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Sous-comité sur la santé des populations

 

Délibérations du Sous-comité sur la Santé des populations

Fascicule 2 - Témoignages du 25 mars 2009 (séance du soir)


OTTAWA, le mercredi 25 mars 2009

Le Sous-comité sur la santé des populations du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd'hui à 18 heures pour poursuivre son étude sur les divers facteurs et situations qui contribuent à la santé de la population canadienne, appelés collectivement les déterminants sociaux de la santé (sujet : la politique en matière de santé des populations pour les peuples autochtones).

Le sénateur Wilbert J. Keon (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Mesdames et messieurs les sénateurs, je déclare la séance ouverte. Nos témoins ce soir sont Erin Wolski, directrice de la santé, Association des femmes autochtones du Canada, ou AFAC, et Paulette Tremblay, directrice générale, Organisation nationale de la santé autochtone, ou ONSA.

Erin Wolski, directrice de la santé, Association des femmes autochtones du Canada : Je suis directrice de la santé à l'Association des femmes autochtones du Canada. Je suis originaire du territoire visé par le traité 9, dans le Nord de l'Ontario, et je suis membre de la Première nation crie de Chapleau.

Je suis heureuse d'être ici.

Il importe de signaler à ceux qui ne le savent peut-être pas, et de rappeler à ceux qui le savent, que l'AFAC est la seule organisation autochtone nationale au Canada à être responsable de la défense des intérêts des femmes autochtones. Nous prenons cette responsabilité très au sérieux. Nous sommes bien contentes d'avoir été invitées à comparaître ici aujourd'hui, mais je dois exprimer notre déception quant au moment choisi pour nous faire témoigner et à la façon dont ont été regroupées nos organisations aujourd'hui. Cette dissociation nous déçoit.

Trop souvent, les femmes autochtones sont reléguées à la marge, nos points de vue sont oubliés, et nos préoccupations, écartées. Cela est très décourageant, car il nous faut constamment nous battre pour qu'on continue à discuter de nos problèmes.

C'est toute une série d'influences à l'intérieur de la société autochtone elle-même et en dehors d'elle qui fait que la voix des femmes autochtones n'est pas entendue. Nous nous donnons pour but de sensibiliser les gens aux effets du phénomène, mais aussi de trouver des façons concrètes d'être entendues.

La réunion d'aujourd'hui permet à l'AFAC de faire valoir cela et de vous faire savoir que nous croyons avoir trouvé une solution, une façon d'aller de l'avant. Depuis un an, avec le concours de Santé Canada, nous participons intensivement aux travaux entourant la notion d'analyse fondée sur le sexe et adaptée à la culture. Notre cadre d'analyse fondé sur le sexe et adapté à la culture représente un mécanisme qui permet d'intégrer aux processus d'élaboration des politiques les notions de sexe et de culture à la fois.

Je vais parler du CASC en parlant de ce cadre. Le CASC nous paraît être une façon intéressante d'asseoir sur des perspectives équilibrées le travail effectué sur la santé et les autres questions, non seulement à ce niveau-ci, mais aussi au niveau local, régional et national, là où les femmes autochtones et leur famille vivent, travaillent et reçoivent des services.

La présente réunion vise à discuter de l'enjeu 3 du rapport de votre sous-comité — Enjeux et options : Mettre en œuvre une stratégie sur la santé de la population autochtone —, question importante à n'en pas douter. Et nous nous réunissons à un moment critique. Je crois que nous pouvons tous nous entendre pour dire néanmoins qu'il n'y a toujours pas de stratégies durables sur la santé de la population autochtone. L'approche de santé de la population est valable, et si nous prenons en considération la diversité de perspectives défendues autour de cette table, nous pouvons dire que les résultats de la démarche auront une plus grande viabilité à long terme.

Nous devrions profiter autant que possible du temps précieux qui nous est accordé aujourd'hui — vous, les membres du comité, et nous, les organismes autochtones — pour discuter de la façon de collaborer à l'élaboration d'une stratégie sur la santé de la population autochtone et d'en faire un exercice fructueux, qui tient compte des notions de sexe et de culture.

Je peux vous garantir que les femmes que je représente seraient tout à fait prêtes à y mettre le temps et les efforts nécessaires pour s'assurer que cette entreprise soit couronnée de succès.

Il faudrait avant tout reconnaître que les Autochtones en général sont beaucoup plus malades que les autres personnes, mais que les femmes autochtones subissent, elles, les conséquences de ce phénomène à de multiples niveaux. En effet, et cela est de plus en plus courant, nos femmes présentent un état de santé extrêmement mauvais. Les femmes autochtones sont surreprésentées dans tous les aspects de la société. Nous sommes les premières partout : nous sommes les plus pauvres, les plus violentées, les plus chroniquement malades. Nous nous suicidons plus et sommes les plus emprisonnées. Un nombre astronomique d'entre nous disparaissent et sont tuées chaque année. C'est là la réalité des femmes que je suis venue représenter ici aujourd'hui. C'est là la réalité créée et perpétuée par le cadre législatif canadien régissant les peuples autochtones.

Le cadre d'analyse fondé sur le sexe et adapté à la culture dont j'ai parlé plus tôt prend en considération la colonisation de même que les effets et conséquences des institutions patriarcales qui nous ont été imposées par le truchement de la colonisation.

Il importe pour moi de préparer le terrain aux observations que je vais formuler dans un instant en affirmant d'abord que la colonisation est non pas un événement historique, mais plutôt un événement actuel. Les lois canadiennes ont un effet différent sur les Autochtones, et elles ont aussi un effet différent sur les hommes et sur les femmes, parmi les Autochtones. Cela nous touche quotidiennement, chaque jour de notre vie.

La colonisation a amené un dénigrement systématique des femmes autochtones au sein de notre société. Les lois coloniales visaient précisément les femmes autochtones. Les liens avec la terre ont été reconnus dès le départ et, étant donné que l'acquisition des terres devenait un but, les femmes autochtones sont devenues la cible. Par des lois et des politiques, et par des règles religieuses chrétiennes, c'est un portrait méprisant et démoralisant de la femme autochtone au Canada qui est devenue en quelque sorte son identité, et l'a mise dans la position d'une personne opprimée au sein de la société.

Le cadre d'analyse fondé sur le sexe et adapté à la culture que nous avons mis au point permet de bien appréhender les effets pluridimensionnels des désavantages liés au sexe et à la culture, tout en redonnant de la valeur au rôle des femmes autochtones et en refaisant le lien entre culture et sexe de manière à favoriser la santé et la guérison.

