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ANTR - Comité spécial

Antiterrorisme (Spécial)

 

Délibérations du comité sénatorial spécial sur
l'Antiterrorisme

Fascicule 2 - Témoignages du 30 avril 2012


OTTAWA, le lundi 30 avril 2012

Le Comité spécial sénatorial sur l'antiterrorisme, auquel a été renvoyé le projet de loi S-7, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la protection de l'information, se réunit aujourd'hui, à 13 h 30, pour étudier le projet de loi.

Le sénateur Hugh Segal (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Nous en sommes à la quatrième réunion du Comité spécial sénatorial sur l'antiterrorisme à la première session de la quarante et unième législature du Canada. Dans le cadre de notre étude du projet de loi S-7, nous accueillons des représentants de l'Agence des services frontaliers du Canada, l'ASFC : Geoff Leckey, directeur général, Opérations relatives au renseignement et au ciblage, Direction générale des opérations; et David Vigneault, vice-président associé, Direction générale des programmes.

Dans notre étude du projet de loi S-7, la Loi sur la lutte contre le terrorisme — un projet de loi de 30 articles qui vise à modifier le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la protection de l'information afin de mieux protéger les Canadiens contre des activités terroristes — nous avons voulu rencontrer des représentants des agences nationales jouant un rôle essentiel dans l'application de la loi et la protection des frontières qui s'occuperont d'éléments de la mise en application de la loi, si elle devait être adoptée. Nous sommes donc ravis d'accueillir des représentants de l'Agence des services frontaliers du Canada. Je crois comprendre que M. Vigneault a une déclaration préliminaire à faire avant de répondre à nos questions. Soyez le bienvenu au comité, monsieur Vigneault.

[Français]

David Vigneault, vice-président associé, Direction générale des programmes, Agence des services frontaliers du Canada : Honorables sénateurs, je suis très heureux d'être ici avec vous aujourd'hui. Comme vous l'avez mentionné, je suis vice- président associé à l'Agence des services frontaliers du Canada. M. Leckey est directeur général des opérations de renseignement. Nous sommes ici aujourd'hui en espérant pouvoir répondre à vos questions.

[Traduction]

Comme vous le savez, l'ASFC fait partie du portefeuille de la Sécurité publique et son mandat est de maintenir les intérêts en matière de sécurité nationale liés à la gestion de la frontière. La GRC et le SCRS vous ont déjà expliqué les répercussions qu'a ce projet de loi sur leur organisation et également leurs rôles et responsabilités dans la lutte contre le terrorisme. Bien qu'elle ait un rôle minimal dans l'application du projet de loi S-7, l'agence, dans ses opérations courantes, appuie les objectifs de la lutte contre le terrorisme. Mes remarques aujourd'hui porteront donc sur le rôle de l'agence dans le continuum de la sécurité nationale afin que vous puissiez comprendre pleinement notre rôle à titre d'organisme de gestion de la frontière.

[Français]

Créée à la suite des événements du 11 septembre 2001, l'Agence des services frontaliers du Canada s'est depuis transformée en un organisme de gestion intégrée de la frontière qui offre des programmes et services dans un environnement complexe et dynamique. La gestion efficace de la frontière exige le maintien de relations étroites et productives avec des partenaires d'exécution et de la loi au Canada et à l'étranger afin que la frontière demeure ouverte au commerce légitime et aux voyageurs en règle, et qu'elle ne puisse être franchie par les terroristes, les criminels et ceux qui menacent la sécurité des Canadiens.

[Traduction]

Les agents des services frontaliers reçoivent une formation aux techniques d'interrogatoire, d'examen et d'enquête et sont chargés de l'application de la Loi sur les douanes, de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et de plus de 90 autres lois du Parlement. Reprenant les sentiments que mes collègues de la GRC et le SCRS ont exprimés ici, je vous fais part de l'appui de l'Agence au projet de loi dont l'objet est d'aider le système juridique et les organismes d'application de la loi à interdire l'entrée au Canada de ces individus qui se livreraient à des activités terroristes.

Le rôle que joue l'ASFC à titre d'organisme de sécurité de la frontière est l'un des principaux rouages de la Stratégie antiterroriste du Canada. L'agence n'est pas directement chargée de mener des enquêtes sur les terroristes, de les identifier, de les arrêter et de les poursuivre devant les tribunaux, mais elle a deux rôles principaux : interdire l'entrée de terroristes au Canada et recueillir et communiquer de l'information sur les cibles antiterroristes.

L'agence a entrepris plusieurs initiatives pour s'acquitter de ce rôle, notamment sa collaboration avec le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) et Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) dans le filtrage de sécurité des immigrants et l'examen d'interdiction de territoire des terroristes connus ou présumés. Nous avons aussi fait un ciblage basé sur le renseignement afin d'appuyer la lutte antiterroriste et les contrôles stratégiques des exportations de marchandises commerciales afin de prévenir la prolifération d'armes de destruction massive. Nous empêchons également l'arrivée de personnes interdites de territoire au Canada grâce à notre réseau d'agents de liaison présents dans de nombreux pays à travers le monde. De plus, grâce à notre programme de formation et de perfectionnement complet sur l'utilisation de technologies de détection, les agents de services frontaliers peuvent mener, lorsque nécessaire, des examens non intrusifs. À titre d'exemple, l'agence utilise les appareils de prise d'empreintes numériques pour saisir les empreintes et les envoyer par voie électronique à la GRC, ce qui accélère et optimise les filtrages préalables de sécurité des individus pouvant être interdits de territoire pour des motifs de criminalité.

De plus, l'agence participe activement aux efforts internationaux, dont la détermination des nouvelles tendances en matière de migration irrégulière et de documents frauduleux ainsi qu'à la prévention de la prolifération des armes de destruction massive.

[Français]

Le nombre de voyageurs et la quantité de marchandise qui entrent chaque année au Canada sont énormes. À titre d'exemple, l'agence a traité l'an dernier le passage de plus de 93 millions de passagers, 29 millions de véhicules et 13 millions d'expéditions commerciales.

L'agence doit avoir une approche à plusieurs niveaux en matière de gestion du risque pour ses activités de renseignement et d'exécution de la loi afin d'atteindre un juste équilibre dans son mandat de facilitation et de protection de la sécurité nationale. L'agence peut se concentrer sur les domaines présentant des risques plus élevés ou inconnus en faisant appel à l'atténuation des risques et en conjuguant ses ressources à celles de nos partenaires, tels Citoyenneté et Immigration Canada, la GRC et le SCRS.

[Traduction]

Bien que les partenariats efficaces et les technologies de ciblage évoluées soient essentiels, l'agence demeure un partenaire clé de l'exécution de la loi en raison de sa capacité de transformer l'information qu'elle recueille en renseignements utiles concernant des menaces possibles à la sécurité nationale. Dans le cadre de ses opérations courantes, l'agence échange des renseignements pertinents sur les questions liées à la frontière et à la sécurité nationale avec ses principaux partenaires intérieurs, dont la GRC et le SCRS. De plus, la mise en œuvre du Plan d'action « Par- delà la frontière » avec les États-Unis aidera l'agence dans ses efforts visant à faciliter le commerce et les déplacements légitimes à la frontière et à fermer celle-ci aux criminels et aux terroristes.

Le projet de loi confère à l'agence un rôle minimal, mais comme je l'ai mentionné plus tôt, l'ASFC est un partenaire important dans le continuum de la sécurité nationale et dans la lutte contre le terrorisme.

[Français]

À ce moment-ci, mon collègue et moi sommes prêts à répondre à vos questions.

Le président : Merci infiniment de votre déclaration d'ouverture.

[Traduction]

Si vous me permettez, je veux revenir sur votre déclaration préliminaire, à la page 4, où vous dites que bien que l'agence ne soit pas directement chargée de mener des enquêtes sur les terroristes, de les identifier, de les arrêter et de les poursuivre devant les tribunaux, elle a deux rôles principaux, soit d'interdire l'entrée de terroristes au Canada et de recueillir et communiquer de l'information sur les cibles antiterroristes.

Comme vous le savez, l'une des principales dispositions du projet de loi S-7 crée une nouvelle infraction en application du Code criminel de voyager à l'étranger dans le but de commettre un acte qui violerait le Code criminel s'il était commis au Canada, notamment adhérer à une organisation terroriste, participer à un camp de formation d'une telle organisation et appuyer sa cause.

Vous semblez vous concentrer ici sur votre rôle comme point d'entrée — des personnes, des biens et des services qui entrent au Canada — et vous dites que c'est votre travail de contrôler ce processus en fonction de nos lois sur l'immigration, de nos lois antiterroristes, du Code criminel et tout le reste. Si ce projet de loi devait être adopté, pensez- vous que vous auriez un rôle à jouer par rapport à ceux qui quittent le Canada?

Je crois comprendre qu'il n'y a actuellement aucun fondement législatif pour exercer un contrôle à la sortie, mais beaucoup de nos alliés le font. Je pense aux Japonais par exemple. Beaucoup de pays européens à certains niveaux exercent un contrôle à la sortie des non-Européens. Je me demande où en est l'élaboration de politiques sur ce point dans votre organisation.

M. Vigneault : Je vous remercie, monsieur le président. C'est une question très importante pour l'ASFC et j'ai quelques remarques à formuler à ce propos.

Premièrement, comme vous le soulignez, nous n'avons pas pour le moment de rôle particulier à l'égard du contrôle à la sortie. Le mandat de l'ASFC vise beaucoup plus la protection du Canada et de ses intérêts contre des personnes et des biens qui entrent au Canada, et non qui en sortent.

Cela dit, nous avons quelques pouvoirs particuliers par rapport au contrôle des devises, lorsque des gens quittent le pays par exemple. Nous le faisons pour le compte du CANAFE, le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, et d'autres organisations qui aimeraient savoir si de grandes sommes d'argent quittent le Canada ou pourraient aider à financer le terrorisme. Nous avons donc un certain rôle limité.

Comme je l'ai dit dans ma déclaration, le gouvernement a conclu avec les États-Unis un accord relatif à un plan d'action sur la sécurité du périmètre — ce que nous appelons à l'interne « la vision du périmètre ». Essentiellement, une disposition de cet accord permet au gouvernement de collaborer avec les États-Unis pour mettre en place un contrôle à la sortie qui comporterait deux éléments : le premier, à la frontière terrestre, nous permettrait d'échanger des renseignements avec les Américains afin de créer des registres des entrées et des sorties dans chaque pays, et le deuxième nous permettrait d'obtenir des renseignements sur les personnes qui quittent le pays par voie aérienne ou maritime. Nous serions essentiellement capables de collecter ces renseignements. Pour le moment, nous n'avons pas ces renseignements et c'est une lacune que le gouvernement compte examiner.

Le président : Vous dites très clairement dans votre déclaration préliminaire que vous collectez des renseignements et que vous les communiquez à différents organismes d'application de la loi, comme la GRC et d'autres selon le cas. Je suppose que cela va dans les deux sens. Pouvez-vous simplement nous aider à comprendre? Disons que dans une enquête menée conformément aux dispositions à l'étude ici, si elles devaient être promulguées, la GRC ou l'escouade antiterrorisme de la police de Montréal — ou qui que ce soit — obtient des renseignements sur des personnes au sujet desquelles on a des motifs raisonnables de croire qu'elles sont à la veille de quitter le Canada dans le but d'adhérer à al Shabaab ou à une quelconque autre organisation inscrite sur notre liste. Ces renseignements vous sont transmis, ainsi que l'heure prévue du départ du Canada.

Est-ce que cela déclencherait une quelconque forme de mesure d'exécution de votre part, ou laisseriez-vous cette tâche aux organismes d'application de la loi comme tels, s'ils le jugent pertinent et s'ils sont une cause probable de se rendre à l'aéroport pour interdire de tels mouvements s'ils croient que c'est dans l'intérêt de la protection des Canadiens?

M. Vigneault : À ce stade, nous n'aurions pas le pouvoir de faire des arrestations. Cependant, nous pourrions communiquer aux autorités compétentes les renseignements que nous avons collectés par l'intermédiaire de nos partenaires à l'étranger. Si le Parlement devait adopter le projet de loi, il nous faudrait établir concrètement des mécanismes pour le mettre en œuvre. Je crois que lors de sa comparution, le directeur du SCRS a mentionné que plusieurs éléments opérationnels de ce projet de loi devront faire l'objet de discussion entre les différents partenaires.

Cependant, vous pourriez envisager un scénario dans lequel la GRC ou un autre organisme d'application de la loi se chargerait d'intercepter ou d'arrêter la personne qui tente de quitter le pays. Il est toutefois assez probable que si elle devait procéder à une telle arrestation, la GRC se fierait aux renseignements qu'elle aurait peut-être obtenus du SCRS, peut-être d'alliés étrangers et peut-être aussi de l'ACFC. Si nous étions capables de fournir des renseignements sur les habitudes de voyage d'une telle personne, c'est le genre d'élément qu'un organisme d'enquête comme la GRC utiliserait pour monter un dossier en déterminant la nature des voyages de cette personne pour déterminer s'ils répondraient aux critères établis dans la nouvelle loi.

C'est le genre de points sur lesquels nous nous pencherons pour déterminer la façon de mettre en œuvre la loi. À ce stade, nous ne pensons pas que l'ACFC aura de nouveaux pouvoirs.

Le président : Il n'y a pas encore de protocole de mise en œuvre jusqu'à ce que la loi soit adoptée, si le Parlement devait l'adopter; est-ce exact?

M. Vigneault : C'est une façon très succincte de résumer de ce que je viens de dire.

[Français]

Le sénateur Joyal : Bienvenue, monsieur Vigneault. Est-ce que je dois comprendre de votre réponse à la question que le sénateur Segal vous posait que vous n'avez pas été impliqué dans le développement de cette législation?

M. Vigneault : L'Agence des services frontaliers du Canada fait partie du portefeuille de la sécurité publique. Le ministère de la Sécurité publique est l'organisme qui va normalement faire le développement des politiques. Donc, de par nos différents comités interministériels, l'information et l'expérience de l'Agence des services frontaliers du Canada font partie des délibérations.

Cela dit, de façon spécifique, concernant le projet de loi S-7, l'Agence des services frontaliers n'a pas été impliquée de façon proactive dans l'élaboration du projet de loi.

