Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones
Fascicule 2 - Témoignages du 5 octobre 2011
OTTAWA, le mercredi 5 octobre 2011
Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 18 h 48, pour examiner les responsabilités constitutionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada (sujet : questions concernant l'éducation des Premières nations).
Le sénateur Gerry St. Germain (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Chers collègues, nous sommes rappelés au Sénat ce soir, alors nous allons commencer immédiatement.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les honorables sénateurs et aux membres du public qui regardent la présente séance du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones. Ils regarderont la séance sur CPAC ou sur le web. Je m'appelle Gerry St. Germain, je viens de la Colombie-Britannique et j'ai l'honneur de présider le comité.
Notre comité a pour mandat d'examiner les mesures législatives et les questions relatives aux peuples autochtones du Canada en général. Dans le cadre de ce mandat, nous avons entrepris une étude sur les stratégies possibles de réforme de l'enseignement primaire et secondaire dans les Premières nations en vue d'améliorer les résultats scolaires.
L'étude porte notamment sur les ententes tripartites sur l'éducation, les structures de gouvernance et de prestation des services et les cadres législatifs possibles.
Ce soir, contrairement aux autres réunions, nous n'allons entendre qu'un seul témoin, la représentante d'Inuit Tapiriit Kanatami. Comme le régime inuit diffère grandement des régimes des Premières nations, cela va nous permettre de nous concentrer ce soir exclusivement sur l'expérience vécue par les Inuits.
Un sommet national sur l'éducation inuite tenu en 2008 à Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest, a donné lieu à la création d'un Accord sur l'éducation des Inuits. Cet accord, signé par les gouvernements et les organismes inuits nationaux et régionaux, prévoyait l'établissement du Comité national sur l'éducation des Inuits, chargé d'examiner les sept thèmes déterminés dans l'accord : l'éducation bilingue, la mobilisation des parents, un programme d'étude pour Inuits, la réussite postsecondaire, l'édification des capacités, la collecte et le partage de l'information et l'éducation de la première enfance.
Nous avons hâte d'entendre notre témoin de ce soir, qui pourra nous donner plus de détails là-dessus.
[Français]
Avant d'entendre notre témoin, je voudrais vous présenter les membres du comité présents ce soir.
[Traduction]
À ma gauche se trouve le sénateur Moore, de la Nouvelle-Écosse; à côté de lui se trouve le sénateur Dyck, la vice- présidente du comité, et elle vient de la Saskatchewan; à côté du sénateur Dyck se trouve le sénateur McCoy, de l'Alberta; à côté du sénateur McCoy, il y a le sénateur Sibbeston, des Territoires du Nord-Ouest. À ma droite se trouve le sénateur Stratton, du Manitoba; à côté du sénateur Stratton, c'est le sénateur Ataullahjan, de l'Ontario; à côté du sénateur Ataullahjan, il y a le sénateur Nancy Ruth, qui vient également de l'Ontario; à côté d'elle se trouve le sénateur Patterson, du Nunavut.
Mesdames et messieurs les membres du comité, permettez-moi de souhaiter la bienvenue à notre témoin de ce soir, qui est Mary Simon, présidente de l'ITK.
Bienvenue, madame Simon. Je suis heureux de vous revoir. J'espère que nous allons avoir le temps de vous poser quelques questions très pertinentes. Sans plus attendre, je vous cède la parole. Voulez-vous commencer, s'il vous plaît?
Mary Simon, présidente, Inuit Tapiriit Kanatami :
[Le témoin s'exprime dans sa langue maternelle.]
Merci beaucoup, sénateur St. Germain, de m'avoir invitée ici aujourd'hui pour parler de l'un des enjeux les plus importants auxquels nous faisons face en ce moment. J'aimerais remercier les autres sénateurs de m'avoir offert l'occasion de m'adresser à eux ce soir.
Je suis vraiment honorée de participer au débat de ce soir sur l'éducation. Je vais essayer de garder le plus de temps possible pour la période de questions, parce que c'est pendant celle-ci que les choses intéressantes se disent habituellement de toute façon.
En 2008, le 12 juin, j'ai comparu devant le Sénat à la suite d'un événement extraordinaire dans l'histoire du Canada : les excuses présentées par le premier ministre aux anciens élèves des pensionnats indiens. Je croyais à l'époque, et je le crois encore, que la voie à suivre après ses excuses est celle de mesures de réconciliation réfléchies et délibérées, de mesures et d'investissements stratégiques novateurs et d'un programme d'éducation visant directement l'amélioration des résultats. Permettez-moi de vous dire ce qui s'est passé au cours des trois années qui se sont écoulées depuis la comparution devant le Sénat ce jour-là.
Comme bon nombre d'entre vous le savez, il y a quatre mois seulement, sur la Colline du Parlement, nous avons publié le document que vous avez devant vous, qui est la toute première Stratégie nationale sur la scolarisation des Inuits. Le titre du document, Les premiers Canadiens, Canadiens d'abord: La Stratégie nationale sur la scolarisation des Inuits est d'un de mes amis qui est aujourd'hui décédé, Jose Kusugak.
Notre processus de collecte de renseignements ressemblait beaucoup au travail du comité. Nous avons consulté les rapports sur l'amélioration des résultats en matière d'éducation. Nous avons commandé une série d'examens de documents portant sur différents thèmes liés à l'éducation des Inuits, et plus de 300 documents publiés ont été examinés au total. Nous avons invité des témoins experts à s'adresser aux membres de notre comité. Nous avons fait un tour d'horizon des ressources existantes pour repérer les lacunes dans notre système d'éducation.
Comme le sénateur St. Germain l'a mentionné, l'éducation est différente chez les Inuits de ce qu'elle est chez les Premières nations à un certain nombre d'égards, mais surtout du point de vue de la gouvernance. Nos systèmes d'éducation englobent deux provinces, le Québec et Terre-Neuve-et-Labrador, ainsi que deux territoires, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut.
Le système scolaire des quatre régions est un système public, qui est assujetti aux lois provinciales ou territoriales. Là où il y a des similitudes avec les systèmes d'éducation des Premières nations, c'est à l'égard des politiques. Dans les quatre régions, les Inuits sont en train de déconstruire les politiques qui ont été mises en place à l'époque des pensionnats et d'établir de nouvelles politiques axées sur les Inuits. Les systèmes d'éducation font l'objet non pas de rajustements, mais bien d'une refonte complète.