Je vais maintenant exposer une étude de cas sur le diabète chez les Autochtones qui permet d'illustrer le fonctionnement du cadre en question. Il importe de dissocier les données relatives au diabète des autres pour saisir parfaitement les conséquences du phénomène pour les femmes et les hommes autochtones. Notez que la nécessité de subdiviser les données n'a été reconnue qu'à une époque relativement récente. Historiquement, les recherches sur la santé et les essais cliniques avaient pour seul sujet l'homme. Les différences biologiques ou hormonales, notamment en ce qui concerne la grossesse, étaient associées à des syndromes. De ce fait, les femmes couraient un grave risque, étant donné que les conclusions d'essais centrés sur l'homme débouchaient sur des résultats erronés et parfois dangereux lorsqu'elles étaient appliquées aux femmes.

Les données nous montrent que le taux de diabète chez les Autochtones est disproportionnellement élevé, mais aussi que les femmes autochtones présentent un taux de diabète plus élevé que les hommes autochtones. Les données nous montrent aussi que les hommes se font plus souvent amputer en raison du diabète.

Ces informations-là deviennent extrêmement importantes pour qui doit décider de l'orientation des programmes de lutte contre le diabète chez les Autochtones. Les femmes autochtones bénéficieraient de programmes de prévention, alors que les hommes autochtones bénéficieraient de programmes axés sur la prise en charge de soi. Par contre, ajoutez la dimension culturelle à ce scénario et vous obtenez en rapport avec la maladie en question un tableau mieux défini qui peut élargir notre compréhension du diabète et déclencher peut-être la mise au point de solutions plus durables. Le CASC fera ressortir des faits servant à expliquer comment et pourquoi les femmes autochtones sont prédisposées au diabète et présentent un taux de diabète plus élevé.

Les Autochtones appuieraient la stratégie sur la santé de la population qui est proposée dans ce rapport du comité dans la mesure où elle équivaut à une approche traditionnelle de la santé où la personne est considérée dans son ensemble et où les problèmes ne sont pas examinés isolément. Il importe de prendre des mesures pour améliorer la santé des peuples autochtones grâce à une approche fondée sur la santé de la population et à l'élaboration d'une stratégie globale axée sur les déterminants sociaux, mais il faut aussi comprendre qu'il s'agit là de résultats. Notre mauvaise santé générale ressort de nos besoins impérieux en matière de logement, de notre faible niveau de scolarisation et de notre statut socioéconomique inférieur. Or, ce sont tous là des résultats d'un problème systémique beaucoup plus vaste.

Pour changer la situation des Autochtones de manière durable, on ne peut s'attaquer à leurs problèmes en se concentrant uniquement sur les symptômes. Nous devons tous — chacun d'entre nous, ici, aujourd'hui — discuter des problèmes réels, des causes profondes de notre situation actuelle. Nous ne pouvons refuser toujours de voir comment nous nous sommes retrouvés dans cette situation et comment celle-ci s'est perpétuée — et, oui, il s'agit là de problèmes complexes. La situation actuelle des Autochtones au Canada est le fruit d'un programme d'action concerté et systématique de la culture dominante en vue d'éradiquer le problème des Indiens, et il faudra donc déployer des efforts concertés et systématiques pour la changer.

Je vous encouragerais tous à envisager une approche de la santé et des problèmes de santé des Autochtones qui tiennent compte de la culture et du sexe. Nous devrions envisager un moment les risques que nous courons, face à l'avenir, si nous choisissons de ne pas tenir compte d'une telle perspective.

Pour nous, femmes autochtones, nos enfants, nos petits-enfants et les générations futures représentent la priorité. Nous nous préoccupons de la santé et du bien-être de nos familles et de notre collectivité. Nous devons donc penser de cette façon et nous demander : quelles mesures pouvons-nous prendre aujourd'hui pour améliorer la santé de nos enfants, de nos familles et de nos collectivités? Si nous accordons la priorité à nos enfants, ce sur quoi nous choisissons de nous concentrer aujourd'hui sera peut-être différent.

Pour résumer, je suis convaincue qu'il importe de s'attaquer aux déterminants sociaux de la santé tels que vous les recensez. Toutefois, les éléments manquants — les éléments les plus cruciaux —, ce sont les problèmes systémiques. Nous ne devrions pas chercher à déjouer les statistiques, nous devrions chercher à changer ces statistiques.

Le président : Merci. Nos travaux ont été perturbés aujourd'hui; je veux m'en excuser. La vie ne se déroule pas toujours sans heurts dans une assemblée comme la nôtre. Ce n'était pas du tout malicieux. Je m'excuse. Madame Tremblay, allez-y.

Paulette Tremblay, directrice générale, Organisation nationale de la santé autochtone : Je salue chaleureusement le président du sous-comité, le sénateur Keon, et les membres du comité eux-mêmes.

Merci d'inviter l'Organisation nationale de la santé autochtone, ou ONSA, à prendre part à la présente audience publique sur un sujet extrêmement important, soit la politique canadienne de santé de la population des Premières nations, des Inuits et des Métis. Je suis moi-même une Mohawk, du Territoire des Six-Nations de la rivière Grand, dans le Sud de l'Ontario, et membre du clan de la Tortue. Je viens témoigner aujourd'hui en tant que directrice générale de l'ONSA. L'ONSA a été mise sur pied en 2000 pour favoriser la santé et le bien-être des peuples et communautés des Premières nations, Inuits et Métis au moyen d'activités et de stratégies axées sur le savoir.

Pour réagir aux questions posées et aux options proposées dans le rapport le plus récent du comité, Politique sur la santé de la population au Canada : perspectives fédérales, provinciales et territoriales, l'ONSA propose les options décrites ci-dessous pour asseoir, pour l'avenir, la politique sur la santé de la population des Premières nations, des Inuits et des Métis au Canada. Nous avons décidé d'élargir notre regard et d'examiner les trois options parce que cela nous paraissait plus viable que le fait de se restreindre à la seule option 3.

Premièrement, nous sommes d'avis qu'il est absolument essentiel d'adopter une stratégie globale sur la santé de la population des Premières nations, des Inuits et des Métis dans la mesure où elle repose sur une « approche pangouvernementale » qui fait les liens nécessaires entre la santé et les autres domaines relevant de la politique gouvernementale et qui met en relief l'interaction entre les déterminants de la santé, pour que nous puissions mieux comprendre la santé et le bien-être des Premières nations, des Inuits et des Métis. Il est question ici de l'enjeu 2, option 4. Nous souhaitons porter un fait à votre attention : on ne saurait mettre en œuvre une chose qui n'a pas encore été conçue. C'était le terme employé : « mettre en œuvre ». Nous disons qu'il faut d'abord concevoir la chose, pour ensuite la mettre en œuvre.

Comme les déterminants de la santé s'influencent entre eux, il ne convient pas d'en retenir certains seulement. L'ONSA est d'accord avec la définition élargie de la santé adoptée par l'Organisation mondiale de la santé, l'OMS, en 1946. Selon l'analyse adoptée pour en arriver à cette définition, il s'agit de délaisser la notion d'» absence de maladie » pour une approche globale du mieux-être. La définition nouvelle de l'OMS énonce l'approche à privilégier, soit une approche intégrée qui relie tous les facteurs liés au bien-être des humains, y compris le milieu matériel et social propice à une bonne santé. Par conséquent, il s'agit de privilégier le mieux-être et une bonne santé.