Le sénateur Joyal : Donc vous n'êtes pas en mesure de nous dire aujourd'hui quel serait le contenu de ce protocole de coopération que vous développeriez avec la GRC ou les autres services de renseignement pour rendre pratique l'objectif de ce projet de loi, c'est-à-dire mettre en application les deux nouvelles offenses criminelles créées par le projet de loi, soit la tentative de quitter le Canada pour participer à une activité terroriste ou à une formation quelconque, ou encore l'intention de quitter le Canada avec cet objectif en tête? Vous n'avez pas encore du tout défini ou déterminé de quelle façon vous allez rendre ces deux objectifs opérationnels dans le cours de vos activités, n'est-ce pas?

M. Vigneault : Je définirais plutôt notre implication comme minimale à ce point-ci, mais nous avons déjà eu des discussions avec certains partenaires.

Cela dit, quand le Parlement décidera de la loi finale, à ce moment-là nous aurons l'occasion, avec nos partenaires, de déterminer cela exactement. Nous avons déjà des protocoles bien établis pour notre travail aux aéroports, soit par exemple de quelle façon nous travaillons avec le SCRS, ou de quelle façon nous travaillons avec les services de polices locaux ou la Gendarmerie royale du Canada. Ces protocoles existent. Ce qui va devoir être fait lorsque la loi sera adoptée, ce sera pour nous de déterminer comment nous pourrons participer de façon plus active à ces enquêtes.

Il est clair que, comme je l'ai mentionné, étant donné que le rôle de l'Agence des services frontaliers du Canada est beaucoup plus important lorsque les gens arrivent au Canada que lorsque les gens quittent, notre rôle sera toujours un rôle de soutien à nos partenaires.

Il est également clair que l'agence a un mandat qui nous permet de faire des enquêtes et requiert que nous en fassions, à l'intérieur du Canada. Ces enquêtes se font sur des gens qui seraient peut-être inadmissibles ou qui n'ont pas donné la bonne information lorsqu'ils sont arrivés au Canada. Lors de ces enquêtes, qu'on appelle Inland enforcement, enquêtes à l'intérieur du pays, si on en vient à obtenir de l'information pertinente au plan de la sécurité nationale et, dans ce cas, pouvant mener à croire qu'un individu voudrait quitter le pays pour participer à un entraînement ou à un acte terroriste, à ce moment-là nous avons déjà des protocoles qui nous permettent de transmettre cette information. Tant à la centrale, ici à Ottawa, qu'en région, les protocoles sont très bien huilés pour nous permettre de passer l'information rapidement.

La question sera plutôt de voir certains points de détail pour voir comment nous ferons, mais les partenariats existent déjà pour faire ce travail.

Le sénateur Joyal : Pouvez-vous nous informer davantage sur ce à quoi vous réfléchissez dans le partage d'information, en particulier avec les États-Unis — puisque le périmètre de sécurité s'applique essentiellement aux voyages vers les États-Unis —, au niveau de l'échange d'informations qui permettrait au Canada de contrôler d'une certaine manière les Canadiens qui quitteraient le Canada pour les États-Unis? Ce qui va sans dire puisque, si on quitte pour l'Angleterre, la France ou quelque autre destination qui ne soit pas une destination américaine, le contrôle à ce moment-là ne pourrait pas s'effectuer. Est-ce que j'ai raison de conclure sur cette deuxième question?

M. Vigneault : Pour ce qui est de votre première question, ce qui nous préoccupe lorsque nous partageons de l'information, dans ce cas-ci avec les Américains ou avec toute autre agence du gouvernement du Canada, ou avec des pays extérieurs, c'est de nous assurer de l'exactitude de l'information. Il y a des cas bien documentés qui nous rappellent qu'il est très important, lorsqu'on partage de l'information sur les individus, de s'assurer que l'information soit exacte. Donc, pour répondre à votre question, ce que nous avons en tête lorsqu'on pense à cela, c'est définitivement l'exactitude.

Autre point, si c'est une question liée à la sécurité nationale, à une menace qui peut être imminente, à ce moment-là ce que nous avons en tête c'est de nous assurer que l'information soit transmise aux bonne autorités dans les temps voulus.

Votre première question a trait à l'information qu'on pourrait fournir aux États-Unis lorsque quelqu'un quitte le pays. Le protocole que nous sommes à développons ferait en sorte que lorsqu'une personne quitte le pays par voie terrestre, elle arrive tout de suite à un poste frontalier américain; ce qui fait que les États-Unis ont l'information avant nous. La personne arriverait aux États-Unis et le Custom and Border Protection nous donnerait une copie de cette entrée. Le document d'entrée aux États-Unis, partagé avec le Canada, deviendrait le document de sortie du Canada. Il en serait de même lorsqu'une personne arriverait à un poste frontalier canadien; la copie du document produite serait envoyée aux États-Unis. Les États-Unis seront en mesure de savoir que M. David Vigneault a quitté les États-Unis et est maintenant rendu au Canada. C'est de cette façon qu'on va travailler à la frontière terrestre. Pour le monde aérien, ce sont par les manifestes aériens.

Le sénateur Joyal : Vous voulez dire les no fly lists ?

M. Vigneault : Non, le manifeste; la liste des passagers. Comme vous le savez, la liste des passagers est en ce moment partagée avec les autorités américaines lorsqu'on doit aller aux États-Unis ou survoler le territoire américain. Ils ont déjà l'information. Cela veut dire que nous, avec le développement des protocoles dans le système d'entrées et de sorties, verrions à recevoir cette information des Américains. L'information se partage presque en temps réel en mode aérien et en mode terrestre, étant donné qu'on a une frontière physique, un poste frontalier. L'information peut arriver par la suite et les questions de sécurité nationale sont quand même gardées en tête.

Le sénateur Joyal : En pratique, l'individu quitterait le Canada, se présenterait à un poste frontalier terrestre et les autorités américaines seraient informées par l'autorité canadienne compétente et appréhenderaient la personne et la remettraient aux autorités canadiennes, ou est-ce que la personne serait jugée aux États-Unis?

M. Vigneault : Cela dépend des cas. Souvent, c'est du cas par cas. Si la personne se présente à un poste de douanes américaines et est suspectée de terrorisme, il est clair que la personne sera appréhendée tout de suite par les autorités américaines. Dépendant des circonstances spécifiques, est-ce mieux que la personne soit jugée au Canada ou aux États- Unis? C'est le genre de négociations ou de discussions qui ont lieu entre les autorités d'application de la loi, mais généralement, comme on l'a constaté dans le passé, les Américains veulent prendre juridiction de ces cas.

Le sénateur Joyal : Les Américains se saisiraient des deux offenses prévues dans le projet de loi S-7 pour déposer une plainte au criminel aux États-Unis dans l'application des dispositions des articles 6 et 8 du projet de loi.

M. Vigneault : Si la seule infraction est une des deux infractions prévues au projet de loi S-7, si les Américains n'ont pas d'autres informations pour porter des accusations, ils refuseraient l'entrée aux États-Unis à la personne, informeraient les autorités canadiennes, dans ce cas-ci, l'Agence des services frontaliers du Canada et la Gendarmerie royale du Canada pourraient appréhender la personne suspectée de vouloir aller à l'étranger pour commettre un acte terroriste parce que la loi canadienne s'appliquerait en territoire canadien. Comme c'est une loi canadienne qui s'appliquerait, les autorités canadiennes déposeraient les accusations.

Le sénateur Joyal : Si ce n'est pas vers les États-Unis, mais une autre destination, que se passerait-il pour assurer le contrôle de la personne qui quitte le Canada avec l'intention de participer à un camp de formation pour terroristes?

M. Vigneault : Prenons l'exemple d'une personne qui transiterait vers la Grande-Bretagne pour aller au Pakistan. Si l'Agence des services frontaliers du Canada ou une autre agence du gouvernement canadien a l'information, on peut faire deux choses : avant que la personne quitte, on peut soit intercepter la personne — la Gendarmerie royale du Canada pourrait arrêter l'individu directement — ou, dépendant de la nature de l'information, la GRC peut décider de laisser la personne voyager pour savoir où la personne s'en va et à qui la personne va parler. Donc, faire une enquête un peu plus approfondie. Si on découvre l'information une fois que la personne a quitté, la Gendarmerie royale du Canada pourrait demander aux autorités britanniques d'intercepter la personne et cela deviendrait un cas pour le ministère des Affaires étrangères pour rapatrier la personne au Canada. Encore une fois, cela dépend toujours de quelle offense criminelle il s'agit, où elle a été commise et selon quelle loi les accusations seraient portées contre la personne.

Le sénateur Joyal : C'est précisément la question juridique la plus difficile. L'intention de quitter avec l'idée d'aller à un camp d'entraînement s'est formée au Canada. Lorsque la personne est déjà rendue sur un territoire étranger, l'infraction a été commise au Canada et non sur le territoire étranger. Il faut déterminer qui a l'autorité de déposer les accusations et donner suite à la plainte.

M. Vigneault : Je vous inviterais à poser la question aux gens du ministère de la Justice. Je crois qu'il y aurait des questions d'extradition qui pourraient entrer en ligne de compte.

Le sénateur Dallaire : Bonjour. On s'est connu dans une autre vie. On a de plus en plus l'impression qu'on essaie de bâtir une forteresse nord-américaine depuis le 11 septembre 2001. Avec toutes les années d'évolution, on commence à mettre en application des instruments qui auraient peut-être dû l'être depuis longtemps.

Quelle est la structure interne de votre organisation pour développer l'expertise des gens à travailler dans le milieu du renseignement, à quérir l'information, l'analyser et savoir à qui l'envoyer? Quelle sorte d'entraînement ou d'exercices faites-vous avec vos collègues américains ou de l'Union européenne pour vous assurer d'avoir des méthodologies compatibles et qu'il y ait une certaine interopérabilité entre vous tous?

M. Vigneault : En termes de développement des capacités humaines au sein de l'agence, je vous dirais qu'il y a deux profils : celui des gens qui entrent à l'agence et qui sont formés par nous — et je vais demander à M. Leckey, responsable des opérations de renseignements d'élaborer sur le sujet — et il y a également la communauté du renseignement, le comité de sécurité national au sein du gouvernement du Canada. Ce sont des gens qui ont travaillé dans d'autres agences et qui ont une certaine expérience du domaine du renseignement. On essaie d'attirer des gens avec une expérience différente, une vision différente des choses. Puis c'est de cette façon qu'on peut former des équipes qui deviennent plus efficaces dans le domaine du renseignement et de la sécurité nationale.

Question de méthodologie, on a des relations très étroites avec nos collègues américains, avec nos collègues de l'Australie, la Grande-Bretagne et la Nouvelle-Zélande. On a également une nouvelle relation qui s'est développée au cours des dernières années avec FRONTEX, une institution de l'Union européenne responsable de l'application de la loi du côté de l'immigration. On partage avec eux des méthodes de travail et d'analyse pour apprendre. De leur côté, ils ont développé une expertise qu'on n'a pas, nécessairement sur des régions géographiques comme l'Afrique du Nord. Étant donné les problèmes du Printemps arabe, on a vu un flot d'immigrants arriver en Afrique du Nord. L'Union européenne est directement concernée. On a eu de bonnes discussions avec eux pour que nous puissions savoir comment ce flot d'immigration avait lieu pour que, du côté de nos opérations de ciblage et à l'étranger, nous puissions bien comprendre le phénomène et être en mesure d'appliquer nos ressources aux bons endroits. Il y a tout un système de partage d'information, de connaissance et d'expérience entre nos alliés pour comprendre tout cela.

Geoff Leckey, directeur général, Opérations relatives au renseignement et au ciblage, Direction générale des opérations, Agence des services frontaliers du Canada : Si je comprends bien, la question porte sur la formation des agents de renseignements spécifiquement, étant donné que mon collègue vous a parlé de la formation de base générale offerte à tous les agents des services frontaliers.

Il y a un cours de formation de base que doit passer tout agent qui rentre dans le programme du renseignement au sein de l'agence. On a deux catégories d'agents de renseignement : les agents — les officers — et les analystes qui suivent chacun un cours de base et un cours de spécialisation.

Ces cours sont constamment en état de développement, d'élaboration et d'évolution. On mène des consultations continuelles avec nos collègues au sein de la communauté du renseignement et à l'intérieur du Canada, par exemple, le SCRS, la GRC et aussi le Bureau du Conseil privé qui offre un cours de formation d'analyste très poussé, très apprécié. Et puis on consulte constamment nos collègues dans les pays alliés les plus proches : les États-Unis, l'Australie, le Royaume-Uni.

Le sénateur Dallaire : Je me questionne — puisqu'il y a déjà 11 ans que les événements du 11 septembre ont eu lieu — sur le niveau de maturité du programme qui existe chez vous — d'ailleurs, je pose la même question aux autres — en ce qui a trait à des menaces qui sont de plus en plus sophistiquées et pour lesquelles on introduit d'autres législations, ce qui rend les choses encore plus compliquées.

Pouvez-vous vraiment œuvrer avec confiance présentement ou êtes-vous encore en train de faire votre apprentissage? Si vous êtes en train de le faire, ce n'est pas grave, il s'agit de nous le dire.

Et jusqu'à quel point pensez-vous atteindre le niveau des échanges de vos agents avec les Britanniques et les autres, afin d'assurer le niveau d'éducation et d'instruction, pas seulement du point de vue de l'intelligence, mais tout simplement pour leur donner l'envergure nécessaire pour comprendre ces problématiques? Avez-vous un échéancier pour pouvoir gérer des législations de cette nature?

M. Vigneault : En fait, je vous dirais que, sans être complaisant, depuis le 11 septembre 2001, les capacités de l'Agence des services frontaliers du Canada en termes de renseignements et d'analyse ont augmenté de façon exponentielle. Cela ne veut pas dire, par contre, qu'on peut nécessairement se reposer sur nos lauriers et ne pas progresser.

Vous donnez l'exemple de nouvelles législations. Pour nous, c'est important — c'est ce que je disais à votre collègue, le sénateur Joyal —, lorsque la législation sera là, on va toujours avoir besoin de formation continue, besoin de parler avec nos partenaires pour savoir comment notre travail va se façonner.

