Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 7 - Témoignages du 6 mai 2009
OTTAWA, le mercredi 6 mai 2009
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 16 h 8, pour étudier les dispositions et l'application de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques (L.C. 1988, ch. 37).
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons notre étude sur les dispositions et l'application de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques.
Et nous avons le très grand plaisir aujourd'hui d'accueillir en premier lieu deux témoins très intéressants.
[Traduction]
Nous accueillons maintenant la directrice générale de l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, Mme Kim Pate, ainsi que le directeur général de la Société John Howard du Canada, M. Craig Jones. Bienvenue à tous les deux.
Craig Jones, directeur général, Société John Howard du Canada : Je cède la parole à Mme Pate.
Kim Pate, directrice générale, Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry : Bonjour, c'est un grand plaisir pour moi d'être ici aujourd'hui. Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée. Je dois déjà vous informer que ma présidente, Lucie Joncas, qui participe actuellement à un procès pour meurtre, s'excuse de ne pouvoir être des nôtres aujourd'hui.
Comme vous le savez sans doute déjà, la Semaine nationale Elizabeth Fry bat actuellement son plein, et c'est pourquoi je tiens à vous souhaiter à tous une bonne Semaine Elizabeth Fry. Chaque année, cette semaine nous permet de faire prendre conscience à la population du nombre de femmes et de filles, partout au pays, qui sont ostracisées, marginalisées, criminalisées, emprisonnées ou enfermées dans un autre type d'institution. Elle nous rappelle également qu'il faut chercher autour de nous, dans la communauté, les solutions qui permettraient à ces femmes d'échapper à leur triste sort, et qui nous permettraient également de bien répondre à leurs besoins lorsqu'elles réintègrent la société après leur désinstitutionnalisation, particulièrement lorsqu'elles sortent de prison.
La Semaine Elizabeth Fry a toujours lieu pendant la semaine qui précède la fête des Mères, pour mieux attirer l'attention des gens sur le nombre de femmes incarcérées qui sont aussi des mères, et qui étaient bien souvent le seul soutien familial avant de se retrouver en prison. Nous voulons également leur rappeler que, lorsqu'une mère est séparée des siens parce qu'elle est condamnée à la prison, ses enfants aussi souffrent, car ils sont souvent pris en charge par les services sociaux. Il faut dire que le tiers de la population carcérale fédérale féminine est d'origine autochtone, ce qui signifie qu'un nombre sans cesse croissant d'enfants sont aussi condamnés à l'institutionnalisation. Et ça, il faut que les gens le sachent. Je vous remercie donc sincèrement de nous avoir invités aujourd'hui.
Je sais, on ne m'a pas invitée ici pour parler de la Semaine Elizabeth Fry, mais pour connaître l'opinion de notre organisme sur la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques.
Comme vous le savez sans doute, lorsque la première mouture du projet de loi a été déposée, nombreux ont été les groupes et les organismes nationaux de défense des droits des femmes à s'insurger contre l'existence même du projet de loi. Vous comprendrez donc sans effort que mes commentaires dériveront nécessairement du fait que le projet de loi en question est malgré tout devenu une réalité et qu'il empiète considérablement sur les droits de nombreux Canadiens, que ce soit du point de vue de la vie privée, des droits de la personne ou de la Charte. Nous devrons donc avoir l'assurance totale du gouvernement que ces droits seront protégés au fur et à mesure que nous passerons en revue les dispositions du projet de loi et que nous évaluerons toute tentative d'en élargir la portée.
Comme l'a rappelé la Cour suprême du Canada, il faut que ces intrusions soient encadrées par la Constitution, car elles risquent de compromettre directement et fondamentalement la nature démocratique de notre nation si elles ne sont pas contrôlées ou surveillées adéquatement.
La collecte et la conservation de données génétiques doivent être soumises aux normes les plus strictes prévues par la Charte, les lois sur les droits de la personne et les mesures de protection de la vie privée. Nous le savons tous, dans une société libre et démocratique comme la nôtre, lorsque l'on empiète ainsi sur les droits individuels, il faut prouver que l'on n'a pas le choix d'agir ainsi, sans quoi il y aurait un risque clair et patent pour la sécurité publique. Il ne faut pas non plus oublier que toutes les données génétiques ainsi recueillies doivent être gérées de façon que l'intrusion permise ne dépasse jamais les risques ou les besoins établis en matière de sécurité.
Comme l'a reconnu la Cour suprême du Canada, pour que ces pratiques soient adéquatement encadrées, il faut que les mesures de protection en vigueur se reflètent aussi dans la manière dont la loi est mise en œuvre.
Pendant toute l'année qui a suivi l'adoption de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, le nombre de pratiques permises n'a jamais cessé de croître, que l'on songe aux soi-disant dispositions antiterroristes ou à l'ajout de nouvelles catégories d'infractions, dont certaines risquent d'être portées à l'attention de la Chambre au cours de la prochaine année.
Parce que nous côtoyons de près les femmes maltraitées, nous avons pu constater que nous avions raison de craindre que le recours accru à l'ADN pour déterminer si une personne est criminellement responsable dans les cas de crimes sexuels graves et violents donne préséance à l'établissement de l'identité de l'inculpé sur l'absence de consentement. Cette tendance contribue également à élargir la catégorie des infractions, ce qui est loin de nous rassurer, bien au contraire. Si l'on part du principe que la population carcérale féminine est celle qui croît le plus rapidement, il se peut fort bien que les données génétiques finissent par nuire à celles qui sont le plus vulnérables, entre autres lorsqu'il y a plusieurs accusés ou lorsque l'ADN de la femme est présenté en preuve — sans que ça n'en soit le principal élément — ce qui, dans les faits, peut aussi mener à la criminalisation.
Nous nous opposons à ce que la loi permette désormais le prélèvement d'ADN au moment de l'arrestation, ou le prélèvement d'ADN des membres de la famille, car cette pratique n'est pas sans nous inquiéter. En plus d'aller à l'encontre de la présomption d'innocence, le prélèvement d'ADN au moment de l'arrestation peut avoir des répercussions disproportionnées sur les droits civils et humains des personnes arrêtées ainsi que sur leur droit à la vie privée, surtout dans le cas des personnes issues des minorités ethniques ou raciales. Comme je le disais plus tôt, nous savons que le taux d'arrestation parmi ces gens est anormalement élevé par rapport aux autres Canadiens, tout comme leur taux d'incarcération. Je reviens ici à mon exemple des femmes autochtones, dont la proportion au sein de la population carcérale n'a aucune commune mesure avec leur représentation dans la population canadienne en général. En fait, elle est deux fois plus élevée que la proportion, elle-même supérieure à la moyenne canadienne, d'hommes autochtones au sein de la population carcérale fédérale.
En ce qui concerne la communication des renseignements se trouvant dans la banque de données génétiques avec les gouvernements étrangers, nous partageons les réserves du commissaire à la protection de la vie privée du Canada. Il en va de même pour la comparaison systématique des profils se trouvant dans la banque de données génétiques canadienne avec les autres banques de données internationales. Dans le même ordre d'idées, nous ne pourrions que nous opposer si l'on décidait de relier la banque de données canadienne à un système central dans lequel n'importe quel pays pourrait faire des recherches sans aucune forme de contrôle.
Pour conclure, notre organisme recommande de maintenir, voire de restreindre, le nombre de cas où il est possible de prélever l'ADN d'une personne. Nous recommandons également que le prélèvement d'ADN au moment de l'arrestation demeure interdit. Nous recommandons que les mesures visant à prévenir l'usage malveillant de la banque de données génétiques nationale soient renforcées, et nous recommandons pour ce faire que les données génétiques soient à tout le moins dissociées des renseignements personnels, que seules les personnes autorisées puissent avoir accès à la banque de données et que les personnes qui contreviennent à ces dispositions ou qui tentent de le faire soient poursuivies en justice. Nous recommandons enfin la création d'un système indépendant de surveillance afin que toutes les instances intéressées soient tenues de rendre des comptes et que l'esprit et la lettre de la Charte soient toujours respectés.
M. Jones : Je vous remercie, et sachez que c'est un honneur pour moi d'avoir été invité à prendre la parole devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles et à passer en revue avec vous les dispositions de la Loi sur l'identification pour les empreintes génétiques et les révisions qu'on y propose.
Cela étant dit, je crois bien qu'à l'avenir, si je dois de nouveau comparaître en compagnie de Mme Pate, je tâcherai certainement de parler le premier, car son éloquence fait paraître mes modestes commentaires encore plus modestes. Quoi qu'il en soit, je tiens tout de même à vous faire part de mes commentaires, aussi modestes soient-ils. Et de mes inquiétudes.
Je ne m'attarderai pas à l'aspect scientifique de la loi, car il y a pour cela des gens bien plus qualifiés que moi. Je ne m'attarderai pas non plus à son aspect juridique, puisque cela aussi dépasse mon expertise. Je vais plutôt essayer de consigner dans les dossiers historiques quelques observations liées à deux domaines que je connais mieux : la politique et l'histoire des sciences.
Je crois que, au-delà du côté « spectacle » de la science, force est de constater que nous assistons ici à la rencontre entre la politique et la science. Ce que j'espère apporter à ce débat se résume à quelques observations tirées de l'histoire des sciences et de la technologie qui permettront d'éclaircir certains aspects de vos délibérations à propos de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques — ou à tout le moins de soulager les quelques inquiétudes qui pourraient surgir au fur à mesure que vous avancerez dans vos travaux.
Permettez-moi de commencer avec l'histoire des sciences puis d'enchaîner avec les implications politiques. J'ai lu avec un grand intérêt le témoignage que Ronald M. Fourney, directeur des services nationaux et de la recherche de la Gendarmerie royale du Canada, a présenté devant ce comité le 25 mars dernier. J'ai été franchement étonné et surpris, pratiquement de la même façon que je l'ai été lorsque j'ai regardé l'émission Star Strek pour la première fois au milieu des années 1960, en entendant M. Fourney affirmer que l'identification par les empreintes génétiques était l'outil parfait de la criminalistique et ajouter qu'elle pouvait aussi bien aider à exonérer les innocents qu'à reconnaître les coupables. Qui peut douter des bénéfices sociaux associés à un tel outil?
Mais naturellement, ce n'est qu'une partie de l'histoire, car ce qui est vraiment remarquable de l'étape actuelle de la technologie numérique, c'est sa capacité toujours croissante de relier les bases de données pour faire du « triage social ».
Ce terme sociologique fait référence à la capacité de contrôler les identités, mais aussi d'évaluer le risque et d'y affecter une valeur. C'est le genre de chose que les compagnies d'assurance s'efforcent de perfectionner parce qu'elles ne peuvent pas obtenir, pour des raisons d'affaires, assez de renseignements sur le genre de risque que les personnes peuvent représenter.
Cette technologie se présente sous différentes formes et sa croissance a littéralement explosé depuis les événements du 11 septembre, qui ont favorisé l'amélioration des microprocesseurs et la technologie numérique connexe.