Nous nous appuyons sur ce travail pour définir pour la première fois une vision nationale de la scolarisation des Inuits. Vous la trouverez à la page 20 du document de la stratégie qui vous a été remis, et à la page 70 du document original. Cette vision parle directement de notre désir de nous doter d'un système d'éducation qui reflète notre culture et notre vision du monde, et, surtout, qui redonne un rôle prépondérant à la langue des Inuits dans notre vie.
Nous voulons que nos écoles remettent des diplômes à des étudiants qui maîtrisent la langue des Inuits et une des deux langues officielles du Canada; nous voulons que ceux-ci aient confiance en leur culture; nous voulons qu'ils soient en mesure d'apporter une contribution à leur collectivité, à leur pays et au-delà des frontières.
Notre travail découle de trois problèmes fondamentaux et qu'il est urgent de régler. Premièrement, nous sommes aux prises avec un problème de décrochage. Plus de 75 p. 100 des étudiants inuits qui commencent l'école ne terminent pas leurs études secondaires.
Deuxièmement, nous avons un problème de normes. Bon nombre des étudiants qui n'obtiennent pas leur diplôme d'études secondaires n'ont pas une éducation équivalente à celle des étudiants du Sud du pays.
Enfin, il y a un problème d'offre et de demande au sein de notre économie nordique. Il n'y a pas assez d'Inuits scolarisés à même de saisir les nouvelles occasions qu'offrent les ressources extraordinaires qui existent dans l'Arctique, et ce manque à gagner ne peut tout simplement pas être comblé grâce à la formation.
La stratégie contient 10 recommandations qui représentent les lacunes existantes dans les quatre régions inuites. Vous trouverez un résumé de ces 10 aspects prépondérants à la page 23, et à la page 73 du document original.
Nous avons choisi à partir de ces 10 aspects prépondérants trois domaines de priorité.
Ça commence par les parents. Nos systèmes d'éducation émergent à peine de la longue période noire des pensionnats, et il y a chez nous plusieurs générations de parents dont la foi envers le système scolaire a été très ébranlée par les expériences vécues au cours de leur jeunesse. Nous devons établir un lien avec ces parents qui refusent de jouer un rôle actif à l'égard de l'éducation de leurs enfants.
Notre deuxième domaine de priorité, c'est l'investissement dans la petite enfance. Il y a de très bons documents de recherche sur le rôle qu'une bonne éducation au cours de la petite enfance joue dans la préparation des enfants pour l'école et sur la contribution de cette éducation à leur réussite par la suite.
La troisième priorité tient à la nécessité de surveiller nos progrès. Imaginez ce que c'est d'être un parent et de ne pas savoir comment l'éducation que reçoit votre enfant se compare à celle qu'il pourrait recevoir ailleurs au Canada, et imaginez ensuite qu'on vous dit qu'il y a très peu de données pouvant servir à vous expliquer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas.
Ce que les données de Statistique Canada confirment, c'est que les Inuits forment une population qui est très jeune. Les tendances démographiques sont chez nous contraires à celles qu'on retrouve ailleurs au pays. L'éducation doit donc être la priorité de collectivités qui comptent tant de jeunes.
Certains d'entre vous se demandent peut-être s'il ne devait pas incomber aux provinces et territoires de régler ce problème. J'ai deux choses à dire là-dessus.
Premièrement, quand je voyage au pays et que je discute avec les Canadiens, je suis très encouragée par le degré de soutien que je reçois lorsque je parle d'améliorer les résultats en matière d'éducation des Inuits. Je pense que les Canadiens croient que nous avons l'obligation morale d'améliorer le dossier de notre pays en matière d'éducation des Autochtones.
L'hypothèse de base dans notre pays, c'est que l'éducation offre aux citoyens les outils dont ils ont besoin pour contribuer à la prospérité du pays. Ainsi, s'il y a des segments de la population canadienne où la réussite scolaire est de loin inférieure à la moyenne nationale, n'est-il pas dans l'intérêt du pays de diriger les efforts et les ressources pour modifier cette situation, pour accroître la prospérité du pays?
Deuxièmement, il incombe au gouvernement fédéral de corriger le résultat de politiques en matière d'éducation vouées à l'échec qui ont été en vigueur pendant des décennies. Le gouvernement du Canada a l'expertise ainsi que la capacité de combler certaines des lacunes décrites dans la stratégie, et en particulier les suivantes : accroître l'accès à une éducation de qualité au cours de la petite enfance; accroître l'accès aux services offerts aux étudiants ayant des besoins spéciaux; accroître le taux de réussite des études postsecondaires; établir une université dans l'Arctique; et renforcer notre capacité de recherche et de surveillance.
Nous n'avons pas besoin de lutter pour nous approprier le champ de compétence. Après tout, le gouvernement du Canada a été un partenaire dans l'élaboration de la stratégie. Il s'agit de travailler ensemble à la mise au point de mesures délibérées de réconciliation qui vont transformer notre système d'éducation.
L'une des choses nouvelles qu'on remarque depuis que le premier ministre a présenté des excuses, c'est le nombre de dialogues qui ont été entamés à l'échelle nationale sur le sujet de l'éducation des Autochtones. Les ministres des Affaires autochtones en ont fait une priorité; le Conseil des ministres de l'Éducation en a fait une priorité; les premiers ministres du Canada ont demandé la tenue d'une rencontre des premiers ministres sur le thème de l'éducation des Autochtones; et, bien entendu, vous avez inscrit ce thème comme premier point à votre ordre du jour aujourd'hui.
Ces nouveautés m'encouragent, parce qu'elles me donnent à penser que les Canadiens reconnaissent le fait que nous avons tous un rôle à jouer pour relever ce qu'on décrit comme étant « le plus important défi de notre époque sur le plan des politiques sociales ».
Le comité sénatorial a lui aussi un rôle à jouer. Je sais que vous vous penchez actuellement sur l'éducation des Premières nations. Je vous demanderais humblement d'envisager d'élargir la portée de votre étude pour inclure un examen du développement de l'éducation dans l'Arctique.
