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APPA - Comité permanent

Peuples autochtones

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Peuples autochtones

Fascicule 9 - Témoignages du 6 décembre 2011


OTTAWA, le mardi 6 décembre 2011

Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones se réunit aujourd'hui, à 9 h 30, pour examiner, en vue d'en faire rapport, les responsabilités constitutionnelles, conventionnelles, politiques et juridiques du gouvernement fédéral à l'égard des Premières nations, des Inuits et des Métis et d'autres questions générales relatives aux peuples autochtones du Canada.

Le sénateur Lillian Eva Dyck (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La vice-présidente : Bonjour. J'aimerais souhaiter la bienvenue aux honorables sénateurs et aux membres du public qui écoutent cette réunion du Comité sénatorial permanent des peuples autochtones sur la chaîne CPAC ou sur le web.

Notre président, le sénateur St. Germain, ne peut être présent ce matin.

Le comité a pour mandat d'examiner les projets de loi ainsi que toute autre affaire concernant les peuples autochtones. Pour comprendre leurs préoccupations, nous invitons régulièrement des représentants d'organisations autochtones nationales à venir témoigner. Plutôt que de définir un thème de discussion, nous leur laissons toute liberté de nous instruire au sujet des questions les plus pressantes qui intéressent leurs membres. Ces séances sont d'une aide précieuse au comité pour déterminer quelles études il doit entreprendre afin de mieux servir la communauté autochtone du Canada. L'Association des femmes autochtones du Canada comparaîtra ce matin.

Je demande aux membres du comité de bien vouloir accueillir nos témoins ce matin. De l'Association des femmes autochtones du Canada, nous avons le plaisir d'accueillir la présidente, Jeannette Corbière Lavelle, et Claudette Dumont-Smith, la directrice générale.

Pour les témoins, nous avons hâte d'entendre les grandes lignes des préoccupations les plus importantes pour vos membres et cela sera suivi des questions posées par les sénateurs. Veuillez vous en tenir à cinq minutes afin qu'il y ait amplement de temps pour les questions.

Jeannette Corbière Lavell, présidente, Association des femmes autochtones du Canada : Conformément à nos traditions, j'aimerais saluer le peuple algonquin, peuple dont nous visitons le territoire, et à qui le peuple nishanawbe aimerait offrir ses meilleurs vœux.

Nous aimerions vous parler de questions qui sont très importantes pour les femmes autochtones au Canada et surtout des préoccupations que nous avons vis-à-vis nos enfants, nos familles et nos collectivités. Vous savez peut-être déjà que l'Association des femmes autochtones du Canada, généralement connue sous le nom de l'AFAC, est un organisme politique national composé de 12 associations membres des provinces et des territoires de partout au pays. Ce regroupement est dévoué à améliorer la santé socioéconomique et le bien-être politique des femmes des Premières nations et des femmes métisses au Canada.

Nous aimerions profiter de l'occasion pour vous parler d'un certain nombre d'enjeux qui ont des répercussions sur nos femmes, ainsi que de notre perspective sur le projet de loi sur l'équité entre les sexes relativement à l'inscription au registre des Indiens, des nombreux problèmes qui en découlent et qui ont une répercussion directe sur nos femmes et nos enfants en vertu du projet de loi S-2, qui aborde la question des foyers familiaux situés dans les réserves et les intérêts matrimoniaux.

La Loi sur les Indiens est un outil qui a toujours été utilisé par le gouvernement fédéral pour déterminer qui est un Indien et qui ne l'est pas. Cela a eu un effet particulièrement dévastateur sur les femmes indiennes qui ont été exclues en fonction de valeurs européennes et du rôle des femmes européennes à l'époque, sans tenir compte des rôles clés que les femmes indiennes jouaient dans leurs collectivités.

Traditionnellement, nos femmes jouissaient du plus grand respect au sein de nos communautés en tant que donatrices de vie, gardiennes et enseignantes des traditions, des pratiques et des coutumes de la nation. Tous les membres de la collectivité reconnaissaient et comprenaient très bien que les femmes avaient un rôle sacré, non seulement comme gardiennes et protectrices qui veillaient sur l'eau et la terre, notre mère, mais qui plus est, comme donneuses de vie. En amenant de nouvelles vies dans le monde, nous sommes les porteuses des générations futures.

Je vais prendre quelques minutes ce matin pour discuter certaines des dispositions historiques clés de la Loi sur les Indiens, car ces dispositions donnent un aperçu et illustrent ce qui doit être fait, ou plus exactement ce qui doit être défait, afin que nous puissions discuter sur ce qu'on entend par citoyenneté.

L'inscription et l'appartenance sont des termes qui appartiennent à la Loi sur les Indiens. Ces termes sèment la discorde et minent notre capacité de discuter de la question dans un langage qui nous permettrait d'être plus inclusifs et représentatifs de nos traditions. Fait intéressant, en 1850 la définition d'indien était inclusive et visait toute personne de naissance ou de sang indiens, toute personne réputée appartenir à un groupe particulier d'Indiens et toute personne mariée à un Indien ou adoptée par une famille indienne.

Ce n'est que quelques années plus tard, en 1869, que la loi est entrée en vigueur introduisant le concept de la perte de statut pour une femme indienne de même que la perte de statut pour ses enfants si le mariage était à un homme non- indien. Ces contraintes et cette perte de statut cependant ne s'appliquaient pas aux hommes indiens. La loi de 1876 a gardé ces dispositions et est même allée plus loin. La loi confirmait la lignée des hommes indiens et incluait dans sa définition d'Indien toute femme, indienne ou non, mariée à un homme de sang indien réputé appartenir à une bande particulière. Ainsi, une femme non-indienne était considérée comme indienne grâce à la lignée masculine. Cela valait pour les petits enfants, même si les parents ou les grands-parents divorçaient.

En 1951, la loi gardait les dispositions relativement aux privilèges de la lignée masculine en plus de créer un registre indien. En outre, la loi introduisait ce qu'on appelle communément la disposition mère grand-mère. Celle-ci faisait en sorte que si la mère et la grand-mère paternelle d'un enfant n'avaient eu droit au statut d'Indien que du fait d'avoir épousé un Indien après septembre 1951, l'enfant conservait son statut seulement jusqu'à l'âge de 21 ans. Le projet de loi C-31 a supprimé cette contrainte afin que l'enfant puisse aujourd'hui garder son statut après l'âge de 21 ans. Ceci devient important lorsque nous examinons le cas suivant, soit la décision de la Cour d'appel dans l'affaire McIvor.

En 1970, certains d'entre vous le savent peut-être, j'ai intenté un procès pour contester les dispositions discriminatoires contenues dans la Loi sur les Indiens en invoquant la Déclaration canadienne des droits. En 1973, la Cour suprême du Canada était divisée et a rendu une décision selon laquelle la disposition ne résultait en aucune inégalité en vertu de la loi, son raisonnement étant que les femmes indiennes qui épousaient un non-Indien étaient traitées de la même manière. Elle faisait également l'objet de discrimination de façon égale. C'est suite à des situations comme la mienne et celles de nombreuses femmes comme moi que l'Association des femmes autochtones du Canada s'est formée. Nous traitons toujours de la même question 40 ans plus tard.

Au début des années 1980, le sénateur Lovelace Nicholas, une femme indienne qui avait épousé un non-Indien a obtenu un jugement favorable du Comité des droits de l'homme des Nations Unies statuant que le Canada violait l'article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L'article 27 protège le droit de pratiquer sa culture et sa langue dans une communauté avec d'autres membres de ce groupe.

Suite à la Charte des droits et libertés de 1982, le projet de loi C-31 est entré en vigueur en 1985 et traitait des questions d'égalité entre les sexes. Le projet de loi C-31 redonnait le statut aux femmes qui l'avaient perdu ou à ceux qui avaient perdu leur statut à l'âge de 21 ans du fait de la disposition mère grand-mère. Cependant, cette loi a continué d'être discriminatoire à l'endroit des femmes indiennes ayant épousé un non-Indien car les enfants étaient inscrits en vertu du paragraphe 6(2) et cela ne corrigeait pas les pratiques discriminatoires antérieures contenues dans la Loi sur les Indiens. En fait, cela créait une toute nouvelle dynamique discriminatoire fondée sur le statut et l'appartenance et dont on continue encore aujourd'hui de ressentir les effets.

Bien que le projet de loi C-31 devait faire disparaître la discrimination fondée sur le sexe des lois du Canada; après son adoption, il existait de vraies différences entre les Indiens inscrits en vertu du projet de loi C-31 et les autres Indiens inscrits. Il suffit de se reporter aux distinctions entre les paragraphes 6(1) et 6(2) de la Loi sur les Indiens.

Les enfants des femmes qui avaient perdu leur statut ne pouvaient pas transférer ce statut à leurs propres enfants s'ils épousaient des non-Indiens. Cependant, les enfants des hommes inscrits qui avaient épousé des femmes non- indiennes avant 1985 pouvaient transférer ce statut à leurs enfants.

Les tribunaux ont été saisis de plusieurs problèmes découlant des dispositions sur le statut des Indiens de la Loi sur les Indiens. L'affaire McIvor n'est qu'un exemple. L'arrêt de l'affaire McIvor présenté par la Cour d'appel est fondé sur des motifs et critères très restreints. Dans le but de régler cet aspect très étroit, Mme McIvor s'est adressé aux Nations Unies. Le projet de loi C-31 n'a pas réglé les problèmes plus généraux de discrimination selon le sexe que l'on retrouve dans la Loi sur les Indiens. Ce projet de loi a cependant permis de redonner le statut à certains de nos petits-enfants, mais certains ont toujours été exclus.

Il importe de noter qu'on a encore beaucoup à faire pour éliminer les aspects fondés sur le sexe dominé par les hommes qui caractérisent la Loi sur les Indiens et ses définitions. Par exemple, le projet de loi C-3 n'a rien changé aux dispositions discriminatoires de la loi qui accorde la priorité à la lignée des hommes et n'a rien fait pour changer les politiques du ministère comme la politique de reconnaissance de la paternité pour les femmes non mariées quand elles veulent enregistrer la naissance de leurs enfants. C'est le ministère qui décide en dernier lieu qui est Indien et jusqu'à quel point dans le cas où le père a de, par sa signature, reconnu sa paternité.

C'est justement pourquoi l'AFAC a lancé ce processus exploratoire pour qu'il y ait les discussions qui s'imposent entre nos nations et le gouvernement en matière de citoyenneté et de reconstitution des nations, de sorte que nous puissions décider qui fera partie de notre nation. Nous pouvons le faire dans notre propre langue qui s'appelle l'E'Dbendaagsijig, qui veut dire ceux qui appartiennent. Nous savons qui sont les nôtres, et ce sont des membres d'E'Dbendaagsijig.