Également, la menace continue d'évoluer, donc, même si on pense qu'on a un système assez mature, il faut que nos méthodes d'enquête continuent d'évoluer. Le nombre de partenaires avec qui on partage l'information, la menace peut venir de coins du monde où on n'a pas nécessairement des alliés traditionnels. Donc, il faut être capable de pallier à cela rapidement en développant des nouvelles relations. Je vais vous dire qu'étant donné que je vous parlais tout à l'heure des volumes, 93 millions de personnes qui entrent au Canada, 23 millions de voitures qui entrent au Canada, ces volumes font en sorte qu'on doit développer des moyens d'enquête de plus en plus sophistiqués, des moyens de gestion du risque, pour permettre à nos analystes et agents du renseignement de mieux comprendre la somme d'informations qu'ils reçoivent et de pouvoir développer du renseignement à ce moment-là.

[Traduction]

Le sénateur Dallaire : Parce que nous sommes dans un contexte non classifié, vous nous présentez beaucoup de généralités inattaquables, mais rien de précis. Les seuls chiffres que vous nous avez donnés sont le nombre de voitures et le nombre de voyageurs par avion. Qu'en est-il des structures internes comme telles et de la façon dont elles évoluent, de la façon dont vous colligez l'information, à quelle fréquence vous vous rencontrez et qui échange avec vous et le nombre de dossiers et comment vous vous y prenez vraiment pour élaborer de nouveaux protocoles, de nouveaux programmes de formation, du nouveau matériel et de nouvelles organisations pour satisfaire aux besoins?

Vous avez mis sur pied le Centre national d'évaluation du risque (CNER), le Programme de l'information préalable sur les voyageurs et du dossier passager (IPV/DP) et toutes ces choses. Nous n'avons aucune idée de vos progrès réels et pour couronner le tout, nous n'obtenons rien d'autre que : « C'est vrai, nous faisons beaucoup de choses. »

Ma question est la suivante : s'il s'agissait d'une séance d'information classifiée, pourriez-vous nous fournir beaucoup plus d'éléments du genre que nous aimerions obtenir pour nous donner un sentiment d'assurance beaucoup plus réconfortant que vous avez la situation en main?

Le président : Le sénateur a posé une question hypothétique et vous êtes le bienvenu si vous voulez donner une réponse hypothétique.

M. Vigneault : Je sens qu'il y a une mine quelque part et que je suis à la veille de poser le pied dessus. Je vais probablement m'abstenir.

Le sénateur Dallaire : J'aimerais reprendre le président. Ma question n'est pas hypothétique, elle est factuelle : s'il s'agissait d'une séance d'information classifiée, serait-ce différent?

M. Vigneault : Il y a deux ou trois choses que je pourrais dire. Je crois que vous avez raison. La nature de cette comparution signifie que je ne peux divulguer de renseignements classifiés.

Cela dit, monsieur le sénateur, je crois que vous avez mentionné plusieurs éléments du domaine public et je m'en voudrais de ne pas les souligner.

Par exemple en ce moment même, nous négocions avec l'Union européenne pour mieux préciser notre échange d'information par rapport au Programme de l'information préalable sur les voyageurs et du dossier passager, l'IPV/DP, que vous avez déjà mentionné. Des négociations actives sont en cours avec l'Union européenne pour apporter d'autres améliorations à ce programme.

Nous avons établi plusieurs nouvelles relations au cours des dernières années. C'est du domaine public que nous avons dépêché des agents en Asie du Sud-Est lorsque plusieurs opérations de migration illégales ont été lancées à destination du Canada.

Ce sont des exemples de mesures que nous prenons essentiellement pour pouvoir non seulement faire face aux menaces mais les éventer avant qu'elles arrivent sur nos côtes.

Je ne sais pas si M. Leckey a quelque chose à ajouter.

Le président : Je veux dire à nos invités que ce n'est pas leur faute si nous n'avons pas accès à des renseignements classifiés. Vous n'avez pas à vous en excuser. Ce n'est pas votre faute.

M. Vigneault : Les témoins précédents, du SCRS, ont invoqué le cinquième amendement. Je vais faire de même à ce sujet.

Le président : Monsieur Leckey?

M. Leckey : Si je peux me permettre de compléter, merci de me donner l'occasion de parler de certaines améliorations que nous avons apportées au programme de renseignement à l'ASFC au cours des dernières années.

Il est plus que juste de dire que comparativement à il y a 10 ans, notre programme de renseignement a atteint un niveau de maturité qu'il n'avait certainement pas. Nous y sommes parvenus en mettant l'accent, en particulier au cours des trois ou quatre dernières années, sur l'amélioration du professionnalisme de nos agents et ce, en améliorant sans cesse notre formation, en consultant sans cesse nos collègues au Canada et à l'étranger. Nous avons des échanges à temps plein avec le SCRS, et je veux dire dans le domaine du renseignement, et avec trois de nos partenaires du groupe « Five Eyes ».

Je crois que le programme du renseignement de l'ASFC est de plus en plus respecté dans le milieu, comme en témoigne le fait que nous recevons sans cesse des demandes pour nos produits de renseignement et que nous obtenons des commentaires très positifs à leur sujet.

Notre programme, ou un représentant de notre programme, a été invité à participer à plusieurs tribunes auxquelles nous n'avions pas accès il y a seulement quelques années de cela, par exemple en ce qui concerne la liste des personnes précisées. Nous participons à part entière à l'élaboration des exigences du gouvernement du Canada en matière de renseignement, ce que nous ne faisions pas il y a seulement quelques années.

Récemment, nous avons établi un centre de ciblage national ici à Ottawa qui se chargera graduellement de toutes les activités de ciblage de personnes et de biens. Il sera mis en œuvre graduellement au cours des deux ou trois prochaines années, mais nous aurons des agents de la GRC et du SCRS affectés à temps plein à ce centre et nous essayons d'inviter d'autres partenaires d'autres ministères qui auraient avantage, à notre avis, à faire partie de cette opération.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Monsieur Vigneault, à la page 5, vous dites que, dans vos méthodes d'enquête, vous utilisez des technologies de détection et même, lorsque nécessaire, des examens non intrusifs. Vous parlez d'utiliser des appareils de prises d'empreintes numériques. C'est peut-être un peu utopique ce que je vais vous dire, mais ce qui nous permet de voyager plus librement aux États-Unis, c'est la fameuse carte NEXUS où vous prenez l'empreinte de l'iris et les empreintes numériques. Est-ce que cela vous aiderait dans votre travail à contrôler le terrorisme si un jour on en venait à exiger l'empreinte numérique et l'empreinte des yeux pour obtenir le passeport? Je comprends que cela pourrait nécessiter d'avoir des ententes avec d'autres pays, mais peut-être que cela faciliterait le contrôle. Des gens qui ont des intentions de terrorisme se sentiraient plus surveillés.

Lorsque vous décidez de prendre les empreintes numériques, c'est pour faire suite à des enquêtes ou parce que vous avez ciblé ces personnes, parce que ce n'est pas toutes les personnes qui font prendre leurs empreintes numériques lorsqu'elles entrent au Canada. J'aimerais vous entendre à ce sujet.

M. Vigneault : C'est un avantage pour nous d'avoir accès à l'information numérique et biométrique, la raison étant que les documents frauduleux deviennent de plus en plus sophistiqués et qu'il est très difficile de se garder à la fine pointe de la technologie.

À l'Agence des services frontaliers, nous avons un laboratoire qui mène des recherches poussées afin non seulement de nous aider à vérifier certains documents précis mais également pour faire évoluer nos techniques d'enquête. Il est clair que plus l'information est difficile à frauder, plus cela nous aide.

Quant au passeport canadien, des discussions ont lieu en ce moment avec Passeport Canada et avec le ministère de l'Immigration et de la citoyenneté pour savoir quels seraient les meilleurs moyens de rendre le passeport sécuritaire de sorte que le passeport canadien reste toujours un document valide et qu'en même temps il soit utilisé à un plus grand nombre de fins. Je vous inviterais à poser ces questions à nos amis de Passeport Canada. Cependant, il est clair que les discussions qui ont lieu sont positives pour nous et que le fait d'avoir cette information dans le futur pourrait nous être grandement utile.

Le sénateur Dallaire : Quand vous avez recours à la prise d'empreinte numérique pour des personnes qui entrent au Canada, je comprends que c'est parce qu'elles ont déjà été ciblées.

M. Vigneault : Nos collègues du ministère de l'Immigration sont en charge de déterminer les besoins en regard de l'identité lorsque quelqu'un entre au pays, et nous, en tant qu'agence d'exécution de la loi, avons charge d'effectuer ce travail en leur nom. Selon le Plan d'action sur la frontière négocié avec les Américains, pour certaines approches, on va devoir prendre des empreintes pour les demandeurs d'asile, par exemple, pour qu'on puisse partager cette information avec différents pays afin de nous assurer que ces gens ne puissent pas faire du magasinage d'endroits. Voici un exemple concret où cette information pourrait nous être extrêmement utile.

[Traduction]

Le sénateur Day : Y a-t-il une raison officielle pour laquelle vous êtes une agence?

[Français]

M. Vigneault : C'est une bonne question, je devrais donner la réponse de façon plus rapide.

[Traduction]

Je crois que c'est parce que nous faisons partie du portefeuille de la sécurité publique. Vous avez donc le ministère de la Sécurité publique, qui seconde le ministre de la Sécurité publique. Les autres éléments du portefeuille, le SCRS, la GRC, l'ASFC et le Service correctionnel du Canada, sont des agences. Je crois qu'il y a probablement une réponse qui relève davantage de la politique publique que je pourrai vous fournir plus tard.

Le sénateur Day : Si vous avez d'autres éléments à fournir, ce que j'aimerais savoir, c'est si vous avez une possibilité de générer des revenus pour les services rendus à d'autres ministères ou agences?

M. Vigneault : À ma connaissance, la seule source externe de revenus que nous avons, ce sont les revenus qui proviennent du programme NEXUS qui reviennent à l'agence au lieu d'être remis au Trésor, mais nous n'avons pas de régime de recouvrement des coûts comme tel avec d'autres agences, à ma connaissance.

Le sénateur Day : Est-ce que la perception de tarifs à la frontière fait toujours partie de votre rôle?

M. Vigneault : Heureusement, ou malheureusement selon votre point de vue, nous avons collecté environ 23 milliards de dollars de droits et de taxes à la frontière. Après l'Agence du revenu du Canada, nous sommes la deuxième plus grande source de revenus de l'État.

Le sénateur Day : Une partie du rôle des agents de l'Agence des services frontaliers du Canada à la frontière en est un de percepteurs de taxes et de recettes, en plus de tous les autres rôles liés à la sécurité. Dans votre déclaration, vous nous avez présenté un nombre énorme d'activités.

Devez-vous former tous vos agents pour qu'ils exécutent toutes ces tâches ou formez-vous certains agents à une tâche à la frontière et d'autres agents à d'autres tâches?

M. Vigneault : Cela dépend de la composante du continuum. Par exemple si vous allez travailler dans un aéroport, vous devrez suivre une formation sur les principales lois qui devront être mises en application à l'aéroport. Il s'agirait de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, de la Loi sur les douanes et nous avons aussi quelques lois qui ont trait aux aliments, aux végétaux et à l'agriculture. Nous avons plusieurs agents de sécurité à la frontière qui suivent une formation essentiellement pour acquérir une vaste somme de connaissances sur un grand nombre de ces points.

Lorsqu'une question ou un problème plus spécifique dépasse leur compétence, nous avons des spécialistes, sur place et aussi à l'administration centrale ici à Ottawa, qui peuvent donner des avis plus spécifiques.

Nous travaillons avec d'autres ministères, une fois encore dans le contexte des programmes liés aux aliments, aux végétaux et aux animaux. Par exemple nous pourrions collaborer avec des agents de l'Agence canadienne d'inspection des aliments qui viendraient nous fournir des connaissances techniques particulières que nos agents ne possèdent pas. C'est un aspect.

Au sein de l'agence, nous avons des agents du renseignement, des enquêteurs criminels et des agents d'application de la loi à l'intérieur du pays. Ces personnes qui passent d'un domaine général à un domaine qui nécessite un savoir-faire plus pointu sont alors formées expressément à cette fin.

Le sénateur Day : Parlons d'un poste frontalier. Affectez-vous en tout temps une personne qui s'y connaît en matière de terrorisme et de lutte antiterroriste?

M. Vigneault : La façon dont cela fonctionnerait, vous avez soit un aéroport, donc un voyageur arrive par avion, soit la frontière terrestre avec les États-Unis, et tous nos agents de sécurité à la frontière ont accès à plusieurs bases de données. À l'arrivée, le voyageur doit se présenter à l'agent et lui remettre une quelconque forme d'identification. Si cette identification correspond à une cible qui a été saisie dans notre système de ciblage, si elle correspond à un avis de signalement que le SCRS nous a transmis par exemple, qui renferme des renseignements sur un individu donné, nous jumelons le nom avec cet avis de signalement.

Tout cela pour dire que nos agents possèdent une bonne connaissance pour s'acquitter des nombreuses responsabilités qui leur incombent, dont la lutte contre le terrorisme, mais ils peuvent aussi compter sur le soutien de tous les autres agents de l'ASFC lorsqu'ils obtiennent un nom ou certains renseignements. Ainsi, l'agent n'a pas forcément besoin d'être un spécialiste du contre-terrorisme pour pouvoir compter sur le vaste éventail de renseignements à la disposition de l'ASFC qui proviendraient de nos alliés ou d'agents du renseignement en poste ici à Ottawa, par exemple.

Le sénateur Day : Je veux en rester au poste frontalier. Nous avons entendu que les postes frontaliers ne possèdent pas tous la technologie nécessaire et que vous la réclamiez à grands cris. C'est important d'avoir cette technologie. Est- ce que vous nous dites que la technologie existe maintenant dans tous les postes frontaliers entre le Canada et les États- Unis?

M. Leckey : Cela dépend de la taille du poste frontalier. Les grands postes frontaliers ont un accès complet à tous les systèmes internes importants de l'ASFC.

Le sénateur Day : Combien d'autres postes frontaliers n'ont pas la technologie dont vous avez besoin pour faire ce que M. Vigneault vient de décrire?

M. Leckey : Je ne pourrais pas vous donner le chiffre aujourd'hui, mais je peux faire un suivi. Comme vous le savez, il y a de très petits postes frontaliers.