Si nous voulons nous assurer que l'approche de santé de la population est efficace, il est impératif de faire appel aux dirigeants des Premières nations, des Inuits et des Métis dès le départ, depuis les réunions entre représentants des ministres jusqu'à la planification, en passant par les discussions d'ordre technique. Par ailleurs, pour que les communautés et organismes des Premières nations, des Inuits et des Métis puissent bien participer à la démarche, il faudra débloquer des ressources.

Deuxièmement, pour que la démarche porte fruit, il faudra un degré de collaboration et de concertation intersectorielle sans précédent qui mobilise les communautés des Premières nations, des Inuits et des Métis, les ministères, les administrations fédérale, provinciales et territoriales, les administrations des Premières nations, des Inuits et des Métis et le secteur non gouvernemental. Il est question ici de l'enjeu 2, option 6. Il faut que les secteurs collaborent pour appréhender les déterminants de la santé et déterminer quelles interventions se révèlent les plus prometteuses et produisent les résultats les plus heureux à l'échelle communautaire. Le processus doit être progressif, comporter des données inclusives et miser sur le partenariat. La démarche devrait consister notamment à fixer les buts, les objectifs, les indicateurs et les cibles voulus à partir d'un investissement fait dans des recherches portant précisément sur les Premières nations, les Inuits et les Métis.

Voilà pourquoi j'utilise les trois termes. Nous n'employons pas le terme « Autochtones » à l'ONSA; nous disons Premières nations, Inuits et Métis. Même si le terme figure dans notre nom lui-même, nous essayons de délimiter précisément les populations. Notre organisme s'intéresse d'abord et avant tout à la recherche; il est très important de le noter. Il est question ici de l'enjeu 2, option 2.

De même, il sera nécessaire d'examiner et de modifier les autorisations du Conseil du Trésor pour permettre la collaboration intersectorielle et intergouvernementale. Tous les ministères devront mettre la main à la pâte. Le Conseil du Trésor et Santé Canada devront donc travailler à un mandat commun, soit d'élaborer la stratégie sur la population des Premières nations, des Inuits et des Métis. Il faudra faire les investissements nécessaires pour contrôler les résultats en matière de santé et soutenir la recherche sur les interventions effectuées.

Je ne saurais trop dire à quel point c'est important. La capacité de pratiquer des interventions ciblées et de les évaluer par la suite constitue un élément clé pour améliorer la santé des Premières nations, des Inuits et des Métis. En ce moment, les systèmes de suivi et d'évaluation des interventions au Canada sont gravement sous-développés.

Troisièmement, il serait avantageux de combiner, d'abord, un plus grand investissement dans la recherche sur la santé de la population et l'amélioration de l'application des connaissances — c'est l'enjeu 1, option 2 — et, ensuite, le renforcement de l'apprentissage entre pairs dans les populations des Premières nations, des Inuits et des Métis. C'est l'enjeu 3, option 3. L'investissement fait dans la recherche servirait à créer les indicateurs nécessaires et à établir les données de base relatives aux résultats, à relever aussi les disparités et les interventions fructueuses. D'après les pratiques prometteuses qui ont été relevées, il est à conseiller de produire des données subdivisées sous la direction des communautés des Premières nations, des Inuits et des Métis, sinon avec leur pleine coopération, lorsqu'il s'agit de concevoir et de mettre en œuvre les programmes et projets de recherche et de surveillance.

De concert avec des partenaires comme l'Institut de la santé des Autochtones ou les Instituts de recherche en santé du Canada, les Réseaux de recherche sur la santé autochtone de même que des collèges communautaires des Premières nations, des Inuits et des Métis, l'ONSA est prête à jouer un rôle d'importance dans le domaine. L'ONSA présente un bilan fructueux en application des connaissances, en promotion de la santé des Premières nations, des Inuits et des Métis et en éducation du public.

Le gouvernement fédéral doit faire des investissements à l'échelle communautaire. Il doit s'assurer que ce sont des priorités communautaires qui priment suivant une approche qui vient de la communauté elle-même. Il est bien connu que les approches imposées depuis le sommet de la pyramide ne fonctionnent pas, qu'elles ne peuvent fonctionner — seule une approche mue par la communauté elle-même comportera certainement la souplesse nécessaire pour s'adapter à la diversité des populations des Premières nations, des Inuits et des Métis au Canada. Le contrôle exercé par une communauté sur les ressources produit un effet multiplicateur sur les résultats. Lorsque les programmes et les décisions relèvent de l'instance appropriée au sein de la communauté, les résultats sont supérieurs dans la mesure où les ressources sont les mêmes.

L'ONSA est unique. Nous formons un organisme sans but lucratif fondé sur l'unité et voué à l'unité, mais qui respecte en même temps la diversité. Nous sommes centrés sur la communauté. L'ONSA relève, crée, interprète, diffuse et applique des approches de guérison et de mieux-être issues à la fois des idées traditionnelles des Premières nations, des Inuits et des Métis et des conceptions modernes de l'Occident. L'ONSA incarne les valeurs et les principes propres aux pratiques traditionnelles de connaissance et de guérison.

L'ONSA compte trois centres dont le travail s'articule autour d'initiatives relatives au bien-être et à la santé d'une population précise : le First Nations Centre, l'Inuit Tuttarvingat et le Centre des Métis. L'ONSA compte également un service de recherche sur les communications qui s'attache à des projets intersectoriels en insistant sur deux ou trois des populations — les Premières nations, les Inuits et les Métis. Par exemple, l'ONSA propose sur son site Web les ressources intersectorielles suivantes : le Réseau du respect de la vie, pour la prévention du suicide; le Programme national des modèles autochtones, qui gagne toutes sortes d'adeptes partout au pays et qui propose aux jeunes des communautés des modèles de comportement; le Cercle d'apprentissage à la petite enfance autochtone, site Web sur le développement durant la petite enfance; et le Bulletin sur la santé autochtone. Ce ne sont là que quelques-unes des ressources en question. Je vous encourage à visiter notre site Web au www.naho.ca, où vous trouverez de nombreuses autres ressources encore, y compris des ressources portant particulièrement sur la santé de la population.

Des données démographiques récentes font ressortir clairement la croissance phénoménale des populations des Premières nations, Inuits et Métis. C'est l'occasion pour le Canada de faire des investissements importants dans les ressources humaines de manière à créer peut-être quelque chose de positif et de durable pour les collectivités et le pays lui-même. L'investissement, l'action et la collaboration soutenue procurent des avantages qu'il faut saisir. Selon le recensement de 2006 de Statistique Canada, il y a au pays 1 172 790 Autochtones, ce qui représente 4 p. 100 de la population canadienne. Dans cet ensemble, il faut compter 60 p. 100 de membres des Premières nations, 7 p. 100 d'Inuits et 33 p. 100 de Métis.