Je promène parfois mon chien en compagnie d'un scientifique de l'Université Queen's, et il m'a parlé du nombre accru d'étudiants diplômés qui obtiennent des fonds depuis le 11 septembre pour effectuer ce genre de recherche en biométrie dans les départements voisins du sien. C'est justement cette explosion de croissance qui devrait nous préoccuper parce que c'est dans de telles circonstances que la technologie évolue plus vite que nos capacités — comparativement par exemple à la lenteur des raisonnements normatifs — à envisager la gamme complète des répercussions éventuelles sur le bien-être de notre démocratie, ainsi que sur la protection des droits garantis par la Charte des droits et libertés et les considérations connexes.
C'est comme si les humains ne pouvaient pas délibérer plus vite qu'un vieux disque 33 tours, alors que la technologie numérique évolue littéralement à la vitesse de la lumière.
Dans l'histoire des sciences, il y a eu d'autres périodes au cours desquelles des instrumentalités scientifiques ont évolué plus vite que notre capacité éthique à comprendre ce que nous faisions. Il est assez facile d'envisager une génération d'application de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques pour codifier la criminalité — ou à tout le moins pour établir des caractéristiques reliées à la criminalité — et les bienfaits que cela procurera aux services de maintien de l'ordre.
On peut penser aux crimes résolus grâce aux empreintes digitales, mais on peut aussi penser aux personnes qui ont été faussement identifiées par des témoins visuels. Encore une fois, je ne parle pas d'un comportement malsain ou d'une volonté de faire le mal, mais seulement de la nature faillible de l'être humain que la technologie ne pourra jamais éliminer.
Toutefois, mettre en œuvre une loi sur l'identification par les empreintes digitales permettant de codifier la criminalité, c'est mettre la charrue devant les bœufs. L'être humain est bien plus que son héritage génétique. C'est un amalgame de gènes et d'éléments environnementaux. Comme on dit dans la politique de la santé, la nature fournit les munitions, mais c'est l'environnement qui appuie sur la détente.
En s'adressant à M. Fourney le 25 mars dernier, le sénateur Bryden a mentionné que les nouvelles technologies devaient respecter notre Charte des droits et libertés, notre Constitution, notre vie privée et notre individualité. Le sénateur Bryden exprimait ses préoccupations par rapport à la mise en place de coups de filet génétiques visant à prélever les échantillons d'ADN, ce que la technologie de l'identification par les empreintes génétiques permet manifestement. Après tout, plus la base de données est grande, plus il y a de chances de tomber sur la bonne personne. Les services de police auront toujours un argument convaincant à présenter pour augmenter les capacités de leur technologie.
Mais la technologie sans limites est la tyrannie du raisonnement pratique et dans ce cas-ci, nous parlons du raisonnement que font les gens qui sont censés nous protéger. En exprimant cette inquiétude, le sénateur Bryden faisait écho à cette vieille appréhension : qui nous protègera de nos gardiens?
Je ne cherche pas à m'en prendre aux gens qui administrent cette technologie pour le bien de la société; je souhaite plutôt attirer l'attention sur le fait que les utilisateurs des technologies ont tendance à penser que si nous pouvons faire quelque chose parce que la technologie le permet, alors nous devons le faire. Ce n'est pas qu'ils nous mentent, mais plutôt qu'ils ont un raisonnement pratique et préfèrent laisser à d'autres les discussions sur le « bien commun ».
Voici un exemple tiré de l'histoire d'un aménagement urbain lié à des considérations politiques et avec lequel je vais conclure. Robert Moses fut le maître constructeur de l'État de New York au milieu du XXe siècle et l'un des personnages les plus marquants de l'histoire de l'urbanisme aux États-Unis. Bien qu'il n'ait jamais exercé de charge élective, on peut affirmer que Moses était la personne la plus influente de l'État de New York entre les années 1930 et 1950. Il a modifié des secteurs du littoral, construit des voies surélevées et transformé irrémédiablement les banlieues. Ses décisions de favoriser les autoroutes au détriment du transport en commun ont influencé une génération d'ingénieurs, d'architectes et d'urbanistes qui ont propagé ses façons de voir dans tout le continent.
Son arrivée sur la scène new yorkaise après la Première Guerre mondiale a coïncidé avec la hausse de production en série des automobiles et de leur présence dans l'environnement urbain. Ses designs ont pleinement profité des multiples innovations technologiques et techniques issues de la Première Guerre mondiale, surtout les constructions d'acier et de béton.
Nous pouvons discuter des mérites de son travail, mais nous ne pouvons pas remettre en question l'impact de sa vision sur l'évolution de l'urbanisme depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Si nous avions su, au début de l'ère de l'automobile, l'importance des répercussions dues aux choix en matière de design de Robert Moses sur les lieux de vie qu'on nomme « villes », nous aurions sans doute agi autrement et fait des choix qui auraient amenuisé l'impact de l'automobile et ses répercussions sur l'environnement et les humains.
La technologie qui a transformé la ville de New York, aidée et encouragée par le raisonnement pratique, a pris de vitesse les discussions sur les conséquences que cela pourrait avoir sur la vie future des gens. Non seulement les penseurs de l'époque ne pouvaient prévoir quelles seraient les répercussions de l'âge de l'automobile — la recherche sur le réchauffement climatique ne faisant certainement pas partie de leur horizon —, mais beaucoup d'années sont passées avant que les implications politiques de cette vision particulière de l'urbanisme n'apparaissent.
Ce qu'il y avait derrière les choix de design de Robert Moses et la technologie qu'il a utilisée, que nous pouvons voir rétrospectivement, était une conscience de classe très développée qui a utilisé la science de l'urbanisme pour créer des voies d'accès aux espaces publics, aux plages, aux parcs, et cetera, qui étaient teintées d'inégalité. Je ne dis pas que Moses a consciemment pensé à tenir les travailleurs loin des plages et en dehors des belles banlieues, mais que c'était une conséquence politique de l'utilisation qu'il a faite de la technologie de son temps. Et il l'a fait en grande partie sans qu'il y ait eu de contrôles ou de discussions sur les répercussions que pourraient avoir ses décisions relatives aux technologies utilisées sur les gens qu'il était censé servir.
C'est pourquoi il vous incombe, à vous les sénateurs, de tenir ce débat sur la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. Le système de freins et de contrepoids qui permet de préserver la démocratie doit être continuellement mis à jour, affiné et amélioré. Les démocraties ont surtout besoin d'être protégées de la croissance sans fin des possibilités technologiques, qui n'est qu'une résultante du travail effectué par des gens honnêtes.
Pour terminer, j'aimerais formuler cinq brèves recommandations.
Premièrement, je vous encourage à exiger des preuves raisonnables montrant comment l'élargissement de la portée de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques peut rendre notre société plus juste et plus sécuritaire. Je peux dire sans risquer de me tromper qu'il y aura toujours des pressions pour que vous augmentiez la liste des infractions désignées; si ce n'est pas pour cette année, ce sera pour l'an prochain ou l'année suivante.
Deuxièmement, je vous encourage, au nom de tous les Canadiens, à préserver la justification initiale de la banque de données qui spécifie qu'elle ne doit s'appliquer qu'aux infractions désignées, lesquelles consistent principalement en des infractions à caractère violent et des infractions d'ordre sexuel au cours desquelles l'auteur des infractions peut avoir laissé des traces génétiques.
Troisièmement, les données génétiques extraites d'un échantillon d'ADN peuvent donner un aperçu des liens familiaux d'une personne, de son appartenance ethnique, de son ascendance, de ses attributs physiques, de ses mutations génétiques et de ses prédispositions médicales. À ce titre, les données génétiques constituent un point de convergence entre la vie privée et les éléments informationnels sur la vie privée. En s'affinant de plus en plus, la technologie permettra d'éclaircir un nombre de plus en plus grand de caractéristiques génétiques, mais il n'est pas évident, ou nous devrions au moins vérifier le bien-fondé voulant que de tels impératifs technologiques nous aident à améliorer la démocratie et à rendre la société plus sécuritaire.
Quatrièmement, je vous encourage, au nom de tous les Canadiens, à recommander qu'on applique un contrôle et une surveillance très serrés sur l'échange d'information concernant l'identification par les empreintes génétiques avec les États étrangers.
Finalement, je vous encourage à recommander de mettre en place des contre-mesures pour prévenir l'intrusion de l'État dans la vie privée par l'entremise de droits renforcés. Lorsqu'il est question de cette technologie, il ne peut y avoir trop de comptes rendus sur la circulation des renseignements personnels au sein de l'appareil d'État et de leur utilisation.
Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Nolin : Merci, madame la présidente; merci à vous deux de vous être déplacés, c'est toujours un plaisir de voir les représentants de vos organisations respectives nous aider dans nos réflexions et nos travaux de recherche.
Monsieur Jones, dans votre introduction et vos remarques, vous semblez vouloir que nous améliorions la relation entre le Parlement et ceux à qui on confie le rôle d'administrer la banque de données.
Lorsque le Sénat a modifié la loi pour créer la banque de données, il y a plus de 10 ans, nous avons introduit des mesures pour examiner périodiquement l'application de la loi. Croyez-vous qu'on devrait modifier ces règles? De toute évidence, il ne faut pas les diminuer. Avez-vous des idées à nous suggérer?
[Traduction]
M. Jones : Je vous remercie de cette question. Je dois dire que je l'ignore. Il faudrait que j'y réfléchisse. C'est peut-être le type de technologie qui demande la surveillance d'un agent indépendant qui pourrait faire rapport au Parlement, quelqu'un ayant l'expertise et la formation juridique nécessaires. Nous avons été appelés pour comparaître ici il y a peu de temps, alors j'aimerais y réfléchir et vous revenir là-dessus.
Le sénateur Nolin : Bien sûr. Je suis certain que la présidente aimerait que vous formuliez vos réponses par écrit.
La présidente : En effet. Je vous demande de le faire pour nous. Ce serait très utile.
Le sénateur Nolin : Si je comprends bien, nous parlons de technologie, et c'est une technologie en cours d'élaboration. Depuis la dernière fois que nous nous sommes penchés sur cette question, il y a dix ans, la technologie a beaucoup évolué. Selon vous, devrions-nous embaucher un technicien spécialisé qui relèverait du Parlement et dont la fonction serait d'examiner l'évolution de ces sciences et d'en faire rapport régulièrement?
M. Jones : Il pourrait s'agir de quelqu'un qui serait en mesure d'évaluer quelles incidences l'évolution de cette technologie a sur la démocratie et qui pourrait informer les parlementaires et les sénateurs de ce que la technologie peut signifier dans le contexte de notre démocratie.
Le sénateur Nolin : La commissaire à la protection de la vie privée peut embaucher des techniciens ou des experts qui comprennent ces technologies et qui feront rapport au Parlement. Cela répond-il à vos préoccupations?
