouvernement fédéral traite ces enjeux. Nous nous pencherons sur la question de savoir si cela devrait être une stratégie nationale ou s'il faudrait adopter une autre approche.
Ainsi, nous espérons avoir terminé nos audiences d'ici la fin du mois, puis le rapport sera préparé pendant l'été. Une version préliminaire du rapport doit être prête au moment où le Sénat et ses comités reprendront leurs travaux, vers la troisième semaine de septembre.
J'ai l'espoir que le rapport contiendra des recommandations précises à court et moyen termes pour apporter des solutions aux plus grands obstacles immédiats qui touchent les personnes les plus vulnérables de notre société. Nous avons entendu beaucoup de gens souligner la nécessité d'agir rapidement dans certains domaines, ce qui se reflétera dans nos recommandations.
Pendant nos voyages et au cours des audiences que nous avons tenues, nous avons vu certaines pratiques prometteuses, que certains appellent pratiques exemplaires. Nous allons en parler un peu, pas qu'il y ait une approche universelle pour résoudre ces problèmes, mais, à coup sûr, des aspects de ces pratiques pourraient se révéler également utiles ailleurs au pays.
Enfin, nous nous pencherons sur la question de la refonte du système d'aide sociale et de divers aspects liés à la pauvreté, au logement et à l'itinérance. Nous nous fondons sur la prémisse que le système ne fonctionne pas et qu'il doit être corrigé.
Voilà ce qui nous attend à l'automne. Dans l'intervalle, nous cherchons à mettre au point les derniers détails de la manière dont tout cela se transformera en une stratégie nationale, et c'est pourquoi nous sommes réunis ici aujourd'hui.
Je vais présenter tout le monde. Notre rencontre sera diffusée sur la chaîne CPAC. Je ne peux garantir le moment de diffusion. Je connais des insomniaques qui m'ont dit voir ces audiences au beau milieu de la nuit, mais nous sommes également diffusés à d'autres heures.
Je vais d'abord présenter tout le monde en faisant un tour de table, puis nous entreprendrons les discussions. M. Steve Pomeroy, président de Focus Consulting Inc., a mené des études sur les coûts de l'itinérance pour les villes de Toronto, Montréal, Vancouver, Kitchener-Waterloo, Ottawa et Halifax. J'ai cité ses rapports à de nombreuses reprises en parlant des arguments commerciaux et économiques relatifs aux questions qui nous intéressent, particulièrement le logement et l'itinérance.
Le sénateur Segal est de Kingston, en Ontario.
À ses côtés, M. Phil Brown. Je le connais depuis de nombreuses années parce qu'il vient de Toronto. Il est gestionnaire général, Refuges, logement et soutien de la Ville de Toronto. Il est également membre de l'Association canadienne d'habitation et de rénovation urbaine. Cette association, fondée en 1968, est un organisme sans but lucratif national voué à appuyer et à renforcer le secteur du logement social.
Ensuite, on retrouve Michael Shapcott, directeur de l'engagement communautaire de l'Institut Wellesley, un institut de recherche et de politique sans but lucratif indépendant qui fait la promotion de l'équité en matière de santé au moyen de la recherche axée sur les collectivités, de l'engagement communautaire, de l'innovation sociale et de l'élaboration de politiques.
Ensuite, il y a Alina Tanasescu, de la Calgary Homeless Foundation. Elle est gestionnaire de la Recherche et des politiques publiques de la fondation. La Calgary Homeless Foundation travaille à mettre fin à l'itinérance à Calgary. Elle a un plan sur 10 ans pour atteindre cet objectif, comme vous le savez sans doute.
Rob Rainer a comparu devant notre comité à d'autres occasions. Il est le directeur général de Canada Sans Pauvreté. L'organisation a été fondée en 1971 sous le nom d'Organisation nationale anti-pauvreté, comme tout le monde le sait. Il s'agit d'une société sans but lucratif apolitique axée sur ses membres voués à la rééducation de la pauvreté au Canada.
Margaret Eberle, qui est parmi nous à titre personnel plutôt qu'en tant que représentante d'un organisme, est consultante en politique sur le logement pour Eberle Planning and Research. Depuis 1984, ce groupe effectue des évaluations d'impacts socio-économiques et mène des recherches sur les politiques en matière de logement. Mme Eberle dirige un cabinet de consultation indépendant en recherche et en politique en matière de logement. Elle a effectué quantité de travaux dans les deux domaines pour des clients gouvernementaux et non gouvernementaux.
De l'autre côté de la table, on retrouve David Seymour et Charles W. Hill. Charles Hill et David Seymour sont respectivement directeur exécutif et directeur de l'Association nationale d'habitation autochtone, organisme qui milite au nom des fournisseurs de logements pour les Autochtones vivant hors réserve qui habitent les villes, les villages et le Nord.
Ensuite, il y a David Snow, également présent à titre personnel. C'est un ancien stagiaire de la Canada West Foundation. Il a mené des travaux de recherche sur la pauvreté pendant son stage à la fondation, et ses intérêts de recherche comprennent la Charte canadienne des droits et libertés, la Cour suprême du Canada et l'intersection du droit et de la politique. C'est une autre perspective sur cette question.
Sheila Regehr est également avec nous, et elle a déjà comparu devant notre comité à d'autres occasions. Elle est directrice du Conseil national du bien-être social. Le Conseil a pour mandat de conseiller la ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences sur toute question liée au développement social.
On retrouve ensuite ma collègue, le sénateur Cordy, de la Nouvelle-Écosse. Nous attendons également le sénateur Keon, de l'Ontario. Il devrait arriver sous peu; il avait une autre réunion.
Je suis le sénateur Eggleton et je préside ce comité. Keli Hogan est notre greffière, et voici Havi Echenberg et Robin Wisener, nos recherchistes du groupe de recherche de la Bibliothèque du Parlement.
Entrons dans le vif du sujet. Nous avons entre les mains un document pour nous orienter, qui parle de trois thèmes différents. Voici en gros le premier thème : êtes-vous d'accord pour recommander une stratégie nationale au gouvernement fédéral? Pourquoi, ou sinon, pourquoi pas? Si vous êtes d'accord avec une telle stratégie, que devrait-elle inclure en ce concerne le gouvernement fédéral? Ce sera la première chose dont nous allons traiter.
Les second et troisième thèmes portent sur la coordination avec les gouvernements provinciaux et les gouvernements locaux.
Nous allons donc commencer avec le premier thème de la stratégie nationale, la perspective du gouvernement fédéral et les détails d'une telle stratégie. Un horaire est indiqué du côté gauche de la feuille, auquel nous n'avons pas à adhérer trop strictement. L'idée, c'est de lever la séance d'ici 13 h 30.
Je vais faire un premier tour de table, et chacun d'entre vous pourra faire ses déclarations préliminaires et présenter ses réflexions sur ces questions. Vous êtes peut-être arrivés ici avec quelque chose de précis à nous dire de toute façon, alors aussi bien vous entendre à ce moment-là également. Ensuite, nous allons tout simplement passer d'un témoin à l'autre, selon qui veut parler sur un sujet donné. Je vais aller de ce côté et commencer avec M. Pomeroy.
Steve Pomeroy, président, Focus Consulting Inc. : Merci. Ceux d'entre vous qui me connaissent seront sans doute surpris par ma réponse à cette question précise. Tout d'abord, en raison de la manière dont la question est formulée, c'est-à-dire comme une discussion sur la pauvreté, le logement et l'itinérance, j'ai un peu de mal parce qu'il s'agit d'un très vaste ensemble d'enjeux quand vient le temps de parler d'une stratégie unique ou de stratégies distinctes. Nous allons devoir revenir là-dessus plus tard au cours de la discussion.
Dans le cadre de la perspective très précise du travail que j'ai mené sur le logement et l'itinérance et de la nécessité d'une stratégie nationale, j'ai rédigé cinq ou six versions de conclusions sur cette question pour divers clients au cours de 10 dernières années. Il en résulte que je ressens le besoin de faire une pause et de réfléchir à cette question plutôt que de répéter les choses que j'ai dites tout ce temps.
Dix années se sont écoulées, et personne n'écoute — ou peut-être qu'on a écouté, mais que rien n'a pu être fait. Pourquoi? Pourquoi n'avons-nous pas été capables de mettre en œuvre une stratégie nationale dans ce domaine? J'ai l'impression que c'est parce que c'est un domaine extrêmement complexe et compliqué, qui touche des compétences et des organismes multiples des trois ordres de gouvernement, et qu'il est très difficile pour tout le monde de s'entendre à ce sujet. C'est peut-être la quête du Saint Graal. C'est difficile de coordonner les efforts de tout le monde sur cette question.
En ce qui concerne la question de savoir si nous devrions recommander une stratégie nationale, je suis divisé. D'une part, je suis convaincu que nous avons absolument besoin d'une sorte de mécanisme ou de cadre de référence pour que tout le monde se concentre sur les mêmes résultats et sur les mêmes buts, sur une vision plus globale. D'autre part, je pense que ce sera très difficile de réellement mettre en place une stratégie.
En théorie, la notion d'un cadre de référence ou d'une stratégie globale — quel que soit le nom que vous voulez lui donner — est logique. Assurément, c'est une bonne idée que de fixer des cibles et des résultats à long terme que toutes les personnes impliquées peuvent s'efforcer d'atteindre, quels que soient les divers secteurs dont elles proviennent, que ce soit les travailleurs de première ligne qui luttent contre l'itinérance ou encore les personnes qui travaillent dans des organismes de politiques. Je pense que c'est certainement logique. Toutefois, à l'échelon national, c'est tout un défi que d'arriver au point où on a effectivement un seul document qui affirme : « Voici notre stratégie nationale à ce sujet. »
Nous avons vu un certain nombre de municipalités réussir à élaborer des stratégies. La Ville de Toronto a publié une stratégie globale en matière de logement et d'itinérance, intitulée Possibilités de logement à Toronto. Calgary a un plan sur 10 ans, tout comme un certain nombre d'autres villes. Ressources humaines et Développement des compétences Canada, RHDCC, par le truchement de l'Initiative de partenariats en action communautaire, le programme IPAC — maintenant appelé la Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance — a exigé des plans sur 10 ans ou des plans communautaires afin de coordonner les organismes et le financement à l'échelon local.
Il est extrêmement efficace d'avoir des stratégies à l'échelon local et peut-être même à l'échelon provincial. Une telle stratégie est-elle possible à l'échelle nationale? Telle est la question.
Aux fins du compte rendu, je devrais dire que certains militants, et même certains membres de la Chambre, entretiennent le mythe selon lequel le Canada est le seul pays industrialisé qui n'a pas de stratégie nationale en matière de logement. C'est absolument faux. Dans le cadre du travail que j'ai fait, il n'y a pas un seul pays anglophone au monde qui a mis en place une stratégie nationale en matière de logement qui soit réellement globale.
Au Royaume-Uni, le gouvernement a mis en place de nombreux programmes et directions stratégiques, pour lesquels il y a d'importantes initiatives de financement, mais cela ne prend pas la forme d'une stratégie unique globale. C'est la même chose aux États-Unis. Le seul pays que je pourrais nommer qui possède une stratégie nationale est la Nouvelle-Zélande.
Il se passe des choses intéressantes dans différents pays : certaines sont bonnes, d'autres, mauvaises. Je ne suis pas nécessairement convaincu que cela laisse entendre que l'existence d'une stratégie est une condition préalable pour faire les choses comme il faut, du moment que l'on a deux éléments : d'abord, une idée précise de là où on veut aller et, ensuite, à l'échelon local — possiblement à l'échelon provincial également — une sorte de cadre stratégique qui pourrait être financé par le fédéral.
Le président : Merci beaucoup. Si vous voulez faire des commentaires sur l'ensemble — la pauvreté, le logement et l'itinérance, une stratégie nationale sur une vaste gamme d'aspects couverts par cette question — c'est parfait. De plus, si vous croyez qu'il devrait y avoir, peut-être, une stratégie nationale sur le logement, mais pas nécessairement sur la pauvreté, ou seulement sur certains éléments, n'hésitez pas à établir ce type de distinction, ainsi que toute autre chose que vous jugez pertinente.
Phil Brown, membre du conseil d'administation, Association canadienne d'habitation et de rénovation urbaine : Je vous remercie d'avoir invité l'Association canadienne d'habitation et de rénovation urbaine à participer à cette discussion. Aujourd'hui, partout au pays, des investissements fédéraux-provinciaux-territoriaux de milliards de dollars servent à créer de nouveaux logements abordables et à lutter contre l'itinérance. Ces sommes ont été engagées pour les deux à cinq prochaines années. Cela faisait presque deux décennies que nous n'avions pas eu de nouveaux investissements de cet ordre de grandeur. Ces sommes répondent à un besoin urgent. Toutefois, même si ces investissements sont très bien accueillis, la nécessité d'un cadre national à long terme pleinement financé en matière de logement abordable n'en est pas moins réelle.
Récemment, dans un document de travail sur la nécessité d'un cadre politique national en matière de logement et son élaboration, l'ACHRU a désigné les quatre principaux plans sur lesquels on peut fonder la nécessité d'un cadre national : les plans moral, juridique, économique et social.
Une société bienveillante est responsable de veiller à répondre aux besoins humains élémentaires de tous ses citoyens, y compris le besoin d'un refuge convenable et décent. D'un point de vue juridique, le Canada est signataire du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui affirme le droit de chacun à un niveau de vie adéquat, y compris le logement.
Il y a en outre de solides motifs sociaux pour justifier l'investissement dans le logement abordable. Il s'agit d'une composante importante de l'économie des ménages et des sociétés. La nouvelle construction résidentielle a un impact économique direct et considérable grâce à la création d'emplois continus. Aujourd'hui, il est possible de développer des technologies vertes et de créer des emplois verts grâce à l'investissement dans l'amélioration et la remise en état des logements de location existants pour prolonger leur vie utile et leur efficacité énergétique.
Certaines études ont conclu que les investissements visant à fournir le logement pour les itinérants, particulièrement les itinérants chroniques, permettent au gouvernement d'économiser de l'argent. Les ménages qui occupent des logements surpeuplés ou inadéquats dans des quartiers marginalisés peuvent être plus susceptibles d'avoir des problèmes de santé et des difficultés en matière de sécurité, et ont besoin de davantage de soutien des services sociaux. Les investissements en logement abordable peuvent réduire ces coûts ailleurs dans le système des services. L'inaction peut avoir un coût plus élevé que le fait de fournir un logement.
Depuis toujours, nous avons envisagé le logement abordable comme un coût plutôt qu'un investissement. Voilà un élément essentiel qui doit changer. Nous investissons dans le logement social ou abordable pour obtenir un grand nombre de résultats. Un dollar investi par les gouvernements en logement social et abordable peut devenir l'un des meilleurs investissements possibles.
L'ACHRU est d'avis qu'il y a trois principaux enjeux dont le gouvernement devrait faire sa priorité dans un cadre politique national pleinement exécuté. Premièrement, la nécessité critique de mettre fin à l'itinérance plutôt que de la gérer. Le fédéral appuie déjà l'approche « priorité aux logements », qui consiste à déplacer les gens directement de la rue ou des refuges vers un logement stable avec des soutiens appropriés. C'est un pilier sur lequel construire une politique nationale en matière de logement. Comme nous le disons dans notre programme Streets to Home à Toronto, il faut donner la sûreté, la sécurité et la dignité d'un toit avant tout.
Deuxièmement, il faut une intervention politique ferme pour garantir que la plupart des logements sociaux existants continuent de rester abordables pour les petits salariés. Nous recommandons fortement au gouvernement fédéral de réinvestir des fonds provenant des hypothèques de logements sociaux venant à échéance dans le logement social pour veiller à la disponibilité continue de logements abordables pour les Canadiens.
Troisièmement, la baisse du développement des locations privées, qui dure depuis un certain temps, remonte à des modifications apportées au régime fiscal; les gouvernements sont en mesure d'apporter une solution à ce problème à l'intérieur d'un cadre stratégique national en matière de logement.
L'ACHRU est d'accord pour recommander au gouvernement fédéral la création d'un cadre national en matière de logement. Le libre marché n'est pas la solution aux problèmes de logement abordable auxquels font face de nombreux Canadiens.
Nous croyons que le gouvernement fédéral devrait jouer un rôle habilitant plutôt que prescriptif. Par le truchement d'une stratégie nationale en matière de logement, le gouvernement fédéral devrait dès le départ s'engager à financer et à fixer un ensemble d'objectifs systémiques larges; la stratégie devrait être suffisamment souple pour tenir compte des variations régionales et permettre aux provinces et aux collectivités locales de fixer des priorités qui répondent aux besoins locaux.
Le président : Merci beaucoup. Nous avons maintenant trois questions sur lesquelles j'aimerais que nous nous concentrions pendant notre table ronde. Nous étudions la première question. Nous passerons par la suite à la coordination aux échelons provincial et local. Nous allons maintenant entendre M. Shapcott.
Michael Shapcott, directeur, Logement abordable et innovation sociale, Institut Wellesley : Je vous remercie. L'Institut Wellesley est un institut de recherche et de politique indépendant dont le siège est à Toronto. Je dirige notre cabinet de recherche et de politique sur le logement abordable. Nous travaillons aux échelons national, provincial et local. Nous travaillons également en partenariat informel avec des organismes communautaires de logement partout au pays. La Calgary Homeless Foundation est l'un de nos partenaires actifs. Nous avons des partenaires d'un océan à l'autre, de St. John's à Victoria. Nous sommes en train d'officialiser ce réseau, mais il s'agit d'un processus continu.
Avant la séance d'aujourd'hui, nous avons sondé les membres de notre réseau sur les questions que vous nous avez présentées. En ce qui concerne la question sur l'existence d'une stratégie nationale, nos membres s'entendent pour dire qu'il n'y en a pas. Il y a un ensemble disparate de programmes et de financements aux niveaux fédéral, provincial et territorial, qui sont mal coordonnés. Il y a également des initiatives provenant du secteur privé et d'organismes caritatifs. Ils ne fonctionnent pas bien ensemble.
Pendant les années 1980 et 1990, il y a eu une érosion des programmes de financement, des services et des dispositions législatives au niveau national. À la fin des années 1990, le gouvernement fédéral a décidé de transférer aux provinces et aux territoires l'administration de la plupart des programmes fédéraux de logement abordable. Cela a poussé certains universitaires spécialisés en logement, comme le professeur Wolfe de l'Université McGill, à déclarer que le Canada n'a plus de plan national en matière de logement. D'autres universitaires, comme le professeur David Hulchanski de l'Université de Toronto et le professeur Tom Carter de l'Université de Winnipeg, ont abondamment écrit sur la dislocation de la politique sur le logement au Canada.
Je ne veux pas me lancer dans une discussion ennuyante et pédante avec M. Pomeroy sur la position du Canada par rapport aux autres pays. Cependant, il demeure que de nombreux autres pays ont des stratégies beaucoup plus larges, globales et coordonnées, même celles qui sont des systèmes fédéraux comme le Canada. Nous traînons loin derrière.
Avons-nous besoin d'une stratégie nationale? Oui. Je vais brièvement vous présenter trois justifications pour expliquer pourquoi il nous faut une stratégie nationale et comment l'établir.
Premièrement, le droit international impose une série d'obligations au Canada. Le Canada fait actuellement l'objet d'un examen par le Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies en vertu d'un processus intitulé l'examen périodique universel. Toutes les obligations du Canada en matière de droits humains sont étudiées, y compris le droit à un logement convenable. Ce droit est énoncé non seulement dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, dont le Canada est signataire, mais également dans des dizaines d'autres traités et instruments juridiques internationaux.
En février, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur le logement convenable en tant que composante du droit à un niveau de vie adéquat, le principal représentant et expert des Nations Unies sur les questions de logement, a déposé au Comité des droits de l'homme le rapport de sa mission d'enquête au Canada, qui s'est déroulée en 2007. Dans ce rapport, le Rapporteur a observé que le Canada ne s'acquitte pas de ses obligations internationales en matière de logement, et il a lancé un appel en faveur d'une stratégie nationale en matière de logement.
Au cours des 15 à 20 dernières années, j'ai assisté à certaines des audiences où les obligations internationales du Canada relatives aux droits en matière de logement ont été examinées, à Genève et ailleurs. À divers moments pendant ces séances, l'ambassadeur ou les représentants du Canada ont eu à répondre à la question suivante : le gouvernement affirme-t-il que, en raison de la nature fédérale du Canada, l'obligation de garantir le droit au logement relève du niveau fédéral, ou relève-t-il de la compétence provinciale ou territoriale? Autrement dit, le gouvernement fédéral affirme-t-il que ce n'est pas vraiment sa responsabilité, mais plutôt celle d'un autre ordre de gouvernement? Les représentants canadiens ont toujours répondu que, devant les tribunaux internationaux, ils ne souscrivent pas à l'opinion selon laquelle la nature fédérale de notre gouvernement signifie que le gouvernement fédéral n'a pas l'obligation d'assumer les divers engagements qu'il a pris.
Le Pacte international relatif au droit au logement et à certains des autres enjeux que nous étudions relativement à l'itinérance et à la pauvreté compte deux volets. Le premier volet est le droit à un logement convenable, et l'autre volet est l'obligation de la part du gouvernement de contribuer à sa réalisation. Les Nations Unies ne disent pas que cela signifie que le gouvernement doit tout faire; cela signifie seulement qu'il doit prendre les mesures pour que cela se réalise, grâce à divers outils, comme les outils du marché privé, les programmes d'accès à la propriété abordable, les programmes de location privée, les programmes de logement social ou autres. Plus tard au cours de la discussion, je proposerai certains outils que nous jugeons particulièrement pertinents pour que le gouvernement fédéral s'acquitte de ses obligations.
La première raison pour justifier une stratégie nationale en matière de logement est que le Canada a des obligations internationales claires dont il doit s'acquitter, et la communauté internationale estime que le pays échoue à sa tâche. Dans quatre ou cinq jours, le gouvernement fédéral publiera sa réponse officielle au plus récent examen périodique universel des obligations du Canada. Pendant ce processus d'examen, le fait que le Canada s'acquitte de ses obligations a une fois de plus été mis en question. Si je ne me trompe, le 9 juin, le gouvernement fédéral a l'obligation de remettre sa réponse officielle, puis le processus se poursuivra à Genève.
La deuxième raison pour justifier une stratégie nationale en matière de logement est que, de tout temps, nous avons eu des plans nationaux sous une forme ou sous une autre, et certains d'entre eux ont très bien réussi. Quelques plans n'ont pas fonctionné, comme certains des programmes axés sur des régimes fiscaux; et, en ce qui concerne la création de logements abordables, la proposition de construction de résidences à multiples unités n'a pas été une réussite. Cependant, de 1973 à 1993, notre programme national de logement social a entraîné la construction de 600 000 foyers abordables et continue d'offrir des logements de qualité pour des gens partout au pays. Il y a certains bons exemples. Plus récemment, en 1999, le gouvernement fédéral a lancé son Initiative nationale pour les sans-abri, qui s'appelait d'abord l'Initiative de partenariats en action communautaire, et qui a dernièrement été renommée la Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance. Ce programme a été considéré comme une réussite, mais il n'a pas été financé de manière adéquate et n'a pas de portée nationale. Donc, la deuxième raison pour justifier la participation du gouvernement fédéral est qu'il a connu des réussites par le passé et qu'il continue de mettre en place des initiatives qui changent le cours des choses.
La troisième raison pour justifier la participation du gouvernement fédéral est, bien entendu, la crise du logement abordable, une crise qui comprend un phénomène d'itinérance grave et persistant partout au pays. La solution à ce phénomène national exige un leadership national. C'est en septembre 2005 que les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables du logement se sont rencontrés pour la dernière fois. Au cours de cette rencontre à White Point, en Nouvelle-Écosse, ils ont proposé un ensemble de principes auxquels ils souscrivent tous : les principes de White Point sur l'élaboration d'un cadre pour un nouveau plan national en matière de logement, qui précisait les rôles des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Certains d'entre nous remettent en question certains des éléments des principes de White Point. Nous ne croyons pas nécessairement qu'ils sont tous parfaits, mais la notion selon laquelle il pourrait y avoir une entente de coopération nous paraît bonne.
Depuis, il y a eu une seule réunion. Le gouvernement fédéral a décidé de ne pas participer à la réunion de février 2008 à Vancouver. La prochaine réunion des ministres fédéral-provinciaux-territoriaux responsables du logement est prévue pour le 20 août 2009, à Saint John's. À l'heure actuelle, le gouvernement fédéral n'a pas confirmé sa participation. En raison du manque de réunions, les principes de White Point n'ont pas pu évoluer pour former un cadre de référence réel qui permettrait d'élaborer des plans et d'octroyer du financement.