Vous aurez pris connaissance de certains des problèmes d'éducation auxquels font face les Autochtones du Canada dans le cadre de vos travaux actuels, et vous aurez en main notre stratégie rédigée par les Inuits et pour les Inuits. Ces deux outils vous fourniront beaucoup d'information pour orienter un examen de la façon dont le Canada peut exercer une influence positive sur le développement de l'éducation dans l'Arctique.
Lorsque j'ai fait mes premiers pas en politique dans les années 1970, les Inuits se préparaient à négocier leurs revendications territoriales. Aujourd'hui, toutes nos revendications territoriales sont réglées. Nous avons montré que nous sommes capables de mettre en application de grandes idées.
Je crois que nous devons maintenant porter notre attention sur l'amélioration de la santé de nos familles et de nos collectivités grâce à l'amélioration des résultats en matière d'éducation. Nous devons trouver la voie qui nous mènera à la prospérité et à des collectivités saines par l'éducation.
Je vous remercie de m'avoir accordé le temps de présenter cet exposé, et je serai heureuse de répondre à toutes vos questions.
Le président : Merci beaucoup, madame la présidente.
Ma compétente collègue de la Bibliothèque du Parlement veut que je pose une question. Je ne veux induire personne en erreur.
Le rapport intitulé Les premiers Canadiens, Canadiens d'abord : La Stratégie nationale sur la scolarisation des Inuits a été publiée le 16 juin 2011. Point culminant de deux ans de travail intense du Comité national sur l'éducation des Inuits (CNEI), le rapport contient 10 recommandations pour faire en sorte que plus d'élèves inuits obtiennent un diplôme et pour transformer les programmes de la petite enfance, ceux de la maternelle à la 12e année et ceux de l'éducation postsecondaire dans les quatre régions inuites du Canada. Les recommandations clés proposent notamment de créer un système d'études inuit bilingue
Pouvez-vous nous dire, madame la présidente, quelles sont les discussions en cours, le cas échéant, avec les gouvernements fédéral, territoriaux et provinciaux pour mettre ces recommandations en œuvre?
Mme Simon : Merci beaucoup de votre question.
Nous avons tenu des discussions, mais pas encore de réunions officielles en personne. Cet automne je prévois commencer à me rendre dans chacune des capitales et rencontrer les dirigeants qui ont signé l'accord, comme je l'ai fait avant le lancement. Je suis allée parler avec chacun des dirigeants avant que nous lancions la stratégie.
Maintenant que nous avons terminé ce travail et que nous commençons la mise en œuvre et la détermination des ressources nécessaires pour mettre en œuvre ces stratégies, nous espérons arriver à mettre en place un autre processus qui ferait intervenir un représentant de chacune de ces mêmes régions, ainsi que moi-même qui m'adresserai directement aux dirigeants qui ont signé l'accord.
Le sénateur Stratton : Bienvenue. Je suis ici comme remplaçant. J'ai déjà siégé au comité, mais il y a longtemps. Peut-être que vous pourriez me donner et donner aux téléspectateurs quelques renseignements de base sur vous-même, parce que ça n'a pas été fait tout à l'heure. J'aimerais beaucoup que vous me parliez un peu de vous.
Mme Simon : Merci, sénateur Stratton.
Je m'appelle Mary Simon, et je viens d'une collectivité qui s'appelle Kuujjuaq, située au Nunavut, dans le Nord du Québec qu'on appelle le plus souvent le Nord du Québec. Il y a des années, on appelait cet endroit Fort Chimo. C'était une base militaire. Je suis née dans une petite collectivité de la côte de l'Ungava appelée Kangiqsualujjuaq.
À l'époque où je fréquentais l'école, nous ne pouvions le faire que jusqu'en sixième année dans le Nord. C'était le degré de scolarité le plus élevé qu'il était possible d'atteindre lorsque j'étais petite.
En raison de la situation pendant toute cette période, nous avons reçu notre éducation principalement de mon père, qui commandait des cours par correspondance et nous enseignait. Même si la Loi sur les Indiens n'était pas censée s'appliquer aux Inuits parce que nous ne vivons pas dans des réserves, elle était appliquée de façon discriminatoire à différents endroits. Comme notre famille était grande, l'administrateur en poste à l'époque a décidé que nous n'étions pas admissibles à l'éducation dans le cadre du régime fédéral. Ainsi, nous n'avons eu d'autre choix que de recevoir l'enseignement de mon père. C'est ainsi que j'ai fait mes études.
J'ai travaillé dans de nombreux domaines, surtout dans celui de l'évolution politique et de l'élaboration des politiques. J'ai été élue depuis l'âge de 28 ans au sein de différentes organisations, notamment la Société Makivik. J'ai été ambassadrice aux Affaires circumpolaires pendant 10 ans, et j'ai également été ambassadrice du Canada au Danemark pendant un certain temps.
En outre, j'ai été présidente du Conseil circumpolaire inuit pendant six ans, et mon poste actuel est celui de présidente d'Inuit Tapiriit Kanatami, qui est une organisation nationale inuite représentant les Inuits du Canada. Je fais partie de cette organisation depuis six ans.
Le sénateur Stratton : Votre parcours est remarquable, et votre père a beaucoup de mérite.
Vous êtes active en politique depuis un bon moment. Avez-vous participé à des consultations provinciales ou territoriales sur l'éducation à un moment donné?
Mme Simon : Oui. En fait, lorsque je vivais encore au Québec, j'ai fait du travail lié à l'éducation pendant deux ans, et j'ai participé à beaucoup de consultations entre les Inuits du Nunavut et le gouvernement du Québec. Pendant notre travail sur la stratégie nationale ici, après les excuses du premier ministre, j'ai parcouru le Nord d'est en ouest et j'ai rencontré les différents dirigeants, enseignants et éducateurs. Nous avons également tenu un sommet sur l'éducation à Inuvik dans le cadre duquel Michaëlle Jean, qui était encore gouverneure générale à l'époque, a participé à la séance de trois jours. Nous avons demandé à des éducateurs de participer à ce sommet. Une bonne partie de l'orientation de ce travail est venue de ce symposium tenu à Inuvik. Elle est venue en grande partie des éducateurs qui étaient là-bas. Le travail est très enraciné dans le système d'éducation des quatre régions inuites.
