Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires juridiques et constitutionnelles
Fascicule 7 - Témoignages du 7 mai 2009
OTTAWA, le mardi 7 mai 2009
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles se réunit aujourd'hui, à 10 h 48 pour étudier les dispositions et l'application de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques (L.C. 1998, ch. 37).
Le sénateur Joan Fraser (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. Nous poursuivons l'étude des dispositions et de l'application de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. Aujourd'hui nous avons la chance d'avoir comme premiers témoins les représentants du Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels : M. Steve Sullivan, ombudsman fédéral, et Mme Joanne Taché, avocate-conseil.
[Français]
Je vous souhaite la bienvenue. Nous vous demandons de procéder à votre déclaration, ensuite nous passerons à la période des questions.
Joanne Taché, avocate-conseil, Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels : Madame la présidente, j'aimerais tout d'abord remercier les membres du comité de nous accueillir aujourd'hui. Ensuite, nous commencerons par vous donner une très courte description de notre bureau et de son mandat.
Le bureau qui a été créé il y a deux ans, en mars 2007, par les ministres de la Justice et de la Sécurité publique suite à des recommandations qui ont été faites pendant plusieurs années par les défenseurs des victimes et les parlementaires.
Notre but est de veiller à ce que les autorités fédérales s'acquittent de leurs obligations envers les victimes. Notre mandat porte exclusivement sur les questions de compétence fédérale. Nous devons faciliter l'accès des victimes d'actes criminels aux programmes et aux services fédéraux en leur fournissant des renseignements et des services d'orientation. Nous répondons aux plaintes des victimes en ce qui a trait à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous conditions qui s'applique aux victimes d'actes criminels perpétrés par des délinquants qui sont sous responsabilité fédérale, et fournir une ressource indépendante à ces victimes.
Également, nous avons pour but de sensibiliser les responsables du système de justice pénale et les responsables de l'élaboration des politiques aux besoins et aux préoccupations des victimes ainsi qu'aux lois applicables à l'égard des victimes, y compris les principes qui sont énoncés dans la Déclaration canadienne des principes fondamentaux de justice relative aux victimes de la criminalité.
Nous cernons également de nouvelles questions et nous explorons des problèmes systémiques qui ont une incidence négative sur les victimes d'actes criminels. L'ombudsman fédéral relève directement du ministre de la Justice. Il doit soumettre un rapport annuel au ministre de la Justice qui le dépose au Parlement. Il peut également rédiger des rapports spéciaux sur des sujets spécifiques qui sont reliés aux victimes d'actes criminels et soumettre ces rapports au ministre de la Justice ou de la Sécurité publique selon le cas. Et lorsqu'un rapport spécial est remis au gouvernement, l'ombudsman peut demander une réponse de la part du gouvernement à l'égard de ces recommandations. Je vais maintenant céder la parole à M. Sullivan.
Steve Sullivan, ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, Bureau de l'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels : Madame la présidente, j'aimerais vous faire part de la raison pour laquelle je me trouve ici aujourd'hui. Vous procédez présentement à l'étude sur les dispositions et l'application de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. L'une des questions prises en considération lorsque la loi initiale a été rédigée, et qui a depuis été mentionnée pendant les audiences actuelles devant ce comité et le Comité permanent de la Chambre des communes sur la sécurité publique et nationale, est un fichier de données génétiques sur les personnes disparues.
Un fichier de données génétiques sur les personnes disparues permettrait de comparer le profil génétique d'une personne disparue, ou d'un de ses parents biologiques proche aux profils génétiques provenant de restes humains à travers toutes les juridictions canadiennes.
[Traduction]
La possibilité de créer un fichier de données génétiques sur les personnes disparues, ou un FDGDP, a d'abord été soulevée dans le milieu des années 1990, pendant les consultations publiques ayant précédé l'adoption de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques. En 2005, le ministère de la Sécurité publique a publié un document de consultation publique sur le FDGDP, auquel on a réservé un accueil très favorable. Depuis, de nombreux projets de loi d'initiative parlementaire ont été présentés au Parlement. Ils étaient communément appelés « la loi de Lindsey », du nom de Lindsey Nicholls, adolescente de 14 ans portée disparue en 1993. Sa mère, Judy Peterson, s'est employée à faire pression sur le gouvernement pour qu'il modifie la loi. Je l'ai rencontrée un certain nombre de fois. Elle défend inlassablement les intérêts non seulement de sa propre famille mais, également, des nombreuses familles se trouvant dans la même situation.
Le plus récent projet de loi d'initiative parlementaire a été le projet de loi C-279, Loi modifiant la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques (création de fichiers), déposé à la Chambre des communes le 12 mai 2006.
Après étude du projet de loi, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes a recommandé que le gouvernement considère la pertinence de déposer le projet de loi nécessaire pour créer un fichier des personnes disparues, une fois les discussions fédérales-provinciales-territoriales sur la mise en œuvre du fichier achevées. Le gouvernement a accepté cette recommandation.
À leur réunion du 13 octobre 2006, les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables de la justice se sont mis d'accord sur le principe d'un FDGPD et ont demandé au groupe de travail de trouver des solutions aux principales préoccupations et de faire part de ses conclusions aux sous-ministres à leur réunion de janvier 2007.
À l'origine, la loi ne prévoyait pas la création d'un FDGPD. Cependant, depuis son adoption, l'appui pour un tel fichier a considérablement augmenté chez les Canadiens, les autorités policières, les groupes de victimes et les politiciens de tous les partis et de tous les ordres de gouvernement. Je devrais ajouter à cette liste le Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques.
Chaque année, environ 100 000 personnes sont portées disparues; 95 p. 100 de ces cas sont réglés en moins de 30 jours. Parmi les cas non résolus, plus de 400 personnes sont portées disparues pendant au moins un an, et environ 270 cas de disparition à long terme sont recensés chaque année. Au Centre d'information de la police canadienne, le CIPC, on a fiché environ 6 000 personnes portées disparues, et entre 500 et 600 ensembles de restes humains non identifiés. Chaque année, entre 20 et 30 nouveaux ensembles ou ensembles partiels de restes humains sont découverts et plus de 285 ensembles ou ensembles partiels non identifiés demeurent inscrits au CIPC.
Dans le cadre de l'enquête qu'elle mène normalement sur une personne disparue, la GRC peut demander à la famille de fournir volontairement un échantillon d'ADN de la personne disparue dans les trois jours suivant le signalement. L'échantillon est conservé au cas où il serait requis à n'importe quelle étape de l'enquête. Toutefois, considérant qu'il n'existe pas de fichier national de données génétiques sur les personnes disparues, il est très difficile d'identifier les personnes disparues à partir de restes humains non identifiés. Vous avez entendu des témoignages sur ce qui se fait dans différentes provinces, mais à l'échelle nationale, nous n'avons pas la capacité de réaliser ce type de tests.
Il y a eu peu de progrès sur cette question depuis 2006. À l'origine, le principal sujet de préoccupation, tel que nous le comprenons, était celui des compétences, car les restes humains sont la propriété des coroners provinciaux. Il semble y avoir un consensus selon lequel on pourrait y répondre en permettant aux provinces de déterminer quelle serait, le cas échéant, leur participation au fichier de données génétiques sur les personnes disparues. Donc, si le gouvernement fédéral créait le fichier, les provinces décideraient dans quelle mesure elles y participeraient.
Malgré l'appui généralisé que reçoit le fichier, il n'y a aucune date de mise en œuvre précise de fixée. Une fois la loi adoptée, si elle finit par l'être, il pourrait s'écouler, selon les responsables, plus d'un an avant que le fichier ne soit opérationnel.
[Français]
Étant donné que de nombreux cas de personnes disparues ne sont pas d'ordre criminel, on pourrait être tenté de rejeter le FDGPD parce qu'il n'est pas une priorité. En tant qu'ombudsman fédéral des victimes d'actes criminels, j'ai une opinion différente. En ma capacité d'ombudsman et dans mon travail précédent avec les victimes d'actes criminels, je peux vous dire que pour les familles des personnes disparues, il s'agit d'une affaire extrêmement importante qui, on sait, concerne les difficultés importantes et les parties concernées ont pris bien trop de temps.
C'est une priorité pour ces familles chaque jour, et je suis préoccupé que les progrès n'ont pas tenu compte de leur souffrance continue. Il faut l'admettre, un FDGPD ne garantira pas le résultat que toutes ces familles souhaitent, mais il est là pour permettre de pouvoir suivre le processus de guérison, que la mort de leurs proches ait été causée par un acte criminel ou non.
Il y a d'autres questions qui doivent aussi être abordées, comme la limitation de la loi actuelle qui met l'accent purement sur les faits criminels, et de quelle façon les échantillons seront comparés, par exemple, seulement le FDGPD ou le fichier de criminalistique, et le besoin d'assurer la conformité volontaire des familles.
Je veux souligner aux membres de ce comité l'importance de cette question et vous prier de lui accorder la priorité que les familles qui ont attendu si longtemps méritent. Il s'agit d'une question qui touche de nombreux Canadiens, et en particulier ceux qui ont la malchance de connaître une personne qui est portée disparue.
Le coût humain de ne pas savoir ce qui est arrivé à un proche est élevé, peu importe le coût de la base de données ou du FDGPD, il ne fait pas le poids à côté du coût humain. Aujourd'hui, j'incite les membres du comité à considérer la possibilité d'inclure cette question dans les recommandations ou le rapport soumis au gouvernement, afin d'assurer que le gouvernement procède rapidement à la création et la mise en œuvre d'un fichier de données génétique sur les personnes disparues.
[Traduction]
Dernièrement, nous avons écrit au ministre de la Sécurité publique. Je crois qu'une lettre a été ou sera déposée auprès du comité, lettre dans laquelle on demande au ministre de faire de cet enjeu une priorité. Nous fournirons une copie de cette lettre au comité de l'autre Chambre qui, comme vous le savez, a également entrepris une étude là-dessus. Nous serons heureux de répondre à toutes vos questions.
La présidente : Merci. Effectivement, nous vous serions extrêmement reconnaissants de nous fournir une copie de cette lettre.
La Déclaration canadienne des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité ne m'est pas familière — elle le devrait, je le suppose. Peut-on la trouver sur le web?
M. Sullivan : On peut y accéder sur notre site web. Nous pouvons certainement vous en tirer des copies.
La présidente : Si le texte est accessible sur le site web, je demanderai au greffier de nous le procurer.
[Français]
Le sénateur Nolin : Bonjour, merci de vous être déplacés pour participer à notre étude. Vous me permettrez de me tourner vers un champ de préoccupations autre que celui que vous avez mentionné, soit le fichier des personnes disparues. Je suis sûr que d'autres de mes collègues voudront explorer avec vous cette question.
Je voudrais vous poser des questions en ce qui concerne les empreintes génétiques des victimes. Certains témoins, plus spécifiquement des membres du Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques, ont émis l'hypothèse qu'il serait sûrement intéressant, dans le but de favoriser l'efficacité des enquêtes policières, d'inclure dans la banque les empreintes génétiques des victimes.
Je voudrais vous demander votre première réaction ou si vous avez réfléchi à cette hypothèse, vu que vous avez comme responsabilité l'intérêt des victimes.
[Traduction]
M. Sullivan : Nous avons suivi les travaux des deux comités et observé que la question y avait été soulevée. Comme c'est un sujet auquel nous n'avons pas consacré beaucoup d'attention jusqu'ici, je ne veux pas trop m'avancer là-dessus. Nous aimerions consulter divers organismes avant de conseiller le gouvernement.
