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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 4 - Témoignages du 3 novembre 2011


OTTAWA, le jeudi 3 novembre 2011

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 45, pour examiner la situation actuelle du régime financier canadien et international (sujet : Financer la croissance des PME).

Le sénateur Michael A. Meighen (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour, chers collègues, la séance du Comité sénatorial des banques et du commerce est ouverte.

[Français]

Je souhaite à tout le monde une très cordiale bienvenue à notre séance portant sur la situation actuelle du régime financier canadien et international.

[Traduction]

Je m'appelle Michael Meighen. Je suis un sénateur ontarien et j'ai l'honneur de présider le comité. À titre d'information pour nos témoins et les téléspectateurs qui nous regardent sur la chaîne CPAC ou sur Internet, je vais présenter les sénateurs ici. Tout le monde est présent ce matin. Nous avons le sénateur Oliver, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Tkachuk, de la Saskatchewan, le sénateur Stewart Olsen, du Nouveau-Brunswick, le sénateur Greene, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Smith, du Québec, le sénateur Gerstein, de l'Ontario, le sénateur Ringuette, du Nouveau- Brunswick, le sénateur Harb, de l'Ontario, le sénateur Moore, de la Nouvelle-Écosse, et le sénateur Massicotte, du Québec. Vous pouvez constater l'intérêt qu'a généré parmi nos collègues votre présence ici aujourd'hui, monsieur Jenkins.

Chers collègues, le 14 octobre de l'année dernière — 2010 — le gouvernement fédéral a nommé six personnes à un groupe d'experts indépendant chargé de l'examen des initiatives fédérales dans le domaine de la recherche et développement. Notre témoin ce matin, M. Thomas Jenkins, a présidé ce groupe, qui a publié un rapport intitulé Innovation Canada : Le pouvoir d'agir, le 17 octobre 2011.

Nous avons cru que M. Jenkins pouvait peut-être nous aider dans le cadre de notre étude sur le financement de la croissance des petites et moyennes entreprises et nous sommes heureux qu'il ait accepté de venir aujourd'hui. M. Jenkins est président-directeur et stratège en chef d'OpenText, et, de toute évidence, il a une grande expérience dans ce domaine.

Monsieur Jenkins, je crois que vous avez une déclaration préliminaire que vous pourriez nous présenter, après quoi je suis certain que les sénateurs auront toutes sortes de questions.

Tom Jenkins, président, président-directeur et stratège en chef d'OpenText, Groupe d'experts sur la recherche et le développement : Merci. J'ai apporté une brève présentation PowerPoint, seulement pour parcourir les principaux éléments, mais, au cas où vous n'auriez pas eu l'occasion de les voir, j'ai aussi apporté le rapport final ainsi que le résumé. Il y a toute une gamme de documents ici. J'ajouterais aussi qu'il y a énormément de renseignements sur le site Web. Comme nous le verrons dans la présentation, il y a eu un très grand nombre de mémoires et beaucoup d'intérêt pour ce dossier, et nous avons tout publié sur Internet. Les documents de travail sont tous à votre disposition à des fins d'examen.

Passons à la présentation. Comme il a été mentionné, le ministre Goodyear a lancé cette initiative il y a un an. C'est en grande partie le résultat d'un problème de politique publique dans le domaine de la recherche et de l'innovation. Le groupe était composé — comme le montre la diapositive 4 — de membres représentant différents maillons de la chaîne d'innovation au Canada, alors, en plus de moi-même, il y avait Bev Dahlby, Arvind Gupta, Monique Leroux, David Naylor et Nobina Robinson, qui représentaient différents maillons de la chaîne d'innovation, comme nous allons en parler dans une minute.

Le mandat consistait en réalité à répondre à trois questions. Quelles sont les initiatives fédérales les plus efficaces pour accroître les activités de R.-D. sur le plan commercial? La composition et la conception actuelles des stimulants fiscaux, du soutien direct à la R.-D. dans les entreprises et de la R.-D. à but commercial sont-elles appropriées? Quelles lacunes, le cas échéant, sont évidentes dans l'éventail de programmes actuel, et que pourrait-on faire pour les combler? C'est peut-être à ce sujet que nous allons consacrer le plus de temps.

Question de brosser un tableau complet, permettez-moi de vous donner une idée de la portée et des recommandations globales, afin de mettre les choses en perspective. Le travail visait en réalité les programmes de crédit d'impôt. Comme nous allons le voir, le programme de RS&DE, comme on l'appelle, s'est révélé une source de capitaux importante pour les petites entreprises émergentes axées sur la R.-D.

Il y a aussi un éventail de programmes axés sur le soutien à l'innovation au sein des entreprises, et différentes sources de financement de la R.-D. à but commercial dans les universités, les écoles polytechniques, les collèges, les organismes sans but lucratif et les organismes fédéraux, soit tous les acteurs concernés.

Le processus proprement dit a pris environ un an, mais il a donné lieu à des consultations très exhaustives. Il y a eu 32 tables rondes regroupant 164 participants dans 9 villes à l'échelle du pays, et 228 mémoires ont été reçus. Comme je l'ai mentionné plus tôt, tous ces documents sont accessibles sur Internet.

Nous sommes aussi allés dans certains pays qui, selon nous, étaient très novateurs à leur façon selon différents aspects du domaine. Nous avons aussi tenu des discussions bilatérales exhaustives avec les provinces. Les provinces ont réalisé beaucoup d'innovations dans ce domaine, et nous voulions savoir ce qu'elles avaient à dire, surtout en ce qui concerne la coordination.

Nous avons également mené des travaux de recherche exhaustifs — axés pas tant sur le problème fondamental que sur ce que nous pouvons faire. La recherche visait l'application de rapports antérieurs produits dans le domaine, ce qui a mené à un sondage auprès d'environ 1 000 entreprises menant des activités de R.-D. ainsi qu'à l'analyse de multiples experts au Canada et à l'étranger.

La diapositive 9 traite du problème de politiques auquel nous sommes en butte dans notre pays qui s'explique par le fait que, au Canada, les dépenses en R.-D. des entreprises stagnent. Et ce, malgré — comme vous pouvez le voir à la diapositive 10 — une quantité importante de soutien gouvernemental. Le problème était tel que, selon le classement de l'OCDE — du point de vue du gouvernement —, nous avions l'habitude d'arriver au premier, au deuxième ou au troisième rangs depuis les 20 ou 30 dernières années, et pourtant, nous nous classons aux rangs inférieurs lorsqu'il est question d'investissement de R.-D. dans les entreprises. Certains croient qu'il y a un lien, d'autres, non. Le groupe d'experts a été chargé de résoudre cette question.

La diapositive 11 vous donne une idée de la composition. Une des questions auxquelles le groupe d'experts devait répondre se rattachait à la composition. Le soutien que nous qualifions d'indirect, le crédit d'impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental, ou RS&DE, représentait l'essentiel du soutien gouvernemental, contrairement à ce qui se passe dans la majorité des autres pays. Nous nous sommes penchés sur la situation afin de déterminer quelle serait une bonne direction à prendre pour l'avenir.

La diapositive 12 donne une idée de la série complexe de programmes de soutien direct qui, en fait, nous a menés à l'une de nos conclusions. Il convient de parler d'un éventail de programmes de soutien.

Bien entendu, il n'est pas étonnant de constater — comme on offre une énorme quantité de petits programmes à échelle réduite, à la diapositive 13, nous pouvons voir que notre sondage a révélé qu'au moins la moitié des entreprises interrogées ne savaient même pas que les programmes existaient. C'était un problème récurrent en ce qui concerne beaucoup de petits programmes bien intentionnés — efficaces en soi —, qui, dans le continuum de tout l'ensemble à l'échelle du pays, étaient généralement considérés comme étant à échelle réduite. C'est un problème qui n'afflige pas seulement le Canada, comme nous l'avons vu et étudié dans notre rapport.

La lacune sur le plan de l'appui du côté de la demande au chapitre des intrants, ainsi que la lacune sur le plan de la R.-D. publique-privée — c'est surtout à ces égards que nous nous sommes attachés au rôle du CNRC.

Enfin — et cela est peut-être davantage pertinent à notre discussion aujourd'hui —, la diapositive 16 porte sur les lacunes en matière de capital de risque dans le pays. Notre situation n'est pas unique à ce chapitre. De nombreux pays sont aux prises avec ce problème, qui consiste à déterminer la quantité adéquate de capital de risque nécessaire à chaque étape du continuum. Vous verrez où nous avons détecté des lacunes particulières en matière de capitaux providentiels et de capitaux consentis aux stades ultérieurs.

Voilà qui nous amène aux recommandations, au nombre de six.

La diapositive 18 présente la première recommandation, qui vise à regrouper tous les programmes et à créer un conseil qui s'attache uniquement à la R.-D. à but commercial. Nous l'avons fait à de nombreuses reprises par le passé au pays. C'est ainsi que nous avons créé des entités comme le CRSNG et le CRSH. Nous estimions que, vu les milliards de dollars dépensés, il était grand temps de créer un organisme ciblé, qui offrirait aux entreprises un type de service national de « guide-expert », et cela permettrait de cibler les efforts. Nous avons beaucoup de petits programmes bien intentionnés, mais ils ne sont pas ciblés à l'échelle nationale.

