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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 4 - Témoignages du 2 novembre 2011


OTTAWA, le mercredi 2 novembre 2011

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui à 16 h 19 pour étudier la situation actuelle du régime financier canadien et international.

Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bienvenue à notre séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce portant sur la situation actuelle du régime financier canadien et international.

[Traduction]

Je m'appelle Michael Meighen et je suis un sénateur de l'Ontario. J'ai l'honneur de présider le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.

[Français]

Notre vice-présidente, le sénateur Hervieux-Payette devrait arriver bientôt.

[Traduction]

Je pourrais peut-être vous présenter les autres membres du comité qui sont présents. À ma gauche, voici le sénateur Massicotte, du Québec; le sénateur Moore, de la Nouvelle-Écosse; et le sénateur Ringuette, du Nouveau-Brunswick.

À ma droite, voici le sénateur Gerstein, de l'Ontario; le sénateur Greene, de la Nouvelle-Écosse; le sénateur Tkachuk, de la Saskatchewan; le sénateur Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Smith, du Québec; et le sénateur Oliver, de la Nouvelle-Écosse.

Nous sommes très heureux d'accueillir de nouveau comme témoins Mark Carney, gouverneur de la Banque du Canada, et le sous-gouverneur, Tiff Macklem. Tous deux ont souvent comparu devant notre comité et sont toujours disposés à le faire; nous l'apprécions énormément.

Un ancien sénateur a déjà demandé : « Est-ce l'homme qui forge l'époque, ou l'époque qui forge l'homme? » À la lumière de la situation économique mondiale dans laquelle s'inscrit le Canada depuis 2008, je suis d'avis que les deux parties du dicton s'appliquent à la Banque du Canada. De fait, M. Carney, M. Macklem et leurs collègues ont fait montre de qualités comme la clarté, l'intuition et, j'ose le dire, à quelques occasions, d'intrépidité, qualités dont le Canada a profité, comme pouvait le conclure tout observateur objectif des décisions et des travaux de la Banque du Canada au cours des dernières années.

Monsieur Carney, on m'a informé que, en tant que jeune joueur de hockey, vous aviez l'habitude de vous préparer avant un match important en écoutant la musique de AC/DC; je crois que la chanson était intitulée Hells Bells. Pour paraphraser une chanson classique, A Day in the Life, écrite par un groupe encore plus connu, les Beatles, le gouverneur et son équipe de la Banque du Canada ont certainement gagné leurs galons — « They made the grade »

M. Carney et M. Macklem sont parmi nous afin de discuter le contenu du Rapport sur la politique monétaire ainsi que d'autres questions d'intérêt pour les membres du comité.

Monsieur le gouverneur, nous vous écoutons.

Mark J. Carney, gouverneur, Banque du Canada : Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, de votre accueil et de vos aimables propos. Je suis convaincu que vous avez établi un précédent, en ce sens que c'est sûrement la première fois que AC/DC sera consigné au compte rendu des témoignages.

Nous sommes heureux d'être ici pour discuter de la livraison d'octobre du Rapport sur la politique monétaire, que la banque a publié la semaine dernière. Permettez-moi de prendre quelques minutes afin de vous en exposer les principaux éléments.

L'économie mondiale a fortement ralenti, car plusieurs des risques à la baisse entourant la projection énoncée dans la livraison de juillet du Rapport sur la politique monétaire se sont matérialisés. La volatilité s'est intensifiée, et on a observé une baisse généralisée de l'appétit pour le risque dans les marchés. Les effets combinés de la réduction en cours du levier d'endettement des banques et des ménages, de l'austérité budgétaire accrue et de la baisse de la confiance devraient restreindre la confiance dans les économies avancées.

La banque s'attend maintenant à ce que la zone euro, où cette dynamique se manifeste avec le plus d'acuité, connaisse une brève récession. Dans son scénario de référence, la banque suppose néanmoins que la crise de la zone euro sera contenue, bien que cette hypothèse soit nettement entachée de risques à la baisse.

Nous accueillons favorablement l'accord annoncé la semaine dernière par les dirigeants de la zone euro concernant un plan détaillé visant à régler les difficultés auxquelles l'Europe est confrontée actuellement. Nous attendons avec intérêt des précisions additionnelles sur les modalités des diverses mesures, de même que la mise en œuvre de celles-ci au cours des prochaines semaines.

[Français]

Aux États-Unis, la croissance du PIB réel devrait être faible d'ici la fin du premier semestre de 2012, en raison du recul de la confiance des ménages, du resserrement des conditions financières et du freinage budgétaire plus marqué.

L'expansion en Chine et dans les autres économies émergentes devrait passer à un rythme plus soutenable. Cette évolution, conjuguée aux baisses récentes des cours des produits de base, devrait contribuer à atténuer les pressions inflationnistes dans le monde.

Les perspectives d'évolution de l'économie canadienne se sont assombries depuis juillet. Le contexte extérieur nettement moins favorable a des incidences sur le Canada par la voie des liens financiers, de la confiance et des échanges commerciaux. La croissance a rebondi au pays au troisième trimestre grâce à la disparition de facteurs temporaires, mais la vigueur sous-jacente de l'économie a diminué et la croissance devrait rester modérée jusqu'au milieu de 2012.

[Traduction]

On prévoit une croissance relativement modeste des dépenses des ménages, à cause de l'effet négatif qu'ont la baisse des prix des produits de base et la volatilité accrue des marchés financiers sur les revenus, la richesse et la confiance des ménages canadiens. On s'attend toujours à ce que le rythme de progression des investissements fixes des entreprises soit solide, compte tenu des conditions financières très favorables et des pressions concurrentielles accrues, mais qu'il soit tempéré par les perspectives économiques mondiales plus sombres et plus incertaines.

Les exportations nettes devraient demeurer une source de faiblesse, du fait de l'atonie de la demande étrangère et des problèmes qui continuent de se poser sur le plan de la compétitivité, y compris la vigueur persistante du dollar canadien.

Dans l'ensemble, la banque prévoit que la croissance sera lente au Canada jusqu'au milieu de 2012, avant de reprendre tandis que la conjoncture économique mondiale s'améliore, que l'incertitude se dissipe et que la confiance remonte.

[Français]

Les perspectives économiques plus faibles se traduisent par des capacités de production excédentaire plus importantes et plus persistantes qu'on ne le prévoyait auparavant. On anticipe maintenant que l'économie canadienne tournera de nouveau à plein régime à la fin de 2013. Par conséquent, l'inflation mesurée par l'indice de référence devrait être légèrement plus basse que prévue. Elle devrait reculer en 2012 avant de remonter à 2 p. 100 à la fin de 2013.

La projection relative à l'inflation mesurée par l'IPC global a aussi été révisée à la baisse. On a tenu compte de retournements récents de fortes hausses de prix mondiaux de l'énergie survenues précédemment, ainsi que du niveau un peu plus bas de l'inflation mesurée par l'indice de référence. L'inflation mesurée par l'IPC global devrait toucher un creux d'environ 1 p. 100 au milieu de 2012. Elle devrait remonter, tout comme l'inflation mesurée par l'indice de référence, à la cible de 2 p. 100 à la fin de 2013, alors que l'offre excédentaire au sein de l'économie se résorbera lentement.

[Traduction]

Plusieurs risques importants pèsent sur les perspectives d'évolution de l'inflation au Canada. Les trois principaux risques à la hausse ont trait à la possibilité que les pressions inflationnistes au sein de l'économie mondiale soient plus fortes que prévu, à un dynamisme accru des dépenses des ménages canadiens et à la possibilité que la confiance des entreprises et des consommateurs revienne plus rapidement qu'escompté, grâce à la prise de mesures de politiques plus résolues dans les grandes économies avancées.

Trois principaux risques à la baisse sont liés aux inquiétudes concernant la dette souveraine et les banques en Europe, à la possibilité accrue d'une récession économique aux États-Unis et à la possibilité que la croissance des dépenses des ménages canadiens soit plus faible que prévu.

Compte tenu de tous ces facteurs, la banque a maintenu la semaine dernière le taux cible du financement à un jour à un pour cent. Comme le taux d'intérêt cible se situe près de creux historiques et que le système financier fonctionne bien, la détente monétaire en place au Canada est considérable. La banque continuera à suivre de près la situation économique et financière au pays et à l'étranger, de même que l'évolution des risques, et à établir la politique monétaire de façon à atteindre la cible d'inflation de 2 p. 100 à moyen terme.

Sur ce, M. Macklem et moi serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci.

Je peux peut-être lancer la discussion en parlant d'une chose à laquelle tout le monde pense, c'est-à-dire la situation en Grèce. Vous auriez déclaré appuyer le droit démocratique du peuple de ce pays de tenir un référendum sur le plan de sauvetage.

Corrigez-moi si je me trompe, mais hier, vous avez donné l'impression de minimiser quelque peu les enjeux en rappelant que l'économie de la Grèce est très petite par rapport à l'ensemble de la zone euro. Compte tenu de la possibilité bien réelle du rejet de l'entente par les électeurs grecs, quelles en seraient les conséquences, non pas tant pour la Grèce elle-même, mais pour les autres pays de la zone euro et peut-être même pour le Canada? D'après vous, quelles mesures faudrait-il envisager pour limiter la contagion et empêcher tout effet d'entraînement, comme celui que nous avons subi au cours de la crise bancaire de 2008?

M. Carney : Merci de vos questions.

Je commencerais en soulignant les propos du ministre des Finances, qui a affirmé que, en ce qui a trait à la crise dans la zone euro, pas seulement la situation en Grèce, mais également les mesures plus vastes qui doivent être mises en place en Europe, tout retard jouera contre nous. Des mesures ont été promises, dont tout récemment au cours d'un sommet très important des dirigeants de la zone euro qui s'est déroulé la semaine dernière, au cours duquel un plan détaillé en cinq points pour l'Europe a été élaboré. Comme je l'ai dit dans ma déclaration préliminaire ainsi qu'hier, il est important que nous soyons mis au fait des détails qui sous-tendent ces initiatives plus vastes ainsi que de la manière dont elles seront mises en œuvre.

L'un des cinq éléments porte sur la restructuration de la dette grecque et les mesures promises par le gouvernement de ce pays.

J'ai fait observer la nécessité d'un vaste appui à l'égard de ces mesures, car cette séquence de réformes tant financières que structurelles que le gouvernement et le peuple grecs doivent mettre en place, quelles que soient les circonstances, ne se déroulera pas au cours de quelques semaines, mais au cours des prochaines années. Les réformes doivent être largement appuyées. Je m'en remets entièrement au peuple et au gouvernement grecs pour déterminer la manière de créer et de rallier des appuis afin de mettre en place des mesures absolument nécessaires.

Deuxièmement, en dépit de toute l'influence que peuvent exercer votre comité, la Banque du Canada et le peuple du Canada, elle reste sans effet sur ce résultat. Vous me demandez ce qui se produira si la situation n'est pas résolue de manière satisfaisante et que la Grèce ne prend pas toutes les mesures nécessaires? La banque insisterait sur le fait qu'il faut commencer par relativiser cette question. C'est un problème relativement petit dans le contexte plus vaste de l'économie mondiale. L'économie grecque représente environ 1,5 p. 100 du PIB de la zone euro. Il est absolument nécessaire que tous les autres éléments du plan soient mis en place — il faut aller au-delà des promesses et les mettre en place. Cela commence par une restructuration du capital du système bancaire européen.

Les dirigeants européens ont précisé que, d'ici juin de l'année prochaine, les banques européennes devraient procéder à un relèvement du ratio de fonds propres de catégorie 1 à 9 p. 100, comme le prévoit le dispositif de Bâle 2.5. En outre, ils ont manifesté le souhait que cela ne se fasse pas au moyen d'une trop grande réduction des leviers d'endettement. La banque irait plus loin et proposerait peut-être quelques détails; dans l'idéal, des mesures seraient prises pour que le capital réel soit placé dans les institutions plutôt que de laisser ces dernières simplement se départir de leurs actifs. Voilà qui aurait un effet plus positif sur l'ensemble de la situation européenne. Nous nous en remettons aux Européens pour qu'ils décident exactement comment procéder. C'est un exemple des détails qui doivent être précisés et des progrès qui doivent être réalisés à court terme.

Troisièmement, il faut faire des progrès pour s'assurer que la capacité de ce que l'on appelle le coupe-feu, c'est-à-dire la capacité du FESF, un fonds qui a pour but de...

Le président : Pourriez-vous nous dire ce que signifie ce sigle?