Les populations des Premières nations, Inuits et Métis représentent le segment de la population qui croît le plus rapidement, soit six fois plus rapidement que le segment non autochtone, dont le taux de croissance s'élève à 8 p. 100. Les Métis croissent à un rythme 11 fois plus rapide, alors que les Premières nations et les Inuits croissent à un rythme trois fois plus rapide que celui de la population non autochtone. Ce sont là des taux de croissance importants.

Cinquante-quatre pour cent des Autochtones vivent en milieu urbain et 48 p. 100 des Premières nations, des Inuits et des Métis entrent dans la catégorie des jeunes, c'est-à-dire qu'ils ont 24 ans ou moins, par rapport à 31 p. 100 de la population non autochtone.

Cependant, voici la statistique la plus saisissante, à laquelle nous devons nous attacher. Les populations des Premières nations, Inuits et Métis sont jeunes. La moitié des Inuits ont 22 ans ou moins; la moitié des Premières nations ont 25 ans ou moins; et la moitié des Métis ont 30 ans ou moins. Par contraste, la moitié de la population non autochtone a 40 ans ou moins.

Cela veut dire que nous devons nous attacher à cette question-là. Les enfants sont très importants et ils ont besoin de nous dès aujourd'hui, pas demain. Il faut agir dès maintenant.

En guise de conclusion, je vous félicite de vous être lancés dans cette aventure difficile, mais combien nécessaire. N'oubliez pas que l'approche fructueuse est celle qui fait appel aux bonnes parties dès le départ et qui fait de la communauté le centre de toute intervention.

Le président : Merci, madame Tremblay. Nous accueillons Rose Sones, qui aimerait apporter des éclaircissements sur certains des témoignages que nous avons entendus au début de l'après-midi.

Rose Sones, directrice adjointe, Politiques stratégiques, Secrétariat à la santé et au développement social, Assemblée des Premières Nations : C'est en rapport avec deux des questions qui avaient été posées; je vous remercie de l'occasion que vous m'offrez de pouvoir apporter des précisions là-dessus.

Une des questions portait sur le Plan directeur de la santé des Autochtones. Je dois préciser que — et c'est peut-être par erreur — nous avons apparenté le plan directeur à l'Accord de Kelowna. Nous avons utilisé plan directeur et accord de Kelowna de manière interchangeable. En réalité, le document lui-même, intitulé Plan directeur de la santé des Autochtones, est un document public qui bénéficiait du plein appui des provinces et des territoires.

Il faut se demander ce qu'il en advient et qui a la responsabilité de faire progresser le dossier. À l'automne 2005, les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral, de même que cinq organismes autochtones nationaux, y compris l'APN, s'étaient réunis autour de la table. Nous avons donné notre assentiment. De façon inattendue, il y a eu les élections, puis le nouveau gouvernement a refusé de reconnaître l'entente. De fait, je crois que le nouveau gouvernement a qualifié le document en question de communiqué de presse. C'était une tournure inattendue. Les communautés des Premières nations continuent de montrer qu'elles appuient ce document. Les provinces et les territoires ont affirmé publiquement que c'était un bon plan. Nous devons aller de l'avant avec ce plan.

La Chambre des communes et le Sénat ont adopté un projet de loi d'initiative parlementaire, le C-292, pour mettre en œuvre l'Accord de Kelowna — ce qui montre très bien que la chose bénéficiait toujours d'appuis. Le projet de loi exigeait du gouvernement fédéral qu'il rende des comptes à ce sujet et fasse rapport tous les ans sur l'état d'avancement du plan.

Dans les excuses qu'il a présentées au nom du Canada aux victimes des pensionnats indiens, le premier ministre a déclaré qu'il s'agit d'un nouveau départ, une occasion d'aller de l'avant de concert. Nous attendons toujours qu'il se passe quelque chose de ce côté-là. Nous croyons que le moment est venu pour le gouvernement fédéral d'agir.

La question visait aussi à déterminer si le Plan directeur de la santé des Autochtones est complet. C'est un document qui a vieilli; la rédaction remonte à 2005. Tous les intéressés avaient été consultés. Dans tous les recoins du pays, les Premières nations ont fait beaucoup de travail en ce sens et préparé un plan régional aussi. Nous pourrions mettre cela à jour, particulièrement en fonction de l'évolution des techniques dans le domaine de la santé dans certains cas. Cependant, les principes de base énoncés dans le document demeurent valables.

Vous aviez posé une autre question sur le plafond imposé au financement; si vous le permettez, j'apporterai une précision là-dessus aussi. Il s'agissait de savoir si c'était établi en fonction de la population. C'est un renseignement qui s'est plus ou moins perdu dans les méandres de l'histoire institutionnelle. À la fin des années 1980, des décisions entourant le financement stratégique à long terme des prestations de santé non assurées ont animé un mouvement qui détermine une bonne part du financement qui existe aujourd'hui.

Durant les années 1980, on a retenu un taux d'augmentation annuel relativement bas en fonction de l'idée que la population des Premières nations n'allait pas croître. Essentiellement, notre financement se retrouve donc bloqué à un niveau correspondant à la population des années 1980. Je n'ai pas devant les yeux des statistiques relatives à la croissance de la population qui est survenue depuis. Par contre, on peut certes dire que le financement ne concorde pas avec la croissance de la population et qu'il ne concorde pas avec le coût des augmentations, le coût réel d'exploitation.

Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion d'apporter ces précisions.

Le président : Merci, madame Sones.

Les sénateurs ont des questions pour tous les témoins, mais, avant de continuer, je veux sonder Mme Wolski à propos de l'émancipation des femmes. Madame Wolski, vous représentez l'Association des femmes autochtones du Canada. Je crois depuis longtemps que l'un des moyens d'action les plus puissants que l'on puisse utiliser pour éliminer nombre des problèmes qui existent dans le monde, certes, mais dans notre propre pays assurément, repose sur l'émancipation des femmes.

Or, il y a eu des progrès considérables en dehors du monde autochtone. Cependant, les femmes n'ont toujours pas le pouvoir qu'elles devraient avoir sur leur vie, sans aucun doute. Là où les gens sont moins nantis, il semble que l'autonomie des femmes soit vraiment compromise. En quoi notre rapport peut-il être utile à la cause des femmes?

Mme Wolski : D'abord et avant tout, notre cadre d'analyse fondé sur le sexe et adapté à la culture comporte un principe fondamental d'inclusion. Les femmes autochtones veulent être représentées. Elles veulent prendre part à l'élaboration des politiques et des procédés, de même qu'au dialogue entourant les questions qui ont une incidence sur elles. Trop souvent, elles sont reléguées à un rôle symbolique, sinon d'autres organismes, d'autres gens prétendent les représenter.