La deuxième recommandation consistait à simplifier le programme de RS&DE. L'un des problèmes que nous avons découverts en ce qui concerne le programme de RS&DE, c'est qu'il s'agit d'un programme bien intentionné, mais peut- être trop complexe pour les petites et moyennes entreprises, et que, si nous simplifions notre approche pour qu'elle cible uniquement la main-d'œuvre — approche adoptée dans la province du Québec, mais aussi internationalement —, nous estimons que nous obtiendrons un meilleur rendement de notre investissement et que, à vrai dire, une plus grande quantité d'argent serait affectée au but recherché, à savoir la R.-D. dans les petites et moyennes entreprises. Nous avons constaté qu'il était possible qu'on affecte une trop grande quantité d'argent à l'administration d'un programme peut-être trop complexe pour le secteur des petites et moyennes entreprises.

Nous n'avons pas trouvé de problème administratif dans le secteur des grandes sociétés. De fait, lorsque des programmes de RS&DE sont mis en œuvre à l'échelle internationale, on établit habituellement la distinction entre les grandes sociétés et les petites entreprises.

La diapositive 20 a suscité beaucoup de rétroaction des sociétés, qui voulaient vraiment que le gouvernement soit leur premier client, leur première référence. Elles ne voulaient pas qu'on leur fasse de cadeau; elles voulaient se faire concurrence pour cela. Toutefois, elles voulaient que l'avantage soit fondé sur l'innovation. Elles voulaient un client du gouvernement, et non pas, peut-être, un organisme subventionnaire, et nous avons entendu leur message haut et fort.

Lorsque nous avons examiné ce qui se passait dans d'autres pays, nous avons constaté que, en fait, on investissait souvent énormément de temps dans ce domaine pour favoriser l'innovation. En général, l'innovation est le produit de deux forces : les employés et les clients — et non pas les programmes et ce genre de choses. Si nous voulons favoriser l'innovation et la productivité, nous devons introduire la compétition et fixer des exigences valables en tant que client. C'était la recommandation relative à l'approvisionnement.

La diapositive 21 concerne le CNRC. Le CNRC a de bons antécédents en matière d'élaboration de programmes. Il s'est révélé un incubateur d'idées stratégique fantastique. Le PARI est excellent. Nous avons recommandé son implantation dans ce conseil d'industrie, et que d'autres secteurs axés sur l'industrie dans le CNRC soient également implantés. Nous n'avons rien implanté depuis 23 ans. Le CNRC nous a donné l'Agence spatiale canadienne, le CRSNG, et bien d'autres choses. Il a une riche tradition à ce chapitre. Toutefois, pour une quelconque raison, nous n'avons pas fait évoluer le CNRC depuis 23 ans. Voilà notre recommandation à cet égard.

La cinquième recommandation touche le capital de risque. Nous nous sommes beaucoup attachés aux deux extrémités du spectre. Beaucoup d'acteurs dans ce domaine — et peut-être que nous pourrions en parler — ont différents points de vue sur cette question, selon l'endroit où ils se situent sur la chaîne d'innovation. Bien entendu, les investisseurs de capitaux aimeraient qu'il y ait moins de concurrence, et les consommateurs de capitaux aimeraient qu'il y en ait beaucoup, et nous avons tenté de faire la part des choses en tenant compte de tous les apports.

Nous avons été frappés par le modèle israélien, le fonds Yozma, en ce qui concerne l'approche de réduction des risques liés au capital de risque. Nous avons consacré une partie du rapport et de nos documents de travail à ce sujet. Nous trouvions qu'il s'agissait d'une façon ingénieuse d'équilibrer la politique publique consistant à être axée sur les forces du marché tout en s'assurant que les dollars supplémentaires sont investis dans notre pays, plutôt qu'affectés à d'autres fins.

En ce qui concerne le capital de risque, nous avons présenté deux recommandations. Honnêtement, nous estimions que la BDC était la méthode à adopter, en insistant sur les forces du marché comme moteur, mais sur la BDC comme facilitateur. Il s'agit d'une distinction importante : la BDC elle-même ne devrait pas nécessairement avoir un rôle direct, mais elle devrait soutenir les autres joueurs à ce chapitre. Peut-être que nous pourrions parler de cette idée plus en profondeur.

Enfin, de façon générale, nous estimions que l'enjeu concernait l'ensemble du gouvernement. La productivité sur le plan de l'innovation ne relève pas vraiment d'un ministère ou d'un ministre particulier; cela exige plutôt une approche pangouvernementale centralisée. Nous avons été inspirés par certains exemples que nous avons vus — que ce soit à Singapour ou en Finlande, et j'en passe —, où les dirigeants du pays jouaient un rôle actif, non pas un rôle à temps plein, mais un rôle stratégique. Nous avons trouvé qu'il serait merveilleux de prendre l'actuel organe responsable et de lui demander de présenter des conseils provenant de l'ensemble du gouvernement au public, et de le faire par l'intermédiaire d'un seul ministre responsable.

Voilà les recommandations du rapport. Merci de votre attention.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Jenkins. C'était très utile. Je crois que vous avez préparé le terrain pour qu'on s'en donne à cœur joie au cours de la prochaine heure et quart.

Le sénateur Ringuette : Bienvenue, monsieur Jenkins. Merci de vos commentaires.

J'ai brièvement parcouru le vrai rapport — pas le résumé —, et je constate que, depuis 2008 ou 2007, nous réduisons le financement à l'innovation, qui est maintenant inférieur à la moyenne des pays de l'OCDE. La moyenne des pays de l'OCDE est de 1,6, et nous avons une moyenne de 1 p. 100 du PIB, alors c'est une préoccupation.

Je regarde votre diapositive sur la page 10, qui présente une comparaison entre le Canada et d'autres pays. Cela confirme ce que nous pensons tous; à savoir que le soutien gouvernemental indirect, qui prend la forme d'incitatifs fiscaux est beaucoup plus élevé au Canada que dans tout autre pays.

Nous avons parlé à plusieurs témoins. Pour obtenir un crédit d'impôt, vous devez avoir le capital nécessaire à la R.- D., puis le réclamer. On dirait que nous avons un manque à gagner sur le plan du premier obstacle, à savoir le capital. Vous l'avez confirmé.

Ensuite, je regarde votre diapositive. En commençant par la Suède, l'Allemagne, l'Islande, la Finlande, le Luxembourg, l'Italie et ainsi de suite, on constate que le financement est toujours en fonds directs — de l'argent directement versé aux fins de la R.-D.

J'aimerais que vous me donniez votre opinion au sujet de ces deux extrêmes, en partant du Canada, avec le crédit d'impôt, et en allant jusqu'à l'Allemagne, qui n'offre que de l'argent comptant aux fins de la R.-D.

M. Jenkins : Je crois qu'il faut prendre garde lorsqu'on établit des comparaisons entre États, parce que la structure économique de ces pays est, dans certains cas, très différente. Nous l'avons certainement constaté en regardant l'économie allemande et l'économie coréenne, notamment, où l'on trouve une centralisation et une concentration intenses dans certaines industries et au chapitre de certains mandats nationaux. Cela nous a frappés. Nous étions persuadés que des pays comme l'Australie — les pays auxquels nous nous comparons normalement — seraient ceux qui offriraient des modèles particulièrement convenables pour nous.

Il faut entreprendre une analyse sectorielle pour comprendre. La R.-D. en pharmaceutique diffère beaucoup de la R.-D. en logiciels, en TIC ou en foresterie. Il faut prendre garde à la différence entre les secteurs.

Cela dit, nous avons été frappés — surtout dans le cadre de nos réunions avec l'OCDE — par le fait que, lorsqu'on regarde le tableau dont vous parlez, les pays à une extrémité du spectre regardaient les pays à l'autre bout et se demandaient s'ils devaient instaurer davantage de programmes de type RS&DE, comparativement aux pays de l'autre extrémité, et peut-être que — comme toute chose dans la vie — qu'il faudrait trouver un juste équilibre.

L'efficacité d'un programme indirect tient au fait qu'il est axé sur les forces du marché. La caractéristique d'un programme de RS&DE tient au fait qu'on s'en remet au marché pour trancher — contrairement aux programmes directs qui exercent une pression énorme sur les organismes subventionnaires afin d'être efficaces et réellement axés sur les forces du marché. Nous avons beaucoup d'exemples de programmes directs qui ont de la difficulté à rester d'actualité, alors la possibilité d'avoir un ensemble varié était très attrayante pour le groupe d'experts.

Dans nos recommandations — et j'ai omis de le mentionner au début — notre mandat du ministre consistait entre autres à proposer une approche équilibrée; si nous avions l'intention de donner à un programme, nous devions retirer quelque chose à un autre. Nous croyons que, si l'on simplifiait le programme de RS&DE, les économies réalisées pourraient servir aux programmes directs et à l'établissement d'un nouvel équilibre à cet égard.

Nous avons toutefois entendu directement des représentants des nombreux autres pays actuellement dans le bleu dire qu'ils songent à se diriger vers le rouge, surtout lorsqu'il est question de concurrencer pour obtenir les dollars supplémentaires destinés à la recherche des grandes sociétés, des multinationales. C'est devenu un avantage de type concurrentiel pour un État-nation. Nous avons des taux d'imposition pour les sociétés et ce genre de choses, mais on trouve que les incitatifs à la R.-D. attireraient les innovateurs qui contribueraient par la suite au PIB dans le pays d'accueil.