M. Carney : C'est le Fonds européen de stabilité financière, une mise en commun de ressources européennes auxquelles les pays de la zone euro peuvent avoir accès. Ces fonds ont été en partie mis à la disposition de l'Irlande, du Portugal et de la Grèce; dans tous ces cas, c'était de concert avec des fonds provenant du FMI. Le FESF pourrait également être mis à la disposition d'autres pays européens afin de s'assurer qu'ils puissent financer leur dette gouvernementale à des taux d'intérêt viables. Les Européens ont manifesté le souhait d'augmenter la capacité réelle de ce fonds afin qu'il atteigne un billion d'euros supplémentaires. Cette mesure doit être mise en place de manière efficace afin que, dans les faits, la proportion la plus importante, à notre avis — pas qu'il soit absolument nécessaire de se tourner vers ce fonds, mais que les principaux pays touchés, autrement dit l'Espagne et l'Italie, aient la possibilité ou la capacité de puiser dans ce fonds afin de pouvoir refinancer leur dette de manière durable au cours des prochaines années.

La banque adopte cette position en raison de l'échéancier des adaptations que ces pays devront faire, sur le plan tant financier que structurel. Les réformes apportées aux marchés des produits, aux marchés de l'emploi, l'augmentation de la compétitivité, et enfin les adaptations à apporter à la nature même de l'union monétaire et son refinancement — qui fait partie de cinq éléments de ce plan de sauvetage, soit une nouvelle structure de gouvernance et de nouveaux objectifs pour l'union monétaire — prendront des années, pas des semaines, ni même des mois. Il faut assurer la certitude pour les marchés. Ils doivent être submergés aussi bien sur le plan des capitaux bancaires que sur celui des emprunts souverains.

Le fait de mettre en œuvre les mesures non seulement promises mais convenues par les dirigeants européens, permettra de réellement isoler le noyau de l'Europe des situations nationales individuelles. Voilà qui est dans l'intérêt de tous. Nous ne prêchons d'aucune manière en faveur d'une issue malheureuse de la situation en Grèce. Nous aimerions que l'entente qui a été conclue soit mise en place. Toutefois, il est véritablement possible d'isoler le noyau de l'Europe de ce qui se produit dans ce pays. Vous pouvez être absolument certains qu'il est nécessaire de mettre en place les autres éléments de l'entente et de les mettre en œuvre.

Je peux affirmer que les dirigeants européens, les gouverneurs des banques centrales européennes et les ministres des finances européens savent tout cela, et qu'ils travaillent tous en ce sens. C'est la raison pour laquelle la banque dit attendre avec intérêt les précisions additionnelles sur les modalités des diverses mesures de même que la mise en œuvre de celles-ci au cours des prochaines semaines.

Le sénateur Hervieux-Payette : Puis-je vous poser une question au sujet du processus de mise en œuvre? Comment ce processus est-il amorcé si les pays doivent le mettre en œuvre? Est-ce le gouverneur de la banque centrale d'un pays qui va voir le ministre des finances, puis le dirigeant de ce pays? Quel est le processus?

M. Carney : C'est une bonne question. Une série de rencontres sont prévues à l'échelle européenne. Comme vous le savez tous, un sommet se tient à Cannes cette semaine. Il y aura des réunions en marge de ce sommet, j'en suis convaincu, qui permettront de mieux définir les détails sur les capacités de ces fonds. Ensuite, au cours des prochaines semaines, les ministres des finances européens ont des rencontres régulières prévues, et c'est exactement cette question qui est à l'ordre du jour, afin de faire de cette idée théorique une question concrète d'application pratique et de fournir davantage de détails.

Quant aux activités propres à chacun des pays, le refinancement des banques est un exemple de responsabilité qui revient d'abord et avant tout aux autorités locales. Toutefois, elles travaillent de concert avec l'EBA, l'Autorité des banques européennes, qui est, dans les faits, l'organisme de réglementation commun du système bancaire, afin de déterminer l'efficacité des diverses mesures prises par chaque banque. Voilà ce qui va se produire au cours des prochaines semaines. Nous attendons avec intérêt les précisions additionnelles qui en découleront, tant au niveau européen qu'à celui de chacune des nations qui composent l'Union.

Le sénateur Greene : Que se passera-t-il s'il n'y a pas de mise en œuvre, quelle qu'en soit la raison?

M. Carney : Deux choses. Tout d'abord, notre prévision, celle qui se trouve sous vos yeux, s'appuie sur l'hypothèse d'une crise européenne contenue — non pas réglée, mais contenue. Par cela, nous voulons dire que le niveau de propagation ou de contagion, par le truchement de la confiance dans l'ensemble des marchés financiers et d'autres moyens, à l'Amérique du Nord et à de plus vastes marchés, dont le Canada, est limité. À cette fin, nous nous attendons pleinement à ce que les autorités européennes honorent leurs engagements, lesquels ont été pris au niveau politique le plus élevé et, dans bien des cas, sont appuyés par l'ensemble des intervenants politiques. À titre d'exemple, la chancelière allemande a pris ces engagements à la suite de consultations auprès du Bundestag afin de connaître exactement les mesures que l'Allemagne souhaitait voir adopter, de sorte que ces mesures bénéficient d'un vaste appui. À la lumière de tels engagements, nous nous attendons donc entièrement à la mise en œuvre de ces mesures. Nous nous attendons à ce que cela assure le confinement plutôt que la résolution de la situation financière, car cette dernière prendra des années. En outre, nous n'excluons pas la possibilité que des mesures supplémentaires soient nécessaires à relativement court ou moyen termes afin que nous puissions nous assurer de réaliser ces objectifs.

Pour répondre à la question — je ne devrais peut-être pas répondre à la question. Aimeriez-vous que j'y réponde?

Le président : Oui.

M. Carney : Si la situation financière en Europe n'était pas contenue, manifestement, nous abaisserions nos prévisions de croissance et d'inflation au Canada, toutes choses étant égales par ailleurs en l'absence d'autres répercussions. L'impact direct de l'Europe sur le Canada est relativement modeste. Nous entretenons quelques intérêts commerciaux, mais ils sont relativement restreints. L'impact direct entre les secteurs financiers est relativement modeste. L'exposition des institutions financières canadiennes aux pays touchés est relativement restreinte. À notre avis, l'exposition se manifesterait par une réévaluation généralisée des actifs à risque, des écarts de crédit, un repli des cours boursiers et un resserrement des conditions de financement qui se produiraient indubitablement si l'Europe devait connaître des problèmes d'importance. Il ne fait pas le moindre doute que le secteur financier canadien serait touché, même malgré sa robustesse.

On peut faire bien des choses pour atténuer cet impact, mais nous ne pouvons l'éliminer totalement. Les institutions financières canadiennes ont déjà fait beaucoup pour restreindre l'impact d'un événement comme celui-là, mais elles ne peuvent pas non plus l'éliminer totalement. L'effet se fera sentir dans le circuit financier, et, sans le moindre doute, cela influera sur la confiance des ménages et des entreprises.

Une fois de plus, dans un scénario de crise contenue, soit le scénario de référence de nos prévisions, les effets financiers et les effets sur la confiance sont déjà intégrés. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous affirmons que, lorsque nous arriverons au milieu de l'année 2012, d'après nos meilleures évaluations en ce moment, nous pourrons commencer à observer certains des avantages des mesures dont nous nous attendons des Européens qu'ils les mettent en place dans le but d'éliminer certains des impacts financiers et sur la confiance, tant pour le Canada que, de manière très importante, pour les États-Unis, qui sont beaucoup plus directement affectés.

Le sénateur Tkachuk : Monsieur le gouverneur et monsieur Macklem, merci de votre présence parmi nous aujourd'hui.

Pendant la crise économique, on a fait valoir que c'est le robuste cadre réglementaire du Canada qui nous a protégés de certaines des répercussions plus néfastes de la dernière récession. Toutes sortes de gens, des spécialistes des finances qui écrivent à ce sujet et même vous avez évoqué le ministère des Finances, la Banque du Canada, le BSIF, la Société d'assurance-dépôts du Canada, l'Agence de la consommation en matière financière du Canada ainsi que les efforts coordonnés de ces organismes de réglementation par le truchement de diverses institutions comme le Comité de surveillance des institutions financières. Toutefois, les États-Unis, qui ont été énormément éprouvés par la même crise, avaient également une foule de règlements sur la sûreté et la stabilité des banques, l'assurance-dépôts et la quantité adéquate de capital. Ils ont la Réserve fédérale, le Financial Stability Oversight Council et leur équivalent de la Société d'assurance-dépôts, la Federal Deposit Insurance Corporation. Ils ont la Commodity Futures Trading Commission. Tout le monde a des organismes de réglementation et des règlements. J'aimerais savoir quelle partie du cadre réglementaire explique l'écart de résultats entre le Canada et les États-Unis.

M. Carney : Permettez-moi de dire quelques choses à ce sujet, que M. Macklem souhaitera peut-être compléter.

Premièrement, c'est en lien avec la manière dont le marché hypothécaire du Canada est structuré. Les structures des marchés hypothécaires canadien et américain sont très différentes. Notre système d'assurance hypothèque, bien qu'il soit toujours possible de l'améliorer et que le gouvernement ait pris des mesures à cet effet au cours des dernières années, comportait des critères de souscription plus uniformes et plus rigoureux que ceux du système américain. Plusieurs raisons expliquent cette situation, et je pourrai vous les expliquer si vous souhaitez les connaître, mais je vais d'abord apporter une réponse d'une plus grande portée à votre question sans m'étendre sur ce sujet.

Deuxièmement, certains aspects de la réglementation n'ont pas été entièrement appliqués aux États-Unis. L'un d'entre eux est un règlement très élémentaire, c'est-à-dire le ratio de levier financier. Plutôt que d'avoir recours à une manière compliquée de procéder à la correction des actifs — de nombreuses raisons valables justifient la correction des actifs aux termes du dispositif de Bâle II, et maintenant Bâle III, qui permettent de procéder à la correction de vos actifs en fonction des risques et de réellement réduire la taille apparente de votre bilan en conséquence, ce qui suit une certaine logique —, nous avons adopté une approche d'une grande prudence. C'est grâce à la surintendante des institutions financières, qui s'est assurée que nous agissions ainsi. L'approche se fondait sur un ratio très simple du total des actifs sur le total des capitaux, ce qui nous a protégés des risques qui nous semblaient faibles, mais qui se sont révélés élevés.

L'un des principaux éléments qui ont mené à la crise aux États-Unis, au R.-U. et en Europe était les titres de cote triple A, les titres structurés et ce que l'on appelait les titres supra prioritaires adossés, qui étaient considérés comme ne posant aucun risque, mais qui, en réalité, étaient incroyablement risqués. Corrigés en fonction des risques, les bilans des gens semblaient relativement faibles, mais sans cette correction, ces bilans étaient énormes — des ratios de 40 pour 1 d'actifs par rapport au capital, de 50 pour 1 dans le cas de certaines banques continentales européennes. Au Canada, c'était interdit. La limite imposée était de 20 pour 1. Voilà un exemple d'un règlement élémentaire.

À mon avis, les racines de la crise sont plus profondes en ce qui concerne trois aspects. L'un d'entre eux est la manière dont vous réglementez et la manière dont vous surveillez. L'approche réglementaire canadienne, particulièrement celle de la surintendante, était davantage axée sur la surveillance ainsi que sur des principes, plutôt qu'une réglementation axée sur des règles à ne pas enfreindre. C'est davantage une approche qui fonctionne par cycles successifs. Je vais vous expliquer ce que j'entends par là.

L'une des choses qui se produisent dans le comité que vous avez mentionné, le CISF auquel je siège à titre de gouverneur et qui est présidé par la surintendante — le sous-ministre des Finances et le dirigeant de la Société d'assurance-dépôts y siègent également —, c'est que, de temps à autre, une de nos institutions sera sous les projecteurs. Elle aura fait quelque chose de travers. Elle aura mal géré son risque, ses activités d'exploitation seront à risque ou un quelconque autre élément fera en sorte qu'elle se retrouvera sous la loupe de l'organisme de réglementation. Il lui faudra peut-être relever le plafond de ses fonds propres. Elle devra peut-être se départir d'une entreprise ou changer un système, mais, d'une certaine manière, elle se retrouve au banc des pénalités — ce n'est pas connu du public — jusqu'à ce que le problème soit réglé. Voilà le genre de choses dont ce comité discute. Nous sommes tous au courant, mais, au bout du compte, c'est à la surintendante de décider. L'institution, disons que c'est une banque, et son conseil d'administration savent qu'il y a un problème et qu'ils ne quitteront pas le banc des pénalités jusqu'à ce qu'il soit réglé. Voilà, à peu de choses près, en quoi consiste l'approche par cycles successifs.