M. Jones : J'ai lu quelques discours de la commissaire à la protection de la vie privée en prévision de ma comparution et je les ai trouvés très utiles pour rédiger mes notes. Peut-être que le commissariat sera en mesure de s'acquitter de cette tâche à lui seul. Je sais que les parlementaires ont déjà beaucoup de travail, mais cette technologie est si omniprésente et elle évolue si rapidement qu'il est difficile d'imaginer que les parlementaires ne devraient pas en connaître davantage à ce sujet. Je ne sais pas nécessairement quel est le meilleur moyen d'y arriver, mais la commissaire à la protection de la vie privée est en place, et il y a peut-être une façon d'améliorer l'efficacité du commissariat en recrutant quelques spécialistes de cette technologie. Je serai heureux d'y réfléchir et de vous en reparler.
Mme Pate : L'embauche d'un technicien est une suggestion intéressante également; il pourrait relever de la commissaire à la protection de la vie privée.
Nous proposons aussi quelque chose qui déclencherait une surveillance judiciaire. Par exemple, si vous jugez bon de proposer qu'il puisse y avoir échange d'information génétique avec des groupes étrangers, avec l'accord de notre association ou d'autres organismes, cela pourrait probablement déclencher un examen judiciaire afin que la preuve présentée par l'une ou l'autre des parties sur la raison pour laquelle cette information doit être fournie puisse être examinée par un tribunal, puis jugée par quelqu'un qui n'a pas nécessairement d'intérêt dans ce domaine.
Ma seule réserve quant à la participation d'un spécialiste est que, comme nous l'avons vu dans des domaines tels que la recherche sur les pistolets électriques Taser, si les spécialistes ont des intérêts dans ce domaine — sans vouloir offenser aucun d'entre eux ni insinuer que ce serait nécessairement le cas —, nous savons que parfois cela signifie qu'ils comptent aussi bien souvent sur le financement de ces sources. Notre association aspirerait à un processus dans lequel des arbitres dignes de confiance seraient en mesure de rendre des jugements fondés sur la présentation de preuves sous les divers angles d'une question.
Le sénateur Nolin : Pour ce qui est d'un autre aspect du fonctionnement de la banque de données génétiques, appuieriez-vous — je crois que je connais déjà la réponse — un principe selon lequel on informerait la personne à qui appartient le profil génétique lorsque des renseignements concernant son profil génétique seraient communiqués à un tiers, à l'étranger ou au Canada?
Mme Pate : Cela devrait sans doute être fait, en tout cas à ce stade-ci. Les procédures de notification sont en place. Je sais qu'on fait d'énormes pressions, même dans les cas où les personnes n'ont pas à fournir un échantillon d'ADN. Par exemple, demandez à l'Association des femmes autochtones du Canada à combien d'entre elles on a demandé de fournir un échantillon d'ADN.
Le sénateur Nolin : Au moment d'une condamnation ou d'une arrestation?
Mme Pate : Pour faciliter une arrestation lorsque l'ADN est associé à d'autres crimes. Nous savons que beaucoup de femmes autochtones disparues ou assassinées étaient considérées comme des criminelles; c'est en partie ce qui a mené à leur marginalisation, a contribué à leur victimisation et a parfois fait d'elles des parias de la société. Il existe des risques réels.
À tout le moins, ce serait obligatoire. Il devrait y avoir une notification, mais nous nous opposons, au départ, à ce que l'on effectue ce genre d'échange d'information. Vous connaissez probablement certains des pires exemples de cas où l'on disposait d'un échantillon d'ADN dans la banque de données, mais où il n'a pas été utilisé. L'affaire Bernardo en est un exemple : son ADN était disponible avant que nous sachions qu'il y avait eu meurtre, mais il n'a pas été utilisé à cause de suppositions concernant l'apparence de l'auteur des crimes.
Pour revenir aux observations de M. Jones, certains éléments qui déterminent la mise en œuvre de ces dispositions sont définis par la façon dont l'ensemble du système est géré et les tendances qui font partie intégrante de ce système. C'est l'une des raisons pour lesquelles bien des personnes étaient surprises d'apprendre que les groupes de femmes du pays n'appuyaient pas la création de cette banque de données. Les exemples que l'on donnait le plus souvent étaient des cas de violence faite aux femmes et aux enfants. En réalité, ce n'est habituellement pas ce qui fait obstacle.
La présidente : Je ne veux vraiment pas que nous nous attardions trop sur ce point, parce que notre temps est limité. Toutefois, pour que les choses soient claires, nous croyons que le système fédéral d'empreintes génétiques, la banque de données génétiques que nous sommes autorisés à consulter, est doté de règles très strictes, et que l'on n'autoriserait pas que des échantillons d'ADN soient recueillis à grande échelle dans le seul but d'éliminer des suspects. Je présume que ce serait les services de police provinciaux ou les centres de banques de données qui effectueraient la collecte dont vous parlez.
Mme Pate : C'est exact, dans le cadre d'enquêtes comme celles de Pickton, entre autres.
La présidente : Je ne dis pas que ce ne sont pas des cas importants. C'est seulement une question de compétence.
[Français]
Le sénateur Rivest : J'ai une question pour Mme Pate. Je partage votre préoccupation. La lutte contre la criminalité est plus efficace quand on recourt aux mesures sociales d'éducation plutôt qu'aux modifications au Code criminel en renforçant des peines ou aux recours à des techniques d'enquête comme l'ADN. Essayez de nous dire exactement, dans le texte que vous nous avez présenté, quels sont les effets concrets d'un renforcement ou d'un élargissement d'une technique comme celle de l'ADN sur les criminels les plus vulnérables que vous avez identifiés par rapport aux autres catégories de criminels?
[Traduction]
Mme Pate : Je pense à des cas où l'ADN est prélevé. Je connais une femme autochtone qui s'en tirait très bien depuis trois ou quatre ans; mais dans le cadre d'une enquête sur un vol par effraction avec violence assez grave, on a apparemment prélevé son ADN sur une cigarette trouvée sur les lieux. Les gens qui la connaissaient s'entendaient tous pour dire qu'elle allait bien et qu'elle semblait avoir changé son mode de vie. Il s'agissait d'une vieille affaire pour laquelle elle avait fourni un échantillon d'ADN pour l'une des raisons dont j'ai parlé tout à l'heure, soit aider les autres. Apparemment, on lui a dit que son ADN avait été prélevé sur une cigarette à cet endroit. Elle a déclaré qu'à cette époque, elle était engagée dans un cycle de criminalité et que c'était bien possible. Elle était toxicomane et elle n'avait pas encore réglé un passé constitué d'agressions sexuelles et de pensionnats, entre autres, alors elle a plaidé coupable. Dans ce contexte, elle s'est retrouvée de nouveau en prison, mais si elle avait contesté la décision ou s'il y avait eu procès, qui sait si ç'aurait été le cas. Elle était tellement habituée à un système dans lequel elle n'avait aucune possibilité de choisir ce qu'il adviendrait, dans lequel elle ne croyait pas qu'elle était innocente jusqu'à preuve du contraire ni qu'on lui aurait donné sa chance. Même au moment du prononcé de la sentence, s'il y avait eu un rapport présentenciel, elle ne se serait peut-être pas retrouvée en prison. Comme elle n'attendait rien du système, elle n'a pas fait valoir ses droits. Certains diront peut-être que c'est sa responsabilité. Je dirais que c'est la responsabilité de chacun d'entre nous.
Je n'ai pas beaucoup d'exemples, heureusement. Ce qui nous préoccupe, c'est que s'il y a une telle expansion, il pourrait bien y avoir d'autres cas du genre, parce que dans notre population autochtone, bien des personnes plaident coupables immédiatement. Plus elles entrent tôt dans le système, moins elles font confiance au système pour protéger leurs droits et plus elles sont susceptibles de plaider coupable. C'est particulièrement le cas dans la population autochtone.
Vu le nombre de prisonniers autochtones qui présentent un plaidoyer de culpabilité, et étant donné qu'ils ont peut-être eu des difficultés, mais aussi qu'ils vont peut-être passer des mois ou des années en détention provisoire, compte tenu des changements proposés ici, je m'attends à ce qu'il y ait un nombre accru de personnes qui plaident coupable.
Je ne tente pas ici d'être alarmiste, mais le fait est qu'il y a une raison pour laquelle ces mesures de protection existent. Toutefois, on présume que les gens vont exercer leurs droits. Bon nombre d'entre nous qui travaillons dans le système comprenons que l'on ne peut pas nécessairement déduire que tout le monde va exercer ses droits ou que tous ceux qui évoluent dans le système vont prendre le temps de le faire. Je ne veux pas dire qu'on fait preuve de mauvaise foi, mais je dirais que tout le monde n'a pas le temps de s'assurer que ses droits sont respectés.
Comme dans l'affaire Bernardo, dont j'ai parlé tout à l'heure, lorsque des hypothèses émises à propos de l'individu empêchent le déclenchement des enquêtes, le contraire est également vrai. Les suppositions s'avèrent souvent favorables pour la personne contre laquelle on souhaite porter des accusations très rapidement.
Le sénateur Milne : Je tiens à mentionner aux témoins que l'organisme de surveillance responsable de la Banque nationale de données génétiques a été mis sur pied à la demande de notre comité. Je dois dire que je trouve plutôt rassurant le fait que l'ancien juge en chef de la Cour suprême Peter Cory siège à ce comité de surveillance.
Quand nous avons visité la Banque nationale de données génétiques, la semaine dernière, nous avons entendu parler de la destruction des échantillons d'ADN. Il semble, comme l'ont découvert les tribunaux, que ces échantillons ne sont pas détruits. On nous a dit clairement que ce qui est détruit, en particulier lorsque les dossiers des jeunes contrevenants sont effacés, ce sont tous les liens possibles entre l'échantillon d'ADN, le profil génétique et les renseignements personnels de la personne. Les liens sont complètement coupés.
C'est ce que nous a dit avec beaucoup d'expertise le monsieur assis près du mur. Presque tout de suite après, les employés de la banque de données génétiques chargés de la destruction nous ont dit qu'ils avaient perdu certains dossiers et qu'ils avaient dû travailler d'arrache-pied pour les reconstituer. Je me suis demandé comment on pouvait nous dire d'une part que le lien était complètement rompu et d'autre part, qu'il est possible de le rétablir. Je m'inquiète sérieusement. Je suis certaine que nous obtiendrons des réponses à ces préoccupations.
Je comprends, d'après vos propos, que vous ne voulez pas que la Banque nationale de données génétiques, ou quoi que ce soit que l'on pourrait faire à l'avenir, soit élargie. Vous voulez qu'elle reste comme elle est, n'est-ce pas?
Mme Pate : Oui, en effet. Je vous remercie d'avoir précisé le rôle qu'a joué le Sénat. Je suis désolée que nous ayons négligé de remercier le Sénat d'avoir demandé ces fonctions de surveillance. Parfois, quand on essaie de penser à ce que l'on veut dire, on ne dit pas ce qui est évident. Nous pensons vraiment que c'est important, tout comme ce processus d'examen.
Le sénateur Milne : Nous pouvons découvrir de plus en plus de choses grâce à la technologie génétique.
