Délibérations du Sous-comité sur la Santé des populations
Fascicule 2 - Témoignages du 25 mars 2009 (séance de l'après-midi)
OTTAWA, le mercredi 25 mars 2009
Le Sous-comité sur la santé des populations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui, à 16 h 6, afin d'étudier l'incidence des divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants de la santé (sujet : politique en matière de santé des populations pour les peuples autochtones) et d'en faire rapport.
Le sénateur Wilbert J. Keon (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, nous accueillons aujourd'hui trois témoins formidables. Vous remarquerez qu'il y a un photographe dans la salle. J'espère qu'il ne vous dérangera pas lorsqu'il prendra des photographies pendant la séance.
Nous commencerons aujourd'hui par entendre M. Bob Watts, directeur exécutif de l'Assemblée des Premières Nations (APN), qui remplace le chef Fontaine.
Bob Watts, directeur exécutif, Assemblée des Premières Nations : Merci de nous avoir permis de contribuer à votre étude. Je vous salue également de la part du chef national Fontaine ainsi que du conseil d'administration de l'Assemblée des Premières Nations.
Fort de son étude de deux ans, le sous-comité connaît déjà les écarts bien documentés en matière de santé qui persistent entre les Premières nations et les autres Canadiens. Le gouvernement devra modifier de façon considérable son approche à l'élaboration et à la mise en œuvre de la politique publique afin de réduire ces écarts. J'aimerais souligner certaines étapes qui seront nécessaires pour élaborer une stratégie efficace en matière de santé à l'intention des Premières nations.
Bon nombre des questions auxquelles vous m'avez demandé de répondre aujourd'hui ont été posées pendant les 18 premiers mois de consultations qui ont précédé la rencontre des premiers ministres à Kelowna, en Colombie-Britannique, en 2005. L'Accord de Kelowna était un plan d'envergure échelonné sur 10 ans, conçu en partenariat avec les Premières nations avec l'aval du gouvernement fédéral et des provinces et territoires, qui visait à réduire l'écart entre les Premières nations et les autres Canadiens. L'Accord de Kelowna devrait être perçu comme un tremplin pour une nouvelle approche en matière de santé des Premières nations. Bon nombre des recommandations que j'avancerai découlent de cet accord.
L'APN demande au Sénat de recommander des mesures qui répondront aux véritables besoins des Premières nations en matière de santé. Tout d'abord, nous demandons au Sénat de recommander que les programmes et services en matière de santé destinés aux Premières nations fassent l'objet de la même clause d'indexation que celle dont bénéficient les provinces et territoires. Les paiements de transfert pour la santé et les services sociaux du Canada sont majorés en fonction du coût de la vie, ce qui se traduit par une augmentation annuelle de 7 à 9 p. 100. Les programmes et services en matière de santé destinés aux Premières nations ne font pas l'objet de cette clause d'indexation et le financement est plafonné, ce qui donne lieu à des hausses de 2 à 3 p. 100 annuellement. Or, les montants sont tout simplement insuffisants compte tenu des coûts réels. Dans certaines collectivités, les salaires du personnel soignant n'ont pas été augmentés depuis 10 ans, ce qui rend très difficile le maintien en poste et le recrutement des effectifs. Nous nous réjouissons bien sûr des crédits accordés aux Premières nations pour les travaux d'infrastructure prévus dans le plan de relance économique, mais cette augmentation relativement modeste ne suffira pas pour répondre aux besoins de nos collectivités.
Si les Premières nations avaient bénéficié d'une clause d'indexation semblable à celle dont jouissent les provinces, nous aurions reçu au moins 14,5 milliards de dollars en crédits supplémentaires pendant les dix dernières années pour tenir compte de l'augmentation du coût de la vie. Nous ne trouvons aucune justification qui explique pourquoi les Premières nations reçoivent moins que d'autres Canadiens pour des services et programmes équivalents. Nous demandons au Sénat de recommander un financement et des augmentations annuelles équitables pour les collectivités des Premières nations à partir de l'exercice commençant en 2011, notamment un financement pour répondre aux réels besoins d'infrastructure.
Vous savez, tout comme moi, que les déterminants sociaux de la santé, c'est-à-dire une approche holistique à la santé des populations, ne concernent pas uniquement Santé Canada. Si votre mandat vous le permet, nous vous demandons de recommander également que les crédits accordés pour le logement, l'éducation et l'approvisionnement en eau fassent aussi l'objet d'une clause d'indexation annuelle. Nos enfants méritent une éducation, une eau potable, des logements et des services de santé comparables à ceux que reçoivent les autres enfants canadiens. Nous demandons tout simplement l'équité.
Deuxièmement, nous demandons au Sénat de faire une recommandation concernant la responsabilité des organisations mandatées pour améliorer la santé des Premières nations. C'est une demande particulière que je ne fais pas à la légère. Santé Canada réussit à bien des chapitres et sert de modèle à d'autres ministères. J'y reviendrai plus tard. Cependant, il y a un problème qui a déjà fait l'objet de recommandations du Sénat dans le passé et qui concerne l'Agence de la santé publique du Canada.
Le mandat de l'agence comprend les Premières nations à titre de Canadiens, et nous refusons toute exclusion. En dépit d'une recommandation du Sénat exigeant des mesures immédiates, je dois malheureusement vous indiquer que très peu a été fait. Aucun programme ni service n'ont été mis en œuvre à l'intention des collectivités des Premières nations, et l'agence n'a toujours pas pris de décision concernant l'inclusion des Premières nations. C'est inexcusable. La santé publique des Premières nations exige une collaboration et un partenariat immédiats entre l'agence et la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits en vue de répondre à des besoins critiques. Nous exhortons le Sénat à exiger des comptes de l'agence. N'attendons pas qu'une urgence de santé publique se déclare dans une collectivité des Premières nations. Nous avons tous intérêt à ce que des mesures soient prises immédiatement.
J'ai dit plus tôt que Santé Canada réussit à bien des chapitres. J'aimerais féliciter la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits de son engagement et du travail fait au chapitre des initiatives tripartites.
La troisième recommandation concerne les initiatives tripartites. Les Premières nations sont les prestataires de services de santé relevant à la fois de la compétence fédérale et des provinces et territoires. MM. Romanow et Kirby ont tous les deux abordés ce sujet lors de leurs enquêtes. L'année dernière, le chef national a eu l'honneur de signer, en présence du ministre de la Santé d'alors, le cadre stratégique pour des ententes régionales tripartites des Premières nations en matière de santé, soit le cadre tripartite en matière de santé. Le cadre établit les principes pour une collaboration entre les Premières nations, les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral en ce qui concerne les modèles partagés du processus décisionnel.