Je ne suis pas autorisé à vous décrire des cas précis, mais je peux vous dire que cette intervention précoce a changé bien des choses dans différentes situations qui ont été portées à ma connaissance. Grâce à cette approche, le conseil d'administration et la haute direction des institutions visées ont pu intervenir rapidement pour régler des problèmes associés à la gestion du risque et aux contrôles opérationnels, ce genre de choses qui peuvent surgir et finir par causer de graves problèmes. C'est une approche par cycles successifs. On ne peut pas encadrer ce genre de choses par une loi. On ne peut pas tout prévoir. Il faut une surveillance efficace sur le terrain.

Les deux autres éléments qui fonctionnent, selon moi, sont la structure de reddition de comptes. Avec tout le respect qui leur est dû, les États-Unis comptent un grand nombre d'organismes de réglementation. Malheureusement, dans la période qui a mené à la crise, la responsabilité de certains organismes n'était pas tout à fait claire — à titre d'exemple, le secteur américain des maisons de courtage, les banques d'investissement, le principal organisme de réglementation de la SEC, une partie de la réglementation venait de la Réserve fédérale de New York, mais elle n'était pas le principal organisme de réglementation. Au cours des cinq ans qui ont précédé à la crise, le ratio de levier financier, dont je viens de vous parler, de ces banques d'investissement est passé de 12 ou 13 à un peu moins de 30. Doit-on s'étonner de la suite des choses? Avec des types d'actifs risqués financés à très court terme, la SEC qui regardait ailleurs et la Réserve fédérale de New York qui n'était pas responsable de cet aspect, les États-Unis se sont retrouvés avec un déficit en matière de reddition de comptes et un décalage en matière de compétences et de responsabilités. Une fois de plus, j'affirme cela en toute déférence. Il est facile de critiquer après coup. Toutefois, je crois que les autorités américaines reconnaissent la situation.

Ici, au Canada, les rôles de chacun sont parfaitement clairs : nous savons qui réglemente les banques, qui est responsable de la sûreté des maisons de courtage et qui se charge d'encadrer les compagnies d'assurances. Le principal responsable de la réglementation est la surintendante des institutions financières. La Banque du Canada, le ministère des Finances et la Société d'assurance-dépôts jouent un rôle complémentaire. Nous sommes tous responsables, de par la loi, d'échanger les renseignements dont nous disposons, et c'est le dernier élément dont j'aimerais discuter, c'est-à- dire le degré de coopération. Il nous faut communiquer toute information d'importance que nous avons en notre possession.

L'un des autres éléments que l'on retrouvait aux États-Unis et dans certaines autres administrations, c'est ce que l'on pourrait appeler la concurrence entre les organismes de réglementation. Dans l'univers réglementaire canadien, si la Banque du Canada s'inquiète au sujet de quelque chose dans un secteur donné, nous demandons à la surintendante des institutions financières de nous communiquer les renseignements qu'elle possède, ce qu'elle fait instantanément. Les choses se passent ainsi, car nous entretenons une excellente relation de travail, mais également parce que c'est prescrit par la loi qui encadre les activités du Bureau du surintendant des institutions financières, puisque les renseignements pourraient être importants. Personne ne voudrait se trouver en position de ne pas avoir transmis des renseignements qui auraient pu être d'importance.

Dans une certaine mesure, la coopération définit la nature du fonctionnement du Canada, et c'est une caractéristique sur laquelle nous pouvons nous fier, mais il s'agit également d'une responsabilité enchâssée dans un cadre législatif. La coopération, la reddition de comptes et l'étendue des mesures de surveillance sont, si vous voulez, les éléments souples de notre cadre réglementaire qui ont changé les choses pour nous.

J'ajouterai en outre que, même si c'est vraiment formidable que les choses se soient passées ainsi, que nous avons bien fait et avons tenu le coup, nous ne pouvons pas faire preuve de complaisance. Nous nous en sommes effectivement bien tirés, mais dès que nous nous endormirons sur nos lauriers, le vent tournera.

Le sénateur Tkachuk : J'allais y arriver. Le système des Américains est particulièrement concurrentiel et compte des milliers de banques. Le service de recherche du Congrès a conclu que le système économique et financier du Canada est plus petit que celui des États-Unis. Nous réglementons une demi-douzaine de banques et quelques autres de plus petite taille. Vous pourriez probablement le faire dans une seule pièce du Albany Club, mais ce n'est tout simplement pas la même chose.

Vous avez parlé d'accroître les mesures de réglementation. Comment faire pour encadrer un système comme celui des Américains? Vous avez indiqué que les Européens ont également besoin d'un système réglementaire plus robuste. Leur débâcle sera peut-être attribuable à des raisons différentes de celle des Américains. Aurions-nous pu survivre à un effondrement du marché du logement au Canada? Supposons un effondrement du marché canadien du logement d'ampleur similaire à celui du marché américain. Je crois que nous aurions d'énormes problèmes; de plus, toutes nos banques sont trop grosses pour être renflouées.

M. Carney : Il y a un certain nombre d'éléments à votre question. Premièrement, j'ai bien peur de ne pas pouvoir laisser passer votre commentaire selon lequel nous ne réglementons que six banques, pas plus. Ce qui s'est passé pendant les années 1980 avec la Norbanque et la Banque Commerciale du Canada nous a appris que, pour l'essentiel, ce qui se passe dans les institutions de petite taille a une incidence sur l'ensemble du système, et qu'il fallait réglementer de manière efficace tant les grandes que les petites institutions. C'est ce qui a été à l'origine du poste indépendant de surintendant des institutions financières, qui nous a rendu de grands services. Les membres du Comité de surveillance des institutions financières, le CSIF, consacrent beaucoup de temps aux institutions de petite taille, tout comme le BSIF. Le jeu en vaut la chandelle. Quand les Canadiens transigent avec ces institutions et qu'ils bénéficient d'une assurance-dépôts, comme c'est le cas la plupart du temps, ils ont le droit de savoir que ces institutions sont surveillées de manière appropriée.

Deuxièmement, nous préconisons l'amélioration de la réglementation et l'intensification de la surveillance. Comme vous l'avez relevé dans votre question, le système américain n'a pas bien fonctionné, ce qui est manifeste. Le système éprouve diverses lacunes, notamment le fait de ne pas avoir procédé à une mise en œuvre appropriée du dispositif de Bâle; cependant, les Américains se préparent à mettre en œuvre un ratio de levier financier systématique. De plus, ils n'ont pas de conseil de surveillance efficace, mais ils disposent maintenant d'un conseil de stabilité financière présidé par le Trésor américain. Divers autres facteurs accompagnent ces mesures, qui permettent de corriger de manière appropriée, à notre avis, les niveaux des fonds propres et des liquidités aux États-Unis. Tout ne se passe pas exactement comme dans le système canadien. Nous avons également tiré des leçons de la crise, mais, maintenant, le système américain ressemble davantage au système canadien plutôt que l'inverse, cela ne fait aucun doute. C'est ce que nous préconisons, car il y va de notre intérêt national de nous assurer que le système américain est plus résilient. Personne n'a apprécié la crise de 2008-2009.

Votre dernière question portait sur le logement. Si nous devions subir une catastrophe nationale sur le marché du logement comme une chute de 30 à 40 p. 100, nous le ressentirions. Toutefois, le fonctionnement du marché canadien est considérablement différent de celui du marché américain.

Pour commencer, le niveau de capital détenu par les ménages canadiens, soit un peu moins de 70 p. 100, est beaucoup plus élevé que celui des ménages américains, qui dépasse à peine les 30 p. 100. L'une des mesures qui ont contribué à cette situation est le fait que les intérêts hypothécaires ne sont pas déductibles d'impôt au Canada.

Qui plus est, la plupart des hypothèques figurent au bilan des banques, ce qui fait que ces dernières sont parties prenantes par opposition au fait d'entreposer les hypothèques pour ensuite les revendre. Auparavant, environ le tiers de nos hypothèques étaient titrisées, alors que deux tiers des hypothèques américaines l'étaient; par conséquent, la motivation n'était pas la même. Avant la crise, les prêts hypothécaires à risque représentaient environ 14 p. 100 de l'ensemble du flux des hypothèques aux États-Unis, alors qu'ils étaient bien en deçà de 10 p. 100 au Canada, soit environ 3,5 p. 100. Les différences entre les deux systèmes étaient considérables.

Enfin, si la situation devait prendre une tournure défavorable — et je tiens à dire que ce n'est pas ce que nous prévoyons —, une autre caractéristique nous distingue : ici, les hypothèques dont le ratio prêt-valeur est élevé doivent être assurées. Une partie des hypothèques à risque plus élevé est déplacée vers la SCHL ou vers l'assureur privé. Comme il s'agit d'assurance hypothèque, le règlement, ou la perspective de ce dernier, est beaucoup plus rapide ici qu'aux États-Unis, en raison de l'ordre de grandeur de ces derniers et du moment où l'intervention aura lieu. Le fait que le marché du logement américain éprouve toujours des difficultés et que cela dure plus longtemps que prévu est en partie attribuable au délai avant d'en arriver à un règlement. Les deux systèmes sont très différents.

Nous ne nous montrons pas complaisants à l'égard de la dette des ménages de notre pays ni de son marché du logement. Cependant, il ne s'agit pas de complaisance que d'affirmer que notre système n'a rien à voir avec les lacunes structurelles qui affligeaient le marché du logement américain avant la crise.

Le sénateur Greene : Ma question sera brève parce que le sénateur Tkachuk a posé la plupart de mes questions. Ce sera une question à réponse ouverte. Libre à vous d'y répondre à votre guise.

Êtes-vous satisfait des progrès réalisés aux États-Unis au chapitre de la surveillance de leur système financier?

Le président : M. Macklem aimerait peut-être répondre à cette question.

Tiff Macklem, premier sous-gouverneur, Banque du Canada : S'inquiéter fait partie de notre travail, alors nous ne sommes jamais satisfaits; c'est dans notre nature.

Pour revenir à ce que le gouverneur a dit au sujet du programme de réglementation des États-Unis, des éléments clés et de la mise en œuvre saine sur le terrain, il y a toujours beaucoup de travail à faire. Les règles établies dans le cadre de l'accord de Bâle III relativement aux capitaux, à la liquidité et au ratio de levier ont été acceptées, mais elles ne sont pas encore appliquées sur le terrain. Il y a beaucoup de travail à faire à cet égard, et il est extrêmement important que ces règles soient mises en œuvre de manière intégrale et cohérente, non seulement aux États-Unis, mais à l'échelle mondiale. C'est un gros morceau du casse-tête.

Il y a un autre morceau qu'il faut mettre en place, et nous sommes nombreux à y consacrer beaucoup de temps. Il s'agit de ce que l'on appelle souvent le système des banques fantômes ou le financement de marchés. À de nombreux égards, ce qu'il y a de plus facile a déjà été fait. Nous avons remanié les règles pour le secteur réglementé en vue de combler les lacunes importantes qui existaient. Nous avons beaucoup d'expérience relative à ce secteur et nous le connaissons bien.

Le secteur des banques fantômes prend beaucoup de place. Aux États-Unis, au sommet de la flambée du crédit, ce secteur était deux fois plus important que le secteur réglementé. Il a toutefois perdu beaucoup d'ampleur parce que l'accès au financement a été restreint, mais il est toujours 25 p. 100 plus important que le secteur réglementé. Il joue un rôle important dans leur économie en contribuant à la diversification, à l'innovation et à la concurrence. Toutefois, nous ne voulons pas voir des activités se déplacer tout simplement vers le secteur des banques fantômes par suite du renforcement des règles s'appliquant au secteur réglementé. Le Conseil de stabilité financière a coordonné les efforts intenses déployés — et les Américains ont joué un rôle important à cet égard — en vue de mieux comprendre toutes les activités du secteur des banques fantômes, la manière dont ces banques sont interreliées au sein du secteur et les liens entre ce dernier et le secteur réglementé. Il faut suivre l'argent à la trace. En quoi consiste la chaîne et où risque-t-elle de se briser?

Puis, il faut déterminer quels types de mesures rendraient ce secteur plus résilient par exemple : la réglementation des marges obligatoires; l'examen des liens avec le secteur réglementé; les mesures prises pour garantir que le secteur réglementé prend les dispositions nécessaires pour se protéger contre les risques liés aux incidents éventuels dans le secteur des banques fantômes et, ceci est très important, le renforcement des composantes clés de l'infrastructure de base ou des contreparties centralisées pour les instruments dérivés de gré à gré, ce qui limiterait les répercussions des problèmes rencontrés par une institution sur les autres.

En somme, les règles relatives au secteur réglementé ont été remaniées et doivent être appliquées, et nous devons trouver des solutions pour ce qui est du secteur des banques fantômes. Enfin, nous devons terminer notre travail relatif aux institutions qui sont « trop grosses pour faire faillite » afin que la faillite d'une institution n'ait pas de répercussions désastreuses sur les contribuables. Nous ne serons heureux que lorsque tout cela aura été fait.