Mme Pate : Je suis nulle en technologie. Mes étudiants de la faculté de droit de l'Université d'Ottawa vous diront que c'est moi qui en sais le moins au sujet de la technologie dans la classe. Cependant, j'ai vu des choses être récupérées d'emplacements dont je ne connaissais même pas l'existence. Je laisse cela à ceux qui en connaissent beaucoup plus que moi sur la façon de récupérer la technologie, parce que je ne m'y connais pas dans ce domaine.
Il est certain que c'est l'une de nos craintes; et si la crainte devient trop forte, je vais vivre avec cette pensée effrayante que tout ce qui est effacé peut aussi être récupéré, en particulier en cette ère de la technologie et du numérique. Parfois, je pense que certaines choses ont été perdues, je le souhaite même, et elles sont récupérées, mais c'est une autre histoire.
Le sénateur Milne : Monsieur Jones, dans votre cinquième recommandation, vous nous encouragez à recommander de mettre en place des contre-mesures pour renforcer les droits. En réponse à une question du sénateur Nolin, vous avez dit que vous seriez prêt à examiner cette question et à nous fournir une liste. Êtes-vous prêt à nous donner maintenant des exemples de contre-mesures que vous aimeriez nous voir prendre?
M. Jones : Non, je suis désolé. Je n'ai pas eu le temps d'y réfléchir suffisamment.
Je tiens à dire, comme Mme Pate, que nous sommes heureux du rôle que joue le Sénat. Le Sénat est la Chambre de second examen modéré et réfléchi. Nous devons pleinement comprendre ce que cela implique, même si nous ne pouvons pas le savoir parce que nous ne le voyons pas en ce moment. Je crois que rien n'est plus susceptible de dépasser notre capacité de comprendre ces implications que la technologie numérique. Je vais vous revenir pour répondre à votre question.
Le sénateur Milne : Merci. On nous a assuré, au moment de la visite, qu'on utilise seulement les parties du génome qui sont hautement mutables et ne sont liées à aucune des caractéristiques connues de la personne. On utilise des marqueurs qui ne peuvent être liés à des caractéristiques comme la couleur des yeux, des cheveux, et cetera.
Les membres du personnel nous ont dit — si cela peut vous consoler — qu'ils vivent dans la crainte de voir un jour l'un des petits marqueurs qu'ils utilisent — il y en a 12, je crois — être liés à des caractères héréditaires. Dans ce cas, ils en cesseraient immédiatement l'utilisation.
M. Jones : Vous ont-ils parlé de la possibilité qu'un jeune de 13 ans, dans sa chambre du Nord du Manitoba, puisse pénétrer dans le système à partir de son ordinateur? Cette question a-t-elle été soulevée?
Le sénateur Milne : Ils affirment que les données personnelles et génétiques sont si séparées et si bien codées qu'elles ne peuvent être regroupées, sauf par les services de police.
M. Jones : Je crois que le Pentagone dirait la même chose.
La présidente : On nous a dit que ce qui est conservé dans la banque de données ne peut servir qu'à des fins d'identification. J'ai tenté — moi qui suis encore plus nulle que vous en technologie — d'établir un parallèle avec le numéro d'assurance sociale, qui est unique à la personne qui le possède, mais qui ne divulgue rien à propos de cette personne, et j'en ai parlé à M. Fourney.
Je l'ai consulté là-dessus, et il a un peu hésité. Il a dit que pour un profane, cela illustrait assez bien ce dont il parlait. Toutefois, nous avons très clairement constaté que la banque de données, telle qu'elle est conçue actuellement, n'est pas destinée à stocker le type de données dont vous et moi nous inquiétons tant. Je ne voudrais pas vous donner l'impression que nous ne sommes pas conscients des risques très grands que cela comporte.
Le sénateur Joyal : J'aimerais revenir au point soulevé par le sénateur Nolin, qui revient en fait, à mon avis, à nous demander : qui surveille la police? Dans notre examen de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, nous voudrons peut-être mettre en place diverses mesures de protection qui sont prévues dans le système et veiller à ce qu'elles soient conservées.
La présidente vient tout juste d'en mentionner une : le genre de données qui se trouvent dans la banque. Nous pourrions peut-être bloquer l'accès à ces informations. Il y a aussi la surveillance du système par un organisme externe, indépendant des utilisateurs, afin de gérer de façon objective la neutralité de l'utilisation. De plus, les échantillons sont détruits quand on en a plus besoin.
Même si je suis tout à fait d'accord pour dire que ces banques ne devraient pas contenir de renseignements qui donneraient la possibilité de déterminer l'empreinte génétique d'une personne et qui feraient en sorte que le gouvernement serait tenté, en général, de les utiliser à plus grande échelle pour des raisons de santé publique ou toute autre bonne raison d'intérêt public. L'un des éléments clés, dans tout cela, c'est la possibilité pour un tiers de surveiller le système.
Je me demande si le mandat du comité consultatif que nous avons mis en place est suffisant ou assez efficace pour qu'il puisse continuer de surveiller la banque de données si le nombre d'infractions désignées augmente. De plus, comme M. Fourney l'a indiqué, ceux qui utilisent cette technologie pourraient être tentés de dépasser un peu la limite dans le but d'être plus efficaces, c'est-à-dire d'attraper les criminels le plus vite possible.
Si la nature même du système présente un risque de dérapage, ne devrions-nous pas nous préoccuper davantage de l'organisme auquel nous avons confié la tâche de surveiller la police?
M. Jones : Vous avez exprimé très précisément mes inquiétudes. C'est exactement ce qui me préoccupe. Comme je l'ai dit, j'ignore quels sont les meilleurs moyens de nous protéger de la police. Toutefois, je suis heureux de constater que quelqu'un d'autre partage ces préoccupations. Elles devraient être partagées par tous les parlementaires et toutes les personnes qui découvrent le potentiel extraordinaire de la technologie numérique. Il est difficile d'exagérer le potentiel que la technologie numérique, par rapport à la technologie analogique, apporte aux mesures dont nous parlons aujourd'hui. Il n'y a pratiquement aucune limite à ce que la technologie numérique peut faire. C'est nous qui fixons les limites en déterminant ce qu'elles signifient pour notre propre bien-être démocratique.
Le sénateur Joyal : Je crois que vous comprendrez que notre inquiétude vient d'une décision rendue par un tribunal au sujet du pourcentage des échantillons d'ADN de jeunes contrevenants qui étaient censés être détruits, mais qui ne l'ont pas été.
Cela nous pousse à nous demander qui aurait dû en surveiller la destruction. Qui a la responsabilité de s'occuper des dossiers qui doivent être détruits, et qui surveille si, en fin de compte, la destruction a bien eu lieu? Pour moi, c'est un très bon exemple de surveillance pour laquelle il doit y avoir un suivi.
M. Jones : En outre, ce n'est pas une question de technologie, mais si l'échantillon matériel est détruit, cela veut-il dire que l'information numérique obtenue à partir de cet échantillon l'est également? Comme nous le savons, les données numériques sont très faciles à récupérer. Je pose la question en tant que profane, parce que je ne connais pas la réponse.
D'après ce que je comprends, il y a deux phénomènes distincts, si vous voulez : l'échantillon matériel, quel qu'il soit, et l'information encodée à partir de cet échantillon sous forme numérique. Mon collègue pourra peut-être vous en parler plus tard.
Le sénateur Joyal : D'après votre expérience au sein de la société John Howard du Canada, y a-t-il d'autres aspects de l'utilisation ou du potentiel des données génétiques dont nous devrions nous préoccuper? Y a-t-il d'autres enjeux en ce qui a trait aux personnes incarcérées et à leurs inquiétudes concernant les données génétiques? Dans quelle mesure devraient-ils s'en inquiéter?
M. Jones : Oui, je le crois. Le sénateur Nolin a demandé, je crois, si l'on devrait en informer la personne lorsque son profil génétique est communiqué à un tiers. En principe, je pense que la réponse est oui, mais dans notre société, il y a des gens qui ne comprendraient pas la nature de cette requête, parce qu'ils n'en ont pas les capacités intellectuelles ou qu'ils souffrent d'un trouble cérébral organique.
La majorité de notre clientèle fait partie de groupes socio-économiques défavorisés et souvent, elle est analphabète et a peu d'instruction. On pourrait lui expliquer le transfert d'ADN en langage clair, bien sûr, mais elle ne comprendrait pas nécessairement.
La qualité du consentement éclairé serait compromise, à mon avis. C'est une autre question très complexe.
Le sénateur Nolin : Je ne propose pas que nous demandions le consentement de la personne, mais que nous lui donnions l'information. C'est différent.
M. Jones : Vous avez raison, mais ce que je dis reste vrai.
Mme Pate : Ces dernières années, quand toutes les personnes qui purgent une peine d'emprisonnement à perpétuité ont été avisées que l'on prélèverait un échantillon de leur ADN, il s'est installé une terrible paranoïa. Les agents de libération conditionnelle ont convenu qu'il était stupide de prendre un échantillon de l'ADN de ces personnes. Cela créait vraiment un problème.
Certaines femmes qui ne suivaient plus de thérapie depuis cinq ans ont dû retourner en suivre une parce qu'elles pensaient que tout le monde viendrait chaque jour les surveiller et essayer de prélever un échantillon de leur sang. Il ne s'agissait pas de femmes qui souffraient de troubles de santé mentale particuliers, mais elles ont évidemment eu de graves problèmes. Certaines n'ont pas quitté leur logement pendant des mois, par la suite, parce qu'elles pensaient que si elles allaient quelque part et y laissaient leur ADN, quelqu'un viendrait peut-être pour commettre un crime. Leur niveau de paranoïa était étonnant, mais pour elles, c'était la réalité.
Il ne s'agissait pas de personnes dont les agissements inquiétaient les gens. Elles avaient purgé leur peine; l'une d'elles était sortie de prison depuis 33 ans. Le prélèvement de l'ADN de ces personnes n'était pas nécessaire pour l'intérêt public. Dans quel but a-t-on engagé des dépenses pour obtenir leur ADN et pour la surveillance?
C'est peut-être une préoccupation moins importante pour cet organisme, mais c'en est certainement une lorsqu'on se demande quel est l'intérêt public et en quoi il est dans l'intérêt de la population canadienne que l'on engage cette dépense pour cette partie de la population. Oui, ces personnes purgent des peines d'emprisonnement à perpétuité parce qu'à un moment donné, elles ont été reconnues coupables d'un crime grave, mais dans l'un des cas, cela remonte à 50 ans. Comment cela peut-il servir l'intérêt public?
Aucun pouvoir discrétionnaire n'a été utilisé pour décider qu'il s'agissait d'individus qui pouvaient encore être impliqués dans des activités criminelles, ce qui fournirait des raisons potentiellement valables d'obtenir un échantillon de l'ADN de ces personnes plutôt que de l'ensemble de la population.
Le sénateur Joyal : En ce qui concerne les gens à qui vous offrez des services et que vous aidez au sein du système judiciaire et carcéral, il me semble que le comité consultatif ne peut atteindre tous les objectifs que nous avons à l'esprit — lorsque je dis « nous », je parle de notre société. Si le comité se réunit seulement deux ou trois fois par année, comment pourrait-il se réunir plus régulièrement? Autrement dit, comment mettre en place une routine de contrôle qui ferait en sorte que dans des cas comme celui que vous avez décrit — ainsi que les autres sur les jeunes, l'expansion des banques de données génétiques, et ainsi de suite —, on respecte la Charte des droits et libertés, les droits de la personne et la vie privée des gens.