Une autre question, celle des biens immobiliers matrimoniaux a été abordée à nouveau par le gouvernement dans un projet de loi au Sénat, le projet de loi S-2; il s'agit des foyers familiaux situés dans les réserves et des intérêts matrimoniaux, et cette mesure vise à combler l'écart juridique qui existe à l'égard de la distribution des intérêts des foyers et des intérêts matrimoniaux, ou les droits pour les couples des Premières nations qui vivent dans les réserves à la suite d'une séparation ou d'un divorce.

Le gouvernement soutient qu'il faut absolument régler le problème, afin d'assurer que ceux qui vivent dans les réserves ont les mêmes droits et protections que tous les autres Canadiens. Je reconnais que c'est une bonne chose. Cependant, en 1986 la Cour suprême du Canada a confirmé que les tribunaux ne pouvaient pas appliquer les lois sur le droit de la famille provinciales ou territoriales dans les réserves qui relèvent de compétence fédérale, même si la Loi sur les Indiens ne prévoit aucune disposition garantissant les intérêts ou les droits matrimoniaux.

Ce projet de loi a été déposé en 2008, et on l'appelle maintenant le projet de loi S-2. Il s'agit de la dernière version du parcours législatif choisi par le gouvernement fédéral pour répondre aux problèmes qui touchent les questions familiales dans nos réserves. Après une période de transition de 12 mois, ce projet de loi établirait des règles temporaires fédérales qui permettraient aux tribunaux provinciaux et territoriaux d'avoir accès aux Premières nations pour régler les différends. Ces mesures demeureraient en vigueur jusqu'à ce que les gouvernements des Premières nations aient adopté leurs propres lois ou codes assurant le partage des droits ou intérêts matrimoniaux dans les réserves.

En théorie, cela semble être une bonne proposition, une proposition qui permettrait de régler la situation qui place les femmes et les enfants autochtones dans des positions vulnérables, tout particulièrement s'il y a violence dans la famille. Cependant, le processus proposé par le gouvernement n'assure aucune ressource supplémentaire aux familles des Premières nations pour leur permettre d'avoir justice et de trouver leurs propres capacités au sein du gouvernement pour composer avec ce genre de situation. Aucune ressource supplémentaire aucune autre aide supplémentaire ne sera offerte aux familles, aux collectivités ou à nos gouvernements pour leur permettre de créer et de mettre en œuvre des mécanismes et des lois appropriés pour le partage des intérêts matrimoniaux, ou des droits qui sont adaptés à nos traditions et nos cultures, tout en respectant les droits de la personne comme dans le reste du Canada.

Or, le projet de loi S-2 repose sur le recours aux tribunaux territoriaux ou provinciaux, mais il est souvent trop coûteux ou difficile pour les membres des Premières nations de faire des démarches devant ces tribunaux, particulièrement pour les habitants des collectivités isolées. Nous en avons tous entendu parler dans de récents reportages des médias. C'est très difficile pour les habitants des collectivités isolées.

De plus, une telle approche mettrait en danger les femmes autochtones victimes de violence familiale en les obligeant à attendre longtemps pour obtenir justice, alors qu'elles font déjà face à un manque de soutiens sociaux, de services ou d'hébergement.

Tout changement législatif doit tenir compte de toutes les autres dimensions socioéconomiques du problème, comme par exemple la violence, la pauvreté et la pénurie de logements dans les réserves. Cela fait ressortir encore davantage la nécessité de garantir d'une façon globale les intérêts et les droits matrimoniaux des femmes habitant les réserves, y compris en protégeant les familles des Premières nations et en veillant à la sécurité de nos femmes et de nos enfants, tout en élaborant une solution qui permettra de disposer du temps, des ressources et des outils nécessaires pour développer les capacités de nos collectivités.

Permettez-moi d'aborder la question du soutien à la famille et des enfants placés en foyers d'accueil. Je sais que beaucoup d'autres organisations vous ont parlé de la même chose. En tant que femmes, nous sommes préoccupées par le sort de nos enfants. Les enfants autochtones placés en foyers d'accueil, tout comme ceux qui étaient placés dans les pensionnats, grandissent sans connaître leur langue, leur culture et leurs familles; il arrive également qu'ils soient mal traités. Nous connaissons les répercussions de ce phénomène sur nos collectivités. Si les enfants autochtones continuent d'être retirés de leur foyer et placés sous la tutelle du système de protection de l'enfance, cela entraînera des conséquences semblables, voire pires. Notre association estime que la situation est urgente et qu'il faut que les trois ordres de gouvernement s'attaquent au problème.

Nous souscrivons aux recommandations de la Société de soutien à l'enfance et à la famille des Premières nations du Canada; tout comme elles, nous exhortons le gouvernement à intervenir sans tarder pour remédier aux inégalités et aux problèmes structurels qui existent à l'heure actuelle. Il faut aussi s'attaquer de toute urgence à la disparité des services d'éducation offerts aux collectivités des Premières nations. Dans nos familles, ce sont les femmes qui enseignent et nous savons à quel point cela est important.

D'après nos études, les femmes et les jeunes filles autochtones sont plus susceptibles d'être victimes de violence à cause des politiques gouvernementales passées et actuelles, notamment les pensionnats indiens, le « Sixties Scoop », c'est-à-dire le placement massif d'enfants autochtones dans des familles d'adoption blanches, et le système d'aide à l'enfance. Tous ces facteurs sont liés à la pauvreté et au racisme. Ces politiques ont contribué à la disparition ou à l'assassinat de plus de 600 femmes et jeunes filles autochtones. Notre association a des données qui le prouvent.

Nous recommandons vivement que tous les gouvernements consacrent des fonds à la réalisation d'une enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones portées disparues et assassinées. Nous espérons recueillir l'appui de toutes les provinces et les territoires à cet égard. Les auteurs de cette enquête nationale collaboreraient étroitement avec notre association, nos collectivités et toutes les autres parties prenantes afin d'analyser à fond et de mettre un terme à la violence contre nos femmes et nos filles.

Adoptant une approche très stratégique, notre association concentre ses efforts sur les dossiers prioritaires et s'est jointe à d'autres organismes afin de produire des études de qualité. Cependant, nous sommes très limités par une pénurie constante de financement pour les ressources humaines, le matériel et d'autres besoins, comparativement à la situation d'autres associations autochtones nationales. Cette disparité et cette inégalité dont notre association est victime sur le plan du financement doivent cesser. Nous vous serions reconnaissants de nous aider à soulever cette question.

Merci d'avoir écouté les préoccupations des femmes autochtones.

La vice-présidente : Merci beaucoup, madame Corbiere Lavell, pour tous les efforts que vous avez déployés, votre vie durant, afin de promouvoir la cause des femmes autochtones et de combattre les injustices auxquelles nous sommes confrontés.

Le sénateur Meredith : Nous savons que les Premières nations éprouvent divers genres de difficultés. Notre comité a entendu de nombreux témoins parler des différents problèmes sociaux. Il suffit de penser à la situation qui règne actuellement à Attawapiskat sur le plan du logement. Nous en sommes très inquiets. En ce XXIe siècle, nous devons faire en sorte que tous les Canadiens disposent d'un logement adéquat, de soins de santé et de service d'éducation. Notre rapport sur l'éducation sera rendu public sous peu.

Vous avez dit que le projet de loi S-2 était bon, mais qu'il fallait plus de ressources. Tous les groupes qui ont comparu devant notre comité ont fait état de ce manque de financement. L'argent fait toujours défaut. Toutefois, ne diriez-vous pas qu'il s'agit d'un pas dans la bonne direction puisque les personnes qui se sont senties abandonnées au fil des ans parce qu'elles ne pouvaient pas réclamer le respect de leurs droits devant les tribunaux auront maintenant voix au chapitre? Ce projet de loi ne vous semble-t-il pas efficace dans ce sens?

Nous savons que la pénurie de ressources est un véritable problème et que dans d'autres collectivités marginalisées, particulièrement en milieu urbain, les femmes se heurtent parfois aux mêmes difficultés. Elles doivent trouver les ressources nécessaires pour pouvoir recourir aux tribunaux pour se défendre.

Malgré ce manque de fonds, ne croyez-vous pas que ce projet de loi est un pas dans la bonne direction? J'aimerais vous entendre parler de cet élément plus précisément. Nous essayons de remédier aux injustices tout en comprenant que l'argent pose encore problème.

Mme Corbiere Lavell : Je reconnais que ce projet de loi vise à assurer une certaine égalité et à garantir à nos femmes le droit d'accès à leurs biens immeubles matrimoniaux dans les réserves. Toutefois, nous croyons que cet aspect de nos traditions et de nos coutumes devrait nous être rendu. Nous avons le droit souverain de nous gouverner et de prendre des décisions qui touchent nos gens, et ces décisions devraient être prises par nos propres gouvernements. L'histoire nous montre qu'il n'est jamais à notre avantage de confier un enjeu juridique, qu'il s'agisse des biens matrimoniaux ou d'autres choses, à des autorités à l'extérieur de nos collectivités.

Comme vous l'avez signalé, nous avons du mal à avoir accès aux tribunaux d'abord et avant tout à cause du coût élevé des services juridiques. Il s'agit d'un formidable obstacle. Imaginez les écueils auxquels une femme d'une collectivité isolée se heurte lorsque la propriété de son domicile est en litige et que la collectivité n'a pas les ressources nécessaires pour adopter un code ou une politique matrimoniale acceptable et compatible avec ses coutumes et ses traditions. Quels recours s'offrent à une femme et à ses enfants? Ce sont là des problèmes insurmontables.

Songez par exemple à la difficulté de se déplacer lorsqu'on vit dans un petit village. Ces femmes doivent se battre chaque jour simplement pour nourrir leurs enfants. Comment pourraient-elles trouver l'argent nécessaire pour retenir les services d'un avocat, une somme qui peut atteindre les 2 000 $? Et ce ne serait là qu'un minimum. Il est absolument impossible pour nos femmes d'avoir accès à une somme semblable pour se faire entendre devant les tribunaux.

Il s'agit là d'obstacles qui sautent aux yeux. Si nous avions les ressources nécessaires pour adopter nos propres lois sur les biens matrimoniaux, dans nos nations et nos collectivités, ce serait l'idéal. Et si nous, les femmes, pouvions avoir voix au chapitre au moment de l'élaboration de ces lois, ce serait également la démarche la plus souhaitable.