Le président : Avez-vous quelque chose à ajouter à cela, monsieur le gouverneur?

M. Carney : C'est très bien résumé. J'ajouterais seulement un aspect particulier en ce qui concerne les États-Unis. Ils ont effectué des changements institutionnels dans le cadre de la loi Dodd-Frank, qui prévoit, entre autres, de confier à la Réserve fédérale la responsabilité des institutions financières importantes sur le plan systémique de manière à ce qu'il lui incombe à elle de protéger les contribuables contre les risques liés aux institutions qui sont « trop grosses pour faire faillite », ce qui ne se limite pas seulement aux grosses banques. On se réjouit de cette avancée importante.

Le sénateur Moore : J'aimerais poursuivre notre discussion de tout à l'heure sur la Grèce. J'ai lu, dans la rubrique financière, que les pays qui ont des obligations du gouvernement grec doivent subir une décote de 50 p. 100; autrement dit, ce qui valait 100 $ n'en vaut soudainement que 50 $. Combien de leurs obligations avons-nous dans nos réserves de liquidité?

M. Carney : Aucune.

Le sénateur Moore : Aucune?

M. Carney : Comment?

Le sénateur Moore : C'est très bien. Vous avez dû vous en débarrasser plus tôt. C'est ça?

M. Carney : Je vais vous donner une réponse plus large.

La Banque du Canada a le mandat de gérer les réserves de liquidité du gouvernement fédéral. La politique de placement relative à ces réserves ne dépend pas uniquement des cotes de solvabilité. Si vous connaissez les diverses catégories de notation financière, à savoir triple A, double A et A, vous pourrez comprendre qu'il y a des seuils qui s'appliquent à ces types d'obligations et à leurs concentrations dans le portefeuille. Nous portons des jugements sur la solvabilité relative de ces obligations et sur leur solvabilité potentielle, puis nous les faisons connaître. Au bout du compte, c'est le gouvernement qui prend la décision finale, mais, dans le cas de la Grèce, nous ne sommes pas porteurs d'obligations.

Le sénateur Moore : C'est très bien. Je crois que je vous ai posé la même question l'an dernier lorsque la question a été soulevée pour la première fois.

Le sénateur Massicotte : La réponse était la même.

Le sénateur Moore : La réponse n'était pas la même l'an dernier. L'année dernière, il n'a pas voulu répondre.

M. Carney : Vous m'aviez épuisé.

Le sénateur Moore : Mardi dernier, Joseph Stiglitz, ancien économiste en chef de la Banque mondiale, a pris la parole, à Toronto. Il a dit :

...les États-Unis, l'Allemagne et un certain nombre d'autres pays...

...je suppose qu'il parlait du Canada...

...disposent de la liberté nécessaire pour stimuler leur économie, et il est absolument essentiel qu'ils le fassent.

Il a ajouté :

L'austérité dont font preuve l'Europe, l'Amérique et ainsi de suite est, en fait, un pacte suicidaire pour nos économies.

Il encourage évidemment des dépenses de relance importante, j'imagine. Que pensez-vous de cela? Avez-vous tenu compte de cette approche dans les efforts que vous avez déployés à la banque pour maintenir notre position solide?

M. Carney : Je vais dire quelques mots au sujet de nos hypothèses relatives à la politique budgétaire des États-Unis.

Nos prévisions ne tiennent pas compte de l'adoption des dispositions de l'American Jobs Act en 2012. Lorsque nous parlons de mesures de politique plus résolues, cela doit tenir compte de la possibilité que des parties importantes de l'American Jobs Act soient adoptées ou que d'autres mesures de relance, qui peuvent prendre différentes formes, soient prises aux États-Unis. Évidemment, il y a toute une panoplie d'autres mesures de politique résolues qui peuvent être prises en lien avec ce qui se passe en Europe et avec des risques de hausse.

Pour vous donner une idée de l'ordre de grandeur de l'American Jobs Act, je dirais que cette loi entraînerait une augmentation du PIB des États-Unis d'environ 1,25 point de pourcentage en 2012 ainsi qu'un glissement à la hausse du même montant, environ, en 2013. Cela nous amène au cœur du problème, c'est-à-dire que, à un moment donné, le secteur privé devra prendre la relève en tant que moteur de la croissance. Voilà donc un peu l'ordre de grandeur en cause.

En ce qui concerne nos projections, il faut donc tenir compte du fait que, si des composantes de l'U.S. Jobs Act sont adoptées, cela stimulera, à court terme, la croissance aux États-Unis, à notre avis.

Le sénateur Moore : Je me demandais également si l'on fait la promotion de telles mesures de stimulation au Canada.

M. Carney : Je suis certain que le ministre des Finances serait heureux de commenter cela.

Le sénateur Moore : Vous ne voulez pas faire de commentaires à ce sujet.

J'ai récemment vu l'expression « PIB nominal » utilisée comme terme technique en lien avec les efforts déployés pour trouver des solutions à nos problèmes économiques et adopter une nouvelle voie au lieu de se fier strictement à la cible inflationniste de 2 p. 100 de la banque. Avez-vous envisagé cela? Que pensez-vous de la possibilité d'appliquer une telle solution?

M. Carney : Je vais vous donner une réponse brève, et nous pourrons fournir plus de détails, si les membres du comité le souhaitent.

Comme vous le savez, je crois, la banque mène, depuis cinq ans, un programme de recherche plutôt intensif sur les solutions de rechange et les améliorations possibles relatives au cadre de ciblage d'inflation qui est utilisé depuis 1991. La recherche porte, entre autres, non pas sur le ciblage du PIB nominal, mais sur le ciblage du niveau des prix. Essentiellement, le ciblage du niveau des prix se distingue du ciblage d'inflation en ce sens qu'il ne tient pas compte du passé.

Dans le système de ciblage d'inflation, M. Macklem et moi, ainsi que les autres membres du Conseil de direction et les employés de la banque, nous nous réveillons tous les jours en nous demandant comment atteindre le taux cible d'inflation de l'IPC total de 2 p. 100 dans un délai raisonnable malgré toutes les forces qui influent négativement sur l'économie et qui ont des répercussions sur l'inflation. Quelles politiques monétaires devons-nous adopter pour réaliser cela?

Dans un régime de ciblage du niveau des prix et, encore plus, dans un régime de ciblage du PIB nominal, la banque centrale chercherait à cibler un niveau de prix. Par exemple, si l'inflation est relativement faible depuis quelque temps, il faut compenser la différence. Le ciblage du PIB nominal vise à garantir une croissance égale pour le PIB nominal; autrement dit, la somme de la croissance réelle — nous utilisons toujours ces termes — et l'inflation du PIB nominal, se distinguent de l'inflation des prix à la consommation. Cela soulève une question importante relative au ciblage du PIB nominal parce que, en fait, cela vise la croissance du PIB.

En somme, nous avons envisagé cette possibilité ou quelque chose de semblable. Allons-nous nous prononcer là- dessus dans un avenir relativement proche lorsque l'entente sur le contrôle de l'inflation sera renouvelée avec le gouvernement?

Le sénateur Moore : Cela est prévu pour quand?

M. Carney : Elle devrait être renouvelée d'ici la fin de l'année civile.

En général, même si le ciblage du PIB nominal comporte des aspects intéressants et mérite peut-être d'être envisagé — je veux dire par là que je n'en fais pas la promotion — dans les économies dont le taux d'intérêt avoisine la borne du zéro et qui pourraient voir leur dette dévalorisée sous l'effet de l'inflation, c'est-à-dire dont la dette est lourde, mais non alourdie par l'inflation, cette solution mérite d'être prise en considération.

Ni un ni l'autre de ces facteurs ne s'applique au Canada, et cette approche comporte un certain nombre de problèmes, qui comprennent, sans s'y limiter, la capacité de la mettre en œuvre. Si nous adoptions cette approche au Canada, il faudrait, pour que la transition fonctionne, que la grande majorité des Canadiens l'acceptent et comprennent qu'il s'agit d'une tentative faite pour renforcer l'économie. Il faudrait une très bonne estimation du taux tendanciel de croissance réel de l'économie, c'est-à-dire de ce que l'on appelle le taux de croissance potentiel. Sinon, on risque de faire augmenter la part de la croissance du PIB nominal imputable à l'inflation au fil du temps, ce qui entraînerait une réduction de la croissance réelle et des revenus réels, et causerait toutes sortes d'autres problèmes.

Il y a également d'autres facteurs très divers. Dans le domaine, nous disons qu'il y a un risque d'incohérence temporelle qui entoure le ciblage du PIB nominal. Autrement dit, plus on en a besoin, moins on a de chance de l'atteindre. Si nous avons subi des pertes considérables en raison d'une baisse, nous devons assurer un niveau très élevé de croissance du PIB nominal pour que la croissance à long terme soit bonne, ce qui suppose un niveau d'inflation élevé pour une longue période. Il n'est pas nécessairement possible pour une banque centrale de faire cela ou de convaincre un gouvernement de la sagesse d'une telle mesure. Cela n'est donc pas très probable.

Le sénateur Moore : Cela est plus risqué que ce que nous faisons aujourd'hui, n'est-ce pas?

M. Carney : Je n'hésiterai pas à dire qu'il ne faut pas être surpris si nous concluons que, pour le Canada, particulièrement, le ciblage du PIB nominal n'est pas une solution de rechange appropriée à l'approche flexible en matière de ciblage de l'inflation, qui s'inscrit dans un régime très efficace.

Le sénateur Harb : Depuis quelques mois, on a évoqué beaucoup de scénarios apocalyptiques. Si les résultats n'avaient pas été ceux que nous avons obtenus, on parlerait toujours de cette manière. Toutes les banques, de même qu'une grande partie du secteur des entreprises, ont affiché d'excellents résultats. Leurs résultats nets sont solides. Le taux de rendement du capital investi est absolument fantastique.

C'est à se demander ce qu'il en est. Qu'est-ce qui se passe? D'une semaine à l'autre, le taux du marché monte de 2, 3 ou 4 p. 100. Tout semble être à la hausse. Pourtant, il y a toujours beaucoup de pessimisme concernant l'Europe, son secteur bancaire et les dettes de ses gouvernements. La semaine suivante, tout est à la baisse. Pourtant, les éléments principaux du bilan de ces banques et de ces sociétés n'ont pas changé.

Personnellement, je commence à me demander dans quelle mesure l'état du marché dépend de ce qui se dit. Cela a des répercussions sur le consommateur, qui a peur. Comme nous le savons tous, la consommation fait fonctionner l'économie. Lorsque le consommateur a peur, il y a un blocage complet.

M. Carney : Je vais faire quelques commentaires, et M. Macklem voudra peut-être les compléter.

En ce qui concerne la croissance du PIB au Canada durant les deuxième et troisième trimestres et, possiblement, au quatrième trimestre, il y a beaucoup de volatilité entre le deuxième et le troisième trimestres. Il est important de reconnaître cette faiblesse non représentative durant le deuxième trimestre, telle que mesurée, et cette vigueur non représentative durant le troisième trimestre, telle que mesurée.

Pourquoi disons-nous cela? Durant le deuxième trimestre — et je pense que nous en avons parlé la dernière fois que nous étions ici — il y a eu les durs coups portés à la chaîne d'approvisionnement japonaise — à la suite du tremblement de terre et des événements qui y sont associés — qui ont causé la fermeture de certaines usines d'automobiles et d'autres choses au Canada. La faiblesse constatée relativement au deuxième trimestre était, en partie, directement liée à cela. Lorsque ces usines ont repris leurs activités le 1er juillet, pour le troisième trimestre, on a tout de suite constaté une reprise de la croissance. Il faut donc examiner les résultats de ces deux trimestres en tenant compte de cela.

Dans le même ordre d'idées, nous avons eu, dans le Nord de l'Alberta, des incendies qui ont eu des répercussions sur la production d'énergie. Il y a également eu des pannes d'électricité durant le deuxième trimestre. Toutefois, ce trimestre a également vu un investissement très positif dans l'importation d'une grande plate-forme d'extraction de gaz naturel qui a été mise en place en Nouvelle-Écosse — il y a beaucoup de représentants de la Nouvelle-Écosse ici pour qui cela a été une bonne nouvelle — mais cela veut dire qu'il y a eu une augmentation de vos importations et que vos exportations nettes ont diminué, tout comme la croissance de votre PIB. Tous ces facteurs temporaires ont nui à la croissance durant le deuxième trimestre. Si l'on fait abstraction de ces facteurs, le troisième trimestre a été plus solide.