Donc, la troisième raison pour justifier un plan national en matière de logement est le rôle national important que le gouvernement fédéral a reconnu dans le passé, et nous disposons d'un ensemble de principes sur lesquels faire fond pour élaborer ce cadre.
Le président : Monsieur Shapcott, je sais que vous avez d'autres éléments à faire valoir, nous allons donc revenir à vous plus tard. Nous allons maintenant écouter Mme Alina Tanasescu.
Alina Tanasescu, gestionnaire, Recherche et politiques publiques, Calgary Homeless Foundation : J'examinais les nouvelles questions, alors je vais mettre de côté mes notes afin de tenter d'y répondre en premier. Ces questions semblent plus pertinentes par rapport aux enjeux abordés aujourd'hui, et j'aimerais ajouter mes commentaires à ceux des autres témoins. Calgary possède un plan sur 10 ans. Pourquoi? Quel est le lien entre un plan sur 10 ans au niveau local et le plan sur 10 ans récemment annoncé au niveau provincial? Quel est le rôle du fédéral pour appuyer ce type d'initiatives? Voici notre position sur cet enjeu.
Le plan local est important parce que nous traitons avec 2 000 programmes et plus de 140 organismes voués à l'itinérance à Calgary. C'est extrêmement complexe. Nous en sommes à l'étape de la mise en œuvre d'une stratégie locale, et nous constatons à quel point il est difficile de naviguer dans le système existant. Nous parlons du financement, mais pas de la complexité de coordonner le financement qui est déjà disponible. Savons-nous si l'argent que nous consacrons à résoudre ces problèmes est utilisé de manière efficace? Nous en venons à la conclusion que nous ne faisons pas le meilleur usage possible de ce financement.
Quant à un plan, la meilleure chose que le gouvernement fédéral pourrait faire serait de mettre en place des changements aux politiques qui habiliteraient les collectivités locales à prendre des mesures pour résoudre les problèmes qu'elles sont les mieux placées pour connaître.
Nous ne connaissons pas tous les facteurs complexes qui ont fait en sorte que l'itinérance à Calgary a quadruplé au cours de la dernière décennie. Nous avons fait notre premier décompte des itinérants en 1992. Avant cela, il n'était pas nécessaire de faire un tel décompte. Ce phénomène se produit partout au pays. L'itinérance telle que nous la connaissons aujourd'hui n'a pas toujours été un problème au Canada, ni ailleurs dans le monde occidental ou dans les pays en développement. Il se produit un changement structurel qui crée un précédent relativement à ce que nous considérons comme une importante manifestation de l'iniquité, c'est-à-dire l'itinérance. Faut-il établir un plan pour le logement, un plan de lutte contre la pauvreté, un plan de lutte contre l'itinérance? Nous ne les séparons pas parce qu'ils sont interreliés et découlent du même problème. Il faut se demander comment les résoudre efficacement.
Dans notre collectivité, nous observons l'itinérance, nous la ressentons. Les gens sont bien conscients des coûts publics de l'itinérance. Le secteur privé et les organismes confessionnels le comprennent. Le secteur des organismes sans but lucratif a eu les pieds sur le terrain de tout temps. Le gouvernement comprend l'argument pécuniaire, et l'argument moral interpelle les gens.
Nous suivons un plan sur 10 ans pour mettre fin à l'itinérance, parce qu'il est mesurable et s'attaque aux questions susmentionnées, mais il est également soutenu par une stratégie qui peut toucher et traverser horizontalement les secteurs. C'est un concept vendable. D'une perspective fédérale, l'idée d'une refonte du système d'aide sociale comme moyen de mettre fin à la pauvreté devient accablante. Ne serons-nous plus une nation capitaliste? Il est impensable de penser changer quelque chose qui soit si fondamental au fonctionnement de notre société que nous n'aurions plus d'inégalités persistantes. Cela ne veut pas dire que la pauvreté soit acceptable — ce n'est absolument pas acceptable — mais nous devrions chercher à l'atténuer grâce à un plan assorti de stratégies qui fonctionnent et qui affichent des résultats positifs afin de rallier les forces en cause pour qu'elles soient prêtes aux changements structurels à long terme qui doivent se produire. Voilà ce que nous proposons.
En ce qui concerne le rôle du gouvernement fédéral, nous nous inspirons du United States Interagency Council on Homelessness, où siègent des représentants de tous les départements pertinents du gouvernement fédéral. Ce conseil coordonne les changements aux mesures et aux politiques fédérales qui ont une incidence sur tous ces départements, en lien avec les collectivités des États et les collectivités locales. Le conseil est un carrefour de connaissances et de défense des politiques; ses représentants militent pour la lutte contre l'itinérance et la pauvreté à l'échelon fédéral. Je parlerai davantage du modèle du conseil plus tard au cours de la discussion, mais c'est notre position.
Rob Rainer, directeur général, Canada Sans Pauvreté : Merci monsieur le président. Je vous remercie de m'avoir offert l'occasion de participer à cette table ronde.
Je fais partie du groupe Canada Sans Pauvreté. Notre nom juridique est toujours l'Organisation nationale anti-pauvreté, mais nous nous attendons à ce que le changement de nom devienne officiel très bientôt. Comme le président l'a mentionné, notre organisme existe depuis 1971, de sorte que nous connaissons les tenants et les aboutissants de cet enjeu. Quand on examine nos premiers bulletins d'information, il est frappant de constater à quel point la nature des discussions de l'époque était similaire à ce que nous retrouvons aujourd'hui. En effet, notre groupe a été fondé à peu près à la même époque que la publication du rapport du Comité spécial du Sénat sur la pauvreté, qui a souligné bon nombre des mêmes problèmes. Dans un sens global, quand on examine l'ensemble du pays, en réalité, nous avons fait très peu de progrès au cours des 30 ou 40 dernières années.
Une des caractéristiques qui différencie notre groupe est le fait que tous les membres de notre conseil d'administration sont des gens qui ont fait l'expérience de la pauvreté à un moment ou à un autre de leur vie. Bon nombre des membres actuels de notre conseil d'administration ont toujours un faible revenu, et certains ont des obstacles et des incapacités considérables. En raison d'un accident d'auto, l'une des membres de notre conseil a vu sa vie basculer et a dû faire face à certains obstacles, comme la perte de son emploi, la rupture de sa famille, des problèmes de santé mentale et ainsi de suite. Depuis la fondation de notre groupe, tous les membres de notre conseil ont fait cette expérience personnelle directe, et c'est important tandis que nous réfléchissons sur la manière d'aborder ces enjeux.
Le mot « national » est au cœur du sujet aujourd'hui. Nous sommes devenus sensibles à la manière dont ce mot est perçu au Québec relativement à la possibilité d'une stratégie nationale sur la pauvreté, par exemple. Avec certains éléments du Québec, du moins, ce mot pourrait nous fermer des portes. En effet, l'une des raisons pour lesquelles nous avons voulu prendre nos distances de notre ancien nom d'Organisation nationale anti-pauvreté est le fait que le mot « nationale » nous empêche d'amorcer un dialogue avec nos collègues québécois. Vous pourriez réfléchir à l'utilisation de ce mot quand vous préparerez votre rapport, ou encore mettre des notes explicatives pour analyser ce contexte important.
Mme Echenberg a mentionné que Mme Regehr et moi-même sommes en infériorité numérique par rapport aux militants pour le logement qui se trouvent autour de la table ici; c'est certainement le cas, et il n'y a rien de mal là-dedans. Cependant, j'ai du mal à séparer une stratégie nationale sur le logement d'une stratégie nationale sur la pauvreté et l'inégalité, parce que les deux vont de pair. Cela dit, le logement est un élément si important que je pense qu'il est justifié qu'il fasse l'objet d'une attention et d'efforts particuliers. Toutefois, s'il faut élaborer une stratégie nationale ou pancanadienne sur le logement — et j'encouragerais certainement une telle approche —, elle devra être étroitement liée à une stratégie pancanadienne sur la pauvreté.
Mes remarques d'aujourd'hui porteront presque seulement sur le grand thème de la pauvreté. Quant à savoir si nous sommes d'accord pour recommander au gouvernement fédéral une stratégie nationale, oui, nous sommes tout à fait d'accord. Une stratégie pancanadienne est nécessaire pour compléter et appuyer les stratégies provinciales et territoriales qui ne peuvent réussir par elles-mêmes, sans un engagement sérieux significatif et durable de la part du gouvernement fédéral pour aider à lutter contre la pauvreté, l'itinérance et l'exclusion sociale.
La nécessité de l'engagement du gouvernement fédéral a été établie au moins par les gouvernements de Terre-Neuve-et-Labrador et de l'Ontario par le truchement de leurs stratégies anti-pauvreté de 2006 et de 2009, respectivement. Par exemple, le plan d'action 2006 du gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador, dont j'ai copie ici, est louable pour sa vision, son exhaustivité et le sérieux de ses objectifs. Dans ce plan, le gouvernement a désigné neuf secteurs prioritaires précis de coopération fédérale-provinciale — par exemple, l'amélioration des programmes et des services pour les personnes handicapées, la résolution de problèmes liés à la justice, comme le financement de l'aide juridique civile, et l'augmentation de la disponibilité du logement abordable.
Comme l'a mentionné M. Shapcott, et nous allons fortement insister sur cette question ici aujourd'hui, il s'agit d'un enjeu de droits humains, liés à la fois au logement et à la pauvreté. Comme l'a dit M. Shapcott, dans son examen périodique universel de 2009 du rendement du Canada sur le plan des droits humains, le Conseil des droits de l'Homme des Nations Unies a inclus parmi ses nombreuses recommandations non seulement une recommandation pour une stratégie nationale en matière de logement, mais également l'élaboration d'une stratégie nationale pour l'éradication de la pauvreté.
Le fait de s'engager à élaborer une stratégie pancanadienne et de la mener à bon port appuierait l'engagement du Canada à s'acquitter de ses obligations internationales en matière de droits humains. Une fois de plus, comme l'a dit M. Shapcott, mardi de la semaine prochaine, le Canada devra répondre au Conseil des droits de l'Homme des NU à l'égard de ses nombreuses recommandations. En ce qui concerne un vaste éventail de préoccupations relatives aux droits humains, le Canada acceptera. Je ne sais pas ce que le Canada répondra relativement à la stratégie nationale sur la pauvreté. J'espère que la réponse sera favorable et que le Canada prendra un engagement. Nous ne nous attendons pas à ce que ce soit le cas, mais c'est ce que nous espérons.
Quand vous nous avez remis les questions modifiées, pour nous, c'était un peu comme s'attendre à retrouver un lanceur droitier sur le monticule et se retrouver devant un lanceur gaucher, et maintenant il nous faut y faire face. En réalité, c'est venu en deux vagues aujourd'hui. D'abord, il y avait le regroupement des questions, et maintenant, des questions différentes, pour lesquelles nous n'étions peut-être pas entièrement préparés.
Le président : Le premier regroupement est essentiellement le même, et vous avez un peu plus de temps pour vous familiariser avec les deux autres.
M. Rainer : Je vais maintenant traiter du rôle du gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral devrait et doit être un chef de file de la lutte contre la pauvreté, l'inégalité et l'exclusion sociale au Canada. Le gouvernement devrait convoquer les parties pertinentes et les appuyer dans le processus d'élaboration de la stratégie pancanadienne intégrée globale. Ce processus devrait commencer aussitôt que possible, et ce, avant la fin de 2009. Compte tenu de la nécessité de consulter et de coopérer à l'échelle de tout le pays, le processus devrait se terminer par le parachèvement d'une stratégie pancanadienne initiale de lutte contre la pauvreté au plus tard au printemps de 2011, sinon plus tôt.
En outre, le gouvernement fédéral devrait veiller à ce que le ministre responsable de la stratégie fasse rapport tous les ans sur les progrès effectués par le Canada vers l'éradication de la pauvreté. Je ne me souviens pas si c'était devant votre comité ou devant un autre comité sénatorial, mais nous avons demandé la mise en place d'un bureau du commissaire à l'élimination de la pauvreté au Canada — et nous suggérerions qu'il relève du Bureau du vérificateur général — qui ferait état tous les ans de manière indépendante et objective des progrès effectués par le Canada en vue de l'éradication de la pauvreté.
J'aimerais parler un peu plus de l'importance de considérer le logement et la pauvreté comme des questions de droits humains, et je reviendrai un peu plus tard au cours du dialogue ou pendant les déclarations finales.
Margaret Eberle, consultante en politique sur le logement, Eberle Planning and Research, à titre personnel : Je vous remercie de m'avoir invitée à comparaître devant le comité aujourd'hui. Il convient que le Comité sur les villes examine cette question, parce que, d'après l'interprétation que je fais de l'histoire de la politique canadienne en matière de logement abordable, c'est l'échelon local qui a souvent été le moteur des initiatives dans ce domaine.
J'aimerais faire porter mes commentaires sur des sujets que le comité n'a pas encore entendus. J'aimerais d'abord vous inviter à examiner le problème de l'abordabilité du logement d'une nouvelle manière axée sur une approche systémique du logement. Je vous propose cela parce que je pense que cette approche pourrait se révéler plus acceptable pour mobiliser l'intérêt du gouvernement fédéral et d'autres parties à l'égard d'une stratégie nationale en matière de logement.
En vertu d'une approche systémique du logement, on constate que le système de logement a trois composantes : le marché de la location privée, le secteur du logement social et le marché de l'accès à la propriété. Réunies, ces trois composantes sont l'éléphant dont Duncan Maclennan parlait.
Le système de logement existe indépendamment du gouvernement, notamment à l'aide de règlements financiers, d'assurances hypothèques, de politiques sociales, de politiques d'immigration et d'aménagement du territoire, mais qui peut être influencé par le gouvernement
Je ferai valoir que le Canada a une politique nationale en matière de logement en grande partie axée sur une composante du système de logement, c'est-à-dire le secteur de l'accès à la propriété, et l'on pourrait dire qu'il a assez bien réussi à en faire la promotion, grâce à des moyens comme le régime enregistré d'épargne-logement et l'exonération de l'impôt sur les gains en capital sur une résidence principale.
Cependant, les deux autres parties de l'éléphant, à savoir la trompe et la queue, sont laissées pour compte. Le nombre de logements à louer existants est, au mieux, demeuré le même, et il y a eu très peu de nouveaux logements construits aux fins de location au cours des quelques 30 dernières années. Les logements sociaux existants sont délabrés, les ententes d'exploitation arrivent à échéance, et leur nombre est resté essentiellement le même au cours des 10 ou 20 dernières années.
Par le passé, le Canada avait un marché de logement à louer et de logement social vigoureux, caractérisé par un rôle canadien ou national clair, et l'on pourrait faire valoir que nous avions une politique de prévention contre l'itinérance.
Aujourd'hui, que constate-t-on? Environ 1,5 million de ménages canadiens avaient un besoin impérieux de logements en 2006, et l'ampleur du phénomène de l'itinérance, quoique largement inconnue, semble être restée la même, et ses coûts démontrés pour la société sont considérables.
J'ai récemment terminé une étude pour le compte de RHDCC qui estimait la taille de la population des itinérants cachés, une population dont la taille et la composition sont mal connues. Cette étude montrait que, en plus des quelque 2 600 itinérants que l'on retrouve dans les refuges et dans les rues du Vancouver métropolitain, il y a environ 9 200 itinérants cachés qui habitent de manière temporaire chez d'autres dans des situations précaires.
Comment se fait-il que des Canadiens n'ont pas de logement convenable? Nous avons entendu d'excellents exposés sur les justifications morales, juridiques et économiques. J'aimerais donner davantage de détails sur quelques-unes des justifications économiques et sociales, pour présenter un point de vue différent.
Tout d'abord, en ce qui concerne l'aspect économique, le logement est un « bien social ». C'est dans l'intérêt de l'État de veiller à ce que les gens occupent un logement convenable parce que c'est dans l'intérêt public. Le logement convenable réduit les effets externes liés à la sous-consommation de logement. Il s'agit des répercussions négatives sur la qualité de vie de la personne ou du quartier, qui peuvent également entraîner de l'instabilité sociale et économique. L'itinérance en est un exemple.
Pour illustrer un autre point de vue sur l'argument du bien social, j'aimerais vous amener à Londres, en Angleterre. Il y a quelques années, les établissements d'enseignement faisaient état d'un taux de roulement annuel de 30 p. 100 des employés et des enseignants. Pour régler le problème de l'instabilité économique, le R.-U. a mis en œuvre des programmes de logement qui s'adressaient particulièrement aux travailleurs pour reconnaître le rôle essentiel qu'ils jouaient pour l'économie locale. Au R.-U., le Key Worker Living Programme est axé sur des secteurs d'emploi particuliers, par exemple, l'éducation, les soins de santé et la police dans trois régions où les coûts de logement sont élevés. En collaboration avec les autorités locales, ils ont mis en œuvre des mesures comme des prêts participatifs pour l'accès à la propriété et à la propriété partagée, ainsi que pour la location.
Dans le cadre de mon travail dans des collectivités de la C.-B., je commence à entendre parler de ce genre de concept pour les travailleurs essentiels qui n'ont pas les moyens de vivre dans diverses municipalités en raison de la montée en flèche des prix causée par différents booms, qu'ils soient liés à des ressources, à des retraites ou au coût des propriétés récréatives.
Deuxièmement, dans la sphère sociale, le logement est lié à d'autres facettes de notre vie. Je suis d'avis que nous sous-estimons le rôle d'ancrage que joue le logement pour intégrer les ménages au sein de leur collectivité. La pauvreté liée au logement peut exacerber d'autres inégalités, par exemple, par des effets de quartier. Dans les collectivités qui hébergent une importante proportion de ménages à faible revenu, l'accès à la santé, à l'éducation, aux installations récréatives ainsi qu'à l'emploi est restreint, et cela limite les possibilités.
Avant de conclure, j'aimerais souligner deux choses : le logement offre un ensemble de services avantageux à la personne et à la société, et le marché ne peut pas fournir de logements à la portée de tous les ménages. Une politique nationale en matière de logement devrait servir à garantir le fonctionnement sain d'un système de logement pour veiller à répondre de manière adéquate aux besoins en matière de logement.
Le président : Merci beaucoup. Nous avons maintenant deux personnes de l'Association nationale d'habitation autochtone. David Seymour fera l'exposé. Nous vous écoutons.
David Seymour, membre, conseil d'administration, Association nationale d'habitation autochtone : Nous nous attendions à ce que Patrick Stewart, président de l'Association nationale d'habitation autochtone, nous accompagne. Cependant, en raison du décès de sa mère, il n'a pas pu comparaître. Je suis venu à sa place.
Au nom de l'Association nationale d'habitation autochtone, j'aimerais vous remercier de nous accueillir. Nous avons comparu devant votre comité en 2007. Nous abordons cet enjeu à partir d'un problème simple et élémentaire : nous avons besoin de logements, et c'est urgent. Le rapport que vous avez préparé à partir de cette séance démontre clairement que, en matière de logement, les peuples autochtones sont représentés de manière extrêmement disproportionnée.
Je suis emballé d'entendre les différents points de vue sur une stratégie qui nous viennent de l'autre côté de la table. Avons-nous besoin d'une stratégie autochtone nationale en matière logement? Si cela nous donne de l'argent et des logements, oui. Sinon, alors nous perdons notre temps. Pour nous, la réponse est la suivante : nous avons besoin des ressources parce que le besoin est là.
Nous avons étudié l'autre problème et affirmé que le gouvernement fédéral devrait prendre la direction de la situation. Il l'a toujours fait, depuis 1867, en énonçant et en séparant des points de vue aussi complexes que l'article 91.24. Nous nous en sommes toujours remis au gouvernement fédéral pour qu'il veille à ce que la collectivité autochtone au Canada ait effectivement sa place au pays devant les villes et les provinces qui voulaient toutes les ressources que le peuple autochtone occupait, utilisait et dont il jouissait.
Nous avons pris la position que nous sommes tout simplement laissés pour compte. Si le gouvernement fédéral se préoccupait de nous, alors il ferait quelque chose. Nous ne sommes pas ici pour parler d'une manière aussi simple et élémentaire, même si les membres de mon association aimeraient bien que je le fasse. Le gouvernement fédéral a signé toutes ces ententes internationales dont M. Brown vous a parlé. Par exemple, il y a eu la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Toutes ces ententes ont été citées, examinées sous toutes leurs coutures et éreintées pendant la Commission royale sur les peuples autochtones qui a coûté au gouvernement fédéral quelque chose comme 65 millions de dollars. Bon Dieu, nous aurions bien besoin de cette somme maintenant. Ce type d'argent et ces ressources auraient pu construire beaucoup de maisons si ces mots étaient tout simplement restés sur des bouts de papier. Nous demandons leur résurrection et leur relecture. Des signes montrent que le gouvernement fédéral peut prendre la direction pour veiller à répondre aux besoins des peuples autochtones et mobiliser les provinces à cette fin. Cependant, nous avons le droit de dire à nos membres qu'il nous faut l'avoir pour autre chose que ce seul motif.
Il y a le motif économique. Ça ne prend pas la tête à Papineau pour savoir que l'Association nationale d'habitation autochtone est membre de l'ACHRU parce que nous croyons en la même chose, c'est-à-dire l'avantage économique et ce que nous appellerions l'horizontalité de l'interaction des autres programmes. Comme Mme Tanasescu, de Calgary, l'a souligné, cela ne tient pas qu'au logement; il est l'efficacité de l'ensemble du système à faire la lutte à la pauvreté. En premier lieu, il y a le besoin de logement, mais une fois que cela est en place, tous les autres programmes entrent en jeu.
En mobilisant le mouvement des Centres d'amitié, nous avons découvert qu'il a d'énormes ressources provenant des gouvernements fédéral et provinciaux pour offrir des services aux Autochtones. Cependant, si les populations sont itinérantes et mobiles, il n'est pas possible d'apporter des solutions à ces problèmes de nature sociale, qui coûtent très cher au contribuable.
Comme je l'ai dit à de nombreuses reprises par le passé, c'est la question de la hiérarchie des besoins. Il vous faut de la nourriture, des vêtements et un refuge avant de pouvoir régler la situation. Nous avons quantité d'exemples où nous avons construit de nouveaux logements pour accueillir de nouveaux locataires qui venaient d'une longue liste d'attente; ce n'est que là que nous avons découvert que, jusqu'à ce qu'on leur ait fourni un logement, on n'avait pas été en mesure d'établir, de résoudre et même d'imaginer leurs problèmes sociaux avant de leur avoir fourni un toit. Nous avons besoin d'une stratégie nationale en matière de logement pour les avantages collatéraux, l'interaction sociale ou l'avantage horizontal des autres.
Ceux qui ne croient pas à la nécessité d'une stratégie nationale en matière de logement ne réfléchissent qu'en fonction des arguments administratifs — c'est-à-dire qu'il est préférable de le faire au niveau local ou à d'autres niveaux. À ceux-là, nous disons que toute cette stratégie exclut la collectivité autochtone. S'il y a des tenants de cette approche autour de la table, nous vous suggérions que le gouvernement fasse une stratégie nationale autochtone en matière de logement, qu'il laisse ces gens se débrouiller eux-mêmes et qu'il nous permette d'aller de l'avant avec notre stratégie en matière de logement.
Nous avons embauché nul autre que le spécialiste du domaine, M. Pomeroy ici, pour formuler et étudier les chiffres qui soutiennent la position que nous connaissons d'instinct en examinant notre liste d'attente et la rumeur qui court. Nous avons participé au dénombrement des itinérants dans de nombreuses villes. Vancouver, d'où je viens, compte plus de 32 p. 100 d'itinérants, à quelques décimales près. Trente-deux pour cent de ces itinérants à Vancouver sont autochtones. Dans un pays qui ne compte que 3 p. 100 d'Autochtones, ils sont 10 fois trop représentés chez les itinérants.
Nous espérons publier notre étude d'ici la fin du mois. J'ai ici une version préliminaire qui montre les villes où le besoin est extrême. Nous en sommes venus à la conclusion que seulement pour endiguer la situation et nous harmoniser quelque peu, il nous faudrait environ 366 millions de dollars par année pour les 10 prochaines années. Nous l'avons divisé, parce que nous comprenons l'ensemble du spectre. On ne peut faire abstraction du fait que la population vieillit. On ne peut se cacher le fait qu'une fois que l'on s'occupe des itinérants, il faut s'occuper de la transition; quand vous vous occupez de la transition, il faut vous occuper de la famille. Une fois que vous vous occupez de la famille, il faut vous occuper des aînés. Nous avons également vu la nécessité prévoir des logements pour les étudiants.
Notre position est la suivante : non seulement il faut une stratégie, mais en plus elle doit être de nature exhaustive et couvrir tout le spectre des besoins en matière de logement — toutes les subdivisions, comme les besoins des personnes handicapées, des aînés et des étudiants, qui en font partie, ainsi que l'autre bout du spectre, c'est-à-dire la nécessité de l'accès à la propriété.