Le ministre fédéral de la Santé en a fait part à ses homologues provinciaux et territoriaux. Le cadre tripartite est fondé sur les principes suivants : les Premières nations participent à part entière aux tables de négociation où se décide le financement des services de santé qui leur sont offerts; les modèles partagés de gouvernance en matière de santé ne sont pas redondants, mais bien des outils de collaboration; le système comme tel fait obstacle, de sorte qu'il faut que les solutions s'y appliquent. Le plan tripartite en matière de santé de la Colombie-Britannique en est un exemple très prometteur.
Je demande au Sénat de recommander que le cadre stratégique tripartite soit le modèle retenu pour l'élaboration de partenariats en matière de santé des Premières nations et que les ministères fédéraux responsables de la santé mettent ce cadre stratégique en pratique.
Je crois également qu'il existe une façon d'utiliser les principes du cadre stratégique afin de faire avancer le dossier du « principe de Jordan «. Depuis l'adoption du projet de loi au Parlement, Santé Canada et Affaires indiennes et du Nord canadien peinent à collaborer, alors que des enfants continuent d'attendre des services. Je crois que le cadre stratégique tripartite devrait s'appliquer à ce dossier particulier ainsi qu'à d'autres dans lesquels les ministères fédéraux devraient tout simplement collaborer davantage afin de mieux aider les Premières nations.
Toujours au chapitre du cadre stratégique tripartite, je demanderais également au Sénat de recommander que le Fonds pour l'adaptation des services de santé soit renouvelé. Ce programme, qui prendra fin en 2010, assure le financement d'un grand nombre de projets communautaires tripartites dans le domaine de la santé. Nous sommes tous d'accord qu'il faut effectuer certains changements dans le système, et à cette fin, il faut renouveler ce fonds. Je demande au Sénat de recommander la reconduction du fonds dont le budget serait doublé. Je m'attends à ce que ce fonds apporte de grands changements au système au cours des prochaines décennies.
Pour parler de choses positives, j'aimerais souligner l'excellent travail de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits dans le domaine de la santé mentale. Les Premières nations sont aux prises avec des problèmes de santé mentale, qui sont aggravés par les traumatismes liés aux pensionnats. Le Programme de soutien en santé — résolution des questions des pensionnats indiens offre des ressources afin que l'on puisse offrir un soutien psychologique dans les collectivités. Nous croyons que les besoins de soutien psychologique dans les collectivités dépasseront largement les ressources disponibles. Les anciens pensionnaires ne devraient pas être livrés à eux-mêmes pour se remettre des mauvais traitements qui leur ont été infligés dans les pensionnats. La jeunesse des Premières nations, confrontée à diverses toxicomanies, au désespoir et au suicide, ne devrait pas être laissée pour compte. Le Canada ne devrait pas leur tourner le dos. Nous devons et nous pouvons en faire plus.
Ma cinquième demande concerne la santé mentale. Les Premières nations demandent que les ressources communautaires pour la santé mentale soient augmentées afin d'empêcher les suicides et d'offrir un soutien aux personnes accablées par des troubles psychologiques.
La sixième et dernière recommandation concerne les ressources humaines dans le secteur de la santé. Lors de la négociation des ententes tripartites, nous avons appris qu'une capacité insuffisante dans les collectivités peut constituer un obstacle, mais le problème est plus étendu. Les Premières nations recherchent désespérément des professionnels de la santé qualifiés. Les plans communautaires pour la santé et les plans de prévention des suicides et d'intervention auprès des diabétiques sont tous retardés par la pénurie de ressources humaines. L'Initiative sur les ressources humaines en santé autochtone de Santé Canada a permis de réaliser certains progrès depuis sa mise sur pied en 2004, mais nous attendons toujours des changements quantifiables au chapitre des soins communautaires. Je demande au Sénat de recommander une hausse dramatique des ressources nécessaires afin de maintenir et d'augmenter le personnel offrant des soins de santé dans les collectivités des Premières nations.
Nous avons besoin d'aide afin d'accompagner nos étudiants pendant leurs études de premier et de deuxième cycles dans le domaine de la santé et afin de leur offrir des cours de perfectionnement une fois qu'ils travailleront. Aucune de mes autres demandes n'aboutira tant que nous ne disposerons pas d'un plan réaliste doté d'un financement suffisant en vue d'augmenter le personnel capable d'offrir des services de santé aux Premières nations. Nous devons également nous doter de décideurs et de leaders issus des Premières nations dans le domaine de la santé, et l'APN a préparé une proposition à l'intention de Santé Canada en vue de créer un centre d'excellence pour la gestion dans le domaine de la santé. Ce nouveau centre offrirait un soutien aux cadres, appuierait les pratiques exemplaires des modèles partagés de gouvernance de la santé et établirait des bases pour la recherche sur la gestion dans le domaine de la santé. Je vous demanderais de songer à appuyer cette initiative.
Je vous ai fait de nombreuses demandes au nom des Premières nations sur les clauses d'indexation du financement, la santé publique et l'Agence de la santé publique du Canada, les ententes tripartites, la santé mentale et les ressources humaines du secteur de la santé. Ce sont nos revendications clés en vue de réduire les écarts au chapitre de la santé. Nous avons réalisé certains progrès, et je demeure convaincu que l'équité est un objectif réalisable et nécessaire.
Le 11 juin marquera le premier anniversaire des excuses émises par le Parlement du Canada aux anciens pensionnaires. Les excuses n'ont pas seulement reconnu les erreurs du passé, elles ont également laissé entendre de profonds changements. L'heure est venue de changer fondamentalement les systèmes de soins de santé et d'en arriver à une équité réelle. Mes enfants ainsi que les vôtres ne méritent rien de moins.
Le président : Merci, monsieur Watts. Nous poserons des questions après que les autres témoins auront fait leurs exposés, mais j'aimerais vous dire que vos recommandations ressemblent beaucoup à celles qu'envisage le comité. Votre exposé nous a beaucoup plu.
Je cède maintenant la parole à Mme Rosemary Cooper, directrice des services à la haute direction du Inuit Tapiriit Kanatami.