On passe au quatrième trimestre, et le taux de croissance est tout juste inférieur à 1 p. 100, comme vous le savez; nous fournissons nos prévisions trimestrielles dans le rapport. Cette baisse est, en partie, due aux effets des problèmes que vous avez mentionnés concernant la confiance des entreprises et des ménages. Cette hésitation est quelque peu liée aux conditions financières auxquelles font face les entreprises, qui devraient s'améliorer graduellement d'ici le début de 2012.

Ce sont les tendances que nous prévoyons pour le quatrième trimestre de 2011 et le premier trimestre de 2012. Beaucoup de choses changeront, et nous rendrons compte de ce qui a changé, dans nos prévisions, en temps et lieu.

En ce qui concerne nos discussions informelles avec les entreprises de tout le pays et notre sondage officiel sur les intentions des entreprises, il y a eu une réduction dans les intentions d'embauche et d'investissement, mais ces dernières sont toujours plutôt fortes au Canada, particulièrement en ce qui concerne les investissements. Cela est l'une des raisons principales pour lesquelles notre économie continue de croître.

Avant de céder la parole à mon collègue, j'aimerais dire une dernière chose concernant la volatilité des marchés. Malheureusement, ce qui se passe à court terme, c'est que le prétendu risque extrême associé à la situation en Europe est important. Cela est lié à la question que le sénateur Greene a posée plus tôt relativement à ce qui se passerait si... Il y a un risque grave lié à cela.

Comme les marchés peuvent soit tenir compte de cela dans l'établissement des prix — ce qui augmente le risque — ou en faire abstraction, cela change beaucoup les choses en ce qui concerne les prix d'un grand nombre de catégories d'actifs. C'est pourquoi nous avons, aussi bien le premier ministre et le ministre des Finances que la Banque du Canada — passé beaucoup de temps avec nos collègues européens pour essayer de les encourager à régler la situation. Nous voulions non seulement qu'ils manifestent leur volonté de faire quelque chose, mais également qu'ils examinent nos propositions relatives à la manière de régler le problème le plus efficacement possible. Je suis certain que cela sera soulevé dans les discussions que le premier ministre et le ministre des Finances auront à Cannes au cours des prochains jours.

Le sénateur Harb : Peut-être M. Macklem veut-il aborder cette question.

M. Macklem : À l'échelle mondiale, cette récession a été la plus grave depuis la grande dépression, et, depuis cette époque, aucune reprise économique n'a pris autant de temps aux États-Unis et en Europe, mais pas au Canada. Au Canada, cette récession n'a pas été la plus grave depuis la grande dépression, et nous sommes revenus à un sommet équivalent à celui qui a précédé la récession et l'avons même dépassé.

Pour en revenir aux États-Unis et à l'Europe, l'une des leçons que nous retenons de l'histoire, c'est qu'il faut beaucoup plus de temps pour se remettre d'une crise financière que pour assurer une reprise normale de l'économie. Généralement, plus une récession est forte, plus vite se fait la reprise; cela ne s'applique pas aux crises financières. La réduction des leviers d'endettement en est la raison fondamentale.

Il y a une image impressionnante dans notre Rapport sur la politique monétaire. Je crois qu'il s'agit du graphique 30, si ma mémoire est bonne; c'est quelque chose comme ça. Est-ce que c'est bien ça?

M. Carney : Je vais travailler là-dessus; continuez, et je vais le trouver.

M. Macklem : Il montre que les économies que les consommateurs américains ont réussi à accumuler ne représentent qu'un douzième de la valeur nette perdue.

M. Carney : C'est le graphique 6.

M. Macklem : Cela montre bien l'ampleur du défi à relever. Avec un peu de chance, la réévaluation des actifs permettra de regagner une partie de la valeur nette.

M. Carney : Je suis désolé. C'est la page 5 dans l'anglais.

M. Macklem : Ils pourront en regagner une partie grâce à la réévaluation des actifs, mais cela prend du temps.

Pour en revenir aux marchés, essentiellement, ces derniers ont dû s'adapter au fait que la reprise sera probablement très lente. En ce qui concerne la reprise aux États-Unis, elle se fait plus ou moins à la même vitesse que les reprises qui ont suivi ce que l'on appelle les cinq crises financières modernes — c'est-à-dire celles de l'Espagne, des pays nordiques et du Japon dans les années 1970, 1980 et 1990.

La reprise économique s'est déjà révélée lente, et les marchés ont dû s'adapter à cette réalité. Ajoutez à cela les risques extrêmes qui sont devenus plus intenses à mesure que la situation en Europe s'est détériorée, et il n'est pas trop difficile de comprendre ce qui se passe. La confiance a, elle aussi, un rôle important à jouer. Oui.

Le sénateur Harb : Dernièrement, j'ai eu l'occasion de regarder la mappemonde. Il est surprenant de voir que la grande majorité des pays qui ont un rapport dette-PIB élevé sont des pays industrialisés. La grande majorité des dettes internationales appartiennent à des pays industrialisés.

Il me semble que les banques, de même que le gouvernement, subissent un stress énorme, mais quelqu'un quelque part doit gagner de l'argent. Selon les rumeurs que j'ai entendues, il y a des sociétés qui gardent pour elles de gros montants d'argent.

Monsieur le président, cela m'a choqué. Vous allez être surpris d'apprendre — et vous pouvez me corriger, monsieur le gouverneur — que, en ce qui concerne les investissements directs étrangers, les États-Unis arrivent au premier rang, suivis de la Chine, bien sûr. Pouvez-vous deviner quel pays arrive au troisième rang au chapitre des investissements directs étrangers?

Le président : Dites-le-nous rapidement.

Le sénateur Harb : Le Luxembourg. Un tout petit pays dont les investissements directs étrangers s'élèvent à 153 milliards de dollars. Il n'y a pas d'argent qui dort dans les banques parce que les Luxembourgeois s'en servent pour toutes sortes de choses; les sociétés luxembourgeoises ont décidé d'investir leur argent. Il y a trois ou quatre autres pays comme cela, dont les investissements s'élèvent probablement à des milliards de dollars. Comment pouvons-nous encourager nos sociétés à réintégrer le jeu?

M. Carney : En ce qui concerne le Luxembourg, je soupçonne que la structure de la fiscalité explique ce phénomène. En fait, j'en suis presque certain. C'est un abri fiscal. Le Canada investit dans certains pays, mais les sociétés profitent des avantages fiscaux pour faire parvenir leur argent — par exemple, dans le cas du Canada — aux États-Unis.

Pour motiver les sociétés, la confiance est effectivement un élément important. Pour réduire l'incertitude globale liée à la situation macroéconomique — et pour ramener cela au Canada — nous avons essayé de faire savoir que le Canada sera touché par les événements qui ont lieu en Europe. Ces derniers ont des répercussions sur nous. Nous sommes évidemment touchés plus directement par ce qui se passe dans l'économie américaine. Nous pouvons chiffrer cela. S'il s'agissait de ce que M. Macklem a appelé une « reprise normale », le montant de nos exportations totales vers les États- Unis serait supérieur de 30 milliards de dollars par année, ce qui est un montant considérable. Il ne s'agit pas et ne s'agira pas d'une reprise normale. En termes simples, nous essayons de faire en sorte que les entreprises canadiennes reconnaissent ce fait. Elles doivent reconnaître que, pour un certain temps, notre relation avec les États-Unis sera axée sur les parts du marché plutôt que sur l'expansion de ce dernier. Cela est dû à la dynamique que j'ai décrite.

Il y a quelques autres choses qu'il faut reconnaître. Premièrement, les entreprises canadiennes sont presque toutes sous-représentées dans les principaux marchés émergents. Deuxièmement, elles ne sont pas aussi productives qu'elles devraient l'être. Elles contestent toutes ce fait, mais les données macroéconomiques le montrent bien. Nous ne sommes pas aussi productifs que nous devrions ou que nous pourrions l'être. Troisièmement, nous prévoyons que, en raison de la structure de la croissance mondiale, le cours des produits de base sera relativement élevé — sans nécessairement atteindre des sommets — pour une période donnée. Enfin, notre secteur financier est fort. Notre mandat consiste entre autres à garantir qu'il fonctionne même lorsque les temps sont durs. Les entreprises peuvent se fier au système et commencer à placer leur argent. Elles peuvent investir et saisir l'une des trois occasions qui se présentent à moyen terme, voire les trois, et, au bout du compte, générer des revenus. C'est ce qu'elles devraient faire.

Après un mauvais départ au début de la récession — notre rendement relatif aux investissements a été plus faible que celui des États-Unis, ce qui est assez remarquable compte tenu du fait qu'ils constituaient l'épicentre de la crise — mais les entreprises canadiennes sont revenues en force au cours des 15 ou 16 derniers mois. Le vrai test, c'est ce qui se passera à partir de maintenant, puisque le niveau d'incertitude remonte. À notre avis, tous ces facteurs entrent encore en jeu, et il y a toujours des possibilités. La question est de savoir si les entreprises investiront.

Pour résumer, globalement, la dynamique demeure la même quoiqu'il arrive en Europe. La situation là-bas aura des répercussions sur le contexte global, mais, à notre avis, elle ne changera pas la dynamique sous-jacente de l'économie mondiale.

Le sénateur Gerstein : Ma question porte sur le vieillissement de la population et les déficits actuariels dans les programmes comme la sécurité sociale, la santé et les soins de longue durée, et les régimes de pensions publics et privés.

Premièrement, j'aimerais vous demander si, compte tenu de tous les problèmes auxquels vous faites face, cet enjeu est au premier plan ou s'il s'agit de quelque chose dont l'importance est moindre?

Deuxièmement, comment la banque aborde-t-elle ce problème dans le contexte de sa politique monétaire?

M. Carney : Je vais laisser le président du comité d'administration des pensions de la Banque du Canada répondre à vos questions.

M. Macklem : Je vais dire quelques mots là-dessus. Ce n'est pas notre responsabilité principale, cela va sans dire.

Premièrement, il est certain qu'il y a matière à s'inquiéter. Notre situation, au Canada, est tout de même enviable par rapport à celle de certains autres pays. La base actuarielle de notre régime de pensions public est solide. Il s'agit d'une mesure importante que nous avons prise au moment de la crise financière du milieu des années 1990. Nous avons réussi à le remettre sur les rails. Cela est lié à l'idée selon laquelle les crises créent des occasions. Il est possible de remettre les choses en état, et il faut saisir les occasions de le faire.

Le problème auquel nous consacrons du temps est celui lié à la continuité des bas taux d'intérêts. Les taux d'intérêt sont actuellement très bas, mais ils ne le seront pas indéfiniment. À un moment donné, ils reviendront à un niveau plus normal. Compte tenu de la situation aux États-Unis et en Europe, les taux d'intérêt dans les pays industrialisés sont susceptibles de demeurer bas pendant encore un long moment. Les événements des derniers mois donnent à penser qu'ils demeureront bas pour plus longtemps qu'on ne le croyait il y a quelques mois. Les gestionnaires de caisses de retraite ou de compagnies d'assurance qui se fient aux taux de rendement records pour verser leurs dividendes devront apporter des modifications à leur modèle de gestion. Cela est une préoccupation non seulement au Canada, mais à l'échelle mondiale. À n'en pas douter, des modifications devront être apportées à certains modèles de gestion.

Le sénateur Gerstein : Si j'ai bien compris votre réponse, vous ne faites rien actuellement et vous ne prévoyez aucune mesure, mis à part la mise en œuvre de votre politique monétaire. Cette dernière n'est pas axée expressément sur cette question. Est-ce que j'ai bien compris?

M. Macklem : Notre politique monétaire vise à atteindre un taux d'inflation de 2 p. 100. Il s'agit de quelque chose dont nous devons tenir compte lorsque nous examinons les éléments qui exercent une pression sur l'économie.

M. Carney : J'aimerais ajouter quelque chose en ce qui concerne le dernier commentaire sur la continuité des bas taux d'intérêt et sur les répercussions que cela pourrait, au bout du compte, avoir sur les fonds de pension, les compagnies d'assurance et, potentiellement, leurs stratégies d'investissement et les impacts sur le secteur financier. Il s'agit d'un problème que nous avons cerné à l'échelon macroéconomique. Cela détermine, en partie, l'attention que nous et d'autres prêtons aux risques éventuels. Je ne dis pas que ces risques sont présents dans le système, mais, évidemment, plus la situation perdure, plus ces types d'institutions subissent de pression. Cela pourrait donner lieu à un profil de risque plus précaire en ce qui concerne les obligations sous-jacentes. On doit être conscient de cela et essayer de prévoir les effets d'entraînement négatifs de cette situation.

Au sujet de ce problème global, j'aimerais souligner que la Banque des règlements internationaux, la BRI, a produit un rapport qui donne un aperçu général du problème. Nous serions heureux de vous le distribuer. Ce rapport traite des répercussions de la continuité des bas taux d'intérêt et d'autres éléments de la réglementation sur la mise en commun des capitaux à long terme et fournit une description des effets d'entraînement négatifs. Cela est d'un très grand intérêt, et nous serons heureux de vous le fournir.