Il ne faut pas perdre de vue que nous disposons de ressources inutilisées parce qu'il est impossible d'y accéder pour des raisons morales, comme le phénomène que nous appelons les nids vides. C'est une maison construite dans les années 1980 à une époque où le gouvernement fédéral intervenait. De 1984 à 1996, 10 000 unités de logement ont été construites partout au Canada. Nous avons constaté cette croissance et l'avons consacrée aux personnes vulnérables qui, à l'époque, étaient les mères monoparentales. Par conséquent, 20 ans plus tard, les enfants de ces mères monoparentales ont grandi et ont besoin de leur propre maison. Ces mères occupent des nids vides aux chambres vides. Pour des raisons morales, vous ne pouvez pas les jeter à la rue et dire : « Je suis désolé, mais vous ne pouvez plus avoir ce logement de quatre chambres parce que vos enfants sont dans la vingtaine. » Nous nous retrouvons dans une situation de surpeuplement parce que la mère laissait sa fille amener son petit ami et, une chose menant à une autre, des familles multiples occupent le même logement. Nous perdons des logements parmi ceux qui existent déjà.
Nous parlons non seulement de la nécessité d'un plan global, nous voulons également endiguer la situation, réduire les besoins impérieux en matière de logement, conserver le nombre de logements existants, élaborer une stratégie de lutte contre l'itinérance et une stratégie d'accès à la propriété.
Notre position est la suivante : nous avons besoin d'une stratégie nationale, il faut y consacrer des ressources, et le gouvernement fédéral doit en prendre la direction.
Le président : Vos arguments sont très convaincants. Je crois qu'il ne fait aucun doute que le gouvernement fédéral a la principale responsabilité de répondre aux besoins des Autochtones.
Charles W. Hill, directeur exécutif, Association nationale d'habitation autochtone : J'aimerais faire un commentaire supplémentaire. À plusieurs reprises, les gens ont fait observer que le Canada a signé des documents relatifs aux droits humains au fil des ans. En ce qui concerne l'examen périodique universel, nous avons concentré nos efforts sur les droits des indigènes, qui incluent le droit au logement. Le Canada n'est pas l'un des signataires de ce document. J'aimerais que les gens en soient conscients lorsque je vais faire des commentaires portant sur le fait qu'il faut un changement dans l'attitude à l'égard des Premières nations, des Métis et des Inuits dans notre pays. Maintenant, à mon avis, des pressions vers l'assimilation semblent s'exercer.
M. Seymour a mentionné que l'Association nationale d'habitation autochtone fait partie de l'ACHRU. Nous aimerions penser que cela pourrait également être réciproque. Nous avons collaboré avec l'ACHRU au fil des ans, mais je pense que, à l'heure actuelle, la politique fédérale nous pousse précisément dans cette direction. Il faut qu'il y ait un changement d'attitude et que l'on reconnaisse les compétences et l'expérience que nous avons accumulées au cours des années par le truchement du Programme de logement pour les Autochtones en milieu urbain et le Programme de logement pour les ruraux et les Autochtones, grâce auxquels nous avons réussi à acquérir presque 20 000 unités partout au Canada.
En ce qui concerne les questions d'accès à la propriété, quelques programmes de logement pour Autochtones en milieu urbain dans différentes régions du pays permettent l'accès à la propriété.
Je voudrais faire une dernière remarque. En ce qui concerne l'accès à la propriété et si on y ajoute la préoccupation du changement des attitudes, la municipalité de Peterborough, en Ontario, cherche à prendre le contrôle des logements pour Autochtones en milieu urbain, ce qui correspond à environ 150 logements à Peterborough. Il y a plusieurs années, les deux organismes là-bas ont été mis sous séquestre, mais j'ignore pour quel motif; aujourd'hui, le séquestre veut vendre les unités et les acquérir.
Quand nous parlons d'accès à la propriété, ce n'est pas tout à fait ce que nous voulons dire. Nous voulons que la propriété revienne aux peuples autochtones. En ce qui concerne une stratégie nationale, nous en avons certainement besoin, parce que cette stratégie doit refléter le fait que le gouvernement fédéral est une fois de plus disposé à collaborer avec les peuples autochtones, peu importe où ils se trouvent, dans la réserve ou hors réserve. Nous ne pouvons pas continuer à être exclus de choses comme l'allocation budgétaire tout simplement parce que nous habitons des régions urbaines. Nous avons besoin d'un système de logement parallèle pour surmonter le racisme malheureusement toujours présent dans notre pays.
Je voulais ajouter ces remarques. Je ne parlerai sans doute plus.
Le président : Nous aimerions avoir votre participation pleine et entière.
David Snow, à titre personnel : J'irai en partie à contre-courant en affirmant que, en ce qui concerne précisément le logement, nous n'avons pas besoin et ne devrions pas avoir de stratégie nationale en matière de logement, et ce, pour trois principales raisons.
La première raison relève des compétences administratives. La politique en matière de logement est généralement considérée comme relevant de la compétence des provinces. En vertu de la définition fédérale des pouvoirs, des aspects de politique sociale qui en relèvent, jumelés à l'article 92.13 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, propriété et droits civils, le logement est considéré par pratiquement tout le monde comme un domaine de compétence provinciale. Comme le gouvernement fédéral s'est dégagé de la mise en œuvre et de la conception de plus en plus de programmes de logement, les provinces ont accepté leur rôle, en ce sens qu'elles veulent avoir les mains libres et ne veulent pas que le gouvernement fédéral leur dise comment dépenser leur argent dans quels programmes. Nous avons dépassé le point où les gouvernements provinciaux ou les sociétés de logement ont besoin de la direction du fédéral pour élaborer des politiques positives en matière de logement.
Deuxièmement, à l'internationale comme au pays, on retrouve de plus en plus de preuves démontrant que l'abordabilité est principalement affectée par des facteurs locaux et régionaux d'offre et de demande plutôt que par des facteurs nationaux. Même d'une province à l'autre, les facteurs qui ont une incidence sur l'abordabilité diffèrent complètement. Des facteurs comme les ressources, les changements démographiques, la population, l'augmentation de la croissance, la croissance du revenu, le climat physique, l'histoire, les ratios propriétaires-locataires, la répartition entre les zones urbaines et rurales et, tout particulièrement, les politiques locales sur l'aménagement du territoire imposent des différences considérables entre les villes, les régions et les provinces. Ce manque d'uniformité fait en sorte que les provinces ont des priorités différentes en matière de logement. Toute stratégie nationale en matière de logement cour le risque d'imposer une stratégie universelle aux provinces, voire aux municipalités, qui ont des besoins différents sur cette question.
Par exemple, des discussions sur une stratégie nationale en matière de logement portent souvent sur l'augmentation de la construction de logements locatifs, particulièrement les logements locatifs privés, en raison des taux d'inoccupation très élevés. Il ne fait aucun doute que cela serait inclus dans une forme de stratégie sur le logement. Au Nouveau-Brunswick, d'où je viens, ainsi qu'à l'Île-du-Prince-Édouard, les aspects problématiques actuels des besoins en matière de logement n'ont rien à voir avec les taux d'inoccupation des logements locatifs, qui sont plus bas comparativement à ce qui se voit ailleurs au pays. C'est l'un des exemples du type de problèmes qu'une stratégie nationale universelle en matière de logement pourrait créer.
Enfin, une stratégie donne l'occasion aux provinces de renvoyer les critiques au gouvernement fédéral. La politique en matière de logement est une compétence provinciale. Les provinces l'acceptent, mais dès qu'il y a une discussion sur les lacunes de cette politique, les premiers ministres provinciaux et leurs ministres responsables du logement attribuent inévitablement le blâme, pour le problème du logement comme pour de nombreux autres problèmes, au gouvernement fédéral.
Cela s'est produit à l'une des dernières réunions des ministres provinciaux responsables du logement : des ministres en sont sortis avec très peu de politiques concrètes relativement aux mesures qu'ils allaient prendre, mais ils étaient tous d'accord pour condamner le gouvernement fédéral pour n'avoir pas accordé suffisamment d'argent, sans tenir compte du fait que, l'année précédente, le gouvernement fédéral avait investi 1,4 milliard de dollars dans les fiducies pour le logement abordable.
Je voudrais également souligner que le fait que je fasse valoir cette position n'empêche pas le gouvernement fédéral de jouer un rôle quelconque. Cela ne l'empêche pas de s'engager à fournir un financement à long terme, ce qui, à mon avis, est très nécessaire. Que cet engagement à financer augmente, diminue, reste le même ou qu'il soit indexé selon l'inflation, les provinces doivent savoir, à long terme, quels seront les montants qu'ils obtiendront du gouvernement fédéral afin de pouvoir élaborer leurs propres programmes en matière de logement en toute connaissance des fonds qu'elles pourront engager à ce titre.
Cela n'empêche pas le gouvernement fédéral d'accroître son engagement à l'égard des plus pauvres, pour atténuer la pauvreté par le truchement de crédits d'impôt, d'aide sociale, de refonte du bien-être social ou quoi que soit d'autre du même genre. Bien entendu, cela ne s'applique pas aux logements pour les populations autochtones et du Nord, où le gouvernement fédéral a très certainement le principal rôle en matière de financement. C'est tout ce que j'ai à dire pour l'instant.
Le président : Merci beaucoup. Madame Regehr, c'est à votre tour.
Sheila Regehr, directrice, Conseil national du bien-être social : Je vous remercie de m'avoir invitée. Je félicite le comité pour son excellent travail.
L'organisme de M. Rainer et le nôtre ont des origines similaires, mais nous avons été créés deux ans plus tôt, de sorte que nous nous penchons sur ces questions depuis presque 40 ans maintenant.
En réponse à la question de savoir si nous avons besoin d'une stratégie nationale, d'après notre expérience des 40 dernières années, nous répondons manifestement : « oui ». La non-stratégie non nationale est tout simplement trop onéreuse et ne produit pas de résultats. Cela correspond à ce que d'autres témoins ont dit. Il nous faut trouver des moyens d'investir qui rapportent davantage.
L'un de nos membres est un homme d'affaires en vue de Hamilton, qui travaille également à la stratégie anti-pauvreté de Hamilton : il aborde les questions auxquelles nous faisons face comme s'il s'agissait d'une entreprise. Il a dit très franchement que s'il s'agissait d'une entreprise anti-pauvreté que nous dirigeons dans ce pays, les gens hurleraient pour qu'on mette la clé dans la porte et que l'on n'essaie pas de la renflouer : ça ne fonctionne tout simplement pas. Même en tant que contribuables, nous devons examiner de près la quantité d'argent que nous investissons dans quelque chose qui ne produit pas de résultats.
J'aimerais également insister sur la question de la complexité, dont d'autres témoins ont parlé. Cet écheveau de programmes que nous avons est tellement complexe, un véritable parcours avec des obstacles, des sauts et des dédales. Voilà ce qui crée bon nombre des problèmes qui nous rongent. Ce n'est pas comme si cette complexité dont nous parlons nous était tombée dessus : nous l'avons créée, ce qui signifie que nous pouvons la démêler, mais ce sera difficile.
J'aimerais également répondre à la question de savoir s'il nous faut une stratégie anti-pauvreté ou une stratégie sur la pauvreté, le logement et l'itinérance. D'après toutes les discussions que nous avons eues avec nos membres, la stratégie doit porter sur tous ces sujets et encore davantage. Quand nous avons publié notre rapport sur les solutions à apporter à la pauvreté, nous avons examiné ce que d'autres pays et d'autres administrations au Canada faisaient et ce qui fonctionnait le mieux. Dans le cas de la plupart des pays européens qui connaissaient des réussites, nous avons découvert que les efforts de lutte contre la pauvreté qu'ils déployaient étaient étroitement intégrés à des enjeux sociaux et économiques plus importants.
J'ai passé en revue une pile de coupures de journaux que j'ai compilées au cours des derniers jours, et certaines des histoires qu'on y retrouve sont incroyables. Par exemple, une grande partie des femmes immigrantes d'une collectivité de Toronto sont des parents, sont bien éduquées, prêtes à travailler et capables de le faire, mais elles ne peuvent quitter la maison parce qu'il n'y a pas de services de garde pour leurs enfants, peu importe qu'elles puissent se le permettre ou pas. Toutes ces choses sont si étroitement liées que tout effort qui n'en tient pas compte dans leur ensemble est voué à l'échec.
J'ai une remarque quelque peu imprévue concernant votre deuxième question sur la compétence dans ces domaines qui revient principalement aux provinces et aux territoires. C'est tout particulièrement intéressant, parce qu'à la dernière réunion de notre conseil, bon nombre de nos membres qui travaillent surtout dans leurs collectivités locales et provinciales auraient dit la même chose. Nous avons examiné de près le rôle fédéral, tout particulièrement dans le domaine de la sécurité du revenu. Tous les éléments de preuve laissent croire le contraire : les investissements dans les domaines qui comptent viennent du gouvernement fédéral, qui possède une capacité que les gouvernements provinciaux et territoriaux et les administrations municipales ne peuvent avoir. Si le gouvernement fédéral ne met pas en place les bons éléments de fondation, tous les autres ordres de gouvernement se bousculent pour boucher les trous. C'est inefficace.
Une grande partie de ce que je voulais dire renvoie à ce que d'autres témoins ont dit sur le rôle habilitant du gouvernement fédéral. Dernièrement, tout comme d'autres, j'ai été préoccupé à propos de la manière de cibler et de l'approche que nous prenons à ce sujet. D'une certaine manière, j'aimerais souscrire à l'opinion de M. Snow, même quand il a commencé à dire que son point de vue pourrait être un peu différent. D'une certaine manière, je suis d'accord, mais c'est une question de gouvernance. À mon avis, la question consiste non pas à déterminer qui devrait participer à une stratégie nationale, mais bien comment les différents acteurs peuvent participer. C'est là la clé.
Dans de nombreux domaines, je serais d'accord avec vous, sans faire de remarques précises sur les éléments particuliers que vous avez mentionnés. Quand on examine le gouvernement fédéral de manière logique, les efforts de ce dernier devraient porter sur le portrait d'ensemble, le long terme, l'établissement d'une base solide et la prévention. Il y a de nombreuses années, le système d'assurance-emploi a été conçu comme un moyen de prévention de la pauvreté, et les gens ont tendance à l'oublier.
Le gouvernement fédéral est également plus éloigné de nombreuses personnes. J'entends beaucoup de discussions à l'échelle fédérale portant sur des programmes ciblés. À mon avis, ce n'est pas la place du gouvernement fédéral, il n'a pas la capacité de bien cibler. Il a une incroyable capacité pour jeter des bases, particulièrement en matière de revenu. Il fournit déjà un revenu de base à de nombreuses personnes. Pour l'essentiel, cela n'inclut pas des adultes en âge de travailler. C'est l'une des pièces du casse-tête qu'il faut trouver, et il y a différentes manières dont nous pourrions envisager de faire ça.
Quand vient le temps de cibler des programmes et d'examiner qui en a besoin — j'aimerais vous montrer la carte postale statistique que nous avons préparée pour notre quarantième anniversaire —, il y a de nombreuses fausses idées sur la manière dont nous traitons différentes parties de cette population que nous considérons comme étant pauvre ou à risque de l'être. L'un des mythes auquel nous faisons face tout le temps est celui que tous ces pauvres vivent du bien-être ou sont des cas difficiles accablés de problèmes. D'après notre recherche, seulement 34 p. 100 des familles en âge de travailler qui vivent sous le seuil de la pauvreté ont touché un revenu provenant de l'aide sociale en 2006. Tout un revenu. D'autres recherches montrent qu'environ la moitié de ces personnes toucheront des prestations de bien-être qu'ils ajouteront à un revenu d'emploi pendant l'année.
Il y a de nombreuses personnes qui n'ont pas de besoins complexes. Ils ont besoin de logements abordables et de services de garde pour leurs enfants, tout comme nous. Ils ont besoin d'argent. En les privant de cela, nous créons des besoins multiples et plus graves, nous aggravons la pauvreté et l'itinérance et les problèmes multiples qu'il nous faut résoudre, ce que nous n'arrivons tout simplement pas à faire maintenant.
Le président : Merci beaucoup. M. Snow et vous-même avez examiné en profondeur toute la question du rôle fédéral et la possibilité que nous mettions sur pied une stratégie nationale. Le rôle fédéral consiste-t-il à verser de l'argent aux provinces, qui seraient les principales responsables? Jusqu'à quel échelon cet argent devrait-il aller, pour ce qui est de l'élaboration des politiques? On a entrepris une discussion très intéressante quant à l'intérêt de mettre sur pied une politique nationale, ainsi qu'à des questions de droits.
Notre greffière, Mme Hogan, prendra le nom de ceux qui veulent participer à la conversation. Vous pouvez ajouter à vos arguments ou réfuter ceux des autres, c'est comme vous voulez. Bien sûr, mes collègues, les sénateurs ici présents, participeront aussi à la discussion.
Je vais donner la parole à chacun de mes collègues ici présents, comme nous le faisons normalement dans le cadre de nos audiences. Au Sénat, nous sommes tous rompus à l'interrogation des témoins; nous voulons toujours en savoir plus. On vous adressera peut-être des commentaires, mais on vous posera beaucoup de questions. Certaines de ces questions pourraient viser un témoin en particulier ou concerner un sujet intéressant deux ou trois témoins, mais nous tenterons d'intégrer les autres.
Lorsqu'on vous donnera la parole pour répondre à la question d'un sénateur, si vous avez quelque chose à dire au sujet des propos tenus par quelqu'un d'autre au tour précédent, allez-y. Vous êtes libre d'aborder le sujet que vous aviez à l'esprit lorsque vous avez demandé qu'on inscrive votre nom sur la liste. Si vous voulez aborder les deuxième et les troisième thèmes, les gouvernements provinciaux et territoriaux et les collectivités locales, je ne déclarerai pas vos propos irrecevables, car je suis aussi conscient du temps dont nous disposons. Nous voulons nous attaquer à ces questions, et que nous le faisions au cours de la discussion à venir ou par la suite est sans importance. Sur ce, je vais commencer par poser une question qui visera certains d'entre vous, mais, comme je l'ai dit, vous pouvez aussi parler d'autres choses.
Nous avons à plusieurs reprises entendu parler de la question des droits. Le travail axé sur les droits internationaux, les accords de l'ONU et ces choses-là pourrait, à certains égards, nous écarter de la voie qui consiste vraiment à entreprendre les réformes et la restructuration nécessaires des systèmes, quel que soit l'ordre de gouvernement. Toutefois, à d'autres égards, il s'agit du fondement des mesures prises à l'échelon fédéral ainsi qu'aux autres échelons — l'échelon provincial, à tout le moins, car, aux termes de la Constitution, ces deux ordres sont responsables de ces accords. Certains considèrent que ces choses créent le genre de fondement qui assure la prise de mesures et la responsabilisation.
S'agit-il d'une diversion, ou devrait-on faire cela parallèlement, et tenter d'enchâsser ces droits dans le droit canadien? Je crois que c'est cela que vous proposez. Nous avons des accords internationaux, certes, et nous sommes responsables devant l'ONU ou quelque autre organisme, mais proposez-vous qu'on intègre aussi ces choses au droit canadien? Le cas échéant, quels seraient les instruments précis qui, selon vous, permettraient de le faire? Combien de temps et d'efforts devrait-on investir dans ce secteur d'activité, par rapport à la restructuration des systèmes et des programmes qui visent à combler les besoins des gens?
M. Shapcott : C'est une question cruciale. Lorsqu'on aborde la question du logement selon l'approche axée sur les droits, on fait abstraction du degré de misère d'une personne; il n'y a pas lieu de se demander si la situation d'une personne qui inspire la compassion et la pitié et si son cas est plus grave que celui d'une autre personne. Le public exhorte le gouvernement, en quelque sorte, de faire preuve de bienveillance et de dire tout simplement que c'est un droit fondamental de tous les Canadiens, de reconnaître le droit international qu'il a ratifié ainsi que l'obligation fondamentale qu'ont tous les gouvernements de s'assurer que ce droit est respecté. Cela ne signifie pas nécessairement qu'il doit construire chaque logement du pays, mais il doit s'assurer que les gens ont accès au logement.
J'ai donné à la greffière un exemplaire du rapport de Miloon Kothari, Rapporteur spécial, qui porte sur le logement convenable en tant qu'élément du droit à un niveau de vie suffisant, déposé en mars auprès du Conseil des droits de l'homme des Nations Unies. Dans les paragraphes 88 à 111, il précise ce que signifie le droit au logement dans le contexte canadien.
Il importe de comprendre que, à l'ONU, le droit au logement n'est pas un simple concept théorique, une série d'énoncés de valeurs abstraits; au contraire, l'ONU a entrepris un travail détaillé sur la signification du droit au logement en termes concrets. Par exemple, l'observation générale no 4 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU établit les paramètres du droit au logement, ce qui est pertinent pour le Canada à la lumière du paragraphe 94 du rapport du Rapporteur spécial de l'ONU.
La définition du besoin impérieux de logement est une mesure statistique conçue par la Société canadienne d'hypothèques et de logement et Statistique Canada. Le Canada mesure trois dimensions de la sécurité du logement : son caractère abordable, convenable et habitable. Selon l'ONU, il y a en fait huit dimensions à la sécurité du logement. La Nouvelle-Zélande mesure l'ensemble des huit dimensions du logement et de la sécurité, donc elle aborde d'autres enjeux.
Je ne veux pas déprécier Statistique Canada, qui jouit d'une très bonne réputation, ni la Société canadienne d'hypothèques et de logement, mais, lorsqu'il est question de déterminer ce que devrait faire le gouvernement fédéral, il serait important d'améliorer la qualité de l'évaluation des enjeux au chapitre du logement. Je reprends l'appel de Mme Eberle et de M. Ducan Maclennan pour une approche systémique en matière de logement : nous devons établir des mesures statistiques beaucoup plus robustes. Au risque de me faire taxer de simple comptable pédant, si on ne peut mesurer une chose, on ne peut pas la gérer. C'est une maxime fondamentale de l'école de commerce, et elle s'applique aussi aux politiques sociales.
Actuellement, l'instrument d'évaluation le plus généralement accepté dans le domaine est la mesure du besoin impérieux de logement. Toutefois, cet instrument donne lieu à un sous-dénombrement important des gens qui vivent dans des logements surpeuplés, ceux qu'on appelle souvent les sans-abri invisibles, dont Mme Eberle a parlé. Même les statisticiens qui administrent cet instrument reconnaissent qu'il ne tient pas compte adéquatement d'un certain nombre de ces facteurs.
L'adoption d'une approche axée sur les droits ne consiste pas simplement à faire de grandes déclarations générales; il faut vraiment définir les dimensions et les éléments précis qui se rattachent au droit au logement et les intégrer.
Le Canada a ratifié un certain nombre de traités internationaux, bien qu'il n'ait pas ratifié le traité sur les peuples autochtones, et nous sommes d'accord avec l'ANHA pour dire qu'il devrait être signé immédiatement. Toutefois, il n'y a aucune disposition canadienne selon laquelle nous devons enchâsser nos obligations internationales dans le droit national. Aux États-Unis, une disposition constitutionnelle prévoit que, dès que le Congrès ratifie un traité international, il est directement enchâssé dans le droit national. Au Canada, il faut amorcer un processus, et c'est aussi quelque chose que recommande le Rapporteur spécial.
Toutefois, les tribunaux peuvent interpréter nos obligations internationales, et c'est ce qu'ils font. Récemment, à Victoria, il y a eu un litige concernant un itinérant qu'on arrêtait constamment aux termes d'un règlement municipal qui interdit de dormir dans les parcs publics. L'affaire fait maintenant l'objet d'un examen par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, je crois. C'est la Cour suprême de la Colombie-Britannique qui a tout d'abord statué que ces règlements municipaux contrevenaient au droit au logement, puisque la municipalité est visée en partie par l'obligation générale qui incombe à tous les ordres de gouvernements canadiens de respecter le droit international en matière de logement.
D'autres affaires semblables seront présentées aux tribunaux, et je suis raisonnablement certain que les juges commenceront à interpréter le droit canadien en fonction de certaines de nos obligations internationales. Bon nombre d'avis juridiques laissent croire que c'est le cas.
Je sais que personne ici n'a envie d'entreprendre une discussion constitutionnelle. Toutefois, on m'invite assez souvent à présenter des exposés sur le logement et la constitution canadienne devant des étudiants de première année en droit. Il n'est pas sorcier de comprendre où s'inscrit le logement dans notre Constitution. Voici la réponse simple : nulle part.