Il suffit de repenser aux traditions que nous avions avant l'arrivée des Blancs et même jusqu'à tout récemment. Les femmes étaient écoutées dans nos collectivités. Les décisions se prenaient de façon respectueuse et égalitaire. C'est cet équilibre qui a disparu. Nous devons revenir au mode de gouvernance qui existait dans nos collectivités, et c'est ce à quoi nous travaillons.

Le sénateur Meredith : Comme le temps passe et qu'il y aura d'autres cas, d'autres situations qui surviendront d'ici à ce que vous puissiez mettre sur pied votre propre système de gouvernance et de justice, pensez-vous que nous devrions approuver ce projet de loi de manière à ce que des associations comme la vôtre puissent répondre aux besoins de ces femmes, en recourant davantage à l'aide juridique par exemple? Je pense qu'il faudrait accélérer le processus. Il faudra beaucoup de temps pour mettre ces systèmes sur pied en vertu de la Loi sur les Indiens et pour s'assurer qu'il est dûment respecté par toutes les bandes du pays.

À votre avis, serait-ce un instrument utile qu'on pourrait mettre à votre disposition dans un avenir prochain, pendant que des organismes comme le vôtre aident ces femmes et ces jeunes filles?

Mme Corbiere Lavell : Comme je l'ai dit tout à l'heure, il suffit de penser aux écueils auxquels je me suis heurtée quand j'ai voulu me faire entendre devant les tribunaux. Cela m'a pris un certain temps, bien sûr, et j'ai dû recourir à l'aide juridique. Même pour porter sa cause devant la Cour suprême du Canada, il faut assumer des coûts gigantesques et je n'aurais pas pu le faire autrement.

Nous n'avons même pas pu obtenir des ressources pour faire reconnaître à l'échelle nationale le caractère discriminatoire de certaines dispositions de la Loi sur les Indiens, imaginez un instant les difficultés qui se poseraient à une jeune femme et à ses enfants pour avoir accès aux ressources nécessaires afin de faire valoir leurs droits devant ces tribunaux? Ce serait tout à fait impossible.

Le sénateur Meredith : En ce moment, travaillez-vous avec d'autres associations de défense des droits des femmes, par exemple avec des avocats qui offriraient leurs services gratuitement pour des affaires de ce genre?

Mme Corbiere Lavell : Dans le monde où nous vivons, je ne pense pas qu'il y ait beaucoup d'avocats disposés à offrir leurs services à toutes les femmes qui pourraient se trouver dans une situation semblable. Même notre organisation d'envergure nationale n'a pas les ressources nécessaires pour retenir les services d'avocats. Je ne vois pas comment nous pourrions y arriver.

Je serais ravie de pouvoir offrir ces ressources à nos femmes au niveau de la collectivité. Ce serait peut-être possible si nous avions les fonds nécessaires, mais en ce moment, nous n'avons pas de telles ressources, et je ne pense pas que nous en aurons dans un avenir prévisible. Ma collègue serait être plus au courant que moi, mais nous n'avons pas que je sache de partenariat avec un service juridique ou un groupe d'avocats qui accepterait d'offrir ces services à titre bénévole.

Nos villages sont dispersés et souvent isolés; dans bien des cas, ils ne sont accessibles qu'en avion. Or, un avocat ne pourrait pas venir par avion pour écouter les problèmes d'une jeune femme et de ses enfants. Ce n'est tout simplement pas une option réalisable aujourd'hui.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Je suis ravie de vous revoir, madame Corbiere Lavell. Vous avez mentionné dans votre déclaration les femmes portées disparues. Je crois avoir vu aux actualités télévisées, mais je ne sais pas si c'est vrai, que la GRC savait que les femmes avaient disparu et qu'elles avaient peut-être été la proie d'un meurtrier en série. Êtes-vous au courant?

Mme Corbiere Lavell : Je crois que vous faites référence à l'affaire Pickton survenue dans le quartier East Side du centre de Vancouver. Il est vrai que le Service de police de Vancouver et la GRC, qui travaillaient ensemble sur cette affaire, savaient depuis des années qu'un meurtrier en série pouvait être à l'origine de ces disparitions et assassinats. Mais aucune mesure n'a été prise, malgré les questions des familles, qui suppliaient qu'on fasse quelque chose, on ne les a pas écoutées.

Il suffit de repenser aux faits en cause dans cette affaire. Nous savons que 50 femmes, et peut-être plus, ont été assassinées. D'après les femmes avec lesquelles nous sommes en contact dans la collectivité, beaucoup de femmes manquent encore à l'appel, même si leur disparition n'a pas été documentée. Notre association ne pouvait pas en faire plus, faute de moyens, si ce n'est recueillir des données et faire des recherches dans le cadre du projet Sœurs par l'esprit.

Cela dit, quand on a institué une commission d'enquête dirigée par le commissaire Wally Oppal en Colombie- Britannique pour examiner cette affaire, de manière à prévenir les corps policiers et à pouvoir définir des bonnes pratiques à suivre en pareil cas, nous étions la seule association nationale dont on a accepté la participation. Mais là encore, comme je l'ai déjà indiqué, nous n'avons pas les moyens de retenir les services d'un avocat pour assister aux audiences d'une commission de ce genre. Cela prend deux ou trois mois.

Puisque le procureur général de la Colombie-Britannique ne nous a pas fournis de ressources pour participer à la commission afin que nous puissions faire part de notre expertise — les voix et les expériences de nos familles et les histoires des femmes disparues et assassinées — nous n'avons pas pu y participer. Conséquemment, 22 de nos organisations communautaires se sont retirées de la commission.

Voilà où nous en sommes. La commission a toujours lieu, et nos femmes ont l'impression qu'elle ne s'occupera pas de ce qui manquait dans les services policiers. C'est une grande inquiétude et quelque chose qui devrait être corrigé.

Que pouvons-nous faire? Nous en arrivons à la prochaine étape. Nous demandons une enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées. Nous croyons qu'il s'agit là de la seule façon dont la justice pourrait être rendue pour toutes les femmes autochtones disparues et assassinées au Canada. Si nous pouvions obtenir votre appui pour recommander qu'une telle enquête ait lieu afin que tous les services policiers soient au courant, nos femmes et leurs familles sauraient que des mesures ont été prises et leur deuil en sera réduit. Merci pour cette question.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Je suis allée à l'université il y a environ 50 ans. Il s'agissait d'un cours sur les études autochtones et, à cette époque, c'était Graydon Nicholas qui enseignait. Il est maintenant lieutenant-gouverneur.

C'est un sujet qui m'émeut. Il ne nous l'a pas dit; nous avons dû lire à ce sujet. Dans un des paragraphes que j'ai lus, on racontait qui était venu en premier occuper nos terres, et c'est ainsi que j'ai appris pourquoi on avait créé la GRC. Ces gens sont venus avec la GRC pour aider les Autochtones, pour empêcher ces gens d'entrer sur nos terres, et regardez ce qu'ils font maintenant. Ils sont contre nous.

La vice-présidente : Avant de passer au sénateur Hervieux-Payette, je voulais informer nos témoins et les sénateurs que notre assistant de recherche, M. James Gauthier, vient de me dire que le Comité de la Chambre des communes sur la condition féminine a récemment complété une étude sur la violence envers les femmes autochtones et qu'elle a été publiée en mars 2011. Elle s'intitule Un cri dans la nuit : Un aperçu de la violence faite aux femmes autochtones. Nous en avons une copie, si quelqu'un veut l'examiner et voir ce qu'elle contient.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Bonjour. Étant donné vos noms, Dumont et Corbiere, je me demandais si vous parliez français.

Claudette Dumont-Smith, directrice générale, Association des femmes autochtones du Canada : Moi, je parle français.

Le sénateur Hervieux-Payette : Donc, Jeannette Corbiere Lavell ne parle pas français.

[Traduction]

Désolée, madame Corbiere Lavell, avec notre nom, je pensais que vous parliez français.

Mme Corbiere Lavell : Un de mes ancêtres le parlait sûrement.

Le sénateur Hervieux-Payette : Je remplace un autre sénateur ce matin. Je m'intéresse beaucoup à une expérience dans le domaine de l'éducation au Québec qui a duré un certain nombre d'années et qui se faisait sur les réserves et enseignait aux jeunes Autochtones le multimédia, qui est l'un des domaines où ils pouvaient trouver du travail, étant donné les tendances du marché du travail. Je ne veux pas critiquer le ministère de la Santé parce qu'il fournit des fonds. D'après moi, c'est une question d'éducation. Je ne sais pas d'où l'argent devrait provenir, mais 500 000 $ ont été enlevés au projet, mettant sa survie en péril. Ils ont été actifs dans de nombreux pays. Ils font un travail fantastique et ont produit 450 vidéos. Je travaille avec des Premières nations pour aider ces gens à trouver du travail. Nous devons poursuivre cet effort.

Il y a deux écoles de pensée. Croyez-vous que nous devrions faire sortir les adolescents ou ceux un peu plus âgés des réserves et les amener dans des écoles dans les grandes villes, ou croyez-vous qu'il serait mieux pour leur formation que ces jeunes Autochtones demeurent dans leur milieu, et qu'il y ait une maison mobile avec tous les appareils techniques? Je vous laisse résoudre ce problème.

Il m'arrive de côtoyer des Autochtones à Montréal; malheureusement, je les vois sur les coins de la rue en train de quêter. Je préférerais plutôt les voir en train d'étudier ou d'apprendre des choses sur les réserves et de venir ensuite à Montréal avec au moins quelques compétences qui leur permettraient de trouver du travail. Comment percevez-vous l'éducation relativement aux peuples des Premières nations?

Mme Corbiere Lavell : En tant que membre des peuples des Premières nations au Canada, nous stipulons à quiconque veut bien nous écouter que l'éducation et que le développement de compétences précises est une priorité pour nos jeunes. C'est la seule façon qui permettra d'éliminer les problèmes de pauvreté, de désespoir et de toxicomanie. Ces problèmes pourraient être réduits si les jeunes avaient davantage confiance en eux, s'ils avaient un sens de l'identité et qu'ils étaient fiers d'être qui ils sont et de contribuer à leurs collectivités ainsi qu'au reste du Canada.

Ce que vous faites, c'est bien. Si ces jeunes disposent de ces compétences, ils pourront alors développer une bonne estime de soi. Non seulement pourront-ils être compétitifs sur un pied d'égalité avec d'autres candidats à l'emploi dans des villes de grande taille, mais parallèlement, il faut savoir que nos collectivités ont également besoin de ces compétences. Nous sommes à l'ère des médias et des communications de masse, qui est un des secteurs qui connaît le plus grand essor à l'échelle planétaire. Si nos jeunes peuvent acquérir ces habiletés, tant mieux pour eux. Tout ce que l'on peut faire pour les aider à acquérir ces connaissances, c'est excellent.