Cela dit, si les victimes donnaient volontairement un échantillon ou leur consentement pour qu'un échantillon soit conservé dans la banque de données, nous serions d'accord, sous certaines conditions.
Il faudrait comprendre ce à quoi ces personnes acquiescent. Est-ce à ce que leur ADN soit comparé aux données des deux fichiers, comme le sont les éléments trouvés sur les lieux du crime, au risque d'être accusées? Il faut expliquer cela convenablement à toute victime qui envisage de donner son consentement. Pour ce qui concerne la question générale, je crois que nous serions disposés à explorer plus à fond l'idée d'établir une règle de conduite selon laquelle les victimes pourraient volontairement donner un échantillon de leur ADN pour aider à l'enquête.
[Français]
Le sénateur Nolin : Si on pousse un peu plus loin le raisonnement quant à l'inclusion des profils des victimes, que pensez-vous de l'idée que des profils d'enfants, de mineurs, se retrouvent dans la banque de données?
[Traduction]
M. Sullivan : On revient aux paramètres de ce qui est comparé et, de façon plus importante dans le cas des enfants, à la durée de conservation de l'ADN dans la banque. Le consentement viendrait des parents, évidemment. Comment s'y prendraient-ils pour demander que l'ADN ou encore le dossier lié à un échantillon d'ADN — je ne sais pas quel est le terme technique — soit supprimé?
Il s'agit d'un scénario, d'un processus, auquel il faudrait intégrer un certain nombre de garde-fous. Il faut d'abord que les parents ou les victimes comprennent bien ce qu'ils font, et aussi, à quel moment ils peuvent donner et retirer leur consentement — par exemple, l'échantillon est en banque depuis deux ans et ils ont changé d'idée.
Bien sûr, les personnes avec qui j'ai travaillé au fil des ans veulent que les crimes soient résolus. Si cela aidait la police à résoudre les crimes, je crois que la plupart des gens seraient disposés à donner un consentement volontaire, pour eux-mêmes et pour leurs enfants.
Le sénateur Baker : Dans votre excellent exposé, vous avez mentionné qu'en 2005, le ministère de la Santé publique avait publié un document de consultation publique sur le fichier des personnes disparues et que les réactions avaient été largement positives. Dans ce document, pour autant que je me souvienne, on se demandait, par exemple, quel modèle préféreraient les citoyens. On indiquait qu'aux États-Unis, chaque État possédait une banque de données téléchargée vers une banque de données nationale virtuelle. En Australie, on a élargi la banque d'empreintes génétiques en prévision de grandes catastrophes et ainsi de suite.
Avez-vous analysé ou vu les réponses données au questionnaire du gouvernement fédéral sur le type de modèle que les gens préféreraient?
M. Sullivan : Je n'ai pas vraiment vu les résultats, mais je crois comprendre que la formule préférée était de faire du fichier des personnes disparues un élément de la Banque nationale de données génétiques. Aux États-Unis, le processus est évidemment très différent, comme vous le savez. Chaque État possède son propre droit criminel et sa propre banque de données.
Je pense que notre système peut être relié à la Banque nationale de données génétiques. C'est cette formule qui était privilégiée.
Le sénateur Baker : Il a également été question dans le document de la difficulté — je ne sais pas si c'est une difficulté, mais, si ma mémoire est bonne, c'est le terme qu'on a utilisé — découlant de l'existence de deux types d'ADN : l'ADN nucléaire et l'ADN qui requiert des techniques d'analyse plus coûteuse, soit celui qui est parfois trouvé sur les lieux d'un crime ou dans des restes humains au bout d'un certain temps. De fait, l'ADN nucléaire que nous confions ordinairement à la banque de données ne pourrait pas être utilisé de cette manière. J'ai en face de moi l'ex-coronaire de la Colombie-Britannique et, bien entendu, cette responsabilité relève de la compétence des provinces. Nous en avons beaucoup parlé. On a soulevé le problème que présente l'existence de deux types d'ADN, et on a posé des questions à ce sujet. Avez-vous une opinion là-dessus?
M. Sullivan : J'hésite à m'étendre trop sur le sujet, car il me dépasse un peu. Cette situation, d'après moi, pose un certain nombre de défis qui devront être relevés. Les questions de compétence constituaient le principal obstacle; désormais, ce sont les coûts.
Je pense que l'on peut régler ces problèmes. Je ne prétends que ce sera facile, mais d'après nous, c'est la façon la plus efficace d'aider les familles à identifier les êtres chers, même si cela est plus coûteux. Nous avons parlé un peu du coût humain. On ne peut pas fixer le prix de ces choses-là, et, évidemment, les décisions prises par les diverses autorités gouvernementales n'en tiennent souvent pas compte.
Je ne veux pas en dire trop, faute de savoir où sont rendues les discussions sur ce sujet entre les provinces et le gouvernement fédéral. Selon nous, la solution la plus efficace est la meilleure.
Le sénateur Baker : L'autre question centrale posée dans le document de consultation, si je me souviens bien, concernait la possibilité d'inclure dans le fichier uniquement les données génétiques concernant les personnes disparues et les restes non identifiés. C'était une possibilité. L'autre était d'englober les renseignements de la banque nationale de données dans ce fichier. Deux modèles ont été soumis à la discussion. D'après les commentaires que vous avez formulés ici aujourd'hui, je présume que, en votre qualité d'ombudsman, vous préférez un modèle fusionnant les trois.
M. Sullivan : C'est, je pense, ce qui est le plus logique. Notre banque de données sur les empreintes génétiques est l'une des meilleures du monde. Nous devrions faire fond sur sa bonne réputation.
Il y a une autre question qui continue de se poser : le membre de la famille qui consent à fournir un échantillon d'ADN pour aider à identifier son enfant consent-il également à ce que son ADN soit comparé aux autres échantillons que contient la banque de données? On pourrait, par exemple, s'en servir dans le cas de crimes non résolus. Il faut trouver réponse à cette question. Elle touche la nature volontaire de ces consentements.
S'il y avait un moyen de relier la banque de données au fichier de données génétiques sur les personnes disparues, mais de ne comparer que l'ADN aux restes humains, je crois que les gens le feraient volontiers. Ils ne sont pas des suspects. Ils devraient pouvoir donner ce consentement éclairé, prendre une décision éclairée.
Le sénateur Baker : Dans le document de consultation, on mentionnait aussi que, certaines provinces fixaient une période de conservation de l'ADN obtenu à des fins d'identification. Il y avait une phrase tout à fait inhabituelle, qui disait qu'il pourrait être conservé 100 ans dans tous les autres cas. Vous en rappelez-vous? Bien entendu, on l'éliminerait une fois la personne retrouvée, mais vous rappelez-vous de ce passage où il est question de ces 100 ans?
M. Sullivan : Cela me dit quelque chose. C'était une période assez longue. En outre, si, à un moment donné, la famille voulait mettre fin à son consentement et faire supprimer son ADN, elle pouvait le faire.
Le sénateur Baker : Effectivement, c'est ce que dit la loi. C'était l'autre option.
Le sénateur Campbell : Je vous souhaite la bienvenue. Dans un certain nombre de domaines, la science de l'ADN évolue sans cesse. Toutes les connaissances acquises tirent leur origine d'un dénominateur commun et continuent de croître. Vers la fin, vous avez affirmé qu'il fallait s'attaquer à certaines questions : les affaires criminelles, le fichier de données génétiques sur les personnes disparues, le fichier de criminalistique.
Je suis un ancien coroner en chef, et je suis tout à fait en faveur du fichier de données génétiques sur les personnes disparues. Je ne pense pas que l'on doive choisir. J'estime que l'on devrait intégrer les données, que les données devraient être disponibles. Comment savoir si l'ADN trouvé sur les lieux d'un crime appartient ou non à une personne portée disparue? Je n'aime pas cette idée de choisir.
Cette idée de conserver l'ADN pendant 100 ans est intéressante, parce que j'ai trouvé des restes qui dataient de plus d'un siècle. Nous en avons extrait l'ADN. Bien entendu, nous n'avions rien qui nous permettait de faire des recoupements, mais nous avons réussi à effectuer certains tests génétiques pour déterminer, par exemple, la race de l'individu ou ses antécédents. Les 100 ans ne sont pertinents que pour les données dont on dispose.
Pourquoi éprouvons-nous tant de difficultés à faire adopter le projet de loi? Pourquoi toutes ces complications? Le problème me semble tout simple.
M. Sullivan : Il l'est. Je crois que ce qui est frustrant pour les personnes comme Judy Peterson c'est que tout le monde semble convenir que c'est une bonne idée et que beaucoup de gens, pas tous, en profiteraient.
Il y a des questions de compétence, entre autres, qui doivent être prises en compte. Nous pourrons trouver réponse à toutes; je ne crois pas qu'elles constituent des problèmes insolubles. Au bout du compte, il faut faire de ce dossier une priorité et déterminer qui va délier les cordons de la bourse. Ce sont souvent ces questions que les autorités se posent lorsqu'elles examinent diverses solutions.
Le sénateur Campbell : Ce sont vos paroles : quel coût attribuer à tout cela? Que représente, en termes de coûts, le fait d'identifier des restes humains et de permettre à un parent de tourner la page? Ou encore le fait de relier une personne portée disparue à un crime?
Vous nous avez dit une chose intéressante : parce que beaucoup de disparitions ne sont pas de nature criminelle, on pourrait être tenté de ne pas faire du FDGPD une priorité. Il faut changer d'attitude. J'ai été policier. Lorsque l'on me signalait une disparition, j'entreprenais tout de suite une enquête criminelle. Je refusais toujours d'y voir une fugue. Je refusais d'enfermer les gens dans une définition. Selon moi, disparition équivaut à crime. Je suis tout à fait heureux quand on retrouve la jeune personne vivante. Toutefois, si, au départ de l'enquête, on n'adopte pas cette position, on s'engage dans une piste qui ne se rapproche jamais de la vérité. Pour parler franchement, si on me signale la disparition de quelqu'un, je veux son ADN dans les 24 heures. Je veux que les empreintes génétiques soient fichées dans une banque et je veux que tous les enquêteurs de partout au Canada puissent y accéder.
Combien de fois lit-on, au sujet de la disparition d'une personne, que c'est une fugue, qu'il y a eu dispute avec les parents, et cetera. C'est toujours la même cause. Débarrassons-nous de ce mythe et partons du point de vue qu'il y a crime et espérons que ce ne soit pas vrai.
Pour ce qui concerne les compétences, je sais que l'identification des personnes relève de la province. Mais nous, les législateurs, nous devrions pouvoir dire : « Vous savez quoi? La seule organisation capable de s'occuper de l'affaire est d'envergure nationale, et la seule banque nationale que nous possédons est la Gendarmerie royale du Canada. C'est elle que nous devons financer. »
Croyez-vous que ce serait difficile à faire? Devons-nous modifier la Constitution pour éclaircir la question de l'identification des personnes portées disparues?
M. Sullivan : J'espère bien que non. Je pense que les provinces seraient volontiers de la partie. Je crois que l'on a répondu à certaines des questions et des préoccupations qu'elles auraient pu avoir à l'origine. Je sens une volonté de participer. Il suffit tout simplement de dire qu'il s'agit d'une priorité absolue.