En 1867, lorsque des bureaucrates rédigeaient notre Constitution à Londres, je suis certain qu'ils n'ont pas pensé que le logement était un enjeu gouvernemental. Le Canada était un pays rural en 1867. Si vous vouliez une maison, vous abattiez un arbre et vous en construisiez une. Quel rôle le gouvernement pourrait-il bien jouer à ce chapitre?
Lorsque notre Constitution a été modifiée, en 1982, le logement, encore une fois, n'a pas été mentionné explicitement. Le logement a été mentionné pour la première fois dans une discussion constitutionnelle au moment de l'Accord de Charlottetown — il avait alors été confié aux provinces —, mais, bien sûr, l'Accord de Charlottetown a été rejeté au moment de la mise aux voix, de sorte que, en principe, il n'a jamais été promulgué à l'échelon national, quoique certains pourraient faire valoir que, de façon détournée, il y a effectivement eu un changement constitutionnel.
Il est important de noter que, en 2001, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ont tous signé l'Entente concernant le logement abordable, qui établit une relation entre les gouvernements fédéral et provinciaux à l'égard des enjeux liés au logement. Par la suite, toutes les provinces et tous les territoires ont signé une série d'ententes bilatérales sur le logement. Ces ententes sont aujourd'hui communément appelées l'Initiative en matière de logement abordable, qui consiste essentiellement à appliquer un modèle uniforme d'un océan à l'autre, même s'il y a de légères variations d'une province à l'autre.
La dernière fois que le gouvernement fédéral a annoncé quelque chose à ce sujet, c'était dans le cadre du budget, en janvier, à savoir un financement de 2 milliards de dollars affecté au logement abordable et 400 millions de dollars pour le logement dans les réserves autochtones. La plupart de ces fonds sont versés dans le cadre des ententes sur le logement déjà en place. J'ai déposé, auprès de la greffière, une copie d'une feuille que j'ai préparée qui décrit où va cet argent.
J'aimerais aborder plus tard plusieurs des instruments particuliers à l'égard desquels, à notre avis, le gouvernement fédéral devrait participer. Oui, les droits liés au logement sont très importants, et ils se rattachent à des questions importantes, comme le procédé que devraient adopter Statistique Canada et la Société canadienne d'hypothèques et de logement pour concevoir une mesure qui nous permettrait de déterminer où nous en sommes afin de comprendre où nous devons aller.
Le président : J'aimerais aussi savoir de quels instruments nous avons besoin pour assurer ces droits.
M. Rainer : Un livre intéressant intitulé Inventing Human Rights, par l'historienne américaine Lynn Hunt, porte sur les origines des droits de la personne, qui sont très récents, car ils ne remontent qu'à quelques siècles. Je suis fasciné par cet exposé, car, sur une très courte période de l'histoire de l'humanité, nous sommes passés de la plus profonde ignorance de ce qu'est un droit de la personne à la mise à l'avant-plan de ce concept dans un large éventail de domaines.
L'ouvrage porte entre autres sur la façon dont notre espèce évolue et notre dynamique sociale et culturelle. L'auteure explique qu'un droit de la personne revêt ce statut du moment que la majorité réprouve une situation particulière. Je crois que la majorité des citoyens du monde actuel réprouveraient la torture. Si je ne souscris pas aux arguments de quelqu'un et, par conséquent, je lui lance un coup de poing à la figure, mon geste serait immédiatement et universellement réprouvé.
Quant à la pauvreté du point de vue des droits de la personne, la majorité des citoyens réprouvent de plus en plus la faim et l'itinérance. Par conséquent, les gens ont droit à la sécurité alimentaire et au logement, et je ferais valoir qu'ils ont droit à la sécurité du revenu; ils ont le droit de ne pas être pauvres. Ces droits ont été enchâssés dans le droit international à partir de la déclaration de l'ONU de 1948, et dans les instruments subséquents.
J'attire votre attention sur ce bulletin d'information, qui contient un article de Bruce Porter et de Leilani Farha, qui sont peut-être aussi déjà venus témoigner devant le comité. M. Porter et Mme Farha, des sommités canadiennes en matière de société civile, s'intéressent aux droits de la personne internationaux, particulièrement aux droits économiques et sociaux. L'article décrit le contexte entourant l'Examen périodique universel, qui a déjà été mentionné. Je vous invite à y jeter un coup d'œil.
Amnistie Internationale, à mon avis l'une des cinq organisations non gouvernementales les plus reconnues au monde, vient de lancer sa campagne internationale Exigeons la dignité, qui est axée sur la pauvreté dans l'optique des droits de la personne. Ce sera la plus importante campagne entreprise par Amnistie Internationale au cours de ses 60 années d'existence. C'est un pas important, car nous n'avons pas beaucoup entendu Amnistie prendre la parole dans la lutte contre la pauvreté — certainement pas dans les années 1970, puisqu'elle n'était pas au Canada —, mais sa présence se fera bientôt sentir, particulièrement en ce qui concerne les Autochtones. Je crois que c'est sur cet aspect qu'elle concentrera son attention au Canada.
Je vais vous lire un passage de la brochure, dont vous pouvez obtenir un exemplaire au bureau d'Amnistie à Ottawa. Cet extrait s'inscrit tout à fait dans notre discussion :
Quel que soit le plan adopté, quels que soient les projets sélectionnés, quel que soit le programme d'aide convenu, une solution à la pauvreté qui n'est pas fondée sur la notion des droits de la personne ne saurait avoir un impact à long terme. La protection des droits de ceux qui vivent dans la pauvreté n'est pas seulement une option, c'est la clé de voûte de toute solution.
La croissance économique est un aspect important de toute stratégie visant à enrayer la pauvreté, mais elle ne saurait être le seul. Les gouvernements doivent créer les conditions qui permettent aux gens vivant dans la pauvreté de revendiquer leurs droits de la personne et de se prendre en main afin d'être maîtres et non victimes de leur destinée.
Au Canada, nous avons la Charte des droits et libertés, et nombre de ses dispositions se rattachent au thème de la pauvreté, du logement et de l'itinérance. Nous nous intéressons particulièrement à l'article 7, qui prévoit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. En particulier, le concept de « sécurité de la personne » a été interprété par les tribunaux canadiens de sorte qu'il englobe plus que la sécurité physique — car, en droit international, le concept de sécurité de la personne tire ses origines du fait que les États ne pouvaient arrêter et détenir des gens sans justification et tout le reste —, ainsi l'interprétation de la notion de sécurité de la personne s'élargit d'année en année, et elle comprend maintenant l'intégrité physique et psychologique. Du moment que les États minent l'intégrité physique et psychologique d'une personne en prenant ou en refusant de prendre des mesures, ils sont jugés par les tribunaux comme ayant contrevenu à la Charte et, du coup, à la Constitution.
M. Shapcott a fait allusion à l'affaire qui a eu lieu à Victoria, dont j'ai aussi pris connaissance récemment. C'est une affaire fascinante, car c'est l'une des premières décisions où l'on évoque l'article 7 de la Charte et la sécurité de la personne pour ce qui est du droit au logement et le fait qu'une personne ne peut se voir refuser le droit au logement — en l'espèce, le droit qu'ont les gens de construire leur propre abri sur un lieu public. C'est la décision judiciaire. Elle a été portée en appel, et nous espérons que l'appel sera rejeté. Si vous désirez, chers sénateurs, obtenir de plus amples renseignements sur cette affaire, le Poverty and Human Rights Centre de Victoria, dirigé par des avocats experts en la matière, a produit un bon résumé, un examen très à-propos d'une affaire particulièrement importante.
Encore une fois, notre organisme a toujours souscrit à l'idée selon laquelle la pauvreté est une question de droits de la personne et qu'une stratégie et une approche relatives aux problèmes de la pauvreté et du logement doivent être ancrées dans une démarche axée sur les droits de la personne.
Mme Regehr : J'évolue dans le domaine des droits de la personne depuis un bon nombre d'années. Deux ou trois choses me viennent à l'esprit au sujet de votre question, à savoir si l'on devrait enchâsser ces droits dans le droit canadien. Certains feraient valoir que nous aurions intérêt à procéder ainsi, mais, d'un point de vue plus pragmatique — pertinent à notre discussion —, nous devons mettre ces droits en pratique. Au Canada, cela n'a jamais été fait, à ma connaissance, d'une façon coordonnée et complète.
Tous ces instruments relatifs aux droits de la personne sont assortis d'un cycle redditionnel régulier. Dans la plupart des cas, il s'étend sur quatre ans. La plupart des gouvernements attendent que la période quadriennale soit presque échue. Dans mon ancienne vie, j'étais la personne à l'interne responsable de la coordination de ces choses. On attend que les quatre années soient presque écoulées. On se précipite ensuite pour voir ce qu'on a fait qui pourrait se rapporter au droit en question, puis nous consignons cela par écrit et nous nous présentons devant le comité. Il nous dit : « Nous ne comprenons toujours pas ce qui se passe au Canada, et nous ne pouvons pas vous dire si vous vous améliorez. Aidez-nous. » Nous revenons, puis nous attendons encore quatre ans.
Lors de la dernière réunion que nous avons tenue avec des représentants fédéraux à la suite de l'Examen périodique universel, on a vraiment fait un exercice constructif de remise en question de la façon dont nous procédons à ce chapitre, et cela s'inscrit parfaitement dans l'idée de mettre sur pied une stratégie nationale pour aborder plusieurs de ces choses, particulièrement les droits progressifs contenus dans les pactes relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels, par exemple, qui sont au cœur de nombre des enjeux auxquels nous faisons face. C'est un rappel constant, que j'ai constaté à l'échelle du pays, du fait que le gouvernement fédéral canadien est habilité à signer ces ententes internationales; pourtant, la pratique canadienne consiste à ne jamais signer ces importants traités à sans l'aval de l'ensemble des provinces et des territoires. Les autres administrations ont adopté ces mesures. Elles ont témoigné leur appui et elles ont des responsabilités.
Si on peut mettre sur pied une stratégie nationale assortie d'un cadre axé sur les résultats, on aura un bon outil pour faire progresser ces types de droits. Le Conseil national du bien-être social et peut-être quelques autres organismes ont récemment été invités à commenter une sorte de bulletin sur les droits de la personne qu'étudie actuellement la Commission canadienne des droits de la personne, et la plupart des mesures qu'on trouve relativement aux droits économiques, sociaux et culturels sont de la même étoffe que celles que nous utilisons pour mesurer la pauvreté, l'inégalité, l'itinérance et l'accès à l'éducation — toutes les choses qui comptent. Il y a un énorme consensus concernant l'utilisation de la stratégie nationale comme instrument et outil et cadre qui nous aiderait à atteindre les objectifs et à obtenir les résultats nécessaires.
Le président : J'ai quelque chose à dire au sujet de l'exposé de M. Shapcott. Nous avons effectivement invité le Rapporteur spécial de l'ONU devant le comité. Il nous a parlé de ces enjeux, donc nous avons quelques connaissances à ce chapitre.
M. Snow : Je crois que M. Shapcott a tout à fait raison en ce qui concerne la Constitution et la répartition des pouvoirs, le logement ne relève pas de la compétence fédérale. Les dispositions de l'article 92 de la Constitution, en particulier l'article 92.13, propriété et droits civils, et l'article 92.16, les matières d'une nature locale ou privée, ont beaucoup plus de poids. Ces dispositions se rattachent beaucoup plus au logement que celles de l'article 91, qui portent sur les pouvoirs fédéraux. Compte tenu de la façon dont la Cour suprême et le Comité judiciaire du Conseil privé avant lui ont interprété la répartition des pouvoirs, bien qu'il n'y ait pas encore eu de litige ayant pour objet le conflit en question, il est clair que, si cette question devait être tranchée, les provinces obtiendraient gain de cause. À mon avis, le gouvernement fédéral ne le contesterait même pas.
En ce qui concerne l'autre question constitutionnelle, à savoir si les droits constituent un mécanisme efficace ou, au contraire, une distraction au chapitre du logement, je suis un peu plus sceptique. Si le droit au logement était inscrit dans la Charte ou, plus précisément, si un article de la Charte — probablement l'article 7 — était interprété comme un droit au logement qui découle du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, il faudrait alors se demander quelles seraient les retombées sur les politiques. Comment appliquerait-on ce droit au logement? La réponse serait inévitablement la même que pour tous les droits assurés par la Charte dans le pays : il serait appliqué par les tribunaux. En quoi les tribunaux peuvent-ils vraiment contribuer à façonner la politique sur le logement, et a-t-on intérêt à dépendre des tribunaux à ce chapitre?
La décision de la Colombie-Britannique portait sur le droit d'un sans-abri ou d'un groupe de sans-abri d'établir un refuge sur un terrain public. Ce n'est pas du tout la même chose que d'ordonner au gouvernement de construire des logements pour ces gens. Je ne crois pas que les tribunaux remporteraient un grand succès à établir des politiques gouvernementales.
Si les tribunaux étaient vraiment habilités à le faire et appliquaient ce droit, que prescriraient-ils dans leurs décisions? L'une des difficultés au chapitre des politiques sur le logement abordable et l'itinérance, c'est que des personnes raisonnables et intelligentes ne s'entendent pas sur les principes stratégiques qui sous-tendent la question du logement. Je vais vous donner un exemple : les travaux de recherche universitaire internationaux sont de plus en plus nombreux à démontrer que les politiques restrictives en matière d'utilisation des terres ont une plus grande incidence sur la hausse des prix du logement et les problèmes qui se rattachent à l'offre que les facteurs liés à la demande, comme la croissance du revenu et la croissance démographique. Des gens comme Paul Krugman, lauréat du prix Nobel, Donald Brash, gouverneur de la Banque de réserve de Nouvelle-Zélande, Edward Glaeser, professeur à l'Université Harvard et même l'OCDE l'ont reconnu.
Cela signifie que la réglementation de l'utilisation des terres, comme les politiques de croissance intelligente — et je ne serais pas étonné que plusieurs personnes ici présentes en soient des adeptes —, se sont révélées d'importants obstacles au logement abordable. Les marchés métropolitains les plus restrictifs au monde, où le prix du logement est le plus élevé, ont les politiques d'aménagement du territoire les plus restrictives.
Les tribunaux statueraient-ils alors que, par exemple, on ne peut plus mettre en œuvre des politiques de croissance intelligente parce qu'elles nuisent au logement abordable? On ne pourrait plus appliquer aucune forme de réglementation sur l'utilisation des terres. Si la recherche internationale et canadienne continuait à faire état d'une telle tendance et qu'il y avait un solide lien causal entre ces types de politiques, serait-on à l'aise de laisser aux tribunaux le soin de trancher ces questions?
Je suis plutôt en faveur de la volonté politique comme outil pour faire évoluer les politiques liées au logement abordable et à l'itinérance. Si nous nous appuyons sur les droits dans notre pays, nous nous dirigeons inévitablement vers une solution judiciaire. À mon avis, il n'est pas idéal de charger ce secteur d'établir de bonnes politiques sociales.
M. Seymour : Je ne suis pas d'accord avec M. Snow. Je crois que tous les droits dont jouit la communauté autochtone ont été acquis grâce à la reconnaissance des droits.
Je dois parler de l'argument qui privilégie l'article 92 sur l'article 91 lorsqu'on parle des aspects constitutionnels. Il y a des données probantes sans équivoque et des décisions judiciaires reconnues à l'appui de la doctrine de l'arbre appliquée à notre Constitution. Elle évolue effectivement. Nous avons vu le droit pénal évoluer; les provinces ont pris les rênes et elles ont progressivement acquis une compétence en matière pénale. Nous avons vu les provinces jouer un rôle dans les affaires étrangères; nous n'établissons pas une frontière rigide. C'est le bon vieux concept de fédéralisme coopératif.
Le logement est la responsabilité de tout le monde. Si vous vous reportez à l'ouvrage de Thomas Berger intitulé Liberté fragile : droits de la personne et dissidence au Canada, il présente une réflexion sur la façon dont nous avons obtenu notre Charte. Il parle de notre histoire et de la naissance des droits enchâssés dans la Charte. Ils sont un reflet de l'expérience canadienne.
Les droits évoluent jusqu'à incarner le contrat social qui régit notre vie. À un certain moment, la société se dit qu'elle reconnaît que ce droit appartient aux personnes. Pour arriver à ce stade, nous devons avoir vécu une situation horrible.
Les membres de l'Association nationale d'habitation autochtone croient que nous avons ce droit en vertu de trois différentes sources. Premièrement, les pactes internationaux qui ont été conclus. Le droit dont nous jouissons est fondé sur le besoin disproportionné de la communauté autochtone. De fait, nous pourrions faire valoir notre droit devant des tribunaux internationaux : tant et aussi longtemps que le Canada n'enregistrera pas la même proportion d'itinérants chez les Autochtones que chez les non-Autochtones, nous devrions jouir d'un droit absolu en matière de logement.
Deuxièmement, nous sommes d'avis que la responsabilité du gouvernement fédéral pour le logement dans les réserves est inscrite dans la Constitution, à l'article 91.24. Ce droit découle d'une obligation fiduciaire qui incombe au gouvernement, dans les réserves comme à l'extérieur, de façon universelle.
La troisième source du droit que l'on pourrait reconnaître, c'est que le Canada a pris naissance et a pris son essor économique en exploitant des ressources. Ces ressources ont été acquises par la décimation de la population autochtone — prenez l'exemple de la Colombie-Britannique — au moyen de la propagation de maladies et de toute sortes de moyens d'écarter la population en vue d'accéder librement aux ressources.
On peut parler de toutes les choses que le Canada a fait subir au peuple autochtone au fil des années, qui l'ont mis dans une position désavantageuse. Par conséquent, ces gens ne peuvent pas se procurer les mêmes avantages que les autres Canadiens ni en jouir. Nous avons été témoins de l'évolution du Canada dans la reconnaissance de ses torts lorsque le gouvernement du Canada a présenté ses excuses au sujet de la politique des pensionnats, qui a affligé tant de générations et dont nous tenterons encore de nous remettre pendant de nombreuses années.
Le phénomène est manifeste dans le domaine du logement, même aujourd'hui. Comme j'en ai déjà parlé, lorsque nous avons placé des Autochtone dans des logements, nous avons découvert que, des résidents de 20 unités, 15 avaient été victimes d'abus sexuels dans les pensionnats ou par ricochet, car une fois qu'on crée une victime d'abus sexuel, elle finit par jouer le rôle de l'agresseur auprès des générations suivantes. Par conséquent, nous devons nous attaquer à ce problème.
Le gouvernement du Canada a le devoir moral de rétablir la situation. En ce sens, il est nécessaire de l'intégrer aux droits.
Le sénateur Segal : J'ai cinq questions brèves, d'une seule phrase. Je vais les faire inscrire au compte rendu, et les personnes à qui elles s'adressent auront le choix d'y répondre ou non.
Je crois que c'est M. Brown qui a dit qu'il existe des modifications du régime fiscal qui découragent fortement la construction de logements privés. Pourrait-il expliquer au comité quelles sont ces modifications? Dans la mesure où elles sont du ressort fédéral, nous devrions pouvoir les examiner.
Mme Tanasescu a formulé une remarque au sujet du capitalisme et de la pauvreté qui donnait à croire que ces deux choses étaient complémentaires, comme le lait et les biscuits. J'aimerais comprendre si, à son avis, le fonctionnement du capitalisme ne suppose pas un certain degré de pauvreté. Le cas échéant, pourrait-elle nous expliquer son point de vue à ce sujet?
De plus, son groupe de Calgary a déclaré que la fin de l'itinérance sera manifeste — corrigez-moi si j'ai tort — lorsque aucun sans-abri ne passera plus d'une semaine dans un refuge avant d'être placé dans un type de logement permanent et convenable. A-t-elle des idées sur la façon dont nous pourrions enrayer la pauvreté? Si l'itinérance est quelque chose qui n'est tolérée que pendant une semaine à Calgary — grâce à ce que font sa stratégie et son comité —, son comité a-t-il des idées en ce qui concerne la pauvreté, ou nous contentons-nous seulement de dire que c'est un peu comme du lait et des biscuits qu'ils se complètent?
J'ai été renversé par la stratégie de M. Rainer pour 2011. Bien des gens mourront, tomberont malades et seront accablés par les effets de la pauvreté d'ici 2011. Y a-t-il un facteur qui rend cette situation moins urgente, quelque chose qui m'échappe et qu'il aimerait nous décrire?
Madame Eberle, vous dites que les marchés sont incapables de produire des logements pour tous ceux qui en ont besoin. Cela est-il attribuable à un défaut inhérent au marché, selon vous, ou est-ce plutôt parce que trop de gens n'ont pas les moyens de se loger? Le problème tient-il aux revenus ou à la structure du marché?
Ma dernière question s'adresse à M. Seymour. Hormis la triste réalité que, parmi les sans-abri en milieu urbain, la communauté des Premières nations est représentée de façon disproportionnée par rapport à l'ensemble de la population, d'après vous, y a-t-il quelque chose qui distingue les besoins et les problèmes d'un sans-abri autochtone de ceux des autres sans-abri dans la ville, un facteur dont le comité devrait prendre connaissance dans le cadre de ses travaux?
J'ai une autre question.
Le président : Vous avez dit que vous en aviez cinq. Cela fait six.
Le sénateur Segal : Vous m'avez empêché de dire trois mots l'autre jour, alors est-ce que je pourrais poser une sixième question brève? Je m'adresse à Mme Regehr, qui a parlé de la sécurité du revenu. L'autre jour, nous avons accueilli un témoin d'un groupe d'entreprises fantastique de Saint John qui travaille à enrayer la pauvreté. Une des préoccupations sur lesquelles il a insisté — notre compte rendu en fait foi —, c'est qu'il existe des programmes de sécurité du revenu qui aident les gens à améliorer légèrement leur qualité de vie dans la pauvreté, tandis que certaines initiatives, de sécurité du revenu et autres, permettent vraiment de surmonter ou de réduire la pauvreté.
Lorsque vous avez parlé de la sécurité du revenu, parliez-vous simplement de renforcer certains programmes de sécurité du revenu qui aident les gens à composer avec la pauvreté, ou parliez-vous d'autre chose?
Le président : Avant de donner la parole tour à tour aux personnes qui se sont fait poser une question précise, je tiens à répéter que, lorsque vous avez la parole, si vous avez quelque chose à ajouter, veuillez le faire, car vous n'aurez peut-être pas très souvent l'occasion de parler, vu la taille du groupe. Je lèverai mon crayon pour signifier qu'il faut passer à la prochaine personne.
J'aimerais maintenant donner la parole à M. Pomeroy pour qu'il réponde à ces questions ou qu'il aborde le sujet de son choix concernant ces enjeux.
M. Pomeroy : Vous avez distribué le nouvel ensemble de questions juste avant que je finisse de parler, alors je répondais aux anciennes questions. Vous avez alors intégré à la première question la dernière question concernant le rôle fédéral. J'aimerais revenir à cela avant de partir.
De façon générale, dans le cadre de la discussion d'aujourd'hui, j'aimerais souligner le fait que, lorsque nous parlons de « stratégie », bien des gens entendent « financement ». Certes, pour bon nombre de mes clients — la Fédération canadienne des municipalités, l'ACHRU, l'Association nationale d'habitation autochtone, et j'en passe —, les stratégies recommandées visent à obtenir un financement durable et à long terme pour appuyer des initiatives axées sur le logement abordable et l'itinérance.
Comme l'a dit M. Seymour, une stratégie sans financement serait somme toute inutile, alors appelons un chat un chat. Nous parlons d'une source d'argent durable à long terme. Cela revient à la question de la responsabilité : Qui paie? D'où provient le financement et de quelle façon appuie-t-on ces activités?
Pour ce qui est des éléments stratégiques en eux-mêmes, je crois que l'on pourrait obtenir un consensus très fort. Si toutes les personnes ici présentes étaient regroupées dans une pièce et appelées à définir les éléments d'une stratégie nationale sur le logement, nous reviendrions avec deux ou trois pages de choses qui se ressembleraient beaucoup.
J'ai rédigé des dizaines de choses semblables, et ce n'est pas très sorcier. Là où le bât blesse, toutefois, c'est lorsque vient le temps de déterminer comment ces éléments seront mis en œuvre et regroupés et, plus important encore, qui le fera. Cela nous ramène à la question de la responsabilité.
Le problème ici n'est pas de nature stratégique; nous avons un problème de structure institutionnelle. J'ignore si nous disposons des bons cadres institutionnels pour réellement concevoir, mettre en œuvre et exécuter une stratégie nationale.
De quels modèles pourrions-nous nous inspirer pour y arriver? Si on pense au gouvernement fédéral, il a clairement une responsabilité. La SCHL a fait un travail fantastique au cours des 50 dernières années pour ce qui est de créer un système de financement efficace. Par conséquent, nous avons accès au financement, chose fondamentale, du fait que le logement est une immobilisation pour les particuliers propriétaires et les investisseurs du domaine des logements locatifs. De toute évidence, c'est une partie importante de notre système, et il ne fait aucun doute que cela relève du gouvernement fédéral.