Le sénateur Stratton : C'est la voie de l'avenir. Êtes-vous optimiste au sujet de l'avenir des jeunes?
Mme Simon : Eh bien, je l'espère. Je suis une optimiste. Nous faisons face à de nombreux défis. Si vous avez lu tout le document, je pense que ce document en tant que tel raconte une histoire.
L'une des choses qu'il faut vraiment que nous fassions, et c'est vraiment une décision difficile à prendre, mais il va falloir qu'elle soit prise, c'est que si nous voulons continuer à assurer la vigueur de notre langue, il faut l'enseigner dans les écoles et commencer à un jeune âge. Il faut qu'elle soit parlée à la maison. Il s'agit d'un processus comportant plusieurs degrés.
Pour l'enseigner dans les écoles, nous devons normaliser notre système d'écriture. Et pour normaliser notre système d'écriture, il faut que les dirigeants et les intervenants politiques du Nord fassent des choix difficiles au cours des mois ou des années qui viennent. Si nous arrivons à surmonter cet obstacle, le travail en tant que tel sera plus facile, parce qu'on travaillera ensemble à un objectif commun. En ce moment, par exemple, on ne parle plus beaucoup l'inuktitut dans deux de nos régions, mais il y a encore de l'espoir, parce que, tant que les gens parlent encore la langue, on peut toujours la rétablir.
Le sénateur Stratton : Oui. Merci beaucoup. J'ai trouvé ça fascinant.
Le président : Je m'excuse de ne pas avoir fourni une meilleure description, mais la réputation et le succès de Mme Simon la précèdent. C'est la raison pour laquelle j'ai fait preuve de négligence en ne présentant pas mieux notre témoin de ce soir.
Le sénateur Patterson :
[Le sénateur s'exprime dans une langue autochtone.]
Je tiens à vous féliciter du travail que vous avez fait. Il est très ambitieux de s'adresser à l'ensemble des Inuits, d'aborder toutes les régions inuites du Canada qui, comme les sénateurs le savent, vont de la partie la plus occidentale des Territoires du Nord-Ouest jusqu'au Labrador, au Nunatsiavut et à l'Est. J'aimerais poser quelques autres questions au sujet des prochaines étapes auxquelles notre président a fait allusion.
Nous avons été aux prises, au sein de notre comité, avec la question de la participation exclusive ou non des provinces, ou, d'après certains, du gouvernement fédéral aux affaires des Premières nations. D'après ce que je comprends, vos plans de mise en œuvre de la stratégie en question supposeraient la participation du gouvernement fédéral et des ministères provinciaux et territoriaux de l'Éducation. C'est vraiment une entente de collaboration.
Pouvez-vous préciser un peu la façon dont vous envisagez l'application de la stratégie et comment vous comptez réunir les gouvernements et les Inuits?
Mme Simon : Oui, je peux le faire. Les prochaines étapes qui ont fait l'objet de discussions jusqu'à maintenant sont que nous aimerions établir un centre national d'éducation des Inuits au sein de l'ITK. Ce serait un très petit centre, peut-être qu'il y aurait deux personnes qui en assureraient la coordination. Nous avons besoin d'un organe de supervision de la mise en œuvre du rapport, et l'ITK, à titre d'organisation nationale, serait la mieux placée pour le faire.
Une partie des prochaines étapes consisterait en la mise sur pied d'un autre comité, un comité national comme celui que nous avions lorsque nous avons élaboré la stratégie en tant que telle. Cela pourrait très bien être les mêmes personnes, ou encore de nouvelles personnes, mais ça dépendrait du choix par les régions elles-mêmes de leur représentant. Les représentants travailleraient avec l'ITK et commenceraient à analyser les 10 recommandations concernant la façon dont elles vont être appliquées et les sommes d'argent qui vont être nécessaires pour les appliquer. L'application de toutes les recommandations ne se fera pas en même temps; nous allons avoir des objectifs à court terme, des objectifs à moyen terme et des objectifs à long terme, selon la recommandation.
Les principales priorités recommandées à l'heure actuelle par les quatre régions inuites, par exemple, sont le développement de la petite enfance, la mobilisation et l'engagement des parents, la détermination des lacunes et l'accroissement de la recherche. Ces objectifs font partie des premiers objectifs à court terme. Nous devons commencer à faire le travail d'analyse des chiffres et de la stratégie quant à la façon dont cela va se passer.
Nous espérons que le comité national sera mis en place assez rapidement, et, à partir de là, j'ai déjà travaillé pendant tout l'été avec Udloriak Hanson, qui travaille maintenant pour l'ITK. Nous avons travaillé avec le secteur privé, parce que, lorsqu'on envisage la somme d'argent qui va être nécessaire pour mettre en œuvre les 10 recommandations, le gouvernement fédéral nous a dit dès le départ — il prend part au processus; il a signé lui aussi — qu'il n'est pas le seul qui devrait financer la stratégie. Ce doit être une approche de partenariat avec le gouvernement provincial, les gouvernements territoriaux, le gouvernement fédéral et les partenaires inuits. Nous avons travaillé avec les organisations de revendications territoriales pour qu'elles contribuent elles aussi aux travaux du comité, pour ce qui est non seulement de payer pour les membres du comité, mais également de payer pour la mise en œuvre des recommandations.
Nous avons travaillé avec le secteur privé à Toronto. J'ai tenu une table ronde avec 10 PDG de Toronto en juin ou en juillet. Nous avons fait des appels et tenu des conversations de suivi, et nous commençons à recueillir des dons — des dons importants, pourrais-je ajouter — du secteur privé.
En procédant ainsi, à chaque fois que je parle avec des représentants du gouvernement fédéral, ils me disent : « Si vous pouvez nous démontrer que d'autres gens se sont engagés à l'égard de ce que vous faites et que d'autres gens fournissent de l'argent, nous allons examiner ce que vous faites et nous allons contribuer. » Parfois, ils vont même jusqu'à dire : « Nous allons vous offrir un financement égal à celui que vous obtiendrez du secteur privé. »
Nous espérons que cela va avoir un effet de multiplication et que nous n'aurons donc pas à dépendre entièrement des sources gouvernementales pour financer nos systèmes scolaires.