Le sénateur Day : Oui, et les options seraient les suivantes : ou bien les munir de l'équipement analytique numérique, ou bien fermer le poste frontalier. Ce sont là les options.

M. Leckey : Il y a aussi l'option de faire en sorte que les agents des services frontaliers en fonction ont un accès en tout temps au soutien des programmes des enquêtes et du renseignement criminels.

M. Vigneault : J'ajouterais à ce que mon collègue vient de dire, et je pense l'avoir mentionné plus tôt, que depuis le 1er avril, nous avons mis sur pied notre centre national de ciblage, la version 24 heures par jour, sept jours par semaine de notre centre opérationnel. S'ils ont un doute, où qu'ils soient, nos agents peuvent communiquer avec ce centre opérationnel où nous avons du personnel chargé du ciblage au fin du renseignement et des agents du SCRS et de la GRC. Si un agent a des doutes sur un individu, à savoir s'il devrait l'autoriser à entrer au Canada ou non, comme mon collègue l'a mentionné, il peut consulter l'administration centrale et c'est ce qui se passe souvent. Je ne voudrais pas laisser l'impression que nous n'assurons pas une protection assez serrée par rapport aux gens qui essaient d'entrer au Canada.

Le sénateur Day : Nous aimerions savoir ce que nous pouvons faire pour vous aider à resserrer encore cette protection. Par rapport au terrorisme ou au terrorisme potentiel, nous voulons savoir s'il y a de petits postes frontaliers qui ne possèdent pas l'équipement nécessaire pour consulter les bases de données et faire les évaluations. C'est manifestement là qu'une personne pourrait tenter de traverser.

Le sénateur Andreychuk : Vous avez dit que votre niveau de « maturité » — et je trouve étrange d'utiliser ce mot — est différent de ce qu'il était en 2001. J'aurais pensé qu'il s'agirait du degré de préparation ou du niveau de connaissance.

L'une des difficultés, comme vous nous l'avez dit, à moi et aux membres du comité jusqu'à maintenant, c'est que s'il y a déjà un avis de surveillance ou des renseignements au sujet d'une personne qui traverse la frontière, vous êtes alors bien branchés dans ce système, vous avez des protocoles, vous avez un mode opérationnel selon lequel vous communiquez des renseignements sur ceux qui ont été identifiés à l'étranger ou au Canada. Est-ce exact?

M. Vigneault : Oui, c'est exact, mais j'ajouterais que nous prenons effectivement en compte tous les renseignements que nous recevons de nos partenaires nationaux et internationaux au sujet de terroristes potentiels. Nous avons donc accès à ces renseignements. Cela fait partie de la base analytique que nous utiliserions pour décider si une personne devrait entrer au Canada.

Si vous pensez à ce que vous vivez quand vous revenez de l'étranger et que vous vous présentez à un agent des services frontaliers, vous devez essentiellement lui présenter vos pièces d'identité. Ensuite, selon le nombre d'indicateurs que l'agent des services frontaliers aurait en sa possession, il pourrait exiger une enquête plus approfondie. C'est à ce stade qu'on vous renvoie à un examen secondaire.

Comme je l'ai mentionné, nos agents des services frontaliers sont formés aux techniques d'enquête pour être à même de déterminer si vous essayez effectivement de vous opposer. Vous êtes un inconnu, nous ne savons pas qui vous êtes, nous n'avons pas de renseignements préalables à votre sujet mais nous trouvons quelque chose d'inhabituel dans vos bagages ou dans vos habitudes de voyage. Vous arrivez pour un séjour de 24 heures et vous repartez. Vous arrivez avec très peu de bagages ou vous ne pouvez pas nous fournir d'explication sur les personnes que vous venez rencontrer.

Ces techniques d'enquête nous permettront de déterminer s'il y a anguille sous roche. À ce stade, nous pouvons vous refuser l'entrée au Canada ou nous pouvons informer nos partenaires de la GRC ou du RCRS que nous avons une personne ici au sujet de laquelle un suivi serait justifié.

Essentiellement, tant avec les personnes connues qu'inconnues, il y a des façons d'essayer de déterminer si elles représentent ou non une menace pour le Canada.

Le sénateur Andreychuk : Vous venez de décrire la situation actuelle?

M. Vigneault : Oui.

Le sénateur Andreychuk : Si nous adoptons le projet de loi S-7 dont le point de mire est une personne qui quitte le Canada dans l'intention de commettre un acte criminel ailleurs — une activité terroriste, autrement dit — et certains renseignements en notre possession nous laissent croire qu'elle pourrait commettre cette infraction, nous avons le droit de déposer des accusations et le processus est décrit dans le projet de loi. Manifestement, vous n'avez pas le droit de déposer les accusations.

Quel rôle jouez-vous dans ce système d'alerte pour dire au procureur général que des accusations devraient être portées? Avez-vous étudié le projet de loi afin de déterminer la façon dont vous mettriez en œuvre ce changement et quel rôle sera le vôtre? Vous êtes dans une position différente de celle de la GRC, d'autres services policiers et du procureur général.

M. Vigneault : Comme je l'ai dit, nous avons fait des études préliminaires de ce projet de loi. Il est évident que notre mode de collaboration actuel avec nos partenaires pourrait être reproduit dans ce contexte. Par exemple il y a le contexte d'une enquête aux fins de l'application de la loi à l'intérieur du pays, où nous avons le mandat d'enquêter et nous enquêtons sur des personnes potentiellement non admissibles au Canada parce qu'elles ont menti à leur arrivée ou que nous avons obtenu après coup des renseignements à leur sujet. Nous communiquerons ensuite à nos partenaires les renseignements que nous aurons collectés dans le cadre de cette enquête. C'est le genre d'échanges bilatéraux avec nos partenaires qui permettront à la GRC, par exemple, de déterminer si cette personne communique avec d'autres personnes qui ont peut-être des liens avec le terrorisme. C'est le genre d'échanges qui permettront de brosser un tableau et qui nous aideront à déterminer s'il y a une intention en quittant le pays.

Nous ne procéderions pas à l'arrestation mais dans certains cas, nous avons fourni des données et des renseignements qui permettent à la GRC ou au SCRS de dire qu'ils croient que la personne quitte le pays dans l'intention de commettre un acte criminel.

Voilà pourquoi il est si important que toutes les agences de la sécurité nationale collaborent très bien ensemble, comme je l'ai mentionné plus tôt. Si ce projet de loi devait entrer en vigueur, il nous faudrait nous entendre avec nos partenaires sur la façon de procéder.

Le sénateur Andreychuk : Je crois que c'est la voie à suivre. Si vous avez des renseignements au sujet d'une personne et que vous poussez l'enquête plus loin, vous devez être sûrs d'avoir tous les éléments en main et tous les protocoles. Cependant, est-ce que cela ne va pas engendrer une nouvelle forme d'activité au sein du groupe terroriste? Ils seront maintenant au courant de cet article et il y aura ceux qui sont complices, qui font partie d'un processus dans le cadre d'une activité terroriste ailleurs, qui vous paraîtront très inoffensifs parce que vous ne les aurez jamais vus.

Comment allez-vous gérer ces situations? Vous repérez quelque chose d'inhabituel dans leurs bagages, mais c'est différent désormais parce qu'ils ne vont pas apporter eux-mêmes les choses dont ils ont besoin. Ils chargeront d'autres personnes d'apporter des éléments peu à peu, y compris des connaissances.

M. Vigneault : Je crois que vous avez absolument raison de souligner que les terroristes s'adaptent aux différents textes législatifs que les différents gouvernements adoptent. Voilà pourquoi il est important pour nous de ne pas nous contenter de parler à nos partenaires nationaux, nous devons aussi parler à nos partenaires à l'étranger pour comprendre leur façon de travailler.

D'autres organismes et d'autres gouvernements ont le mandat de collecter des renseignements à l'étranger. Ils ramènent souvent des renseignements qui nous aideront à comprendre ces modes de fonctionnement. Lorsqu'il s'agit d'un individu — le directeur du SCRS en a parlé je crois — qui n'a parlé à personne, qui s'est endoctriné et radicalisé lui-même, il est évidemment difficile de suivre un tel terroriste en puissance. Vous avez très bien exposé le défi qui nous attend.

Le sénateur Andreychuk : Vous êtes-vous occupés de dossiers dans lesquels une loi similaire d'un autre pays entrait en jeu? Autrement dit, votre agence a-t-elle déjà aidé des autorités par rapport à une personne qui quittait un autre pays dans l'intention?

M. Vigneault : Pas à ma connaissance.

M. Leckey : Pas à ma connaissance.

Le sénateur D. Smith : Mes collègues en ont peut-être assez d'en entendre parler, mais j'ai eu des problèmes dernièrement à l'aéroport. Je croyais que tout était réglé. J'ai pris l'avion pour venir ici ce matin et on m'a de nouveau fait attendre. Elle a pris environ 12 minutes. Elle était au téléphone; pourtant ils savent qui je suis. Je ne traverse pas une frontière, alors qui appellent-ils?

M. Vigneault : Je ne voudrais pas faire de conjecture à ce sujet, sénateur. Je ne connais pas les détails de la situation.

Le sénateur D. Smith : David Smith est un nom courant. Quand le directeur du SCRS est venu témoigner ici, il a dit qu'il avait un beau-frère de ce nom; c'est peut-être la source du problème. Je crois par contre qu'il est Américain. Cela s'est produit à répétition dans mon cas dernièrement. Le problème avait cessé il y a environ six semaines, mais c'est arrivé de nouveau ce matin à Porter.

Je me pose des questions sur l'efficacité. Si j'avais pris l'avion pour aller à Boston, ils vous auraient téléphoné, je suppose, ou votre agence?

M. Vigneault : Cela dépend si le problème est fondé sur la présence d'un nom similaire au vôtre sur la liste des États- Unis ou du Canada. Si c'est sur une liste des États-Unis, ce n'est pas forcément nous qu'ils appelleraient. Je suis désolé.

Le sénateur D. Smith : En fait d'efficacité, y a-t-il deux agences différentes qui interviennent lorsqu'il faut téléphoner à quelqu'un, pas à cause d'un visage malhonnête — cela ne s'appliquerait certainement pas dans mon cas — mais à cause d'un nom?

M. Vigneault : Une fois encore, s'il s'agit d'une liste des États-Unis, ils téléphoneraient à des agences américaines pour déterminer qui vous êtes et pourquoi une personne qui porte un nom similaire au vôtre figure sur cette liste. Ils ne téléphoneraient pas forcément à l'ACFC.

M. Leckey : Pas forcément.

Le président : Avez-vous déjà envisagé de prendre le train?

Le sénateur D. Smith : Je l'ai fait. Je m'interroge ici sur l'efficacité. Si une personne va poser un geste ayant des conséquences dramatiques, peu importe qu'elle traverse une frontière ou non, vous ne voulez pas l'avoir dans un avion, peu importe où elle va. Je m'interroge sur le nombre d'agences que nous avons, si ce n'est pas votre agence qui a reçu un appel ce matin. Renseignez-vous et dites-moi à qui je dois parler. J'ai presque manqué mon avion ce matin.

Le président : C'est une question de politique générale. Toute information dont vous pouvez nous faire part, peut- être à titre de suivi à cette réunion, je suis sûr que ce serait très apprécié.

M. Vigneault : Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.

Le sénateur D. Smith : Lorsque vous faites un appel, appelez-vous tout de suite les Américains s'il s'agit d'une personne qui, disons, est effectivement un Américain muni d'un passeport des États-Unis?

M. Vigneault : S'il s'agit d'une liste d'interdiction de vol, Transports Canada est l'agence responsable de cette liste au Canada. Vous pouvez leur adresser votre question parce que le problème ici est la similitude de votre nom avec un nom qui figure sur la liste des États-Unis. Comme Transports Canada est responsable de la liste des personnes précisées, ce ministère pourrait peut-être vous aider dans ce cas-ci.

Le sénateur D. Smith : Par exemple s'il s'agissait d'un passeport d'un autre pays — pour garder les choses simples, disons des États-Unis — vous communiqueriez directement avec eux je suppose?

M. Vigneault : Une fois encore, cela dépend de la situation particulière. Si vous essayez de monter à bord d'un avion aux États-Unis à destination du Canada et que votre nom correspond à un nom sur la liste des États-Unis, dans un tel cas, l'Agence de sécurité des transports, la TSA, demanderait à qui que ce soit qui tient la liste aux États-Unis s'il s'agit de la même personne, ainsi de suite. C'est différent s'il s'agit d'une liste des États-Unis ou d'une liste du Canada.

Le sénateur D. Smith : Il est possible que la personne n'ait pas pris l'avion, elle peut avoir traversé à pied sur une ferme en Saskatchewan.

Le président : Notre temps est écoulé; nous avons des témoins qui attendent pour la prochaine partie. Trois de nos collègues, les sénateurs Joyal, Dallaire et Day, souhaitent poser une deuxième série de questions. Nous pourrions demander à nos collègues de poser leurs questions une à la suite de l'autre et demander à nos invités d'y répondre de façon à bien utiliser le temps puis nous essaierons de nous rattraper du mieux que nous pouvons, mais je veux être équitable pour les témoins qui font partie du deuxième groupe.

Le sénateur Dallaire : Il est essentiel que nous terminions à 15 h 30 parce que j'ai une réunion préliminaire avec le comité suivant. Je veux que vous le sachiez, si nous allons gruger du temps au prochain groupe de témoins.

Le président : Je n'aurais, moi non plus, rien contre le fait de ne pas avoir de deuxième tour, mais je ne veux pas être injuste envers nos collègues qui ont demandé d'être inscrits au deuxième tour. Je suis entre vos mains.

Le sénateur Day : Je crois que nous devons respecter notre horaire.

Le président : Sénateur Joyal, vous êtes d'accord?

Le sénateur Joyal : Je n'en suis pas sûr.

Le président : Voulez-vous poser votre question? Nous lui laisserons poser une question.

[Français]

Le sénateur Joyal : Dans le budget de 2012 que le gouvernement a déposé, vous avez des réductions budgétaires de 143 millions de dollars. D'après les informations rendues publiques, je comprends que 1 350 postes seront abolis à l'Agence des services frontaliers du Canada, dont 118 au Québec. Une centaine de postes d'agents de services de renseignement seront abolis, ce qui représente la moitié de tous les agents et qu'en plus, 325 postes d'agents de première ligne seront également abolis.