Le sénateur Campbell : Oui, il faut vouloir.
M. Sullivan : Absolument, vouloir en finir. On en a beaucoup parlé. Je ne veux pas dire que les discussions fédérales-provinciales-territoriales sont toujours faciles, mais la question ne se règlera pas tant que la volonté manquera.
Le sénateur Milne : Je suis entièrement d'accord à propos de la création d'un fichier de données génétiques sur les personnes disparues. Je trouve que c'est une idée fantastique. Ce fichier serait très utile. Le problème, c'est qu'il obligerait à utiliser l'ADN familial. On y ficherait l'ADN familial. C'est pourquoi, malgré ce qu'affirme le sénateur Campbell, il faut bien séparer les données génétiques des personnes disparues des empreintes génétiques des criminels que nous sommes en train de ficher.
De nouveau, il s'agit là d'un véritable défi, parce que, dans le fichier de criminalistique, on pourrait avoir les empreintes génétiques d'une victime non identifiée et celles d'un criminel. C'est cette dichotomie qui m'inquiète et à laquelle je cherche à trouver une solution.
Voilà ma première question — pouvez-vous m'offrir une solution?
M. Sullivan : C'est, en partie, le sujet que le sénateur Baker et moi avons abordé, à savoir dans quelle mesure est-ce réellement un consentement. Je pense que vous avez raison de dire que les personnes qui veulent retrouver leur enfant donneront volontiers des échantillons de leurs cheveux ou de leur ADN pour faciliter les recherches. Cependant, elles pourraient craindre que leur ADN serve à des fins autres que celles prévues.
Tout tourne autour de la notion de consentement éclairé, particulièrement si ces personnes ont des réserves à l'égard de ce à quoi elles veulent que servent leurs empreintes génétiques. Ces personnes ne sont soupçonnées de rien. En général, la police n'aurait rien à leur reprocher. Elles devraient avoir leur mot à dire sur l'utilisation de leurs empreintes génétiques et pouvoir affirmer : « Je vous confie mon ADN pour telles fins et pour ces fins uniquement. Si un jour je décide de revenir sur ma décision, je pourrai le faire. » Je ne prétends pas comprendre les aspects techniques ni les modalités de ce consentement.
Le sénateur Milne : Les empreintes vont se retrouver ensuite dans cette banque d'ADN fusionnée, et quelqu'un d'autre va s'écrier : « Eurêka! Nous le tenons! » Séparer ces deux types d'empreintes constitue un véritable problème.
Mon deuxième sujet d'inquiétude concerne la garantie absolue entourant la destruction des échantillons et des profils d'identification génétique après qu'on a retrouvé une personne portée disparue. Nous avons entendu des témoignages contradictoires sur la destruction ou non de ces échantillons et sur le caractère définitif de la destruction du lien entre l'échantillon d'ADN, le profil d'identification génétique et la personne. Nous avons entendu dire que ce lien pouvait être reconstitué.
M. Sullivan : J'ai suivi ces discussions. Les tribunaux se sont prononcés récemment là-dessus, particulièrement pour ce qui concerne les jeunes contrevenants et le sort à réserver à ces archives. Je n'ai pas de réponse à vous donner, mais je suis d'accord avec vous. Si des personnes donnent volontairement un échantillon de leur ADN et que, une fois la personne identifiée, elles veulent faire supprimer leurs empreintes génétiques ou, un jour, mettre fin à leur consentement, cela peut absolument se faire, faute d'une meilleure façon de le dire.
Le sénateur Campbell : J'ai une question supplémentaire. La plupart du temps, dans le cas d'une disparition, je ne cherche pas à obtenir l'ADN familial, parce que, si je me présente sur les lieux dans les 24 heures, je peux trouver l'ADN de la victime chez n'importe qui. Je peux récupérer sa brosse à cheveux, ses vêtements, ainsi de suite. Je ne demande donc pas aux parents un échantillon de leur ADN ou, sinon, très rarement. De fait, la seule raison pour laquelle nous le faisons actuellement, c'est parce que nous trouvons des ossements; nous retrouvons la personne grâce, peut-être, aux fiches anthropologiques ou dentaires. On dira : « Ce sont peut-être les restes de Larry Campbell. Nous ne possédons pas ses empreintes génétiques, mais nous savons où ses parents vivent. »
Si nous avions un fichier des personnes disparues et que nous obtenions dans les 24 heures un échantillon d'ADN, nous ne pourrions demander mieux. J'ai parfois beaucoup de difficulté à accepter le questionnement sur ce qu'on ferait avec cet ADN.
La présidente : Est-ce une question ou une observation, sénateur Campbell?
Le sénateur Campbell : Merci, madame la présidente. Je m'étais simplement laissé aller à parler.
M. Sullivan : Il me semble que vous avez raison; vous allez obtenir l'ADN. Cependant, dans le cas de personnes telles que Mme Peterson, dont la fille a été portée disparue il y a 15 ou 16 ans, alors qu'il n'existait pas, à l'époque, de fichier de données génétiques sur les personnes disparues, vous auriez pu avoir eu à vous adresser à la famille.
Le sénateur Joyal : Ma perception de la question relativement aux victimes évoque divers scénarios. Prenons l'exemple d'un écrasement, comme celui qui est survenu en Nouvelle-Écosse, il y a quelques années. Certains corps, bien entendu, ne peuvent pas être identifiés. Je peux comprendre que, dans ce cas, un membre de la famille offre spontanément un échantillon de son ADN pour permettre l'identification d'un cadavre.
Nous sommes dans une situation où, il me semble, aucun crime n'a été commis. Nous voulons identifier une personne. Selon ce scénario et d'après moi, une fois la personne identifiée, l'échantillon serait détruit immédiatement. La personne ayant offert l'échantillon devrait obtenir l'assurance que l'échantillon va être détruit, et quelqu'un devrait être chargé de s'assurer de cette destruction. Voilà pour le premier scénario.
Prenons un autre scénario. Une personne est portée disparue dans une région. On retrouve des restes humains, que la police veut identifier. La famille offre des échantillons. Nous ne connaissons pas encore la cause du décès, ou peut-être que nous savons que la personne a été assassinée. Dans ce cas, on mène une enquête.
Si un membre de la famille s'offre pour aider la police, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas garantir à quelqu'un qui veut contribuer à l'identification d'une personne et à la découverte du coupable la protection de sa vie privée.
Je vous propose un autre scénario où il n'est pas question d'une personne portée disparue. Imaginons que nous sommes dans le milieu du crime organisé, des bandes en guerre les unes contre les autres, et que la police trouve un cadavre et veuille l'identifier. Nous sommes dans un contexte tout à fait différent.
Il me semble qu'il n'existe pas de solution simple pour aucun de ces scénarios. Comme vous le savez, l'objectif de la loi est d'établir un équilibre entre le besoin d'assurer la sécurité du public et celui de protéger la vie privée.
Lorsqu'une personne propose son aide pour des motifs familiaux, par exemple parce qu'elle éprouve de la douleur et du chagrin et veut être en paix, ou encore pour éclaircir une situation tragique, tel qu'un écrasement d'avion, le contexte est totalement différent. C'est pourquoi, dans ce cas, la protection de la vie privée a préséance sur l'analyse des échantillons d'ADN dans toutes sortes de systèmes; la personne a proposé spontanément son aide, mais peut-être la recherche-t-on dans la banque de données, en effectuant une espèce de recherche à l'aveuglette.
Si nous voulons établir certaines lignes directrices pour aider à l'élaboration d'un fichier de données génétiques — et je suis d'accord avec le principe du fichier —, nous devons adopter différentes attitudes à l'égard des personnes qui contribuent à l'identification de la personne disparue. Dans un cas en particulier, la personne n'est accusée d'aucun crime; elle ne cherche qu'à faciliter à l'identification.
C'est ce que M. Somerville a déclaré. Vous n'avez peut-être pas reçu une copie de l'exposé qu'il a donné hier. M. Somerville est président du Collège canadien des généticiens médicaux. Il a comparu devant nous hier. À la page 2 de son mémoire, il dit :
La loi stipule que l'accès au fichier de criminalistique, qui contient les profils d'identification génétique établis à partir de substances corporelles prélevées sur la victime ou sur une personne qui n'est plus considérée comme suspecte, doit être retiré de manière permanente. Cependant, rien dans la loi n'indique que les substances corporelles provenant de ces personnes seront détruites.
C'est là que se situe le problème dans les divers scénarios que je vous ai décrits. Si nous devons formuler des recommandations à cet égard, nous devons être en mesure d'établir des distinctions. Je sais qu'une solution universelle faciliterait la tâche à tout le monde et certaines personnes pensent peut-être que c'est ce que nous devrions recommander. Cependant, à mon avis, selon les principes de la loi, il nous faut établir des distinctions entre les divers scénarios et souscrire à votre objectif qui consiste à apaiser et à rassurer les personnes qui pensent qu'un être cher a disparu et qui veulent s'assurer que l'on honore sa mémoire et ses restes. Ne pensez-vous pas que nous devrions suivre cette voie?
M. Sullivan : Je suis absolument d'accord. Si des familles donnent volontairement des échantillons de leur ADN, qu'il y ait une scène de crime ou que les restes de leur être cher aient été découverts et aient besoin d'être testés, peu importe la situation, elles devraient savoir exactement ce à quoi elles s'engagent, c'est-à-dire à donner leur ADN pour permettre l'identification de leur être cher. Une disposition devrait également leur permettre d'exiger la destruction — et j'entends par cela la destruction complète — des échantillons d'ADN une fois que le corps aura été identifié ou si quelqu'un change d'avis à un moment ou à un autre.
Si vous suggérez que la loi a besoin d'être modifiée pour offrir cette garantie — comme M. Somerville l'a mentionné, la loi ne prévoit pas, en ce moment, la destruction des échantillons —, nous serions certainement en faveur.
Cette disposition devrait s'appliquer même lorsque l'on découvre le corps d'une personne impliquée dans le crime organisé. J'ai travaillé avec des familles dont les enfants avaient pris part à des activités criminelles et elles souffrent tout autant que les autres. Je sais, sénateur Joyal, que ce n'est pas ce que vous sous-entendiez, mais leur besoin de tourner la page est aussi important que celui des autres, même si leur enfant était impliqué dans des activés qu'elles réprouvaient.
Le sénateur Joyal : En tant qu'agent du gouvernement fédéral, avez-vous communiqué avec la commissaire à la protection de la vie privée afin d'examiner les principes qui pourraient être utilisés pour établir le fichier national et pour veiller à ce que le système implanté satisfasse à ses exigences? J'ai relu le témoignage que la commissaire à la protection de la vie privée a offert il y a deux semaines et je n'ai rien trouvé dans les exposés donnés par ses représentants et la Direction des politiques au sujet du fichier national des données génétiques sur les victimes que vous réclamez. Avez-vous communiqué avec le Commissariat à la protection de la vie privée à ce sujet-là?
M. Sullivan : Nous ne l'avons pas encore fait. Nous essayons d'abord de remettre cette question sur l'écran radar du gouvernement, et de nous assurer qu'elle fait partie de ses priorités.
Cela étant dit, dès que nous recevrons des indications que les discussions progressent, nous en parlerons certainement à la commissaire. Si la mesure législative est proposée, elle aura également des opinions là-dessus.