M. Macklem : Dans le contexte canadien, nous avons examiné ce problème, et la continuité des bas taux d'intérêt est l'un des cinq risques principaux que nous avons cernés dans notre Revue du système financier et sur lequel nous concentrons nos efforts.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci, messieurs, d'avoir accepté de comparaître devant nous cet après-midi. J'aimerais d'abord vous poser une question d'ordre technique puis une question plus globale.

Vous utilisez, en anglais, le terme « containment » en vous référant à la situation européenne. Évidemment, la solution n'est pas évidente. Il faudra quelques années pour régler le problème. Vos commentaires laissent croire que vous êtes satisfait des intentions annoncées par les pays d'Europe pour gérer le problème. Cependant, plusieurs experts semblent indiquer que, bien que les intentions soient louables, elles manquent non seulement de détails mais aussi de mécanismes, ce qui risque de nuire à la croissance de l'Europe et peut-être même du monde entier.

Vous avez mentionné le besoin de 9 p. 100 du capital réservé. Plusieurs croient que le fait de satisfaire à ce critère réduira le bilan et, par conséquent, le crédit disponible sur le marché. De belles paroles suggèrent qu'on souhaiterait ne pas réduire le bilan.

Deuxième chose, on remarque une pression énorme sur les créanciers d'accepter 0,50 $ sur le dollar pour les obligations. Sans que ce soit un défaut, il est possible que tout le marché des ententes sur le risque de défaut soit rendu inutile. Si c'est le cas, cela affectera certainement le marché du crédit dans le monde entier. Si on ne peut pas se fier sur ces ententes déjà en place, et il est possible que le problème se présente à nouveau dans un autre pays, les gens craindront d'investir étant donné le risque des conséquences majeures.

Des analystes parlent de problèmes majeurs. Vous parlez de « containment ». Pourriez-vous clarifier ce que vous entendez par ce terme? Doit-on régler des lacunes majeures avant d'avoir confiance en une solution évidente?

M. Carney : C'est une question détaillée qui couvre plusieurs aspects. Oui, l'hypothèse de la banque est que la situation en Europe sera contrôlée. La barre n'est pas très haute. On retrouvera de la volatilité dans d'autres situations, mais tant que la situation en Europe sera contrôlée, c'est-à-dire qu'elle n'entraîne pas de contagion profonde et persistante des marchés financiers canadien. Il n'y aura pour le marché financier canadien aucun impact profond et persistant, comme les années passées l'ont démontré, sur la confiance des ménages et des entreprises canadiens.

En ce qui concerne quelques aspects de votre question — parce qu'il y a quelques aspects très importants — oui, bien sûr, il y a pénurie de détails autour des décisions des chefs européens ont prises la semaine passée. Il est absolument nécessaire d'avoir les détails, surtout en ce qui concerne les fonds propres pour les banques européennes et la manière d'augmenter la capacité de ce fonds célèbre qu'est le FESF, Fonds européen de stabilité financière.

Il est absolument clair qu'il y a un risque maintenant, c'est plus qu'un risque : il existe actuellement un processus de désendettement des banques européennes et du système financier européen. C'est une des principales raisons pour lesquelles la banque prévoit une récession en Europe à partir de maintenant. C'est une des prévisions de notre projection.

En ce qui concerne la situation en Grèce, l'accord sur la radiation des dettes de la Grèce et l'impact sur le marché des CDS, oui c'est l'enjeu, parce que l'idée est d'avoir une radiation volontaire. Mais cela peut créer, comme vous le dites, des problèmes avec le fonctionnement du marché des CDS.

Il y a des problèmes avec ce marché mais, en même temps, il y a la nécessité pour les institutions financières et les investisseurs d'avoir des garanties. Si le marché n'existe plus, ils prendront d'autres moyens financiers avec le shorting des actions, des bourses, des obligations d'État. Ils vont essayer. Il y aura alors un déplacement de la volatilité dans d'autres marchés. Dans ce contexte, oui, nous sommes d'accord, c'est l'enjeu.

On peut avoir cet enjeu et en même temps une situation sous contrôle en ce qui concerne les conditions financières et la confiance, ici au Canada, dans un contexte de persistance. C'est cela la vraie question.

Le sénateur Massicotte : Pour la majorité des Canadiens, tout cela est compliqué. Il est question d'une récession en Europe, d'un référendum en Grèce et peut-être même d'une récession aux États-Unis. Il y a eu beaucoup de variations depuis 12 mois. Vos propres projections ont changé plusieurs fois tellement il y de turbulence, de changements sur les marchés.

Dans trois ans, si tout va bien, quel scénario économique prévoyez-vous? Et si cela va mal, quelle sera la différence en termes de croissance économique pour les Canadiens?

M. Carney : Je vais essayer de répondre, c'est un peu dangereux. Nous avons une prévision, mais c'est la situation la plus probable pour la Banque du Canada. Il y a une chose très importante : les Américains ont révisé à la baisse le niveau de leur PIB de 1,6 point de pourcentage. C'est énorme. Cela indique pour une grande part les différences qui existent entre les deux projections. C'est une révision historique et cela indique une pénurie du rythme dans l'économie américaine et surtout de la consommation américaine.

Mais la meilleure prévision pour l'avenir de l'économie canadienne, c'est le RPM de la Banque du Canada comme toujours. Le RPM est une prévision qui comporte des risques importants, et nous les avons détaillés.

Le sénateur Massicotte : Si cela va bien dans trois ans, on a une croissance de combien? Un scénario optimiste?

M. Carney : On aura 2,1 cette année, 1,9 l'année prochaine, et 2,9 en 2013.

Le sénateur Massicotte : Si cela va moins bien?

M. Carney : Moins.

Le sénateur Massicotte : Combien de moins?

M. Carney : Ah non...

Le sénateur Massicotte : Un taux de chômage de combien? Le taux de chômage va-t-il changer?

M. Carney : Vous le savez, nous ne faisons jamais des prévisions officielles pour le taux de chômage au Canada.

Le président : Merci sénateur Massicotte. Nous passons maintenant aux questions du sénateur Ringuette, qui sera suivi du sénateur Smith.

Le sénateur Ringuette : Merci. J'ai deux questions concernant la situation au Canada.

[Traduction]

L'économie canadienne me préoccupe. Il y a une certaine distance entre nous et la zone euro, mais cela n'est pas le cas de l'économie américaine. La plupart de nos exportations sont destinées aux États-Unis. S'ils mettent en œuvre un plan de stimulation économique, il privilégiera probablement l'achat de biens américains. Actuellement, l'économie canadienne dépend beaucoup de son rendement énergétique, qui fluctue. S'il y a une récession aux États-Unis, comme vous l'avez indiqué, la demande d'énergie diminuera, et il y a aura moins d'investissements dans le secteur énergétique canadien. C'est ma première préoccupation à l'égard de l'économie canadienne.

Ma deuxième préoccupation concerne notre secteur bancaire. Nous avons effectivement des règlements et des mécanismes de surveillance en place, mais un grand nombre d'entre eux dépendent du secteur bancaire pour qu'il évalue lui-même ses risques. Depuis quelques années, nous assistons à un phénomène particulier au Canada. Le secteur des services bancaires commerciaux et le secteur très risqué des services bancaires d'investissements ont pratiquement fusionné. À mon avis, cela augmente les risques pour nos banques. Je suppose que je voudrais être rassurée et que l'on me dise que je ne dois pas me préoccuper de nos institutions financières.

Vous dites également que, malgré une brève récession dans la zone euro et aux États-Unis, le Canada devrait s'en sortir sans trop d'égratignures. Cela ne me rassure pas. Il n'est pas possible d'alléguer que les États-Unis seront en récession, mais que le Canada ne souffrira pas énormément de cette situation.

M. Carney : C'est l'une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas fait une telle déclaration. Nous prévoyons qu'il y aura une brève récession en Europe. Évidemment, la gravité et la durée de cette récession dépendront de ce que feront les autorités européennes pour régler les problèmes considérables dont nous avons discuté cet après-midi.

Nous ne prévoyons pas, pour le moment, une récession économique aux États-Unis. Nous prévoyons plutôt que l'économie américaine connaîtra une période de croissance faible. Le taux de croissance américain durant le troisième trimestre, qui a été déclaré tout de suite après la publication de notre rapport, était tout à fait conforme à nos prévisions. Ils ne le réviseront pas de la même manière, puisqu'ils sont des Américains. Le principe de divulgation complète n'est pas toujours respecté. Toutefois, pour le moment, le taux déclaré est conforme à nos attentes et au dynamisme économique. Nous ne prévoyons pas de ralentissement par rapport au troisième trimestre, tout comme c'est le cas au Canada.

Nous disons également que l'un des risques auxquels nous devons faire face est la possibilité d'une récession. Il pourrait également y avoir une récession aux États-Unis. Ces risques ne sont pas indépendants. Autrement dit, d'autres problèmes en Europe, les défis continus dans le secteur financier mondial, le repli des activités des entreprises, une réduction de l'embauche et la croissance déjà relativement faible aux États-Unis pourraient faire en sorte qu'ils se concrétisent. À n'en pas douter, il s'agit d'un risque pour les États-Unis qui aurait des répercussions directes sur le Canada. Je pense que nous avons clairement souligné cela. Il ne fait aucun doute qu'il y a des risques, et qu'il s'agit d'une période délicate pour l'économie mondiale.

J'ai quelques commentaires rapides, si vous le permettez, sur certains secteurs particuliers parce qu'il y a des enjeux importants qu'il vaut la peine de souligner.

Premièrement, en ce qui concerne le secteur énergétique, il y a, comme vous le savez, un programme d'investissement considérable et à long terme qui concerne divers aspects de l'industrie énergétique canadienne. Les sables bitumineux constituent le secteur qui attire le plus l'attention, mais il y a également des investissements considérables dans les secteurs du gaz naturel classique et des nouveaux gaz dans l'Ouest canadien, y compris en Colombie-Britannique, dans le secteur du pétrole et du gaz exploités en mer dans le Canada atlantique, et dans l'hydroélectricité et d'autres formes d'énergie dans notre pays. Nous prévoyons que cela se poursuivra bien au-delà de la durée de nos prévisions.

Je vais insérer le point qui suit dans ma réponse. En ce qui concerne les prix du pétrole à l'échelle mondiale, il ne faut pas oublier que les États-Unis ne fixent pas les prix du pétrole en fonction du coût marginal dans le marché mondial. Ils le font pour certaines catégories en raison de contraintes liées aux pipelines et à d'autres aspects de sa capacité, mais, dans les faits, la production et la croissance industrielles chinoises sont les facteurs qui influent le plus sur les prix du pétrole à l'échelle mondiale. Cela n'est pas surprenant, puisque l'économie chinoise dépend d'une consommation d'énergie beaucoup plus importante. La consommation de pétrole par les Chinois a augmenté de plus de six millions de barils depuis une décennie, tandis que la consommation nette des États-Unis a diminué depuis 2002. La dynamique dans le marché pétrolier mondial a changé.

Le deuxième point est important, au Canada, aussi bien du point de vue du consommateur que de celui du producteur, mais je vais adopter la perspective du consommateur. L'écart s'est creusé entre le prix du pétrole brut West Texas Intermediate ou WTI et celui du pétrole brut de référence Brent. Il y a de multiples autres indices comme ceux du pétrole de la mer du Nord et de l'Amérique du Nord, sur lesquels une partie du pétrole brut canadien est fondée, mais le fait est que le prix du WTI a subi une baisse plus importante que le Brent depuis le début du ralentissement de l'économie mondiale. Toutefois, comme les raffineries canadiennes, particulièrement celles dans l'Est du pays, reçoivent un mélange de ces pétroles bruts, les prix de l'essence n'ont pas diminué autant que les prix du WTI.

L'autre raison pour cela, c'est que les marges de profit ont augmenté. Nous fournissons des détails là-dessus. Cela est lié, en partie, à la dynamique de la capacité dans le marché américain, mais il est important de le souligner parce que, dans notre travail relatif à la politique monétaire, nous devons comprendre ces types de dynamique lorsque nous faisons des prévisions concernant l'inflation et lorsque nous établissons des politiques monétaires. Nous avons donc décrit cette situation en détail. Ce qui compte pour les Canadiens, c'est le prix du litre d'essence, et nous en tenons compte.

En ce qui concerne le secteur financier, par souci de concision, je vais vous renvoyer à la réponse que j'ai fournie plus tôt concernant l'efficacité du système de surveillance et de réglementation canadien. Je vais ajouter à ma réponse et la renforcer en disant que nous ne pouvons pas nous permettre d'être trop confiants. Notre orgueil pourrait causer notre ruine. Lorsque vous commencez à croire que vous avez tout prévu, c'est là que commencent les problèmes. Le contexte mondial dans lequel nous vivons est dangereux.