La politique fiscale revêt clairement une extrême importance, comme quelqu'un l'a laissé entendre plus tôt. Il y a eu une réforme fiscale fondamentale dans le pays au cours des 30 dernières années, car il fût un temps où nous produisions beaucoup de logements locatifs. Aujourd'hui, la plupart des logements locatifs les plus abordables dans le pays sont offerts par le secteur privé. Le parc de logements sociaux n'est qu'une partie minime du réseau de logements locatifs — environ 5 p. 100. Les logements locatifs du secteur privé comptent pour 26 p. 100. La plupart des logements abordables se trouvent à être la propriété d'investisseurs privés.
Au cours des 20 dernières années, en moyenne, seulement 9 p. 100 des mises en chantier avaient pour objet la construction des logements locatifs. Or, le tiers des Canadiens vivent dans des logements locatifs; alors, faites le calcul. Nous mettons le réseau de logements locatifs dans une situation difficile. Pour la première fois dans l'histoire, en 2006, selon le recensement, le nombre de ménages de locataires au Canada a diminué malgré la croissance démographique. Évidemment, le nombre de propriétaires a augmenté, conséquence directe de ce phénomène, et c'est une bonne chose. Toutefois, il y a érosion du le parc de logements locatifs abordables en raison de la démolition, de la conversion et du fait que les loyers augmentent graduellement dans les secteurs où ils sont déjà élevés. Par conséquent, l'accès aux logements locatifs est réduit.
Il va sans dire que, compte tenu du fait que le gouvernement fédéral a adopté des politiques fiscales qui ont fondamentalement désavantagé les investisseurs du domaine des logements locatifs, les contraignant à axer leurs activités sur d'autres types d'immobilisations, il est nécessaire de revoir la façon dont cela fonctionne vraiment et de déterminer si nous pouvons, de fait, changer certaines choses à cet égard. Essentiellement, les politiques fiscales influent sur le comportement des investisseurs. Il faut se demander quel type de comportement nous voulons que nos investisseurs adoptent et s'il est vraiment possible, à ce chapitre, de réaliser des objectifs liés à la politique sociale, à savoir la création de logements locatifs, bien que pas nécessairement à un prix minime. Évidemment, il n'y a aucun intérêt économique à construire des HLM. Cela n'est pas rentable.
Toutefois, l'offre, qu'elle prenne une forme ou une autre, est un facteur positif, car, au bout du compte, elle a une incidence sur le taux d'inoccupation, et un taux d'inoccupation élevé réduit de façon générale le taux d'augmentation des loyers et contribue à l'assainissement du système pour tout le monde, comme l'expliquait Mme Eberle. C'est une approche systémique du logement. Par conséquent, les politiques fiscales jouent un rôle important.
L'autre aspect concerne le pouvoir fédéral d'application des ressources. Essentiellement, comme d'autres l'ont laissé entendre, le problème du logement abordable tient au revenu. Les gens ne touchent pas un revenu nécessaire pour s'offrir les logements disponibles sur le marché, et ils ont besoin d'aide à cet égard. S'il s'agit d'un problème de redistribution du revenu, on parle donc du rôle du gouvernement pour ce qui est d'imposer les revenus des contribuables et de redistribuer l'argent recueilli au moyen d'un quelconque mécanisme, que ce soit par l'intermédiaire du régime fiscal ou de mesures de soutien directes — sous forme de prestations individuelles et de prestations d'aide sociale — et d'autres mécanismes, comme des crédits d'impôt et ce genre de choses. Le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer au chapitre du financement.
La façon d'assumer ce rôle est importante. On trouve au Royaume-Uni et en Australie des exemples de modèles intéressants sur la façon de procéder. Au Royaume-Uni, puisque la question du logement est si complexe, le gouvernement Blair avait essentiellement regroupé la question du logement et un foule d'autres enjeux touchant les zones urbaines et confié le dossier au cabinet du vice-premier ministre. On avait confié les dossiers des villes et des collectivités, de l'environnement, du transport et du logement à des ministres de second rang qui relevaient du vice-premier ministre, de façon à coordonner les choses qui sont essentiellement localisées. Les problèmes dont on parle — l'itinérance, le logement et la pauvreté — existent dans un lieu géographique donné, habituellement très bien défini. Normalement, ces problèmes coexistent dans des quartiers défavorisés particuliers, situés dans des régions accablés par la pauvreté, et l'adoption d'une approche locale, qui permet d'observer le problème en fonction de facteurs propres au milieu urbain — ce qui s'inscrit tout à fait dans les travaux du comité — est très efficace.
C'est la démarche qu'a adoptée le Royaume-Uni. Elle a permis d'accomplir le tour de force que constitue la coordination en la confiant à un ministre de tout premier plan — le vice-premier ministre —, qui supervise les autres ministres, tous collaborateurs dans le cadre d'un mécanisme interorganisme ou interministériel analogue à celui de l'Interagency Council on Homelessness, aux États-Unis, auquel siègent les dirigeants de tous les départements fédéraux américains. Dans une certaine mesure, cela explique pourquoi Phil Mangano a si bien atteint les objectifs de son programme sur l'itinérance aux États-Unis : son comité de coordination était de très haut niveau.
L'organisme n'est pas nouveau; il existe depuis 30 ans et n'a absolument rien fait au cours des 22 premières années. C'est seulement lorsqu'un dirigeant charismatique est entré en scène et a convaincu les gens de s'engager que les choses ont commencé à bouger. La chance d'avoir un bon dirigeant, dans une certaine mesure, est peut-être une partie de la solution à cet égard.
L'autre modèle intéressant est celui de l'Australie. L'Australie constitue un exemple fascinant pour le Canada. Nous passons beaucoup de temps à observer le Royaume-Uni ou les États-Unis parce qu'ils se trouvent à être à proximité ou à offrir une abondance de documents et de revues. Toutefois, l'Australie est le pays du monde avec lequel nous avons le plus de points en commun. Il s'agit d'une fédération qui a toujours utilisé un système parlementaire britannique, son territoire est vaste et les enjeux qui découlent de la migration des Autochtones vers les centres urbains sont semblables aux nôtres. La seule différence, c'est le climat.
Dans le cadre de son système — compte tenu de la répartition des pouvoirs dans la fédération et de leur situation au chapitre du logement —, elle a essentiellement établi une entente quadriennale renouvelable, la Commonwealth-State Housing Agreement, qui établit un cadre de conditions et de principes qui régiront le financement consenti par le gouvernement fédéral au chapitre du logement et de l'itinérance. Cette entente comprend des exigences précises relatives aux résultats que les États doivent obtenir, après quoi le gouvernement fédéral se retire et laisse les États — les provinces — aller de l'avant.
Le problème dans notre système — et M. Seymour y a fait allusion plus tôt —, c'est que nous cherchons à tout contrôler. Le gouvernement fédéral a essentiellement tenté d'apprendre aux provinces comment faire leur travail plutôt que de leur dire : « Voici l'argent. Nous voulons que vous accomplissiez ces résultats. Nous ne vous dirons pas comment faire. C'est à vous de trouver, faites de votre mieux. » Cette façon de faire permet de prendre des mesures adaptées aux différentes circonstances locales plutôt que d'essayer de résoudre le problème avec une solution universelle à l'échelle du pays; chaque administration a tout le loisir de mettre au point des solutions qui sont adaptées à ses besoins.
Le système favorise tout de même la reddition de comptes publics pour ce qui est de la manière dont l'argent est dépensé. Au bout du compte, les mécanismes de mesure du rendement en fonction des résultats sont très précis : est-ce que tout le monde a fait son travail? Comment le recadrera-t-on? Au bout de quatre ans, on renouvelle le programme. Le cycle n'est que de quatre ans, et non 10 . Il n'est pas aussi durable que certains voudraient. C'est ce qui se produit depuis 1948. On a renouvelé tous les quatre ans. C'est un modèle particulièrement intéressant pour nous qui tentons de déterminer comment s'attaquer au problème de la responsabilité. Est-elle fédérale? Est-elle provinciale?
Dans une certaine mesure, je dirais que la responsabilité est partagée. Le problème qui afflige notre pays depuis 15 ou 20 ans, c'est que tout le monde esquive la responsabilité. Essentiellement, personne ne veut reconnaître que c'est son travail, et, lorsque tout le monde participe, on se renvoie la balle. Nous devons essayer de délimiter clairement ces rôles et établir trois ou quatre secteurs particuliers de responsabilité fédérale, notamment le financement. Ensuite, nous devons déléguer, par l'intermédiaire d'instruments comme des accords progressifs quadriennaux ou quinquennaux assortis de principes clairs et de mesures des résultats, puis laisser chacun s'acquitter de sa tâche.
Le président : Avant de donner la parole à M. Brown : on a proposé au comité l'adoption du crédit d'impôt pour la construction de logements destinés aux personnes à faible revenu des États-Unis, ou un programme semblable. Vous n'avez pas mentionné cela.
M. Pomeroy : J'ai fait beaucoup de travail dans ce domaine au fil des années. Le crédit d'impôt pour la construction de logements destinés aux personnes à faible revenu comporte quelques défauts : il coûte très cher et est très compliqué. Il fonctionne bien aux États-Unis, car les Américaine sont accros aux transactions. Ils découperaient leur propre grand-mère et vendraient les morceaux s'ils le pouvaient. Il y a aussi la tendance à recourir au régime fiscal plutôt qu'au gouvernement pour stimuler l'investissements privé. Notre culture est différente. Le programme a remporté un succès monstre aux États-Unis, mais il entraîne des coûts.
Dans un rapport publié cette semaine par Marion Steele, de l'Institut C.D. Howe, on propose un modèle de crédit d'impôt canadien pour la construction de logements destinés aux personnes à faible revenu. En principe, cela semble raisonnable. Toutefois, l'un des problèmes, c'est que les principaux bénéficiaires des crédits d'impôt aux États-Unis sont les grandes sociétés. Elles achètent des crédits d'impôt pour mettre leur revenu à l'abri des impôts qu'elles devraient autrement payer. Elles se sont fait les principaux promoteurs d'un système de crédits d'impôt. Elles sont la principale raison pour laquelle ce système a été conservé par quatre gouvernements américains et étendu par deux, du côté républicain comme du côté démocrate.
Toutefois, la réalité du marché d'aujourd'hui, c'est que le département américain du logement et du développement urbain, HUD, a annoncé il y a quelques semaines un remplacement du crédit d'impôt, sous forme de subvention compensatoire. L'année dernière, les États-Unis ont eu du mal à vendre le crédit d'impôt. Seulement 20 p. 100 des crédits d'impôt étaient commercialisables. La plupart des banques et des institutions financières ne manquent pas de pertes leur permettant de mettre leur revenu à l'abri des impôts. Ils n'ont plus besoin d'acheter et, par conséquent, le système de crédit d'impôt est tout à fait inutile dans le contexte de la crise économique d'aujourd'hui. Pour les deux prochaines années, dans le cadre du nouveau système, HUD consentira des subventions qui tiendront lieu de crédits d'impôt, revenant essentiellement à un programme de subventions plutôt qu'à un mécanisme de crédit d'impôt.
J'ai passé un an à travailler avec le vice-président des valeurs au détail de la Banque TD afin de concevoir un crédit d'impôt pour le Canada, parce que l'idée avait été mentionnée dans le programme électoral conservateur en 2006. Nombre de mes clients m'ont demandé : « Steve, pouvez-vous trouver comment cela fonctionne afin que nous puissions avoir une longueur d'avance sur le gouvernement à ce chapitre? » Nous avons essentiellement tenté de concevoir un crédit d'impôt qui serait applicable au Canada avec deux objectifs à l'esprit : la production de logements abordables et la création d'un instrument de placement qui pourrait être vendu sur le marché de l'investissement au détail. Il s'agit de concrétiser ces deux critères pour obtenir un produit.
Nous n'avons pas pu concevoir un programme qui se conformait à ces deux critères. Il serait extrêmement coûteux d'obtenir les taux de rendement nécessaires pour rallier les investisseurs. Le contexte canadien a ses particularités. Nous n'avons pas la même culture d'affaires ni le même cadre institutionnel que les États-Unis. Il y a aussi toute une légion d'intermédiaires qui commercialisent ces instruments et travaillent avec les investisseurs et les organismes sans but lucratif. Le Canada ne possède pas cette dimension. Il a fallu 15 ans pour construire ce système aux États-Unis. Ce n'est pas quelque chose qu'on peut simplement ajouter à un projet de loi.
Le président : C'est intéressant. M. Brown nous en dira plus sur ce crédit d'impôt.
M. Brown : Merci. Je crois que M. Pomeroy a bien expliqué les points principaux.
Nous faisions valoir que les logements locatifs privés sont une composante clé de la solution au logement abordable dans le pays. On a entrepris la construction de beaucoup plus de logements locatifs lorsque le régime fiscal était plus favorable à la construction d'immeubles d'habitation locatifs, soit des immeubles résidentiels à logements multiples, les IRLM, ou ce qu'on appelle des programmes de financement tenant compte de la marge, comme le Programme des compagnies de logement à dividendes limitées ou le Programme canadien de construction de logements locatifs.
Ainsi, toute analyse des politiques doit traiter de cette question. Nous sommes d'accord avec M. Pomeroy pour dire qu'il y a une érosion du parc de logements actuel causé par la conversion des logements locatifs en condos ou par la démolition, entre autres.
Nous faisions valoir qu'on avait déjà établi des mesures à cette fin particulière, et que les logements locatifs privés sont un élément clé; le parc de logements sociaux est très important, mais il ne constitue qu'une partie minime de l'ensemble, comme d'autres l'ont mentionné.
J'aimerais aussi réagir à certains commentaires de M. Pomeroy, à savoir l'idée selon laquelle « stratégie sur le logement » serait synonyme de financement et le commentaire sur la nature prescriptive des programmes actuels. L'une des principales raisons pourquoi nous nous trouvons devant cette myriade complexe de programmes qui sont très difficiles à appréhender, c'est leur nature prescriptive, comme Mme Tanasescu l'a mentionné; pour chaque ensemble de programmes, il y a un ensemble de règlements. Voilà la raison pour laquelle c'est compliqué — un point c'est tout.
M. Snow a exposé une stratégie que je ne suis pas loin d'approuver. Si j'ai bien compris ses propos, la stratégie amènerait le gouvernement fédéral à jouer un rôle très important sur le plan du financement, renforcerait l'engagement à l'égard des plus pauvres et inviterait le gouvernement fédéral à laisser les provinces et les municipalités s'en charger.
Nous avons actuellement un programme qui reflète ces principes, soit l'ancien programme de l'IPAC, l'Initiative de partenariats en action communautaire, et l'actuelle Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance.
A-t-on besoin d'une stratégie ou non? Je crois tout simplement que M. Snow a exposé une version. Il y en a d'autres. Il a laissé entendre que nous devions éliminer la nature prescriptive et détaillée des programmes. Je suis d'accord avec lui. Nous avons la possibilité d'arriver à un consensus dans la salle aujourd'hui.
Encore une fois, l'Initiative des partenariats de lutte contre l'itinérance est financée par le gouvernement fédéral, chaque collectivité établit les priorités, et les provinces sont là pour prêter main-forte au besoin. En 30 ans d'expérience dans ce domaine, je n'ai jamais vu le gouvernement fédéral élaborer un meilleur programme. Ainsi, je recommande vivement au comité qu'il examine en profondeur le modèle de l'IPLI et qu'il songe à s'en inspirer.
L'un des aspects clés que nous n'avons pas mentionnés, je crois, tient à la question de l'innovation. Les programmes prescriptifs ne permettent pas aux gens sur le terrain d'innover. Actuellement, l'innovation se manifeste au moment de produire un rapport qui montre qu'on a satisfait à toutes les exigences. Un programme habilitant fédéral — l'IPLI en est le meilleur exemple, pour l'instant — permet aux échelons provinciaux ou municipaux d'innover et de sortir des sentiers battus.
C'est ce que le gouvernement fédéral devrait chercher à accomplir avec le peu de deniers publics dont il dispose. L'idéal serait qu'il établisse des règles de base générales, qu'il jette les fondements — comme l'a mentionné M. Regehr —, qu'il détermine les principes et les objectifs généraux et qu'il s'assure que tout soit financé — je suis de l'avis de M. Regehr, son rôle se trouve là — et qu'il permette aux provinces de travailler avec les collectivités locales pour élaborer des plans ou des priorités communautaires, afin d'éviter une approche universelle, comme l'a dit le président. Ces mesures donneraient lieu à un programme fonctionnel et efficace qui permet aux gens de tous les échelons d'innover.
Je partage la préoccupation du sénateur Segal au sujet de l'urgence de la situation. À la lumière de mon expérience d'exécution de ces programmes sur le terrain au nom du conseil municipal de Toronto, je constate que les immeubles tombent en ruines et que les gens ont besoin d'aide immédiatement. Par conséquent, j'encouragerais vivement le comité à intégrer cette notion d'urgence à son rapport final.
Le président : Je vous interromps pour poser une question au sujet des crédits d'impôt. Certains font valoir que nous devons faire participer le secteur privé à but lucratif au dossier des logements locatifs. Y a-t-il une place pour le secteur privé à but lucratif? Comment s'y prendrait-on pour l'inciter à participer si ce n'est au moyen de crédits d'impôt?
M. Brown : Le défi qui incombe au marché de la location est le même depuis 30 ans. Dans la plupart des régions du pays, le loyer du marché ne correspond pas à ce qu'on pourrait appeler le loyer économique nécessaire pour créer l'unité, que ce soit dans un nouvel immeuble ou un immeuble rénové. Depuis les années 1970, on essaie de trouver une façon de combler le fossé entre le loyer du marché et le loyer économique. Une solution réside dans le régime fiscal, et une autre consiste à élaborer des programmes à cette fin particulière.
Je me souviens qu'on a rédigé des articles, dans les années 1970, selon lesquels la disparité entre le loyer économique et le loyer du marché est le problème fondamental du marché de la location. Il y a différentes façons de combler ce fossé. À l'origine, bon nombre des programmes étaient financés en tenant compte de la marge. On ne finançait pas l'intégralité des frais d'exploitation pour toute la durée du projet, et on n'offrait ni un amortissement initial du taux d'intérêt ni une subvention d'investissement, et on ne recourait pas au système des IRLM, qui permet de détourner des coûts. Il faut étudier toutes ces possibilités. Je ne peux pas arrêter mon choix aujourd'hui, mais c'est le défi fondamental.
M. Pomeroy : Il faut repenser tout le marché de la location. Il faut penser à ce que font depuis quelque 30 ans les grands promoteurs immobiliers en matière de construction de logements locatifs qui répondent au besoin du marché. Vers la fin des années 1960, chaque province du pays a adopté des lois visant les condominiums et a créé une toute nouvelle machine. Avant 1969, la construction d'immeubles à logements multiples visait la location. Après 1968-1969, dans certaines provinces, le marché de la copropriété a commencé à fixer les paramètres de l'aspect économique de l'aménagement. Le secteur locatif n'a pas su faire concurrence au secteur de la copropriété en ce qui concerne les terres et les ressources. Il faut rétablir la situation. La plupart des promoteurs immobiliers s'affairent à construire des condos, car c'est ainsi qu'ils peuvent faire un profit initial. Au cours des prochaines années, certains de ces condos finiront sur le marché de la location parce que les promoteurs immobiliers ne peuvent pas tous les vendre. Ce sera tout simplement un phénomène isolé causé par les circonstances actuelles.
Le déclin des mises en chantier de logements locatifs et la taille du parc de logements locatifs sont beaucoup moins importants qu'ils le devraient, compte tenu du parc de logements dont nous disposons. Les petits investisseurs particuliers sont devenus les principaux fournisseurs de logements locatifs. C'est un phénomène très semblable à ce qui se produit au Royaume-Uni et en Australie, où la situation est semblable à celles du Canada. Les propriétaires ne sont pas des sociétés; il s'agit plutôt de particuliers qui achètent des maisons et les louent. La solution pour stimuler le marché de la location consiste non pas à revenir en arrière, aux grands promoteurs immobiliers, mais plutôt à trouver une façon d'inciter les petits investisseurs à investir dans une ou deux unités qui créeront l'offre dans un type de système différent, qu'il faut repenser.
Mme Tanasescu : Je vais essayer d'expliquer mon opinion sur le capitalisme en deux minutes ou moins. Vous m'avez demandé si je considérais que le capitalisme et la pauvreté allaient ensemble comme du lait et des biscuits. Je perçois le capitalisme et l'inégalité comme du lait et des biscuits. Le fait que l'inégalité se traduise par la pauvreté dans notre société est propre à notre histoire et à notre culture. La raison n'a rien à voir avec la façon dont nous menons l'économie. La division fondamentale du capital et du travail est la clé du fonctionnement de l'économie capitaliste. En revanche, le gouvernement a un rôle important à jouer au chapitre de la médiation entre le capital et le travail. À mon avis, le rôle du gouvernement vise à humaniser le capitalisme. À l'ère industrielle, les gouvernements ont commencé à s'intéresser à la question du logement en raison des ravages qu'avait causée l'absence d'interventions gouvernementales sur le marché.
Aujourd'hui, aux quatre coins du monde, nous voyons cette expérience du XVIIIe siècle se répéter. Quarante pour cent de la population mondiale vivent dans des taudis ou des bidonvilles. Au Canada, nous percevons aussi une montée du phénomène des bidonvilles, et c'est pourquoi nous sommes assis ici aujourd'hui. Depuis les années 1980, nos refuges pour sans-abri ressemblent aux taudis de Manille. Un phénomène mondial est à l'origine de ces conditions. Beaucoup de données probantes montrent que ce phénomène est imputable à la manière dont fonctionne le marché et au fait que certains types de travaux sont moins bien rémunérés. Au bout du compte, la question tient aux données de base. Dans certaines populations urbaines, la main-d'œuvre qui touche une rémunération inférieure doit faire concurrence à la main-d'œuvre qui touche une rémunération supérieure pour acquérir un terrain à un prix exorbitant. L'inégalité et la pénurie de logements adéquats sont un problème international. C'est là que le rôle du gouvernement fédéral est si important. On voit des mouvements internationaux de protection des droits de la personne prendre forme, car les gens s'aperçoivent que, aux quatre coins du monde, on est aux prises avec ce même problème qui doit être réglé dans chaque pays.
Un changement important est survenu au cours des 20 dernières années, et votre rapport le décrit parfaitement; à savoir, une diminution de l'investissement éthique et dans le domaine de l'habitation en général. Dans les études, on parle d'un virage néo-libéral des politiques. Combiné à l'état actuel du capitalisme mondial, cela a donné lieu à certains des problèmes auxquels nous faisons face aujourd'hui. Ces problèmes débordent de la sphère de compétence d'un seul pays, d'une seule province ou d'une seule ville.
Je reviens à votre autre question concernant le séjour d'une semaine comme critère attestant la fin de l'itinérance et je vous demande : que peut faire une ville face à ces problèmes qui échappent clairement à son pouvoir? La ville est le théâtre de fluctuations sociales et économiques ainsi que de mouvements de capitaux qui découlent de la mondialisation. Le pays a le rôle d'atténuer certaines des retombées de ces fluctuations, tout comme les provinces et les villes ont un rôle en ce qui concerne la manière d'attirer les investissements.
Les villes peuvent toujours atténuer les effets de la mondialisation à l'échelle locale. Le plan décennal permet aux villes de définir leur stratégie en vue de cerner ces retombées et de les atténuer. Le critère du séjour de une semaine dans un refuge suffit-il? Non, nous ne voulons voir personne dans la rue ou dans la pauvreté. Que serait-il réaliste de faire et de promettre à nos concitoyens et que nous serions réellement en mesure d'accomplir? C'est beaucoup plus que de placer les gens qui sont dans des refuges. Notre plan est assorti de mesures de prévention, comme la réinsertion sociale dans la collectivité, le traitement des maladies mentales et de la dépendance, entre autres. Nous plaçons toujours l'habitation à la tête des priorités, puis il y a les autres.
Quant à votre autre question au sujet de la pauvreté et de la possibilité que l'on possède une mesure qui nous permettra de connaître le moment où la pauvreté sera enrayée, cela revient à ces questions structurelles qui échappent à notre pouvoir. Certes, nous pourrions faire les choses beaucoup mieux à l'échelon local. On pourrait mobiliser des ressources pour mettre fin à la pauvreté des gens immédiatement. Nous calculons le montant du soutien du revenu auquel la personne serait admissible et le comparons à ce que touche vraiment la personne. Si elle recevait tout ce à quoi elle avait droit, nous n'aurions plus d'arguments ou de raisons de demander aux provinces ou au gouvernement fédéral de consentir plus de financement. Toutefois, les gens ne touchent pas tout l'argent auquel ils ont droit. Les collectivités pourraient mieux coordonner cet aspect et retirer certains des obstacles aux droits fondamentaux plutôt que de tenter d'en faire plus, comme un revenu annuel garanti, qui coûterait des centaines de milliards de dollars. Il n'est pas réaliste que cette responsabilité incombe à la collectivité locale. Il serait réaliste que le gouvernement fédéral examine les obstacles et détermine quel est son rôle en vue d'aider les collectivités à assurer une meilleure coordination et à en faire plus.