Le sénateur Joyal : Si vous voulez accélérer les choses, il serait peut-être bon que vous communiquiez avec le Commissariat à la protection de la vie privée. Ainsi, votre proposition aurait déjà été mise à l'épreuve. Vous sauveriez du temps surtout parce que, comme vous vous en rendez compte, il est difficile de présenter un projet de loi, de le faire adopter en trois lectures dans chaque Chambre, de le faire promulguer, entre autres. Ces questions sont difficiles à traiter en raison des principes qu'elles mettent en jeu. La proposition à l'étude progresserait plus rapidement si vous pouviez vous assurer qu'elle remplit les critères en matière de protection de la vie privée et des droits de la personne que vous recherchez dans la mesure législative qui nous occupe.
M. Sullivan : C'est une excellente suggestion et nous entreprendrons de la suivre.
Le sénateur Angus : Bonjour. Je suis désolé d'avoir manqué votre exposé; j'étais pris ailleurs. Il se peut que j'aborde des questions qui ont déjà été discutées; si je le fais, veuillez m'en avertir et je retirerai mes paroles.
Je pense que nous pouvons affirmer sans mentir que nous avons entendu dire que le système — la loi sur l'ADN et la banque de données — fonctionnait relativement bien. Cependant, on a attiré notre attention sur une jurisprudence qui comporte des problèmes de non-destruction d'échantillons et d'autres problèmes de ce genre, en particulier dans le cas des délinquants juvéniles. Je pense que certaines personnes ont suggéré à tout le moins que c'est une des modifications qui pourraient être apportées au système.
Si cela n'est pas de votre ressort, je comprendrai. Toutefois, d'après ce que je vous ai entendu dire à propos du fichier de données génétiques sur les personnes disparues et d'après les inquiétudes de certains de mes collègues à propos de l'établissement de profils familiaux, je pense que c'est le cas. Certaines personnes ont suggéré que, pour améliorer le système, il faudrait peut-être ajouter un autre échelon à la hiérarchie. En règle générale, je m'oppose toujours à l'ajout d'échelons bureaucratiques ou gouvernementaux, mais, en ce qui concerne la banque de données, il semble que personne ne surveille les employés chargés des échantillons et de leur destruction. La GRC semble agir comme bon lui semble dans ce domaine, comme c'est le cas dans bien d'autres domaines si l'on en croit les rumeurs.
Avez-vous des remarques à formuler à cet égard? Lorsque je suis parti hier, j'étais préoccupé par l'obligation de rendre compte dans ce domaine.
M. Sullivan : Je ne pense pas pouvoir ajouter grand-chose. J'ai suivi certaines des délibérations du comité et, si le fichier de données génétiques sur les personnes disparues va de l'avant et si les familles donnent volontairement leurs ADN, nous voudrons nous assurer qu'un mécanisme a été mis en place afin de permettre la suppression ou la destruction complète de leurs échantillons d'ADN.
Je sais que mes préoccupations ne coïncident pas exactement avec les questions soulevées devant les tribunaux, mais nous espérons qu'il y aura un mécanisme pour détruire les échantillons ou pour les dissocier de leurs donneurs.
Le sénateur Angus : Je voulais dire quelque chose de plus sur le plan structurel. Si j'ai bien compris, nous avons entendu parler d'une sorte de comité de surveillance. L'ancien juge de la Cour suprême Cory fait partie d'un tel comité, mais qui n'est que consultatif. J'aurais dû poser la question à ce moment-là mais, dans le contexte du rôle très délicat que vous jouez, pourriez-vous suggérer un moyen d'apaiser les craintes des citoyens?
On nous a répété pendant les séances que tout fonctionnait à merveille. Mais vous savez que nous commençons à en douter un peu. Devrait-il y avoir plus de surveillance?
M. Sullivan : Le juge Cory a dit qu'il serait curieux de savoir pourquoi les échantillons n'étaient pas détruits en ce moment. S'agit-il d'un problème technique ou d'une faille dans la loi? C'est la première question que votre comité devrait poser aux témoins, ou vous pourriez également lui envoyer une lettre pour en connaître la raison.
Encore une fois, je n'y ai pas tellement réfléchi, mais peut-être devriez-vous envisager la possibilité d'avoir recours au comité consultatif. Est-ce le meilleur moyen d'assurer une plus grande surveillance? Je ne sais pas si j'ai les connaissances requises pour vous conseiller là-dessus.
Le sénateur Angus : Ma question ne visait pas uniquement la destruction requise des échantillons, mais également les autres éléments de la gestion et du fonctionnement de cette très importante entité. Comme nous l'avons dit, nous nous efforçons constamment de maintenir un équilibre entre la sécurité publique et le repérage des personnes disparues d'une part, et la protection de la vie privée et des droits fondamentaux des citoyens d'autre part.
La présidente : Il nous reste 10 minutes.
Le sénateur Dickson : J'appuie en principe l'idée d'un fichier de données génétiques sur les personnes disparues.
Monsieur Sullivan, vous avez donné un excellent exposé. Dans le cadre de notre mandat actuel — qui consiste à examiner la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques —, voyez-vous dans la loi en vigueur des modifications que nous pourrions recommander afin d'inciter les gens à prendre plus sérieusement la nécessité de disposer d'un fichier de données génétiques sur les personnes disparues? Je pourrais formuler ma question autrement : la loi dans sa forme actuelle comporte-t-elle des éléments qui vous dérangent et dont nous devrions recommander la modification?
M. Sullivan : Une des limites de la loi en vigueur est que la banque de données génétiques ne sert qu'à des fins judiciaires. C'est un outil de droit pénal. Nous savons que de nombreux cas de personnes disparues ne sont pas de nature criminelle. Certaines personnes disparaissent volontairement — elles ne souhaitent pas être retrouvées — et elles le font pour un certain nombre de raisons. Bon nombre de ces cas n'ont pas un caractère criminel.
Je pense que l'obstacle dans la loi actuelle pourrait facilement être surmonté si l'on s'entendait pour aller de l'avant. Je crois que cela aiderait si les membres du comité mentionnaient au gouvernement que c'est un grave problème qui n'a pas reçu l'attention qu'il mérite. Je sais qu'il y a une question de coûts et que, dans le climat actuel, ces questions sont difficiles à trancher.
Cependant, nous devons également parler du coût humain. Il y a des gens dans la société qui souffrent et qui paient chaque jour ces coûts. Un des plus beaux cadeaux que le gouvernement pourrait leur offrir serait de leur permettre de retrouver leur être cher, de lui donner une sépulture appropriée et de disposer d'un endroit où ils pourront honorer sa mémoire.
Le sénateur Campbell : J'aimerais apporter une précision à l'intention du sénateur Joyal. Je sais qu'il s'agit d'une audience publique, mais je m'en voudrais de ne pas mentionner qu'après l'écrasement de l'avion de la Swissair, toutes les personnes à bord ont été identifiées grâce à l'analyse de leur ADN et au travail du médecin légiste en chef de la Nouvelle-Écosse, John Butt. Cela ne s'était jamais produit avant. On a établi l'identité de tous les passagers de cet avion.
La présidente : Que je sache, le personnel de la Banque nationale de données génétiques a travaillé étroitement avec les autorités et a effectué la majeure partie des analyses.
Le sénateur Joyal : Merci, sénateur Campbell. En fait, l'exemple que vous venez de donner expose les principes que j'essayais d'énoncer. Dans ce cas-là, ni les personnes qui ont donné leur ADN, ni les victimes qui ont été identifiées ne font l'objet d'accusations criminelles. Leur ADN ne servira pas à mener d'autres enquêtes criminelles dans l'avenir.
Une fois l'enquête terminée, tout est fini. Dans ce cas-là, je pense que, comme le sénateur Angus l'a mentionné, les garanties et la capacité de surveillance du système devraient être utilisées pour veiller à ce que tous les échantillons soient détruits après coup. L'enquête est terminée, finie une fois pour toutes.
Le cas des enfants disparus est différent. Peut-être devrions-nous demander combien de jeunes sont dans cette situation; il y a plus d'enfants que d'adultes. Je ne pense pas que ce fait a été mentionné. Cependant, en ce qui concerne les personnes disparues, il y a toute sorte de répercussions. La personne disparue peut être recherchée pour un crime. Il ne s'agit pas seulement d'adolescents qui quittent la maison et disparaissent. La personne disparue peut être soupçonnée par la police. Dans ces cas-là, il est beaucoup plus difficile de déterminer le degré de protection qui doit être assuré lorsqu'une personne donne volontairement un échantillon de son ADN.
C'est pourquoi nous devons comprendre les répercussions si nous voulons être en mesure de modifier la loi pour donner des garanties, en particulier lorsque des enfants sont en jeu, comme l'a mentionné le sénateur Nolin. Lorsqu'un enfant de 12 ans dont la disparition a été signalée depuis trois mois est retrouvé et identifié, les échantillons d'ADN ne devraient pas être conservés éternellement. La période de conservation devrait être limitée dans le temps. Comme l'a dit le sénateur Campbell à propos du meilleur moyen de faciliter la recherche de la réponse, nous devons peaufiner les principes qui sont en jeu afin de protéger l'avenir de la personne disparue et des gens qui donnent volontairement leur ADN, et de veiller à accroître la sécurité publique en aidant, jusqu'à un certain point, la police à retrouver l'auteur d'un crime.
Vous avez raison de dire que nous devrions peut-être envoyer une lettre à la commissaire à la protection de la vie privée afin de lui demander de formuler des recommandations appropriées qui nous aideraient à faire avancer la capacité de surveillance, comme l'a mentionné le sénateur Angus.
La présidente : Chers collègues, devrais-je écrire à la commissaire à la protection de la vie privée pour lui présenter ces questions?
Des voix : D'accord.
La présidente : C'est comme si c'était fait.
M. Sullivan : Madame la présidente, dans le scénario de l'enfant de 12 ans que le sénateur Joyal a décrit, si le fichier de données génétiques sur les personnes disparues mettait uniquement l'accent sur les restes humains et les échantillons provenant des personnes qui ont signalé sa disparition, ce jeune ne serait identifié que si l'on trouvait ses restes. Le fait de figurer dans le fichier de données génétiques ne pourrait ternir l'avenir de cet enfant. Il est important d'incorporer ce genre de protection dans la loi.
Le sénateur Baker : Le document de discussion publié par le gouvernement fédéral en 2005, auquel vous avez fait allusion au début de votre exposé, mentionnait que notre comité avait recommandé que la banque de données existante soit assortie d'un conseil consultatif, et non pas d'un conseil de surveillance. Je me souviens que le document suggérait de créer un comité de surveillance si nous adoptions ses recommandations. Pour les mêmes raisons que celles avancées par le sénateur Joyal en ce qui a trait au plus grand nombre de questions relatives à la protection de la vie privée qui se posent lorsque les cas ne sont pas de nature criminelle, ai-je bien compris que vous seriez d'accord qu'on exerce une sorte de surveillance si un fichier de données génétiques sur les personnes disparues devait être mis en œuvre?
Le sénateur Angus : Même s'il ne l'était pas.
Le sénateur Baker : Pourquoi aurions-nous besoin de surveillance si nous ne mettons pas en œuvre le fichier?
La présidente : Nous parlons en ce moment d'un fichier de données génétiques sur les personnes disparues.