L'autre aspect qui commence seulement maintenant à faire l'objet de discussions est ressorti de la conférence sur le développement des ressources à l'échelle internationale que nous avons tenue cet hiver. Il y a un passage dans la déclaration sur le développement des ressources qui est un appel à la création d'un fonds pour l'éducation. Chaque fois qu'un promoteur et une société d'affaires inuite ou une organisation de revendications territoriales négocient une entente avec un constructeur, un accord qu'ils concluent relativement au projet, pas seulement concernant le partage des recettes ou les emplois et la formation, nous voulons qu'ils réservent un certain pourcentage de l'argent des redevances pour un fonds d'éducation pour les Inuits. Cela pourrait prendre de l'expansion aussi.
Nous envisageons différentes options pour la mise en œuvre. Nous essayons de mettre fin au statu quo. Nous essayons de sortir des sentiers battus et de trouver d'autres façons de procéder. L'ancien système est comme le gouvernement fédéral, c'est-à-dire que les gouvernements doivent payer pour l'éducation. Aujourd'hui, beaucoup d'organisations du secteur privé contribuent aux programmes de formation, aux fonds pour l'éducation et ainsi de suite. Il n'y a aucune raison pour nous de ne pas puiser à cette source aussi, parce que le développement dont les gens parlent à l'heure actuelle se passe vraiment dans le Nord.
Le sénateur Patterson : Votre réponse m'éclaire beaucoup. Pour le compte rendu, nous devrions poser la question suivante : est-ce que c'est le gouvernement fédéral qui a financé la majeure partie du travail que vous avez fait dans le cadre de la stratégie pour l'éducation des Inuits?
Mme Simon : Il n'était pas le seul, non. Il a contribué dans le cadre du Secrétariat des relations avec les Inuits, et la participation des régions inuites a été payée par les régions elles-mêmes. Les réunions du comité étaient une responsabilité partagée. Le gouvernement fédéral nous a beaucoup aidés pour ce qui est des réunions en tant que telles. Tenir des réunions ici, à Ottawa, pendant trois jours, coûte cher. Le gouvernement nous a beaucoup aidés à cet égard, mais les régions ont aussi fourni une somme d'argent importante.
Le sénateur Patterson : Pouvez-vous parler un peu des plans des ministres provinciaux à l'égard de rencontres sur le thème de l'éducation des Autochtones, s'il vous plaît? Vous avez mentionné cela.
Mme Simon : Ils ont participé aux réunions du comité. En fait, ce sont les gouvernements du Québec et de Terre- Neuve qui font partie de notre groupe, vu que des Inuits vivent dans le Nord du Québec et au Labrador.
Le gouvernement du Québec, par exemple, collabore avec la Commission scolaire Kativik. La façon dont les représentants du gouvernement ont procédé est assez intéressante. Ils vont le faire dans le cadre du processus budgétaire normal. Une fois que nous aurons élaboré les plans de mise en œuvre et déterminé la somme nécessaire pour combler une lacune dans le système d'éducation ou pour commencer à mettre au point davantage de programmes d'étude, l'une des façons de faire dont ils ont parlé, c'est qu'ils demanderaient à la Commission scolaire Kativik de cerner un domaine et majoreraient les sommes prévues dans le budget à cet égard, plutôt que de demander une contribution spéciale. Ça pourrait devenir une partie du processus budgétaire dans certains cas. Ce serait le cas pour le Québec.
Les représentants de Terre-Neuve ne nous ont pas expliqué clairement comment ils procéderaient, mais ils ont pris part très activement aux réunions. Ils n'ont pas raté une seule réunion.
Le sénateur Dyck : J'essaie de démêler dans ma tête le type de structures de gouvernance, parce que la situation que vous décrivez, évidemment, est différente de ce qu'elle est dans les autres provinces qui s'occupent des Premières nations dans les réserves et à l'extérieur de ceux-ci et des complications que cela engendre.
L'ITK, d'après l'information que nous avons, est une organisation nationale de défense des droits. Je me demande quelle est la relation que l'organisation entretient avec le gouvernement du Nunavut et si le gouvernement du Nunavut doit disposer de sa propre législation en matière d'éducation, et peut-être même d'enseignement de la langue. Quelle est la relation entre l'ITK et cette législation, et qu'essayez-vous de défendre et de promouvoir?
Mme Simon : Les deux organisations sont distinctes. Il n'y a pas de lien à cet égard sur le plan de la structure organisationnelle. Les régions voulaient recourir à l'ITK comme organisation nationale inuite pour mettre au point une vision du genre d'éducation que les Inuits veulent pour le siècle qui vient. Nous n'avions jamais fait cela auparavant. Tout a toujours été très régionalisé. Ça relève de différentes administrations, et ça ne va pas changer; ça demeure pareil. Nous n'avons aucun pouvoir pour ce qui est d'essayer d'apporter des changements au pouvoir conféré par la loi à chacun des gouvernements provinciaux ou aux territoires, alors les choses ne changent pas à ce chapitre.
Nous espérons travailler avec les régions et les gouvernements pour les aider à trouver les ressources nécessaires pour combler les lacunes qu'ils n'arrivent pas à combler avec le financement actuel. C'est pourquoi nous travaillons en étroite collaboration avec eux.
La sous-ministre adjointe du Nunavut, par exemple, était un membre du comité, et elle était en mesure de nous dire exactement dans quel domaine le système d'éducation de ce territoire accusait encore du retard.
À titre d'organisation nationale, nous continuerions de travailler avec les régions et d'obtenir de l'argent pour elles, et non pour nous. Nous n'allons pas obtenir cet argent pour l'ITK. Le centre national inuit sera très petit. C'est simplement un organe de coordination.
Disons que nous voulons élaborer une stratégie nationale ou organiser une campagne nationale sur l'engagement parental des Inuits. Un problème important, à l'heure actuelle, c'est la participation des parents à l'éducation de leurs enfants. La première ministre Aariak et moi avons parlé d'organiser une campagne ensemble pour le Nunavut. Les fonds proviendraient d'un fonds qui a été créé par l'ITK par l'intermédiaire du comité, mais ce serait pour la région du Nunavut, et cela pourrait se faire dans chacune des régions. C'est ainsi qu'est notre participation; c'est assez distinct.