Certains programmes fédéraux découpent la collectivité locale en morceaux plus petits encore. M. Brown l'a mentionné plus tôt. La complexité est déroutante, et le fardeau des organismes, très difficiles à gérer.
Le président : Nous répondons toujours aux questions du sénateur Segal et les témoins ajoutent les commentaires qu'ils veulent apporter lorsqu'ils ont la parole; le prochain est M. Rob Rainer.
M. Rainer : J'ai mentionné que nous aimerions voir une stratégie nationale ou pancanadienne sur la pauvreté d'ici 2011. Je vais ajouter « au plus tard ». Dans notre équipe, nous comptons un docteur en chimie qui a passé une grande part de sa vie adulte dans la pauvreté. C'est un homme intéressant et intelligent, mais, pour plusieurs raisons, il s'est retrouvé dans la pauvreté. Il répète constamment qu'il veut voir la pauvreté enrayée « d'ici mardi ». Nous aimerions en finir avec la pauvreté dès que possible. Nous aimerions que notre organisme n'ait plus sa raison d'être. Nous n'avons aucun intérêt à voir notre organisme prendre de l'expansion à mesure que la cause empire. Enrayons la pauvreté, si nous le pouvons, et attaquons-nous aux autres problèmes urgents qui accablent notre pays.
La réalité, c'est que, si nous parlons d'une stratégie pancanadienne que le gouvernement — nous l'espérons — créerait et dirigerait, il faudra tenir des discussions et des délibérations et collaborer avec d'autres ordres de gouvernement et des organismes de la société civile. À notre avis, il importe aussi de solliciter des gens membres de la collectivité qui vivent dans la pauvreté.
Une quantité considérable de consultations et d'entretiens a eu lieu au cours des dernières années, grâce au travail du comité et d'autres comités sénatoriaux. Je sais que le Sous-comité sur la santé des populations, présidé par le sénateur Keon, a tenu un grand nombre de discussions se rattachant à ces questions. Il y a aussi le Comité permanent de la Chambre des communes responsable des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées, le comité HUMA. Ces délibérations ont permis d'intégrer les intervenants dont nous avons parlé.
Si le gouvernement fédéral actuel s'engageait aujourd'hui ou demain à élaborer une stratégie pancanadienne, il est réaliste de penser qu'il faudrait un certain nombre de mois — espérons que cela durerait non pas un certain nombre d'années, mais un certain nombre de mois — pour mettre la stratégie au point et pour que les gens qui participent au processus aient l'impression d'avoir joué un véritable rôle dans la création de la stratégie.
L'expérience québécoise de la Loi visant à lutter contre la pauvreté et l'exclusion sociale est le fruit de l'initiative d'une coalition populaire de plus de 5 000 personnes qui ont apporté leur contribution, sur une période de deux ans, à la définition de ce à quoi devrait ressembler une loi pour le Québec. Ce projet a fini par être pris en charge par le gouvernement provincial, ou le gouvernement national, comme diraient les Québécois, et il a fini par promulguer une loi qui n'était pas tout à fait conforme aux idées de la coalition. Les groupes québécois qui participent maintenant à notre campagne, Dignity for All : the campaign for a poverty-free Canada, nous ont conseillés de prendre le temps nécessaire pour bien définir ce à quoi devrait ressembler un plan fédéral. Il faut suivre ce conseil pour que le plan soit réfléchi. Il doit être intégré, comme je l'ai déjà mentionné, aux plans provinciaux et — espérons-le — territoriaux. L'élaboration d'une stratégie exigera une grande réflexion, de nombreuses délibérations et un profond engagement, mais cela ne devrait pas nous empêcher de prendre des mesures dès maintenant. Le gouvernement fédéral pourrait agir aujourd'hui.
Je sais que le gouvernement fait certaines choses, mais il peut en faire plus, si vous permettez, pour s'attaquer aux problèmes les plus faciles à régler. C'est l'approche qu'a adoptée Terre-Neuve-et-Labrador. La province a mis en œuvre un bon processus de la consultation publique pour concevoir un plan provincial de lutte contre la pauvreté. Dans le cadre de ce plan, et même avant la création du plan, le gouvernement a reconnu qu'il pouvait faire certaines choses presque immédiatement, dans certains cas sans dépenser d'argent, en modifiant tout simplement les règles et en surmontant des obstacles, par exemple.
On peut en faire beaucoup immédiatement. Il n'est pas nécessaire d'attendre qu'un plan soit mis en œuvre avant de passer à l'action. J'espère que ce sera la recommandation du comité et la philosophie du gouvernement.
Les groupes qui travaillent sur cette question à l'échelon fédéral étaient frustrés du manque d'intérêt que le gouvernement actuel porte à cette question. Par exemple, lorsque nous avons tenu un débat dans le cadre des dernières élections fédérales, en octobre, à Ottawa, nous voulions un débat entre les partis au sujet de la pauvreté et de l'inégalité au Canada, mais, malheureusement, le parti au pouvoir n'a pas participé. Les quatre autres partis étaient présents. Cela donne à penser que le parti au pouvoir n'est peut-être pas intéressé par ces questions.
On a tendance à penser — peut-être à tort — qu'il devra éventuellement y avoir un changement de gouvernement avant que nous voyions un engagement réel et sérieux envers un plan fédéral. Nous n'avons pas d'allégeances politiques. Nous serions ravis de voir le gouvernement fédéral s'engager demain à élaborer un plan fédéral. Compte tenu de tous les témoignages que nous avons entendus aujourd'hui, il n'y a pas grand-chose à rajouter. Le temps est venu de passer à l'action, comme le rappelle notre campagne Dignity for all.
Le gouvernement actuel a réduit de deux points de pourcentage la TPS, mesure qui a été fortement critiquée par les économistes et bien d'autres intervenants, qui jugeaient que cette réduction fiscale n'était pas judicieuse, car elle a eu pour conséquence de retirer 12 milliards de dollars du Trésor fédéral. Si on haussait la TPS de seulement 1 p. 100, 6 milliards de dollars supplémentaires retourneraient dans les coffres fédéraux. On pourrait diviser cette somme entre les besoins en matière de logement, les garderies et le développement de la petite enfance, autre secteur où le besoin d'investissements est criant. C'est un problème qu'on pourrait régler facilement. Le gouvernement fédéral pourrait reconnaître sa faute, annuler la réduction de la TPS et injecter les fonds dans ces deux secteurs immédiatement, mais je ne crois pas que cela se produira.
Le sénateur Segal : Puisque ce sont les pauvres qui sont les principaux bénéficiaires de cette réduction, je n'approuve pas cette déclaration particulière.
Le président : Quelle que soit son allégeance, un gouvernement ne reconnaît pas facilement ses erreurs.
Mme Eberle : Premièrement, notre marché est déficient. Est-ce un problème de revenu ou un problème de logement? Dans une large mesure, le marché du logement privé fonctionne pour la plupart des Canadiens. De 85 à 90 p. 100 des ménages canadiens sont bien installés dans un logement du marché. Je crois que les économistes seraient d'accord pour dire que les données probantes donnent à penser qu'il y a une forme de déficience du marché au sein du système. L'une des raisons pourrait tenir aux tendances se rattachant à la mondialisation, aux afflux de capitaux injectés dans le pays, qui faussent les marchés locaux. La question de savoir si le problème tient au revenu ou au logement et si la solution doit se rattacher au revenu ou au logement s'apparente au mystère de la poule ou de l'œuf. Choisissez votre solution. L'argument en faveur du logement, c'est qu'il s'agit d'un investissement et d'un bien durable.
J'aimerais aborder brièvement la question des droits de la personne. J'ai fait un peu de travail à ce chapitre il y a quelques années, mais je ne suis d'aucune façon une experte. Nous avons examiné la question dans le contexte des politiques sur l'itinérance à l'échelle internationale, et, dans un rapport qui n'a jamais été publié, nous avons posé la question suivante : une législation axée sur les droits est-elle une condition préalable au succès de toute politique en matière d'itinérance? À la lumière de notre bref examen de plusieurs pays, nous avons constaté qu'une telle mesure était avantageuse, mais pas nécessaire. Les gouvernements peuvent mettre en œuvre des politiques et des programmes axés de façon pratique sur ces enjeux.
Je vais maintenant traiter de ce qui serait possible en fait de cadre stratégique national ou canadien en matière de logement. Je suis d'accord avec M. Pomeroy, M. Snow et M. Brown pour dire que le modèle de l'Initiative de partenariats en action communautaire porte fruit sur le terrain; le gouvernement peut en tirer une certaine gloire et proposer peut-être d'en élargir le champ d'action, en incluant par exemple des programmes de logement. Il fournit le cadre voulu. Il faudra peut-être davantage d'outils d'habilitation en rapport avec la politique de logement.
M. Pomeroy a raison; par participation du gouvernement fédéral, il faut entendre financement et ressources. Se loger coûte cher. Nous le savons tous, personnellement.
Ce que l'IPAC ou la Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance a permis de faire, c'est d'amener à la table des organismes qui n'étaient pas présents auparavant. Si vous jetez un coup d'œil à certaines des tables de concertation sur l'itinérance qui existent au pays, vous constatez qu'il y a des fondations et des gens du secteur privé. Les administrations locales s'y trouvent certainement. Je dois dire qu'elles luttent pour intégrer la question à leur mandat, dans l'idée d'avoir la capacité d'affronter vraiment les problèmes liés au logement. Par exemple, je travaille actuellement à un projet de la ville de Dawson Creek, petite municipalité du nord-est de la Colombie-Britannique qui souhaite se donner une stratégie d'accès au logement à des prix abordables. Or, une stratégie nationale permettrait de régler certains des problèmes qui existent en matière de capacité, selon moi.
M. Seymour : Merci de poser la question. Je voudrais aborder cette question-là en évoquant d'abord les observations déjà formulées par Mme Eberle à propos du marché. Elle affirme que les marchés fonctionnent de 85 à 90 p. 100 du temps. Eh bien, la communauté autochtone se trouve dans les trois p. 100 qui sont à part de cela. Par conséquent, elle tombe entre les mailles du filet.
Nous avons essayé de bien cerner le problème, pour que ce soit clair. La meilleure façon de le décrire, c'est de dire qu'il existe un racisme systémique qui prévaut dans ces situations-là, qu'il s'agisse du marché ou des programmes sociaux, sinon des deux. Les faits le confirment. Le programme de coopératives est antérieur au Programme de logement pour les Autochtones en milieu urbain. Le mouvement des coopératives a suscité un taux de participation nettement inférieur au sein des communautés autochtones. Personne ne sait pourquoi. Nous posons en hypothèse que cela a trait au contexte culturel et social, aux différences sur ce plan.
Ce sont des moments d'inspiration connus çà et là qui m'amènent au domaine du logement. Je décrirai un moment où j'ai été ainsi inspiré. J'ai assisté à l'enquête du coroner sur la mort d'un itinérant du nom d'Alan, à Vancouver. Il a été découvert ivre à l'angle Hastings et Main. Il s'était évanoui là, dans la rue, cela était évident. On a appelé l'ambulance pour qu'il soit transporté à l'hôpital. Quiconque se trouve dans cet état-là devrait être transporté à l'hôpital. Pour une raison quelconque, d'après le témoignage du conducteur de l'ambulance, l'homme ne voulait pas aller à l'hôpital. Et nous nous sommes tous demandés pourquoi. Il préférait aller dégriser au service de police, là où il était surveillé. Selon les témoignages, on a vérifié son état toutes les 15 minutes entre 18 h et 23 h. On l'a regardé mourir pendant six heures. Il est incroyable de constater qu'un établissement pouvait surveiller quelqu'un et l'observer tandis qu'il est en train de mourir. La dernière personne n'a pu être trouvée. Il est mort autour de 23 h 40. La personne qui devait vérifier son état, pour voir s'il était encore en vie, à 11 h 30, n'a pu être retracée. C'était un itinérant. Il était itinérant comme la plupart d'entre nous — comme je l'étais, à l'époque. Étant donné que nous étions des Indiens, nous ne pouvions louer un appartement. Est-ce à cause du racisme qui existe au sein de la collectivité ou est-ce le fait que, une fois que nous nous trouvons dans la collectivité ou que nous louons un logement, il y a des problèmes sociaux qui se présentent?
C'est une réaction du gouvernement au racisme du marché qui est à l'origine de notre organisme. Nous avons conçu le Programme de logement pour les Autochtones en milieu urbain. Je tiens à vous en souligner les mérites. C'est un programme qui a été extrêmement fructueux. Il a permis de créer un réseau social et une infrastructure sociale qui portent des fruits et qui se maintient à ce jour.
Nous avons découvert qu'il y avait là un besoin commun, étant donné les origines communes que nous avions, et que nous pouvions être sensibles au contexte culturel. À partir de là, l'Association nationale du logement autochtone entière a évolué et est devenue le grand défenseur de la notion d'un financement ciblé, conçu précisément pour les Autochtones. Il s'agissait de s'assurer de tenir compte du contexte social, scolaire, linguistique et culturel, à part la question du logement. Le logement passe en premier, oui, mais il importe d'être sensible, culturellement, aux besoins des gens.
Nous devons trouver une façon pour que les excuses présentées — nous arrivons bientôt au premier anniversaire — représentent non pas une proposition creuse, mais le point de départ de quelque chose qui sera utile à toute la génération touchée. Je propose que quelqu'un revienne en arrière et relise une partie de la discussion qui a été tenue là-dessus dans le cadre de la Commission royale d'enquête pour voir pourquoi il faut que cela se fasse.
Je veux exprimer mon accord avec ce que M. Brown a dit il y a quelques minutes. La personne ici qui croit dur comme fer à la nécessité d'une stratégie nationale en matière de logement donne à entendre que le gouvernement fédéral devrait proposer un financement. Nous sommes du même avis. Pour nous, la façon de régler le problème, c'est de réunir les parties, et particulièrement les administrations fédérales et provinciales, les organismes nationaux comme l'ACHRU, l'Association nationale du logement autochtone, le mouvement des coopératives et ainsi de suite, et d'inclure les organismes sociaux comme l'Association nationale des centres d'amitié autochtones. Nous devons réunir tout le monde au même endroit pour essayer de comprendre quelle serait la meilleure façon de travailler. Ce serait là le point de départ. Ce n'est pas une question de droit; il s'agit plutôt de savoir quel est le Canada que nous souhaitons créer. Voulons-nous d'un Canada où il y a le genre de pauvreté que Mme Tanasescu nous a décrite, comme on en voit à l'étranger?
Quant au moyen à employer pour créer le Canada que nous voulons, je dirais qu'il appartient aux autorités fédérales de trouver leurs solutions et leurs moyens d'exécution. Je suis d'accord avec cette idée-là, dans la mesure où il est reconnu que la seule façon d'y arriver dans les 10 ou 20 prochaines années, dans la communauté autochtone, c'est de faire les investissements sociaux nécessaires pour aménager l'accès aux logements en prévoyant à côté les mesures de soutien nécessaires pour contrer la privation sociale née de la politique fédérale.
Mme Regehr : Le sénateur m'a présenté deux choix. Que faut-il penser de la sécurité du revenu? Est-ce que : A) les gens doivent vivre un peu mieux tout en demeurant pauvres? Sinon, B) les gens doivent-ils cesser d'être pauvres? Je voudrais ajouter C) et D) puis dire « Oui », toutes les réponses sont bonnes. L'élément A, c'est de vivre un peu mieux même si on demeure pauvre. Voilà pour la discussion que vous aviez à propos du degré d'urgence qui est associé à certaines mesures.
Je citerai une autre donnée tirée de notre série de bulletins statistiques. Selon l'endroit où vous vous trouvez, il y a des gens qui vivent de l'assistance sociale au pays, des gens seuls qui doivent s'en tirer avec un revenu qui représente 24 p. 100 de la somme qu'il faut pour en être au seuil de pauvreté. C'est débile. C'est de la folie.
Je voudrais relater une anecdote qui a trait à ce fait. Une de mes collègues a découpé un article dans un journal local. C'était l'histoire de « Rodney », père divorcé qui vivait pauvrement et éprouvait des difficultés. Ce qui a frappé ma collègue, c'est un commentaire qu'il y avait dans l'article. Nous ne savons pas très bien si c'est Rodney lui-même qui a dit cela ou si c'est le reporter, mais voici : « Il convient peut-être que Rodney ait faim, mais il ne convient vraiment pas que ses enfants aient faim. Disons que ses enfants ne vivaient plus avec lui. Nous nous demandions en quoi in convenait que le père des enfants crève de faim. En quoi est-ce utile?
Déjà, le système comporte de nombreux défauts flagrants. Il y a toutes sortes de questions à soulever, mais nous en revenons souvent à l'idée que la personne seule n'a pas le droit à de l'aide. Si vous avez une famille, tout est bon. Si vous avez des enfants, c'est merveilleux et ça fait chaud au cœur, et nous pouvons faire quelque chose. Par contre, la personne seule, c'est celle qui n'a pas fait les bons choix. Ce ne sont que des paresseux. Voilà qui est injuste.
L'augmentation du montant de la Prestation fiscale pour le revenu de travail, la PFRT, figure parmi les mesures que l'on peut adopter pour améliorer quelque peu la situation dans l'immédiat.
Évidemment, la solution à long terme, l'idéal, c'est de déprendre les gens du piège de la pauvreté; voilà donc l'élément B; évidemment, oui. Quant au point C, il faut un élément de prévention. Les parents seuls figurent parmi les segments de la population où le risque de pauvreté est le plus grand. Au moment du divorce, presque tous les parents seuls vivent une période catastrophique où leurs revenus fluctuent énormément. Après plusieurs mois, ils sont nombreux à pouvoir en finir avec cette étape-là et se refaire une vie. Par contre, il y en a trop qui ne disposent d'aucune autre ressource, qui se voient contraints de vivre de l'assistance sociale, puis qui font face à toutes sortes d'obstacles lorsqu'ils essaient de se redresser. Si vous empêchez carrément que les gens chutent, vous faites quelque chose de merveilleux.
L'élément D porte sur la notion de stabilité. Il n'y a pas que le montant d'argent qui compte; il y a aussi la stabilité du revenu qui importe. À la conférence organisée à Calgary la semaine dernière, une personne qui travaille après des parents seuls pour les aider à parfaire leurs études supérieures a relaté une anecdote à ce sujet. Il y a des parents seuls qui parviennent à entrer à l'université; ils essaient d'avancer dans la vie; ils obtiennent un prêt pour étudiants et des prestations pour enfants; et voilà que le semestre est terminé. Le prêt ne couvre que la période d'études; il faut donc présenter à nouveau une demande d'assistance sociale, c'est-à-dire passer par un autre système pour trouver un revenu, s'organiser pour que les enfants puissent être gardés, tomber au bas de la liste encore une fois et ne pas arriver à trouver des services de garde. L'instabilité de la situation et les dérangements constants font que les gens régressent encore une fois. La stabilité du revenu importe aussi; il importe de ne pas devoir toujours présenter une nouvelle demande et se plier sans cesse à de nouvelles règles.
Si vous le permettez, j'ai deux autres points à soulever. Il y en a un qui a trait à la question de l'innovation.
À notre plus récente réunion du conseil, quelqu'un a raconté une histoire extraordinaire. Lui qui a beaucoup travaillé en Afrique, il a affirmé que vivre de façon extrêmement pauvre, c'est comme être pris dans un marécage avec de la boue jusqu'au cou. Si vous êtes pris dans une telle situation, vous ne faites rien. Votre but, c'est d'arriver à ne faire presque rien, étant donné que la moindre onde pourrait vous précipiter dans la noyade ou attirer les alligators. C'est la situation que vivent la plupart des assistés sociaux. Cette inertie-là empêche d'innover et de faire les efforts pour avancer : c'est que, souvent, on retombe, parfois encore plus bas.
Ma dernière observation porte sur le capitalisme et le marché ou — comme un grand nombre de mes amies féministes le disent —, la tension entre le capitalisme et le patriarcat. La réalité que nous évacuons et que nous n'arrivons pas vraiment à accepter avec constance, pour les besoins de l'analyse des politiques gouvernementales au Canada, c'est que le marché ne représente pas l'économie en entier. La majeure partie de l'activité économique se situe au niveau des ménages et du secteur sans but lucratif. Elle ne s'inscrit pas dans l'économie de marché, et c'est la partie de l'économie qui est la plus essentielle du point de vue des êtres humains et du développement social. Nous en faisons abstraction à nos risques et périls. Pour une grande part, cela explique pourquoi nous vivons la crise financière que nous vivons en ce moment même.
Le sénateur Cordy : L'ennui, c'est que, en écoutant, on prend quelques notes, mais l'esprit papillonne. Par où commencer et que puis-je dire en deux minutes ou moins?
Merci beaucoup à tous. C'était une discussion incroyable, qui nous aidera à rédiger notre rapport. Comme les discussions autour de la table l'ont fait voir, comme nous avons entendu, là où il est question de pauvreté, il est difficile de privilégier un seul et unique élément, étant donné qu'il y en a tant qui se chevauchent.
Mme Eberle a affirmé que le logement est le point d'ancrage. C'est une des questions que nous avons étudiées. Si vous avez une adresse, au moins, à ce moment-là, vous avez une certaine dignité. C'est un bon point de départ. Il est difficile de dissocier ces éléments-là.
Je me soucie de ce que les gens se trouvent piégés dans le cycle de l'itinérance ou de la pauvreté, qu'ils ne parviennent pas à s'en sortir. Comme le sénateur Segal l'a dit, Tom Gribbons, de Saint-John, au Nouveau-Brunswick, a affirmé qu'il semble que nous versions suffisamment d'argent pour que les gens vivent mieux même s'ils sont pauvres, mais pauvres, ils le demeurent. Il n'y a pas de tremplin qui servirait aux gens à sortir de la pauvreté, pour toutes sortes de raisons. Ils doivent se nourrir et se loger, mais il faut encore réunir de nombreuses autres conditions pour briser le cycle de la pauvreté
J'enseignais à l'école élémentaire, dans une autre vie. Je pouvais observer ces choses-là. Vous aviez devant vous des enfants de cinq ou six ans, et vous souhaitiez que leur avenir soit beaucoup plus rose que celui de leurs parents. Cela nous ramène à nombre de choses que vous avez évoquées aujourd'hui, par exemple l'éducation et la garde des enfants, et toute une série de questions.
Mme Regehr et plusieurs d'entre vous avez mentionné le fait que nous investissions beaucoup d'argent dans le domaine du logement, en particulier. Je vais m'en tenir à ce domaine-là. Nous y avons mis beaucoup d'argent, et les résultats obtenus ne me paraissent pas extraordinaires. En 1989, la Chambre des communes a adopté à l'unanimité une motion visant à éliminer la pauvreté chez les enfants du Canada au plus tard en l'an 2000. Toutefois, la « pauvreté chez les enfants » n'existe pas. Les enfants vivent dans une famille; la pauvreté des familles, voilà ce qui existe.
Tout le monde a voté en faveur de cette motion-là avec la meilleure des intentions, mais voilà où nous en sommes, 20 ans plus tard. Il y a encore des familles et des gens pauvres. Nous avons dépensé beaucoup d'argent, mais nous n'avons pas obtenu les résultats escomptés. Les gens autour de la table ne s'entendent pas pour dire qu'il faudrait une stratégie nationale, mais tous conviennent du fait qu'il faut un plan national. Je ne suis pas sûr qu'il y ait des résultats à obtenir.
M. Pomeroy a affirmé que l'Australie s'est donné des résultats mesurables. Il y a toute la question des compétences provinciales et fédérales qui entre en ligne de compte ici. Les provinces ne veulent pas que le financement soit assujetti à des conditions. Par contre, du point de vue fédéral, nous voulons établir des conditions, pour nous assurer que l'argent n'est pas compté dans les recettes générales de l'État, qu'il est bel et bien consacré au problème en question. Si les résultats à obtenir étaient les bons, est-ce que ce serait viable? À mon avis, nous n'avons pas ces résultats-là. Est-ce que ce serait viable, pour éviter qu'il y ait, le 12e mois de la quatrième année, tout un branle-bas de combat pour essayer de voir ce que nos activités ont donné — pour une démarche ouverte, transparente et mesurable? Est-ce que ça fonctionnerait, pour que l'argent soit dépensé judicieusement et que les gens aient accès à des mesures qui leur permettent de briser le cycle de la pauvreté?