M. Sullivan : Je ne vais parler ici que du fichier de données génétiques sur les personnes disparues. Nous nous entendons tous pour dire que c'est une bonne idée et que nous devrions la mettre en œuvre. Toutefois, je reconnais que l'utilisation de cet ADN est différente de celle pour laquelle la banque de données a été initialement créée et j'approuve l'idée d'exercer une surveillance supplémentaire afin de protéger la vie privée des familles qui donnent volontairement des échantillons de leur ADN dans le but d'aider les autorités. Je confie au comité le soin de déterminer la forme que prendra cette surveillance, mais je veux m'assurer que ces protections sont mises en place.
La présidente : Monsieur Sullivan, madame Taché, je vous remercie de vos témoignages qui ont été extrêmement utiles au comité.
Nos prochains témoins sont Heidi Illingworth, directrice administrative du Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes; Sharon Rosenfeldt, présidente du Canadian Centre for Missing Children/Victimes de violence; et Lusia Dion, directrice et fondatrice de Ontario's Missing Adults. Madame Illingworth, allez-y.
Heidi Illingworth, directrice administrative, Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes : Bonjour, et merci de nous recevoir ce matin. Nos trois organisations feront un exposé conjoint. Je suis désolée que notre mémoire vous soit parvenu il y a seulement quelques minutes.
Le Centre canadien de ressources pour les victimes de crimes, le CCRVC, est un organisme sans but lucratif qui veille à ce que les victimes de crimes soient traitées équitablement au Canada. Fondé en 1993 par l'Association canadienne des policiers, le CCRVC est l'un des plus anciens organismes non gouvernementaux à apporter un soutien et de l'aide aux victimes et aux survivants de crimes violents ainsi qu'à défendre leurs intérêts. L'agence n'est pas le résultat d'un seul problème ou d'un seul incident. Nous nous efforçons plutôt de partager les préoccupations des survivants au Canada de nombreux types de violence et de la victimisation criminelle.
Nous appuyons depuis longtemps le recours à l'analyse génétique pour faciliter l'obtention d'échantillons génétiques auprès de personnes soupçonnées d'avoir commis des crimes violents. Nous croyons que l'utilisation de cette technologie contribue à assurer une société plus sécuritaire.
L'ADN est un puissant outil et j'ai ici quelques statistiques fournies par la Banque nationale de données génétiques qui en témoignent. En date du 27 avril 2009, la banque de données a aidé à résoudre 11 651 enquêtes criminelles — et je parle seulement des transgresseurs qui ont été identifiés à partir d'échantillons prélevés sur la scène d'un crime — dont 739 meurtres, 1 556 agressions sexuelles, 283 tentatives de meurtre, 1 358 vols à main armée, 6 566 introductions par effraction avec perpétration, tentative de perpétration ou évasion, 815 autres agressions et 334 autres crimes.
Sharon Rosenfeldt, présidente, Canadian Centre for Missing Children/Victimes de violence : Lorsque les projets de loi C-13 et C-18 sont entrés en vigueur le 1er janvier 2008, le mandat de la Banque nationale de données génétiques a été élargi. Son rapport annuel de 2007-2008 affirme :
L'expansion du nombre d'infractions grossira le nombre d'échantillons de contrevenants à verser au fichier des condamnés. À terme, l'accroissement des entrées aux fichiers des condamnés et de criminalistique permettra l'élucidation d'un plus grand nombre de crimes et la hausse du nombre de contrevenants traduits en justice, concourant ainsi à faire du Canada un endroit plus sûr où vivre.
Le CCRVC est d'accord avec cette affirmation et continue d'appuyer les amendements promulgués en 2005 et en 2007.
À ce stade-ci, j'aimerais mentionner que Mme Illingworth était censée lire tout le mémoire afin d'éviter toute confusion, mais, malheureusement, elle a mal à la gorge. Nous nous efforçons donc de lui venir en aide.
Je suis membre de Victimes de violence et je m'occupe de ces questions depuis de nombreuses années. Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, nous parlerons à tour de rôle.
Lusia Dion, fondatrice, directrice, Ontario's Missing Adults : Nous approuvons les procédures rigoureuses qui régissent la manipulation des prélèvements biologiques et les profils génétiques qui en découlent afin de faire respecter les droits des personnes en matière de protection de la vie privée. Cependant, nous ne croyons pas que les droits des transgresseurs devraient prévaloir sur les préoccupations de la société canadienne en matière de sécurité publique.
Mme Illingworth : En ce qui concerne le caractère importun des prélèvements, nous croyons que, d'un point de vue physique, recueillir du sang, des cheveux ou de la salive pour obtenir des échantillons d'ADN est une intrusion mineure. Les victimes avec lesquelles nous travaillons quotidiennement, les victimes d'agressions sexuelles, les familles des victimes de meurtre, et cetera, sont convaincues que le caractère importun d'une piqûre au bout du doigt, du prélèvement de six à huit cheveux ou du frottement d'un coton-tige dans la bouche est minime étant donné que cet échantillon pourrait empêcher une autre personne d'être victime d'un crime.
Mme Rosenfeldt : Le CCRVC ne pense pas qu'on devrait conserver le moins d'échantillons d'ADN possible dans la banque de données. Nous croyons — et nous pensons que bon nombre de Canadiens sont d'accord avec nous — que des échantillons d'ADN devraient être prélevés dès que des accusations sont portées plutôt que d'attendre la condamnation. Nous sommes convaincues que cette mesure contribuerait à protéger d'innocentes victimes et à disculper des personnes accusées à tort. Au Royaume-Uni, les autorités prélèvent des échantillons dès l'arrestation des suspects. À la fin de 2005, la base de données du Royaume-Uni comportait plus de 3,4 millions de profils génétiques, le profil de la plupart des membres de la population active des transgresseurs connus.
La réalité est simple : plus nous ajouterons d'échantillons d'ADN à la banque de données, plus nous résoudrons de crimes. Le CCRVC croit qu'on doit permettre à la police de prélever des échantillons d'ADN dès que la personne est accusée d'une infraction désignée et avant sa libération sous caution. Nous croyons que, sachant que son ADN pourrait le mettre en cause dans des crimes à venir, le transgresseur évitera de commettre d'autres infractions. Nous ne croyons pas que la banque de données devrait conserver les échantillons d'ADN prélevés au cours d'enquêtes criminelles sur des personnes qui n'ont pas fait l'objet d'accusations ou qui ont été acquittées plus tard des infractions présumées.
Mme Dion : Avant d'assassiner 11 enfants, Clifford Olson avait été condamné 90 fois pour des infractions criminelles. Lorsqu'il vivait en Nouvelle-Écosse, il a été accusé d'avoir agressé sexuellement un enfant. Il a été libéré sous caution et est retourné en Colombie-Britannique. Un mandat d'arrestation a été délivré à son endroit, mais il n'était pas exécutoire à l'extérieur de la Nouvelle-Écosse. Si les autorités avaient été en mesure de prélever un échantillon d'ADN lorsqu'elles ont porté des accusations à son endroit, elles auraient pu le comparer aux autres échantillons de la banque de données pour savoir si le suspect — en l'occurrence, Olson — était peut-être impliqué dans d'autres infractions non résolues. Si elles avaient découvert des correspondances, elles auraient pu justifier d'attribuer une priorité plus élevée à la recherche de ce transgresseur en émettant un mandat d'arrestation pancanadien.
Nous ne voulons pas dire que l'existence d'une banque de données génétiques aurait empêché Olson de tuer 11 enfants. Cet exemple sert plutôt à illustrer un défaut grave de notre système de justice pénale : la plupart des délinquants sont libérés sous caution et s'enfuient pour éviter de faire face aux accusations portées contre eux. Sans prélèvement d'un échantillon d'ADN qui les lie à de futurs crimes, ils sont libres de continuer à enfreindre la loi ailleurs.
Mme Illingworth : Nous allons maintenant parler du FDGPD, le fichier de données génétiques sur les personnes disparues. En 2005, notre organisme a demandé la création d'un fichier dans l'exposé qu'il a présenté au Comité permanent de la justice, des droits de la personne, de la sécurité publique et de la protection civile. Plus tard cette année-là, nous avons rédigé un rapport intitulé Developing a Strategy to Provide Services and Support Victims of Unsolved, Serious Crimes. Nous avons recommandé à nouveau au gouvernement de poursuivre ses efforts pour créer, en collaboration avec les provinces, un fichier de données génétiques sur les personnes disparues, qui viendrait préférablement s'ajouter à la Banque nationale de données génétiques, afin d'aider à identifier les restes humains.
Encore une fois, nous conseillons vivement au gouvernement de créer un fichier de données génétiques sur les personnes disparues, et nous le faisons avec l'appui de familles de personnes disparues ainsi que de groupes sans but lucratif et de bienfaisance qui œuvrent en leur nom. Tant Ontario's Missing Adults que Victimes de violence/Canadian Centre for Missing Children recommandent de modifier la loi pour que soit créé un fichier relié à la Banque nationale de données génétiques.
Nous trouvons que les avantages sont nombreux pour les familles qui vivent avec la disparition d'un être cher. Dans la majorité des cas de disparition, la personne revient à la maison saine et sauve au bout d'une période relativement brève. Toutefois, tous les cas ne sont pas résolus aussi rapidement. Certaines familles vivent avec leur peine pendant des années ou des décennies, sans savoir ce qui est arrivé à l'être cher.
Dans certains cas récents, de vieux restes humains ont été identifiés. Ce n'est jamais facile, mais certaines familles réussissent à comprendre qu'il est possible que de nombreuses années passent avant qu'elles découvrent ce qui est arrivé à leur parent disparu. Les familles veulent savoir que toutes les mesures sont prises pour trouver la personne disparue. Beaucoup craignent qu'elle soit oubliée et ne soit jamais identifiée si la famille n'est plus en mesure de poursuivre les recherches.
Le fichier de données génétiques sur les personnes disparues soulage quelque peu les membres de la famille parce qu'il leur donne l'assurance que le prélèvement d'un échantillon biologique permettra d'identifier les restes de leur parent, peu importe où et quand ils seront trouvés.
Nous travaillons avec des familles qui vivent avec la disparition d'êtres chers, et presque toutes appuient la création d'un fichier de données génétiques sur les personnes disparues comme partie intégrante de la Banque nationale de données génétiques.
Mme Rosenfeldt : En 2005, un projet de loi d'initiative parlementaire, le projet de loi C-240, a été présenté au Parlement; ce projet de loi visait l'ajout d'un fichier de données génétiques sur les personnes disparues à la banque de données génétiques. Gary Lunn a présenté le projet de loi au nom d'une de ses électrices, Judy Peterson, que vous connaissez. La fille de Mme Peterson, Lindsey, était disparue depuis 10 ans à l'époque, et on présumait qu'elle avait été victime de meurtre. Mme Peterson écrit sur son site web :
Je ne peux m'empêcher de continuer à espérer que ma fille est encore vivante et en santé, mais ma quête de réponses m'a convaincue de l'urgence de créer une banque nationale de données sur les personnes disparues et les restes trouvés [. . .]
Je crois que la population canadienne sera aussi étonnée que moi quand j'ai appris que je ne pouvais pas fournir un échantillon de mon ADN pour qu'il soit placé dans une banque nationale de données. Si Lindsey avait été victime de meurtre, mon ADN aurait pu servir à l'identifier. J'espérais qu'une fois qu'elle serait identifiée, le meurtrier serait attrapé [. . .]