Le sénateur Dyck : J'ai l'impression qu'il y a un problème de financement aussi dans les provinces et les territoires. L'argent qui est fourni par l'intermédiaire des Affaires autochtones, j'imagine, pour l'autonomie gouvernementale du Nunavut ne suffit pas à réaliser le genre de vision et d'objectifs que vous avez établis dans les documents.
Mme Simon : Oui. C'est la raison pour laquelle nous avons travaillé par l'intermédiaire du comité à la détermination des lacunes. Nous avons également des pratiques exemplaires. Il y a aussi beaucoup de bonnes choses dans le système d'éducation dont nous ne voulions pas nous débarrasser. Nous ne voulions pas réinventer la roue. Nous avons fait attention de déterminer ce qui fonctionnait dans le système d'éducation, et il y avait beaucoup de choses. Cependant, il y a aussi beaucoup de lacunes, surtout dans le domaine du développement culturel et de la langue inuite. Il y a encore beaucoup de retard dans ces domaines. Ils font partie des domaines où il y a beaucoup de travail à faire.
Le sénateur Dyck : Est-ce que les provinces et les territoires sont en mesure de présenter des demandes relativement à ces programmes axés sur les propositions, comme le programme de réussite des étudiants qui permet la mise au point de programmes d'étude en langue et ainsi de suite? Avez-vous été en mesure de présenter une demande à cet égard?
Mme Simon : Vous voulez dire de notre part?
Le sénateur Dyck : Non, des systèmes scolaires en tant que tels.
Le sénateur Patterson : Vous voulez dire des Affaires indiennes.
Mme Simon : Oui, ils sont en mesure de le faire.
Le sénateur Patterson : Je ne pense pas. Je ne pense pas que les Inuits peuvent présenter une demande.
Mme Simon : J'ai mal compris la question. Non, ils ne peuvent pas le faire. Ils ne vivent pas dans une réserve.
Le sénateur Dyck : C'est le même problème; c'est seulement une question de lieu. C'est simplement que vous n'êtes pas dans une réserve.
Mme Simon : Oui. C'est pourquoi, lorsqu'on compare les sommes consacrées à l'éducation des Premières nations et celles consacrées à l'éducation des Inuits, il y a un écart important, même si les Premières nations disent aussi que leur investissement ne suffit pas.
Le sénateur Dyck : Elles reçoivent plus d'argent que vous?
Mme Simon : Oui.
Le sénateur Sibbeston : J'ai deux questions. D'abord, il y a un certain nombre d'années, le juge Berger a réalisé une étude sur le système d'éducation au Nunavut. Le Nunavut existait alors depuis un certain nombre d'années, et les Inuits entretenaient de grands espoirs quant à la possibilité pour eux de choisir leur destin, et l'éducation fait grandement partie de cela. Il s'est rendu à Iqaluit, et dans l'Est de l'Arctique, au Nunavut, et il a examiné la situation dans le domaine de l'éducation. Essentiellement, il a fait état de déceptions, de frustrations et de problèmes réels au sein du système d'éducation pour les Inuits.
Est-ce que vous faites tout ce travail en partie pour donner suite à cette étude, ou est-ce simplement d'autres choses qui vous poussent à faire cela?
Mme Simon : C'était une étude tout à fait distincte. Elle découle des excuses présentées par le premier ministre, elles s'inscrivent à la suite de ces excuses. Après ces excuses, nous avons voulu faire quelque chose de concret pour les gens, et l'éducation semblait être le choix logique pour ce qui est de travailler avec le gouvernement fédéral sur quelque chose qui profiterait aux enfants. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons fait cette étude.
Lorsqu'on la compare au rapport Berger, il y a beaucoup de similitudes dans certains domaines, mais nous n'avons même pas cité le rapport Berger dans nos travaux de recherche, parce que nous l'avions déjà lu. Je ne sais pas s'il y a une référence dans le rapport. Je ne pense pas. C'est un rapport indépendant.
Le sénateur Sibbeston : En réalité, l'éducation se fait tout le long de la côte arctique, de l'ouest jusqu'au Nunavut, en passant par le Nord du Québec. Les Inuits vivent sur la côte arctique. C'est là que l'éducation se fait. Dans tous les cas, le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest, le gouvernement du Nunavut et le gouvernement dans le Nord du Québec sont essentiellement influencés, et dans une certaine mesure dirigés, par des Inuits. C'est une bonne situation au départ, je crois.
Voyez-vous votre rôle comme étant celui d'influencer ces gouvernements, ces gens qui prennent part à l'éducation, dans le but qu'ils apportent les changements qui sont nécessaires selon vous?
Je vais donner l'exemple d'une chose qui a été faite dans les Territoires du Nord-Ouest il y a des années, dans les années 1960. Les représentants de l'Église catholique ont créé une école pour les dirigeants. Ils ont conçu un programme dans le cadre duquel ils ont recruté tous les étudiants qui se démarquaient dans les collectivités et les ont assemblés. C'était en quelque sorte l'élite, la crème des Autochtones à l'époque. Ils les ont éduqués et, pendant une génération, ces gens étaient les dirigeants du Nord.
Lorsque vous parlez de leadership, est-ce que vous pensez au même genre d'initiative?
Mme Simon : Pas nécessairement, non. Nous parlons davantage de commencer par l'éducation à la petite enfance, lorsqu'un enfant commence à fréquenter l'école ou la garderie à l'âge de deux ou trois ans, et de lancer le processus d'apprentissage. Nous voulons qu'ils commencent à apprendre dans leur langue.
Nous voulons aussi qu'il soit plus facile de cerner les troubles d'apprentissage que les enfants peuvent avoir. Au Nunavut, d'où je viens, on a fait une vaste étude dans l'une des collectivités, à Kangiqsualujjuaq, où je suis née. La dame qui a effectué l'étude a participé à une téléconférence avec nous, avec un paquet d'éducateurs, et elle a dit que dans cette collectivité, au moins 67 p. 100 des enfants étaient atteints d'un trouble d'apprentissage quelconque. Ce pouvait être un trouble de langage, un trouble de l'audition ou encore un TCAF. Les enfants ne font pas l'objet d'une évaluation adéquate, alors ils aboutissent à la garderie sans avoir subi une évaluation adéquate de leurs capacités d'apprentissage. Cela commence donc mal pour eux.