Ma question porte sur le dossier des Autochtones, qui est de compétence exclusivement fédérale. Personne ne peut dire : « Ce n'est pas ma responsabilité à moi. » C'est une question exclusivement fédérale. M. Seymour a dit quelque chose d'extraordinaire. Il a parlé des différents besoins qui se présentent et de la façon dont les besoins en question peuvent évoluer. Il a raconté l'histoire de la mère seule pour laquelle on a construit une maison, avec quatre chambres à coucher. Le temps ayant passé, elle n'avait plus besoin d'une maison avec quatre chambres à coucher. Lorsque la situation de la personne évolue ainsi, comment peut-on lui demander de quitter la maison, à moins de pouvoir proposer quelque chose de mieux? C'est une question qui est vraiment importante.
Il y a un an de cela, j'ai eu l'occasion de me rendre dans un foyer pour personnes âgées situé dans une réserve au Manitoba. Le personnel qui y travaillait était incroyable. Il était si efficace. La veille, j'avais visité un foyer pour personnes âgées ailleurs au Manitoba, qui avait sa propre cafétéria, sa propre chapelle et tous les gadgets électroniques que l'on peut imaginer pour les patients. Si un patient atteint de la maladie d'Alzheimer essayait de s'en aller, il y avait de petites cloches qui sonnaient, une lumière qui s'allumait ou un dispositif qui sifflait. Ce qu'il y avait de bon du centre pour personnes âgées autochtone, c'était que c'était un des rares foyers pour personnes âgées qui soit situé dans une réserve au Canada. Voilà une autre question tout à fait. Il manquait certains carreaux sur le plancher. Sur le mur, il y avait un plan d'un grand projet immobilier pour personnes âgées, qui était là depuis au moins 15 ans. Les gouvernements successifs ont annoncé et réannoncé la mesure, mais rien ne s'est fait. Lorsque vous parlez de besoins en logement, je peux vous dire que je comprends tout à fait.
Je m'intéresse aussi aux besoins en matière de logement en milieu urbain chez les Autochtones. Nous avons tendance à nous attacher à la question du logement dans les réserves elles-mêmes, mais, comme c'est le cas pour tous les autres segments de la société au Canada, nos jeunes vont s'installer en milieu urbain.
Dans quelle mesure les Autochtones qui arrivent en milieu urbain ont-ils accès à des logements?
Le président : Votre première question sur les buts et les résultats mesurables est de portée générale. Vous avez posé par la suite d'autres questions particulières sur les besoins des Autochtones auxquelles M. Seymour répondra.
En parlant des administrations provinciales et territoriales, quelles sont les relations ou les mesures de concertation que vous recommanderiez pour garantir que les programmes et les politiques se renforcent mutuellement, plutôt que de s'opposer? Que nous ayons ou non des stratégies nationales ou « pancanadiennes », comme le dirait M. Rainer, qu'en est-il de la relation? Comment s'assurer que tout cela converge et fonctionne de manière concertée? C'est une des grandes difficultés qui existent aujourd'hui.
Puis, bien entendu, il y a les collectivités locales, d'où proviennent bon nombre des solutions au problème. Il faut que les solutions viennent de la base. Quelle relation recommandez-vous en ce qui concerne les initiatives et les programmes qui seraient rattachés aux politiques locales et provinciales? Nous faut-il des accords sur le développement urbain comme il y en a à Vancouver et à Winnipeg, où les trois ordres de gouvernement se sont entendus sur une forme de collaboration?
Dans la mesure où vos questions se rapportent au dossier des Autochtones, je vais demander à M. Seymour de répondre en premier lieu.
M. Seymour : Merci. Je voulais traiter de cette question-là et aborder quelques-unes des autres.
À propos d'une stratégie ciblée pour les Autochtones, nous devons reconnaître que, du Programme de logement pour les Autochtones en milieu urbain, nous avons tiré ce que nous qualifions d'infrastructure sociale. Qu'il faut appuyer, étant donné que l'infrastructure sociale permet de réaliser l'analyse qui s'impose, ce qui sert à répondre à la troisième question. Quand la troisième question renvoie aux collectivités locales, nous aimons penser que cela inclut les communautés autochtones, d'où la possibilité de traiter de sensibilité au contexte culturel, de soutien culturel au profit d'autres organismes et d'autres aspects de la situation, comme on peut le voir à Calgary, et d'analyser et d'essayer d'enrayer l'inertie sociale ou la crainte d'agir évoquée par Mme Regehr.
Nous étudions le degré de succès des mesures adoptées à cet égard et constatons que le succès est l'affaire non pas de la génération qui obtient un logement, mais plutôt de celle qui, enfant, grandit dans le logement en question et grandit dans un tel milieu.
Il y a des paramètres de conception que nous avons réussi à faire passer plus ou moins sous le nez de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, la SCHL. Par exemple, la pièce prévue pour la buanderie est plus grande qu'elle le serait normalement; cela nous permet d'installer une division en plastique pour faire, d'un côté, la salle de buanderie et, de l'autre, une salle de classe, une salle pour la garde des enfants ou une salle pour tout ce qui doit se faire en fait de formations officieuses et d'acquisitions d'aptitudes sociales. Tout se passe donc là, depuis les leçons particulières jusqu'aux discussions sur les soins prénatals, pour que les femmes puissent avoir une grossesse normale et éviter le syndrome d'alcoolisme fœtal et tous les problèmes sociaux qui sont associés au fait de vivre dans la rue et de devoir affronter l'alternative survivre ou disparaître. Regardez le pourcentage des femmes qui disparaissent. C'est un effet de la vie dans la rue et de ce qu'il faut faire pour survivre dans la rue. Parfois, on ne survit pas.
Ça ne peut se faire dans une perspective nationale, mais ça peut se faire au moyen d'une stratégie nationale qui permet de rassembler les ressources et les gens. Pour ce qui est de rassembler les gens, le Sénat peut indiquer dans son rapport que les ministres chargés du logement devraient obligatoirement se rencontrer et peut-être adopter le modèle australien, qui découpe l'action en tranches de quatre ou cinq ans. Les collectivités devraient se rencontrer entre ces périodes-là aussi.
Il importe aussi que la communauté autochtone recommande au gouvernement du Canada d'investir dans ce cadre social-là. Il s'agirait notamment d'investir dans l'Association nationale du logement autochtone, pour que nous puissions en réunir les membres. C'est que, à l'heure actuelle, nous ne disposons d'aucun financement. Nous n'avons pas réussi à organiser des conférences à la manière de l'ACHRU, qui y arrive en partie parce qu'elle est financée par le gouvernement du Canada. Nous n'obtenons aucun financement.
Je dis : investissez dans la structure sociale comme moyen d'agir pour vous assurer que les politiques et les programmes conçus collectivement sont adéquats et permettent bel et bien de répondre aux besoins de la communauté autochtone à l'échelle locale. Laissez aux acteurs locaux le soin de concevoir les stratégies nécessaires pour instaurer un changement et asseoir le développement social.
M. Brown : En ce qui concerne les Autochtones, je tiens à dire que je suis d'accord avec ce que M. Seymour dit depuis le début de la réunion.
Nous avons réalisé notre premier sondage auprès des itinérants à Toronto en 2006. Plus de 20 p. 100 des itinérants à Toronto sont autochtones. Il s'agit véritablement d'une question nationale, une question urbaine, une question rurale et une question autochtone. Nous sommes d'accord avec les propos de M. Hill et de M. Seymour à cet égard.
À Toronto, en prenant cette statistique-là pour référence, nous avons dit que nous réserverons 20 p. 100 des fonds provenant de la Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance aux mesures touchant les sans-abri autochtones. C'est une donnée qui nous a permis de cibler les ressources rares à notre disposition, à Toronto. Nous avons collaboré étroitement avec les Autochtones de Toronto en vue de mettre sur pied des initiatives très utiles.
Quant à l'observation du sénateur Cordy — qu'il y a beaucoup d'argent investi dans le logement sans qu'on en voie les retombées —, nous devons souligner certaines des réussites découlant des investissements antérieurs et des investissements actuels. Avec le respect que je vous dois, je dirais que, selon moi, il n'est pas tout à fait juste d'affirmer que nous avons investi tout cet argent-là sans en tirer de résultats. L'IPLI a débouché sur un grand nombre de réussites en ce qui concerne l'itinérance, les pratiques exemplaires et des pratiques prometteuses. À Toronto, par exemple, 29 p. 100 de l'ensemble des logements locatifs de la ville ont bénéficié d'une aide, d'une manière ou d'une autre. Tous ces programmes-là ont servi à bâtir la Ville de Toronto.
C'est un travail d'envergure qui a ainsi été accompli. Ce sont des investissements fédéraux et provinciaux qui ont donné bon nombre des beaux quartiers coopératifs et sans but lucratif qu'il y a dans toute la ville. Dans le contexte, nous devons souligner ces réussites-là.
La difficulté principale réside dans le fait que les investissements ne correspondent tout simplement pas à ce dont nous avons réellement besoin. Par exemple, pour parler de ce que nous pourrions faire rapidement, suivant l'observation de M. Rainer, le gouvernement fédéral pourrait doubler rapidement les investissements faits dans l'IPLI. Le programme existe; il est fonctionnel; et il porte fruit. Ce n'est pas beaucoup d'argent si on compare cela aux autres investissements qui sont faits en ce moment. C'est l'ampleur de l'investissement et du financement qui, à mon avis, nous pose problème.
Il y a deux autres questions à propos de la collaboration des ordres de gouvernement — le fédéral, le provincial et le municipal. Du point de vue de l'ACHRU, ce sont les partenariats et la collaboration qui priment. Si vous le permettez, je lirai pour le compte rendu — j'en remets un exemplaire à la greffière — la position de principe que l'ACHRU vient de publier sur l'itinérance; ça va prendre plus ou moins une minute. La façon dont les administrations fédérale, provinciales et locales peuvent travailler ensemble y est très bien expliquée.
Globalement, selon cette déclaration, le Canada a instamment besoin d'une vaste stratégie nationale du logement dont la priorité absolue serait de mettre fin à l'itinérance. Notre position repose sur six principes : une stratégie nationale, la priorité au logement, plus de logements maintenant, des appuis essentiels, l'accent mis sur le client et un partage des responsabilités.
Quant à la manière dont nous pourrions travailler ensemble, l'ACHRU recommande que :
1. Le gouvernement fédéral fasse preuve de leadership dans les stratégies pour mettre fin au problème de l'itinérance grâce à un cadre de financement continu et durable;
2. Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux travaillent de concert avec les collectivités locales qui, à leur tour, feront équipe avec les intervenants clés pour établir les priorités touchant l'utilisation des fonds fédéraux;
3. Les gouvernements provinciaux et territoriaux fassent preuve de leadership dans leurs efforts afin de permettre aux collectivités locales de mettre fin à l'itinérance;
4. Les gouvernements municipaux continuent d'épauler les dirigeants communautaires pour favoriser la collaboration entre les organisations communautaires et les organismes gouvernementaux, afin d'élaborer de vastes plans d'action qui tiennent compte de la situation et des capacités locales.
Comme je l'ai mentionné, je vais remettre cela à la greffière. Il y a encore de la matière là-dedans. Il est question tout à fait de collaboration et de partenariat. Il y a bien une critique dont certains responsables provinciaux m'ont fait part — mais pas en Ontario — au sujet des fonds de relance récemment annoncés, soit que les provinces ont été appelées à partager les coûts et à égaler la contribution fédérale, mais sans participer à l'établissement des priorités. Cela fait voir ce qu'il faut changer. Si vous demandez aux provinces, aux municipalités et à d'autres acteurs d'investir de l'argent, il est à présumer que les acteurs en question auront la possibilité de participer à l'établissement des priorités.
Localement, nous utilisons un slogan pour qualifier le travail que nous faisons à l'échelle municipale à la Ville de Toronto : « Home is where it starts ». Autrement dit, charité bien ordonnée commence chez soi. C'est absolument fondamental.
Pour finir, je soulignerai un fait à propos des finances dans cette histoire. Si quelqu'un me demande quels sont mes trois objectifs prioritaires pour l'année, je dirai que ce sont : le financement, le financement et le financement. Les gens comme moi-même, les gens des organismes communautaires, mettent un temps fou à faire le tour du pays pour s'occuper de programmes qui sont tantôt fonctionnels, tantôt en suspens... Établissons donc un financement durable et prévisible, de telle sorte que nous allons pouvoir utiliser cette énergie-là à concevoir un meilleur service à la clientèle et à mieux exécuter les services.
En ce moment, à Toronto, c'est la Ville de Toronto qui est le principal bailleur de fonds de services sociaux de logement abordable et de services aux itinérants. Sa contribution compte pour 44 p. 100 de l'ensemble, le gouvernement fédéral vient au deuxième rang, à 26 p. 100 et le gouvernement provincial, au troisième, à 23 p. 100. Cela ne donne pas tout à fait 100 p. 100, étant donné que les 905 secteurs qu'il y a à Toronto sont appelés aussi à verser une contribution financière.
Il y a 20 ans de cela, le gouvernement fédéral contribuait à 75 p. 100 du total, et la province, 25 p. 100. Indéniablement, il faut rééquilibrer l'équation et donner au gouvernement fédéral non pas un rôle nouveau, mais plutôt le rôle qu'il jouait auparavant en tant que bailleur de fonds principal des initiatives de ce genre.
M. Shapcott : Sénateur Cordy, vous touchez à l'essentiel des politiques en matière de logement et d'itinérance, des politiques en matière de pauvreté, de façon générale. Vous avez parlé de résultats, d'ouverture et de transparence. De façon générale, les gens souhaitent savoir ce que fait le gouvernement fédéral. Quels sont les résultats obtenus? Est-ce une contribution positive? En faut-il davantage? Le cas échéant, comment utiliser les fonds? Au fil des ans, pour illustrer cela de manière évocatrice, les représentants de certains des groupes avec lesquels j'ai travaillé se sont présentés aux réunions de ministres fédéral, provincial et territorial, et ont bâti des maisons de papier à l'aide des communiqués de presse publiés par les autorités fédérales et provinciales à propos de tout ce qu'ils font en matière de logement et de lutte contre l'itinérance. C'était une façon de souligner que, même si les responsables des communications sont très occupés, la réalité est peut-être un peu plus fuyante.
Je veux m'attacher à trois des volets de financement fédéraux qui touchent directement la question du logement et celle de la lutte contre l'itinérance. Il importe d'aborder les trois dimensions en question, étant donné qu'il en découle ce que sont en quelque sorte des recommandations naturelles. Premièrement, il y a l'initiative en matière de logement abordable, dont l'incarnation actuelle remonte à 2001 avec la conclusion d'une entente fédérale-provinciale sur le logement abordable à laquelle toutes les provinces et le gouvernement fédéral ont adhéré. Des conditions particulières et distinctes s'appliquent à l'entente conclue avec chacune des provinces. À l'origine, le gouvernement fédéral a investi 1 milliard de dollars; les provinces et les autres parties, soit les municipalités, les promoteurs immobiliers et ainsi de suite, devaient investir aussi 1 milliard de dollars. Le total s'élèverait donc à 2 milliards de dollars. En 2005, le Parlement a débloqué 1,6 milliard de dollars additionnels pour le logement abordable. Cependant, au moment d'allouer la somme un an plus tard, le gouvernement l'a réduite quelque peu. Ainsi, ce sont, 4 milliards de dollars qui ont été investis dans une série de fiducies de logement.
En septembre, le gouvernement fédéral a annoncé la prolongation de trois programmes pour cinq ans : l'Initiative en matière de logement abordable; le programme fédéral d'aide à la remise en état des logements, qui s'adresse aux propriétaires de maisons à faible revenu et aux propriétaires d'immeubles locatifs dont les locataires touchent de faibles revenus; et la stratégie fédérale des partenariats de lutte contre l'itinérance. C'est une somme de 1,9 milliard de dollars qui doit être versée sur cinq ans.
Pour revenir à l'Initiative en matière de logement abordable en 2001, chacune des ententes bilatérales conclues entre le gouvernement fédéral et une province comportent deux annexes. La première s'intitule cadre de responsabilisation. Elle exige de la province qu'elle produise tous les ans des états financiers vérifiés et un rapport sur le rendement qui précise le nombre d'unités d'habitation ayant fait l'objet des investissements, en signalant s'il s'agit de suppléments ou d'autres mesures; le coût de propriété moyen dans le cas d'un programme d'accès à la propriété; le loyer moyen et ainsi de suite. Les responsables doivent produire tous les ans des rapports détaillés.
Deuxièmement, il y a un protocole de communications selon lequel tout ce qui relève des programmes en question est censé être ouvert et transparent. J'entretiens une très vive relation avec les gens de la Société canadienne d'hypothèques et de logement. Je présente des demandes mensuelles; depuis 2001, pas un seul, je dis bien : pas un seul des rapports annuels sur le rendement ou des états financiers vérifiés annuels des provinces et du gouvernement fédéral n'a été publié. L'ouverture et la transparence sont importantes. Nous devons être en mesure de savoir comment l'argent est actuellement employé.
Par contre, grâce la Loi sur l'accès à l'information et à la protection de la vie privée de l'Ontario, au cours des quelques derniers jours, nous avons reçu des renseignements sur la partie Canada-Ontario. Nous venons d'en entamer l'analyse; je serai heureux de faire part des résultats de cette analyse à une date ultérieure. Nous avons constaté que les 1 000 unités d'habitation locatives visées par le programme d'accès au logement en question en Ontario en 2007-2008 ont été créées à un coût de quelque 100 millions de dollars, dont le gouvernement fédéral a investi 26,5 millions de dollars; cela donne un loyer qui se situe en moyenne à 100 $ en deçà des loyers du secteur privé.
Pour répondre à la question posée à propos des résultats, disons que ce ne sont pas des logements très abordables. C'est un peu plus bas que le marché dans le secteur privé, mais pas beaucoup plus bas. Est-ce suffisant? Non. Nous devons nous demander si ce programme permet d'en arriver vraiment à des logements abordables. Ce sont là d'importantes questions
Je veux énumérer rapidement un certain nombre de points, puis je serai heureux de préciser plus tard quel serait le rôle particulier du gouvernement fédéral en rapport avec cela.
Je veux revenir à Statistique Canada. Avec tout le respect que je dois à Mme Eberle, je mettrai en doute l'énoncé selon lequel 85 à 90 p. 100 des Canadiens sont bien logés. Peut-être est-ce vrai, mais nous ne le savons tout simplement pas. Si nous ne le savons pas, c'est que nous n'établissons pas de statistiques dignes de ce nom en la matière.
Selon le recensement de 2006, 24,9 p. 100 des ménages canadiens utilisent au moins 30 p. 100 de leur revenu pour se loger, une des mesures types de l'abordabilité. Au cours des derniers mois, Statistique Canada a reconnu que 1,4 million de personnes — c'est l'estimation de l'organisme lui-même — n'ont pas figuré dans le recensement. Des gens plus portés sur la statistique que moi, dont des responsables de la Ville de Toronto et d'ailleurs, sont d'avis que ce nombre est beaucoup plus élevé, en fait. Le plus souvent, il s'agit de gens à faible revenu et d'itinérants. La proportion donnée — 24,9 p. 100, ou un ménage canadien sur quatre — pourrait bien être nettement plus élevée.
Dans bon nombre d'administrations, le travail fait à cet égard est nettement meilleur; je ne veux pas m'éterniser sur le cas de Statistique Canada, mais l'organisme doit se voir confier à la fois le mandat voulu à cet égard et les ressources nécessaires pour faire un meilleur travail.
Je veux parler de la Société canadienne d'hypothèques et de logement, notre organisme national dans le domaine, qui compte une longue histoire dont on peut être fier. Fin 1998, le gouvernement fédéral présente des modifications de la Loi nationale sur l'habitation, qui transforment le rôle de la Société canadienne d'hypothèques et de logement. Délaissant le rôle traditionnel qui lui était dévolu en tant qu'organisme soucieux de loger les Canadiens à faible et à moyen revenu, elle est devenue une entité commerciale. Maintenant, elle s'attache d'abord et avant tout à l'assurance-hypothèque, pratique lucrative.
Dans le mémoire que nous avons remis mardi au Comité permanent des droits de la personne de la Chambre des communes — dont j'ai remis un exemplaire à la greffière —, à la page 7, nous présentons des notes sur le plus récent rapport quinquennal de la Société canadienne d'hypothèques et de logement. Dans ce rapport, la SCHL affirme que le nombre de ménages auquel elle prêtera assistance au cours des cinq prochaines années passera de 625 000 à 580 000 environ. En même temps, elle dit que ses dépenses globales au chapitre de l'initiative en matière de logement abordable, c'est-à-dire le programme principal du gouvernement fédéral, diminueront pour atteindre 1 million de dollars d'ici 2013, pour l'ensemble du Canada. Pour un particulier, 1 million de dollars représente une somme d'argent considérable, mais, pour le gouvernement fédéral, concrètement, cela veut dire que le programme n'existe plus.
Néanmoins, pour la même année, la Société canadienne d'hypothèques et de logement signale que ses recettes nettes — une fois les dépenses déduites —, l'argent qu'elle va mettre dans son compte de banque, approchera les 2 milliards de dollars. La SCHL affiche un important excédent, qui, selon nous, doit être réinvesti.
Je veux parler maintenant de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, et en particulier du Secrétariat national pour les sans-abri que le gouvernement fédéral a mis sur pied en 1999. Je sais que le sénateur Eggleton était présent au cabinet à ce moment-là, aux côtés de sa collègue Claudette Bradshaw, du Nouveau-Brunswick, une femme merveilleuse, chaleureuse, généreuse, très dynamique, une force de la nature. À mes yeux, elle a autant de mérite que Phil Mangano des États-Unis. La vision échafaudée au départ correspondait en tous points au mandat de l'Interagency Council on Homelessness des États-Unis. Selon une analyse faite, 19 ministères et organismes fédéraux avaient quelque chose à voir avec l'itinérance. À titre de coordonnatrice fédérale, Mme Bradshaw avait pour responsabilité de faire converger tous les éléments en question et de donner quelque cohérence à l'ensemble. Tristement, cela n'a pas abouti. Ce n'est pas la faute de Mme Bradshaw. Il y avait des problèmes structurels, entre autres. Cependant, la vision échafaudée — une coordination fédérale — ne s'est jamais concrétisée à la manière de l'Interagency Council on Homelessness des États-Unis, qui, depuis la Maison Blanche elle-même, représente une structure qui réunit les principaux départements américains.
L'autre entité fédérale qui doit prêter plus d'attention aux questions relatives au logement, c'est la Banque du Canada. S'il y a bien un enseignement que nous avons tiré de la récession — et il y en a bon nombre qu'il faut tirer —, c'est que la banque devrait se soucier des bulles immobilières. Il n'y a pas que les partisans de la cause du logement qui l'affirment; le magazine The Economist, entre autres, le fait valoir aussi. Si on examine le cas des États-Unis, du Royaume-Uni ou de l'Espagne, on s'aperçoit que les banques centrales se souciaient de l'inflation des prix des marchandises, mais pas de l'inflation des prix des éléments d'actif, par exemple les maisons. Elles se sont aperçues de la bulle immobilière seulement au moment où celle-ci a éclaté, au détriment de l'économie mondiale dans son ensemble.
À nos yeux, tout comme elle surveille en ce moment l'inflation, la Banque du Canada devrait avoir pour tâche de surveiller le prix des maisons en vue de sonner l'alarme au besoin.
Je voulais signaler un grave problème, faire une mise en garde sans équivoque à propos du crédit d'impôt pour le logement de personnes à faible revenu aux États-Unis. La formule, en place depuis une vingtaine d'années environ, a une histoire mouvementée; notamment, le Congrès s'est souvent penché sur la question. Sous sa première incarnation, la formule était considérée comme une des mesures fiscales les moins efficientes qui soient aux États-Unis.
Dans le domaine fiscal, par efficience, il faut entendre la proportion des fonds réellement consacrés au but dans le cadre d'un programme. Durant les quelques premières années de l'existence du programme, les audiences du Congrès ont fait voir que 50, 60, 70 cents par dollar allaient aux courtiers qui se chargeaient d'organiser les transactions fiscales compliquées entre les sociétés qui voulaient se procurer des crédits d'impôt et les constructeurs de logements à faible prix qui voulaient mettre la main sur cet argent-là. C'était le courtier, souvent un avocat ou un comptable, qui profitait. Je ne cherche pas à m'attaquer aux avocats ou aux comptables, mais disons qu'ils se sont bien tirés d'affaire sans que le programme donne grand-chose. Le gouvernement américain a révisé les règles pour les resserrer quelque peu, mais ça demeure inefficace. C'est encore jusqu'au tiers de l'argent qui se retrouve entre les mains des courtiers, plutôt que d'être consacré au but fixé.