Pour une bonne part, c'est simplement que nous souhaitons être présentes à la table. C'est ce à quoi nous aspirons depuis plus de 35 ans, depuis la création même de l'AFAC. Nous tenons à être présentes à la table, sinon, souvent, notre perspective reste lettre morte. Les priorités des femmes ne sont pas les priorités des hommes. En intégrant les perspectives en question, nous sommes mieux en mesure d'en arriver à un changement durable. C'est simplement une question d'inclusion.

Le président : Estimez-vous faire des progrès importants?

Mme Wolski : Oui, j'ai l'impression qu'il y a un mouvement qui se déploie en ce moment. Je suis tout à fait convaincue qu'il y a quelque chose qui se passe. Cela m'exalte vraiment de songer à ce qui va se produire chez les femmes autochtones au cours des cinq à dix prochaines années. Proportionnellement, nous fréquentons davantage l'école aujourd'hui. D'importants changements se produisent, d'importants faits sont maintenant reconnus.

Les statistiques laissent toujours voir un portrait assez négatif au sens où les taux de pauvreté demeurent élevés. Soixante et onze pour cent des femmes autochtones habitent en dehors de la réserve. C'est un fait qui n'est pas souvent reconnu. Quatre-vingts pour cent d'entre elles sont seules pour s'occuper de leur famille. Quarante pour cent sont pauvres. Nous élevons des enfants en étudiant, et en étant pauvres. Ce que nous avons pu faire récemment mérite d'être souligné. Il y a une sorte d'impulsion.

Le sénateur Eggleton : Cela m'intéressait de savoir si nous devrions adopter une approche globale ou progressive. Mme Tremblay a très bien répondu à la question.

Je présume que Mme Wolski préférerait aussi une approche globale.

J'ai posé plus tôt une question sur le plan directeur et je crois avoir obtenu une réponse à cette question-là; on a donc répondu à mes questions.

Le sénateur Pépin : Vous venez de nous parler de ce qui se passe du côté des femmes, du fait qu'elles élèvent les enfants seules tout en étant pauvres et ainsi de suite. Du point de vue de la santé, je sais que vous ne disposez pas d'un nombre suffisant d'infirmières et de médecins. Je sais que vous n'êtes pas des décideurs dans d'autres secteurs, mais menez-vous le dossier en ce qui concerne les services de santé? Comment est-ce organisé, comment pourriez-vous vous y prendre pour mieux organiser les services de santé? Que pourra faire le gouvernement pour vous aider sur ce plan?

Mme Wolski : Les femmes autochtones prennent indéniablement en charge les services de santé au sein de nos communautés et des centres urbains. Les femmes en général et les femmes autochtones en particulier assument ce rôle-là. Tout de même, il faut se pencher sur le cas des femmes qui se débattent avec les moyens du bord et n'ont pas un accès équitable aux services de santé. Nombre d'entre nous ont bien accès aux services de santé, mais il y en a un nombre encore plus grand qui essaie d'accéder aux services en question. Plusieurs projets visent actuellement à adapter les services de santé aux besoins des Autochtones.

Le sénateur Pépin : Les gens vous écoutent-ils? Ce sont les femmes qui assurent les services. Vous êtes majoritaires et vous êtes le mieux à même de juger.

Mme Wolski : Tout à fait. Nous recevons les services et nous faisons en sorte que nos enfants les reçoivent aussi. Un changement est en cours, comme je l'ai dit plus tôt. Santé Canada a adopté certaines mesures, par exemple. Il reste à voir quel effet auront les mesures en question, mais les raisons de se réjouir sont nombreuses.

Le sénateur Pépin : Y a-t-il une façon d'en mesurer les effets, de savoir si c'est positif et quelles sont les mesures correctives qu'il faudrait apporter?

Mme Wolski : La mesure actuelle prend la forme de résultats. Nous pourrions employer diverses façons de mesurer la chose pour savoir s'il y a bel et bien un effet sur la vie des gens. Les femmes autochtones présentent actuellement les taux les plus élevés de diabète, d'obésité et de maladie du cœur qui soient.

Comme je l'ai dit pendant mon exposé préliminaire, cela tient beaucoup à des causes systémiques. Nous devons certes nous concerter pour agir sur les résultats, mais il faut aussi s'attacher à la racine des problèmes. Il faut un effort concerté d'un côté comme de l'autre.

Le sénateur Pépin : Si les enfants sont bien instruits et bien nourris, la tâche de la prochaine génération sera beaucoup plus facile.

Mme Tremblay : Certains des domaines auxquels nous travaillons se rapportent directement aux femmes. Dans votre rapport, vous pourriez parler des femmes qui prennent des décisions, qui ont des enfants, qui reviennent à la pratique des sages-femmes. Il y a un leadership pour maintenir le travail qui se fait et l'erre d'aller nécessaire en ce qui concerne le mouvement des sages-femmes. Nous devons continuer notre travail dans ce domaine-là, pour les soins prénataux comme pour les soins post-partum.

Il y a toute une tradition à ranimer, et cela commence à se faire partout au pays. Nous devons nous pencher ensemble sur la famille et sur les retombées de l'histoire des pensionnats. Il nous faut reconquérir notre identité et faire revivre la tradition des naissances où la famille est présente.

C'est un mouvement très vigoureux, très positif. Un mouvement qui met la femme au cœur de la famille, plutôt que de l'éloigner de la communauté et de faire d'une naissance une expérience médicale qui a lieu dans un hôpital. À ce moment-là, les femmes peuvent être isolées de leur communauté pendant trois mois. De cette façon-ci, la famille est ramenée dans une démarche dont la femme est le cœur, comme le veut la tradition des Premières nations, Inuits et Métis.

Il est vrai que les femmes sont plus nombreuses à fréquenter l'école que les hommes. Elles changent la donne et font mieux valoir leur point de vue. Cependant, nous devons nous rappeler le fait que la moitié des nôtres ont moins de 25 ans. Il faut s'attacher à ce fait-là. Nous devons éduquer les jeunes; l'éducation devient donc encore plus importante.

Rosemary Cooper, directrice des services à la haute direction, Inuit Tapiriit Kanatami : Comme je l'ai dit plus tôt, notre point de vue sur les affaires sociales, la santé et l'éducation est holistique. Tous les éléments sont liés entre eux; rien ne peut être séparé de l'ensemble.

Cela dit, nos hommes sont nombreux à tomber entre les mailles du filet en ce qui concerne la justice et l'emprisonnement. Du point de vue des valeurs inuites, c'est la famille qui représente l'unité globale. J'ai été très heureuse d'entendre les exposés présentés ce soir. Cependant, nous devons être conscients du fait que les valeurs du monde inuit sont fondées sur l'unité familiale et la vision du monde qui est la nôtre.