Pour revenir au début de l'acquisition des habiletés et une accréditation dans un domaine choisi, il faut penser à l'éducation de la première enfance. Il faut offrir des possibilités d'éducation égales sinon meilleures à nos jeunes dans nos collectivités, ce qui leur permettra d'acquérir un sentiment de valeur personnelle, et ce sont les Autochtones eux- mêmes qui leur donneront cette identité afin qu'ils puissent apprendre leur langue et leur histoire. Ils apprendront également l'histoire du Canada et ils seront en mesure d'établir de bonnes bases pédagogiques qui leur serviront bien tout au long de leurs études jusqu'à la douzième année et même dans leurs études postsecondaires ou lorsqu'ils acquerront les compétences particulières que vous avez mentionnées.

À l'heure actuelle, le taux de décrochage est de 30 p. 100 de sorte qu'il y a beaucoup de travail à faire. Toutefois, si nous avions la possibilité de façon comparable de profiter de ces normes éducatives pour nos jeunes, et il y a un intérêt manifeste, tout comme on leur donne accès aux biens de première nécessité comme la nourriture et des logements adéquats. Un enfant ne peut pas apprendre s'il a froid la nuit ou s'il ne peut pas déjeuner. Ce sont des besoins essentiels, et cela devrait faire partie de leurs droits en tant que citoyens du Canada.

Le sénateur Hervieux-Payette : Comment faire alors? Cela peut paraître bizarre comme question. Je suis tout à fait d'accord pour dire que vous devriez être responsables. Bien sûr, vous devez disposer des moyens d'exercer ces responsabilités. Le Sénat s'est penché sur des questions comme le logement et l'alimentation. Mon collègue le sénateur Watt a beaucoup insisté pour ce qui est de l'accès aux aliments à des coûts semblables aux coûts des aliments dans les villes. Le coût des transports semble être un fardeau tout à fait illogique.

Il en va de même pour l'habitation. Je suppose qu'il vous en coûte 50 p. 100 plus cher pour des logements de même taille. Comment peut-on résoudre ce problème? Mon sens de l'équité fait en sorte que je pense que vous devriez avoir le choix de décider où vous devez vivre et à des coûts comparables. Si l'on songe à ce que M. Charest fait au Québec, il faut savoir que s'il n'y avait aucun Autochtone dans le Nord, nous ne pourrions même pas revendiquer ce territoire. Vous êtes les gardiens de certaines parties du Canada parce que vous étiez les premiers à vous y installer. Je suis avocate, et c'est là-dessus que je fonde mon hypothèse. La première chose qui compte aux yeux du droit international lorsque vous revendiquez la propriété d'un territoire, c'est que vous devez habiter ce territoire, et votre peuple a été assez courageux pour y rester.

Comment pourrions-nous surveiller ce qui se passe et prêter main-forte? Si vous avez besoin d'un certain nombre, des milliers de maisons, comment pouvons-nous nous assurer que vous aurez accès à ces maisons à des prix raisonnables?

Mme Corbiere Lavell : Je suis enseignante à la retraite, et je sais ce qu'il en coûte d'offrir des services d'éducation de qualité dans nos collectivités.

Cependant, je sais également que nous ne recevons pas le même type de financement qui nous permettrait d'offrir des services d'éducation de la même qualité que ce qui est offert dans les municipalités non autochtones qui se trouvent à 10 milles de chez nous. Il y a une disparité très réelle au niveau du financement.

Pour ce qui est de l'égalité d'accès, je sais que divers ministères sont responsables de la question. S'ils peuvent trouver les ressources, assurer les transports, apporter la nourriture et le matériel dans les collectivités isolées et nordiques. Ça peut être fait. Ils transportent ces produits par exemple à des bases aériennes ou des bases pour un des ministères comme le ministère des Ressources naturelles. Ils peuvent construire des maisons qui sont durables et qui seront encore là dans 50 ans. Ces matériaux peuvent être acheminés à un prix relativement raisonnable à mon avis. Si le gouvernement peut le faire, pourquoi ne peut-on pas le faire pour nos collectivités. Lorsque je regarde certaines de nos maisons, je constate que nous avons toujours des matériaux de piètre qualité qui encouragent la création de moisissure. Je regarde les photos et il s'agit en fait de panneaux de particules et de carton gris qui sont utilisés pour la construction. Compte tenu du climat dans notre région, ces matériaux ne sauront survivre.

Nous avons étudié cette disposition sur l'eau et les égouts. Les municipalités ont des années d'expérience dans ces secteurs. Ils ont accès à des ingénieurs et à de l'infrastructure. Ce n'est pas simplement le maire et les conseillers qui prennent les décisions; ils sont entourés de toutes sortes de gens qui les appuient. C'est leur responsabilité. Nos collectivités n'ont pas ce loisir.

Il y a donc des disparités. On peut atteindre les objectifs visés, mais il faut travailler ensemble pour trouver une solution à ces problèmes.

J'aimerais également ajouter que nombre de nos collectivités n'ont été exposées à l'ensemble de la population et n'ont été en contact avec le reste du Canada que depuis les 50 dernières années. Nous avons beaucoup appris depuis. Comment nous tirons-nous d'affaire? Comment apprenons-nous à faire cela? Comment gérer une énorme municipalité de 2 000 habitants sans avoir d'expérience dans le domaine? Nombre de ceux que nous représentons vivaient tout récemment dans des abris improvisés. Je n'aurais jamais pensé que mon grand-père aurait à se prononcer à l'égard du logement. Il était un pêcheur. Ma mère était enseignante. Elle aurait peut-être eu un peu plus d'expérience quant à la façon de gérer les fonds que reçoit la communauté. Je n'ai pas été dans la réserve j'ai vécu dans des villes. Je ne sais pas si je pourrais en fait faire ce genre de choses moi-même et composer avec les problèmes auxquels sont confrontés les nôtres, je pense simplement aux transports et aux matériaux. C'est un défi de taille.

Le sénateur Hervieux-Payette : Ma dernière question comporte deux volets. Premièrement, j'ai toujours l'impression que dans nombre de secteurs où vous avez des problèmes ceux-ci relèvent des compétences provinciales. Par exemple, la participation du fédéral en matière d'éducation est assez limitée. Il s'agit d'une question qui relève des provinces. Je ne sais pas quelle sorte de rapport existe ou si nous ne devrions pas en fait confier la pleine responsabilité de l'éducation aux provinces. Si les provinces s'occupent de l'éducation de leurs collectivités — je suis ancienne présidente d'une commission scolaire — nous devrions appliquer les mêmes normes dans toutes les circonstances. Je trouve ça parfaitement normal.

Cependant, je crains que si nous créons un nouveau ministère qui s'appelle le ministère des Affaires autochtones, il n'aura pas l'expérience qu'ont déjà les provinces. De plus, les intervenants sont éparpillés un peu partout au pays.

La même chose vaut pour le logement, qui relève également des provinces. Il y a également le dossier de l'eau; j'ai travaillé au ministère des Affaires sociales au Québec. J'ai rédigé la Loi sur la fluoration de l'eau, et je devais voir comment les choses fonctionnaient. L'inspection a été faite par le ministère des Affaires municipales dans ce dossier. Dans bien des secteurs, nous semblons offrir les mêmes services mais avec des employés qui n'ont pas la même expérience que l'on retrouve au niveau provincial. Nous multiplions les coûts, mais il ne faut pas oublier qu'il n'y a qu'un contribuable.

Je terminerai en vous disant quelque chose qui va vous rassurer. Je suis membre du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce et nous savons que l'ensemble des Canadiens ont des dettes représentant 150 p. 100 de leur revenu. Permettez-moi donc de vous dire que nous ne sommes pas si compétents quand le temps vient de gérer notre propre affaire financière.

Ne vous sentez pas coupable. Je pense que la confiance nous permettra d'aider à régler le problème et trouver des services offerts par des intervenants compétents. Les provinces devraient communiquer avec des experts ou des conseillers, ou tout au moins s'inspirer de notre propre système à l'échelle provinciale. Cela n'existe pas au niveau fédéral. Que pensez-vous de ce que je viens de dire?

Mme Corbiere Lavell : Je vois ce à quoi vous voulez en venir. Ce que vous dites semble pratique, mais il y a toujours eu cet obstacle parce que la prestation de services dans nos collectivités dans les réserves a toujours été la responsabilité du gouvernement fédéral. Le financement est inférieur et de beaucoup à ce qui est offert à l'extérieur des réserves dans la même province. Et c'est la façon dont les choses sont faites. Tant que ces choses ne pourront être changées, je ne pense pas qu'on puisse faire quoi que ce soit. Un bon point de départ c'est d'être traités sur un pied d'égalité avec les autres Canadiens quant à la prestation de services et à l'aide offerte aux collectivités. Donnez-nous un petit peu de temps pour nous y faire. Nous avons beaucoup de jeunes qui reçoivent une formation. Tout ce dont ils ont besoin c'est d'une chance. Il n'y a pas de débouché dans nos collectivités pour ceux qui ont ce genre de formation — dans le domaine des compétences ou des sciences — ces gens ne peuvent pas revenir vivre dans les collectivités. Nous devrions être en mesure de les accueillir à nouveau dans nos collectivités après leur formation.

Le sénateur Brazeau : Ma question porte sur un commentaire que vous avez fait lors de votre déclaration quand vous avez mentionné que l'Association des femmes autochtones du Canada était à court de financement. Évidemment, le gouvernement fédéral offre des ressources à l'organisation par l'entremise de divers programmes, y compris les programmes de santé. En fait, un financement de 500 000 $ avait été annoncé pour le programme du Constat aux actes et tout récemment le gouvernement a annoncé un financement de 1,8 million de dollars sur une période de trois ans pour le programme du Constat aux actes II. Reprenez-moi si je me trompe.

Mme Corbiere Lavell : Vous avez raison.

Le sénateur Brazeau : Certains penseront peut-être que ces montants ne suffisent pas, mais il ne s'agit pas non plus de quelques poussières. Nous parlons ici de montants importants.

Pouvez-vous nous dire combien votre organisation reçoit en moyenne par année? Et si vous ne jugez pas que ces montants suffisent, quel serait d'après vous un montant adéquat?

Mme Corbiere Lavell : Je demanderai à ma directrice générale qui est responsable de l'administration de répondre à vos questions.

Mme Dumont-Smith : Nous avons reçu une aide financière pour du Constat aux actes. Ce montant s'élève à 1,6 million de dollars pour une période de trois ans. C'est un montant moins élevé. Après tout nous recevions 1 million de dollars par année pour les Sœurs par l'esprit pendant les cinq premières années de cette initiative ce qui a permis à l'Association des femmes autochtones du Canada de faire du travail de représentation ainsi que de la recherche. Le montant offert pour le programme du Constat aux actes est moins important.