Rosemary Cooper, directrice des services à la haute direction, Inuit Tapiriit Kanatami :
[Le témoin s'exprime dans une langue autochtone.]
Notre présidente, Mme Mary Simon, vous salue et présente ses excuses. Elle regrette de ne pas pouvoir comparaître. Je suis accompagnée de Mme Elizabeth Ford, directrice du Service de la santé et de l'environnement. Je vais commencer mon exposé.
L'Inuit Tapiriit Kanatami représente les Inuits du Canada dans les dossiers d'intérêt national. On recense quelque 53 000 Inuits vivant dans 53 collectivités. Inuit Nunaat, c'est-à-dire les terres ancestrales des Inuits du Canada, se divise en quatre régions : la région de l'Inuvialuit et celles du Nunavut, du Nunatsiavut et du Nunavik. Nos terres arctiques recouvrent un tiers du territoire du Canada et 50 p. 100 de son littoral. Nous sommes une petite population répartie sur une région énorme du Canada. Le rôle principal d'Inuit Tapiriit Kanatami est de revendiquer une place plus équitable pour les Inuits au Canada. Nous sommes la voix nationale des Inuits et nous défendons des questions d'importance vitale liées à la préservation de l'identité, de la culture et du mode de vie des Inuits.
Notre population est jeune, puisque 53 p. 100 d'entre nous avons moins de 15 ans. Dans la population canadienne générale, le pourcentage correspondant est de 18 p. 100. Les Inuits sont confrontés à de nombreux défis au chapitre de la politique publique et se battent en vue d'améliorer le niveau de vie et le bien-être des particuliers et des familles. Ces questions soulignent les écarts énormes au chapitre de la santé entre les Inuits et les autres Canadiens. Nous nous acquitterons de notre devoir qui consiste à faire rapport sur ces écarts à condition, cependant, qu'il y ait une collaboration en vue de trouver des moyens novateurs de les combler.
Nous savons que la qualité de la petite enfance a une incidence à long terme sur la santé mentale et physique. L'incidence élevée d'anémie et d'infections respiratoires chez les enfants inuits est attribuable à des carences dans l'alimentation, à la fois avant et après la naissance, ainsi qu'à un tabagisme répandu aggravé par l'exiguïté des logements. Le syndrome d'alcoolisation feotale et l'ensemble des troubles causés par l'alcoolisation fœtale sont d'autres problèmes de la santé des jeunes enfants qui préoccupent grandement les collectivités inuites.
La pénurie de logements, ainsi que la piètre qualité et l'exiguïté de ceux-ci, sont une priorité urgente de la santé publique dans toutes les régions inuites. Les problèmes de logement ont été liés à l'échec scolaire, à la violence familiale, à la dépression, à la toxicomanie et aux infections respiratoires. Selon un rapport de 2006, le taux global de tuberculose dans les collectivités inuites est de 90 fois supérieur à celui de la population canadienne non autochtone.
La toxicomanie est un autre problème auquel sont confrontées les collectivités inuites. La prévalence d'alcoolisme et de tabagisme dans les collectivités inuites est un symptôme de problèmes économiques et sociaux plus profonds et souligne l'inégalité socioéconomique qui donne lieu à des difficultés quotidiennes importantes et à des réactions malsaines pour en venir à bout. Ces réactions doivent être considérées comme étant un déterminant fondamental de la santé.
Les Inuits, qui sont passés d'un mode de vie traditionnel au mode de vie moderne, ont connu une acculturation rapide. La sédentarisation a certes donné quelques résultats positifs, mais les grands défis socioculturels auxquels les Inuits ont été confrontés et continuent de l'être ont une incidence sur leur santé mentale, physique, affective et spirituelle.
Les collectivités inuites ont connu des changements dramatiques qui ont mis à épreuve l'efficacité de leurs réseaux de soutien social. On le voit bien par les taux de suicide élevés observés dans de nombreuses collectivités. Les rapports familiaux ont évolué en raison des conditions sociales changeantes et de l'assimilation linguistique attribuables à la proximité de cultures non inuites. Certains grands-parents éprouvent des difficultés à communiquer avec leurs petits-enfants en raison de l'assimilation linguistique. Les déplacements forcés et le placement des enfants dans les pensionnats ont créé des problèmes durables en raison de la rupture précoce d'avec les parents, la collectivité, la langue et la culture.
Aux yeux des Inuits, la productivité comprend la chasse, la récolte, les semis, l'éducation des enfants et les engagements envers la famille et la collectivité, ainsi que le travail bénévole et rémunéré.
La répartition des revenus est inégale à cause de la marginalisation entraînée par la pauvreté. Il devient plus difficile de se scolariser, de trouver un emploi et un logement salubre et de se procurer des aliments sains. La pauvreté exige également un lourd tribut au chapitre de la santé mentale, car elle rabaisse l'estime de soi et augmente les risques de dépendance. Non seulement les Inuits ont davantage de chances d'être au chômage que les non-Inuits, mais de plus, leurs emplois sont plus fréquemment saisonniers ou à temps partiel. Dans la plupart des cas, ce sont les Inuits qui occupent les emplois au bas de l'échelle alors que les non-Inuits dominent dans l'échelon des cadres.
L'accès à l'éducation dans la région arctique relève du défi. Il existe de grands besoins au chapitre de l'infrastructure et des cursus, à la fois au niveau de la petite enfance et des écoles primaires et secondaires. Il faut également accroître les possibilités d'études postsecondaires. À l'heure actuelle, seulement un quart des élèves inuits terminent leurs études secondaires, alors que c'est le phénomène inverse ailleurs au pays. Cette statistique provient du rapport de Thomas Berger publié en 2007.
La sécurité alimentaire dépend de plusieurs facteurs qui limitent la quantité et la qualité des aliments nutritifs. Le revenu est l'obstacle le plus important. Le prix des aliments vendus dans les épiceries peut être de deux à trois fois supérieur à celui qui est exigé dans le Sud du pays. Dans bien des cas, les denrées nutritives et périssables ne sont plus comestibles lorsqu'elles arrivent dans les collectivités inuites. La sécurité alimentaire des Inuits prévoit la chasse et la cueillette. Or, certains Inuits en sont privés en raison du coût élevé des équipements de chasse ou de l'absence de compétences nécessaires.