La mesure législative n'a donc pas seulement pour but de trouver des êtres chers disparus. Elle permettra de lier les victimes aux lieux de crime, et elle fournira à la police les renseignements nécessaires pour enquêter sur les crimes et pour garder les criminels violents derrière les barreaux.
Mme Dion : Glendene Grant, une mère de la Colombie-Britannique, connaît trop bien le sentiment d'attendre désespérément des nouvelles d'un être cher. Sa fille, Jessie Foster, a disparu alors qu'elle était forcée de travailler comme escorte à Las Vegas. Elle fréquentait à l'époque un homme qui l'aurait maltraitée et qui se disait son souteneur. Il y a trois ans que Jessie a disparu.
Mme Grant a éprouvé directement le soulagement qu'une analyse génétique peut apporter. Ses empreintes génétiques ont été analysées et on a déterminé qu'elles ne correspondaient pas à celles des restes non identifiés d'une femme trouvés au Texas. Mme Grant continue donc à croire que sa fille est toujours vivante. Les parents de Jessie appuient le besoin des familles de pouvoir soumettre des échantillons d'ADN au Canada et aux États-Unis pour aider à trouver et à identifier des personnes disparues. Mme Grant affirme : « Jusqu'à ce que Jessie soit trouvée, il est difficile de mener une vie normale. Ma vie est centrée sur les personnes disparues et tuées. »
Mme Illingworth : Pour ce qui est des avantages sur le plan de la sécurité publique, le nombre de restes humains non identifiés au Canada est relativement faible comparé à celui d'autres pays, ce qui porte à croire que des circonstances particulières rendent les restes difficiles à identifier.
Parfois, on trouve seulement des squelettes partiels. La décomposition, les conditions environnementales et l'activité animale peuvent compliquer davantage l'identification et la détermination de la cause de décès. Toutefois, il ne faut jamais oublier que ces restes et ces échantillons biologiques représentent une personne — une personne qui manque à ses proches.
Comme Mme Peterson le note si justement, l'identification de restes humains ne fait pas qu'apporter des réponses aux familles. Elle a aussi des conséquences sur la sécurité publique. Chaque fois que des restes humains sont trouvés, des coroners doivent déterminer si le décès est le résultat d'un meurtre, d'un suicide, d'un accident ou de causes naturelles. Les discussions sur les personnes disparues et les restes humains non identifiés donnent souvent l'impression que l'identification est l'étape finale. Or, cela est seulement vrai dans les cas où, une fois que les restes humains sont identifiés, on détermine que la personne est morte d'un suicide, d'un accident ou d'une cause naturelle. Dans les cas où un meurtre est soupçonné, l'identification de la victime est la première étape que la police doit franchir pour arrêter l'auteur ou les auteurs du crime.
Mme Rosenfeldt : Malheureusement, dans certains cas au Canada, les enquêteurs déploient des efforts énormes pour essayer d'identifier la victime plutôt que pour poursuivre les suspects. Les techniques d'analyse génétique promettent d'accélérer le processus d'identification, ce qui permettra à la police de diriger plus rapidement ses efforts vers la recherche de la personne ou des personnes qui ont commis l'homicide. Les délinquants ne devraient pas pouvoir échapper aux recherches en prenant simplement des mesures qui empêchent d'identifier la victime.
Deux cas récents peuvent servir à démontrer l'importance de connaître l'identité d'une victime pour garantir le maintien de la sécurité publique. À la fin des années 1960, deux corps mâles ont été trouvés dans des régions rurales de l'Ontario. La police se fondait sur des détails trouvés aux lieux de découverte pour affirmer qu'un seul délinquant avait causé la mort des deux hommes. En 2006, la police a reconstitué le visage des deux hommes et a demandé au public de l'aider à les identifier. L'un d'entre eux, Robert Hovey, a été identifié presque immédiatement. En 2009, l'identité du deuxième a été établie; il s'agissait d'Eric Jones. Grâce aux identifications, la police a réussi à dresser des tableaux chronologiques de la disparition des deux hommes. Elle doit maintenant recueillir des preuves contre un suspect qui est accusé d'avoir commis deux meurtres autour de 1967 et qui purge actuellement une peine pour un troisième meurtre.
Des victimes de meurtre non identifiées ont aussi été trouvées plus récemment, et leurs meurtriers demeurent inconnus. Par exemple, nous ignorons toujours le nom d'une femme trouvée en 2005 à un restauroute près de Guelph, en Ontario. Nous avons aujourd'hui les techniques et les mesures législatives nécessaires pour créer une banque de données sur les personnes disparues et les restes humains non identifiés, banque qui nous aiderait peut-être à identifier cette femme et à rediriger l'enquête vers la recherche de son tueur. Il est fort probable que sa famille la cherche et s'ennuie d'elle.
Lorsque les restes non identifiés appartiennent à des victimes d'homicide, des meurtriers restent en liberté. Cette réalité constitue une entrave importante à la sécurité publique, entrave que nous pouvons rompre en ajoutant à la Banque nationale de données génétiques afin de lier les personnes disparues aux restes humains non identifiés.
En conclusion, le pouvoir des techniques d'analyse génétique a été prouvé d'innombrables façons — de l'identification des victimes des attaques contre le World Trade Center à la détermination qu'un seul délinquant était l'auteur d'agressions sexuelles qui semblaient sans rapport.
Nous croyons que le Canada a besoin d'inclure un fichier de données génétiques sur les personnes disparues à sa banque de données génétiques. Un FDGPD qui lie les restes humains non identifiés aux personnes disparues serait un outil puissant pour la police, qui pourrait l'utiliser dans les cas qui posent des défis uniques. Non seulement cette mesure apporterait un soulagement incommensurable à certaines familles qui vivent avec la disparition d'un être cher, mais elle augmenterait aussi la sécurité de l'ensemble de la population canadienne.
De plus, comme le présent examen de la loi le montre, les discussions sur la conservation et la destruction des échantillons d'ADN peuvent être enrichies par des mécanismes de collaboration comme celui-ci.
Mes deux collègues et moi vous remercions. Nous avons travaillé ensemble à la préparation de notre exposé. Il y aurait eu beaucoup de redondance si chacune de nous en avait présenté un; nous vous remercions donc de votre patience.
La présidente : C'est aussi plus simple pour nous que vous présentiez un exposé conjoint. Les tâches administratives s'en trouvent diminuées, et l'exposé gagne du poids par le seul fait qu'il est présenté par trois organismes différents.
Le sénateur Nolin : Madame Rosenfeldt, j'aimerais d'abord vous offrir mes condoléances pour la mort de votre mari, Gary.
Mme Rosenfeldt : Merci, monsieur.
Le sénateur Nolin : Je me rappelle que votre mari et vous avez témoigné devant nous il y a de nombreuses années.
Mme Rosenfeldt : De nombreuses années, en effet.
Le sénateur Nolin : Merci encore d'être ici aujourd'hui.
Le sénateur Joyal : Il y a 10 ans de cela.
Le sénateur Nolin : Je pense qu'il y a plus de 10 ans.
Mme Rosenfeldt : Certainement.
Le sénateur Nolin : Nous examinions à l'époque une modification du Code criminel, présentée par notre collègue; mais concentrons-nous sur la question à l'étude aujourd'hui.
Je ne vais pas parler du fichier de données génétiques sur les personnes disparues. Je suis certain que mes collègues le feront.
Une phrase située au bas de la page 2 de votre exposé mérite, selon moi, d'être étudiée. J'espère que vous pourrez me fournir plus de détails.
Vous dites que vous ne croyez pas que le droit à la vie privée d'un délinquant devrait l'emporter sur l'atteinte à la sécurité publique de la société canadienne. Je ne veux pas entrer dans une discussion juridique à ce sujet, et je comprends ce qui vous pousse à émettre une telle affirmation, mais j'aimerais savoir : comment fixons-nous la limite?
La jurisprudence nous offre déjà des outils pour les cas dans lesquels les tribunaux traitent des mécanismes qui font passer un droit avant un autre. Qui a écrit cette phrase?
Mme Illingworth : C'est une question qui nous cause beaucoup de difficultés en tant qu'organisme, non seulement dans le cadre de votre mesure législative, mais aussi avec toutes les familles que nous aidons pour différentes raisons.
Le sénateur Nolin : Moi aussi. C'est la raison pour laquelle je pose la question.
Mme Illingworth : Nous avons de la difficulté à expliquer aux familles avec lesquelles nous travaillons que les délinquants au Canada ont un certain droit à la vie privée. La question demeure difficile pour notre organisme parce que beaucoup des familles que nous aidons sentent que les droits des délinquants l'emportent sur leurs droits à elles de faire partie du système, d'avoir leur mot à dire et d'être écoutées. Nous abordons la question de ce point de vue-là.
Le sénateur Nolin : Ce qui vous inquiète, c'est donc l'impression que ces droits l'emportent sur le bien public? C'est ce que vous dites?
Mme Illingworth : Oui.
Mme Rosenfeldt : C'est exact.
Le sénateur Nolin : Si c'est seulement une impression, nous ne pouvons rien faire, du moins pas sur le plan de la loi. Peut-être que les médias pourraient agir, mais je ne vois pas vraiment ce que nous, nous pourrions faire. C'est pour cette raison que je posais la question. Que voulez-vous que nous fassions?
Nous avons déjà investi beaucoup de temps et d'énergie dans la survie des droits concurrentiels, si vous voyez ce que je veux dire. C'est un problème d'impression, et je le respecte tout à fait.
Mme Rosenfeldt : Êtes-vous d'accord?
Mme Illingworth : Allez-y.
Mme Rosenfeldt : Nous parlons certainement de l'impression. Je doute qu'un seul organisme qui travaille avec les victimes d'actes criminels choisirait de défier tout type de droit à la vie privée octroyé à tout Canadien, à toute personne.
Toutefois, l'impression est forte. Je pense que ce que nous voulons faire ici, c'est vous implorer d'être conscients de la différence entre l'impression et les affirmations des tribunaux, et peut-être de pécher parfois du côté des victimes en vous rappelant ce que certaines vivent.
Le sénateur Nolin : J'admets que certaines décisions prises par les tribunaux devraient être couvertes par les médias pour en expliquer les raisons à la population.
Mme Rosenfeldt : C'est vraiment tout ce que nous voulions dire. Nous ne tentions pas de défier quoi que ce soit qui sort des tribunaux.
Le sénateur Nolin : Nous sommes nombreux à reconnaître que les explications manquent, et qu'elles sont nécessaires.
Mme Rosenfeldt : Oui.
Le sénateur Wallace : Merci beaucoup de votre exposé. Il me rappelle que — dans notre traitement du sujet et comme le sénateur Nolin l'a noté — nous devons trouver un équilibre entre, d'un côté, la sécurité et la protection de l'intérêt public, et de l'autre, la vie privée. Votre exposé me permet vraiment de me rendre compte de ce fait, ainsi que des expériences que chacune de vous a vécues dans le vrai monde.
C'est facile de se laisser emporter par la technologie ou, en tant qu'avocats, de se concentrer sur les mots contenus dans la loi et les règlements; tous ces points ont leur importance, mais il ne faut pas oublier qu'ils sont liés à des personnes.
Notre rôle en tant que parlementaires est de fournir la protection adéquate aux gens que nous représentons; nous œuvrons non seulement pour ceux qui ont eu le malheur d'être victimes d'actes criminels, mais aussi pour empêcher que d'autres le deviennent. Nous devons penser à ceux qui ne sont pas victimes aujourd'hui, et votre exposé ainsi que vos expériences me permettent vraiment de me rendre compte de ce fait.