La dernière chose que j'aimerais souligner relativement à notre système financier, c'est qu'il a très bien survécu au plus gros choc financier depuis 1929. Depuis le début de la crise, ce système a généré des milliards de dollars en capitaux additionnels et des dizaines de milliards de dollars en liquidités. Les banques ont renforcé leurs moyens de défense, comme elles se devaient de le faire — cela leur incombe — depuis que cela s'est produit. Évidemment, nous avons, le Surintendant des institutions financières et nous-mêmes, surveillé la situation de près.

Le sénateur Ringuette : Cela m'amène à ma dernière question, qui concerne l'accord de Bâle et le fait qu'il permet l'autoévaluation en ce qui concerne les risques liés aux capitaux. Je comprends qu'il y a deux catégories, mais je trouve étrange que, après la crise financière mondiale, le monde accepte encore cette autoévaluation du risque de la part des institutions financières. Je pense qu'il s'agit d'un terrain miné pour les marchés internationaux des capitaux. Je le crois vraiment.

M. Carney : Je vais dire quelques choses à ce sujet. Il s'agit d'un problème important en ce qui concerne l'efficacité et le caractère appropriés des modèles de base internes pour l'évaluation ou la réalisation, comme vous le dites, d'autoévaluations du risque, qui font partie des accords de Bâle II et III.

Il y a certaines choses qui ont changé depuis que l'Accord de Bâle III a été conclu. Le premier changement, et c'est le plus important, est l'importation d'une innovation canadienne, à savoir le ratio de levier, qui balance tout cela par la fenêtre. La question est donc plutôt de savoir : « Quel est votre niveau d'actifs par rapport à vos capitaux propres? » Il y a un plafond relatif à ce niveau. Cela sera mis en œuvre progressivement jusqu'au milieu de la décennie, et il s'agit d'une contribution canadienne à la réforme réglementaire mondiale.

La deuxième chose qu'il faut souligner, c'est que les ratios de risque ont été modifiés. En moyenne, ils ont été augmentés de 20 p. 100. Le montant des capitaux propres augmente de 20 p. 100 en moyenne dans tous les pays uniquement en raison de cette modification. En fait, c'est un peu plus, mais c'est d'environ 20 p. 100 pour le Canada. Cependant, le montant des capitaux propres que ces institutions doivent détenir relativement à ces ratios de risque est d'environ sept fois plus élevé. Cela ne s'applique pas aux banques canadiennes parce qu'elles détiennent un capital réel, mais, dans de nombreux autres pays, les banques détenaient un quasi-capital. Dans la colonne des actifs de leur bilan, il n'y avait donc rien parce qu'elles ne possédaient pas les actifs dont elles avaient besoin.

Je vais vous donner un exemple classique. Les impôts reportés constituent un actif qui vaut quelque chose si votre entreprise est en exploitation. Toutefois, le fait que vous avez reporté vos impôts ne vaut rien si vous faites faillite, puisque vous ne paierez pas d'impôts.

On n'aurait pas pensé que les choses en seraient arrivées là, mais cela a pris trois essais avant que l'on ne dise : « Il faut déduire cela du capital parce qu'il ne s'agit pas de capital réel. » Il y a un large éventail d'autres choses qui ont été déduites. Même si le niveau des capitaux propres a augmenté lorsqu'on se fonde sur le ratio, la façon de mesurer ce dernier a beaucoup changé.

Il y a une chose qui devrait vous rassurer. Il s'agit des différences entre le Canada et les autres pays — et la surintendante est la meilleure personne pour en parler — en ce qui concerne le rajustement des capitaux en conformité avec l'Accord de Bâle III, qui devra être effectué de 2013 à 2019. Il y aura une mise en œuvre graduelle, alors toutes ces choses — particulièrement celles qui concernent les actifs, les impôts reportés — seront rajustées graduellement de 2013 à 2019. La surintendante vise à faire en sorte que les banques canadiennes se conforment aux nouvelles normes plus rigoureuses d'ici 2013, selon les définitions de 2019. Il s'agit donc de commencer par la fin. C'est une différence importante. Cela montre bien comment le système canadien prend un bon départ pour s'adapter au nouveau régime et finir en beauté. J'espère que cela vous rassure.

Le président : Le sénateur Ringuette semble un peu plus heureuse. Peut-être pourrions-nous demander la même chose à la surintendante des institutions financières lorsqu'elle comparaîtra devant nous dans quelques semaines.

Le sénateur L. Smith : Les problèmes relatifs à la génération du baby-boom et aux jeunes sont complexes. Pour la personne moyenne, vous jouez un rôle clé dans le rétablissement de la confiance, tout comme le font le premier ministre et M. Flaherty; il y a diverses personnes qui jouent un rôle clé.

En ce qui concerne la volatilité dans les marchés, vous avez réussi admirablement à communiquer votre plan. Que devons-nous dire à la génération du baby-boom qui commence à s'inquiéter du fait qu'elle devra travailler plus longtemps et aux jeunes qui se demandent quel genre de mode de vie ils auront? Devons-nous parler de 6 mois ou de 12 mois? Quel genre de message devons-nous communiquer pour que les gens aient de l'espoir?

M. Carney : La première heure et demie n'a rien fait pour vous.

C'est une très bonne question. Je vais commencer par ce qui est le plus facile, c'est-à-dire les jeunes. Même si, à l'échelle mondiale, on a été témoin d'une augmentation du taux de chômage chez les jeunes et même si, dans certains pays à l'économie avancée, les jeunes ont l'impression que les perspectives ont plafonné et sont de moins en moins nombreuses, en ce qui concerne le Canada, il y a beaucoup de possibilités liées aux marchés émergents principaux.

Pour illustrer cela, je souligne que la part de nos exportations qui est destinée aux pays BRIC a été réduite de moitié au cours de la dernière décennie. Il s'agit des régions de la planète qui connaissent la croissance la plus rapide, et notre rendement là-bas a été bon, mais nous n'avons pas profité pleinement de ces occasions en or. Cela peut changer si nos entreprises concentrent leurs efforts là-dessus et si nous concluons des accords commerciaux. Le gouvernement a une stratégie commerciale active qui prévoit l'ouverture de certains de ces marchés. Au cours de la vie active des jeunes Canadiens, le Canada aura une occasion formidable à saisir en ce qui concerne l'exploitation de ces marchés et de ses forces.

Ces occasions se présentent dans les domaines des ressources naturelles et des services financiers, mais également dans les médias et le divertissement, de même que dans un large éventail de services liés à la fabrication et à la mondialisation, domaines dans lequel nous sommes très forts — y compris dans certaines des industries émergentes, où certaines choses qui n'étaient pas échangeables auparavant le sont devenues, particulièrement en ce qui concerne les services.

Il s'agit d'une possibilité extrêmement intéressante que nous n'avons pas exploitée et que nous avons l'occasion d'exploiter pour un certain nombre de raisons. La première de ces raisons, c'est la nature du Canada et les liens que nous avons créés dans un grand nombre de ces domaines. Notre deuxième avantage est notre réputation par rapport à celle des autres économies avancées. Cela peut paraître prétentieux, mais ce n'est pas se vanter que de dire que nous avons une réputation de compétence. C'est essentiellement cela, la réputation canadienne, et c'est important.

Encore une fois, et je ne veux pas trop insister là-dessus, mais nous avons les ressources nécessaires du point de vue du secteur financier et du bilan de nos entreprises pour tirer profit de ces occasions. Il y a une panoplie de possibilités que nous n'avons pas exploitées, d'abord et avant tout.

De plus, et cela est lié à la génération du baby-boom, nous bénéficions d'une flexibilité sur le plan macroéconomique. Notre système financier est fort; nous avons atteint la cible d'inflation et nous avons l'intention de continuer à le faire.

La situation mondiale est volatile, à n'en pas douter. Nous ne pouvons pas décider de ce qui se passe à l'extérieur de nos frontières, mais nous pouvons limiter les dégâts ici, au Canada. À cet égard, nous avons probablement un avantage que les autres économies majeures n'ont pas parce que nous bénéficions de cette flexibilité, et c'est à nous d'en tirer profit de manière appropriée.

L'autre préoccupation de la génération du baby-boom concerne la stabilité du système financier. Les gens ont travaillé dur pour remplir leur bas de laine en prévision de leur retraite; qu'adviendra-t-il de leurs économies? Sont-elles en sécurité?

En clair, nous ne garantissons pas les investissements des particuliers, mais nous pouvons fournir un niveau plus élevé de stabilité et de résilience financières, pour qu'il y ait moins de risques que des accidents graves comme ceux qui sont survenus ailleurs dans le monde se produisent ici, au Canada. Cela est extrêmement important.

Lorsque je consulte mon courrier, je constate que la continuité des bas taux d'intérêt est un problème pour la génération du baby-boom, qui se prépare pour la retraite. Nous reconnaissons pleinement ce problème. Malheureusement, nous devons gérer la politique monétaire pour toute l'économie et tous les Canadiens, et nous devons nous assurer que nous ne détruisons pas les économies des Canadiens en provoquant un taux d'inflation élevé et que nous ne poussons pas un grand nombre de Canadiens à la faillite en raison de la déflation. Nous devons atteindre ce point idéal de 2 p. 100, et c'est ce que nous ferons tout en garantissant que le système financier continue de fonctionner et tout en mettant en évidence les possibilités qui existent. C'est, dans les faits, ce que nous pouvons faire pour ces deux générations et pour tous les Canadiens.

Le sénateur Oliver : J'aimerais vous remercier tous les deux des excellents exposés que vous nous avez présentés aujourd'hui.

Je dois dire que le sénateur Moore a posé les deux questions que je prévoyais poser; la première concernait le rapport que Joseph Stiglitz a présenté à Toronto, et la deuxième, les cibles d'inflation et ce qui arrivera d'ici la fin de l'exercice. J'apprécie vos réponses à ces deux questions.

Monsieur Carney, j'aimerais citer quelque chose que vous avez dit plus tôt au sujet de l'importance de la surveillance. Nous savons tous que la Banque mondiale, le FMI et l'OCDE ont continué de dire de bonnes choses sur le système financier du Canada, mais ils nous ont tout de même adressé une critique.

Dans l'un des discours que vous avez présentés à l'Institute of International Finance, en septembre, vous avez dit :

Il importe également de garder en tête les limites de toute réglementation. De nouvelles et de meilleures règles sont indispensables, mais non suffisantes. Car il se trouvera toujours des acteurs pour tenter de les contourner. Certains réussiront sans doute, pendant un temps. C'est pourquoi la surveillance est fondamentale.

Le FMI, l'OCDE et bien d'autres ont dit que le fait que nous n'avons pas d'organisme national de réglementation des valeurs mobilières est l'une de nos faiblesses, au Canada. Effectivement, le Canada est la seule nation institutionnalisée qui n'a pas d'organisme commun ou national de réglementation des valeurs mobilières. En ce qui concerne l'importance de la surveillance, quels sont les effets de notre faiblesse à cet égard?

[Français]

Le président : Vous pouvez répondre en français si vous le désirez.

Le sénateur Hervieux-Payette : C'est la même question.

M. Carney : C'est la même question.

[Traduction]

Permettez-moi de dire deux choses. Premièrement, en ce qui concerne la surveillance et l'approche adoptée par la surintendante, il s'agit d'une question que vous pouvez soulever avec elle. Elle a été à la tête d'un groupe international très efficace qui a élaboré des principes relatifs à l'efficacité en matière de surveillance. Les leçons ne viennent pas toutes du Canada; il s'agit de leçons mondiales, mais un grand nombre d'entre elles viennent d'ici.

Le groupe en question a produit un rapport qui a été présenté aux dirigeants du G20 pour le sommet de Cannes. Ce rapport a été approuvé par des ministres des finances et des gouverneurs, et je félicite les gens qui l'ont produit. Il sera publié, en temps et lieu, j'en suis sûr, après le sommet, à Cannes. Il examine ce problème en détail.

Bien sûr, la question, qui doit être posée à M. Macklem, lequel est assis à ma gauche, concerne son rôle au CSF. L'un de ses rôles est de présider un comité de mise en œuvre pour garantir que toutes ces réformes sont appliquées de manière efficace. L'un des problèmes que soulèvent ces types d'approches et qui est lié aux examens par pays est la mesure dans laquelle de meilleurs principes en matière de surveillance seront mis en place au fil du temps. Il pourra vous en dire un mot dans quelques instants. Cela concerne l'exportation de cette idée.