Cela dit, nous recevons également une aide financière de Santé Canada pour composer avec divers problèmes dans ce secteur. Nous recevons une aide financière d'Affaires autochtones et Développement du Nord, un petit montant comme financement de base. Cependant, nous ne pouvons pas composer avec des questions qui sont très importantes et en fait sont une priorité pour les femmes autochtones, tels l'éducation et le développement économique. Cette année, nous avons réussi après plusieurs rencontres avec les représentants du ministère des Affaires autochtones et Développement du Nord à obtenir un peu de sous pour nous aider à entamer les travaux sur l'éducation, mais ce financement prendra fin le 31 mars. Nous espérons que nous pourrons avoir accès à des montants supplémentaires parce que ce besoin revient sans cesse. On nous demande de présenter des exposés aux divers paliers d'administration, de participer aux audiences des comités comme les vôtres, mais la capacité n'existe simplement pas. Le personnel consacre son énergie au projet pour lequel nous avons reçu un apport financier.

Il en va de même pour le développement économique, qui est une de nos priorités. Nous n'avons pas la capacité ou l'expertise voulue dans ce domaine pour affronter ces problèmes. Il y a du financement, mais les ressources humaines et financières font défaut, dans ces domaines.

Notre financement varie. Il y a environ 5 millions de dollars par an. Nous avons 30 employés qui travaillent à différentes questions. Nous ne cessons pas de publier. Nous essayons constamment d'améliorer la vie des femmes autochtones. De quoi avons-nous besoin? D'un financement de base. Nous avons eu ce financement de base pendant cinq ans. Il prendra fin, là aussi, le 31 mars 2012. Quant à savoir s'il sera renouvelé après cela, nous n'en n'avons aucune idée.

Nous fonctionnons avec ce financement de base depuis cinq ans. Il n'a pas progressé d'année en année, contrairement au coût de la vie. Il nous faut plus d'argent dans ce domaine de base. Nous n'avons personne qui s'occupe des communications de masse. Nous n'avons pas d'expertise dans le domaine de la technologie. L'année 2012 approche et nous devons nous mettre à niveau pour régler les questions plus rapidement, vu que la technologie évolue. Nous avons de nombreuses lacunes en matière de financement; il nous en faut plus.

Pour ce qui est du montant, je dirais que notre financement de base devrait doubler. On devrait assurer notre financement, afin que nous puissions traiter des questions qui affectent les femmes. Citons parmi ces questions : le logement, l'éducation, la violence et toutes les questions de justice qui affectent spécialement la vie des femmes autochtones. Je crois que notre financement de base devrait vraiment être assuré, pas juste un financement projet par projet. Nous consacrons environ la moitié de notre temps de travail à préparer des rapports pour le gouvernement, à la reddition de comptes.

Nous avons vraiment besoin de plus de financement. J'espère que nous aurons un soutien pour plus de financement, du moins pour les cinq années qui viennent, afin que nous puissions être au même niveau que les autres organisations nationales, ce qui serait approprié.

Le sénateur Meredith : En matière de développement économique, avec le financement que vous avez reçu, quels projets avez-vous entrepris? Quels succès ont connu ces projets? Ont-ils créé une stabilité économique pour les femmes?

Mme Dumont-Smith : Comme je l'ai dit, nous nous sommes efforcés d'obtenir de l'argent dans le domaine du développement économique, parce que nous sommes invités à de nombreuses tables au niveau fédéral pour exposer les problèmes économiques des femmes autochtones. Nos exposés sur la question sont limités, car nous n'avons ni la capacité ni l'expertise voulue. Nous n'avons pas d'argent pour le développement économique.

Le sénateur Meredith : Avez-vous entrepris de petits projets? Avez-vous trouvé de l'argent dans votre budget pour veiller à ce que quelque chose soit stimulé?

Mme Dumont-Smith : L'an dernier, nous avons fait un exposé au ministre Duncan sur la question de notre besoin de fonds afin de travailler dans le domaine du développement économique. Notre présidente, avec les autres chefs des organisations autochtones nationales, a fait un exposé au premier ministre en février dernier; il portait sur le développement économique. Nous avons présenté une proposition et nous avons rencontré des gens du ministère des Affaires autochtones; mais il n'en est jamais rien sorti.

Je ne suis pas une économiste. Nous n'avons personne qui travaille dans ce domaine à l'Association des femmes autochtones du Canada, aucun membre de notre personnel qui ait des habilités en développement économique. Nos exposés au premier ministre ou au ministre Duncan sont conséquemment forcément de bric et de broc.

Le sénateur Meredith : Je ne parle pas de rapports. Je parle de petits projets que vous auriez pu financer en réaffectant des fonds. On peut trouver dans son budget les fonds voulus pour lancer un petit projet qui stimule le financement de son organisation.

Mme Dumont-Smith : Les choses ne se passent pas comme ça, pas dans la réalité.

Le sénateur Meredith : Avez-vous effectué quelque chose de ce genre?

Mme Dumont-Smith : Non.

La vice-présidente : Vous disiez que votre financement de base prendrait fin en mars 2012. À quoi sert votre financement de base? Au personnel principal que vous avez au bureau?

Mme Dumont-Smith : Le financement de base dont nous disposons va aux salaires limités, dont le mien, celui de notre présidente et d'une personne adjointe à l'administration, ainsi qu'au loyer. Ce n'est pas grand-chose.

La vice-présidente : Si vous compariez l'AFAC au CPA ou à l'APN, quel serait leur financement de base? Avez-vous une idée de la différence en matière de financement?

Mme Dumont-Smith : Je ne sais pas de quel financement ils bénéficient, mais j'estime qu'il est plus élevé dans certains domaines. Ils ont des experts en communications, ils ont des experts en TI, qui nous font défaut. Nous devons partager une personne adjointe à l'administration. Nous n'avons pas l'argent voulu pour une réceptionniste, par exemple. On prend cela sur les fonds d'administration d'autres projets. Nous avons beaucoup de mal à faire tout ce qui est nécessaire à un moment donné.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Savez-vous exactement combien d'argent Affaires autochtones obtient chaque année?

Mme Dumont-Smith : Vous voulez dire ce qu'on obtient de leur part?

Le sénateur Lovelace Nicholas : Non, combien le ministère des Affaires autochtones obtient en dollars de financement?

Mme Dumont-Smith : Je crois qu'il s'agit de milliards.

Le sénateur Lovelace Nicholas : Le ministère doit-il partager ces milliards de dollars avec votre organisation, avec des organisations de logement dans ma collectivité?

Mme Dumont-Smith : J'imagine que oui.

Le sénateur Brazeau : Quel type de discussions avez-vous menées avec les gouvernements provinciaux? Pour enchaîner sur ce que disait le sénateur Hervieux-Payette, il y a toute une série de questions qui relèvent de la compétence provinciale. Moi qui ai été à la tête d'une des organisations autochtones nationales, je vois un problème dans le fait qu'on se tourne toujours vers le gouvernement fédéral pour obtenir du financement dans ces domaines. C'est vrai : il n'y a vraiment aucune expertise dans bien de ces domaines. Ce sont les gouvernements provinciaux qui ont l'expertise. Ne pensez-vous pas qu'il serait peut-être plus facile d'essayer de travailler en conjonction avec les gouvernements provinciaux, afin de s'attaquer aux nombreux problèmes qui frappent les peuples autochtones?

Mme Corbiere Lavell : C'est une bonne question, sénateur Brazeau. Nous avons 12 organisations membres qui travaillent en étroite collaboration avec les gouvernements des provinces et des territoires. Ce sont elles qui ont accès au financement voulu pour travailler dans leur région respective. Nous ne leur donnons pas d'argent; en tant qu'organisation nationale, nous n'avons pas de financement pour nos organisations membres. Nous nous réunissons et nous nous penchons sur notre mandat d'ensemble partout au Canada, comme les questions particulières que nous venons d'évoquer. Toutefois, prenez l'Association des femmes autochtones de l'Ontario, l'Association des femmes autochtones du Québec, l'Association des femmes autochtones de l'Île-du-Prince-Édouard. Elles travaillent directement avec leur gouvernement provincial respectif et entretiennent avec lui de bons rapports. Je suis heureuse de pouvoir vous en informer.

En tant qu'organisation nationale, nous ne pouvons pas avoir accès aux fonds des provinces. Je crois que c'est logique; ce n'est simplement pas possible. Nous ne voudrions pas entrer en concurrence avec nos organisations membres. Il y a des occasions où nous pouvons travailler de concert, par exemple sur les femmes autochtones disparues et assassinées. Nous nous appuyons mutuellement.

Une chose qu'il me semble utile de mentionner ici est que, en tant qu'organisation de femmes, nous avons vu le jour sur une base bénévole, à la suite d'un besoin précis au début des années 1970. On ne nous a pas donné d'argent pour nous organiser. Notre organisation a été créée par nécessité. Nous avions pris conscience de nos droits en tant que femmes autochtones et de la situation de nos familles et de nos communautés. Ce mandat et cette vision sont toujours présents. Nous ferons tout ce qui est nécessaire pour continuer à œuvrer en faveur de nos femmes. C'est le mandat que nous avons.

Souvent c'est du travail bénévole. Une bonne part de notre travail est bénévole. Depuis 40 ans que je travaille avec nos organisations de femmes, cela a toujours été bénévole. Je pense qu'on peut poser la question partout au Canada : la réponse c'est que les femmes ne sont pas payées; ce ne sont pas des experts-conseils hautement rémunérées et elles n'occupent pas des postes avec des salaires avantageux. C'est toujours du travail bénévole. Si on arrive à se faire rembourser les dépenses pour assister à une réunion, même pour venir à une réunion comme la vôtre, on est contentes. Merci.

Le sénateur Brazeau : Que pensez-vous du fait que l'AFAC existe depuis le début des années 1970, que vous êtes une organisation nationale de femmes autochtones, constituée par des organisations provinciales affiliées, ce que je comprends très bien, mais que, maintenant, il existe au sein d'autres organisations des conseils de femmes ou des secrétariats pour les femmes qui, dans certains cas, obtiennent un financement qui sinon serait peut-être allé à l'Association des femmes autochtones du Canada? Ce n'est pas pour dresser les conseils de femmes les uns contre les autres que je pose la question mais, si les organisations de femmes commencent à se multiplier, ne craignez-vous pas que cela puisse amener un risque de chevauchement des initiatives, une absence possible de cohérence dans les initiatives en faveur des femmes autochtones partout au pays? Est-ce une préoccupation pour vous?