Comme l'a dit votre collègue de la Gendarmerie royale du Canada, ces réductions ne sont pas des efficiences administratives, c'est-à-dire qu'on change la façon d'administrer le papier. Il s'agit là de personnes qui ont affaire directement avec les millions de personnes et de voitures qui se présentent chaque année aux postes-frontière du Canada.

Comment allez-vous pouvoir être en mesure d'atteindre une plus grande efficacité et de garantir une plus grande sécurité suite à cette importante réduction de personnel, en particulier dans le cas des agents aux postes-frontière, c'est- à-dire ceux qui, 24 heures par jour ou à peu près, doivent être en poste pour appliquer la loi?

M. Vigneault : Sénateur, si vous me permettez, j'aimerais corriger quelques faits. Il est vrai que plus de 1 000 lettres ont été envoyées à des personnes au sein de l'agence. Cela ne veut pas nécessairement dire que 1 000 postes seront éliminés. On parle peut-être du quart de ces personnes qui vont éventuellement perdre leur emploi. C'est ce qu'on appelle les personnes qui ont été affectées. Par la suite, le processus d'attrition fera en sorte que ce ne sont pas 1 000 personnes qui seront touchées, mais un nombre moindre.

Vous avez mentionné que cela va toucher plus de 50 p. 100 de nos agents de renseignement. Je vous dirais que c'est environ le cinquième des agents de renseignement qui seront touchés. Et la raison pour laquelle on croit que la sécurité nationale ne sera pas affectée par cette réduction spécifique, c'est qu'on fait déjà un travail de priorisation de nos activités de renseignement. Cela va nous forcer à faire un travail encore plus spécifique sur la priorité qu'on va accorder à chacune des enquêtes de renseignements.

La priorité numéro un, vous pouvez être certains que c'est l'antiterrorisme. Dans le contexte de cette étude du projet de loi, il n'y aura pas d'impact sur les enquêtes de renseignements antiterroristes.

[Traduction]

Le président : Chers collègues, en levant cette partie de la séance, j'aimerais exprimer nos remerciements collectifs à nos deux invités de l'Agence des services frontaliers du Canada pour leur franchise et les indications qu'ils nous ont données en respectant les dispositions qui régissent ce qui est autorisé, par rapport à la divulgation de renseignements non classifiés. Pourrais-je vous demander d'exprimer à vos agents à la grandeur du pays la reconnaissance des membres de ce comité, du Parlement du Canada et de tous les Canadiens pour l'énorme travail qu'ils accomplissent, parfois en s'exposant eux-mêmes à un grand risque personnel, pour aider à assurer la sécurité de nos frontières et de notre pays. Merci beaucoup.

Dans la deuxième partie de notre séance cet après-midi, nous accueillons M. Wesley Wark, Ph.D., professeur invité, École supérieure d'affaires publiques et internationales, Université d'Ottawa, un progrès, si je peux me permettre, en comparaison de l'Université de Toronto. Par vidéoconférence, nous accueillons aussi Kent Roach, titulaire de la Chaire Prichard-Wilson en droit et en politique publique, faculté de droit, Université de Toronto.

Cet après-midi, nous poursuivons notre étude du projet de loi S-7, la Loi sur la lutte contre le terrorisme, dont la deuxième lecture au Sénat du Canada, d'où elle provient, est prévue le 8 mai 2012. S-7 est un projet de loi de 30 articles qui vise à modifier le Code criminel, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la protection de l'information afin de créer de nouvelles infractions criminelles pour mieux protéger les Canadiens contre des activités terroristes.

Messieurs Wark et Roach, nous sommes ravis de vous accueillir de nouveau. La qualité et l'importance du témoignage que vous nous avez donné dans le passé ont eu une incidence très positive sur les recommandations que nous avons présentées au gouvernement et, de fait, certaines modifications apportées au projet de loi à l'étude ici découlent non seulement de ces recommandations mais aussi de différentes décisions judiciaires sur l'équilibre entre la liberté et la sécurité. Je sais que ces éléments déterminent pour une grande part la nature des travaux universitaires et spécialisés qui vous occupent, en tant que chercheurs, dans ce domaine.

Nous sommes ravis de vous accueillir. Nous sommes impatients d'entendre vos déclarations préliminaires et je demanderai à M. Wark de se lancer.

Wesley Wark, professeur invité, École supérieure d'affaires publiques et internationales, Université d'Ottawa, à titre personnel : Sénateur Segal, je vous remercie beaucoup de l'invitation et mesdames et messieurs les sénateurs, c'est un plaisir pour moi de venir de nouveau témoigner devant votre comité. Je suis conscient que le temps file. Je veux aborder quatre points dans ma déclaration préliminaire, je vais donc les passer en revue l'un après l'autre rapidement. Je m'exprimerai en anglais.

Tout d'abord, je veux exprimer mon appui général, à titre personnel, à une partie des principales dispositions du projet de loi S-7, la Loi sur la lutte contre le terrorisme, et je veux expliquer brièvement pourquoi ces dispositions m'apparaissent importantes. Je commencerai par les dispositions relatives à l'engagement assorti de conditions et aux audiences d'investigation, qui figuraient à l'origine dans la Loi antiterroriste, adoptée en décembre 2001. Elles étaient assorties d'une clause de temporisation qui a expiré en mars 2007. Les dispositions n'ont pas été présentées de nouveau.

Par rapport à ces deux dispositions du projet de loi S-7, je crois qu'elles peuvent constituer des outils importants dans les enquêtes antiterroristes, même s'il est probable qu'elles seront rarement utilisées, essentiellement parce qu'elles supposent, du moins en ce qui concerne les pouvoirs d'arrestation à titre préventif, un genre de scénario comportant une bombe à retardement dans lequel le SCRS et la GRC reçoivent des renseignements fiables à la dernière minute sur une menace imminente.

En général, les agences du renseignement et d'application de la loi continueront de se fier aux renseignements et aux éléments de preuve accumulés sur des complots terroristes, des éléments obtenus au fil du temps, parfois de services étrangers, comme ce fut le cas avec Momin Khawaja. Elles continueront aussi de se fier à des informateurs ou à des agents infiltrés, comme ce fut le cas dans le soi-disant complot du « groupe des 18 » de Toronto. Le fait de supposer que ces pouvoirs seront rarement exercés n'est pas un argument contre leur adoption. Je dirais qu'il s'agit d'une assurance de plus, étoffée par ce qui me semble être des limitations raisonnables et prescrites, sur l'exercice de ces pouvoirs, de même que par les exigences de rapports qui ont été incorporées dans le projet de loi révisé.

Quant aux audiences d'investigation, les personnes ainsi contraintes de témoigner ne peuvent s'incriminer par rapport à d'éventuelles poursuites juridiques. Dans le cas de l'engagement assorti de conditions, une personne placée sous garde dans l'exercice de ces pouvoirs ne peut être détenue de cette façon que pour une période maximale de trois jours avant d'être relâchée ou accusée. Si un juge devait par la suite décider qu'un engagement de garder la paix est justifié, un tel engagement ne peut être valide au-delà d'un an.

En ce qui concerne la criminalisation d'activités relatives aux voyages à l'extérieur du Canada pour participer à une activité terroriste ou en faciliter l'exécution, cela m'apparaît aussi une disposition utile et un pouvoir légal utile. Cette partie du projet de loi S-7 est nouvelle. Elle se rapporte à une menace connue, notamment le fait que nous savons que des Canadiens d'origine somalienne, par exemple, sont retournés en Somalie pour participer aux activités d'une organisation liée à Al-Qaïda, al Shabaab. Les exigences légales pour porter des accusations dans ces situations seront élevées, comme le directeur Fadden l'a souligné ici dans un témoignage précédent. Cependant, j'estime que cette disposition aura un effet dissuasif utile et nécessaire et qu'elle aura également l'avantage de servir à sensibiliser la population.

Permettez-moi de passer à mon deuxième point, qui concerne le contexte de la menace terroriste tel que nous le comprenons actuellement. Le gouvernement du Canada continue de décrire le terrorisme islamiste sunnite comme la principale menace à la sécurité nationale du Canada. En fait, je crois que cette menace a évolué et s'est atténuée dans les années qui ont suivi les attentats du 11 septembre. La menace terroriste a changé et elle a diminué à cause de quatre facteurs : le premier sont les mesures antiterroristes menées par les États-Unis et, en particulier, le ciblage du leadership opérationnel d'Al-Qaïda par des frappes d'avions téléguidés, entre autres moyens.

Le deuxième est la mort d'Oussama ben Laden, qui a eu un impact considérable.

Le troisième est l'attrait moins grand du message d'Al-Qaïda, ainsi que les conflits internes dans les cercles djihadistes sur la stratégie et les tactiques d'Al-Qaïda, notamment le ciblage du soi-disant « ennemi lointain » et la mort de civils musulmans dans des attentats terroristes.

Le quatrième facteur qui, à mon avis, a fait diminuer cette menace particulière est le morcèlement d'Al-Qaïda et l'attention accrue qu'on accorde maintenant à des groupes terroristes apparentés dans une certaine mesure à Al-Qaïda mais qui ont leurs propres objectifs régionaux et un manque de capacité connue, voire même d'intention de se livrer à des attentats terroristes mondiaux. La menace organisationnelle posée par Al-Qaïda ou par des groupes terroristes liés à Al-Qaïda a de plus en plus été remplacée par des craintes au sujet de la radicalisation intérieure de la violence et par les soi-disant « loups solitaires ».

Dans ce contexte, permettez-moi de passer à mon troisième point, l'examen du contexte plus global de la menace dans lequel nous opérons désormais.

Depuis le 11 septembre, de nouvelles menaces à la sécurité nationale du Canada sont apparues ou ont pris une place plus importante. Nous courons le risque de rester fixés sur l'ancienne menace aux dépens d'un investissement suffisant dans les outils de renseignement, d'application de la loi et de politiques nécessaires pour composer avec le paysage changeant des problèmes de sécurité, une décennie ou plus après les attentats du 11 septembre. Ces nouvelles menaces — ou les anciennes menaces dans de nouveaux habits — comprennent ce que je qualifie de cyberagression, l'espionnage étranger, la prolifération mondiale des armes de destruction massive, la turbulence économique mondiale, les États fragiles, les pandémies, les catastrophes naturelles et le climat extrême et les répercussions des changements climatiques sur la sécurité, pour n'en citer que quelques-unes.

Mon dernier point concerne la responsabilisation et les ressources, et il y a un lien à une question posée au cours de la séance précédente. La création de nouveaux pouvoirs et de nouvelles exigences à l'égard des activités d'application de la loi et de renseignements soulève de nouvelles questions au sujet de l'affectation des ressources et de la responsabilisation.

J'aimerais conclure mon propos en décrivant ce qui m'apparaît comme des tendances potentiellement inquiétantes. En ce qui concerne la reddition de comptes, le gouvernement a récemment pris des mesures qui mettent en doute l'importance qu'on accorde à la responsabilité ministérielle individuelle, au SCRS en particulier. Je fais référence ici aux directives ministérielles données au SCRS sur le traitement de renseignements, obtenus peut-être sous la torture, et à la décision de fermer le Bureau de l'inspecteur général du SCRS annoncée la semaine dernière dans le projet de loi de mise en œuvre du budget, le projet de loi C-38. Il faut signaler également que le Comité de surveillance des activités de renseignements de sécurité n'a pas encore de président depuis le départ d'Arthur Porter l'an dernier. Aucune mesure n'a été prise pour donner suite aux recommandations de la Commission O'Connor de 2006 au sujet d'une capacité de surveillance globale du milieu canadien du renseignement; et il n'y a aucune mesure en vue de créer une capacité parlementaire dédiée à la surveillance du milieu du renseignement, ce qui se rattache une fois encore aux remarques formulées au cours de la dernière ronde.

Quant aux ressources, comme vous le savez tous, le gouvernement a entrepris un vaste processus de remaniement et de compression des coûts de la fonction publique fédérale. Les coupures de budgets et de personnel sont gérées de façon sectorielle sans signe apparent de l'existence d'un plan stratégique pour le milieu du renseignement dans son ensemble. Le renseignement canadien est particulièrement sujet à des cycles d'expansion et de compression parce qu'il a peu de champions au sein du gouvernement. Il souffre de ces cycles parce que le renseignement nécessite des investissements à long terme dans le talent et la technologie. Une partie des investissements majeurs que nous avons faits dans le renseignement et l'application de la loi au Canada depuis le 11 septembre prenait la forme d'investissements de rattrapage pour combler des lacunes qui s'étaient accumulées depuis la fin de la guerre froide. Je ne suis pas sûr qu'il y ait beaucoup de gras à couper dans le monde du renseignement de l'après-11 septembre. Le président de l'Agence des services frontaliers du Canada avait l'habitude de dire que pour chaque 3 $ de budget à sa disposition, il aimerait dépenser 2 $ pour le renseignement. Je ne suis pas sûr que le gouvernement voie les choses de la même façon.

Je conclurai en recommandant un examen minutieux des répercussions globales des compressions budgétaires sur le milieu du renseignement canadien dans son ensemble, ainsi que la nécessité d'un plan stratégique réfléchi. Je ne pense pas que c'est ce que nous obtenons actuellement.

Le président : Nous demanderons à M. Roach de faire une brève déclaration préliminaire. Nous sommes impatients de vous entendre, monsieur Roach.

Kent Roach, titulaire de la Chaire Prichard-Wilson en droit et en politique publique, faculté de droit, Université de Toronto, à titre personnel : Je vous remercie, monsieur le président. Je suis honoré de comparaître devant vous encore une fois. Il est intéressant de noter que cet important projet de loi a été présenté dans cette enceinte. Mon propre travail et le travail réalisé par d'autres collègues canadiens et britanniques ont confirmé le rôle important que les chambres hautes non élues jouent dans les deux pays sur des questions touchant les droits de l'impopulaire, y compris la loi antiterroriste. Les parties les plus connues du projet de loi rétablissent l'audience d'investigation et les arrestations préventives. Je suis heureux de constater que le gouvernement a inclus des dispositions relatives à la présentation d'un rapport, à l'examen et à la temporisation qui feront en sorte qu'un comité sénatorial devra se pencher sur ces procédures extraordinaires.