En ce qui a trait au problème précis que vous avez soulevé dans votre question, il est extrêmement important, et nous l'avons souligné à de nombreuses reprises, que nous ayons, au Canada, une approche commune de réglementation et une approche cohérente de réglementation des valeurs mobilières. Nous devons travailler avec le système qui est en place. Nous savons très bien que le gouvernement fédéral a une proposition qui est devant la Cour suprême du Canada. Si les choses vivent leur cours de manière normale, la Cour devrait trancher la question dans un avenir pas si lointain. Nous ne sommes pas les seuls à attendre avec impatience que nos juges de l'instance suprême se prononcent là-dessus.

Quels que soient les faits concernant la réglementation des valeurs mobilières sur le terrain, c'est à nous de travailler, de la manière la plus efficace possible, en collaboration avec ces organismes de réglementation en vue de garantir que les objectifs en matière de surveillance sont atteints.

M. Macklem : À l'égard de ce dernier point, j'aimerais ajouter qu'il s'agit d'une question aussi bien de contenu que de forme. Au chapitre de la réglementation, il faudra s'assurer que le contenu, autant que la forme, est le bon.

Plus tôt, j'ai parlé de la mise en œuvre en réponse à la question du sénateur Greene. J'aimerais revenir sur cette question. Nous ne serons heureux que lorsqu'un système de réglementation efficace aura été mis en œuvre pleinement. Il sera extrêmement important que ce système soit mis en œuvre pleinement et de manière cohérente.

Je vois que le sénateur Ringuette est partie, mais le comité de Bâle met actuellement en place des plans pour évaluer la cohérence de la mise en œuvre. L'un de ces plans traite de la question soulevée par le sénateur Ringuette, qui est l'évaluation interne du risque.

Le sénateur Moore : L'autoévaluation?

M. Macklem : Oui. L'autoévaluation. Évidemment, ce sont les institutions elles-mêmes qui sont sur les premières lignes. Elles doivent avoir de bons modèles, qui doivent être bien appliqués, et il doit y avoir des mécanismes de contrôle appropriés en place. Les contrôleurs dans les divers pays doivent aussi bien se pencher sur les processus que déterminer si ces derniers sont suivis.

L'autre aspect important à l'échelle mondiale consiste à garantir, par l'entremise du comité de Bâle, que la pondération des risques, qui est essentielle à cet exercice, est faite de manière cohérente dans tous les pays. Il y a des plans sur la manière de faire cela, mais ils n'ont pas encore été mis au point. De façon générale, ils adopteront probablement quelque chose qui ressemblera à un portefeuille d'essai et un examen de la manière dont la pondération des risques se fait dans divers pays. Cela permettrait de garantir une application cohérente.

[Français]

Le sénateur Hervieux-Payette : Cela me permettra de parler à un haut fonctionnaire bilingue de notre pays.

Vous avez parlé au début que vous aviez une coordination assez spéciale d'échange d'informations entre les différents organismes canadiens et que vous vous parliez tout le temps sur l'analyse des risques. Est-ce un mécanisme formel ou informel?

M. Carney : C'est un mécanisme formel, cela s'appelle le Comité de la supervision des institutions financières. Je crois que c'est dans l'acte pour le Bureau du surintendant des institutions financières, mais c'est spécifié pour le gouverneur de la Banque du Canada, le sous ministre des Finances, le PDG de SADC.

Le sénateur Hervieux-Payette : De l'assurance-dépôt?

M. Carney : Oui et le surintendant, c'est un comité officiel avec des responsabilités officielles.

Le sénateur Hervieux-Payette : Deux questions qui vont ensemble : lorsque vous avez vu venir les risques par les produits structurés, vous avez analysé la situation au Canada. Avez-vous avisé vos collègues à l'extérieur du Canada que cela pouvait présenter un risque pour toute l'économie parce que vous aviez des contacts avec les organismes internationaux? Avez-vous échangé avec vos collègues de la venue sur le marché d'une quantité astronomique de ces produits structurés qui émanaient à peu près tous des États-Unis?

M. Carney : Oui, à partir des difficultés ou le commencement de la crise mondiale financière, c'est-à-dire en juillet 2007, nous avons commencé des discussions avec les Américains et les Européens en ce qui concerne le risque des produits structurés à cause de la situation difficile du marché papier commercial adossé à des actifs, PCA non bancaires ici au Canada, qui était un véhicule vraiment pour des produits structurés. Malheureusement ou heureusement dans un sens mais malheureusement à ce moment, nous avons eu l'occasion de voir le montant du levier dans ces marchés et, par conséquent, nous avons eu l'idée du montant de levier dans le marché de produits structurés dérivés. J'ai eu, j'étais aux finances, mais je sais que le ministre des Finances a eu des discussions aussi, mais j'ai eu plusieurs discussions avec les représentants du Trésor américain concernant ce sujet.

Le sénateur Hervieux-Payette : Suite à cette crise, est-ce que les mécanismes internationaux vont ressembler à notre mécanisme national, c'est-à-dire qu'on irait au niveau international pour avoir plus ou moins d'échanges, donc s'assurer qu'on intervient avant que les dégâts soient faits parce que finalement, lorsqu'on le fait après, tout ce qu'on fait, c'est la gestion de la crise.

M. Carney : En effet, c'est une très bonne question. Nous considérons les mécanismes internationaux, le Conseil de stabilité financière, le CSF, a un comité M. Macklem, moi et d'autres personnes à travers le monde, d'autres dirigeants des banques centrales et des superviseurs, nous sommes membres d'un comité qui ont la responsabilité de spécifier et d'identifier les volatilités financières à travers le monde et de suggérer des réponses. C'est un comité, mais un sous- comité de conseillers de stabilité financière. C'est une des responsabilités de ce conseil, le conseil de stabilité financière. En même temps, il y a un comité des gouverneurs des banques centrales à Bâle, dont je suis le président. Ce comité est nommé CGFS. Il y a un comité des gouverneurs. Maintenant, depuis 2009, des ministres des Finances du G-20, des gouverneurs de banques centrales du G20 et d'autres représentants de centres financiers ont des discussions officielles, pendant les réunions du FMI, au printemps et à l'automne de chaque année. Alors, il y a plusieurs façons, qui essaient d'identifier des risques dans les marchés.

Je voudrais vous donner un exemple de succès dans ce domaine. C'est une question d'exchange traded funds. Je ne connais pas le terme en français.

Il y a deux types de ETF, celui de plain vanilla, par exemple c'est simplement un exposure, pour un indice comme le TSX. Il y a des ETF structurés et des leviers qui ressemblent beaucoup au PCAA non bancaires et cette situation a été identifiée par le Conseil de stabilité financière. C'est un problème en Europe.

Les autorités européennes ont commencé à prendre des mesures par rapport à ce problème. Alors la situation s'améliore, mais elle n'est pas parfaite. Il est clair que la situation n'est pas du tout parfaite, mais elle s'améliore. Il existe des mécanismes.

Au Canada, les choses se font de façon formelle. Nous avons des obligations fixées par la loi. À l'échelle globale, ce n'est pas le cas. Les choses se font de façon informelle. Nous avons des responsabilités, mais c'est moins formel. Par conséquent, dans ce contexte, c'est plus difficile.

Le sénateur Hervieux-Payette : Vous avez commencé avec la Grèce. Les européens à l'heure actuelle vivent un problème assez important. Il demeure que lorsqu'ils ont évalué le risque de faire entrer la Grèce dans la zone euro, ils l'ont fait en se basant sur des rapports au sujet de la Grèce et sa capacité à se conformer aux règles de la zone euro. Or, ces rapports étaient faussés.

Désormais, quels que soient les gestes qui seront posés, lorsqu'on fait partie d'un groupe, le reste du groupe doit être en mesure d'analyser la question. Normalement, s'ils avaient dit la vérité et sans ce maquillage des états financiers de la Grèce, ce pays ne se trouverait même pas dans la zone euro, car elle ne se conformait pas à l'euro sur le fond de la question. Cette situation a traîné jusqu'à aujourd'hui. Il a fallu du temps avant qu'on découvre ce qui se passait. Il reste que le groupe qui se trouvait dans l'euro a aussi commis une erreur.

On est souvent tenté de dire que tout est de la faute des Américains. Néanmoins, le problème vient également d'un manque d'analyse des risques de la part des Européens lorsqu'il s'agit d'accepter des partenaires qui ne se conformaient pas aux exigences de l'euro. Êtes-vous d'accord avec cette hypothèse?

M. Carney : Le président de la France a exprimé des sentiments similaires aux vôtres. Il a toutefois indiqué que la Grèce est membre du groupe euro et il est donc nécessaire de l'aider.

Le sénateur Hervieux-Payette : Maintenant.

M. Carney : Il est maintenant nécessaire de l'aider. On est dans cette situation et il faut la régler. Nous accueillons donc cette attitude de la France, de l'Allemagne et de nos partenaires européens.

Le président : Avant d'exprimer mes remerciements, au nom du comité, permettez-moi de vous poser une question.

Si ma mémoire est fidèle, la dernière fois que vous avez comparu devant ce comité, au printemps, vous étiez très préoccupé par la question de l'endettement des ménages.

M. Carney : Oui.

Le président : Je me demande si cette préoccupation reste aussi intense ou si, par contre, on a fait du progrès, ce qui vous permet de mieux dormir?

M. Carney : Les risques qui entourent les ménages canadiens existent encore. Le niveau d'endettement des ménages est encore élevé. Il est un peu plus élevé qu'au printemps. Toutefois, le taux de croissance de l'endettement des ménages a diminué, comme nous l'avons prévu au printemps. Cette diminution est due en partie aux mesures du gouvernement du Canada concernant les assurances hypothécaires. Deuxièmement, certaines mesures du Surintendant des institutions financières d'augmenter les niveaux de fonds propres des banques canadiennes par rapport à Bâle III, et les avertissements de la Banque du Canada et du gouvernement du Canada aux Canadiens et Canadiennes y sont pour quelque chose. On peut aussi attribuer cette diminution à un ajustement naturel de l'endettement des ménages.

Il ne fait aucun doute que le taux de croissance a diminué. Toutefois, des risques existent encore, et ces risques sont à la hausse. Il est possible que dans un tel environnement, comme M. Macklem l'a indiqué, l'endettement des ménages augmente encore. C'est un risque à la hausse pour l'inflation au Canada. À cause du niveau d'endettement et le fardeau d'endettement des ménages, il y a un risque que, s'il se produit un choc dans l'économie canadienne, le ralentissement du taux de croissance de la consommation au Canada sera plus fort que par le passé. Cependant, les deux risques existent et nous suivons de près cette situation. Nous travaillons en étroite collaboration avec le surintendant et le ministère des Finances à ce sujet.

M. Macklem : Au graphique 23 de la page 26, on peut voir que le taux de croissance du crédit des ménages a diminué. Il était d'environ 12 p. 100 en 2007. La moyenne historique est d'environ 8 p. 100. Il est maintenant juste en dessous de 5 p. 100. Ces données sont récentes. La situation est donc encourageante. Toutefois, quelques trimestres ne constituent pas une tendance. Nous ne sommes donc pas tout à fait tranquilles, mais il est permis d'être optimiste.

[Traduction]

Le sénateur Massicotte : Le graphique sur les consommateurs américains montre une grande amélioration. Dans quelle mesure cette amélioration est-elle attribuable à la radiation de dettes?

M. Carney : C'est comme c'était avant; cela tient surtout aux défauts de paiement.

J'aimerais revenir sur le point que M. Macklem a soulevé tout à l'heure. On comprend aisément pourquoi les ménages américains doivent toujours faire des économies importantes s'ils veulent compenser une partie de la valeur nette qu'ils ont perdue, ce qui est malheureux. Bien sûr, ils regagneront une grande partie de cette valeur une fois que l'économie se sera stabilisée. Ils le feront au moyen de leurs épargnes et de réinvestissements, mais, au bout du compte, l'augmentation du prix des maisons et l'appréciation des actifs joueront également un rôle à mesure que la situation se stabilisera et que la croissance reviendra. Il s'agit d'un facteur important dont il faut tenir compte.

Le sénateur Harb : Monsieur le président, au nom du comité, pourriez-vous remercier le gouverneur, son premier sous-gouverneur et leur équipe de leur rapport très réussi? Ce dernier simplifie un problème complexe en l'expliquant dans un langage simple que le commun des mortels peut comprendre.

Le président : Je n'aurais pas pu mieux dire.

Le sénateur Massicotte : Ils produisent un rapport chaque trimestre.

Le président : Nous vous laissons, monsieur Carney et monsieur Macklem, sur ces compliments. Je vous remercie d'avoir comparu devant le Comité permanent des banques et du commerce. L'échange de ce soir a été, comme toujours, très fructueux. Nous attendons avec impatience la prochaine occasion de vous rencontrer.

(La séance est levée.)


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