Mme Corbiere Lavell : Non, absolument pas, je ne vois pas de chevauchement du tout. Il y a trop de travail à faire. Plus il y aura d'organisations de femmes, de comités de femmes s'attelant à la tâche de travailler avec notre peuple, mieux cela vaudra pour nos familles et nos collectivités.

Les membres de l'Association des femmes autochtones du Canada sont élues. Nous sommes la seule organisation de femmes autochtones dont les membres sont élues; c'est vrai aussi pour nos organisations membres provinciales et territoriales; tout le monde est élu. Les femmes sur le terrain reconnaissent ce leadership et expriment nos préoccupations.

Je ne sais pas comment les autres organisations nationales choisissent les membres de leurs comités de femmes; je ne crois pas qu'elles soient élues; mais nous comptons néanmoins collaborer avec elles. Nous leur accordons ce respect, parce que nous partageons la même bonne volonté et affrontons le même défi. En tant que femmes, notre rôle est de travailler pour nos enfants et pour les générations à venir. Je n'ai pas l'impression qu'il y ait des disparités ou un dilemme. J'encouragerais plus d'organisations de femmes à travailler avec nous.

Mme Dumont-Smith : Dans la même veine, nous ne voyons pas de conflits du tout à travailler avec d'autres organisations de femmes. D'ailleurs, nous présentons une proposition commune au ministre de la Justice pour lutter contre la violence faite aux femmes, avec le Conseil national des femmes métisses. Nous nous sommes aussi entretenues avec le Conseil des femmes de l'Assemblée des Premières Nations, pour travailler à des questions d'intérêt et de préoccupations mutuelles. Nous ne nous dressons pas les unes contre les autres. Nous travaillons de concert pour tâcher de remédier aux nombreux problèmes des femmes autochtones, comme l'a dit la présidente.

La vice-présidente : Ces autres organisations ne font-elles pas partie d'une plus grosse organisation? L'APN, par exemple, aurait un financement global qui engloberait la section des femmes; ce n'est pas une organisation séparée comme l'AFAC. Vous êtes une organisation distincte. Vous n'êtes pas affiliées à une autre organisation plus importante.

Mme Dumont-Smith : Effectivement, non.

La vice-présidente : Jusqu'à un certain point, il n'y a pas de conflits, parce que vous êtes une entité entièrement différente.

Le sénateur Raine : Madame Corbiere Lavell, je voudrais vous féliciter de l'excellent travail que vous avez fait au fil des années.

Je pense que vous avez parfaitement raison de rappeler, comme vous l'avez fait dans votre déclaration liminaire, le long cheminement des tentatives pour faire en sorte que les droits, pour ainsi dire, des femmes soient considérés à égalité de ceux des hommes. Le peu que je connaisse de la culture autochtone me permet de constater que, de façon générale, le lien matrilinéaire, à vrai dire la lignée maternelle, était aussi importante, voire plus importante, que la lignée paternelle. Au contact des Européens, on a présumé qu'il fallait imposer une autre façon de faire, qui ne convenait pas réellement. Cela a entraîné d'énormes conséquences.

Je voudrais poser deux questions. Effectivement, la loi concernant la propriété matrimoniale va vraisemblablement être adoptée. Comme vous le savez, on y a apporté des correctifs, mais je suis sûre que cela n'est qu'une première étape en vue de résoudre la question. Malgré le manque de ressources pour les avocats, et cetera, pensez-vous que le fait que les femmes autochtones jouissent des mêmes droits que les autres femmes canadiennes constitue une contribution importante, du moins un premier pas, vers une situation plus égalitaire?

Mme Corbiere Lavell : Je suis d'accord avec vous. En tant que femmes autochtones au Canada, c'est ce à quoi nous aspirons. Nous avons repéré dans la Loi sur les Indiens les dispositions discriminatoires à cet égard. Nous souhaitions jouir des mêmes droits, nos droits en tant que femmes, et que l'on reconnaisse que nous avions des droits humains également. Cela n'était pas évident dans la Loi sur les Indiens.

Parallèlement, nous avons lutté pour que l'on reconnaisse à tous les niveaux que nous sommes également des citoyennes canadiennes et que nous devrions jouir des mêmes droits que les autres Canadiennes.

Nous savons également que la jouissance des mêmes droits que les Canadiennes à l'extérieur de nos communautés ne signifiera pas que nous pourrons, dans nos communautés, faire valoir ces droits. La donne n'est pas la même. Il nous sera très difficile de faire valoir nos droits dans nos communautés, si on ne tient pas compte de notre histoire et qu'on ne tient pas compte de nos pratiques culturelles et de nos codes. C'est la chose la plus importante.

Il suffit de nous tourner vers notre passé. Il existe des traités comportant des garanties, notamment que nous disposerions de droits souverains en tant que nation, du droit souverain d'édicter des codes et des lois s'appliquant à nos communautés. C'est le droit le plus fondamental et le plus prépondérant que nous souhaiterions voir reconnaître. Nous sommes citoyens de ces nations. Si dans une étape ultérieure, on affaiblit notre droit souverain, ce ne sera pas à notre avantage.

Il suffit de consulter la Déclaration des droits des peuples autochtones. Cela y figure. Nous souhaiterions que ces droits soient reconnus et appliqués à nous, peuples autochtones du Canada. Comment y parvenir? Quels moyens prendre? La situation est identique. Ce sont nos aspirations, et comme je l'ai dit, nous y mettons tous nos efforts.

Le sénateur Raine : Qu'est-ce qui vient en premier, la poule ou l'œuf? En fait, dans notre société, deux groupes culturels différents cohabitent, et ils ne sont pas réellement intégrés, car leurs visions du monde sont différentes. Les écarts entre les deux sont tellement énormes et nombreux.

Toutefois, je suis convaincue que la plupart des Canadiens aujourd'hui, qu'ils soient Autochtones ou non, voudraient voir le sort des Autochtones, surtout ceux qui vivent dans les réserves en régions éloignées, être amélioré. Il nous faut utiliser les outils connus pour définir les droits en question afin d'exiger qu'on les respecte. Nous pensons que les lacunes en matière de biens immobiliers matrimoniaux seront comblées grâce à ce projet de loi. Tous les problèmes ne seront pas résolus du jour au lendemain. Si je ne m'abuse, comme chaque Première nation est distincte, chacune voudra son propre code, respectueux de sa culture et de ses lois, afin qu'il s'applique le cas échéant. Toutefois, il nous faut un point de départ.

Pour passer à l'étape suivante, il faut déterminer ceux qui appartiennent à une communauté. Je suis parfaitement d'accord avec vous : la citoyenneté et la réédification d'une nation sont l'affaire de ceux qui appartiennent à la communauté. Les conflits ne cesseront pas tant que le gouvernement fédéral déterminera qui appartient à une communauté donnée.

L'organisme que vous représentez comprend les conséquences que comportent les questions de citoyenneté. Votre organisme pourrait-il être un pôle d'élaboration de pratiques exemplaires et de codes qui pourraient être adoptés ou utilisés comme point de départ dans diverses communautés? Pensez-vous que c'est un rôle que pourrait assumer l'AFAC?

Mme Corbiere Lavell : Nous avons proposé la chose au ministère des Affaires autochtones et du Développement du Nord. Nous travaillons avec les nations à l'échelle du pays pour élaborer nos propres codes de gouvernance. J'ai évoqué la citoyenneté à propos de ces codes. Dans notre langue, la citoyenneté se dit « E'Dbendaagsijig », ce qui signifie ceux qui appartiennent à une communauté. Une fois les codes de citoyenneté établis dans le cadre de la reconnaissance de nos nations, toutes les autres lois et structures de gouvernance s'appliqueront et nos communautés vont les accepter, car elles auront été élaborées par les premiers intéressés. Elles ne viendront pas de l'extérieur. Vous avez tout à fait raison de dire que les choses doivent se passer ainsi.

Je suis la commissaire à la citoyenneté pour la nation Nishanawbe et je travaille avec les chefs de 39 Premières nations en Ontario pour élaborer la structure de gouvernance. Nous élaborons notre propre E'Dbendaagsijig, que nous appelons Chinoknigawin, qui représente les lois essentielles gouvernant les membres d'une Première nation. Ce travail a débuté il y a plusieurs années, et nous sommes sur le point de le terminer. Nous nous réunissons pour revendiquer le droit souverain qui nous avait été conféré quand nos ancêtres ont signé les traités. Nos dirigeants à l'époque avaient consulté tous les membres de leur communauté : femmes, aînés, tout le monde. C'est ainsi qu'on a procédé à la signature des traités.

Si nous pouvions revenir à l'époque de cette promesse, bien des enjeux actuels seraient résolus. Nos nations jouiraient de leurs propres codes matrimoniaux et nous pourrions déterminer l'appartenance à une communauté. Nous savons qui appartient à notre peuple, et nous réclamons la possibilité de nous occuper de cela. La Déclaration des droits des peuples autochtones affirme que nous devrions avoir le droit de déterminer l'appartenance à notre communauté et le droit de nous gouverner nous-mêmes. C'est tout ce que nous souhaitons. J'aime croire que cela se réalisera avant la fin de ma vie. Nos enfants qui grandissent vont devoir prendre la relève. Ce sont des enfants intelligents et beaux. J'espère qu'ils pourront vivre des vies saines et bien remplies sur cette planète et dans un bel environnement. Je le souhaite tout autant à vos petits-enfants qu'aux nôtres.

Le sénateur Raine : Je suis sûre que vous savez que le gouvernement n'est pas tout simplement une machine à billets, mais que l'argent vient des contribuables et des redevances sur les ressources. Si je ne m'abuse, au moment de la signature des traités, on a convenu que les recettes tirées des ressources seraient versées au gouvernement et que ce dernier s'occuperait des peuples autochtones.

À la réflexion, même si à l'époque l'idée semblait bonne, certaines personnes sont tributaires de l'argent distribué par le gouvernement et n'ont pas la satisfaction de gagner leur vie. L'argent ne sera jamais suffisant dans de telles situations.

Je sais que vous reconnaissez la nécessité d'une éducation solide pour acquérir les compétences permettant de gagner sa vie. Nous sommes en train de terminer notre étude sur l'éducation. Nous sommes allés aux quatre coins du pays et nous avons vu des choses renversantes en matière d'éducation dans les réserves. Dans certains cas, les écoles d'immersion accueillent des enfants fiers et intelligents, remplis d'énergie et d'aspirations. Personne ne veut leur mettre des bâtons dans les roues. Une grande vague s'amorce. Toutefois, ce n'est pas le cas partout. Ces cas existent seulement quand les Premières nations ont leurs propres sources de revenus, car les sommes versées par le ministère des Affaires autochtones ne suffisent pas pour dispenser un enseignement de qualité.