Comme le sénateur Nolin l'a dit, nous avons de la difficulté à trouver l'équilibre entre la sécurité publique et la protection de la vie privée. L'analyse génétique est certainement une intrusion dans la vie privée d'une personne. La question est de savoir où fixer la limite.
Mme Rosenfeldt, vous avez dit que vous ne dénieriez à personne le droit à la vie privée. Je ne doute pas de votre parole et je partagerais bien votre avis, mais comme nous l'avons découvert en entendant d'autres témoins, les gens ont différentes façons de définir le droit à la vie privée. Vous êtes peut-être prête à accepter une protection moins rigoureuse que celle que d'autres exigent; il est donc évident qu'il y a des critères à respecter pour fixer la limite entre ce qui devrait être privé et ce qui ne devrait pas l'être.
Mme Rosenfeldt : Ce problème a toujours existé, pour toutes les mesures législatives. Il y a deux côtés : du premier se trouvent la victime et sa famille; de l'autre, le délinquant, sa famille et ses amis. La situation est toujours difficile quand il est question d'êtres humains, puisqu'il y a des êtres humains à la fois du côté de la victime et du côté du délinquant, peu importe le crime, peu importe la façon de l'aborder.
Le problème fait toujours ressortir, avec tout type de mesure législative — qu'il soit question de criminels qui profitent du crime ou du FDGPD —, le conflit entre les victimes et les délinquants, et la façon dont notre système a évolué et doit réagir en respectant les deux côtés. Je suis tout à fait consciente qu'il peut être très dur de se trouver dans cette situation.
Ensuite, vous entendez les témoignages de personnes comme la commissaire à la protection de la vie privée, des avocats, des criminologues. Aujourd'hui, dans les universités, l'apprentissage de ces personnes est centré sur le système de justice pénale, ce qui veut dire qu'elles étudient les criminels et les droits des criminels. Très peu d'apprentissage porte sur les victimes.
C'est une situation difficile. Je suis consciente de ce qui rend la tâche difficile pour tout député à la Chambre des communes et tout sénateur qui doit prendre des décisions à ce sujet.
Pour revenir à l'énoncé, nous vous demandons simplement d'écouter ce que nous disons. Il ne faut pas nécessairement qu'il soit toujours question d'enfreindre la loi pour quelqu'un. C'est tout ce que nous voulons dire. C'est la raison pour laquelle il est important pour les victimes et les organismes qui représentent les victimes de se prononcer sur ce point.
Par exemple, nous avons parlé du cas de Clifford Olson. Je vais soulever deux points à ce sujet. Il me semble que la question de prélever des échantillons d'ADN au moment de porter des accusations est presque tombée dans l'oubli quelque part. Dans mon cas, Clifford Olson s'est rendu en Alberta juste après avoir été accusé; là, il a enlevé et agressé sexuellement un garçon de 14 ans.
Je ne vais pas entrer dans les détails, mais lorsqu'il a finalement été arrêté, il y avait sept accusations en instance devant les tribunaux. Elles ont toutes été suspendues et donc jamais reprises, et elles portaient toutes sur des jeunes. Il y avait des accusations de sodomie et d'agression sexuelle, des garçons et des filles — tout lui allait. C'était un monstre. En fin de compte, il a plaidé coupable pour 11 enfants — peut-être y en avait-il plus — qui ont tous perdu la vie.
Mon fils était le troisième de ces enfants, fait que j'ignorais au départ. Mon mari et moi avons posé énormément de questions. Il était un des enfants traités comme un fugueur; ils ont dit : « Voyons, c'est de son âge. »
Il y avait un manque d'éducation à l'époque. Si les techniques d'analyse génétique avaient existé, Clifford Olson n'était pas un débutant, on aurait pu l'attraper avant que mon fils soit tué.
Je vous implore vraiment de penser à de telles situations. J'en mentionne seulement une, mais mon exemple en est un parmi tant d'autres. Il y a le cas de Paul Bernardo — c'est la même chose —, le cas de Priscilla de Villiers, la liste ne finit plus. Chaque victime qui s'est avancée et qui a posé ces questions a sa propre histoire.
Elles sont toutes un peu tristes, mais je vous prie de songer à la réalité du sujet dont nous parlons. Nous parlons de la possibilité de sauver des vies humaines. Qui sait, peut-être qu'aujourd'hui mon fils dirigerait la banque de données génétiques. Je ne sais pas, mais je vous pose la question au nom de mon fils et en mon nom.
Le sénateur Wallace : En tant que parlementaires chargés de créer ces règlements et ces lois, notre rôle est de faire tout ce que nous pouvons pour que le moins de personnes possible deviennent victimes. Il ne faut absolument pas oublier ce point.
Votre témoignage me donne l'impression qu'il y a un parallèle à établir entre les empreintes digitales et l'analyse génétique. Suggérez-vous de prélever des échantillons d'ADN au moment de l'arrestation? Il me semble que vous établissez un parallèle avec les empreintes digitales. Les voyez-vous du même œil? Voyez-vous une différence entre les deux en tant que techniques d'identification, ou devraient-elles être traitées de la même façon?
Mme Rosenfeldt : Probablement de la même façon.
Le sénateur Wallace : Merci beaucoup.
Mme Rosenfeldt : Pouvez-vous répondre à la question, madame Illingworth?
Mme Illingworth : J'ai récemment entendu parler un procureur de la Couronne — vous l'avez sûrement déjà vu —, Terry Cooper. Il a dit que dans de nombreux cas, quand quelqu'un commet une infraction qui n'est pas punissable par voie de mise en accusation, qu'elle est seulement punissable par voie de déclaration sommaire de culpabilité, on ne relève pas ses empreintes digitales. Ces infractions sont tout de même relativement graves, comme le fait de s'exposer en public, et elles peuvent mener éventuellement à des infractions sexuelles majeures commises contre d'autres.
Je suis d'accord avec Mme Rosenfeldt que les empreintes digitales devraient être relevées plus souvent au Canada, et que les échantillons d'ADN devraient être prélevés plus tôt.
Le sénateur Wallace : Merci beaucoup de vos commentaires.
Le sénateur Nolin : Lorsque vous dites « plus tôt », qu'entendez-vous? Dès l'arrestation? Au moment de l'inculpation?
Mme Illingworth : Oui, c'est ce que nous avons dit dans notre exposé.
Le sénateur Milne : Merci au sénateur Nolin de nous avoir mis au courant du décès de votre mari. Je vous offre également mes condoléances.
Mme Rosenfeldt : Je vous remercie, madame le sénateur.
Le sénateur Milne : Si vous aviez suivi les délibérations du comité au cours des derniers jours, vous réaliseriez que bon nombre d'entre nous soutiennent la mise en œuvre d'un fichier des personnes disparues. Quant au prélèvement de l'ADN des membres des familles pour identifier les victimes, l'une de mes grandes préoccupations est de protéger le droit à la vie privée de tous et non seulement celui des criminels. Nous avons entendu des témoignages contradictoires relativement aux mesures de sécurité que comporte le fichier pour isoler le profil d'identification génétique de l'identité de la personne. Cependant, si les échantillons ne sont pas détruits, ce que les tribunaux ont confirmé, qu'a-t-on prévu pour protéger les membres de la famille d'une éventuelle inculpation?
Mme Rosenfeldt : Vous soulevez un point intéressant. J'appuie tout à fait la recommandation de l'ombudsman et je recommande qu'une tierce partie y participe. Je pense notamment au comité consultatif de la GRC qui supervise actuellement toutes les opérations.
Vous soulevez toutefois un bon point; la plupart des victimes de crime ont un être cher porté disparu depuis longtemps. Je peux vous donner des noms d'enfants portés disparus depuis 1980 — beaucoup d'entre eux proviennent de l'Ouest. Leurs familles sont constamment confrontées à une triste réalité : l'être cher a été tué ou a été enlevé et élevé par quelqu'un d'autre.
Sur une note plus personnelle, lorsqu'on a commencé à évoquer un fichier national des personnes disparues, nous avons reçu des lettres d'une organisation de femmes autochtones qui a lancé l'initiative de la « route des pleurs », entre autres. En 1972, l'une de mes cousines, alors âgée de 19 ans, a été assassinée à Barrie, en Ontario. Cela remonte à bien des années, et j'ai demandé à la famille si elle voulait que notre organisation se penche sur le dossier et qu'elle en saisisse la police provinciale de l'Ontario, qui tente d'élucider des affaires non résolues. Ses parents ont eu de la difficulté à accepter qu'une telle enquête ait lieu après toutes ces années par crainte de raviver les souffrances du passé. On a trouvé leur fille attachée à un arbre, mais il ne restait plus que ses os. L'auteur du crime n'a jamais été retrouvé. La différence entre ce qui s'est passé dans ma famille et la leur, c'est que l'auteur du crime court toujours — à combien d'autres personnes a-t-il fait subir ce sort? C'est ce dont il faut tenir compte. Ce sont là certains problèmes connus par les parents de personnes portées disparues depuis longtemps. La plupart des familles se donneraient corps et âme pour m'aider à localiser les personnes portées disparues, quelle que soit la date de disparition. Je soulève ce point en réaction à vos préoccupations et pour vous faire savoir pourquoi je recommande fortement qu'un tel fichier soit contrôlé par le comité consultatif.
Je n'estime pas nécessaire d'engager une partie autre que les policiers dans les affaires non résolues de personnes disparues, car ils savent comment s'y prendre. Je suis désolée d'être aussi directe, mais au contraire de ceux qui travaillent dans le cadre du régime juridique, tels que les policiers, beaucoup de gens ne s'y connaissent pas dans ce domaine. C'est la raison pour laquelle je serais rassurée si le fichier continuait à relever du Bureau d'enregistrement des enfants disparus de la GRC. Je le dis dans l'espoir que le fichier sera mis en place un jour. J'ai bon espoir.
Le sénateur Milne : Merci. Je compatis avec vous, mais je m'inquiète pour les générations futures. Le profil d'identification génétique est donné sur une base volontaire afin d'identifier des dépouilles trouvées plus tard. Si le profil reste dans la banque de données génétiques, l'un de vos petits-enfants pourrait être reconnu coupable d'un crime à la suite d'une recherche familiale qui mènerait à votre famille, justement parce que votre ADN se trouve dans la banque de données.
Mme Rosenfeldt : Peu importe. Si un membre de ma famille commet un crime, soit. Je ne vois pas le problème. Je comprends ce que vous dites, mais je vois les choses d'un autre œil.
Mme Dion : Si vous me le permettez, je crois qu'il faut dissocier les enjeux qui, à mon avis, sont les suivants. Avons-nous besoin d'une banque de données génétiques pour identifier les corps des personnes disparues et les dépouilles non identifiées? Quels sont les enjeux en matière de vie privée? Quelles sont les politiques en place pour garantir l'élimination des échantillons? Ce sont là des questions différentes, parce que la destruction des échantillons concerne les autres indices qui font partie de la banque de données génétiques. Il est possible de répondre à ces questions, à condition d'aborder chacune d'entre elles individuellement. C'est pour moi un aspect administratif de la banque de données génétiques, mais c'est peut-être encore plus important. En les examinant séparément, nous réglerons plus facilement la question de la destruction des échantillons.