Nous avons atteint un niveau de surveillance pour lequel nous devons nous poser des questions. Même si je respecte tout à fait les personnes qui siègent au comité consultatif, et même s'il s'agissait de leur suggestion, je ne suis pas convaincu en ce moment qu'il serait avantageux de laisser le système tel qu'il est actuellement.
Mme Pate : En tout respect, nous pouvons faire confiance à cet organisme pour examiner les grandes questions de réforme législative de portée générale et de réforme stratégique. L'exemple que j'ai donné illustre pourquoi nous recommandons qu'il soit possible de déclencher un renvoi à un contrôle judiciaire.
En fait, nous avions un groupe de femmes — puis des hommes s'y sont joints également — intéressées à examiner un dossier pour contester ces dispositions et pour dire que dans ce contexte, ce serait injuste.
Le Programme de contestation judiciaire du Canada a été supprimé pendant cette période et l'affaire a été refusée par l'aide juridique. La cause s'est tout bonnement évaporée, car les personnes concernées n'ont pas beaucoup d'argent et n'ont pas les moyens de contester devant les tribunaux.
Comme je l'ai dit, non seulement les gens ne sont pas toujours au courant des occasions qui leur permettent d'exercer leurs droits, mais en plus, ces occasions se font de plus en plus rares pour ces personnes qui subissent peut-être les pires violations des droits de la personne et des droits conférés par la Charte.
Le sénateur Baker : Vous dites qu'il coûte très cher à un accusé de défendre ses droits conférés par la Charte devant les tribunaux, et que c'est d'autant plus onéreux lorsqu'on tient compte des honoraires d'avocat. Vous avez évoqué le nombre de personnes qui se reconnaissent coupables, alors qu'elles ne le sont pas. Je présume que vous tenez compte également de la négociation de plaidoyers, qui encourage ce type d'aveu.
Mme Pate : Oui, je parlais justement de la négociation de plaidoyers. Je ne dis pas que toutes ces personnes étaient forcément innocentes, mais un examen du nombre d'Autochtones purgeant de longues peines d'emprisonnement a révélé que s'il y avait eu un procès, ces personnes n'auraient très vraisemblablement pas été trouvées coupables de l'infraction dont elles se sont reconnues être l'auteur. Elles auraient pu être reconnues coupables d'une infraction moins grave, ce qui a une incidence lors de la détermination de la peine. Il est évident que l'infraction dont la personne se reconnaît coupable influe sur la peine infligée.
Le sénateur Baker : Il pourrait également y avoir des personnes innocentes qui se reconnaissent coupables.
Mme Pate : Oui.
Le sénateur Baker : Si on se reconnaît coupable, la peine est considérablement réduite lors de la condamnation.
Mme Pate : Oui.
Le sénateur Angus : C'est généralement vrai, mais ce n'est pas toujours le cas.
Le sénateur Baker : Monsieur Jones, vous proposez que nous retournions à l'intention originale de la loi, c'est-à-dire que les échantillons d'ADN soient prélevés dans les cas de crimes violents et d'agressions sexuelles. Pensez-vous que les deux derniers projets de loi adoptés au Parlement n'auraient jamais dû voir le jour et ont trop allongé la liste des infractions visées?
M. Jones : Je dois vous révéler mon ignorance sur ce point, monsieur le sénateur.
Le sénateur Baker : Ce n'est pas grave. Nous avons considérablement augmenté le nombre d'infractions visées dans les deux derniers projets de loi qui ont été adoptés à la suite de pressions exercées par le gouvernement.
Si j'ai bien compris, vous proposez que nous retournions à l'intention originale de la loi.
M. Jones : Je présume que l'on pourra toujours tenter de justifier l'élargissement de la portée de cette technologie, ainsi que l'augmentation du nombre d'infractions visées. À mon avis, il faut toujours être conscient de ce qui nous échappe pour l'instant. Nous créons ces monstres dignes de Frankenstein et nous les relâchons dans le monde, en ignorant dans une grande mesure ce qui d'ici 10 à 20 ans reviendra nous hanter. Je vous prie d'en délibérer de façon concentrée, informée et réfléchie.
Le sénateur Baker : J'ai une dernière question concernant l'utilisation de renseignements familiaux auxquels vous avez fait référence dans votre exposé. La question me vient en raison de l'intervention du sénateur Angus il y a quelques instants.
Je suis sûr que vous avez constaté le phénomène suivant lorsque vous avez étudié les affaires : l'accusé qui reconnaît sa culpabilité en voit sa peine d'incarcération considérablement réduite.
La référence à la recherche familiale que vous avez évoquée est très importante, car nous avons reçu des témoignages qui indiquent, comme l'a souligné la présidente, que les provinces, qui ne sont pas visées par la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, utilisent ces techniques. Certains témoins l'ont attesté devant notre comité. Or, vous nous mettez en garde contre cette technique, car elle peut donner de faux positifs, de faux négatifs, et ainsi de suite.
Selon vous, les renseignements familiaux obtenus lorsqu'on cherche des preuves sur des personnes d'une certaine catégorie, dont on nous a par ailleurs fourni des exemples, correspondent aux échantillons d'ADN prélevés chez tous les membres de la famille présents dans la collectivité. Ces renseignements familiaux servent-ils à justifier le mandat autorisant le prélèvement d'un échantillon d'ADN?
En d'autres termes, les renseignements familiaux servent-ils de justification à la police pour obtenir en toute légalité l'échantillon d'ADN lorsque la personne visée n'est pas consentante?
Mme Pate : Je ne saurais répondre à la question.
M. Jones : Moi, non plus.
La présidente : Merci. Je sais que le sénateur Milne désire poser une question supplémentaire, mais je lui demanderai de me la remettre par écrit, et je la ferai suivre aux témoins qui ont déjà accepté de répondre à une autre question par écrit.
Le sénateur Milne : Je poserai la question, et les témoins pourront répondre par écrit.
La présidente : D'accord.
Le sénateur Milne : Que pensez-vous de l'utilisation de l'ADN familial pour trouver ou identifier des personnes disparues?
La présidente : Merci beaucoup. Vous nous avez grandement aidés dans nos délibérations. Je m'excuse du manque de temps, c'est bien un fléau de la vie moderne, mais vous nous avez beaucoup aidés et nous en sommes reconnaissants.
Nous avons maintenant l'honneur de recevoir M. Martin Somerville, président du Collège canadien de généticiens médicaux. Merci d'être des nôtres, monsieur Somerville.
Martin Somerville, président, Collège canadien des généticiens médicaux : Merci beaucoup de m'avoir donné la possibilité de vous présenter l'opinion du collège sur les dispositions de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques et son application.
J'aimerais tout d'abord vous dire que le Collège canadien de généticiens médicaux, le CCMG, est l'organisme d'accréditation des généticiens médicaux et de laboratoire ainsi que des centres de recherche génétique au Canada. Notre collège a comme mission d'établir et de maintenir des normes professionnelles et éthiques élevées pour les services de génétique médicale au Canada et pour veiller à ce que le public canadien reçoive des services de la plus grande qualité.
Le collège n'est pas un organisme gouvernemental, bien qu'il informe les gouvernements et le public de l'importance de la génétique médicale au sein du système de soins de santé canadien.
Le collège fixe les normes de formation et de certification à l'égard des généticiens médicaux et des directeurs de laboratoire et gère un programme d'accréditation national à l'intention des centres de formation de généticiens médicaux. Il offre notamment une formation sur les services génétiques à la fois pour la médecine et les laboratoires.
Le collège a également élaboré des énoncés de politique et des lignes directrices visant divers aspects des tests génétiques qui pourraient intéresser le comité, comme les lignes directrices sur les banques génétiques et la conservation et l'entretien de fichiers génétiques médicaux. Le Collège canadien de généticiens médicaux compte actuellement 264 membres au Canada et ailleurs.
Pour ce qui est de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques, le collège est surtout concerné par la nature des renseignements génétiques entreposés et la vie privée des personnes ainsi que celle des membres de leur famille.
Les renseignements obtenus de l'analyse des 13 marqueurs d'ADN utilisés à des fins d'identification peuvent avoir un intérêt médical évident. Bon nombre de personnes affirment que ces régions sont anonymes et, qu'à part le sexe, elles ne fournissent aucun renseignement particulier médical ou physique sur le donateur. Or, ces marqueurs peuvent en fait révéler la présence de changements dans le nombre de copies de très grands segments d'ADN. En d'autres mots, cela n'était pas l'objectif de la technologie, mais on peut le faire parce que c'est possible. Ce n'est pas une façon très respectueuse d'obtenir des renseignements médicaux, mais elle existe. Ce type de profilage permet de déceler des anomalies comme une différence dans le nombre de chromosomes sexuels ainsi que le syndrome de Down, que l'on connaît également sous le nom de trisomie 21. Le profilage génétique permet de déceler ces anomalies de façon très efficace.
Aucun renseignement génétique n'est véritablement anonyme, puisque tout segment d'ADN peut révéler des détails personnels sur la personne. Ce n'est que depuis la réalisation du projet du génome humain en 2003 que nous comprenons la complexité et la pertinence des renseignements génétiques autrefois appelés inutiles. D'ailleurs, on ne parle plus de renseignements génétiques inutiles.
Tout système de banque génétique doit impérativement protéger les renseignements personnels des gens. La Banque nationale de données génétiques prévoit de nombreuses mesures de protection afin de trouver le juste milieu entre le besoin de renseignements sur des délinquants et la sécurité publique. Les profils génétiques servent uniquement aux enquêtes judiciaires et sont éliminés du système lorsque certains critères sont remplis. Les politiques concernant la conservation des substances corporelles sont cependant plus nébuleuses. Si l'on veut protéger les renseignements génétiques des personnes fichées dans la banque de données génétiques à des fins judiciaires, et si l'on veut rassurer le public canadien quant à l'inviolabilité de leurs renseignements génétiques en vertu de la loi, il faudra détruire les spécimens une fois que le profil aura été établi.
La Loi sur l'identification par les empreintes génétiques autorise le stockage de substances corporelles et de profils génétiques. Les échantillons et les profils peuvent être utilisés uniquement dans le cas de personnes reconnues coupables des infractions prévues à l'article 487.04 du Code criminel du Canada. La loi précise qu'il sera impossible d'accéder au fichier de criminalistique qui contient les profils de substances corporelles prélevées d'une victime ou encore d'une personne qui a été éliminée de la liste des suspects. Toutefois, la loi ne fournit aucune indication claire quant à la destruction des substances corporelles prélevées de ces personnes.
La destruction des substances corporelles est effectuée à la discrétion du commissaire. Cette situation s'avère problématique, car les critères visant le stockage et la destruction des substances corporelles ne sont pas clairement définis. En fait, ces substances constituent des réserves biologiques qui contiennent considérablement plus de renseignements génétiques que le profil génétique servant à des fins judiciaires. Il y a donc un risque permanent de violation de la vie privée des personnes concernées.