J'aurais préféré que le gouvernement s'en tienne explicitement à la décision rendue par la Cour suprême en 2004 d'interdire l'utilisation de l'information recueillie dans le cadre d'une audience d'investigation, non seulement dans les instances pénales ultérieures, mais aussi dans les procédures d'extradition et d'immigration. Il est vrai que les tribunaux peuvent intégrer par interprétation large une réparation d'indemnisation dans de tels cas, mais à mon avis, il est toujours souhaitable que la loi reflète les exigences de la Charte comme l'a exposé clairement la Cour suprême.

J'espère que les autorités utiliseront les audiences d'investigation avec prudence. Le rapport d'Air India a fait état de problèmes dans la gestion et la protection des sources et des témoins et, à bien des égards, cet élément est plus important que les audiences d'investigation. Il y a également le risque que le recours prématuré aux audiences d'investigation rende difficile, sinon impossible de poursuivre une personne tenue de comparaître si l'on découvrait plus tard qu'elle était impliquée dans le terrorisme.

J'ai aussi quelques préoccupations au sujet des ajournements possibles d'audiences d'investigation. Le projet de loi renvoie à l'article 707 du Code criminel qui prévoit des ajournements et la détention de témoins pendant au plus 30 jours. Manifestement, cela violerait les dispositions relatives aux arrestations préventives, dont la durée est limitée à 72 heures. Les dispositions relatives aux arrestations préventives sont des mesures extraordinaires dans toute démocratie, mais je dois dire que le maximum de 72 heures est modéré par comparaison. Le Royaume-Uni et l'Australie ont tous deux fixé une période de 14 jours. Les États-Unis ne font pas d'arrestations préventives, mais ils ont des antécédents malheureux d'abus de mandat d'amener un témoin clé à l'instar des arrestations préventives et des poursuites fondées sous de faux prétextes ou des poursuites « Al Capone ». La légalité est toujours la meilleure politique.

Je préfèrerais toutefois que l'on donne une meilleure orientation aux juges, surtout en application du pararagraphe 83.3(7) lorsqu'ils exercent leur pouvoir discrétionnaire de prolonger l'arrestation préventive au-delà du maximum de 72 heures.

Nous ne devrions pas être tout feu tout flamme à propos de ce qui arrive après les 72 heures. Les autorités doivent alors déposer des accusations ou relâcher le suspect. Je suis conscient que certaines préoccupations ont été soulevées au sujet de la nouvelle soi-disant infraction relative à la participation à des camps d'entraînement, qui serait commise par des personnes tentant de quitter le Canada. Bien que ce genre d'infraction restreigne la liberté des citoyens canadiens et leur droit à quitter le Canada, ce serait à mon avis une restriction raisonnable étant donné que l'infraction exige un haut niveau de faute par rapport au terrorisme. Cela dit, ces infractions engendreront l'éventail complet des problèmes entourant la relation entre la preuve et le renseignement. Elles ne sont pas une panacée, mais je crois qu'elles constituent une limite raisonnable et qu'en général, c'est toujours la meilleure politique d'intenter une poursuite lorsque cela est justifié.

Mes plus fortes critiques à l'égard de ce projet de loi n'ont pas trait à ce qu'il contient mais plutôt à ce qu'il ne contient pas. Le projet de loi comporte certaines modifications à l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada. Toutefois, le gouvernement a rejeté la recommandation de la commission sur la tragédie d'Air India visant une réforme radicale de cet article crucial afin de permettre aux juges de première instance de rendre et de réviser des décisions sur la non-divulgation, comme ce fut le cas durant le procès pour terrorisme à Toronto. En maintenant le système judiciaire à deux paliers, comme ce projet de loi le fait aussi, la Cour suprême a clairement indiqué que son seul souci avait trait à sa constitutionnalité, et non à son efficacité ou à son caractère pratique. En fait, la Cour suprême a fortement encouragé les juges de première instance à suspendre ou mettre fin aux poursuites pour terrorisme s'ils avaient le moindre doute que l'information dont la divulgation a été interdite par la Cour fédérale (une instance distincte du tribunal de première instance) pourrait compromettre le droit de l'accusé à un procès équitable.

Il s'agit de la bonne approche si nous conservons la démarche judiciaire à deux paliers, mais à mon avis, cela n'est pas nécessaire. Nous pouvons confier des renseignements secrets à nos juges de première instance et les laisser décider s'il y a lieu de les divulguer aux accusés. C'est ainsi qu'on procède aux États-Unis de même qu'au Royaume-Uni et en Australie; même au prorata de la population, notre performance en matière de poursuites fructueuses contre des terroristes est beaucoup moins reluisante que celle d'autres démocraties. À mon avis, le gouvernement doit à tout le moins au Parlement une meilleure explication des motifs pour lesquels il a rejeté une recommandation centrale de la commission sur la tragédie d'Air India.

Enfin, par souci de transparence, je signale — je suis désolé si je le répète parce que je n'ai pas entendu les présentations — que j'ai travaillé à titre de directeur des recherches (études juridiques) pour la commission sur la tragédie d'Air India.

Je vous remercie. Il me fera plaisir de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Roach.

Le sénateur Joyal : Monsieur Wark, dans votre communication, vous avez mentionné que le gouvernement a décidé d'abolir le poste d'inspecteur général par rapport au CSARS. À votre avis, en quoi consistent les conséquences immédiates de cette décision annoncée dans le budget la semaine dernière?

M. Wark : La décision a deux ou trois implications, dont l'une tient au fait qu'après la fermeture du Bureau de l'inspecteur général, qui existe et qui présente des rapports depuis 1984, lors de l'adoption de la Loi sur le SCRS, le gouvernement perdra une somme d'expérience et de savoir-faire qui s'est révélée précieuse dans le passé.

La deuxième implication, c'est que le Bureau de l'inspecteur général a été créé dans une intention particulière et maintenu sur une longue période. L'intention était de fournir au ministre un bureau indépendant — logé au sein du ministère et lui rendant directement compte dans des conditions de confidentialité — qui devait être « les yeux et les oreilles » du ministre, comme on l'a souvent dit. C'est une façon de régler ce qui devient souvent un dilemme lorsque vous avez un ministre du Cabinet responsable d'une organisation secrète dotée de pouvoirs considérables qui mène des opérations délicates. Le dilemme est le suivant : vous ne voulez pas que le ministre participe directement aux opérations quotidiennes d'un tel service. Ce dernier doit avoir une mesure d'autonomie, mais par ailleurs, vous ne voulez pas que le ministre soit tenu dans l'ignorance.

Le bureau devait permettre au ministre de rassurer le Parlement et la population du Canada que le SCRS respectait la loi et les directives ministérielles et qu'il était efficace. L'élimination de ce bureau diminue la capacité du ministre et de son ministère de faire en sorte que le SCRS est tenu comptable comme il se doit.

Si je peux compléter, le gouvernement a indiqué qu'il allait confier ces pouvoirs au Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité. Rien n'indique que le CSARS recevra de nouvelles ressources pour s'acquitter de ces tâches additionnelles et à mon avis, il n'est pas l'autorité appropriée pour être les yeux et les oreilles du ministre. Ce n'est pas à cette fin qu'il a été créé. Il s'agit d'un organe externe chargé de faire rapport au Parlement. Il ne sert pas le ministre.

Le sénateur Joyal : Si nous avons un jour un comité parlementaire chargé de faire le suivi de l'examen des activités de sécurité et de contre-terrorisme au Canada, sa capacité de s'acquitter de son mandat serait affaiblie par le fait qu'il n'aurait pu s'appuyer sur ces renseignements pour le faire.

M. Wark : C'est hypothétique et je constate que le comité poursuit ce rêve, ce à quoi j'applaudis sans réserve. À mon avis, la capacité de tout comité parlementaire d'examiner les opérations du SCRS diminuerait, parce qu'il n'aurait pas accès aux travaux exécutés par le Bureau de l'inspecteur général à la veille d'être aboli.

Le sénateur Joyal : Monsieur Roach, j'aimerais revenir à votre dernière remarque sur la recommandation issue de l'enquête sur la tragédie d'Air India. Je partage en partie votre crainte qu'en répartissant les pouvoirs entre deux instances, on court véritablement le risque d'une suspension de la poursuite.

Pourquoi croyez-vous que le gouvernement a refusé la principale recommandation formulée dans le rapport sur la tragédie d'Air India? Si les risques existent, et je crois que si vous parlez à n'importe quel procureur de la Couronne, ils en sont conscients.

M. Roach : Oui, et je n'ai lu aucune explication véritable des motivations du gouvernement. Je crois que la poursuite dans l'affaire du complot terroriste de Toronto — où le juge de première instance à Toronto a essentiellement exercé les fonctions prévues à l'article 38 — montre que les juges de première instance peuvent le faire.

Ma crainte, c'est qu'il est parfois très raisonnable, au début d'une poursuite, de dire qu'il y aura une ordonnance de non-divulgation à cause d'une enquête en cours ou d'une source vulnérable. Toutefois, les procès et les avocats de la défense étant ce qu'ils sont, il arrive parfois que nous n'apprenions qu'au milieu d'un procès qu'un élément est devenu crucial.

À ce moment, même si la Cour fédérale s'acquitte parfaitement et efficacement de son travail, elle sera functus officio. Elle sera dépouillée de sa fonction. Le juge de l'instance sera mis dans la position très difficile de devoir peut- être ordonner une mesure de réparation qui est en fait trop forte, c'est-à-dire un arrêt de l'instance qui met fin à la poursuite alors que la mesure la plus appropriée aurait pu être de revoir l'ordonnance de non-divulgation afin que l'accusé se fasse cuisiner un peu plus.

Par comparaison, nous avons beaucoup moins d'expérience de la gestion de poursuites du terrorisme que d'autres démocraties et je crois que nos services de sécurité ont quelque peu tardé à accepter que la divulgation sera parfois le prix à payer. Cela posera problème par rapport aux nouvelles infractions relatives à la formation parce que le SCRS nous a dit que plusieurs personnes se sont rendues en Somalie pour adhérer à al Shabaab et à d'autres groupes. Quelqu'un devra trancher : est-ce que vous continuez à collecter des renseignements au sujet de cette personne ou l'arrêtez-vous à l'aéroport Pearson ou à l'aéroport d'Ottawa ou à l'aéroport Trudeau? Si vous l'arrêtez, vous devrez divulguer les renseignements que vous avez glanés.

Les autres recommandations issues de la commission sur la tragédie d'Air India — que le gouvernement a aussi rejetées sans explication — font que le conseiller en matière de sécurité nationale auprès du premier ministre devrait être celui qui fait ce genre de choix difficile. Il y a des intérêts des deux côtés. Parfois, il sera dans l'intérêt public de continuer de collecter des renseignements de façon à tenir une enquête secrète pour protéger des sources mais parfois, il sera dans l'intérêt public de poursuivre ces personnes, comme le projet de loi à l'étude envisage de le faire. Ce que le juge Major a dit, c'est qu'actuellement, personne ne prend vraiment des décisions et nous avons besoin de quelqu'un qui puisse le faire. À mon avis, il est regrettable qu'après avoir nommé cette commission et l'avoir laissée travailler pendant quatre ans, le gouvernement n'a pas vraiment donné d'explication motivée, à ma connaissance, de sa décision de rejeter les recommandations peut-être les plus importantes que le juge Major a formulées.

Le sénateur Joyal : Aucun de vous deux n'a commenté les modifications de la Loi sur la protection de l'information ni sur la nécessité de modifier la Loi après certaines décisions judiciaires. Voulez-vous commenter, ou à votre avis, le projet de loi répond-il à votre préoccupation à cet égard, tel que rédigé?

M. Wark : J'ai des critiques à formuler sur de nombreux éléments de la Loi sur la protection de l'information, et non la moindre sur la définition des personnes tenues en permanence au secret et sur le processus bureaucratique. En théorie, la loi prévoit la tenue de registres de ces personnes et cela souligne le genre d'impact que cette disposition peut avoir sur la possibilité que les Canadiens sachent ce qu'ils ont peut-être besoin de savoir sur les activités passées du milieu du renseignement et ainsi de suite.

Au terme de mon examen des dispositions incluses dans le projet de loi S-7 par rapport à la Loi sur la protection de l'information, j'ai jugé qu'elles n'auraient pas d'incidence nette. Si je me souviens bien, elles prolongent certaines sanctions prévues dans la loi. Il s'agit de modifications de bricolage comme M. Roach l'a dit. Elles ne vont manifestement pas au cœur de la question de l'efficacité de la Loi sur la protection de l'information. La Cour supérieure de l'Ontario a déclaré certains éléments de la loi inopérants. Le projet de loi ne règle aucun des principaux problèmes relatifs à la Loi sur la protection de l'information. Il propose des modifications de bricolage.

M. Roach : J'ajouterais simplement que le défaut de réagir à la décision de la Cour supérieure de l'Ontario concorde aussi avec le défaut de prendre en compte le fond de la décision de la Cour suprême en 2004. Nos cours disent des choses importantes sur des éléments déficients ou des éléments qui devraient être inclus dans la Loi et ce projet de loi ne semble pas y accorder autant d'attention qu'il devrait le faire.

Le président : Je me dois de signaler que l'une des recommandations formulées dans notre dernier rapport est que le rôle du conseiller principal en matière de sécurité nationale auprès du premier ministre soit prévu dans une disposition législative et qu'il y ait un fondement légal pour définir une partie de ses activités, surtout par rapport à la surveillance et au pouvoir discrétionnaire sur certains des principaux points que M. Roach vient de mentionner. Il y a une certaine cohérence à cet égard.

Le sénateur Frum : Monsieur Roach, vous avez expliqué qu'une de vos préoccupations concernant l'arrestation préventive tient au fait qu'aucune disposition ne précise explicitement le lieu de détention du sujet d'une arrestation préventive. Pouvez-vous élaborer? J'essaie de me faire une idée de l'établissement au Canada qui serait inacceptable à votre avis.

M. Roach : Le projet de loi ne dit simplement rien à ce sujet et comme nous n'avons jamais eu d'arrestation préventive, je ne peux pas analyser la pratique à cet égard. Toutefois, d'autres textes législatifs, en particulier la loi australienne, sont très explicites en ce qui concerne l'interdiction de mener un interrogatoire au cours d'une arrestation préventive. Vous pouvez recevoir la visite de leur inspecteur général, l'équivalent du CSARS.