Le sénateur Milne : Je comprends. Comme l'ombudsman l'a dit avant vous, vous envisagez la possibilité de garder trois séquences d'ADN distinctes : celle de la victime, celle de l'échantillon actuel, et celles des membres de la famille à la recherche d'une personne disparue. La dernière séquence ferait partie du fichier des personnes disparues. Quelles mesures d'isolation faut-il adopter à cet égard, ou préconisez-vous plutôt leur abolition?
Mme Dion : Personnellement, je crois qu'il faut des mesures de sécurité pour isoler l'échantillon d'ADN de la personne portée disparue de celui du fichier des condamnés. J'accorde un peu plus de latitude lorsqu'il est question de comparaisons dans le fichier de criminalistique, parce qu'il se peut que la personne portée disparue soit une victime dont l'ADN se retrouve sur les lieux du crime. Je suis d'avis qu'il faut établir cette comparaison.
Il faut conserver le fichier des condamnés séparément. De même, une fois la dépouille identifiée, rien n'empêche les policiers de relever des empreintes et de vérifier s'il y a d'autres condamnations, ce qui ne nécessite pas spécialement l'accès à une banque de données génétiques.
Le sénateur Baker : Félicitations pour votre exposé. La majorité des gens qui suivent les délibérations du comité à la télévision approuvent sûrement ce que vous nous avez dit aujourd'hui. Le Parlement a récemment adopté une loi sur le prélèvement d'échantillons de substances corporelles dans le cas de conduite avec facultés affaiblies par les drogues.
La loi n'a pas encore été contestée devant les tribunaux. Cependant, je présume que lorsque ce sera le cas, il faudra déterminer si elle est justifiée en vertu de l'article 1 de la Charte, c'est-à-dire si la violation des droits garantis par la Charte a été faite pour le bien de tous, ce qui se justifie dans une société libre et démocratique.
Vous proposez que l'on prélève l'ADN dès l'arrestation d'une personne. En vertu de la loi actuelle, soit la Loi sur l'identification des criminels, sont considérées comme des actes criminels les infractions punissables par mise en accusation, ainsi que les infractions punissables par voie de déclaration sommaire de culpabilité, qui sont aussi appelées infractions mixtes et qui sont relativement graves. Si une personne est innocentée, il y a retrait de l'accusation ou suspension d'instance. La personne peut alors demander que l'infraction soit effacée du casier judiciaire, ce qui est fait. Proposez-vous la même chose?
Aujourd'hui, lorsqu'une personne est accusée d'un crime, on relève ses empreintes, on prend sa photo et l'on prélève son ADN. Si elle est innocentée ou si l'accusation est retirée, peut-elle demander que ces documents soient supprimés?
Mme Illingworth : Oui. C'est ce que nous vous proposons dans notre exposé ce matin. Nous ne voyons même pas la nécessité d'en faire la demande. Nous proposons que le projet de loi soit amendé pour que ce soit la procédure d'office. Je sais que le Royaume-Uni ne procède pas actuellement ainsi, car on y conserve les documents pour toujours. Cependant, en Écosse, lorsqu'une personne est innocentée ou l'accusation est retirée, les échantillons ne sont pas conservés dans la banque de données.
La présidente : Il peut être important de souligner que la Cour européenne des droits de l'homme a dénoncé le système britannique auquel vous faites référence. Notre discussion à propos d'une position équilibrée vis-à-vis des droits de la personne n'est donc pas seulement théorique. D'autres pays sont aux prises avec le même problème.
Dieu sait que nous compatissons avec vous. Notre travail consiste à coucher sur papier un projet de loi qui offrira, selon nous, la plus grande part de justice et la plus petite part d'abus. Ce n'est pas tâche facile.
Le sénateur Joyal : Je n'ai pas envie de lancer un débat juridique. Comme vous l'avez dit, nous serions coupables d'une trop grande professionnalisation du régime juridique et d'un manque d'attention à la souffrance des victimes. Or, ce n'est pas le but de votre témoignage ce matin.
Comme vous le savez, le tribunal britannique a établi une distinction quant aux diverses situations où le profil est conservé, particulièrement dans les affaires où l'accusé n'a jamais été jugé coupable d'un crime. Une personne est présumée innocente jusqu'à preuve du contraire. C'est là le principe fondamental de la justice, et je suis certain que vous y adhérez. Le tribunal fait donc une certaine distinction dans sa capacité d'ordonner ou non que des échantillons soient fournis à cette étape.
Mme Illingworth : Si je me souviens bien, la décision rend possible le prélèvement d'échantillons tant qu'ils ne sont pas conservés lorsqu'une personne est innocentée. Notre organisation accueille cette décision. Il devrait être possible de prélever des échantillons au moment de l'arrestation de les éliminer de la banque de données si une personne est innocentée ou s'il y a retrait de l'accusation et abandon de la poursuite.
La présidente : Avez-vous eu l'occasion de vous pencher tout simplement sur la possibilité que les policiers ou une autre autorité compétente effacent d'un dossier les renseignements obtenus?
J'ai posé cette question de prime abord futile — mais qui ne l'est pas réellement — à diverses autorités dans un certain nombre de contextes. La plupart d'entre eux ne m'ont encore pas donné de réponse claire.
Mme Rosenfeldt : C'est très difficile. Je comprends ce que dit chacun d'entre vous. Cependant, comme l'a dit l'ombudsman, nous nous trouvons dans une impasse. Que faut-il d'abord? La création du fichier des personnes disparues? Il fait l'objet de consultations et de débats depuis maintenant six ou sept ans. Tout le monde s'entend sur le principe.
Cependant, je vous entends clairement dire qu'il vous reste un certain nombre de préoccupations. Je ne sais pas comment répondre aux questions concernant la structure et les technologies que le fichier nécessite, là n'est pas mon champ de compétence. Je viens ici seulement pour vous dire comment je vois les choses. Je peux uniquement parler de ce que je connais le mieux. Je ne comprends pas tout quant à la manière de mettre en œuvre le fichier, y compris la question de la vie privée. Je peux seulement vous dire à quel point les gens auprès desquels j'ai travaillé au fil des années et moi-même estimons qu'il est important.
Nous vous proposons de recommander fortement que le fichier ait préséance dans les discussions futures. Cela nous donnerait peut-être également une chance. Vous êtes aux prises avec beaucoup de préoccupations. Si vous indiquez que c'est une priorité, nous pourrons concerter nos efforts pour obtenir plus de renseignements afin de répondre à un certain nombre de vos préoccupations, qui sont justifiées.
La présidente : Votre devoir consiste effectivement à venir nous faire part de vos propositions et le nôtre à en déterminer la faisabilité et la manière de les mettre en œuvre, ce qui nous convient.
Mme Rosenfeldt : Voilà. Nous vous demandons donc de bien vouloir en faire une priorité pour ensuite en déterminer la façon de procéder.
Mme Dion : Depuis maintenant six ans, je m'efforce de jumeler des personnes portées disparues aux corps non identifiés. Par expérience, je sais que les familles ne fournissent pas volontairement leur ADN à la banque de données des personnes disparues si elles soupçonnent l'être cher d'être parti de lui-même ou pour éviter une accusation criminelle.
En théorie, toutes les personnes portées disparues devraient figurer dans la banque de données, mais ce sont les familles qui décident. La vie privée constitue toujours un enjeu majeur, mais le choix revient aux familles, même pour rapporter la disparition d'un être cher au service de police. Cela ne règle pas les questions de vie privée, mais rappelez-vous que les personnes dont l'être cher a disparu ne se tourneront pas toutes vers la banque de données génétiques.
Le sénateur Campbell : Je dois vous avouer que dans mes lectures quotidiennes, le National Post a préséance sur les décisions européennes en matière de droits de la personne.
Il faut revenir à nos moutons, notamment à la banque de données des personnes disparues. Soyez assurées qu'il existe une justification scientifique pour protéger les renseignements. Certains semblent croire que les policiers passent leur temps à examiner l'ADN familial à la recherche de suspects. Je peux vous garantir qu'ils le font en dernier recours. L'ADN et les empreintes digitales sont identiques, sauf qu'il s'agit de technologies différentes.
Si l'on m'accusait d'un acte criminel, personne ne s'opposerait — sauf peut-être en Europe — à ce que soient relevées mes empreintes digitales. Je peux vous garantir que mes empreintes seront indiscutablement intégrées à la banque de données le jour même. Elles seront entrées et comparées aux résultats de la recherche.
Est-ce si différent de l'ADN? Selon moi, mes empreintes ne devraient pas être intégrées dans la banque de données pour être comparées à tout ce qui s'y trouve. Il serait préférable de les comparer à toute preuve concernant l'affaire pour laquelle on m'accuse. Il faut attendre que je sois déclaré coupable pour qu'elles fassent partie de la banque de données pour un usage général. Je préconise la même procédure pour l'ADN.
Le fichier des personnes disparues sert à identifier les personnes portées disparues, celles qui ont été tuées, dont la présence sur la scène d'un crime constitue une preuve médicolégale ou qui sont recherchées par leur famille. Il faut revenir à l'essentiel, plutôt que de s'éparpiller dans tous les sens et d'émettre toutes sortes d'hypothèses au sujet du fichier.
Nous avons entendu les témoins; ils estiment qu'il faut mettre en œuvre le fichier. Nous nous demandons tous pourquoi nous n'en avons pas un. À mon avis, si nous continuons d'émettre des hypothèses, il ne verra jamais le jour.
Mme Dion : J'aimerais ajouter quelque chose.
Le sénateur Milne : Pouvons-nous passer aux conclusions finales?
La présidente : Nous avons tous de grandes convictions à ce sujet et nous y accordons tous un fervent soutien. Cependant, le comité n'en est pas encore au stade des conclusions. Nous en viendrons sûrement à ce que propose le sénateur Campbell en fin de compte, mais le comité comme tel n'a pas encore décidé ce qu'il entend faire.
Je ne crois pas que nous ayons assez de temps pour que chacun présente ses conclusions finales, mais Mme Dion voulait nous toucher un mot.
Mme Dion : Le sénateur Campbell peut sûrement ajouter à ce que je m'apprête à dire. Je crois savoir que les policiers canadiens excellent dans l'identification des dépouilles humaines.
Je conserve un registre à la maison. En Ontario, les dépouilles sont identifiées en 39 jours en moyenne, mais il y a parfois des cas où l'identification prend beaucoup plus de temps. À mon avis, ce sont des anomalies — il manque un document ou la victime est trouvée à l'extérieur de la région où elle est connue.
Lorsqu'un corps non identifié est trouvé, la cause du décès est souvent le suicide, qu'il soit naturel ou accidentel. La très grande majorité des décès ne sont pas de nature criminelle, et l'affaire est donc résolue plutôt rapidement. Le projet de loi sert à soulager des familles autant qu'à régler les anomalies.
La présidente : Merci pour cette précision, qui figurait d'ailleurs dans votre mémoire.
Soit dit en passant, je peux vous assurer qu'un certain nombre de sénateurs et moi-même avons été particulièrement étonnés lorsque la responsable de la Banque nationale de données génétiques est venue témoigner devant le comité à propos des difficultés éprouvées dans l'horrible affaire des pieds trouvés en Colombie-Britannique. On en est à une impasse, et cette affaire s'inscrit directement dans le cadre de ce que vous demandez.
Chers collègues, je tiens à vous remercier énormément pour cette séance fort utile, et les témoins ont droit à la plus vive reconnaissance du comité.
(La séance est levée.)