Les normes fédérales régissant la vie privée qui s'appliquent aux tests génétiques effectués dans les centres de génétique médicale sont contenues dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. Chaque province et territoire a des lois régissant la protection de la vie privée qui gouvernent la collecte, l'utilisation et la divulgation de renseignements personnels. De plus, plusieurs provinces, notamment l'Alberta, le Manitoba, l'Ontario et la Saskatchewan, ont des lois qui régissent la collecte, l'utilisation et la divulgation de renseignements personnels sur la santé. Ces lois provinciales priment sur les lois fédérales dans ces provinces en matière d'accès aux renseignements sur la santé, ce qui fait que chaque centre de génétique médicale doit se conformer à la loi de la province en question. On ignore si éventuellement des normes en matière de protection de la vie privée autres que celles prévues par les lois fédérales s'appliqueraient à la Banque nationale de données génétiques.
Le stockage de substances corporelles crée un risque permanent de violation de la vie privée d'une personne. Les dispositions en matière de protection de la vie privée des personnes prévues par la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques actuelle sont efficaces, mais ces dispositions pourraient changer avec le temps et des échantillons conservés pourraient servir à des analyses sans le consentement de la personne concernée.
J'aimerais ajouter que sur le plan technique, nous avons augmenté le nombre de marqueurs conformément à plusieurs recommandations internationales concernant les bases de données. À l'heure actuelle, on utilise 13 marqueurs, dont le marqueur qui détermine le sexe de la personne. Dans un certain nombre de contextes, deux marqueurs additionnels sont souvent utilisés, ce qui en fait 15. En théorie, la capacité de différenciation est multipliée approximativement par 500.
En termes généraux, plus on prélève d'échantillons d'ADN, plus il y a de probabilité de concordance accidentelle de deux échantillons. On peut réduire cette probabilité en effectuant des analyses sur un plus grand nombre de marqueurs génétiques prélevés chez chaque personne, ce qui augmente la capacité de différenciation de l'analyse, mais on ne peut jamais l'éliminer complètement. En d'autres mots, on ne pourra jamais dire avec certitude qu'il n'y aura jamais de concordance accidentelle entre deux personnes, quel que soit le nombre de marqueurs examinés.
Il y aura toujours le risque de concordance génétique d'échantillons prélevés chez deux personnes pour des raisons autres que celles connues, comme les jumeaux monozygotes, ou encore le donneur et le greffé, en l'occurrence de moelle osseuse. Si une personne a reçu une greffe de moelle osseuse, son profil génétique sera identique à celui du donneur, et des analyses sanguines ne permettront pas de distinguer ces deux personnes.
Bon nombre de problèmes et de risques éthiques sont associés aux recherches familiales dans les banques de données génétiques, même si un membre du Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques a publié un article sur les avantages de cette approche dans l'identification à des fins médico-légales. Selon cette approche, une concordance partielle de profils génétiques prélevés du fichier de criminalistique et du fichier des condamnés serait divulguée aux forces de l'ordre, avec l'indication qu'un membre de la famille est probablement le contrevenant. Plus la concordance est complète, plus le lien est rapproché avec la personne fichée. Cette approche exige le prélèvement d'échantillons auprès de membres de la famille de la personne fichée dans le fichier des condamnés. Les auteurs de l'article estiment qu'il y aurait une hausse de 40 p. 100 des criminels identifiés au moyen de cette approche.
Les recherches familiales sont autorisées au Royaume-Uni et dans certains États américains, bien que la loi fédérale des États-Unis ne l'autorise pas. Selon cette approche à la diffusion de renseignements médico-légaux, les membres de la famille d'une personne fichée dans le fichier des condamnés seront fichées également. Elle ne fera qu'aggraver la disparité dans l'échantillonnage de certains groupes, notamment les Autochtones qui ont des taux disproportionnés d'arrestation et de condamnation au Canada. Cette approche risque également de dévoiler des renseignements injustifiés sur les liens de famille, tels que l'absence de liens de parenté, autrement dit, la non-paternité ou le fait d'être adopté et de l'ignorer, en plus du risque de collecte de données familiales qui peuvent être de nature médicale, comme je l'ai dit plus tôt. Cette intensification de la surveillance génétique, associée à la hausse du nombre d'infractions désignées, crée un risque considérable d'intrusion dans la vie de personnes innocentes et ne devrait pas être autorisée sans que l'on tienne compte des répercussions éthiques et juridiques.
Le Home Office du Royaume-Uni a créé un groupe éthique qui doit conseiller le Conseil stratégique de la Banque nationale de données génétiques. Le Canada aurait grand avantage à établir un organe de surveillance pour la Banque nationale de données génétiques qui ne soit pas la GRC et à adopter un code déontologique.
À l'heure actuelle, il semble que la banque de données et son conseil consultatif répondent directement au commissaire. Il se peut que cette structure permette de trouver le juste équilibre entre le besoin d'intrusion dans la vie privée des personnes et la sécurité publique. Il faudrait cependant songer à mettre sur pied une structure de responsabilisation pour la banque de données qui exclut la police.
En somme, le collège appuie l'utilisation de technologie génétique pour aider en toute légalité à l'identification et à la condamnation de personnes responsables de crimes violents. Or, il faut tenir compte du risque d'intrusion injustifiée dans la vie privée qui pourrait découler de renseignements médicaux dévoilés fortuitement, de l'entreposage prolongé de substances corporelles et de la hausse du nombre de personnes innocentes fichées grâce aux prélèvements chez des membres de la famille.
Merci de m'avoir donné cette occasion de vous parler.
Le sénateur Angus : Merci beaucoup. Ce fut fascinant. Je dois tout d'abord vous demander si vous avez un lien de parenté avec Margaret Somerville, qui œuvre dans le domaine de l'éthique de la médecine. Je suis sûr que vous la connaissez.
M. Somerville : De nom seulement. On me pose souvent la question, mais je ne la connais que par la presse.
Le sénateur Angus : À la fin de votre exposé, vous avez abordé l'aspect éthique du sujet. J'ai eu de nombreux échanges avec cette dame sur des questions médicales.
J'ai appris, grâce à votre témoignage, que l'on peut prélever le même ADN chez des personnes autres que des jumeaux monozygotes. Vos propos sur la moelle osseuse étaient fascinants.
Vous avez indiqué que des réserves biologiques existent qui contiennent beaucoup plus de renseignements génétiques qu'un simple profil. Pouvez-vous nous en dire plus, s'il vous plaît?
M. Somerville : La question a été posée lors de la dernière session. Essentiellement, l'échantillon biologique qui contient une séquence complète d'ADN prélevée chez une personne contient également une vaste quantité d'information qui dépasse largement les renseignements recueillis des 13 marqueurs analysés. On a indiqué plus tôt que l'accès numérique aux renseignements est source de préoccupations, mais la quantité d'information offerte par un échantillon biologique est vastement supérieure à celle contenue dans un profil génétique.
Le sénateur Angus : D'accord. Pourriez-vous m'en fournir un ou deux exemples? J'ai compris qu'on utilise 13 marqueurs et qu'un profil génétique complet contient de nombreux autres marqueurs.
M. Somerville : Oui. Une technologie de plus en plus disponible nous permet de déchiffrer le génome complet d'une personne. Nous aurons 3 milliards de bases : ce ne sera plus une question de 13 marqueurs.
Le sénateur Angus : Cela constitue-t-il un grand risque?
M. Somerville : C'est un risque possible. Il incombe à ce moment-là à l'organisation qui entretient la banque de resserrer ses mesures de sécurité.
Le sénateur Angus : Cette étude me fascine. J'ignorais ce domaine, car je n'ai jamais siégé à ce comité auparavant. J'entretiens même des débats dans ma tête depuis deux semaines à ce sujet.
Nous avons visité la banque de données génétiques où on a mis l'accent sur la protection des renseignements personnels et les droits de la personne, et ainsi de suite. Or, il y a une voix dans ma tête qui me dit que la banque a vu le jour parce que nous tentons de protéger la société de crimes de tous types.
Voilà le dilemme social auquel nous sommes confrontés et il faut trouver un juste équilibre. Êtes-vous satisfait de l'équilibre auquel nous sommes arrivés et qui a évolué avec la loi qui fait maintenant l'objet d'un examen?
Vous avez indiqué que certains risques existent, et pourtant je me demande si on prône la protection de la vie privée en négligeant la poursuite des criminels.
M. Somerville : Je ne suis pas expert dans ce domaine. La situation est extrêmement difficile, car quelle que soit l'orientation choisie, nous serons toujours en train de trouver un juste équilibre entre ces deux besoins contradictoires.
Le collège a déjà été convoqué à titre de témoin dans le cadre de l'examen de la loi par un sous-comité parlementaire. Le collège a recommandé publiquement de ne pas agrandir la liste des infractions au-delà des graves infractions criminelles prévues à l'origine. C'est une préoccupation.
Le sénateur Angus : Vous êtes préoccupés par la possibilité que la liste soit agrandie ou le contraire?
M. Somerville : Nous sommes préoccupés parce que la liste a déjà été agrandie au-delà du nombre original et qu'elle pourrait encore l'être. La liste des infractions risque de s'allonger. Le nombre d'échantillons prélevés dans le cadre d'une affaire criminelle pourrait augmenter énormément. Si l'on commence à prélever des échantillons auprès de membres véritables ou présumés de la famille, et ainsi de suite, les préoccupations concernant la protection de la vie privée se multiplieront exponentiellement.
Le sénateur Milne : Nous vous écoutons avec le plus vif intérêt. On nous a tellement rassurés sur le fait que ces 13 marqueurs ne révèlent aucunement quelque trait que ce soit. Vous affirmez le contraire et dites qu'ils peuvent servir à des fins d'identification. Ils sont notamment des révélateurs de traits comme le nombre de chromosomes sexuels. Je présume que vous parlez de personnes ayant des chromosomes XXY ou XYY.
M. Somerville : Oui, ces deux cas s'appliqueraient.
Le sénateur Milne : Peut-être également le syndrome de Down. Y a-t-il d'autres traits qui peuvent être révélés?
M. Somerville : En ce qui concerne la classification des syndromes, certains des marqueurs sont situés à l'intérieur des gènes et il se peut que dans l'avenir, on puisse obtenir d'autres renseignements génétiques. Or, la plupart des renseignements médicaux sont révélés par l'emplacement du marqueur, c'est-à-dire le chromosome sur lequel il se situe et l'emplacement même sur ce chromosome.
À titre d'exemple, il y a un marqueur situé sur le chromosome 21 et trois copies de ce chromosome sont des mutations viables, comme c'est le cas pour le syndrome de Down. Quant aux autres chromosomes sur lesquels se situent des marqueurs, dans l'ensemble, on ne s'attend pas à voir le chromosome entier dupliqué, seulement certains segments. On a de plus en plus de preuves qui indiquent que de longs segments d'ADN sont ou bien dupliqués ou bien éliminés chez certaines personnes.