Il s'agit de leur permettre d'entrer dans le système scolaire d'une façon qui adopte d'emblée leur culture et leur langue, dès le départ. Comme je l'ai dit tout à l'heure, l'une des décisions les plus importantes que les Inuits doivent prendre au cours des mois et des années qui viennent, c'est que nous avons besoin d'un système d'écriture unique. Le fait d'avoir trois ou quatre systèmes d'écriture différents, pour un peuple, pour une culture, engendre une érosion rapide de notre langue. Nous devons prendre une décision difficile bientôt pour pouvoir commencer à mettre au point notre programme d'études dans le cadre du système scolaire et commencer à un moment donné à octroyer des diplômes à des jeunes qui utilisent le même système d'écriture, comme on l'a fait au Groenland. Cela c'est fait au Groenland, alors je suppose que nous pouvons le faire aussi.
Certains Inuits sont très attachés au système syllabique. D'autres sont attachés au système orthographique, et nous avons trois systèmes orthographiques différents. Il y en a un au Labrador, un au centre et un dans l'Ouest de l'Arctique. Tout cela doit être regroupé.
J'essaie d'expliquer aux gens que les gens de notre âge n'ont pas besoin de changer quoi que ce soit. Ils peuvent continuer comme avant. Cela va se faire par l'intermédiaire du système scolaire, et on ne s'apercevra jamais que cela c'est fait. Je pense que c'est ce qu'il faut faire. C'est un sujet délicat. Lorsqu'on parle de changer le système d'écriture de quelqu'un, on se trouve souvent dans l'eau chaude. Je me suis retrouvée dans l'eau chaude pour l'avoir fait.
Le sénateur Meredith : Madame Simon, votre rapport m'encourage. D'autres témoins ont comparu devant nous. Je vous félicite du rapport exhaustif que vous nous présentez sur l'éducation des Inuits.
Vous avez mentionné tout à l'heure que la recommandation la plus importante de votre rapport est celle qui concerne la mobilisation des parents. Vous avez dit que c'est problématique, en ce sens qu'il y a beaucoup de problèmes touchant la mobilisation des parents à l'heure actuelle. Pouvez-vous nous en dire un peu plus là-dessus?
Quels sont les problèmes qui engendrent le manque de participation de la part des parents et qui font que les étudiants ne fréquentent pas l'école, ce qui affecte leurs troubles d'apprentissage et ainsi de suite? J'aimerais que vous me parliez de cela.
La question suivante serait : quels sont selon vous les deux principaux obstacles à l'application de ces recommandations? Vous avez rédigé un rapport exhaustif, mais il est évident que vous avez maintenant des défis à relever. Si vous pouviez également me parler de cela.
Mme Simon : Seulement de cela?
Le sénateur Meredith : La première chose, et puis les défis qui se posent en lien avec le rapport.
Mme Simon : L'ensemble du rapport?
Le sénateur Meredith : Oui.
Mme Simon : La mobilisation des parents est devenue l'enjeu le plus important dans le cadre de notre travail, lorsque nous avons travaillé pendant un an et demi. La réponse simple, c'est que l'époque des pensionnats a engendré beaucoup de sentiments négatifs au sujet de l'école, les enfants étant éloignés de leurs parents et les familles étant détruites. Vous avez entendu toutes les histoires, j'en suis sûre. Cela a engendré beaucoup de sentiments négatifs par rapport au fait d'envoyer ses enfants à l'école. Beaucoup de familles ne voulaient pas envoyer leurs enfants à l'école du tout. Même lorsqu'on leur a dit qu'ils devaient envoyer leurs enfants à l'école, ils n'ont tout simplement pas écouté. Cela fait partie du problème.
Une autre façon de ne pas laisser ses enfants aller à l'école, c'est de ne pas les sortir du lit le matin. Dans le cas de mes enfants, il faut les réveiller trois ou quatre fois le matin pour qu'ils arrivent à l'école à temps. Certains parents ne le font pas, parce qu'ils ne veulent pas que leurs enfants aillent à l'école, alors c'est une façon de s'assurer qu'ils ne fréquentent pas l'école.
Cependant, ça commence à être un problème aujourd'hui parce que les enfants commencent à tenir pour acquis que, s'ils ne veulent pas aller à l'école, ils n'ont pas à le faire. Cela engendre un problème assez important, parce que le taux d'obtention de diplôme au Nunavik est 12 p. 100. Ce taux peut être un peu plus élevé au Nunavut. Les enfants commencent à décrocher en huitième ou en neuvième année, alors ils ne terminent jamais leurs études.
Les autres problèmes connexes sont ceux des logements inadéquats et du manque d'espace où les enfants peuvent faire leurs devoirs lorsqu'ils rentrent à la maison. Il n'y a pas d'espace à la maison.
Nous avons délibérément choisi de ne pas aborder dans notre rapport toutes les causes du décrochage chez les jeunes. Notre mandat concernait strictement l'école, et nous avons fait en sorte qu'il demeure assez étroit et axé sur l'école, même si nous voulons en faire davantage. Nous avons pensé que le rapport aborderait le volet scolaire plus en profondeur s'il ne portait pas sur toutes les autres questions. Il y a la question des logements inadéquats, du manque de logement, des logements trop petits pour le nombre de personnes et beaucoup de problèmes liés à la santé. La dépendance est un grave problème. Le taux est sept fois plus élevé chez nous que dans le reste du Canada pour ce qui est du suicide chez les jeunes dans le Nord. C'est un taux très élevé. C'est inacceptable.
Le sénateur Meredith : Simplement pour vous interrompre rapidement et poursuivre là-dessus, comment composez- vous avec cela? Beaucoup de collectivités des Premières nations sont aux prises avec ce problème. Quel genre d'intervention faites-vous?