Les Inuits ne peuvent accéder à la gamme complète des soins de santé en raison de difficultés liées à la géographie, à la conception et au financement des programmes, à la capacité, aux ressources, à la langue et à la culture. La plupart des collectivités inuites ne comptent qu'un dispensaire de soins primaires, et les patients doivent se déplacer vers les centres régionaux ou les villes du sud pour consulter des spécialistes, subir des chirurgies et accoucher. Les soins primaires ne se comparent pas aux autres soins dispensés au Canada et sont assurés par des infirmiers plutôt que par des médecins. On éprouve des difficultés à recruter et à retenir des professionnels de la santé qualifiés qui ont une sensibilité culturelle.
De graves menaces, telles que le réchauffement planétaire et les contaminants, pèsent sur l'écologie de l'Arctique et ont une grande incidence sur la sécurité alimentaire des Inuits ainsi que sur leurs valeurs spirituelles et culturelles.
L'autodétermination améliore les résultats du système de soins de santé, car les collectivités qui gèrent leurs ressources et les services peuvent mettre sur pied des programmes qui correspondent à leurs besoins. Cela réduit les écarts au chapitre de la prestation de services et crée de précieux réseaux de soutien pour les groupes vulnérables. Les collectivités qui gèrent leurs ressources financières sont en mesure de planifier des programmes économiques, sociaux et des services de santé bien intégrés et de longue durée qui apportent des changements durables. De plus, l'autodétermination génère de nouveaux emplois liés aux établissements et aux programmes.
Il nous faut impérativement des approches novatrices et coordonnées afin de non seulement soigner les malades, mais également de pallier, de façon holistique, les facteurs qui influent sur la santé des Inuits.
Le président : Merci, madame Cooper.
Notre dernier témoin est M. Robert Doucette, président de Métis Nation — Saskatchewan.
Robert Doucette, président, Métis Nation — Saskatchewan : Merci, honorables sénateurs. On m'a demandé de vous faire un exposé. Mon groupe m'envoie à titre de champion. Voyons bien si j'en sors vainqueur.
Les Métis du Canada parlent notamment le cri, le déné, le français et l'anglais. Au nom du peuple métis du Canada, j'aimerais vous remercier de m'avoir donné la possibilité de vous parler de la santé de notre peuple.
Les gouvernements commencent toujours en beauté en invitant les Métis à participer aux discussions. Toutefois, on ne va jamais plus loin que les discussions.
À l'heure actuelle, Santé Canada distingue les groupes autochtones suivants : les Premières nations, les Inuits et les Autochtones. J'imagine que les Métis y sont répertoriés quelque part. Toutefois, cette distinction, qui est bien en évidence sur le site Web de Santé Canada, illustre clairement le flou juridique dans lequel se retrouvent les Métis, qu'il s'agisse de compétence fédérale, provinciale ou municipale. Les Métis sont marginalisés par le gouvernement, ce qui ne fait qu'aggraver l'état des choses. Pour ce qui est de la Direction générale de la santé des Première nations et des Inuits, il faudrait y apporter un changement, afin que cela devienne la Direction générale de la santé des Premières nations, des Métis et des Inuits.
J'aimerais vous citer un exposé qu'a fait Mme Carrie Bourassa, une Métisse de la Saskatchewan, à l'intention de l'Organisation nationale de la santé autochtone (ONSA), afin de vous montrer à quel point il est important, d'une part, que le gouvernement travaille séparément avec les Métis par égard à ceux-ci et, d'autre part, que les indicateurs de santé soient établis en fonction des facteurs de risque et d'autres inégalités. Je vous ai transmis un exemplaire du rapport, intitulé The Impact of Socio-economic Status on Metis Health : A brief Introduction for Community.
Les résultats de l'Enquête auprès des peuples autochtones, du recensement de 2001 et de l'Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes indiquent que les Métis ont un statut socio-économique inférieur, c'est-à-dire des revenus, des salaires, des taux d'emploi et une scolarisation qui sont inférieurs à la norme.
On arrive à ce constat en dépit d'une participation semblable des Métis et des Canadiens non autochtones au marché du travail. À niveau de scolarité égal, les Métis gagnent moins que les Canadiens non autochtones. Il est clair que les facteurs de la classe sociale et de la race réunis ont une incidence sur le statut socio-économique des Métis. Ce statut inférieur semble nuire à la santé de ces derniers.
Ainsi, les Métis ayant un revenu inférieur et une faible scolarisation se déclarent moins en santé que les Canadiens non autochtones ayant un statut semblable. Il faut donc se pencher sur ce problème et obtenir de meilleures données. Il nous faut également des programmes pour combler les disparités socio-économiques afin d'aider les Métis du Canada à jouir d'une santé et d'un bien-être optimaux.
Nous pensons que l'absence de données sur les Métis est attribuable à un manque de volonté de la part des organismes gouvernementaux de reconnaître les Métis comme un peuple distinct au fil des ans. Par exemple, la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuits n'a pas de mandat à l'égard des Métis.
On ne peut donc faire des comparaisons entre les Métis et les non-Métis, ce qui donne un manque de programmes ciblés conçus par le peuple métis pour répondre aux besoins qui lui sont propres dans les domaines des soins de santé et de la prestation de ceux-ci. Il n'existe absolument aucune donnée sur les taux de mortalité infantile chez les Métis, alors que c'est la norme pour déterminer la santé d'un groupe de citoyens. Puisqu'il n'y a pas de données, il n'y a pas de réponse adéquate aux problèmes de santé des Métis, qui sont cinq fois plus susceptibles de souffrir d'une maladie chronique que les autres Canadiens.
Est-ce que tout cela a un impact sur notre collectivité? Le plan de relance prévoyait, si je ne m'abuse, 325 millions de dollars pour la santé des Premières nations et des Inuits, mais rien pour les Métis. Absolument rien. Quel est l'impact de cette mesure sur notre collectivité? Permettez-moi de vous donner un exemple.
La Saskatchewan a connu un hiver très rigoureux. Un aîné métis qui fait partie de la Nation dénée et qui habite à Laroche a dû revêtir sa combinaison de motoneige et faire plus de 400 kilomètres d'autostop pour se rendre à un rendez-vous médical à North Battleford, parce qu'il n'avait pas d'argent. Il ne pouvait pas prendre un des taxis fournis aux Premières nations, bien que les collectivités soient voisines. Il a donc fait de l'autostop, dans sa combinaison de motoneige, pour se rendre à son rendez-vous. J'ai dû lui réserver une chambre d'hôtel et lui donner de l'argent pour qu'il puisse se nourrir, dormir et ensuite retourner à Laroche. Voilà ce qui se passe au Canada aujourd'hui.