Nos femmes sont devenues beaucoup plus fortes au fil des ans; ce sont elles qui prennent en charge les problèmes sociaux, les conditions qui sévissent au sein des communautés. Ce sont elles qui fournissent des conseils, qui donnent les services, qui élèvent les enfants, mais n'oublions pas nos hommes et nos enfants. Il faut prendre soin d'accorder une attention égale aux hommes.

Le sénateur Pépin : Si je comprends bien, ce serait les femmes qui deviennent des leaders en ce moment et les hommes qui ont de grandes difficultés. Vous nous dites que nous devons faire ce qu'il faut pour améliorer leur vie aussi.

Mme Cooper : Il y a un mouvement qui touche les hommes inuits aussi. Il y a pour eux un plus grand nombre de programmes de guérison. Chez l'homme, il n'est pas considéré comme normal de partager ou de pleurer. Il est important de le savoir, particulièrement quand on pense aux pensionnats qu'il y a eu dans le passé, à l'idée pour eux d'exprimer les problèmes qu'ils éprouvent. Ils ont besoin de guérir pour améliorer leur cycle de vie. Les femmes exercent vraiment beaucoup de pressions pour que les hommes se prennent en charge.

Le sénateur Pépin : À condition qu'ils écoutent.

Mme Cooper : Nous avons aussi des leaders masculins qui sont forts, ce qui est merveilleux.

Le président : Voilà qui est fascinant. Nous tenons des audiences depuis quelques années, et le message qui revient, et qui nous a été donné encore une fois, cette fois par Mme Tremblay, c'est qu'il faut rejoindre les collectivités, que les collectivités doivent se rebâtir elles-mêmes. Nous devons cesser de leur dire comment faire et chercher plutôt à leur simplifier la tâche qui consiste à se rebâtir elles-mêmes.

Madame Cooper, je vais vous raconter une anecdote intéressante. Il y a à peu près un an de cela, à Iqaluit, je parlais à un jeune homme de santé mentale, et il a mentionné une chose que vous venez de mentionner vous-même.

Il a dit : nos femmes évoluent; elles sont plus instruites que nous. Avant, nous étions les chasseurs-cueilleurs. Nous apportions de la nourriture, mais notre rôle se rétrécit de jour en jour, et nous ne savons pas très bien quoi faire. Les temps ne sont pas très bons pour un homme de 20 ans à Iqaluit; voilà qui est très intéressant.

Je veux savoir ce que vous en pensez; nous arrivons au terme de notre aventure et nous allons rédiger notre rapport. Le modèle communautaire que nous voulons préconiser, qui sera relié à l'approche pangouvernementale et à l'approche intersectorielle, serait en quelque sorte une plate-forme pour la santé de la population — comportant tous les déterminants de la santé depuis le logement jusqu'au revenu, en passant par l'alimentation. Le réseau de la santé doit y figurer aussi, aux côtés d'études en génétique et ainsi de suite.

Le modèle doit reposer sur le cycle de vie au sein de la collectivité visée, de manière à ce que les éléments se renforcent entre eux, depuis la préparation préparentale à l'art d'être grand-parent, en passant par l'acquisition de compétences parentales, le développement de la petite enfance, l'éducation primaire, l'éducation secondaire, l'éducation postsecondaire, la participation aux affaires de la collectivité, l'activité professionnelle, le vieillissement en santé et ainsi de suite — pour que les collectivités puissent se bâtir elles-mêmes.

Je veux savoir ce que vous pensez toutes, Mme Sones, Mme Tremblay, Mme Wolski et Mme Cooper, de ce concept : c'est que nous tenons vraiment à viser juste. Madame Tremblay, je vous mets au défi de répondre en premier.

Mme Tremblay : Je suis originaire du territoire des Six-Nations où nous avons la plus grande réserve peuplée du Canada avec 22 000 habitants et 12 000 personnes au sein de la communauté. Nous avons des systèmes qui sont bien développés; c'est là notre don, les êtres humains. Nous mobilisons des gens en rapport avec tous les éléments.

Il me paraît intelligent d'appliquer au sein de la communauté un travail d'équipe où il y a un éducateur, un responsable de la santé et une équipe qui inclut des sages. Travailler en équipe a ceci de merveilleux qu'on peut faire appel aux forces d'autrui. Cela donne un grand nombre d'opinions et de points de vue.

En envisageant les choses du point de vue holistique, de la période préalable à la conception jusqu'au vieil âge, je crois que nous devons adopter ce modèle. Au sein de nos communautés, notre mode de vie a toujours reposé sur une telle approche : nous prenions de la nature ce qu'il nous fallait. La seule chose qu'il faut garder à l'esprit ici, ce qui me paraît manquer, c'est la spiritualité. Il faut faire entrer l'esprit dans cette approche. C'est si important : les aînés nous parlent des rêves et des messages de nos ancêtres. Nous n'arrivons pas seuls dans une pièce; nous arrivons accompagnés de nos ancêtres qui sont avec nous en esprit.

Nous avons entendu à Albuquerque une histoire de mémoire ancestrale qui fonctionne par les liens du sang — vous portez en vous cette mémoire qui vous dit en rêve ce que vous devez accomplir pendant votre séjour sur terre. Ça me semble bien, mais j'aimerais voir que c'est circulaire. J'aimerais voir le lien avec les choses animées et les objets inanimés, étant donné que notre rapport est à la terre. Tout vit; notre rapport est avec la terre, le lieu, tous ces concepts-là aussi.

J'ajouterais un élément qui fait partie de notre vision du monde. C'est la nature. D'un point de vue iroquoien, pendant les cérémonies, par exemple, nous faisons toujours nos remerciements. Nous adressons en dernier les remerciements au créateur. Nous commençons par les animaux, les eaux, puis les étoiles et enfin le créateur.

Il faut être conscient du fait que l'être humain est le plus petit élément qui soit dans ce tableau d'ensemble. Nous dépendons tant de tout ce qui est donné par ailleurs dans notre univers. Je demanderais que ce soit ce modèle-là d'une façon ou d'une autre. Il y a tout un quadrant, celui de la spiritualité, que je ne vois pas et qui est vraiment important du point de vue de la santé mentale. Il importe de savoir qui on est; il importe de le savoir pour instruire nos gens. C'est ce que je suggérerais.

Le président : Nous allons y réfléchir, madame Tremblay. Pouvez-vous m'écrire pour me dire où nous pourrions inscrire l'élément spirituel avec les faits appropriés?

Mme Tremblay : Tout à fait.

Le président : Qui veut parler maintenant?

Mme Wolski : Je le ferai. Je suis certainement d'accord avec ce que Mme Tremblay a exprimé en ce qui concerne les éléments manquants. J'ai quelques observations à formuler moi-même à propos de certains des éléments qui sont présentés ici.