Le sénateur Milne : C'est ce que vous voulez dire par nombre copie.
M. Somerville : Oui.
Le sénateur Milne : C'est un terme que j'ignorais.
M. Somerville : Il est relativement récent.
Le sénateur Milne : Vous avez soulevé certaines préoccupations à l'égard de la loi, puisqu'elle ne contient aucune disposition précise prévoyant la destruction des substances corporelles prélevées chez ces personnes. Que proposez-vous comme modification à la loi?
M. Somerville : Je me fie à mon interprétation de la loi. La loi semble être plutôt claire pour ce qui est de la destruction d'échantillons prélevés chez des délinquants une fois qu'ils ont purgé leur peine. Cependant, je n'y ai rien trouvé concernant la destruction d'échantillons obtenus du fichier de criminalistique qui pourrait concerner des victimes ou des personnes éliminées de la liste de suspects. On ne peut plus accéder à leurs fichiers, mais je n'ai vu aucune disposition prévoyant la destruction des échantillons, alors que cela devrait être clairement indiqué dans la loi.
La présidente : J'ai peut-être tort, mais je croyais que lorsqu'il y avait concordance d'échantillons dans la banque de données génétiques, on indiquait aux enquêteurs qu'il y avait concordance, mais on ne leur transmettait pas le profil. Ai-je raison de croire que c'est une mesure de protection des renseignements personnels suffisante pour empêcher certains des risques évidents que vous nous avez décrits?
M. Somerville : C'est mon avis également. Le libellé actuel de la loi ne permet pas le prélèvement d'échantillons auprès de membres de la famille. Pour ce faire, il faudrait modifier la loi.
La présidente : Même s'il ne s'agissait pas d'une recherche familiale, admettons que ce soit une recherche directe. Si, par exemple, mon profil se trouve dans la base de données et je commets de nouveau un meurtre. La police envoie un échantillon de mon ADN à la banque pour demander s'il y a des concordances. D'après ce que je comprends, la banque de données indique que oui, il y a concordance avec l'ADN d'une femme, une dénommée Joan Fraser. C'est l'information qui est transmise, et non pas le profil, car ce dernier permettrait aux gens de savoir, par exemple, si j'ai le syndrome de Down.
M. Somerville : C'est ce que je comprends également. Vous avez raison : l'information ne quitte pas, du moins en théorie, le laboratoire. Cependant, le laboratoire peut toujours accéder à cette information médicale, alors qu'il ne s'agit pas d'un laboratoire médical.
S'il y avait des dispositions prévoyant l'échange de données entre pays, à ce moment-là, je crois que le profil est transmis. Les renseignements médicaux seraient acheminés avec les marqueurs de la personne.
La présidente : Il faudra se pencher davantage sur cette question.
Le sénateur Angus : Pour donner suite à votre question — la banque dit oui, il y a concordance avec cette femme, Joan Fraser. Voulez-vous dire qu'il est possible qu'il n'y ait pas de concordance? Est-ce bien cela?
La présidente : Je voulais savoir si mes renseignements génétiques allaient être transmis à quelqu'un d'autre.
Le sénateur Angus : Je vois — les autres renseignements.
La présidente : C'est-à-dire des renseignements autres que mon nom et mon identité. Je crois que M. Somerville vient de nous dire qu'au Canada, les renseignements génétiques ne seront pas transmis, mais qu'ils pourraient être acheminés à une autorité étrangère.
M. Somerville : Oui. En fait, je ne sais pas.
La présidente : Nous allons nous pencher là-dessus. Vous avez soulevé un point intéressant. Je suis désolée d'avoir interrompu les délibérations encore une fois.
Le sénateur Angus : Vous étiez absente lorsque nous avons visité la banque, et nous devons peut-être y retourner et poser à nouveau toutes ces questions, même si la dame derrière vous était présente et a pris quantité de notes.
La présidente : J'ai même un DVD de la visite.
Le sénateur Dickson : Le sénateur Milne a posé ma toute première question, mais je la poserai néanmoins au conseiller juridique du comité. La loi contient-elle une disposition qui prévoit clairement la destruction des substances corporelles? Oui ou non? Voulez-vous prendre note de la question et répondre plus tard?
La présidente : Ils feuillettent furieusement la loi justement à ce sujet.
Le sénateur Dickson : Présumons, du moins pour l'instant, qu'une telle disposition existe, mais qu'elle est plutôt ambiguë.
La présidente : Je crois que nous avons une réponse partielle.
Jennifer Bird, analyste, Service d'information et de recherche parlementaire, Bibliothèque du Parlement : Quelques articles de la loi disposent que les échantillons de substances corporelles seront détruits dans certaines circonstances, notamment lorsque les casiers judiciaires des jeunes délinquants sont détruits. Il s'agit du paragraphe 10.1 de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. Un autre paragraphe, soit le 10(7), évoque la destruction par le commissaire de substances corporelles entreposées dans certaines situations, par exemple, lorsque la personne est entièrement exonérée de l'infraction dont elle a été accusée, la personne a été complètement acquittée ou encore une année après une absolution inconditionnelle et trois années après une absolution sous conditions, ainsi de suite. La loi prévoit la destruction des substances corporelles dans certaines circonstances.
Le sénateur Dickson : J'aimerais donner suite à cette question. À votre avis, tous les échantillons de substances corporelles sont-ils détruits à un moment donné? Vous souhaiterez peut-être y réfléchir. Je vais passer à ma deuxième question, car d'autres personnes souhaiteront intervenir. Je trouve que le sujet est plutôt important.
La présidente : Il se peut que M. Somerville ait son mot à dire là-dessus.
M. Somerville : Vous avez mentionné les jeunes délinquants et les personnes ayant un casier judiciaire, mais il n'y a aucune mention de suspects ou de victimes. Voilà la source de nos préoccupations.
Le sénateur Dickson : Ma deuxième question porte sur la formation et la certification. Si j'ai bien compris, le laboratoire que nous avons visité ici, qui est administré par la GRC, est certifié, n'est-ce pas?
M. Somerville : Oui. Le laboratoire détient un certificat international ISO 17025, qui correspond à une certification biomédicale plus ou moins complète. Le laboratoire est également agréé par le Conseil canadien des normes pour les analyses médico-légales. Le laboratoire est certifié de façon étendue.
Le sénateur Dickson : Êtes-vous satisfait de cette certification?
M. Somerville : Je l'ai indiqué à titre de renseignement supplémentaire. Il est toujours possible d'ajouter à la certification : les États-Unis ont un organisme qui agrée dans le domaine des analyses médico-légales, ce qui ajouterait une autre assurance. D'après ce que je comprends, la banque de données d'ADN détient les échantillons, mais il y a des laboratoires un peu partout au Canada.
Les divers laboratoires ont des niveaux de certification différents. En fait, je crois qu'au moins un des laboratoires canadiens a cette certification dans le domaine médico-légal.
Le sénateur Dickson : Ces laboratoires provinciaux, ou encore les laboratoires situés dans d'autres provinces canadiennes, sont-ils tous certifiés? Y a-t-il une norme de base?
M. Somerville : Ces laboratoires seront certainement certifiés. Cependant, l'organisme de certification peut varier. Il y en a beaucoup.
La présidente : Dans votre exposé, vous avez parlé des lois provinciales en matière de santé et de protection des renseignements personnels. Y a-t-il des provinces qui ont des lois semblables à celle dont nous sommes saisis, c'est-à-dire qui régissent l'administration de la banque fédérale de données génétiques?
M. Somerville : Pas à ma connaissance.
Le sénateur Wallace : Monsieur Somerville, je me rends compte, après vous avoir écouté et avoir écouté M. Jones, à quel point mes connaissances sont lacunaires. Nous sommes tous bien intentionnés et nous nous rendons compte que le prélèvement et la comparaison d'échantillons d'ADN, tout comme les empreintes digitales, servent à la sécurité publique et sont donc nécessaires.
Cependant, lorsque je vous ai entendu parler des progrès technologiques, je me suis rendu compte que les choses vont encore changer la semaine prochaine, l'année prochaine et dans 20 ans. Notre capacité d'effectuer des analyses encore plus poussées à partir des échantillons, ainsi que les applications possibles des résultats d'analyses, seront sans doute très différentes de ce qu'elles le sont aujourd'hui.
Lorsque nous examinons aujourd'hui la loi, les règles et les besoins, ainsi que le juste équilibre entre l'atteinte à la vie privée, engendrée par le prélèvement d'échantillons d'ADN, et le besoin de sécurité publique, je me demande dans quelle mesure nous devrions procéder précautionneusement, vu la nature de la technologie. Je me demande également quelles seraient les mesures de protection à prévoir au fur et à mesure que les technologies se perfectionnent et que de plus en plus de pressions sont exercées pour accroître l'utilisation des échantillons d'ADN.
Ceci dit, je note avec grand intérêt que dans votre exposé, vous avez parlé du besoin de trouver un juste équilibre entre la protection de la vie privée et la sécurité publique. Vous avez également proposé que l'on songe à mettre en place une structure de responsabilisation qui ne relèverait pas de la police.
Je serais intéressé à vous entendre davantage à ce sujet, si vous voulez bien.
Je me demandais si, du côté de la surveillance, vous avez pensé à certains mécanismes ou structures que l'on devrait prévoir pour tenir compte des 15 prochaines années. Ces mécanismes nous porteraient à penser à plus loin qu'aujourd'hui et nous obligeraient à penser aux orientations futures. Si nous envisageons l'avenir, il se peut que nous arrivions à des décisions qui soient très différentes à celles prises aujourd'hui.
Comme je l'ai dit, les observations de M. Jones ont également trouvé écho chez moi. Avez-vous des propositions à nous faire quant aux mécanismes à mettre en place pour garantir une approche prudente et sûre, tout en tenant compte de nos besoins de sécurité, qui nous interpellent tous?
M. Somerville : En bref, cela dépasse de loin mon champ de compétence.
On a posé une question plus tôt sur la surveillance technique. Moi-même, qui ai une formation scientifique, je dirais que c'est important. Cependant, il faut également réunir des experts des domaines éthique, juridique et social. Je suis du genre à penser qu'on devrait tenter quelque chose puisqu'on en est capable. La procédure scientifique a tendance à se devancer. Il faut prévoir une surveillance qui tienne compte des aspects techniques, mais également des aspects sociaux.
Je n'ai prévu aucune structure. Je dis seulement qu'on a l'impression que le système entier se suffit à lui-même et est redevable à lui-même seulement. Vous aurez avantage à prévoir une nouvelle structure de responsabilisation. C'est mon avis. Il se peut que j'aie tort.
Le sénateur Wallis : Merci.
Le sénateur Angus : Le terme « système » désigne la Banque nationale de données génétiques, n'est-ce pas?
M. Somerville : En fait, je faisais référence à la GRC.
Le sénateur Angus : La GRC en assure l'administration.
La présidente : La GRC en est effectivement responsable.
Le sénateur Joyal : Comme vous étiez présent, vous savez que nous avons déjà posé la question aux témoins précédents. Y a-t-il d'autres pays qui ont prévu une structure de surveillance afin de s'assurer que le système ne dépasse pas son mandat?