Il faut toujours envisager ces statistiques comme étant en mouvement, et le bleu peut passer au rouge, et le rouge, au bleu. Nous sommes conscients du fait qu'il y a une certaine fluidité à cet égard.

Le sénateur Ringuette : J'imagine que nous avons beaucoup de travail à faire sur le plan des mesures de soutien gouvernemental indirectes pour trouver le juste équilibre, comme vous dites.

En ce qui concerne le capital de risque, vous avez parlé de l'intervention de la BDC afin d'allouer une plus grande part de son portefeuille au stade de prédémarrage. Pourriez-vous approfondir cette idée?

M. Jenkins : Nous parlons maintenant des deux extrémités du spectre du capital de risque, et j'aimerais attirer votre attention sur le graphique présenté à la diapositive 16.

Je dois souligner que, selon votre position dans ce débat, vous avez un point de vue très marqué, qui entre en conflit avec l'autre. Les entrepreneurs veulent avoir accès à une grande quantité de capitaux, tandis que les investisseurs de capitaux veulent qu'il y en ait une plus petite quantité, alors il faut toujours comprendre cela lorsqu'on entend le témoignage des différents joueurs.

Nous avons été convaincus des vertus de l'investissement providentiel — à savoir la famille et les amis qui se dirigent vers l'investissement providentiel avant le capital de risque classique. À cette étape, il y a un effort communautaire important à l'échelle du pays. Certaines des provinces que nous avons nommées dans le rapport — comme la Colombie-Britannique et le Québec — ont travaillé pour favoriser ou habiliter cet investisseur providentiel tributaire du marché, mais leur fonction de coordination brillait par son absence. C'est ce à quoi nous faisions allusion au stade de prédémarrage : la BDC pourrait jouer un rôle pour mieux coordonner ces groupes d'investisseurs providentiels, leur procurer un guichet libre-service.

Il n'est pas tant question de l'octroi du financement, car les investisseurs providentiels eux-mêmes assurent le financement. Je m'empresserais d'ajouter que, ce que nous avons appris — et, selon moi, ce qui semblerait raisonnable à quiconque —, c'est que les investisseurs providentiels ont fourni plus que de l'argent. Ces investisseurs ont apporté leur expérience, ce qui était beaucoup plus précieux.

Le fait de favoriser et d'encourager cela et de faire office de mécanisme de liaison entre les investisseurs providentiels et ceux qui ont besoin des fonds aiderait énormément le pays; il s'agirait non pas nécessairement de beaucoup de capitaux, mais plutôt d'un leadership et d'une coordination.

Le sénateur Harb : Merci pour le rapport, qui était très bien réfléchi et exhaustif.

Vous avez parlé de « sectoriel » dans votre exposé. Lorsqu'il est question de petites et moyennes entreprises, vous avez mentionné différents secteurs.

À mon avis, le secteur de la technologie de pointe doit être la priorité, mais vous pourriez probablement être en désaccord avec moi. De tous les secteurs des petites et moyennes entreprises qu'il faut aider en tant que gouvernement, quel secteur, à votre avis, doit être la priorité?

M. Jenkins : L'analyse sectorielle et le débat concernant les secteurs est un débat enflammé, car il suppose en quelque sorte que nous choisissions des secteurs gagnants et des secteurs perdants. Je crois qu'il faut vraiment prendre garde de ne pas faire cela. La réponse simple à votre question, c'est qu'ils sont tous importants. Nous devons créer un macro-environnement pour que tous ces secteurs, selon la vitesse à laquelle ils consomment la R.-D. et l'innovation, puissent profiter d'une aide.

Comme vous le faites valoir à juste titre, il semble naturel, en quelque sorte, que le secteur de la haute technologie jouisse du taux le plus élevé d'investissement par rapport au revenu. Habituellement, les entreprises de haute technologie profitent d'un investissement de 10 à 15 et parfois 20 p. 100 de leur revenu en raison de la volatilité et du changement.

Au Canada, pour ce qui est de la productivité et de l'innovation à long terme, nous devons envisager cette question de haute technologie comme un facteur qui touche la foresterie, les océans et l'extraction minière. On n'a pas besoin d'aller très loin pour constater la création de richesses incroyables découlant des innovations dans le domaine de l'huile de schiste et du gaz de schiste. Pour le Canada, il s'agit d'une manœuvre très intelligente et stratégique. Toutefois, si nous n'avons pas les mécanismes pour les aider à créer ces innovations et à faire la R.-D., nous allons nuire au pays à long terme.

Je crois que nous devons regarder cela et adopter un point de vue en quelque sorte objectif des forces du pays et des endroits où nous devrons intégrer la R.-D. J'ai constaté, lors de ma tournée aux quatre coins du pays avec le groupe d'experts, que c'était peut-être l'idée la moins bien comprise — c'est-à-dire que notre enjeu lié à l'innovation et à la productivité se rattache directement à l'extraction minière, à l'huile et au gaz et aux océans. C'est exactement là que nous en avons besoin. Tout le monde comprend l'enjeu de la haute technologie; il s'agit seulement de saisir l'idée du besoin de cette innovation. Si vous regardez ce que la Finlande et la Norvège ont fait de leurs secteurs classiques, qui sont semblables aux nôtres — elles ont axé leurs efforts sur l'innovation.

Le sénateur Harb : Vous tracez les grandes lignes du dilemme dans votre propre rapport lorsque vous parlez de ce que nous avons appris. Vous avez deux énoncés contradictoires qui reflètent exactement cela. Vous dites que nous avons appris que le gouvernement devrait déployer plus d'efforts pour favoriser la croissance des entreprises innovantes et, surtout, pour répondre aux besoins des petites et moyennes entreprises, les PME.

Ensuite, vous entrez un peu plus dans les détails et montrez l'autre côté du problème. Vous ajoutez qu'on a fait valoir que le soutien à l'innovation était trop axé sur la recherche et développement. Il fallait appuyer davantage les activités qui jalonnent le parcours menant de l'idée à l'innovation commercialisable. Je crois que vous avez tracé les grandes lignes du dilemme auquel vous êtes confronté, vous avez un camp ici et un autre camp là.

Je veux revenir à l'idée selon laquelle ce que le comité voulait faire, c'est de couper court au débat politique, en quelque sorte, et d'aller au gouvernement pour lui dire : « Voici les choses que nous voulons que vous fassiez pour aider » — pas nécessairement les gagnants ou les perdants, mais ceux qui ont de la difficulté à amasser les fonds nécessaires pour réaliser des innovations et mettre leur produit en marché. J'imagine qu'il est probablement plus facile pour une petite société minière au stade du prédémarrage de s'inscrire en bourse et de recueillir des fonds que pour OpenText de faire de même à ses débuts.

Voilà le genre de choses que nous examinons. Cela dit, vous y avez fait allusion dans votre recommandation no 5 qui traite du capital de risque; vous avez dit que vous vouliez voir le gouvernement indemniser la Banque de développement du Canada pour qu'elle alloue une grande part de son portefeuille au stade de prédémarrage. C'est parfait. C'est bien. Nous voulions obtenir le pourcentage — quelle est la proportion — pouvez-vous nous donner juste une petite idée?

Dans votre deuxième recommandation, vous parlez aussi des nouveaux capitaux pour le développement de fonds de capital de plus grande ampleur pour les stades ultérieurs de développement. Pouvez-vous quantifier cela?

M. Jenkins : Je vais commencer par tenter d'élucider certains aspects du problème des énoncés conflictuels.

Il est important de comprendre que, dans notre pays, nous nous en tirons assez bien lorsqu'il s'agit de créer des entreprises en démarrage — à vrai dire, nous nous en tirons extrêmement bien. Où que nous allions dans le monde, les gens faisaient remarquer à quel point le Canada était doué à ce chapitre. Le problème et les énoncés conflictuels tiennent au fait que la croissance de ces entreprises est interrompue par la suite. Elles tombent sous la coupe d'une société de capital-risque étrangère ou d'une entité étrangère.

C'est très bien dans un marché libre, mais notre chaîne de création de petites entreprises qui deviendront des joueurs sur la scène internationale est rompue ici. C'est pourquoi nous avons parlé des stades ultérieurs du développement des entreprises. Nous sommes dans un continuum, alors il est possible que les termes nous plongent dans la confusion. Nous estimions avoir besoin d'une mise en commun de capitaux qui permettrait aux entreprises qui atteignaient tout juste la maturité nécessaire pour devenir un joueur sur la scène internationale d'obtenir les capitaux disponibles. Nous ne nous sommes pas réellement attachés aux mécanismes particuliers pour ce faire; nous espérions plutôt que le marché offre les incitatifs voulus. C'est pourquoi nous avons été séduits par le fonds Yozma.

La réduction des risques de cette mise en commun de capitaux pour les caisses de retraite dans le pays et d'autres acteurs qui aimeraient participer au moyen, essentiellement, de la réduction de leur risque de perte — le partage du risque de perte —, mais en leur donnant une possibilité de gain au-delà d'un rendement économique raisonnable était très attrayante à nos yeux. Nous avons découvert que d'autres pays étudient également cette option et seraient enclins à la mettre en œuvre.

Nous avons un problème unique du fait que nous sommes un petit pays à côté d'un très grand pays. Lorsque nos entreprises grandissent et s'apprêtent à avoir du poids sur la scène internationale, on dirait qu'on les perd en nombre disproportionné. Si vous regardez les statistiques de l'OCDE, vous constaterez que, lorsque les entreprises commencent à enregistrer des recettes de 50 millions ou de 100 millions de dollars, elles commencent à se volatiliser de façon disproportionnée comparativement au nombre de petites entreprises que nous générons.