Pensez-vous qu'un jour le fait d'appartenir à une de vos nations ne vous donnera pas nécessairement droit à ce que tout soit payé pour vous, mais plutôt à faire partie d'une communauté qui s'occupe de ses membres les plus vulnérables, ceux qui ont le plus besoin d'aide, et où on s'attend à ce que tout le monde fasse sa part? Est-ce l'avenir que vous recherchez?

Mme Corbiere Lavell : Ce serait l'idéal. Nous devons remonter au concept d'origine de nos ancêtres qui ont conclu ces traités avec la Couronne de nation à nation. Je me souviens que mon grand-père disait que la reine avait promis de s'occuper de nous, qu'elle aurait à cœur nos intérêts et nous donnerait toutes les ressources dont nous avions besoin en tant que peuple. C'est ce qu'il avait compris et c'est de cette façon que nous devons comprendre ces traités. Ce n'était pas censé être 5 $ seulement par année pour les 100 prochaines années.

Nous devons tenir compte de la réalité et des revenus tirés des ressources. Une grande part des revenus provenant des ressources ne revient pas à nos communautés comme elle le devrait. Si nous avions accès à ces revenus, nous pourrions répondre aux besoins de nos nations. Prenez l'exemple du Nord de l'Ontario où il y a des mines de diamant et la ceinture de feu. Si nous pouvions travailler ensemble, cela dissiperait l'impression que nous sommes toujours en train de demander. Ces ressources nous appartiennent autant qu'aux autres, et cela doit être pris en compte. Nous versons également beaucoup d'impôts, alors cela ne va pas seulement dans un sens. Beaucoup de nos gens vivent hors réserve.

Notre contribution est constante, et nous ne faisons pas que recevoir comme les gens le pensent partout au Canada. Si nous pouvions utiliser ces ressources, nos nations seraient mieux placées pour gouverner et mettre en œuvre les autres structures, soit celles des services, de l'éducation et de la prestation de soins à nos aînés, toutes des choses que font les gouvernements partout au Canada. Nous aimerions également avoir l'occasion de le faire.

D'où proviennent les ressources que reçoivent les municipalités et les villes canadiennes? Elles proviennent de quelque part, mais personne ne les met en question. On voit que l'argent est mal dépensé ailleurs, à tous les paliers, mais s'il s'agit d'une communauté des Premières nations, cela provoque tout un tollé.

Le sénateur Raine : Vous avez mentionné les municipalités et la provenance de leur argent. Pour la plupart des budgets municipaux, la grande majorité des revenus proviennent des impôts fonciers. Sur les réserves, puisque vous n'êtes pas propriétaires de votre propriété, vous n'êtes pas imposés pour les services qui doivent être offerts. Cet argent doit donc provenir des ordres supérieurs de gouvernement qui reçoivent leurs revenus et leurs ressources des contribuables.

Actuellement, le gouvernement est, comme vous le savez certainement, en situation déficitaire. Nous dépensons donc l'argent de nos petits-enfants pour répondre à nos besoins aujourd'hui. Nous devons tous travailler fort pour nous assurer le niveau de vie souhaité.

C'est une situation très complexe, et votre participation me réjouit, car je pense que votre organisation a beaucoup à offrir en matière de ressources éducatives et de ressources aux familles. Je vous remercie pour ce que vous faites.

La vice-présidente : J'aurais une observation. Venant de la Saskatchewan, une partie du pays où ont été signés de très nombreux traités, je peux vous dire que les Premières nations réclament depuis longtemps que les traités soient reconnus et que cela fait partie de notre histoire. Sénateur Raine, il y a un livre intitulé Treaty Elders of Saskatchewan : Our Dream Is That Our Peoples Will One Day Be Clearly Recognized as Nations, qui dit que selon les aînés, nous n'avons pas abdiqué nos ressources, sauf pour la profondeur d'un sillon de charrue. C'est un problème de longue date.

Par exemple, en Saskatchewan, on se dispute énormément à propos de la potasse, qui est beaucoup plus profonde qu'un sillon de charrue. S'il existe de la potasse sous la réserve, à qui devrait-elle appartenir? Bien sûr, les Premières nations disent qu'elle leur appartient et le gouvernement provincial dit qu'elle appartient à la province. Ce n'est pas une situation claire; on se querelle constamment pour savoir à qui appartiennent les ressources. J'ai hâte au jour où nous pourrons conclure une entente. Est-ce que quelqu'un a des commentaires à cet égard?

Le sénateur Hervieux-Payette : Les impôts fonciers couvrent les dépenses de la plupart des municipalités, mais les petites municipalités au Québec obtiennent la plus grande proportion de leur argent du gouvernement du Québec. Cela dépend de la superficie et des recettes de la région. Il y a une formule de péréquation.

C'est aussi le cas des commissions scolaires. En Gaspésie, par exemple, la plus grande partie de l'argent ne provient pas des impôts locaux, mais plutôt du gouvernement du Québec.

Le système veut qu'au Québec, dans les régions où les recettes sont moins élevées, à la fois pour les commissions scolaires et les municipalités, la formule tient compte de la capacité d'imposition de la région. Cela pourrait différer dans les autres provinces, mais je peux vous dire que la Gaspésie ne survivrait pas si elle ne recevait pas un soutien financier majeur.

Dans les grandes villes comme Montréal, le financement provient aussi du gouvernement du Québec, mais dans une moindre mesure. Les grandes villes et les petites collectivités sont dans des situations très différentes. Le Québec compte des centaines de petites villes, et elles reçoivent en grande partie leur argent du gouvernement. Il faut être conscient de la façon dont cela fonctionne. J'ai été présidente d'une commission scolaire, je savais donc d'où provenait l'argent.

Le sénateur Patterson : Vous êtes l'Association des femmes autochtones du Canada. Pouvez-vous me dire qui est compris dans la définition du terme « autochtones »?

Mme Corbiere Lavell : Au sein de notre organisation?

Le sénateur Patterson : Oui.

Mme Corbiere Lavell : Notre association a été fondée sur le principe que nous représentons toutes les femmes autochtones. Nous représentons donc les voix et les intérêts des Indiennes inscrites, des femmes métisses, ainsi que des femmes inuites au sein de nos organisations provinciales-territoriales. Nous ne faisons pas de discrimination à cet égard. Si une femme dans une communauté a des problèmes liés à ses droits ou tout autre problème particulier, nous sommes prêtes à les aider de toutes les façons possibles, soit par l'entremise de nos organisations provinciales- territoriales ou de notre organisation nationale.

Le sénateur Patterson : Toutefois, vous avez seulement 12 associations provinciales et territoriales, et la plupart des femmes inuites au Canada sont au Nunavut. Je suis curieux : pourquoi n'avez-vous pas d'association territoriale au Nunavut?

Je me pose également des questions à propos de certains de vos programmes, qui semblent être des programmes nationaux. Par exemple, est-ce que « Du constat aux actes », une importante initiative sur la violence à l'égard des femmes et des filles autochtones, s'applique à toutes les femmes et les filles autochtones au Canada?

Mme Corbiere Lavell : De façon plus précise à propos de notre organisation et de sa structure, comme je l'ai dit, nous incluons les trois catégories reconnues par la Constitution. Toutefois, nous avons également une organisation sœur qui s'appelle Femmes inuites Pauktuutit et qui représente les intérêts et les voix des femmes inuites et innues au Nunavut et dans le Nord, soit dans les Territoires du Nord-Ouest et le Yukon.

Comme je l'ai dit, nous sommes ouvertes aux partenariats, et nous travaillons bien et en étroite collaboration avec ces associations sur les grandes préoccupations, comme les femmes autochtones portées disparues et assassinées. Lorsque nous parlons de femmes autochtones, il s'agit de toutes les femmes autochtones reconnues dans la Constitution : les femmes des Premières nations inscrites, les femmes métisses et les femmes inuites et innues. Nous avons une bonne relation de travail et nous nous respectons mutuellement.

Le sénateur Patterson : Parmi vos partenariats, vous avez mentionné le Conseil des femmes de l'APN et le Conseil national des femmes métisses. Vous n'avez pas parlé des Femmes inuites Pauktuutit, mais vous avez également une relation avec elles.

Mme Corbiere Lavell : C'est exact.

Le sénateur Patterson : Vous recevez du financement en vertu de la SFCEA, la Stratégie de formation pour les compétences et l'emploi destinée aux Autochtones, et vous assistez à des réunions fédérales-provinciales-territoriales au nom des femmes autochtones. Disposez-vous de mécanismes permettant aux Femmes inuites Pauktuutit du Canada et à l'Association des femmes inuites de participer à des programmes comme celui de la SFCEA, et d'avoir leur mot à dire dans le cadre des processus fédéraux-provinciaux-territoriaux auxquels vous participez? Je sais que Pauktuutit n'y participe pas. Avez-vous des mécanismes permettant de les faire participer à ces réunions et à des programmes comme celui de la SFCEA?

Mme Dumont-Smith : La directrice administrative de Pauktuutit, Tracy O'Hearn, participe au groupe sur la violence à l'égard des femmes autochtones, une composante du processus FPT. Elle y participe. Le programme de compétences est offert au niveau des associations membres provinciales et territoriales. Je pense qu'à Terre-Neuve-et-Labrador, il y a des femmes de descendance inuite qui ont reçu du financement grâce à ce programme. Si elles faisaient une demande dans d'autres domaines, elles recevraient également du financement.

Mme Corbiere Lavell : Femmes inuites Pauktuutit du Canada bénéficie également de la SFCEA.

Mme Dumont-Smith : Je ne connais pas tous les programmes auxquels cette association a accès. Je sais qu'elle s'occupe beaucoup de santé et de la violence à l'égard des femmes. Je ne sais pas si les femmes inuites ont leur propre SFCEA, par contre.

Le sénateur Patterson : Qu'en est-il du programme « Du constat aux actes »? Aidez-vous le Nunavut et les Inuites du Nunavut dans le cadre de cette initiative?

Mme Dumont-Smith : Oui. Le personnel de base du programme « Du constat à l'acte » se trouve au bureau d'Ottawa. En passant, Pauktuutit se trouve dans le même édifice que nous; nous sommes au neuvième étage, et cette association se trouve au cinquième. Grâce à ce programme, nous organisons une rencontre de famille chaque année. L'année dernière, la présidente de Pauktuutit a participé, car elle a un lien de parenté avec une femme disparue et assassinée, et elle est aussi la directrice administrative. Les Inuites font partie de notre base de données de familles dont un être cher a été assassiné.