Vous êtes tous conscients du fait, j'en suis certain, que les Métis sont le seul groupe autochtone au Canada qui ne reçoit aucune prestation pour des services de santé non assurés. Les Métis doivent assumer les coûts de déplacement pour les rendez-vous, les médicaments sous ordonnance et les autres fournitures médicales dont ils ont besoin. Compte tenu des faibles niveaux de revenu et d'emploi des Métis, le fait qu'ils soient obligés d'assumer ces coûts additionnels complique la tâche des Métis et des organisations métisses qui cherchent à améliorer la santé de la population. Il s'agit-là d'une pratique injuste qui crée encore plus de défis pour ce groupe autochtone déjà confronté à des difficultés.
Je vais vous raconter une histoire encore plus drôle. Je suis allé voir mon dentiste. J'étais accompagnée de Julie, ma fille cadette. J'étais en train de payer ma facture de 373 $. Elle m'a regardé et m'a dit, « Papa, comment se fait-il que tu dois payer pour te faire soigner les dents? Moi, je ne paie pas quand je vais chez le dentiste. » Elle est un membre inscrit d'une Première nation. Je lui ai répondu, « Eh bien, je fais partie des Métis et toi, des Premières nations. Je dois payer, car les Métis n'ont aucune protection en matière de santé. » Elle a dit, « Eh bien, ce n'est pas juste. » Elle a sorti sa carte de statut et a dit, « Tiens, voici ma carte. » Le dentiste lui a répondu, « Non, il ne peut pas l'utiliser. Ton père doit payer parce qu'on refuse à Ottawa de couvrir ces coûts. »
Cela dit, il y a beaucoup d'initiatives positives qui sont entreprises à l'heure actuelle par les Métis — et le gouvernement fédéral — dans le but d'élaborer des indicateurs de santé pour les Métis. Santé Canada, par l'entremise du Fonds pour l'adaptation des services de santé, a reconnu la nécessité d'aider les organisations autochtones à combler les lacunes qui existent au niveau des connaissances et des données, et à établir aussi des relations, puisque ces lacunes ont empêché les Métis d'être pris en compte dans la politique de santé publique.
Les Métis savent qu'ils doivent faire plus côté santé. Certaines organisations ont travaillé très fort, au fil des ans, pour développer des compétences dans ce domaine. Par exemple, la Fédération des Métis du Manitoba a mis sur pied un fichier qui renferme les dossiers de 78 000 Métis. Elle a créé une base de données qui lui permettra d'établir des liens et, partant, de mesurer et de surveiller l'évolution de maladies chroniques comme le diabète, le cancer et le VIH. Il a fallu à Mme Judith Bartlett, qui a déjà témoigné devant le comité, 15 ans d'efforts acharnés pour amener les Métis du Manitoba à ce stade-ci.
En Saskatchewan, ce n'est qu'au cours de la dernière année, grâce au financement accordé par le Fonds pour l'adaptation des soins de santé, que les Métis de la province ont commencé à collaborer avec les responsables des soins de santé en vue de développer des indicateurs de santé. Un sondage va être mené à l'échelle de la province dans le but d'identifier les indicateurs qui serviront à élaborer des programmes adaptés aux besoins uniques des Métis. Nous espérons que cette initiative sera menée à terme, avec l'aide de Santé Canada, car nous devons prendre les choses en main. Nous devons répondre aux besoins de nos collectivités. Nous ne pouvons plus attendre que quelqu'un d'autre s'occupe de nous.
L'absence de mesures de santé publique pour les Métis s'est avérée, au fils des ans, un sérieux obstacle. L'existence d'un conflit de compétence entre Santé Canada et les ministères provinciaux de la santé a eu pour effet de créer des relations qui, pour la plupart, sont marquées par la confrontation, les coûts étant au cœur du différend.
Le Fonds pour l'adaptation des services de santé constitue un bon point de départ, mais il doit favoriser la création de relations solides, axées sur la collaboration, entre partenaires consentants qui sont conscients de l'urgence et de la nécessité d'agir. Comme mon collègue, Bob Watts, l'a mentionné, nos enfants méritent mieux. Oui, il faut élaborer une politique globale en matière de santé pour les Autochtones, mais le cadre doit être défini, au sein des collectivités, par les Premières nations, les Métis et les Inuits, et non par les décideurs institutionnalisés situés très loin des travailleurs se trouvant en première ligne.
La santé des Métis est importante aux yeux de tous les Canadiens. Au cours des dernières années, le Ralliement national des Métis et ses membres dirigeants ont demandé aux représentants fédéraux et provinciaux, et aussi à nos collectivités, de les aider à évaluer l'état de santé de la population métisse et à définir des politiques et des programmes qui vont contribuer à améliorer la santé et les conditions de vie de la population et de ce magnifique pays qu'est le Canada. Grâce à notre participation, en 2004, à l'élaboration d'un cadre national sur la santé des Autochtones administré par le gouvernement fédéral, aux efforts que nous avons déployés, en collaboration avec divers ministères provinciaux, dans le but de reconnaître les droits des Métis, et au travail que nous avons effectué avec le Bureau de l'interlocuteur fédéral, en 2008, en vue d'établir un protocole pour les Métis, nous avons fait preuve de notre détermination à combler les lacunes qui existent et améliorer la santé des Métis au Canada.
Nous gardons l'espoir que les gouvernements fédéral et provinciaux vont s'engager, clairement, verbalement et financièrement, à nous aider à améliorer la santé des Métis. J'aimerais, à cet égard, formuler trois ou quatre recommandations. Comme l'ont mentionné mes collègues, M. Watts et Mme Cooper, vous devez encourager le Parlement à conclure, entre le Ralliement national des Métis, les membres dirigeants et les gouvernement fédéral et provinciaux, une entente tripartite en vue d'atténuer les problèmes de santé des Métis, à renouveler le Fonds pour l'adaptation des services de santé, à accroître le financement des membres dirigeants métis, et à recueillir des données sur la santé propres aux Métis. Il faudra peut-être collaborer avec Statistique Canada et Santé Canada pour créer des services de santé adaptés aux besoins des Métis à l'échelle nationale.
Merci de m'avoir permis de vous présenter cet exposé. Que Dieu vous bénisse, vous et vos familles. Marci choo.