C'est pourquoi les énoncés sont conflictuels; c'est ce que nous voulons expliquer.

Le sénateur Harb : C'est pourquoi le comité s'intéresse à cette question. L'un de mes collègues a soulevé le même point. On arrive au point où on s'apprête à donner naissance, et quelqu'un arrive dans le portrait et annonce : « C'est mon bébé! »

M. Jenkins : Il faut faire attention lorsqu'on l'explique comme ça. Les gens entendent ce débat et en déduisent que nous devons en faire plus pour les entreprises en démarrage. Non, nous devons les aider à prendre de l'expansion. C'est la subtilité qui échappe au débat dans notre pays.

Le sénateur Harb : C'est ce que je dis. On a à peine commencé à produire un bien qu'on change de direction pour aller ailleurs.

M. Jenkins : À l'échelle mondiale, parce que ces entreprises produisent des biens et services et enregistrent des recettes qui atteignent 40, 50 et 100 millions de dollars; mais avant de devenir, sur la scène internationale, un joueur d'une valeur de 1 milliard de dollars, en général, ces entreprises sont acquises.

Le sénateur Harb : C'est pourquoi vous avez dit que le premier client est important. Lorsqu'une entreprise réussit et qu'elle offre un bon produit, il est bien que le gouvernement intervienne et lui demande de l'approvisionner en biens ou en services, pour qu'il puisse se retrouver sur cette liste.

M. Jenkins : Pour ajouter à cela, les activités d'approvisionnement d'un État, lorsqu'il est le premier client, ne sont pas comptabilisées par l'OCDE. Vous devez faire attention lorsque vous regardez les statistiques en profondeur, car ces chiffres ne sont pas reconnus ici. Lorsqu'on se procure un produit ou un service, cela n'apparaît pas dans les statistiques de l'OCDE illustrant le soutien à la R.-D. Toutefois, de façon implicite, c'est le plus grand moteur de l'innovation.

Dans le rapport, nous mentionnons des choses comme le programme DARPA aux États-Unis, le programme ARPA-E et le programme SBIR — tous des programmes à très grande échelle. Il n'est pas étonnant de constater que l'économie américaine est novatrice, car cet objectif a été institutionnalisé après la Deuxième Guerre mondiale. Cela fait partie du dilemme.

Le sénateur Harb : Je sais que le président voudra poser certaines questions, mais je vais le faire en son nom.

Vous avez visité plus de sept pays; vous avez vu les bonnes choses et les mauvaises — les choses qui fonctionnent et celles qui ne fonctionnent pas — et vous êtes revenu. Pouviez-vous nous dire une chose que vous avez retenue de toutes les visites que vous avez faites en ce qui concerne les pratiques exemplaires — ce qui vous a le plus frappé et ce qui devrait et pourrait être reproduit ici au Canada?

Que devrait faire le comité au chapitre des recommandations dans son rapport pour vraiment cueillir les fruits de l'initiative particulière qui, selon vous, est vraiment bonne et fonctionnera et nous aidera?

M. Jenkins : L'approvisionnement, sans aucun doute; le gouvernement en tant que client, car cela favorise l'innovation. C'est extrêmement efficient, car, lorsque le gouvernement se procure de l'innovation, c'est avantageux pour le contribuable. Il fait office de premier client, et c'est probablement l'aspect où nous traînons le plus parmi tout ce qu'a passé en revue le groupe d'experts.

D'autres membres du groupe d'experts ont peut-être une opinion différente, alors je parle seulement en mon nom. Je sais que tous les membres du groupe d'experts étaient persuadés que l'approvisionnement était une grande lacune. On pourrait également faire valoir d'autres recommandations ici, mais, pour moi, l'approvisionnement expliquait pourquoi certains de ces pays étaient si novateurs.

Le sénateur Stewart Olsen : J'ai une question supplémentaire. Vous prenez l'initiative de soutenir les entreprises au stade de croissance intermédiaire. Je soupçonne que ce phénomène ne survient non seulement au Canada — savoir qu'elles sont avalées par les multinationales —, mais qu'il est plutôt d'envergure mondiale. Je ne suis pas certaine que l'on puisse y mettre un frein. Vous intervenez au stade intermédiaire, mais n'est-ce pas un enjeu mondial qu'elle puisse soutenir la concurrence internationale des sociétés multinationales qui arrivent sur le terrain? Si nous intervenons au stade de développement intermédiaire, comment empêchons-nous le même phénomène de survenir à un stade ultérieur?

M. Jenkins : C'est une excellente question. Il faut toujours faire preuve d'humilité lorsqu'on intervient pour corriger une déficience du marché. Si on se fie à l'histoire, il faut faire très attention. J'évolue dans un marché libre, j'ai passé toute ma vie dans le secteur privé, je suis un capitaliste, et cetera. Au bout du compte, nous devons reconnaître que chaque personne incarne un joueur rationnel. Si vous êtes un entrepreneur, avez exploité votre entreprise pendant 10 ans et touchez maintenant des recettes de 50 millions de dollars, vous devrez prendre une décision progressive. Cherchez-vous de façon progressive à obtenir plus de capitaux, ou acceptez-vous d'être vendu à une multinationale? Nous devons tout simplement comprendre que, du point de vue de l'ensemble des secteurs dans notre pays, selon notre PIB, notre rendement est beaucoup plus faible que celui d'autres pays de taille équivalente.

Nous observons effectivement une déficience du marché ici. Ces options sont à la disposition de ces gens d'affaires, qui choisissent de façon disproportionnée la vente à une multinationale ou la vente à une société de capital-risque. C'est un fait. Ce que nous devons examiner soigneusement, c'est la façon dont nous voulons intervenir ou dont nous devrions intervenir.

La raison pour laquelle nous avons décidé que nous devrions intervenir à l'égard de cette déficience du marché — et n'importe quelle personne d'affaires vous le dira — tient à ce qu'on appelle les gagnants qui touchent 50 millions ou 100 millions de dollars. La création de richesse pour le pays s'accélère à ce moment-là. Après tout ce dur labeur et toutes ces entreprises en démarrage et ce financement de la R.-D., à ce tournant, un autre État-nation s'empare d'une grande partie de la richesse créée. Nous ne pouvons pas mettre de bâtons dans les roues des acteurs rationnels qui font des choix rationnels, mais peut-être que, à l'instar des Israéliens, nous pourrions établir des incitatifs pour que ces dollars supplémentaires soient en partie investis au Canada, lorsqu'on arrive à ce tournant. Si nous le faisions, nous pourrions peut-être créer beaucoup de richesse dans le pays.

Le sénateur Stewart Olsen : Merci de votre indulgence.

Le président : J'espère que quelqu'un posera plus de questions au sujet du mécanisme israélien et du risque associé au processus, car je croyais que c'est ce dont vous alliez parler pour répondre à la question du sénateur Harb.

M. Jenkins : J'ai failli le faire.

Le président : Vous avez opté pour l'approvisionnement, ce qui soulève des questions dans mon esprit et peut-être dans l'esprit de mes collègues quant à la façon de mettre cela en œuvre sans essayer de choisir des gagnants et ce genre de choses.

Le sénateur Oliver : J'ai une question au sujet de la structure. J'imagine qu'elle s'inscrirait dans la recommandation 6, qui a trait au leadership. Tout au long de votre rapport, vous parlez du pouvoir exécutif ou des ministres. À l'heure actuelle, vous témoignez devant un comité parlementaire ou le législateur, alors il y a un pouvoir législatif et un pouvoir exécutif. Vous avez insisté uniquement sur l'exécutif. Il existe un certain nombre d'organisations de type Bretton Woods dans le monde — l'OMC, le FMI, la Banque mondiale, pour en nommer quelques-unes — qui reconnaissent l'importance des parlementaires dans la conception et l'élaboration de bonnes politiques gouvernementales; pourtant, vous ne parlez jamais du rôle des parlementaires. Il me semble que ce soit peut-être un défaut fatal.

Par exemple, au Royaume-Uni, il y a un certain nombre d'organisations comme la vôtre qui rencontrent régulièrement les membres de la Chambre des Lords et les membres de la Chambre des communes, qui analysent des questions relatives à l'approvisionnement et qui parlent de nouvelles politiques gouvernementales pour le secteur et d'autres secteurs, mais cela brille par son absence dans votre rapport. Je crois que c'est une lacune. Est-ce que quelque chose m'échappe, ou l'avez-vous dit d'une autre façon? Comment reconnaîtrez-vous l'importance de ceux qui représentent le peuple de l'ensemble du Canada et qui sont chargés de l'adoption et de la conception des lois qui feront entrer ces choses en vigueur s'ils ne font pas partie de votre architecture?

M. Jenkins : Premièrement, je suis désolé de ne pas l'avoir intégré de façon plus évidente dans notre rapport, car nous avions l'intention de le faire. Si je pouvais le dire dans mes propres mots, du point de vue du secteur privé, ce à quoi nous nous attachons, dans mes termes, c'est l'aspect stratégique et tactique, ou opérationnel.