Les compétences parentales représentent une priorité extraordinaire en ce moment au sein de nos communautés, notamment du point de vue de notre santé. C'est un élément clé que nous avions perdu étant donné les dizaines d'années qu'a duré la période des pensionnats. Ce qui se produit aujourd'hui tient pour une bonne part à de piètres compétences parentales et à de piètres aptitudes pour l'adaptation.

Je voulais insister sur l'élément vieillir en santé. Le spectre d'âge que vous employez me plaît. Bien entendu, nous avons une population qui est très jeune. En même temps, nous avons une population âgée dont le nombre s'accroît, et bon nombre de nos grands-mères élèvent aujourd'hui leurs petits-enfants. C'est une question dont je ne sais si elle doit se retrouver dans le modèle, mais il importe de noter le phénomène.

Cela comporte plusieurs conséquences du point de vue des politiques gouvernementales, étant donné que nos grands-mères sont nombreuses à vivre de l'aide sociale, au seuil de la pauvreté. Elles ont leurs petits-enfants qui vivent avec elles, mais comment peuvent-elles arriver avec des bouches supplémentaires à nourrir? C'est un problème qui touche bon nombre de nos personnes âgées en ce moment.

Je voulais aussi faire une remarque sur les éléments liés à l'éducation. Ce sont des éléments capitaux. Un élément qui est peut-être manquant, c'est l'élément culturel, du point de vue de l'éducation. Certes, il faut reconnaître que le fait de s'instruire en bonne et due forme et d'obtenir un diplôme se révèlent utiles, mais la sensibilisation à la culture, la connaissance de la culture et la continuité culturelle sont des éléments clés de la santé et du bien-être d'une communauté.

Maintes et maintes fois, les recherches ont montré que, en l'absence de cette continuité de la culture, nous allons continuer à présenter des taux de suicide élevés et de piètres états de santé. Si cela pouvait figurer quelque part aux côtés de l'élément éducation, c'est une affaire importante qui serait réglée.

Je veux faire une remarque sur deux autres éléments. Je vois que vous avez ici le milieu physique. Étant donné le travail d'analyse fondé sur le sexe que nous faisons et les liens qu'il y a avec la terre, je ne sais pas si cet élément-là est suffisamment fort dans le modèle en question.

Le lien avec la terre revêt une importance capitale. Notre santé souffre du fait qu'il y a eu séparation, que cette séparation demeure, surtout en ce qui concerne les femmes. Aujourd'hui, 70 p. 100 de nos femmes vivent coupées de leur territoire traditionnel. Elles n'ont pas accès à leur communauté ni à leur terre comme auparavant.

On peut faire un lien direct avec l'augmentation du taux de diabète, d'obésité et de maladie du cœur, de toutes ces grandes maladies-là, étant donné que les gens ne se retrouvent plus sur la terre comme auparavant. Je ne sais pas si cet élément du modèle est suffisamment fort.

J'ai une autre remarque à faire à propos de l'élément femmes et hommes, que je suis heureuse de voir là. Si nous réfléchissons à la santé des Autochtones et à leur état de santé dans le contexte du cycle de vie, il importe en même temps de prendre en considération le spectre des sexes. Il n'y a pas que deux sexes et, du point de vue autochtone, si on se penche sur la santé et le spectre de l'âge, nous sommes plus féminins à certains stades de notre vie et plus masculins à d'autres. En vieillissant, nos sexes subissent aussi des modifications. Je ne sais pas comment ce serait intégré au modèle, mais la notion de sexe inclut les hommes et les femmes et les autres sexes aussi. Nous affichons tous différents sexes au fil de notre vie.

Le sénateur Cook : J'ai une question d'ordre général. Je suis originaire de la province de Terre-Neuve-et-Labrador, où nous comptons une très petite population de Premières nations autochtones. Vous me le pardonnerez si je ne sais pas ou ne comprends pas cela. Je me soucie du dogme entourant les pensionnats. C'est une question qui semble continuer à nous étouffer. J'aimerais bien qu'on m'explique la situation et le terme; quand allons-nous être libres? Comment pouvons-nous avancer? Je suis membre de l'Église unie du Canada; j'ai donc entendu les premières excuses. Quoi que nous fassions pour nous en sortir, il semble toujours y avoir ce nuage au-dessus de notre tête. Il doit bien y avoir une façon. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

Barbara Van Haute, directrice, Élaboration des programmes, Ralliement national des Métis : Voilà une question intéressante : Quand serons-nous libres? Nous serons libres quand tout le monde sera ouvert et reconnaîtra les effets à long terme des sévices et des tentatives de minimiser la situation sur de multiples générations. Les sévices et les tentatives faites pour minimiser la situation reposent sur des motifs politiques, que nous n'avons pas besoin d'aborder ici. Là où il est question de familles et de communautés qui ont à composer avec les tentatives ainsi faites pour minimiser sur une longue période, l'idée finit par s'ancrer profondément dans les esprits — l'idée qu'on a moins de valeur et qu'on est marqué d'une certaine façon. L'idée devient ancrée dans la dynamique psychique de la personne et de la famille. Les gens se comportent d'une certaine façon sans même savoir pourquoi ils le font.

Tant et aussi longtemps que les personnes, les populations, les collectivités autochtones et tous les ordres de gouvernement n'admettent pas ouvertement que cette relation-là existe, le problème demeurera. C'est une blessure cachée, comme celle des enfants qui ont été victimes de sévices sexuels, physiques ou affectifs à la maison. Tant qu'on ne s'occupe pas de cet enfant-là pour qu'il affronte le problème ouvertement, la marque qu'il porte reste, tant pour lui que pour les gens avec qui il interagit. Le même raisonnement vaut pour la population autochtone du Canada. Les excuses se sont révélées émouvantes. Je connais aux États-Unis et en Europe des gens qui ont vraiment été stupéfaits de constater que ces excuses étaient présentées, à peu près en même temps que les excuses présentées en Australie.

Si merveilleux que ce soit, ce n'est pas suffisant, comme il ne serait pas suffisant pour l'auteur de sévices de présenter des excuses à l'enfant qui a été sa victime. C'est très bien, mais il y a encore beaucoup à faire. Voilà où nous en sommes maintenant — à essayer de bien comprendre.

Mme Tremblay : Cela a duré plus d'un siècle; le sentiment est donc profondément ancré dans les esprits. Ceux qui ont subi des sévices physiques et sexuels portent à jamais les cicatrices à l'intérieur. Ils sont blessés. Il faut affronter la question et admettre que cela s'est fait pour que la douleur soit moins vive. Les incidents ont eu lieu pendant les années de formation des enfants, au moment où ils étaient en âge de fréquenter l'école. Nombre d'entre eux ont été retirés de leur famille entre 6 et 10 ans, au moment où leur formation cognitive n'était pas achevée encore. À ce moment-là, l'enfant ne peut apprendre comment s'adresser à la famille ou à maman ou à papa, car ils ne sont pas là. L'enfant ne sait pas ce qu'est une maman ou un papa, étant donné que le lien qui devrait exister n'existe pas. Il faut faire croître les habiletés, faire fleurir l'amour. C'est d'après l'expérience qu'ils vivent que les enfants apprennent à aimer; dans les cas où ils ne vivent pas l'expérience en question, ils ne savent même pas ce qu'ils perdent jusqu'au moment où ils doivent essayer de le réapprendre. Ils ont plutôt toute cette douleur, toute cette souffrance dont ils essaient de se défaire. La situation est difficile pour ces enfants-là, étant donné qu'ils ont appris quelque chose de différent.