Le président : Merci tous les trois. Les sénateurs aimeraient vous poser des questions. Je vais être bref. Nous avons du mal à comprendre, monsieur Doucette, pourquoi les Métis ne sont pas organisés comme le sont les Inuit et les Premières nations. Ils semblent être davantage éparpillés. Il est plus facile d'élaborer des politiques relatives à la santé communautaire, au bien-être et à la productivité pour les Premières nations et les Inuits que pour les Métis.
J'ai distribué un modèle de plateforme de recherche sur la santé de la population et les services de soutien tout au long du cycle de vie, plateforme qui pourrait se retrouver dans notre rapport. Toutefois, il est difficile de cerner les collectivités métisses qui peuvent être habilitées à faire face aux problèmes et où l'on peut procéder à l'analyse d'une douzaine de déterminants de la santé. Existe-t-il, à votre avis, des collectivités qui pourraient servir de modèle?
M. Doucette : Depuis que le système des réserves a été mis sur pied dans les années 1800, on trouve des Métis dans toutes les réserves. Par exemple, la nation métisse en Saskatchewan regroupe plus de 100 000 Métis qui sont éparpillés à l'échelle de la province dans 133 collectivités métisses.
Il y a entre Uranium City, au nord, et Arcolain, au sud, des collectivités métisses qui envoient des représentants élus à l'Assemblée législative de la nation métisse tous les ans. Par exemple, 70 p. 100 des Métis en Saskatchewan vivent dans trois villes : Regina, Saskatoon et Prince Albert.
Si besoin était d'examiner des communautés particulières, il y en a là-bas. Dans le nord de la Saskatchewan, on trouve des communautés métisses comme celles de Buffalo Narrows, de La Loche — La Loche compte de 3 000 à 5 000 personnes de langue métisse dénée — d'Île-à-la Crosse et de Cumberland House. Ces communautés sont là depuis 1776. Il serait donc possible de cibler des collectivités métisses pour des services et programmes de santé précis. Je ne pense pas que ce soit un problème.
Le problème, c'est la capacité. Je ne veux blâmer personne, mais c'est la capacité et l'engagement à verser des fonds véritablement destinés aux Métis. Bon Dieu, quoi penser quand un aîné métis doit faire de l'auto-stop par moins 50 degrés Celsius pour faire enlever une pièce de métal de son œil? Je crois que si la volonté est là de s'asseoir avec les membres dirigeants du Ralliement national des Métis, nous pourrions faire œuvre utile pour ce pays et nous attaquer aux problèmes de santé des Métis. Soit dit en passant, les Métis sont un peuple autochtone aux termes de l'article 35 de la Constitution, mais on les traite comme s'ils n'avaient pas de droits.
La santé n'est pas un droit autochtone; c'est un droit humain.
J'ignore si cela répond à votre question.
Le président : Oui.
Le sénateur Eggleton : Je tente de déterminer quelle serait la solution. J'apprécie tous les commentaires que vous avez faits tous les trois et vous avez très bien fait valoir à quel point vos communautés sont touchées.
Néanmoins, je cherche une solution. Par exemple, le rapport du sous-comité, Pauvreté, logement et sans-abrisme : Enjeux et options, qui concerne les Canadiens autochtones, traitait de la question de savoir si nous devrions adopter une approche globale recouvrant l'ensemble des politiques et des programmes fédéraux. Souvenez-vous que les déterminants de la santé comprennent bien des choses, dont l'emploi, l'éducation, la pauvreté et le logement; tous ces éléments peuvent avoir une incidence sur la santé d'une personne, comme vous le savez.
L'approche globale à cet égard, bien sûr, concerne de nombreux ministères à tous les niveaux. Cela dit, il pourrait y avoir une approche plus graduelle et par étapes.
Il y a une autre possibilité. En 2005, les gouvernements fédéral et provinciaux et les dirigeants autochtones ont conclu une entente relativement au Plan directeur pour la santé des Autochtones. J'ignore si vous le connaissez. Il devait servir de guide pour les futures prises de décision impliquant tous les ordres de gouvernement et les Premières nations, les Métis, les Inuits et autres communautés.
Est-ce là un type de cadre qu'il serait selon vous judicieux de suivre dans le cas de la santé des populations, s'il était élargi à ces autres déterminants de la santé, ou y a-t-il une autre façon de faire?
Quelle est votre vision des choses pour l'avenir à cet égard, et comment s'organiser face à ces problèmes? C'est un élément de taille, car la santé des populations comporte de nombreuses facettes.
M. Watts : Comme nous l'avons expliqué dans notre exposé, certaines des idées que nous avançons en matière de politiques tripartites correspondent aux mêmes principes que ceux précisés dans le plan directeur. Par conséquent, j'estime que ces principes demeurent valables.
J'accepte ce que vous dites également, sénateur. Il est parfois difficile d'amener deux ministères fédéraux à signer le même document, alors imaginez ce que ça peut être quand plusieurs provinces et peut-être d'autres ministères négocient pour tomber d'accord sur les mêmes principes.
À nos yeux, l'idée d'une approche globale est tout à fait sensée. Nous avons appliqué l'approche graduelle au maximum et il nous faut maintenant une approche globale; nous devons réunir autour de la table des intervenants qui ont les infrastructures, l'argent et la volonté nécessaires pour travailler avec nous. Nous avons beaucoup d'idées quant à la manière de traiter ces problèmes, lesquelles idées émanent directement de nos collectivités.
Il nous faut des partenaires disposés à agir. C'est de cela dont il est question lorsque nous parlons d'une vision tripartite : il s'agit de réunir ces ressources et cette expertise à la même table pour que nous puissions nous concentrer sur ces problèmes.
À notre avis, ce n'est pas tellement difficile. Nous l'avons déjà fait. L'Accord de Kelowna était un processus incroyable où tous les ordres de gouvernement étaient à la table pour s'entendre sur un certain nombre de principes et d'objectifs en matière de santé, d'éducation, de logement et d'emploi, entre autres.
Nous savons que c'est réalisable s'il y a une volonté en ce sens.
Mme Cooper : Dans la conception inuite du monde, la santé, l'éducation et les conditions sociales sont toutes interreliées. C'est vraiment une difficulté lorsqu'il y a des ministères qui travaillent de manière fortement cloisonnée. Comment peut-on s'assurer que le système soit respectueux des différences culturelles et corresponde à la façon inuite de concevoir le monde?