Nous considérions la dernière recommandation, la sixième, comme une recommandation stratégique. Nous avons étudié des pays comme Israël et Singapour et même les États-Unis à très large échelle. Nous avons été très séduits par les pays à plus petite échelle, parce que leurs efforts étaient très stratégiques, en partant du premier ministre du pays jusqu'aux PDG des diverses organisations, en passant par le Cabinet. Ils menaient un examen stratégique une fois par année ou tous les deux ou trois ans. Voilà de quoi nous parlions à la recommandation 6.

Quant à notre première recommandation, ce que nous estimions être la recommandation opérationnelle la plus importante et stratégique était la création d'un conseil. Ce conseil pourrait alors être au centre de ces discussions. Aujourd'hui, nous n'avons aucun organe gouvernemental qui s'attache précisément à ce débat. Où tenons-nous les discussions relatives à la R.-D. à but commercial, à la productivité et à l'innovation ciblées et où les parlementaires peuvent-ils se rassembler avec les représentants d'un organisme et du secteur privé?

Si vous pensez à l'éducation dans le pays, cela se passe généralement au CRSNG, car nous avons un organe chapeauté par un président du CRSNG et un conseil, et ce groupe peut alors informer le législateur, ce qu'il fait effectivement. Il nous manque cela. Notre première recommandation visait à intégrer cet élément de politique gouvernementale. Il y a peut-être une meilleure façon de le faire, mais nous tentions de reproduire des modèles auxquels nous pouvions facilement nous accrocher. Lorsque nous avons entendu la voix des universitaires — et tout ce secteur — passer par le CRSNG ou le CRSH ou les IRSC, nous avons cru que c'était le meilleur moyen de procéder.

Si je vais au-delà des limites de notre recommandation, je peux dire que je suis d'accord avec vous : ce type de dialogue doit avoir lieu. C'était notre réponse.

Le sénateur Oliver : Même aujourd'hui au Canada, au sein de l'actuel gouvernement, très peu de décisions sont prises par ce que vous appelez le pouvoir exécutif — les ministres — et leurs représentants, sans tout d'abord passer par un comité consultatif ministériel, qui est composé de parlementaires ordinaires; c'est-à-dire des gens qui représentent le peuple au Sénat et à la Chambre des communes. Ils jouent un rôle très important.

Comme je l'ai dit plus tôt, bon nombre des organisations de type Bretton Woods le reconnaissent. Les Nations Unies ont même une aile ou une division parlementaire qui leur procure ce genre de conseils. J'espère que, au cours de votre cheminement, vous n'oublierez pas les parlementaires. Le législateur — les gens qui font les lois — est aussi un important élément.

Par exemple, au chapitre de l'éducation, vous savez probablement que j'ai animé un déjeuner éducatif pour OpenText il y a un an. J'ai invité des sénateurs, et leur taux de participation était incroyable; ils voulaient se renseigner sur le sujet. La composante éducative est aussi importante pour les parlementaires. J'imagine que vous pourriez dire que votre conseil peut se charger de cela.

M. Jenkins : C'était notre intention. La tenue d'un dialogue continu avec un type de structure ou d'organisme permanent ne peut qu'être profitable pour le pays à l'heure actuelle.

C'est la première conclusion que nous avons tirée. Nous avons étudié plus de 60 programmes. Chaque programme était bien intentionné et, selon tous nos examens, efficace dans un cadre très étroit, mais le dialogue national était absent.

Le sénateur Oliver : Je suis extrêmement intéressé par ce que vous avez dit et ce que les autres témoins qui sont venus ici ont dit au sujet des investisseurs providentiels. En ce qui concerne les sociétés de capital-risque, les investisseurs providentiels sont probablement le groupe le plus important au chapitre de l'argent, des conseils et du soutien à l'intention de nos PME au Canada aujourd'hui.

Que pouvons-nous faire pour encourager les investisseurs providentiels à se manifester? Vous avez recommandé que l'on se tourne vers la BDC pour qu'elle assure la coordination et le leadership nécessaires en vue de rassembler les investisseurs providentiels des quatre coins du Canada. Y a-t-il autre chose que vous aimeriez que la BDC fasse pour accroître l'apport des investisseurs providentiels au profit des PME canadiennes?

M. Jenkins : À notre échelon, nous devions nous restreindre essentiellement à une recommandation portant qu'un organe gouvernemental devrait être chargé de faire avancer le dossier des investisseurs providentiels, si vous voulez. Nous avons entendu de nombreux témoignages — c'est-à-dire, une fois qu'il y a une fonction de coordination — au sujet des mesures que l'on pourrait prendre pour faire avancer la cause et de la question du traitement des gains en capital découlant des activités des investisseurs providentiels.

Beaucoup d'autres pays le font. Ils prennent des mesures incitatives disproportionnées parce que cela crée tant de richesse pour le pays. Le groupe d'experts n'a pas abordé ce détail; nous avons simplement reconnu le fait que ce type de conversation était nécessaire dans notre pays, qu'on avait besoin d'un service de « guide-expert » et de leadership, et que ce leadership et ce dialogue pourraient mener vers de meilleures politiques.

Le président : Je crois que nous avons entendu des témoignages, l'autre jour, selon lesquels une façon de faire ce que vous proposez passe par les fonds de contrepartie, qui suppriment le processus, dans une certaine mesure, de choix des gagnants et des perdants. On peut déjà présumer qu'il y a une preuve sur le marché selon laquelle l'entreprise en démarrage a déjà le vent dans les voiles. Ce concept vous plaît-il personnellement?

M. Jenkins : Oui, certainement. Nous examinions certains des programmes d'autres pays ainsi que ceux en place à l'échelon provincial, et les fonds de contrepartie étaient une mesure très logique. Le fonds israélien est effectivement un fonds de contrepartie.

Ainsi, on obtient les meilleurs éléments d'un produit des forces du marché, mais, en même temps, on réduit le risque et on encourage certains éléments qu'on aimerait voir prendre plus de place dans l'économie. C'est un levier qui, à mon avis, est très, très efficace.

Le sénateur L. Smith : Nous sommes vos clients, et vous venez de nous livrer un rapport fantastique, monsieur Jenkins. Nous aimerions participer. Comment préparerez-vous le terrain et ferez-vous intervenir le gouvernement? Il y a eu tant de rétroaction positive et tant de gens lisent le rapport et en discutent... Quelle est la prochaine étape? Nous sommes intéressés, et nous disons que c'est merveilleux. Si nous prenons l'exemple de l'extraction minière, la plupart de nos programmes visaient l'extraction de minéraux. Et qu'en est-il de l'industrie du recyclage et des bassins de résidus miniers dans l'Ouest canadien? Cela pourrait être une énorme entreprise. C'est vous qui avez formulé les idées fantastiques dans une perspective macroéconomique. Comment établissons-nous certaines de ces choses?

M. Jenkins : Pour respecter votre nomenclature, je crois que mon rôle est celui de consultant.

Le sénateur L. Smith : C'est ce que je dis : vous êtes notre consultant. Nous accordons de la valeur à ce que vous dites.

M. Jenkins : Le groupe d'experts avait une espérance de vie de un an, qui est maintenant expirée. Les membres du groupe sont passés à autre chose, et je parle en fait pour la dernière fois publiquement de ce sujet.

Le sénateur L. Smith : En tant qu'entrepreneur et citoyen, vous êtes un homme d'affaires. Vous voulez faire quelque chose.

M. Jenkins : En ma qualité d'homme d'affaires, j'exploite mon entreprise. De toute évidence, il s'agit d'un rapport présenté au gouvernement, au ministre Goodyear. C'est vraiment au gouvernement fédéral de prendre la relève maintenant.

En notre qualité de groupe d'experts, nous avons assurément fait part de notre point de vue. Habituellement, dans le cas d'un groupe d'experts, la responsabilité finit là.

J'aurais espéré que l'on puisse intégrer certains de ces éléments, mais nous avons mis 30 ans à arriver à ce point. Je crois que nous devons reconnaître le fait que cette tendance s'inscrit sur une période de 30 ans. Je ne crois pas qu'il y a une solution rapide ici. Je crois qu'il y a des choses évidentes à faire, que nous avons recommandées, mais les membres du groupe d'experts sont assez contents de s'en remettre au gouvernement pour choisir le moment.

Le sénateur L. Smith : Comme j'ai passé le plus clair de ma vie dans le monde des affaires et que j'entretiens certains intérêts entrepreneuriaux, je peux vous dire que les entrepreneurs aiment bouger assez rapidement. Le problème avec certains programmes gouvernementaux — et vous l'avez expliqué —, c'est qu'ils sont déroutants. Les gens ne savent pas qu'ils existent. Alors, on assiste à une situation où un énorme glacier s'avance alors que, à l'autre bout, les entrepreneurs s'efforcent de trouver de l'argent et des façons de financer la croissance de leur entreprise.

Vous avez mentionné la constitution d'un groupe consultatif. Est-ce que cela serait une occasion d'amener les gens d'affaires à collaborer avec le gouvernement pour mettre cela en place, en ne perdant pas de vue que le gouvernement a son travail à faire? Pourrait-il y avoir une pollinisation croisée pour simplifier certains des programmes afin de les présenter dans une langue facile à comprendre?

M. Jenkins : Nous avons été frappés par le fait qu'une si grande part des fonds publics — si vous voulez — était dépensée aux fins de la R.-D. et de l'innovation par entreprise, et, pourtant, il semblait manquer de gouvernance pour permettre la rétroaction et que l'on referme très rapidement la boucle. C'est pourquoi nous avons parlé d'entités comme le CRSNG, le CRSH et les IRSC. La rétroaction est rapide; ils se réunissent tous les 90 jours. Tous les différents acteurs dans ce domaine — les vice-présidents des études ou je ne sais qui — peuvent donner rapidement une rétroaction au président du CRSNG ou du CRSH, notamment. Le groupe d'experts a jugé qu'un tel mécanisme contribuerait beaucoup à permettre ce que vous proposez.