Bien que ce ne soit pas la norme — de fait, notre Cour suprême l'a rejetée comme norme — je suggérerais que si une personne doit être détenue pendant 72 heures, une garantie consisterait peut-être à faire en sorte qu'elle puisse bénéficier de la présence de son avocat pendant cette période.

J'aimerais pouvoir vous donner plus d'indications sur la pratique, mais les autorités n'ont jamais utilisé l'arrestation préventive. Je ne crois pas qu'il s'agit là d'une raison suffisante pour ne pas promulguer les dispositions, mais je crois que d'autres pays sont un peu plus explicites au sujet du lieu de détention et de la possibilité que la personne détenue soit interrogée pendant cette période d'arrestation préventive.

Comme je l'ai dit, bien que, par comparaison, 72 heures représentent une position modérée, le temps pourrait paraître long à la personne détenue si elle subit un interrogatoire sans interruption pendant cette période.

Le sénateur Frum : Vous insistiez sur l'endroit où cette personne est détenue ou sur la nature du lieu ou de la pièce où la personne est détenue. Y a-t-il matière à avoir des craintes particulières à ce sujet? Je veux dire, nous n'avons pas de Gitmo. On fait la supposition que nous les jetterons dans un endroit qui ressemble à Gitmo, mais nous n'en avons pas.

M. Roach : Non, et ce n'est certainement pas le genre de langage que j'ai employé. Toutefois, je crois qu'il est important que la personne détenue puisse s'entretenir avec son avocat; les dispositions relatives à l'audience d'investigation reconnaissent tout à fait à juste titre le droit de consulter un avocat.

Comme je l'ai dit, j'irais plus loin et j'envisagerais de permettre à la personne détenue de bénéficier de la présence d'un avocat au cours de l'interrogatoire, puisque nous arrêtons une personne non pas sur la base de motifs raisonnables de croire qu'elle a commis une infraction — notre justification habituelle pour procéder à une arrestation — mais plutôt parce que nous avons des soupçons raisonnables.

Le sénateur Frum : Monsieur Wark, je m'adresse à vous également sur le même point. Vous avez dit qu'en principe, le recours à des audiences d'investigation dans des cas d'engagements assortis de conditions ne vous pose pas de problème. Êtes-vous donc convaincu que les garanties prévues dans la loi sont suffisantes?

M. Wark : Oui, je m'en remets à l'expertise de mon collègue, M. Roach, dans son étude comparative d'autres systèmes juridiques qui possèdent plus d'expérience, en particulier par rapport à l'arrestation préventive. De façon générale cependant, je crois que ces pouvoirs ont une utilité potentielle et que cette utilité va au-delà de la question de savoir si elles seront promulguées ou non ou utilisées un jour ou non; elles peuvent avoir un effet dissuasif et l'avantage de sensibiliser la population, une des raisons pour laquelle nous avons des lois.

Comme je l'ai dit dans ma déclaration, nous les utilisons rarement, voire jamais, et c'est là notre expérience à ce jour. Une grande partie du débat public au sujet de ces conditions a tourné autour de la question suivante : « Si nous ne les avons jamais utilisées, pourquoi les avoir? » C'est un argument fallacieux. Il pourrait surgir des situations rares et improbables dans lesquelles nous en aurions besoin à l'avenir. Ce sont les situations dans lesquelles l'expérience que nous aurons acquise de l'utilisation de ces dispositions dans des opérations de contre-terrorisme pourrait être d'une certaine utilité par rapport à d'autres activités pour protéger la sécurité nationale du Canada.

En général, oui, je crois qu'il s'agit de pouvoirs limités. Il ne s'agit pas des pouvoirs draconiens auxquels on fait souvent allusion. J'aime particulièrement le fait qu'au terme de ce processus de modification et de la longue période au cours de laquelle ces dispositions ont été inopérantes, nous soyons revenus avec d'autres dispositions de temporisation et des exigences de rapport, notamment une exigence selon laquelle le procureur général et le ministre de la Sécurité publique devront dire s'ils croient que ces pouvoirs ne sont pas nécessaires. C'est précieux, en ce sens que cela les oblige à y réfléchir et à présenter publiquement leur raisonnement.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Merci à nos deux invités. Ma question s'adresse à M. Wark. J'ai cru comprendre de votre exposé qu'il fallait aussi s'occuper...

[Traduction]

M. Wark : Mon appareil d'interprétation ne fonctionne pas et je veux saisir toutes les nuances de la question.

Le président : Sur quel numéro êtes-vous? La greffière va vous donner un coup de main.

[Français]

Le sénateur Dagenais : Je vais répéter ma question, monsieur le président. Dans votre présentation, vous avez mentionné qu'il fallait s'occuper aussi des différentes nouvelles menaces terroristes. Entre autres, vous avez mentionné que les terroristes pouvaient s'attaquer à la performance économique d'un pays. Depuis un certain temps, on sait que dans certains pays d'Europe, les performances économiques sont gravement — on pourrait dire — attaquées. On sait aussi que le système bancaire des États-Unis, dernièrement, a connu de très mauvaises performances. Serait-il permis de penser que le terrorisme pourrait être à l'origine, à un moment donné, de ces situations? J'aimerais vous entendre là-dessus.

[Traduction]

M. Wark : Je vous remercie. Je répondrai en anglais pour être sûr de bien formuler ma réponse.

La question que vous m'adressez me fait paraître plus intelligent que j'ai voulu le laisser croire et je vous présente mes excuses. En dressant la liste de cet éventail des nouvelles menaces à la sécurité telles qu'elles m'apparaissent — ou des menaces à la sécurité réinventées — lorsque j'ai mentionné les turbulences économiques, je pensais à l'insécurité économique qui touche de nombreux pays et qui pourrait avoir des répercussions sur la sécurité si cette insécurité devait faire tomber un pays dans un état de déroute ou si elle créait les conditions propices à une augmentation de la criminalité organisée, de la corruption et des choses de cette nature qui pourraient manifestement avoir une incidence sur le Canada et des intérêts canadiens.

Les experts ne s'entendent pas à savoir si des organisations comme Al-Qaïda ont une véritable stratégie économique, c'est-à-dire si elles choisissent leurs cibles et entrevoient les conséquences possibles de leurs attentats en ayant un résultat économique en tête. Certains feraient valoir qu'Oussama ben Laden et les autres planificateurs opérationnels du 11 septembre avaient une forme de vision sophistiquée de la façon dont ils pourraient mettre l'économie américaine à genoux.

Je ne suis pas de cet avis. Je ne crois pas qu'Al-Qaïda ni les organisations qui lui sont apparentées ont une vision particulièrement sophistiquée de l'économie, du système mondial ou des conséquences économiques. Je crois qu'il s'agit de terroristes assez conventionnels, en ce sens que leurs objectifs consistent à semer la terreur, ce qui pourrait inclure un certain degré de terreur économique. Je les sous-estime peut-être — j'espère que non — mais je ne leur accorderais pas le mérite d'être très sophistiqués dans leur réflexion sur les conséquences économiques.

Bien sûr, il est vrai qu'après les attentats du 11 septembre, Oussama ben Laden a réclamé le mérite des grands dommages qui ont été causés, du moins temporairement, à l'économie américaine. Dans ce que nous connaissons de la planification d'Al-Qaïda avant les attentats du 11 septembre, je vois très peu d'indications que c'était effectivement son intention. Il croyait plutôt qu'il allait porté un coup tellement dur à la superpuissance américaine et ébranlé sa confiance en elle à un tel point qu'elle serait soudainement engagée sur une pente descendante, ce qui ouvrirait la voie à la réalisation des objectifs grandioses d'Al-Qaïda.

Le sénateur Dallaire : Les documents officiels renferment encore une politique de sécurité nationale qui remonte à 2004. Nous la devons à l'ancien régime. Toutefois, nous avons été bombardés de toute une série de nouvelles stratégies qui semblent très sectorielles. Cette semaine, c'est celle-ci, la semaine suivante, elle aura une autre saveur, et nous essaierons d'en trouver une autre en cours de route.

Nous nous attaquons à cette tâche encore et encore en mode d'urgence depuis 2001. Nous avons investi des milliards et nous tentons encore de mettre en place toute une série de lois et de stratégies différentes sans nous donner forcément une perspective stratégique plus globale de la façon dont le tout est censé fonctionner ensemble. À mon avis, cela comprendrait le travail de surveillance parlementaire et un conseiller en matière de sécurité nationale doté de pouvoirs.

Est-ce que l'un ou l'autre de vous messieurs constatez dans vos sphères de compétence qu'on se penche effectivement là-dessus? Voyez-vous quelqu'un dans ce gouvernement qui tente effectivement de le mettre sur pied à partir de cette grande vision stratégique, ou ont-ils demandé à quelqu'un à l'externe de s'en charger?

Nous nous plaisons toujours à dire que nous avons les « Five Eyes », ce que nous avions l'habitude de désigner du signe ABCA (Amérique, Grande-Bretagne, Canada, Australie) d'où je viens, et pourtant trois des « Five Eyes » l'ont fait. Donc, qu'attendons-nous? Pouvez-vous m'éclairer à ce sujet?

M. Roach : Je vous remercie de la question, sénateur Dallaire. J'étais plutôt partisan et je demeure plutôt partisan de la stratégie de 2004, peut-être davantage que mon collègue, M. Wark.

À ma connaissance, la stratégie de 2004 n'a pas été abolie dans les faits. Si vous consultez le site Internet de la Sécurité publique, la dernière fois que je l'ai fait, il y avait une mise à jour qui remontait à un an. Elle est encore là, mais il n'y a pas eu de mise à jour ni d'engagement visible à son égard. Je crois que c'est malheureux.

Lorsque j'ai analysée la stratégie de la sécurité nationale tous risques de 2004 dans une perspective internationale, elle était vraiment novatrice. Les Américains se sont engagés dans cette voie après l'ouragan Katrina et les Britanniques ont fait de même. En grande partie à cause de la crise du SRAS de 2003 à Toronto, je crois que nous étions un peu en avance. Je crois vraiment que la stratégie de 2004 est encore solide.

La plus récente stratégie de lutte contre le terrorisme que nous avons — je suis sûr que M. Wark pourrait en parler — est très influencée par la stratégie CONTEST britannique, une bonne stratégie ciblant explicitement le terrorisme.

En ce qui concerne la révision et la surveillance, je crois que nous devons revenir aux propositions relatives aux comités parlementaires et les combiner à la deuxième partie de la Commission Arar, ce que le gouvernement a rejeté une fois encore sans vraiment fournir d'explication. Si nous combinons ces deux documents, je crois que nous avons une grande partie des analyses dont nous avons besoin, nous devons simplement nous y mettre.

Comme M. Wark l'a dit, avec cette convergence d'événements, nous abolissons l'Inspectorat général, nous prenons beaucoup de temps pour remplacer le premier dirigeant du CSARS — nous avions présenté un projet de loi dans la dernière session — et la Commission d'examen des plaintes de la GRC est restée tristement loin de ce que le juge O'Connor avait recommandé dans la Commission Arar. Nous semblons être dans une conjoncture où la révision n'est pas une priorité. Je crois que c'est une erreur, et je le dis non seulement du point de vue des droits de la personne, mais je l'affirmerais également du point de vue de l'efficacité. Une révision efficace, en particulier au niveau parlementaire — à mon avis, lorsque les questions sont arrivées, les parlementaires avaient besoin de recevoir les matériaux bruts de ceux qui se trouvent peut-être plus près de la source.

Cette surveillance a vraiment pour objectif d'améliorer notre politique de sécurité, tant du point de vue de l'efficacité que du point de vue du bien-fondé ou des droits de la personne. Je crois que c'est d'être un peu myope que de ne pas formuler de stratégie intégrée qui prévoit un mécanisme de révision.

M. Wark : C'est une excellente question, sénateur Dallaire. J'ai une opinion légèrement moins favorable du contenu de la politique de sécurité nationale originale de 2004. Je faisais partie d'un petit groupe d'experts qu'on a réunis pour faire le tour de ce document avant sa publication. Je crois que la stratégie aurait pu être un examen beaucoup plus rigoureux et approfondi de la nature du contexte de la sécurité et donner aux Canadiens beaucoup plus d'information qu'elle ne l'a fait.

Néanmoins, j'ai applaudi à la double intention qui la sous-tendait : premièrement, éduquer les Canadiens sur la nature du contexte de la sécurité qui évoluait rapidement et deuxièmement, d'une certaine façon, donner des instructions à l'interne afin que le gouvernement dise comment il allait conjuguer ses différentes activités souvent disparates dans les domaines de la sécurité nationale et du renseignement et comment elles seraient intégrées. Différentes propositions étaient incorporées dans la politique de sécurité nationale.

En passant, je crois comprendre que la politique de sécurité nationale a été essentiellement arrêtée au sein du Bureau du Conseil privé. La politique elle-même était hébergée dans le site Internet du BCP et elle n'y apparaît plus. Elle flotte peut-être quelque part, mais le Bureau du Conseil privé l'a abandonnée.

J'aimerais beaucoup voir le gouvernement tenir la promesse qu'il a faite un jour, de mettre à jour et de réviser la Politique de sécurité nationale. Si je me souviens bien, cela faisait partie du programme de la campagne électorale. Le Parti conservateur avait dit qu'il le ferait. À ma connaissance, pendant un certain temps après 2004, il y a eu des discussions sur l'allure que prendrait un plan stratégique révisé, mais au meilleur de ma connaissance, cette tâche a été abandonnée en faveur de ces stratégies plus spécifiques, dont la stratégie de lutte contre le terrorisme et la stratégie des infrastructures essentielles.

Le sénateur Dallaire : C'était dans le discours du Trône de 2008. Je peux voir qu'on veut faire avancer les choses, mais avancer ces initiatives sans s'appuyer sur une philosophie globale rend toute l'affaire plutôt disparate, ce qui m'amène directement à la diaspora.

La diaspora grandissante provenant de différentes régions du monde, dont certaines sont encore en conflit et ont des conflits potentiels qui dépassent leurs frontières, nous amène à la question de savoir comment nous allons effectivement mettre en œuvre, par exemple, les nouveaux éléments de cette loi par rapport aux personnes qui voyagent et qui sont potentiellement appelées à aller chercher une formation ou quoi que ce soit dans ces terres lointaines.