Le sénateur Patterson : Le fait qu'il y a deux organisations nationales des femmes m'a toujours rendu perplexe. Je ne suis pas tout à fait convaincu que la collaboration est aussi étroite qu'elle pourrait l'être. Vous avez parlé d'une composante du processus fédéral-provincial-territorial dans le cadre de laquelle vous travaillez avec Pauktuutit. Diriez- vous que ce serait utile de rendre plus clair le mandat et les rôles de Femmes inuites Pauktuutit du Canada et de l'Association des femmes autochtones du Canada? Pourrait-on faire mieux à cet égard?

Mme Dumont-Smith : Je sais que Pauktuutit collabore aussi avec l'ITK. Cet organisme est invité à diverses tables de concertation pour présenter le point de vue des femmes inuites, si je ne m'abuse. En outre, les responsables de Pauktuutit nous disent que pour les questions qui touchent les femmes inuites, elles sont les mieux à même de présenter ces questions.

Comme ce n'est pas une association autochtone nationale reconnue, elle n'est peut-être pas invitée à toutes les tables, mais ce n'est pas à nous de faire l'invitation. Je pense qu'elle travaille très bien avec l'autre organisation autochtone nationale, l'ITK.

La vice-présidente : Dans la même veine, est-ce que Pauktuutit est une organisation distincte pour des raisons de différences culturelles? Parce qu'il existe une entente sur l'autonomie gouvernementale, y a-t-il des différences qui font que les deux intérêts ne sont pas en tout compatibles?

Mme Corbiere Lavell : Vous avez raison. Comme je l'ai dit, nous collaborons très bien sur les questions d'intérêts mutuels, comme la lutte contre la violence et la pauvreté et l'amélioration de l'éducation et des logements. Voilà des questions qui nous intéressent tous.

Toutefois, pour être plus précis, Pauktuutit a sa propre expertise et ses propres connaissances, et nous le reconnaissons. Elle collabore avec son organisation nationale, l'ITK. Nous le reconnaissons et le respectons.

Au niveau national, nous signerons une entente de partenariat ce soir avec l'Assemblée des Premières nations, dans le cadre de laquelle nous travaillerons ensemble, soit une organisation nationale avec une autre organisation nationale, sur nos préoccupations communes. Nous reconnaissons que nous sommes des entités distinctes, mais que nous avons également des mandats et des préoccupations communes et nous nous respectons l'une l'autre.

Comme je l'ai dit, nous sommes une organisation nationale élue et l'Assemblée des Premières nations est composée des chefs, et nous aurons une relation de travail continue. Nous aimerions conclure une entente de partenariat avec d'autres organisations, sans minimiser le rôle des comités de femmes qui font peut-être partie de ces organisations.

Je souligne que nous sommes distinctes, que nous sommes élues et que cela est reconnu dans la Constitution. Nous devrions avoir le droit de parler en notre propre nom et d'être une organisation nationalement reconnue; nous ne devrions pas travailler sous l'égide d'autres organisations. Nous avons une histoire et des traditions culturelles précises qui doivent également être reconnues.

Le sénateur Meredith : Madame Corbiere Lavell, les entreprises réduisent leur effectif et se réorganisent afin d'accroître leur efficacité. Au sujet de la question du sénateur Patterson à l'égard du nombre d'organisations, avez-vous discuté des façons dont vous pourriez mobiliser vos ressources afin d'accroître votre efficacité — sans nuire à votre autonomie en tant qu'organisation nationale, mais en termes de ressources et en s'attaquant aux mêmes problèmes?

Par exemple, une composante pourrait s'occuper des problèmes liés aux femmes — ceux qui se penchent sur l'émancipation économique des femmes, et cetera. Le travail se ferait en collaboration plutôt que de s'adresser au gouvernement fédéral pour obtenir des ressources, ce qui pose toujours problème comme nous le savons. Je suis d'accord avec ça, mais les plus petites organisations pourraient-elles se réunir pour former une division, pour partager les mêmes ressources administratives — les sièges sociaux, et cetera — afin de devenir plus efficaces? En avez-vous discuté?

Mme Corbiere Lavell : Nous n'avons même pas pensé à ce concept tout simplement parce que...

Le sénateur Meredith : Puis-je vous suggérer de le faire? Je veux que vous soyez efficaces dans votre travail. Vous l'êtes depuis de nombreuses années, mais le problème, c'est toujours l'argent.

Mme Corbiere Lavell : Je pense que nous devons prendre du recul pour prendre conscience de nos champs légaux particuliers, de nos champs de représentation et du fait que nous avons des mandats distincts. Je ne vois pas comment ceux-ci pourraient être combinés.

Nos sœurs métisses ont un ensemble tout à fait différent de liens légaux avec le gouvernement; elles ont des traditions et une histoire différentes. C'est aussi le cas des femmes inuites, de nos sœurs inscrites et des femmes dans nos communautés. Ces droits, ces préoccupations et le développement futur ne peuvent d'aucune façon être mis en commun. Ce serait l'équivalent de demander à des Canadiens totalement différents de s'unir. Ce n'est simplement pas possible.

Nous avons nos propres traditions, cultures, statuts de nation et identités. Ce sont de grandes différences, qui ne changeront jamais. Il suffit de regarder nos traités. Nos sœurs métisses n'ont pas participé à ces traités. Je ne pense pas que les Inuits soient dans la même position.

Pour gérer nos traités et nos droits en tant qu'Indiennes inscrites, il faut que ce soit fait de manière très précise. C'est pourquoi nous devons conserver cette identité distincte en tant qu'organisation nationale.

Mme Dumont-Smith : J'aimerais signaler qu'on a déjà tenté l'expérience. L'Organisation nationale de la santé autochtone a été créée en 2000, et c'est un échec lamentable. Elle est en chute libre en ce moment même.

Le sénateur Meredith : Comment cela se fait-il? Est-ce parce que les dirigeants ne se sont pas rassemblés et n'ont pas trouvé les objectifs communs sur lesquels ils doivent travailler précisément?

Mme Dumont-Smith : Je ne répondrai pas à cette question, car notre présidente l'a fait. C'était une question de droits, de préoccupations et d'enjeux différents. L'ONSA est en difficulté en ce moment, et certaines organisations se sont retirées.

Le sénateur Demers : Qui vous élit et combien de femmes ont le droit de vote? Vous voudrez peut-être en tenir compte lorsque vous répondrez.

On a beaucoup parlé de reddition de comptes depuis les quelque deux ans et demi que je suis sénateur. Par exemple, on a besoin de 50 personnes pour faire un travail, mais on en a seulement 20. Les 30 autres personnes sont là, mais elles n'ont pas de comptes à rendre. En vous écoutant, je pouvais voir que vous avez un bon cœur, mais combien de gens sont tenus de rendre des comptes? Nous serons bientôt en 2012, et il n'y a aucun doute que les femmes se font battre, que leurs enfants ne mangent pas et qu'il y a des problèmes de santé mentale. Cela ne me plaît pas. Comme l'a dit le sénateur Meredith, on parle toujours d'argent. Nous comprenons cette question d'argent — plus que vous ne le pensez — mais je me demande à quel point la reddition de comptes se fait. Combien d'aide recevez-vous réellement? Je ne vous pose pas la question aux deux; j'aimerais simplement une vue d'ensemble, si vous le voulez bien.

Mme Corbière Lavell : Pour ce qui est de votre première question, en tant qu'organisation nationale, notre conseil est composé de 12 présidentes, soit une par organisations territoriales membres. Chacune de ces 12 présidentes est élue dans sa région provinciale ou territoriale. Cela varie. Dans le cas du Québec, lorsqu'elles ont leurs AGA, des centaines de femmes y participent. C'est aussi le cas en Ontario. Ailleurs au Canada, cela varie.

Je ne peux pas dire précisément si nous avons 10 000 membres, mais c'est peut-être le cas, car le nombre varie, comme je l'ai dit. Notre conseil a 12 membres en ce moment. Comme je l'ai dit, nous avons également une relation de travail avec les Femmes inuites Pauktuutit. Nous avons également un partenariat et une relation de travail avec l'Assemblée des Premières nations, le Ralliement national des Métis, le Congrès des peuples autochtones et les Inuits Tapiriit. Nous avons également ce genre de relations de travail.

Pour ce qui est de la reddition de comptes, nous avons toujours dit que nous sommes extrêmement transparentes et responsables de tous les fonds que nous recevons du gouvernement fédéral — cela remonte à notre ancien programme, Sœurs d'esprit. Nous avons toujours rendu des comptes. Nous pouvons vous montrer ce que nous avons fait avec les fonds. De plus, nous travaillons avec nos communautés en ce moment, à la fois autochtones et non autochtones, pour sensibiliser les gens à notre culture et nos traditions. La violence n'a pas sa place dans nos traditions. Nous savons pourquoi elle a fait surface. Nous voulons qu'elle cesse.

Dans notre vision, une fois que nous atteindrons notre statut de nation, si nous tenons compte de nos clans et de nos enseignements, les enseignements de nos grands-parents sur le respect, l'amour, la compassion et la force, et si nous pouvons retrouver ces enseignements, la violence devrait cesser. Nous devrions être en mesure d'aider notre peuple, qui a connu le système de pensionnat indien, le système judiciaire, qui a été opprimé, pour lui redonner son identité. Nous devons nous pencher sur la dépendance, sur les diverses raisons qui en sont à l'origine.

Cela prend beaucoup de travail, mais nous ne pouvons pas expliquer les pratiques de reddition de comptes des autres organisations. Nous pouvons seulement parler en notre nom. Nous faisons du mieux que nous pouvons avec les fonds que nous recevons.

La vice-présidente : Au nom du comité, j'aimerais remercier nos témoins, Mme Corbiere Lavell et Mme Dumont- Smith, pour leur excellent exposé sur l'Association des femmes autochtones du Canada et sur leurs préoccupations à l'égard de la citoyenneté. Vous avez parlé des projets de loi C-3 et S-2, le projet de loi sur les biens immobiliers matrimoniaux. Vous nous avez parlé des pénuries de logements, de l'apprentissage, des services de garde pour les enfants autochtones, et des femmes autochtones disparues et assassinées. Vous nous avez donné un vaste aperçu de ce que vous faites. Vous avez également parlé de vos problèmes de financement et de votre intérêt dans le développement économique, que vous aimeriez poursuivre. Vous nous avez également informés de partenariats excitants à venir avec l'Assemblée des Premières nations.

La semaine prochaine, sénateurs, nous discuterons des travaux futurs. Nous serons prêts à regarder ce que nos analystes ont préparé pour nous et à planifier la suite de nos travaux.

Il a été noté que nous publierons notre rapport sur l'éducation demain. Nous avons tous bien hâte.

(La séance est levée.)


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