Le sénateur Massicotte : Votre rapport couvre beaucoup de terrain. Conformément à votre mandat, il passe en revue les programmes actuels. Vous dites : « Vous vous éparpillez partout. Il y a trop de choses ici. Les gens ne savent pas ce qui est à leur disposition. » Comme vous venez tout juste de le mentionner, nous devrions nous attacher à la gouvernance. J'imagine que vous avez eu beaucoup de soutien, du point de vue de la recherche, pour analyser le monde.

Qu'avez-vous appris? Lorsque vous comparez les rapports de l'OCDE, vous regardez des pays de taille moyenne comme nous et vous dites que quelque chose se passe ici. Nous dépensons beaucoup de deniers publics et obtenons peu de résultats. Est-ce simplement que les entreprises ne reconnaissent pas que ces programmes gouvernementaux existent?

Vous avez cerné un problème en particulier, et je veux m'assurer que c'est la bonne conclusion. Vous dites que nous sommes assez créatifs. Il n'y a aucun problème sur le plan de l'éducation; notre système scolaire semble assez bon. Nous sommes des entrepreneurs assez créatifs et assez doués et nous avons une bonne culture. Toutefois, une fois que nous atteignons une taille de portée internationale — un chiffre d'affaires de 1 milliard de dollars — nous semblons manquer soit de confiance, soit d'argent. Nous échouons à cette étape. Est-ce vraiment là que se situe le problème? Devrait-on axer nos efforts sur le financement? Je veux m'assurer que nous atteignons les bonnes conclusions. Oublions Silicon Valley ou Boston. Si on se penche sur les commentaires relatifs au cheminement, des études réalisées en Angleterre et dans d'autres pays révèlent qu'on ne peut pas atteindre une taille de portée internationale. Est-ce là que se situe le problème?

M. Jenkins : Je crois que c'est là que se situe notre problème fondamental. Vous avez raison de faire valoir que nous ne sommes pas seuls à cet égard. D'autres pays font face à ce problème.

Toutefois, il faut aussi adopter un point de vue à long terme, peut-être sur plusieurs dizaines d'années. Nous avons une économie mondiale à l'heure actuelle. On pourrait faire valoir que la dernière série vraiment substantielle de politiques gouvernementales dans ce domaine a été mise en place il y a environ 30 ans. Le monde était très différent. Nos stratégies économiques doivent refléter le monde d'aujourd'hui, et non pas celui d'il y a 30 ans.

Un autre rapport que nous avons mentionné ici, celui du Groupe d'étude Wilson, qui s'est penché, il y a trois ans, sur la nature de la concurrence mondiale qui touche le Canada, a conclu que le commerce mondial avait beaucoup changé. Beaucoup d'autres pays sont aux prises avec cet enjeu à l'heure actuelle. Avant, si nous voulions créer de la richesse dans notre pays et que nous percevions notre pays comme un système clos, alors une société qui enregistre des recettes de 50 millions de dollars serait une assez bonne chose pour le Canada.

Lorsque nous avons adopté l'ALENA et avons commencé les échanges continentaux, on pourrait faire valoir que nous devions commencer à prendre des mesures. Nous ne l'avons pas fait. Lorsqu'on songe en outre aux échanges mondiaux, c'est la même chose, mais à plus grande échelle.

Voilà le problème du pays au chapitre des politiques. La question de savoir si nous saurons transmettre de la richesse à la prochaine génération dépend de notre capacité d'organisation pour tirer profit de cela.

Le rapport Wilson traitait en détail de notre compétitivité et de notre positionnement. Dans le cadre de cette analyse, pour combler les lacunes sur le plan du financement, il convenait d'offrir des incitatifs progressifs aux entrepreneurs lorsqu'ils devaient choisir entre passer à la prochaine étape ou vendre. Voilà l'intersection critique où se trouvent bien des Canadiens à l'heure actuelle. Selon les statistiques, une quantité disproportionnée choisit de vendre.

Le sénateur Massicotte : Si le problème se trouve là — et vous avez dit que c'était votre opinion personnelle —, votre comité approuvait-il cette conclusion?

M. Jenkins : Notre comité adoptait entièrement tout ce qui se trouvait dans ces rapports. Nous parlons maintenant des nuances, et j'ai le plus grand respect pour les autres membres du groupe d'experts qui ont peut-être des points de vue différents quant aux nuances.

Le sénateur Massicotte : C'est là que le bât blesse. Tout le problème réside dans la mesure; et vous dites : « Essayez ça, mais mesurez-le. » Autrement dit, nous n'avons pas beaucoup mesuré. Nous faisons cela depuis 30 ans, on distribue des milliards de dollars, et nous ne sommes pas sûrs que ce soit efficace. Nous n'aimons pas le résultat, mais nous ne savons pas trop à quel égard.

Ce que vous dites, c'est que vous croyez que cela fonctionnerait, mais il faut le mesurer et le modifier constamment. Si tel est le cas, toutefois, si c'est là que se situe le problème, ce n'est pas vraiment le capital au stade de prédémarrage qui pose problème et ce n'est probablement pas les investisseurs providentiels. Il s'agit vraiment du financement des entreprises à l'étape intermédiaire, parce qu'il y a une clientèle, mais la portée n'est tout simplement pas internationale. BDC a aussi tiré la même conclusion.

Vous dites au gouvernement : « Servez-vous de votre approvisionnement comme levier financier, mais faites-le avec de nouveaux capitaux, probablement à l'aide d'incitatifs comme le co-partenariat ou le crédit ». Nous parlons beaucoup des PME. Le sénateur Tkachuk dira qu'un emploi est un emploi. Pourquoi seulement les petites entreprises? Pourquoi les moyennes? Si le problème se situe là, pourquoi ne pas rendre la mesure applicable à toutes les entreprises canadiennes plutôt que de faire le tri? L'histoire a montré que la méthode sélective a toujours échoué.

M. Jenkins : Nous ne prônons pas la méthode sélective. Nous signalons où nous avons vu les données qui donnent à penser qu'il y a eu des déficiences du marché dans d'autres pays.

Je m'empresse d'ajouter quelque chose à ce que vous avez dit plus tôt, quelque chose que nous devrions tous savoir. Lorsque nous sommes allés dans d'autres pays — et assurément lorsque nous avons rencontré des représentants de l'OCDE à Paris —, le Canada était perçu comme un étalon pour mesurer l'efficacité, selon la situation actuelle, comparativement à d'autres États. Par exemple, nous nous sommes renseignés au sujet du programme de RS&DE, à quel point il est efficace et s'il y a des meilleures façons de procéder. Ils nous ont regardés et nous ont dit que nous étions déjà les meilleurs à ce chapitre.

Nous devrions comprendre parfois que, même si nous sommes mécontents de la situation, nous sommes en fait la référence mondiale dans certains de ces domaines. Dans le rapport, comme vous le faites valoir à juste titre, le groupe d'experts nous a encouragés à en faire encore plus, parce que nous devrions nous attacher davantage aux extrants plutôt, peut-être, qu'aux intrants.

Il est assez naturel que, à l'échelon des politiques, nous soyons axés sur les intrants, car cela est facile à mesurer. Toutefois, ce sont réellement les extrants qui importent. Comme je viens du secteur privé, je peux vous dire que, même si nous avons tous les intrants que nous voulons dans notre entreprise, si nous ne générons pas de profits et ne créons pas de produits pour nos clients et nos investisseurs, nous faisons faillite. Ce sont là autant de mesures des extrants.

Le sénateur Massicotte : C'est une particularité, mais Mme Leroux de Desjardins siège à votre comité. Une partie de votre approche consiste à dire qu'il y a un manque de capital dans cette catégorie — « Monsieur le ministre, veuillez permettre à la BDC d'être beaucoup plus active dans ce secteur. » Je me méfie toujours de la personne qui dit que quelqu'un d'autre devrait financer quelque chose. — « Quelqu'un d'autre » étant le contribuable indirectement, la BDC.

Mme Leroux dirige une très grande société, et son industrie est celle des prêts financiers. Pourquoi n'a-t-elle pas dit que toutes les banques devraient être encouragées à le faire? Pourquoi le gouvernement? Est-ce que la chose n'est pas assez rentable?

M. Jenkins : En fait, nous estimions que l'investisseur direct — l'acteur direct — devrait appartenir au secteur privé, ça devrait être les banques, les caisses de retraite, les autres institutions financières et, effectivement, les sociétés étrangères qui aimeraient venir investir au Canada. Notre allusion à la BDC consistait à faciliter le processus à l'aide des fonds de contrepartie que vous avez mentionnés plus tôt et du modèle israélien. Dans le modèle israélien, cette entité ne dirige rien; elle réduit tout simplement le risque. Nous avons cru que la BDC devrait jouer ce rôle de réduction du risque et non pas diriger.

Le sénateur Massicotte : Que signifie la diminution du risque? S'agit-il d'assumer une plus grande part de risque que les autres?