Par conséquent, nous sommes enclins à considérer ces questions de manière globale, et nous nous assurons de déceler les manques puis de déterminer les liens entre le logement, la santé et tous ces autres indicateurs qui y sont associés. Pour les Inuits, c'est un réel défi de travailler avec un système qui fonctionne en vase clos.
Le Plan directeur pour la santé des Autochtones est un modèle valable, mais il doit être adapté pour les Inuits, de notre point de vue.
En 2007, les Inuits ont tenu un sommet sur la santé à Kuujjuaq, en présence de tous les représentants provinciaux et territoriaux. Il y a là un modèle axé tout particulièrement sur les Inuits. Si vous le souhaitez, nous pourrons fournir ce rapport à votre comité à titre d'information.
M. Doucette : Merci, sénateur Eggleton. J'estime qu'une approche globale, ainsi que l'a dit tout à l'heure mon collègue, M. Watts, est une bonne solution. Tout comme les Premières nations et les Inuits, les Métis sont d'avis que l'approche doit être globale. Je pense que c'est ce qui ressort aussi du document de Mme Bourassa, où l'on décrit comment tout est interrelié.
Comme dans le cas de l'emploi et de la formation, nous avons l'entente de développement des ressources humaines autochtones qui doit prendre fin en 2010. Je pense que le gouvernement fédéral devrait renouveler cette entente avec les groupes autochtones, car elle est avantageuse. Cela nous permet de concentrer des ressources particulières sur les problèmes socioéconomiques auxquels sont confrontés les Métis. C'est un exemple.
Le Fonds de transition pour la santé des Autochtones doit, comme l'a dit M. Watts, prendre fin en 2010. Il s'agit là d'un autre bon programme, et il devrait y avoir un financement particulier consacré aux Métis. Aucun fonds pour le logement ne cible les Métis. Comme dans le cas de l'éducation postsecondaire, alors que les Premières nations et les Inuits reçoivent un financement pendant 48 mois pour obtenir un diplôme de premier cycle, et pendant 10 mois pour un diplôme de cycle supérieur, il n'y a rien pour les Métis.
Oui, j'aimerais qu'il y ait une approche graduelle. Nous ne voyons rien de tel là-dedans. Nous ne voyons aucune approche.
Je ne suis pas vraiment en mesure de me prononcer sur le Plan directeur pour la santé des Autochtones. Comme je l'ai déjà laissé entendre, je ne suis qu'un batteur de relève en la matière.
Le sénateur Eggleton : Je suis navré de vous lancer une balle courbe.
M. Doucette : Vous venez de me l'envoyer à partir du marbre. Il doit y avoir une initiative fédérale qui s'adresse spécialement aux Métis, gérée en partenariat avec les gouvernements provinciaux, afin de traiter les choses d'une manière globale. C'est la façon de procéder. C'est la manière canadienne, la manière métisse.
Le président : Notre plan est une recommandation relative à une approche pangouvernementale qui sera ancrée dans les communautés. Je pense que c'est ce que vous souhaitez.
Le sénateur Callbeck : Merci de votre venue et de vos exposés.
Le sénateur Eggleton a parlé du plan directeur, monsieur Watts, et vous avez dit approuver les principes qu'il contient ainsi que l'idée d'une approche globale. Ce plan a été publié en 2005. Y a-t-on donné suite? D'après ce que j'ai compris, c'est un guide qui a été approuvé. J'ai ici le plan directeur. Tous les ordres de gouvernement étaient là, y compris le gouvernement fédéral, les associations autochtones nationales, l'Assemblée des Premières Nations, le Congrès des peuples autochtones, les Inuits, les Métis et l'Association des femmes autochtones du Canada. Après que ce document a été publié, y a-t-on donné suite — ou que s'est-il produit?
M. Watts : Mon équipe sera en mesure d'en parler de façon plus détaillée tout à l'heure. J'ignore si vous pouvez établir une ligne directe entre le plan directeur et le modèle tripartite dont j'ai parlé, en Colombie-Britannique, mais je crois qu'il tire là une partie de son inspiration, de même que dans l'Accord de Kelowna. Une partie du travail qui est réalisé relativement aux professionnels de la santé s'y trouve certainement. Santé Canada a pris certaines mesures pour mettre cela en œuvre, mais pour ce qui est des provinces qui agissent de concert avec le gouvernement fédéral et avec nous, nous ne voyons pas grand-chose du genre. On met probablement en œuvre des mesures au niveau sous-régional, mais il n'y a rien qui nous permette de dire, en tant que nation, que les provinces, le gouvernement fédéral et les peuples des Premières nations agissent ensemble pour régler ces questions.
Le sénateur Callbeck : Qui devrait en prendre l'initiative?
M. Watts : C'est une bonne question. Je pense que nous en avons tous la responsabilité. Nous sommes tous redevables. Certains éléments de l'entente n'ont pas été inscrits dans l'accord. Nous avons parlé en long et en large d'une indexation en matière de santé, par exemple, et nous pensions avoir une entente à cet égard, mais nous n'en avons jamais vu la couleur. Je suis réticent à pointer du doigt. Mais je puis vous dire que nous avons frappé sans relâche aux portes des provinces et de nombreux ministères fédéraux afin de les réunir autour de la table pour faire avancer ces idées. Ainsi que je l'ai souligné dans mon exposé, nous avons eu du succès dans certains domaines, mais pour ce qui est de ce que le sénateur Eggleton qualifierait d'approche globale et de réunir tous les intervenants à la table, cela ne s'est pas concrétisé.
Le sénateur Callbeck : Dans vos remarques, vous avez mentionné la disposition relative à un facteur de progression. Vous voulez obtenir la même chose que les provinces, mais votre transfert en matière de santé et de programmes sociaux se fait-il selon la formule d'un montant par habitant?
M. Watts : Je ne pense qu'il soit fondé sur la formule d'un montant par habitant, parce qu'il a été plafonné pendant de nombreuses années. Il est effectué en fonction d'une formule établie il y a un certain nombre d'années, et on l'a augmenté de 2 à 3 p. 100. Comme l'ont dit mes deux collègues à ma gauche et à ma droite, notre population connaît une forte croissance. Elle croît à un rythme plus élevé que dans le reste du Canada. Le transfert canadien en matière de santé est établi entre 7 et 9 p. 100, et nous recevons un financement selon des augmentations de 2 à 3 p. 100, mais notre population connaît une croissance deux, trois, quatre et parfois cinq fois plus élevée que dans le reste du pays. Imaginez à quel point nous sommes loin du compte chaque année.