Mme Simon : Comme vous le savez, c'était à l'ordre du jour d'hier. Nous avons diffusé un communiqué aujourd'hui. Nous avons des stratégies, et le Nunavut a une stratégie. La Commission de la santé mentale vient tout juste de faire l'annonce de sa stratégie en matière de santé mentale. Le Canada veut maintenant se doter d'une stratégie nationale en matière de suicide. Avoir des stratégies est une bonne chose. Il n'y a rien de mal là-dedans. Il est bon de savoir ce qu'on veut faire.
Toutefois, dans notre cas, le problème découle à de nombreux égards du fait que nous n'avons pas accès aux services. La santé mentale comporte de nombreux aspects. Lorsqu'un jeune est suicidaire, c'est qu'il a un trouble de santé mentale. Un problème touche son état mental. Ce peut être un simple état mental, ou ça peut être un état mental très grave, mais nous ne disposons d'aucun service de diagnostic. Nous n'avons pas vraiment de service de counseling à moins de nous rendre dans une localité plus importante comme Iqaluit, où il est possible d'accéder à certains services. Dans la plupart des 53 collectivités, cela n'existe pas.
Lorsqu'un jeune a des idées suicidaires ou envisage le suicide ou a tenté de se suicider, on le place dans un petit hôpital ou dans un poste de soins infirmiers pendant trois jours. Cela prend environ trois jours avant que l'enfant ne retrouve son calme. Il ne reçoit aucun traitement. Il est simplement gardé à l'hôpital pour qu'il se calme, et il y a un gardien à la porte pour qu'il ne sorte pas. Après trois jours, on le renvoie chez lui, sans plan de counseling et sans plan de suivi. La personne va tenter de se suicider de nouveau, et elle va finir par réussir.
C'est à cette réalité que nous faisons face dans le Nord. Nous ne disposons d'aucune infrastructure. Je dirais qu'Iqaluit a probablement plus de services que n'importe quelle autre collectivité inuite du Nord parce qu'il y a près de 10 000 personnes qui y vivent à l'heure actuelle. Cependant, lorsqu'on arrive à Kuujjuaq, d'où je viens, il y a un seul travailleur social. Nous n'avons personne qui soit capable de diagnostiquer un problème de santé mentale. On ne diagnostique pas le problème de santé mentale. On voit simplement cela comme une grosse boule de douleur ou quelque chose du genre. C'est ainsi que les jeunes parlent.
Il y a une chose qui me fait vraiment plaisir. C'est une question qui me tient vraiment à cœur, parce qu'il y a eu récemment un incident tragique dans notre famille qui était lié au suicide. C'était une chose dont il ne fallait pas parler. Il y avait un stigmate lié au fait de parler de la mort d'une personne causée par le suicide. Toutefois, récemment, depuis que les Richard ont commencé à parler publiquement de leur fille de 14 ans, les gens s'expriment davantage et en parlent de plus en plus. Je peux en parler davantage à mes nièces et neveux. Ce n'est plus un tabou maintenant. C'est ce que ça prendra. Il faut en parler. On ne peut pas garder le silence. Lorsqu'on garde toujours le silence à ce sujet, on ne peut pas verbaliser ses pensées.
Le médecin m'a dit récemment que, lorsqu'une personne envisage le suicide, elle commence à élaborer un plan, et ce plan évolue au fil du temps. S'il n'est pas cassé, le fil de ses pensées va jusqu'au bout, jusqu'à ce que la personne meure en se suicidant, tandis que, si une personne a un trouble de santé mentale et envisage le suicide et qu'elle reçoit un counseling et des médicaments adéquats, si elle en a besoin, elle peut se libérer du cycle de ses pensées. Une fois le cycle interrompu, elle peut commencer à penser à d'autres choses. Elle n'est alors plus dans un trou noir, dans un tourbillon qui l'amène vers le bas. Ça casse le fil des pensées. Lorsque le médecin m'a expliqué les choses ainsi, j'ai trouvé que ça avait beaucoup de sens.
Le sénateur Nancy Ruth : Je voulais poser une question au sujet de l'argent. Permettez-moi de vous poser toutes mes questions. Quel est le budget de mise en œuvre de la stratégie? Si on prend l'exemple du Nunavut, combien d'argent est consacré à l'éducation dans le budget là-bas? Lorsque vous parlez de la possibilité que le gouvernement fédéral fournisse des fonds équivalents, s'agit-il des paiements de transfert au Nunavut, disons, ou est-ce d'autres sommes que vous recevriez? Est-ce que le programme d'éducation au Nunavut changerait pour suivre ce genre de chose de façon à ce que les ressources financières qui sont déjà transférées puissent être utilisées pour la mise en œuvre?
Le président : Combien de temps prendrez-vous?
Mme Simon : Je serai très brève.
Le président : Vous pourriez écrire la réponse, mais si vous pensez pouvoir répondre, allez-y.
Mme Simon : De combien d'argent avons-nous besoin? Nous ne le savons pas vraiment, parce qu'il n'y a pas de plan de mise en œuvre là-dedans. Nous avons fait cela délibérément, parce que nous voulions faire une très bonne planification et travailler avec les régions.
Nous n'avons pas d'argent du tout en ce moment, alors c'est cela la réponse. Je ne sais pas si ça passerait par les paiements de transfert. Ce pourrait être de n'importe quelle manière. Nous n'avons pas une seule manière de faire les choses. C'est à déterminer. Il appartient aux régions et aux gouvernements de déterminer comment ils s'y prendraient.
Je ne crois pas que cela changerait l'éducation au Nunavut. Je pense que ça la renforcerait. Cela ramènerait la culture et la langue plus près des gens.
Le président : Merci beaucoup. J'ai une question à laquelle j'aimerais que vous répondiez par écrit, si vous pouvez me faire cette faveur. Avez-vous une quelconque appréhension quant au fait de traiter avec les provinces et leurs systèmes d'éducation, dans le cadre d'une entente bilatérale ou tripartite? C'est sur cela que nous nous concentrons pour notre étude.
Mme Simon : Avez-vous dit les provinces et les territoires?
Le président : Oui, les provinces et les territoires.
Merci encore de votre excellent exposé et de vos réponses sincères et franches à nos questions.
Honorables sénateurs, nous devons retourner à la Chambre. Merci de votre patience et de votre participation.
(La séance est levée.)