M. Jenkins : Non. Tout cela est public — si vous voulez explorer la façon dont procèdent les autres pays. En termes simples, vous choisissez un taux de rendement — 18 p. 100 ou 15 p. 100 — et, au-delà de cela, vous donnez au participant du secteur privé l'option de vous racheter.

Disons que vous avez frappé un coup de circuit, comme RIM. Vous pouvez racheter les parts de votre associé dont le risque a été réduit à un rendement de 15 ou 18 p. 100 — un rendement très sain —, mais, si l'investissement échoue, vous partagez les pertes à parts égales. Voilà l'essence du fonds Yozma. Cette méthode s'est avérée très efficace dans d'autres pays. Ce dollar supplémentaire incite les gens du secteur privé à injecter plus d'argent dans votre État plutôt que dans un autre.

Le sénateur Massicotte : Encore une fois, nous ne parlons pas des petites entreprises ou du capital au stade de prédémarrage nous parlons du capital de croissance.

M. Jenkins : À vrai dire, ce fonds ne prévoit aucune restriction, en ce sens qu'il se veut réellement un investissement sur le marché libre.

Il faut prendre garde de ne pas prévoir où le marché libre amènera son prochain investissement. Nous nous retrouverions alors à choisir des gagnants et des perdants.

Le sénateur Massicotte : Pas seulement les PME, aussi les grandes sociétés, les sociétés étrangères; est-ce acceptable?

M. Jenkins : Notre capacité d'attirer du capital à l'échelle mondiale est en fait assez bonne. Nous avons découvert que la déficience se situait à un échelon inférieur sur le marché. En fait, les entreprises canadiennes ont toujours très bien réussi à le faire à l'échelon des multinationales.

Le président : Nous avons entendu beaucoup de témoignages de représentants de la BDC au printemps dernier; je crois qu'ils insistaient sur leur rôle qu'ils percevaient comme étant complémentaire à celui des banques, par exemple, pour ce qui est des prêts et dans bien d'autres cas. Partagez-vous ce point de vue?

M. Jenkins : Certainement. Leur rôle devrait être de diriger, de fournir des fonds de contrepartie et de diminuer les risques. Le dilemme pour la BDC, c'est que, lorsqu'elle voit des lacunes, elle pourrait être tentée d'intervenir pour les corriger et de jouer un rôle direct. Cela n'est peut-être pas une bonne idée.

Il est très facile de comprendre qu'elle chercherait à jouer un rôle direct lorsqu'elle voit une lacune, parce qu'elle tente d'aider le pays. Je crois qu'on devrait laisser ces lacunes-là, pour que le secteur privé les comble, mais cela exige tout de même une certaine patience et une certaine clairvoyance.

Le président : Est-ce pour cette raison, peut-être, que l'action conjointe est une demi-mesure — je ne veux pas dire une piètre mesure, mais une mesure de transition dans la voie à long terme?

Le sénateur Tkachuk : Monsieur Jenkins, vous avez parlé d'entreprises d'une valeur de 50 millions de dollars à 100 millions de dollars au Canada dont s'emparaient d'autres pays ou des sociétés étrangères. Avons-nous des entreprises qui s'emparent d'autres sociétés à l'étranger?

M. Jenkins : Certainement. Le commentaire ne visait pas à laisser entendre qu'il s'agit d'une situation de tout ou rien, car nous avons beaucoup de sociétés qui sont très actives, surtout à l'échelon des multinationales — ce qui provoque l'exode d'entreprises d'un autre pays et ce genre de choses. Les statistiques révèlent que, si on regarde l'ensemble du continuum, notre participation ici est disproportionnée. Ce qui arrive, c'est que nous pourrions faire mieux. Compte tenu de notre PIB, nous devrions avoir plus de sociétés qui franchissent le fossé. Si vous faites la comparaison avec d'autres membres de l'OCDE, nous traînons de la patte. Ce n'est pas que nos multinationales ne font pas ça activement.

Roger Martin de l'Université de Toronto a étudié une génération de chefs de file mondiaux, ce qui revient à notre discussion plus tôt au sujet de notre interaction avec l'économie mondiale. Selon ses travaux de recherche, nous générons en fait toujours plus de chefs de file mondiaux chaque année. Seulement, si l'on tient compte du pourcentage de notre PIB relativement à celui de nos concurrents, nous ne bougeons pas au même rythme. Nous le faisons, mais nous ne le faisons tout simplement pas de façon aussi optimale que les autres pays.

Le sénateur Tkachuk : Avez-vous passé du temps à parler ou à discuter de ce que j'appelle la recherche pure ou à l'étudier? Je crois que le gouvernement devrait financer des laboratoires sans qu'on dise aux chercheurs quoi faire. On prend un groupe de brillants chercheurs; on leur donne de l'argent et on leur dit « amusez-vous », ce qui, d'après ce que j'ai entendu par le passé, a produit les inventions les plus novatrices et les plus intéressantes, et personne ne leur dit quoi faire. En leur qualité de chercheurs, ils sont curieux et ils découvrent des choses.

Je crois que 3M est un excellent exemple d'une situation où personne ne dit : « Vous devez faire quelque chose de précis. » On met toutes les personnes intelligentes dans des laboratoires, et elles se mettent à l'œuvre et découvrent des choses.

Le président : Excusez-moi, sénateur Tkachuk, mais nous avons entendu des témoignages à ce sujet. N'avons-nous pas entendu des témoignages à ce sujet à Waterloo, où il y a un groupe de chercheurs en sciences pures qu'on laisse à eux-mêmes?

Le sénateur Tkachuk : En avons-nous beaucoup?

M. Jenkins : Cela ne faisait pas partie de notre mandat. On nous a expressément dit de ne pas nous attacher à la science fondamentale et à des choses de ce genre.

Le sénateur Tkachuk : Et qu'en est-il du Conseil national de recherches du Canada? Il a des laboratoires, n'est-ce pas?

M. Jenkins : Lorsque nous avons étudié le CNRC, notre recommandation consistait à lui demander de poursuivre le travail qu'avait commencé son président en ce qui concerne l'examen de tous les différents aspects du CNRC et de s'attacher à ces secteurs. Nous avons énuméré trois secteurs, dont l'un touchait les laboratoires nationaux, qui sont un atout incroyable pour le pays et devraient être maintenus et améliorés.

Il y avait d'autres activités au CNRC qui, selon nous, pourraient en établissant un plus grand nombre de partenariats avec les universités et d'autres partenaires de l'industrie, générer plus d'argent et plus de richesses pour le pays et prendre de l'expansion.

Oui, nous avons consacré tout un chapitre à cette question, mais, pour ce qui est de la science fondamentale, elle ne faisait pas partie de notre mandat.

Le sénateur Tkachuk : Lorsque nous parlons de tous ces programmes — et il y en a beaucoup —, avons-nous des programmes simplement parce que d'autres pays en ont? Autrement dit, participons-nous à une concurrence mondiale maintenant pour attirer les chercheurs en mettant sur pied des programmes et en les rendant plus attrayants, pour que certaines sociétés s'établissent dans notre pays plutôt que dans un autre? Est-ce pour cette raison que nous avons ces programmes? Qu'arriverait-il si nous ne les avions pas, y aurait-il toujours de la recherche et développement et de l'innovation? Les frères Wright n'avaient pas besoin de programmes.

M. Jenkins : Il ne fait aucun doute que les pays se donnent un avantage concurrentiel en établissant des programmes directs pour attirer les chercheurs. C'est une chose parmi tant d'autres choses à leur disposition. Si vous passez en revue toute la gamme, on peut partir de la politique fiscale macroéconomique et ce genre de choses et descendre jusqu'à l'aspect microéconomique d'un programme direct et d'un incitatif pour que vous établissiez votre usine dans une ville particulière.

Le sénateur Tkachuk : Ou un État.

M. Jenkins : Oui. L'OCDE a étudié cela — nous avons parlé plus tôt des colonnes bleues qui se déplacent vers les colonnes rouges, et l'un des grands avantages des mesures de soutien indirectes comme le programme de RS&DE tient au fait que, selon l'OCDE, elles sont plus efficaces. Lorsqu'elle a étudié un grand nombre de petits programmes à échelle réduite, elle a constaté qu'ils offraient le pire rendement pour chaque dollar inverti.

Lorsqu'on s'attache aux détails de chaque usine, on essaie en fait de choisir des gagnants et des perdants. L'OCDE a constaté que cette méthode était très inefficace. Elle préférait de fait les programmes indirects, car ils étaient axés sur les forces du marché et exempts de spéculations individuelles ou de prises de décisions individuelles.

Il faut prendre garde. Nous étions convaincus qu'il faut trouver un équilibre, parce que, si on veut soutenir la concurrence à l'échelle mondiale, on ne peut pas être naïfs; il faut comprendre que d'autres pays mettent en place des incitatifs pour divers secteurs de diverses façons. Si nous voulons être concurrentiels, nous devons faire cela.

En général, si j'avais un dollar à dépenser, je serais convaincu qu'il faut le placer dans un programme indirect — un programme de capital-risque ou le programme de RS&DE, ce genre de choses.

Le sénateur Tkachuk : Ce que ces programmes nous permettent de faire, c'est réduire le risque pour le capital concerné, n'est-ce pas?

M. Jenkins : Cette explication me semble raisonnable. C'est exact.

Le sénateur Tkachuk : Ainsi, est-ce possible de retirer la participation du gouvernement et d'utiliser les institutions financières qui sont là, des caisses populaires jusqu'aux banques, et de dire : « Si vous établissez ce programme pour les raisons suivantes : voici comment nous allons vous aider à éliminer le risque »? La seule chose que ferait le gouvernement, c'est un chèque lorsqu'il y a des pertes d'argent.