Le sénateur Callbeck : Ce plan directeur présente des avantages, mais y a-t-il des améliorations à faire?
M. Watts : Très certainement. Il présente certains avantages, mais pour ce qui est de la façon dont ils se manifestent, je dirais qu'il y a place à l'amélioration. Depuis, nous avons appris certaines choses également sur le plan des nouvelles technologies et des façons de faire, et il faut en tenir compte.
Le sénateur Callbeck : Madame Cooper, vous avez dit que les Inuits avaient présenté un autre plan en 2007. Concernait-il seulement les Inuits?
Mme Cooper : Oui.
Le sénateur Callbeck : Connaissez-vous ce plan directeur?
Mme Cooper : Oui; et mon directeur le connaît davantage.
Le sénateur Callbeck : J'aimerais interroger M. Watts au sujet du plan de ressources en matière de durabilité relativement aux ressources humaines et sanitaires des Premières nations. Faisons-nous des progrès à ce chapitre?
M. Watts : Je pense que nous réalisons des avancées. Si nous comptons le nombre de médecins autochtones au pays comparativement à ce qu'il était il y a cinq ans, il y a eu une augmentation. Le nombre d'infirmières des Premières nations a augmenté également. Au chapitre des ressources humaines et sanitaires, la situation s'est améliorée. En même temps, comme je l'ai déjà dit, la capacité à offrir les services dans les communautés est limitée, de sorte qu'il devient impossible de retenir les meilleurs éléments dans nos collectivités. La concurrence est vive. Mais tout n'est pas catastrophique. Nous réalisons des progrès. Si nous avions des programmes financés de manière à pouvoir retenir nos gens dans les collectivités et travailler sur ces questions, nous aurions infiniment plus de succès.
Le sénateur Pépin : Madame Cooper, vous avez mentionné dans votre déclaration que, bien que la plupart des collectivités n'aient pas d'hôpital, chaque communauté inuite en compte au moins un, mais les difficultés consistent notamment à faire du recrutement et à retenir le personnel qualifié et les infirmières. Vous avez également dit que la connaissance inuite traditionnelle brillait par son absence dans la prestation des services de santé. Quelle est votre opinion là-dessus? Comment organiseriez-vous cette prestation? Si nous avions un plan et voulions adresser des recommandations au gouvernement, comment organiseriez-vous les prestations des soins de santé par vos médecins et votre personnel infirmier?
Mme Cooper : Au Nunavut en particulier, le gouvernement de ce territoire a actuellement un programme de sciences infirmières et l'on offre un programme de soins infirmiers à Iqaluit, mais je répète que c'est une question de conditions sociales et d'accessibilité.
Le sénateur Pépin : Vous parlez de distance?
Mme Cooper : Leur milieu familial et leurs conditions sociales ont une incidence sur la complétion de ces programmes en sciences infirmières par les étudiants, alors la mobilité des cours de formation serait un exemple de solution pour fournir la formation requise.
Un autre exemple est celui des sages-femmes. Comme je l'ai déjà dit, un bon nombre de nos femmes enceintes se rendent dans les grandes communautés jusqu'à trois mois avant la date prévue de l'accouchement. Imaginez un instant le fait d'être loin de sa famille, de son mari et de ses enfants, et le stress supplémentaire que cela peut occasionner. J'ai déjà travaillé dans le milieu de la santé publique, où je voyais des femmes se frapper le ventre parce qu'elles voulaient donner naissance et en finir. L'accouchement devrait être l'événement le plus heureux d'une grossesse, mais ces femmes se retrouvent loin de leurs familles. Elles reviennent à la maison avec leur nouveau-né, que leurs autres enfants accueillent, mais il n'y aura pas eu ce lien affectif qui aurait été créé si elles n'étaient pas parties accoucher ailleurs.
Dans un cadre traditionnel, j'ai vécu l'expérience d'un accouchement en présence de toute la famille. Lorsque j'avais environ sept ans, j'ai vu de mes yeux comment une femme accouchait. Ma mère me disait : « Voilà ce que tu vivras lorsque tu seras adulte et que tu auras des enfants ». C'est très éloigné de la manière traditionnelle de donner la vie que de se retrouver dans un environnement froid qui éloigne la mère de sa famille.
Il y a de nombreux exemples. Certains efforts ont porté sur le transfert de programmes de formation d'une communauté à une autre, pour voir ce qui fonctionne. La technologie d'aujourd'hui est également avantageuse, car on peut suivre des cours en ligne, mais encore une fois, ce sont les niveaux de scolarité qui compte.
L'ITK a tenu un sommet sur l'éducation qui portait tout particulièrement sur les Inuits. Nous sommes sur le point de signer, en avril, une entente sur l'éducation qui réunira les partenaires fédéraux, provinciaux et territoriaux et nos quatre signataires des revendications territoriales. Les praticiens, les enseignants et les décideurs ont tous assisté à ce sommet. Nous avons mis en lumière des stratégies très particulières pour ce comité national, qui entreront en jeu pour qu'on mette l'accent sur la manière de s'attaquer aux lacunes en matière d'éducation.
Nous vous encourageons à surveiller également la situation et à voir comment y faire face. Encore une fois, il s'agit de déterminer comment amener les collectivités à être sensibles à ces conditions sociales.
Il y a un taux de roulement élevé chez notre personnel infirmier et nos médecins. Si l'on s'occupe de santé mentale, un individu pourra consulter un psychiatre pour 15 minutes, et on déterminera au cours de cette période que la personne concernée est atteinte d'une maladie. La personne affichera cette caractéristique dans son dossier médical, et il n'y a bien souvent aucune façon de l'éviter.
La rétention du personnel est pour nous un réel problème. Je répète que nous devons faire cet investissement pour que les Inuits puissent être des travailleurs de première ligne. C'est une véritable difficulté lorsqu'arrive un Inuit agréé ou détenant un diplôme universitaire. Nous sommes en concurrence pour les embaucher dans différents secteurs, car nous avons besoin de ces gens instruits.
Nous devons trouver un équilibre pour nous assurer que cette expertise soit maintenue à long terme dans les collectivités.
Le président : Merci. Nous devons malheureusement lever cette séance. Il est 17 heures. Nous reprendrons nos travaux à 18 heures. Je demanderais à tous nos invités de quitter la salle, car nous allons siéger à huis clos pour étudier des affaires sociales.
(La séance est levée.)