Il faudra du temps pour cela. Je suis d'accord avec Mme Van Haute. Il faut en parler avec les gens pour qu'ils puissent s'en défaire. C'est comme être alcoolique et aller aux Alcooliques Anonymes et dire : j'ai un problème. C'est comme cela que la guérison commence à prendre racine. Nous devrons tous le faire et reconnaître à quel point la situation était grave. La dernière école a fermé durant les années 1990. C'est encore très présent dans notre vie. Mme Wolski a affirmé que cela ne fait pas partie du passé. C'est une question actuelle. Cela dit, sénateur Keon, j'aimerais que vous en fassiez un déterminant social de la santé — en pensant qu'il faut guérir après l'histoire des pensionnats —, car c'est une question d'une importance extraordinaire. Le gouvernement fédéral a mis sur pied une commission vérité et réconciliation pour s'attaquer à certains des problèmes en question. Un travail important doit être fait. Nous devrons raconter cette histoire-là, sinon ce ne sera que le néant. Ça prend cela, si nous voulons guérir. C'est vraiment important. Les gens ont commencé à agir de leur côté, et c'est pour cela que la question a été mise de l'avant avec tant d'éloquence. C'est un périple qui prendra beaucoup de temps, mais les gens veulent guérir et être en santé.

Le sénateur Cook : Hier, j'ai trouvé un magazine intitulé Saltscapes, qui est produit dans les Maritimes. J'ai ouvert le livre et, au milieu, il y avait une photo des petits immigrants anglais sur deux pages. Vous avez entendu parler des petits immigrants anglais? Ce sont des orphelins britanniques de la Première Guerre mondiale qui ont été envoyés au Canada pour travailler dans les fermes. Ils avaient sept ans et plus. On n'a pas idée; mais j'ai pensé aux pensionnats. Il vaut la peine de mettre la main sur le no actuel de Saltscapes, étant donné qu'une image vaut mille mots. L'article était intitulé « Lost Identity », ou « Identité perdue », c'est l'histoire d'un homme qui savait qu'il avait des sœurs en Grande-Bretagne. Comme sa mère était trop pauvre, il s'est retrouvé au Canada à travailler dans une ferme.

Je peux comprendre que les pensionnats aient une incidence sur nous tous, non seulement ceux qui ont vécu la chose, mais aussi ceux parmi nous qui essaient de vous accompagner. Y a-t-il quelque chose qui peut nous servir de point de départ pour avancer? J'ai entendu les jeunes femmes là-bas parler de l'Accord de Kelowna. Je n'arrive pas à croire que personne n'a fait les premiers pas. Nous affirmons toutes ces choses merveilleuses, mais nous ne faisons rien. Je ne comprends pas.

Mme Tremblay : Nous ne comprenons pas nous non plus.

Mme Sones : Les Canadiens sont nombreux à se poser cette question-là. Je l'entends souvent. Mes parents sont tous deux allés au pensionnat. Mes parents n'étaient pas là quand j'étais enfant. Il y a l'approche personnelle et l'approche sociale. Les gens qui ont grandi dans les pensionnats se comptent par centaines et par milliers. Bien entendu, tous n'ont pas subi les sévices dont nous entendons parler, mais c'est le cas de certains. Cela a une incidence sur la personne, la famille aussi, c'est une onde qui se propage dans la collectivité, et les relations des gens deviennent difficiles.

Depuis un certain temps, et c'est la Fondation pour la guérison des Autochtones qui mène le bal sur ce point, nous avons commencé à discuter de ce qu'il faut entendre par réconciliation au Canada. Est-ce dire que les Canadiens doivent comprendre ce qui s'est vraiment produit, que c'était vraiment une politique d'assimilation qui visait à faire disparaître l'Indien? Ce n'est pas seulement le fait que les enfants des Premières nations, Inuits et Métis n'étaient pas bien hébergés. Ils étaient en sécurité. Ils faisaient partie de collectivités avec tout ce qu'il faut. C'était vraiment une politique raciste. Nous essayons de composer avec les vestiges de ce racisme et avec son incidence sur notre pays.

Je me demande encore comment nous pouvons fonctionner comme pays après les excuses. Les excuses n'étaient pas suffisantes. C'était une première étape, le début de quelque chose. Je suis reconnaissante du fait que nous ayons pour point de départ toute une série de commissions, y compris la Commission royale et d'autres encore. Nous y arriverons, mais cela s'est produit il y a plus de 100 ans, et il nous faudra probablement une génération pour régler cela.

Mme Cooper : Vous avez demandé quels autres éléments devraient faire partie de cela. Le mieux-être mental est un élément important. Si nous étudions l'environnement physique des Inuits, nous voyons que notre lien avec la terre est essentiel aussi. Simplement pour le faire remarquer : des emplois durables, c'est une question importante. Le taux de roulement élevé est un vrai problème du point de vue de l'emploi.

Pour répondre à votre question, à quel moment les Canadiens seront-ils d'accord pour que les Autochtones soient égaux sur le terrain, qu'il s'agisse de conditions sociales ou de l'état de santé? Je vous renvoie simplement la question. Nous ne devrions pas quémander d'appui. Que les Canadiens et le gouvernement reconnaissent la situation pour aborder le travail de manière proactive est essentiel, tandis que nous allons de l'avant.

Nous entretenons quand même de l'espoir. Nous avons connaissance de cas qui ont vraiment bien fonctionné. L'effet intergénérationnel des pensionnats est très présent. Ça ne disparaîtra pas aujourd'hui. On l'a répété maintes fois ici. Je suis moi-même un produit de cette génération-là, aussi. J'ai vu trop de suicides. À l'époque, il n'y avait pas de trucs comme les services de soutien en santé mentale ou quelque soutien que ce soit. C'était la norme : il y avait des sévices derrière pratiquement toutes les portes. L'alcoolisme était la norme. Tout cela était lié aux pensionnats.

Aujourd'hui, c'est peut-être à toutes les cinq portes que ça se produit. Nous allons constater des progrès au fil du temps, mais, encore une fois, ce sont les communautés qui doivent se remettre sur pied et accepter la façon dont nous avons vécu dans le passé, et favoriser une amélioration de la situation avec la société moderne d'aujourd'hui.

Le président : Mille mercis. Nous conclurons sur cette note-là. Merci à tous. La séance a été fascinante.

(La séance est levée.)


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