M. Somerville : Le Royaume-Uni a commencé à le faire, à mon avis par nécessité. Son système dépasse les bornes compte tenu de la liste des infractions et du nombre de prélèvements effectués. Il y a eu beaucoup de critiques à cet effet, justement. Le Royaume-Uni a commencé à revoir le processus. J'ignore si d'autres pays effectuent une surveillance dans une optique éthique et sociale.
Le sénateur Joyal : Comme vous le savez, le système du Royaume-Uni a une portée beaucoup plus vaste, car toute personne arrêtée doit fournir un échantillon.
M. Somerville : Exactement.
Le sénateur Joyal : Le système prend alors une telle envergure que l'on se rend compte des risques possibles, notamment des applications qui dépassent celles prévues pour la sécurité publique.
En ce qui concerne l'évolution et la capacité du système, on nous a sagement conseillés il y a 10 ans déjà, lorsqu'on a indiqué au Comité consultatif qu'il serait peut-être prudent dans les prochaines années de prévoir ce type de surveillance pour l'utilisation de cette technique et l'expansion de celle-ci.
Nous avons allongé la liste d'infractions désignées dans un contexte politique particulier. Comme vous le savez, l'opinion publique est extrêmement sensible à la description des crimes. Il y a toujours des pressions pour renforcer le sentiment de sécurité. Je dirais même qu'il est facile pour les élus de se laisser emporter dans de telles circonstances.
Il faut que le système prévoie lui-même des mesures de protection. Il n'est pas suffisant de produire un rapport annuel au Parlement. Nous devions effectuer une étude il y a des années déjà et nous le faisons enfin maintenant. Il aurait même pu y avoir un autre projet de loi déposé au Parlement qui aurait eu préséance sur notre étude et nous ne l'aurions pas finie. Nous aurions terminé notre étude du projet de loi, conformément aux règles.
Vu toutes les possibilités offertes par le système, nous ne pouvons affirmer que la structure administrative de la banque de données n'offre pas la possibilité d'assurer une surveillance conformément aux objectifs que vous avez décrits, c'est-à-dire le respect des principes énoncés dans la Charte, le respect des droits de la personne et la protection des renseignements personnels dont devrait jouir chaque citoyen.
Notamment en ce qui concerne l'expansion des recherches familiales, comme vous les avez décrites, il se peut qu'un jour il y ait un crime qui soit résolu grâce aux échantillons fournis par une famille. Des pressions seraient exercées dans ce sens, et j'entends déjà les discours que feraient les élus à ce sujet.
Dans de telles circonstances, il devient très difficile de résister aux émotions. Les lois rédigées à la suite d'une forte réaction émotive du public ne sont pas les meilleures. C'est aujourd'hui, dans un contexte neutre, que nous sommes mieux placés pour évaluer les étapes et la portée du système et établir une structure de surveillance.
Comme vous avez dit dans votre exposé, ce serait probablement la meilleure façon de trouver un juste équilibre. Vous avez dit :
Il se peut que cette structure permette de trouver le juste équilibre entre le besoin d'intrusion dans la vie privée des personnes et la sécurité publique. Il faudrait cependant songer à mettre sur pied une structure de responsabilisation pour la banque de données qui exclut la police.
À cette étape-ci, c'est probablement la meilleure façon, et la plus sûre, de réaliser les deux objectifs, à savoir la sécurité publique et la défense des droits de la personne et la protection de la vie privée.
M. Somerville : Je suis d'accord.
La présidente : Sénateur Milne, avez-vous une question supplémentaire?
Le sénateur Milne : J'aimerais intervenir, si le sénateur Joyal me le permet.
Le sénateur Joyal : Bien sûr.
Le sénateur Milne : Vous avez dit : « Les normes fédérales régissant la vie privée qui s'appliquent aux tests génétiques effectués dans les centres de génétique médicale », comme votre centre, « sont contenues dans la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques. »
Devrions-nous faire quelque chose de semblable en ce qui concerne la Banque nationale de données génétiques?
M. Somerville : Je crois que ces lois s'appliquent déjà. Les deux lois n'ont aucune disposition précise visant les renseignements génétiques. Elles utilisent le terme « renseignements personnels quelle que soit leur forme », ce qui peut être interprété comme regroupant également l'ADN.
Le sénateur Milne : Cela regroupe l'ADN, bien sûr.
Le sénateur Baker : Ma question porte sur la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, qui est entrée en vigueur en janvier 2001. Je me souviens que cette loi, ainsi que la Loi sur la protection des renseignements personnels, présentaient un problème, c'est-à-dire que si les renseignements sont exigés à des fins d'enquête liées à une infraction criminelle ou à une violation d'une loi fédérale, les renseignements ne sont plus visés par ces deux lois. Je ne sais pas si vous en êtes au courant.
M. Somerville : Non. Mais ce contexte s'appliquerait justement à un centre de génétique médicale.
Le sénateur Baker : Bien sûr, en bout de ligne, il y aura toujours un mandat judiciaire autorisant l'accès à l'information. La Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques n'offre aucune protection.
Le sénateur Joyal : Il y a également un autre point, à savoir que le commissaire est le responsable ultime du système et que le commissaire, conformément à la loi, délègue cette responsabilité à quelqu'un d'autre. Si une activité survient au sein du système qui n'est pas prévu par la structure qui l'encadre, c'est le commissaire qui a le dernier mot.
Nous sommes tous au fait des indications contenues dans le rapport Arar quant à la surveillance générale des responsabilités de la GRC et du commissaire. Lorsque nous examinons la situation de la GRC par rapport au système, il est important pour nous de bien comprendre les recommandations formulées par les instances qui se sont penchées sur l'affaire Arar concernant, d'une manière générale, le contrôle des activités de la GRC lorsqu'il y a risque d'intrusion dans la vie privée des gens.
Il faut absolument que nous prenions ces éléments en compte lors de la rédaction de notre rapport. Je pense que notre témoin vient de soulever cette question fondamentale de façon indirecte dans sa recommandation.
La présidente : Je conviens que l'enjeu soulevé est extrêmement important. Dr Somerville, je pense que vous avez pu comprendre, au vu de la réaction de l'ensemble des sénateurs, que vous aviez touché un point sensible, à l'instar des témoins que vous ont précédé aujourd'hui, comme le signalait le sénateur Wallace.
En toute équité, j'aimerais préciser aux gens qui viendraient tout juste de se joindre à notre auditoire télé que nous n'avons pas entendu l'ombre d'un élément de preuve à l'effet qu'il y aurait eu des abus dans le régime actuel. Notre comité a pour rôle d'examiner les mesures qui pourraient permettre de s'assurer qu'il n'y a pas d'abus. Nous ne sommes toutefois pas ici pour faire le procès de qui que ce soit. Nous essayons de formuler un ensemble de recommandations qui pourront servir les intérêts futurs de tous les Canadiens, tant au chapitre de l'administration de la justice que du côté de la protection de la vie privée. Mes propos vous paraîtront peut-être moralisateurs, mais il vaut la peine de préciser que nous ne sommes pas ici pour corriger une lacune actuelle dont on nous aurait informés; nous avons plutôt pour mandat d'étudier le système dans son ensemble.
Le sénateur Angus : Nous devons également tenir compte de l'évolution technologique.
La présidente : Tout à fait, car cette évolution peut entraîner toutes sortes de transformations, consciemment ou non.
Le sénateur Joyal : Avec tout le respect que je dois au tribunal, comme le dirait lui-même mon éminent collègue, le sénateur Angus, en s'adressant à la cour d'appel, un juge de la cour de l'Ontario a conclu récemment que l'on avait négligé de détruire des milliers d'échantillons provenant de jeunes contrevenants.
Comme le disait précédemment notre attachée de recherche, Mme Bird, l'article 10 de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques stipule clairement que ces échantillons doivent être détruits dans le cas des jeunes contrevenants. Sans vouloir préjuger des motifs ou des intentions de quiconque, on peut tout au moins affirmer qu'il y a eu défaillance du système. Il s'agit d'une illustration tout à fait concrète de cette problématique.
La présidente : Je ne dis pas le contraire.
Dans votre exposé, monsieur Somerville, vous avez indiqué qu'il y a toujours un risque que l'on obtienne une correspondance génétique à partir des échantillons de deux personnes qui ne seraient ni des jumeaux identiques, ni le donneur et le receveur de tissus transplantés.
À quel point ce risque est-il élevé? De quoi il en retourne exactement? Y a-t-il vraiment des risques minimes que cela se produise?
M. Somerville : D'un point de vue théorique, le risque est extrêmement mince. On parle d'une chance sur des milliers de milliards. Cependant, dans une perspective strictement pratique, le risque n'est jamais nul. On s'inquiète de la possibilité que la preuve établie par les empreintes génétiques ne soit jamais remise en cause, compte tenu de la grande valeur qu'on lui attribue.
La présidente : Avez-vous dit des milliers de millions ou des milliers de milliards?
M. Somerville : Il s'agirait de plusieurs milliers de milliards; c'est de cet ordre-là.
La présidente : Pour une population d'environ 30 millions de personnes.
M. Somerville : En théorie, on ne devrait jamais être en mesure d'établir une correspondance entre deux personnes d'un pays comme le nôtre. Il y a certains autres aspects à considérer pour ce qui est de la capacité de distinction. Par exemple, cette méthode est dix fois moins efficace chez les Autochtones qu'au sein de la population de race blanche. Si l'on multiplie par dix une chance sur plusieurs milliers de milliards, cela demeure négligeable, mais c'est tout de même moins efficace.
La présidente : Pourquoi en est-il ainsi?
Le sénateur Milne : Est-ce à cause des liens plus étroits qui existent au sein de la collectivité autochtone?
M. Somerville : C'est une explication vraisemblable. Au sein de certaines populations, les marqueurs ne sont pas nécessairement aussi diversifiés qu'on le souhaiterait. Les chances qu'il y ait correspondance entre deux empreintes sont donc plus élevées.
La présidente : Tout dépend donc de la population, ce qui est extrêmement fascinant. Chers collègues, vous conviendrez certes avec moi que M. Somerville nous a fourni énormément de matière à réflexion. Nous devrons discuter avec tout un éventail de témoins pour pousser notre étude plus à fond. Qui sait, peut-être devrons-nous faire à nouveau appel à vos services, monsieur Somerville.
Pour l'instant, nous tenons à vous remercier vivement. Votre participation a été extrêmement intéressante et fort utile, car elle a permis de soulever des questions vraiment pertinentes. Nous vous en sommes reconnaissants.
Honorables sénateurs, avant de mettre un terme à la partie publique de notre réunion, je vous invite tous à rester en place pendant encore quelques minutes, question de discuter brièvement des travaux futurs du comité.
Nous nous réunirons à nouveau ici même demain matin à 10 h 45. Nous entendrons alors les témoignages sur le même sujet de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels ainsi que des représentantes du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes et de l'organisme Victims of Violence Canadian Centre for Missing Children.
(La séance est levée.)