Je me demande si nous incorporons des éléments dans cette loi qui ne pourront jamais être mis en œuvre ou qui pourraient être une source d'abus très graves des droits individuels, notamment le profilage racial dans certains domaines si des gens séjournent dans certains pays et ainsi de suite; et si vous croyez ou non, peu importe ce que nous avons entendu jusqu'ici, que les lois pour la protection des adolescents protégeront les mineurs lorsqu'ils font face à des accusations de terrorisme. Le mot « terrorisme » semble balancer beaucoup de choses par la fenêtre et je me demande si vous croyez que le projet de loi va effectivement maintenir sa position au sujet des mineurs.

M. Wark : Monsieur le président, je laisserais M. Roach répondre à la question sur la protection des adolescents parce qu'il connaît la loi mieux que moi et je reviendrai plus tard aux autres points.

M. Roach : Sénateur Dallaire, c'est une question importante et troublante. Je crois effectivement que le témoignage que vous avez entendu, c'est-à-dire, si je ne m'abuse, que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents aura préséance, est exact dans une certaine mesure. Cependant, je crois qu'il y a un risque qu'une peine disproportionnée soit infligée.

Sur la scène internationale, nous traînons le pas derrière beaucoup d'autres pays parce que notre politique officielle est « terroriste un jour, terroriste toujours ». C'est pourquoi les terroristes condamnés sont tous rassemblés dans l'Unité spéciale de détention, l'USD, à l'établissement Ste-Anne-des-Plaines, et c'est pourquoi les certificats de sécurité ont duré aussi longtemps.

Je crois que le problème d'un adolescent soulève un point dont nous devrions discuter de façon plus générale, c'est- à-dire la réadaptation. Dans des pays que j'ai visités, comme Singapour, dont personne ne dira que Singapour est mou à l'égard du terrorisme, ils prennent la réadaptation des terroristes très au sérieux, honnêtement parce qu'ils n'ont pas d'autre choix. Je crois que nous pouvons apprendre beaucoup de cet exemple.

Par rapport aux nouvelles infractions, il y a toujours un risque que l'infraction sera appliquée d'une façon disproportionnée ou discriminatoire. C'était l'une des raisons pour lesquelles je disais que l'adoption de ces infractions — trop souvent comme société, nous croyons qu'en adoptant une loi en matière criminelle, le problème est réglé. Ce n'est qu'une partie du processus.

Je crois que dans bon nombre de ces cas, il y aura des discussions de haut niveau entre la GRC et le SCRS au sujet de la pertinence de continuer à surveiller une personne donnée, peut-être à lui permettre d'aller en Somalie ou ailleurs, ou sur la pertinence de l'arrêter et d'essayer ensuite de la traduire en justice ici. Le projet de loi ne nous dit rien sur la façon dont ces décisions sont prises.

Le président : Monsieur Wark?

M. Wark : Pour revenir à l'objet de la loi, et je ne parle pas de la question de protéger des enfants et des adolescents délinquants, je crois que l'objet de la loi découle d'une menace concrète, bien que je ne croie pas qu'il s'agisse d'une menace galopante. Il y a des preuves sans équivoque qu'un petit nombre de Canadiens se sont montrés disposés à se faire recruter pour participer à des activités terroristes à l'étranger ou sont attirés par l'idée d'adhérer à un mouvement djihad et à s'engager dans une formation terroriste à l'étranger.

Je crois que, aux fins de la sécurité nationale du Canada, nous avons une responsabilité de surveiller et de contrôler ce processus, en ce sens qu'une fois formées et après avoir acquis plus d'expérience, ces personnes pourraient être accueillies au Canada et nous faire du tort. Cependant, il a aussi été dit que notre responsabilité découle des attentes raisonnables que nos alliés et d'autres pays de la communauté mondiale peuvent avoir à notre égard.

Dans la pratique, compte tenu que le critère sera de pouvoir prouver l'intention de voyager à l'étranger pour se livrer à des actes terroristes ou pour suivre une formation dans des camps, le critère relatif à la preuve que la Couronne devra présenter dans une affaire comme celle-ci sera élevé. C'est peut-être là où les observations de M. Roach au sujet des défis inhérents à la décision de poursuivre une enquête de renseignement ou d'intenter une poursuite et sur la façon de convertir le renseignement en preuve prennent tout leur sens.

J'ai l'impression que les poursuites aux termes de cette loi seront plutôt rares et qu'elles seront fondées sur une somme considérable de renseignements accumulés et il ne faudrait pas non plus oublier qu'elle a un effet de dissuasion légitime et des avantages en matière de sensibilisation du public. Elle envoie essentiellement un message à des groupes : vous n'allez probablement pas vous en tirer indemnes; ne vous laissez pas attirer parce que vous allez probablement faire face à de lourdes sanctions criminelles.

Le président : Il y a un rappel au Règlement?

Le sénateur Joyal : Je veux attirer votre attention, monsieur Wark, sur le fait que la semaine dernière, nous avons entendu le témoignage de M. Fadden. Il dit dans son mémoire, à la page 2, qu'au moins 45 Canadiens, sinon 60, ont quitté le Canada pour tenter de se rendre en Somalie ou en Afghanistan ou au Pakistan ou au Yémen pour participer à des camps de formation. Le nombre n'est pas négligeable, si j'ai bien compris le témoignage que nous avons entendu la semaine dernière.

M. Wark : Oui, je serais d'accord. Je suppose que le contrepied du verre à demi rempli est que 45 ou 60 n'est pas beaucoup comparativement à la taille du pays et de la population, mais peut-être que un est un de trop et que le projet de loi aura un certain effet à cet égard.

Le sénateur Andreychuk : J'aimerais obtenir une précision de M. Roach. J'ai lu bon nombre de ses articles et il a déjà témoigné.

Vous parliez de Singapour. Nous parlions d'adolescents et vous avez dit que Singapour fonde beaucoup d'espoir dans la réadaptation. Cela m'apparaît plutôt curieux. Dites-vous que le processus pour les délinquants juvéniles à Singapour est meilleur que celui prévu dans la Loi sur les jeunes délinquants comme on l'appelait à l'époque, la Loi sur les jeunes contrevenants, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, mise à part la possibilité de déposer une accusation devant un tribunal pour adultes ici au Canada, une possibilité qui existe ailleurs si je comprends bien?

M. Roach : Merci de me donner l'occasion de me sortir un peu de ce trou.

Il y a quelques années, j'enseignais à Singapour avec ma famille et j'ai assuré mes filles adolescentes qu'elles ne subiraient pas la bastonnade ou quoi que ce soit du genre. Je veux simplement dire que les personnes détenues en application de la Loi sur la sécurité intérieure de Singapour — que je n'appuie évidemment pas, et même la Malaisie essaie de se débarrasser de sa Loi sur la sécurité intérieure — ils ont des mesures de réadaptation à l'intérieur même de la communauté musulmane de Singapour, non seulement pour l'adulte détenu mais pour la famille tout entière et je crois que nous pouvons en tirer une leçon.

Je ne dis pas que nous pouvons simplement prendre un modèle de réadaptation et le mettre en œuvre, qu'il vienne de Singapour ou d'Arabie saoudite ou d'ailleurs. Il doit bien sûr être conçu au Canada, mais je crois que nous devons réfléchir à ce processus de radicalisation, parce que c'est ce dont il s'agit. Il ne faut pas forcément avoir un processus permanent parce qu'il peut y avoir un processus de déradicalisation et d'éducation.

À ma connaissance, les autorités de Singapour ont conclu que les membres de la communauté musulmane eux- mêmes sont les mieux placés pour dire à d'autres musulmans : un instant, vous pouvez croire que c'est ce que l'Islam enseigne, mais laissez-moi vous dire que l'Islam enseigne vraiment la paix et la charité.

Je n'ai pas de solutions simples et c'est difficile à comprendre pour des sociétés occidentales où nous avons tendance à vouloir séparer, pour des raisons valables, l'Église et l'État, mais je crois que des questions de réadaptation entrent en jeu. Honnêtement, nous avons si peu de gens en prison que nous pouvons fermer les yeux sur ce problème, mais un jour, même les personnes incarcérées seront remises en liberté et je crois que les démocraties occidentales devront composer avec la réadaptation, sinon aujourd'hui, alors dans 10 ans d'ici.

Le sénateur Andreychuk : Monsieur le président, je conviens qu'il faut penser à la réadaptation des personnes placées sous garde. Je me demande si dans notre système canadien ou dans notre société occidentale, nous pourrions étendre notre intervention aux familles pour les réadapter, si elles ne sont ni traduites en justice ni soupçonnées de quoi que ce soit et ce serait, à mon avis, une chose très choquante à faire, d'encapsuler toute une famille pour le geste posé par un de ses membres.

Le sénateur Day : Vous pensez à un modèle obligatoire plutôt que volontaire.

Le sénateur Andreychuk : Nous avons beaucoup de services volontaires au Canada.

M. Roach : C'est un bon point, c'est vrai.

Le président : Nous en sommes à la deuxième série pour la dernière question du sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : Monsieur Wark, vous avez mentionné dans votre déclaration les annonces ou la politique officielle par rapport à l'utilisation de renseignements obtenus sous la torture. Aimeriez-vous nous parler un peu plus de votre position sur le sujet?

M. Wark : Je pourrais peut-être au moins commencer à le faire. C'est une question complexe, mais je renverrai d'abord aux directives ministérielles qui ont été récemment publiées ou qu'on a récemment reconnu avoir données au SCRS à cet égard, ou j'essaierai d'abord d'expliquer ce que j'ai voulu dire lorsque j'ai fait remarquer que ces directives donnaient l'impression d'un désintérêt de la part du gouvernement, ou du ministre, pour la responsabilisation. Si vous prenez en particulier la dernière version de la directive ministérielle sur le traitement de renseignements possiblement obtenus sous la torture, elle dit essentiellement que le ministre est heureux de laisser la direction du SCRS, son directeur des opérations, voire le directeur adjoint des opérations du SCRS prendre ces décisions délicates et cette directive ministérielle n'exige d'aucune façon que le ministre participe obligatoirement à ces décisions ou en soit informé.

Compte tenu de notre douloureuse expérience dans certains dossiers, où nous avons été soit potentiellement complices du traitement réservé à des Canadiens à l'étranger à cause de cas de torture où nous avons appris que des citoyens canadiens avaient été torturés à cause d'allégations pesant contre eux, c'est une question que tout ministre devrait prendre extrêmement au sérieux et qui ne devrait pas être l'objet d'une décision de laisser simplement la direction du SCRS prendre ces décisions sans l'intervention du ministre. Ce n'est pas ce que disaient les directives ministérielles précédentes et c'est de fait contraire aux annonces précédentes du gouvernement concernant la façon dont ils traiteraient les renseignements de cette nature. J'ai soulevé ce point parce qu'à mon avis, il s'agit d'un repli inquiétant de la responsabilité ministérielle sur cette question particulièrement délicate.

Il y a beaucoup d'autres enjeux complexes entourant la façon de traiter le renseignement obtenu sous la torture. Ce sera peut-être un sujet pour un autre jour.

Le sénateur Joyal : Voulez-vous commenter, monsieur Roach?

M. Roach : J'ajouterais seulement que l'abolition du Bureau de l'inspecteur général élimine une autre garantie. Comme M. Wark le dit, rien dans la directive ministérielle ne ramène la décision sur le bureau du ministre. Elle ne dit pas qu'il faut alerter le CSARS. Je suppose que le chien de garde que nous aurions dans l'éventualité de l'inobservation de la directive ministérielle a été éliminé. De fait, je n'approuve pas la directive ministérielle comme politique, mais elle existe. Désormais, nous n'aurons même pas de rapport de l'inspecteur général. Cela m'apparaît très inquiétant.

Le président : Je dois dire que selon mon interprétation, la directive ministérielle ne visait pas à encourager, à anticiper ni même à indiquer la pertinence ou l'accessibilité de l'information ou des éléments de preuve obtenus par l'utilisation de ce que nous pourrions tous considérer comme des moyens inappropriés.

L'interprétation que j'en fais, c'est que lorsque le SCRS a en sa possession des renseignements, provenant peut-être d'autres gouvernements dans d'autres juridictions, des renseignements qui peuvent ou non avoir été obtenus de cette façon, qu'il ne fallait pas rejeter à prime abord la véracité de ces renseignements simplement à cause de ce qui peut avoir été sa source potentielle par rapport à cette autre question. Je n'y ai pas vu une quelconque forme de permission explicite donnée au SCRS de se livrer à la torture. De fait, il m'apparaissait que le gouvernement disait très clairement qu'il n'autorisait pas ni ne permettait ce genre d'activité par des agences du renseignement ou d'application de la loi canadiennes, mais cela découle peut-être d'une interprétation indûment optimiste de ma part.

M. Wark : Si je peux me permettre de commenter, je ne suis pas contre cette interprétation du tout et il y a un passage dans les directives ministérielles qui indique que le gouvernement a l'intention de respecter les obligations que lui confère le droit intérieur et international, en particulier les conventions sur la torture.

Ma préoccupation à cet égard, une préoccupation que M. Roach partage je pense, c'est qu'il n'y a pas d'exigence relative à la participation du ministre au processus décisionnel sur la façon dont le renseignement sera utilisé, lorsqu'il y a plus de 50 p. 100 des chances qu'il a été obtenu sous la torture. C'est très malheureux de désengager le ministre de cette décision stratégique délicate et cela permet d'en faire simplement une question dont la direction du SCRS devra se charger.

Le président : Nous en avons pris bonne note.

Au nom du comité, je veux exprimer nos profonds remerciements à MM. Wark et Roach. Vous êtes tous deux venus témoigner à plusieurs reprises devant nous depuis plusieurs années. Vos avis ont toujours été clairs, constructifs, mesurés et justes. Nous nous en sommes inspirés pour formuler bon nombre de nos recommandations. Ce n'est pas votre faute si nos recommandations n'ont pas toutes été approuvées, mais d'autres recommandations l'ont été et nous sommes heureux d'en partager le mérite avec vous et de vous exprimer nos profonds remerciements pour votre présence et votre aide aujourd'hui. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)


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