De l'avis général des gens qui se soucient de la politique fiscale, par exemple TD Economics, dans son rapport de 2003 sur l'habitation, le mécanisme en question n'est pas très efficace. Si vous souhaitez stimuler l'investissement dans le parc privé des immeubles locatifs, si vous souhaitez favoriser l'accès à la propriété et ainsi de suite, vous devriez opter pour des moyens directs, plutôt que de passer par le régime fiscal. Ce n'est pas une façon efficace de procéder.
Aux États-Unis, les principaux mécanismes de conformité et de responsabilité associés au crédit d'impôt en question ne relèvent pas du département de l'habitation et de l'urbanisme; ils relèvent des autorités fiscales. De nombreux inspecteurs travaillent à temps plein à déchiffrer les transactions compliquées en question, pour voir ce qu'il advient vraiment de l'argent. C'est une mise en garde sérieuse pour qui envisage les crédits d'impôt pour le logement de personnes à faible revenu.
Quant aux différentes entités fédérales que j'ai mentionnées, je serai heureux de donner plus de précisions sur leurs programmes, au besoin.
Pour terminer, je voulais formuler une observation sur les trois initiatives nationales dont il est question ici : l'initiative en matière de logement abordable, le PAREL et la Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance. Je veux souligner un thème qui est ressorti des discussions aujourd'hui. Le PAREL, ou Programme de remise en état des logements, et la Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance, la SPLI, reposent tous les deux sur le principe de l'action communautaire conçue à la base. Le gouvernement fédéral travaille de concert avec les entités locales compétentes, qu'il s'agisse des municipalités ou d'autres entités communautaires. Ce sont elles qui définissent les questions, puis le gouvernement fédéral fournit un soutien. Les programmes qui en découlent sont considérés pour l'essentiel comme étant fructueux, bien qu'insuffisamment financés.
L'initiative en matière de logement abordable, et en particulier la plus récente version, celle qui figure dans le plus récent budget fédéral, est très normative. L'argent doit servir à remettre en état le logement d'une personne âgée ou d'une personne handicapée, sinon un logement social. Cela ne me pose aucunement problème, mais qu'en est-il de toutes les autres personnes ayant des besoins en la matière, par exemple les Autochtones qui ne vivent pas dans une réserve — qui n'ont pas droit à un cent de ce fonds-là — ou les familles qui ne sont pas âgées ou qui ne comptent pas un membre handicapé?
Dans son budget le plus récent, au moyen de l'initiative en matière de logement abordable, le gouvernement fédéral travaille à l'encontre des deux autres programmes, le PAREL et la Stratégie des partenariats, où il est dit : nous allons soutenir le programme, vous soutenir. À l'inverse, dans le cas de l'initiative en matière de logement abordable, le gouvernement dit : Nous savons ce qu'il y a de mieux et, voici, nous vous disons quoi faire.
Le président : Merci. Vous aurez peut-être encore l'occasion de parler, mais si jamais vous ou d'autres personnes n'arrivez pas à tout dire ce que vous vouliez dire, nous serons heureux de recevoir les observations que vous allez transmettre par écrit.
Mme Tanasescu : Je suis tout à fait d'accord avec M. Shapcott quand il parle de la nécessité pour la collectivité locale de déterminer l'usage qui est fait des fonds et les priorités qui sont établies. En même temps, il est question des résultats à mesurer et de savoir si c'est vraiment important; à mon avis, ça l'est tout à fait. M. Shapcott a affirmé que vous avez touché là l'essentiel. Pour moi-même, j'ai écrit que vous aviez frappé juste.
C'est la première année où nous faisons figure d'entité aux fins du financement de la Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance pour le gouvernement fédéral. Notre plan est fondé sur des résultats à obtenir. La gestion du rendement est essentielle pour démontrer en quoi nous atteignons nos objectifs au sein de la collectivité. C'est comme cela que nous maintenons notre erre d'aller. Nous justifions le fait de demander à nouveau des fonds au gouvernement en démontrant que nous obtenons les résultats promis.
Tandis que nous adoptons ce rôle nouveau à l'égard de la SPLI, nous constatons que les rapports demandés ne portent pas tant sur les extrants, par exemple le nombre de clients vus en une journée et ainsi de suite. On ne pose pas les bonnes questions aux gens qui dépensent l'argent. Un organisme coordonnateur travaillant de manière interministérielle et d'un point de vue holistique pourrait accomplir une tâche extrêmement utile, étant donné que la pauvreté et l'itinérance sont des questions qui touchent plusieurs ministères. L'investissement fédéral dans le logement et la lutte contre l'itinérance devraient être tributaires de résultats clés. Les collectivités appliqueraient l'argent à leurs propres fins et exécuteraient les programmes de façon localement appropriée tout en atteignant les objectifs fédéraux fondés sur des données probantes.
On innove localement, mais aussi à l'échelle fédérale. Selon moi, il ne faudrait pas penser que la sagesse proviendra toujours de la base. Les gens qui bénéficient d'un certain recul et qui observent les tendances d'une collectivité à l'autre peuvent en arriver à des réflexions importantes. Comme nous travaillons dans les tranchées, pour ainsi dire, nous n'avons pas ce luxe. Je suis directeur de la recherche à la Calgary Homeless Foundation, mais je ne suis qu'un homme. Le gouvernement fédéral dispose d'abondantes ressources : Statistique Canada, Santé Canada et divers autres organismes nationaux. L'expertise en politique et la rigueur en recherches que le gouvernement fédéral peut mettre à profit en étudiant les problèmes sociaux en question aura une incidence nettement plus grande que ce à quoi nous pouvons parvenir localement, tout simplement en raison de l'ampleur de la question. Autrement, l'organisme coordonnateur peut diffuser de l'information et stimuler les collectivités à mieux faire. Les collectivités qui ne se mettent pas au défi d'éradiquer l'itinérance et de s'attaquer aux autres questions à la mesure des ressources à leur disposition devaient être incitées vivement à user d'approches plus originales.
Comment diffuser cela et négocier avec les collectivités? La SPLI représente un cadre merveilleux. Elle est en place déjà dans 61 collectivités. Les liens sont d'ores et déjà noués avec des entités qui font figure de chefs de file localement. C'est une façon merveilleuse de mobiliser les éléments et de miser sur les relations établies. Vous devriez certainement soutenir l'organisme qui coordonne le travail d'un ministère à l'autre.
M. Rainer : Je veux revenir à la question des droits de la personne. Je crois avoir entendu M. Snow affirmer qu'avoir un logement n'est pas considéré comme un droit. De fait, selon les ententes internationales, c'est tout à fait cela. Le droit au logement est établi en droit international.
La difficulté réside en partie dans le fait que les divers ordres de gouvernement ne reconnaissent pas encore vivement le droit au logement au Canada. On pourrait en dire de même des tribunaux, quoiqu'ils ont commencé à le faire, à mon avis. C'est lorsque les droits sont reconnus qu'ils peuvent être revendiqués. C'est pourquoi il importe tant d'expliquer clairement quels sont les droits des Canadiens quand il s'agit de se loger, de se nourrir, de se vêtir et ainsi de suite. Ce sont des principes en droit international, mais, sur le plan national, le traitement de ces questions demeure vague. Cela est dû, en partie, au fait que les droits économiques et sociaux, en tant que catégorie, sont relativement moins bien acceptés. Les droits civils et politiques sont davantage acceptés dans notre société, mais les droits économiques et sociaux se trouvent sur le même pied en droit international. Ils sont indivisibles.
Le défi qu'il faut relever en tant que société consiste en partie à reconnaître pleinement les droits économiques et sociaux, au même titre que les droits civils et politiques. Nous n'admettrions pas que quelqu'un se voie refuser le droit de voter dans une élection; nous ne devrions pas admettre non plus que les gens se voient refuser le droit de se loger, le droit de se nourrir ou les autres droits socio-économiques.
À propos de la coordination fédérale-provinciale du travail, nous proposons qu'il y ait une rencontre annuelle des responsables fédéraux, provinciaux et territoriaux, des représentants de la société civile et des pauvres à propos de ce thème. Il y a deux semaines, à Calgary, nous avons tenu un forum social très animé à ce sujet. Le Forum social canadien l'a organisé avec un budget extrêmement modeste, et c'était merveilleux. L'événement pourrait prendre de l'ampleur et bénéficier de l'appui annuel des autorités; le gouvernement fédéral convoquerait les parties.
Petite note sur la question des droits de la personne : il n'y a pas eu de rencontre fédérale-provinciale-territoriale sur la question depuis 30 ans.
À propos du rôle du gouvernement fédéral par rapport aux autres ordres de gouvernement, avoir un commissaire à l'élimination de la pauvreté qui produirait périodiquement des rapports objectifs et indépendants sur ce sujet important représente, certes, un mécanisme de responsabilisation. Le Conseil national du bien-être social est bien parvenu à démontrer que certaines administrations ont progressé dans la lutte contre la pauvreté du fait, justement, de disposer de mécanismes de responsabilisation relativement forts. Selon nous, le commissariat en question ne coûterait pas si cher, mais il rapporterait beaucoup, étant donné qu'il y aurait enfin une personne ou un bureau vers lequel le public pourrait se tourner pour avoir accès périodiquement à des rapports objectifs et indépendants. Si nous n'avons pas fait de progrès jusqu'à maintenant, c'est en partie parce qu'il n'y a pas cette responsabilisation en place.
Quant à l'action communautaire et à tout le reste, il y a un véritable bourdonnement d'activités à l'échelle communautaire. Ce sont des projets louables dans pratiquement tous les cas, mais il reste à faire la preuve encore qu'ils produisent les résultats que nous souhaitons obtenir. C'est dû en partie au fait que les efforts en question sont encore trop récents. Il faudra peut-être des années, sinon des décennies pour voir les résultats. Calgary a fait preuve de beaucoup de leadership à l'échelle communautaire, et les initiatives « collectivités dynamiques » débouchent sur de nombreux projets dans un grand nombre de villes au pays. Tout cela est bien, mais les résultats restent encore à voir.
De source officieuse, l'autre jour, j'ai entendu dire qu'il y a eu augmentation de 20 p. 100 du recours aux banques alimentaires depuis un an. Cela donne à penser que, malgré tout ce qui se fait à l'échelle communautaire, des forces échappant à la volonté de la collectivité influent sur la pauvreté et sur l'itinérance.
Les initiatives d'origine communautaire sont très importantes, en partie parce qu'elles permettent de dialoguer, d'éveiller les consciences et d'aller au-delà des mythes, des stéréotypes, des attitudes et ainsi de suite. C'est là une justification suffisante en elle-même. Le rôle que nous proposerions pour le gouvernement fédéral consisterait à donner de l'ampleur à ces efforts-là. Il nous faut situer ces efforts communautaires sur une échelle plus vaste. Il est merveilleux qu'il y ait les « collectivités dynamiques » et une poignée d'organismes qui, par ailleurs, accomplissent des choses extraordinaires à l'échelle communautaire, mais il faut donner de l'ampleur à cela.
Je propose que les responsables fédéraux, provinciaux et territoriaux créent un fonds pour mieux soutenir les efforts communautaires et stabiliser les activités des ONG qui se chargent d'une bonne partie du travail.
Pour ce qui est du Canada dans son ensemble, si nous souhaitons qu'il y ait des progrès partout au pays sur cette question-là, le gouvernement fédéral devient l'intervenant le plus important. Mais il doit simplement s'engager avec plus de détermination et de sérieux que cela a été le cas jusqu'à maintenant. Le leadership fédéral demeure l'objectif. Pour cela, il nous faut au gouvernement comme à l'extérieur des gens qui veillent à ce que le leadership en question se concrétise.
Mme Eberle : À propos des résultats à obtenir, voilà un bon point. Il y a une chose que les intervenants du secteur de la lutte contre l'itinérance et du logement pourraient faire : mieux souligner les cas de réussite. La Stratégie des partenariats de lutte contre l'itinérance à RHDCC doit quand même faire l'objet de rapports, comme Mme Tanasescu l'a dit. Je ne sais pas si on a achevé les rapports communautaires qui étaient exigés. J'ai participé à l'évaluation du plan communautaire de lutte contre l'itinérance du Vancouver métropolitain, qui comporte certainement de bonnes mesures. Comme Mme Tanasescu a pu le dire, les mesures étaient davantage centrées sur les extrants dans certains cas.
Ce dont il faut donc se rappeler, c'est que c'est une question de capacité. Mesurer les résultats est un exercice compliqué et coûteux à la fois qui exige beaucoup de temps. Il faut savoir ce que l'on fait. C'est un travail qui doit se faire, et je suis tout à fait en faveur de cela, mais il y a là un problème de capacité qu'un programme fédéral quelconque permettrait de résoudre.
L'autre chose dont je voulais parler, c'est du rôle du gouvernement fédéral, des provinces et des municipalités. Le gouvernement fédéral doit jouer le rôle de leader et exercer une fonction d'habilitation, ce qui a trait à des ressources. Nous devons mobiliser tous les ordres de gouvernement de même que d'autres intervenants, le secteur privé et le secteur sans but lucratif. Les gens autour de la table ont reconnu la valeur des décisions prises localement, et il faut soutenir et améliorer cette démarche-là. Encore une fois, il s'agit pour le gouvernement fédéral de fournir un financement stable à long terme.
Je ferai aussi une mise en garde. Il existe une assez bonne relation de travail entre la SPLI et le PAREL par rapport aux rôles respectifs des autorités fédérales et provinciales, tout au moins en Colombie-Britannique, cas que je connais le mieux. La plus récente série de dépenses a soulevé la colère de certaines parties, qui ont reçu le financement, mais qui n'ont pu participer à l'établissement des priorités. C'est en quelque sorte une régression des relations fédérales-provinciales dans le domaine du logement.
Rapidement, j'attire votre attention sur une question dont nous n'avons pas beaucoup parlé aujourd'hui. J'encouragerais le comité à envisager le devenir de notre société. Dans la société canadienne, il se produit certains changements qu'il faut reconnaître et prendre en considération dans notre planification de la politique du logement de l'avenir, notamment l'expérience immigrante en la matière. Nous sommes en train de devenir un pays d'immigrants, et il faudra peut-être en tenir compte particulièrement au moment d'imaginer toute politique du logement. Je me fais l'écho des propos de M. Seymour à propos de la situation des Autochtones. Ce sont là deux secteurs qui ont trait au rôle du gouvernement fédéral, étant donné que la politique d'immigration est de compétence fédérale et que la situation des Autochtones est clairement, elle aussi, de compétence fédérale.
L'autre point sur lequel je souhaite attirer votre attention, c'est une question nouvelle : l'augmentation du coût de l'énergie et les conséquences qu'elle peut avoir pour l'accessibilité des transports et du chauffage résidentiel. Nous devons envisager cette question-là pour l'avenir aussi.
Le président : Merci. M. Seymour doit quitter pour aller prendre l'avion, mais nous l'avons quand même entendu au début du présent tour.
M. Hill : M. Pomeroy a bien parlé quand il a dit que « stratégie » voulait dire « ressources supplémentaires ». Je suis d'accord avec M. Snow pour dire que, si nous parlons de l'idée que le gouvernement fédéral fournisse des ressources supplémentaires en vue de régler certains des problèmes liés au logement et à l'itinérance, il faut établir quelques lignes directrices pour que nous puissions coopérer. Ce serait probablement la meilleure façon de définir la stratégie nationale en matière de logement telle que je l'imagine.
Il y a augmentation de l'itinérance depuis que le financement des projets sociaux fait l'objet d'une limite en 1993, et les listes d'attente se sont allongées incroyablement en ce qui concerne les sociétés de logement pour Autochtones en milieu urbain. Au moment de concevoir une stratégie fédérale, il appartient au Canada de reconnaître le fait que les Indiens inscrits représentent en ce moment près de la moitié de la croissance de la population en milieu urbain. C'est probablement le quart d'entre eux qui a grandi en milieu urbain, et l'autre quart vient probablement de s'y installer récemment.
Pour parler des droits, le Canada doit reconnaître que les Autochtones ont le droit de contrôler le dossier du logement pour Autochtones. Il doit aussi reconnaître, tout comme doivent le faire les provinces, qu'il existe des différences culturelles entre les Premières nations, les Inuits et les Métis, d'une part, et les membres de la population générale, d'autre part.
Les autorités fédérales doivent reconnaître que nous possédons une longue expérience de l'exécution de programmes de logement fructueux grâce à nos sociétés de logement des Autochtones en milieu urbain et que nous possédons les aptitudes qui accompagnent une telle expérience.
Il faut reconnaître aussi un autre fait : ce n'est pas simplement parce que nous quittons la réserve que nous perdons notre qualité de Première nation ou je ne sais quoi et, si nous vivons dans la réserve, nous ne faisons habituellement pas face à de la discrimination. C'est lorsque nous la quittons que cela arrive. C'est à ce moment-là que les problèmes commencent à se poser, et ce sont des problèmes importants qui découlent de ce phénomène en particulier.
Il faut se pencher sur les politiques restrictives. Je veux vous donner un exemple : si la coopérative de logement pour Autochtones en milieu urbain économise en faisant preuve de frugalité et en gérant ses finances avec adresse, elle doit remettre l'excédent au gouvernement. En Ontario, cela va à la municipalité. Ici, nous remettons l'argent à Ottawa. Nous n'avons pas le droit de réinvestir dans le logement les économies que nous générons. Il faut des politiques suffisamment souples qui, cela a été dit, dans le contexte général, ne devraient pas être normatives. Elles devraient plutôt servir d'assise à un développement futur et à des mesures de soutien conçues pour répondre aux besoins en logement qui existent réellement.
Je vous remercie de l'occasion que vous m'avez offerte aujourd'hui.
M. Snow : Je vais parler brièvement d'un sujet que M. Shapcott a évoqué, les bulles immobilières, l'inflation artificielle du prix des maisons dans une région donnée. Les raisons pour lesquelles les marchés privés réagissent comme ils le font figurent parmi les questions qui n'ont pas été souvent mentionnées dans le document initial du comité, celui de l'été dernier, ni aujourd'hui même. Pourquoi le logement, qui nous sert d'indicateur général, est-il devenu à ce point inabordable dans certaines municipalités plutôt que dans d'autres, et quels sont les facteurs à l'origine de la croissance rapide des bulles immobilières dans des municipalités particulières, pas seulement au Canada, mais partout dans le monde?
Je souligne de nouveau que, selon des études importantes, la réglementation sur l'utilisation des terrains crée une rareté artificielle des terres dans certaines municipalités. Ce sont souvent des politiques que certains, moi-même y compris, prisent, dont nous prisons les résultats. Nous pouvons bien discuter et accorder un financement pour que les gens à faible revenu aient accès à un logement abordable, mais s'il faut se pencher sur la question des loyers normaux dans un marché, il faut s'attacher aux facteurs qui font augmenter les loyers et rendent les logements moins abordables pour les gens, qui relèvent le prix, de sorte que les gens ont alors besoin d'argent pour avoir accès à un logement abordable.
J'insisterais sur l'idée que le comité examine certaines des études en question, certaines des données qui invitent à penser que les facteurs locaux expliquent pour une grande part l'augmentation du prix des maisons dans le secteur privé et, de ce fait, rendent les logements moins abordables et nuisent d'abord et avant tout aux gens qui ont un faible revenu. Nous n'aimons pas entendre cela, étant donné que nous adorons la croissance dite intelligente et les zonages de tout poil, mais nous devons admettre un fait : il y a tout lieu de penser que c'est la réglementation sur l'utilisation des terres qui explique pour une bonne part l'augmentation du prix des maisons et donc du prix de location des logements, et, partant, l'augmentation du nombre de personnes qui n'arrivent pas à se payer un logement, élément précurseur de l'itinérance.
Si nous tenons vraiment à lutter pour l'accès au logement et contre l'itinérance d'un autre point de vue, nous devons prendre ces idées-là au sérieux, même si cela veut dire qu'il faut réviser les politiques municipales d'utilisation des terres. Or, bien des gens n'apprécient pas cette idée-là.
Mme Regehr : Au point où nous en sommes, il n'y a pas grand-chose à ajouter. Je voudrais simplement insister sur quelques éléments clés que j'ai entendus et qui sont très importants du point de vue du conseil.
Plusieurs personnes ont parlé d'une rencontre obligatoire; le financement d'une telle rencontre est absolument capital. Il en a été question à Calgary et également à l'examen périodique universel sur les droits de la personne.
Les tribunes où discuter des questions relatives à la pauvreté ne foisonnent tout simplement pas, si on compare cela au secteur de la santé, par exemple, où il y a de la recherche, du financement, des conférences et tant d'activité. Par les temps qui courent, on affame vraiment le champ du développement social dans son ensemble, et en particulier le secteur de l'étude des questions relatives à la pauvreté. C'est donc dire qu'il faut réunir tout le monde, les différents ordres de gouvernement et les différents secteurs de la société. Évidemment, cela veut dire qu'il faut aussi accomplir une tâche beaucoup plus ardue, soit trouver des façons de mobiliser les populations qui font face elles-mêmes à la pauvreté. Il ne s'agit pas simplement d'inviter les gens à participer à la démarche gouvernementale en s'attendant à ce qu'on donne aux gens ce qu'il leur faut chez eux et à leurs conditions. Cela me paraît tout de même important.
L'idée de l'échelle est extrêmement importante. Le Canada est constamment critiqué — et même moi, j'ai eu des questions en écoutant cela — parce qu'il y a tant de programmes et qu'il parle des sommes d'argent qu'il investit, mais en mentionnant rarement quel est le pourcentage des besoins que cela est censé combler. Qui est-ce que la somme d'argent est censée aider? Est-ce que ce sont les 5 p. 100 qui sont sans abri, les 10 p. 100 qui n'ont pas les moyens de se nourrir ou les 20 p. 100 qui ont besoin d'un programme de formation? Il nous reste alors à critiquer les 80 p. 100 qui restent, qui n'arrivent pas à se prévaloir du programme, parce qu'ils seraient paresseux. Il faut regarder l'échelle. N'adaptez pas un programme dont les ressources suffisent seulement à répondre à 5 p. 100 du besoin en prétendant que c'est un bon programme qui va régler un problème, car ce n'est pas le cas.
L'idée de parler des réussites comme certaines personnes l'ont évoqué, de souligner les cas fructueux, m'intrigue. Je crois qu'il y a un grand nombre de projets fructueux dont nous ne sommes pas au courant. Nous ne pouvons les souligner parce que nous ne pouvons pas les repérer. Nous ne les connaissons pas.
Les gens participent à un programme, puis s'en vont. Ils n'existent plus. Dans ma génération à moi, il y a une cohorte qui est le produit de programmes nettement améliorés aux premiers stades. Mes enfants sont les bénéficiaires de cela : ils peuvent accéder à ces programmes-là; néanmoins, personne ne compte cela.
Nous devons savoir ce qui a fonctionné par le passé. Peut-être s'agit-il parfois de revenir à ce que nous faisions de bien, de ne pas essayer de réinventer la roue. Repérer les cas de réussite, c'est très important.
Pour ce qui est de la responsabilisation, il faut s'attacher aux résultats. Nous devons savoir ce dont les gens rendent compte. Il nous faut un organisme coordonnateur qui va s'assurer que tout le monde se trouve sur la même longueur d'onde. Il nous faut un rassemblement périodique, étant donné que la vie change, que les circonstances changent. Il faut évaluer les résultats dès qu'ils sont connus. Il faut une vérification indépendante des activités et une solide fonction de responsabilisation externe qui n'a pas pour seule source d'information les administrations gouvernementales, qui nous révèlent toujours que ce qu'ils souhaitent nous révéler.
Le président : Je vais conclure. Je ne vais pas commencer à résumer la façon dont tout cela a pu se dérouler selon moi. J'ai entendu quelques remarques très importantes, et vous nous avez tous donné amplement matière à réflexion. Nous l'apprécions beaucoup.
Ce sont des observations dont vous nous faites part vers la fin de notre étude, à ne pas confondre avec la fin de nos travaux; nous devons encore rédiger un rapport. Cela représente certainement une contribution précieuse au stade où nous en sommes — qu'il y ait ou non une stratégie nationale, qui porterait ce nom ou pas, ou une stratégie pancanadienne... normative ou pas. Quoi qu'il en soit, ce sont là des contributions intéressantes. Merci d'avoir participé à l'exercice.
Nous allons pouvoir continuer d'échanger de façon moins officielle, étant donné que c'est le moment du repas du midi. Vous êtes invités à rester parmi nous, si vous pouvez le faire. Je sais que certaines personnes ont quitté la salle et que d'autres doivent le faire, ayant un avion à prendre. Merci d'être venus à la table aujourd'hui et d'avoir participé à une discussion très importante.
(La séance est levée.)