Il ne devrait pas y avoir de processus de demande. Une personne devrait pouvoir aller à la banque et essayer de vendre son idée au banquier, à l'investisseur ou à un quelconque véhicule financier, puis il devrait alors y avoir un programme permettant de réduire le risque, mais il n'a pas lieu de jouer les malins. Au bout du compte, le gouvernement fera un chèque, et les contribuables assureront la dépense.

M. Jenkins : Ce que nous essayons de saisir ici — dans le cadre du groupe d'experts — c'est la limite de l'endroit où nous nous sommes rendus.

Nous étions persuadés qu'une institution comme la BDC ou un ministère serait celle qui arriverait à comprendre le mécanisme. Vous franchissez nos limites maintenant; nous n'avons pas abordé les détails du processus.

Le sénateur Tkachuk : Proposez-vous que nous nous débarrassions de tous les programmes que nous avons ici — qui sont innombrables — pour concentrer nos efforts sur un ou deux programmes? Ou proposez-vous que nous les gardions tous?

M. Jenkins : Lorsque nous avons examiné tous les 60 programmes, nous avons conclu qu'il fallait les regrouper. Un grand nombre de ces programmes relèvent de 17 organisations et ministères, alors il y a beaucoup de programmes à échelle réduite qui, selon nous, se ressemblaient, mais il faut tenir compte de la chronologie ici. C'est le résultat d'un travail qui a duré 30 ans. Nous ne l'avons pas fait intentionnellement. Il y a beaucoup de programmes efficaces fondés sur de bonnes intentions qui ont vu le jour il y a 10 ou 20 ans et doivent être regroupés maintenant. Si on remontait à il y a 30 ans, avec l'impact de l'innovation et des sciences sur la création de la richesse comparativement à aujourd'hui, on constaterait que la situation est très différente. Il n'est pas étonnant que nous ayons financé un grand nombre de ces programmes à des fins tactiques, et nous devons maintenant les regrouper.

Quant à leur efficacité globale, cet aspect est fondé sur notre discussion antérieure au sujet de la gouvernance. Appelez le consommateur — en l'occurrence, le milieu des affaires — à participer au processus décisionnel, et ensuite il pourra déterminer qu'un programme est moins efficace qu'un autre. Il faut le faire intervenir dans le processus décisionnel.

Le sénateur Tkachuk : Je suis d'accord avec vous. Aussi difficile que ce soit de lancer un programme gouvernemental, les gens n'ont aucune idée à quel point il est difficile d'éliminer un programme gouvernemental. Merci.

Le président : Si je comprends bien, doit-on ensuite les intégrer au conseil sur la recherche et l'innovation industrielles?

M. Jenkins : Oui, c'était notre recommandation : prendre les quelque 60 programmes et charger le conseil sur la recherche et l'innovation industrielles de commencer à trouver le thème commun, pour que les programmes puissent être mis à l'échelle. À l'heure actuelle, des quelque 60 programmes, la plupart sont à échelle réduite; les sociétés ignorent leur existence dans le pays. Si nous pouvions les regrouper, nous pourrions probablement créer une échelle qui fera en sorte que, la prochaine fois qu'on mène un sondage auprès des milliers d'entreprises actives dans la R.-D., on sera susceptible d'avoir un plus grand nombre de répondants. Notre intention était de donner à ce conseil la responsabilité de les regrouper.

Le président : Pour le client, est-ce que cela se traduirait par un service à guichet unique?

M. Jenkins : Et cela permettrait aussi au client de participer au processus décisionnel afin de déterminer ce qu'on garde et ce qu'on jette.

Le président : Envisagez-vous, avec la formation d'un CRII, un processus de réévaluation de l'efficacité des 60 programmes?

M. Jenkins : Oui. Nous considérions cela comme étant très utile pour les fins de notre groupe d'experts. Nous ferions valoir au conseil que la discipline que suppose un budget à base zéro — lorsque vous ajoutez quelque chose, vous devez retirer quelque chose d'autre ailleurs — est un moteur de l'innovation et de la productivité. Nous étions heureux que cela fasse partie de notre mandat.

Le sénateur Moore : Monsieur Jenkins, vous êtes le PDG d'OpenText, et je crois qu'il pourrait être instructif de savoir comment OpenText a abordé ces sources de financement, le cas échéant, et lesquelles? Votre société s'est peut- être tournée vers le marché ou l'un ou l'autre de ces programmes. Quels repères se sont dégagés au cours de la croissance de votre société?

M. Jenkins : C'est une excellente question, qui se rattache à mon expérience personnelle.

Je n'exploite pas seulement OpenText; j'ai été entrepreneur au Canada toute ma vie. Je suis né et j'ai grandi ici, j'ai suivi une formation d'ingénieur, décroché une maîtrise en administration des affaires et j'ai eu le privilège d'interagir avec un grand nombre des sociétés de capital-risque florissantes qu'a produites le pays.

Durant cette période, j'ai découvert que, si vous aviez une bonne idée et étiez doté du sens des affaires et de la discipline nécessaires pour suivre un budget et satisfaire des clients, vous pouviez trouver du capital dans notre pays. J'ai commencé dans la région de Toronto et, depuis les 25 dernières années, je suis établi à Waterloo, qui est une terre extrêmement féconde; je crois que nous produisons actuellement une entreprise par semaine ou quelque chose comme ça. Je crois que, dans divers coins du pays, le mécanisme fonctionne très bien. Permettez-moi de parler de mon expérience personnelle à l'égard du fossé.

Le sénateur Moore : Cela pourrait être instructif pour un téléspectateur qui se dit peut-être : « Voilà comment je devrais m'y prendre ou l'approche que je devrais adopter. »

M. Jenkins : Mettre beaucoup d'énergie à frapper aux portes. C'est ainsi que tous les entrepreneurs commencent. Lorsqu'on est entrepreneur, on doit pouvoir accepter une réponse négative à certains moments, et passer à autre chose, mais il ne faut pas toujours accepter une réponse négative.

L'autre chose qui est unique aux entrepreneurs dans notre pays — et je faisais allusion à cela plus tôt —, c'est que nous ne comprenons peut-être pas que les entrepreneurs du pays doublent constamment la mise à même leur richesse personnelle et lancent les dés chaque année. C'est ce que j'essayais de dire avant. Nous arrivons à un point où selon les statistiques que nous observons, un acteur raisonnable qui atteint le jalon des 50 millions de dollars ou des 100 millions de dollars décide de prendre l'argent plutôt que de doubler la mise. Pour ma part, j'ai doublé la mise chaque année depuis 20 ans.

Il y a environ 10 ans, lorsqu'OpenText atteignait ce jalon de 50 ou 100 millions de dollars, nous avions encore les règles — je ne mentionne pas cela pour recommander le rétablissement de ces règles, mais, à ce moment-là, des bassins de capitaux étaient disponibles à l'étape où l'on passe de l'autre côté du fossé grâce aux caisses de retraite et aux autres institutions financières du pays, car un montant avait été affecté à l'échelle nationale. Pour diverses raisons, ce montant a été retiré, et nous n'avons rien prévu pour compenser. Beaucoup d'autres pays font également face à une situation semblable.

Nous avons retiré le montant réservé applicable aux caisses de retraite il y a environ sept ans, et presque tous les autres États en ont fait autant.

Le sénateur Moore : Vous êtes-vous lancé dans le capital-risque en cognant aux portes? Avez-vous dû aller à l'étranger? J'aimerais entendre votre expérience à cet égard.

M. Jenkins : Non, sur Richmond Street, à Toronto — Helix Investments — ainsi que plusieurs autres sociétés, les sociétés de capital-risque du jour. Que ce soit le RPC ou OMERS ou Teachers ou la Caisse, il s'agissait toujours d'acteurs qui arrivaient au jalon des 50 à 100 millions de dollars. Ils avaient un incitatif, car ils devaient placer l'argent dans un fonds d'investissement intérieur. Voilà l'histoire d'OpenText.

Pour être franc, si ce montant affecté à l'échelle nationale n'avait pas existé et que je me trouvais aujourd'hui dans la même situation qu'il y a 10 ans, je finirais probablement par être absorbé par une société américaine. Les statistiques démontrent que c'est ce qui arrive. Ce n'est qu'un heureux hasard si, il y a 10 ans, durant cette phase critique pour OpenText, le capital était disponible.

Maintenant que la société est devenue une multinationale qui vaut des milliards de dollars, elle peut soutenir la concurrence sur le NASDAQ et autres marchés boursiers dans le monde, alors elle n'a plus cette caractéristique particulière. À cette étape critique, selon mon expérience personnelle, ces bassins de capitaux étaient là, mais ce n'est pas le cas aujourd'hui.

J'hésite à ajouter que, si on est OMERS, le RPC ou la Caisse, on peut dire que ces bassins de capitaux sont là et qu'il y a des investissements, seulement on regarde alors la situation mondiale. Ces caisses de retraite ont raison de dire cela. Seulement, les statistiques révèlent que cela ne se produit pas autant que nous le voudrions, comparativement à d'autres pays. Il faut prendre garde de ne pas se lancer dans les déclarations sans nuance, mais, sans aucun doute, les statistiques révèlent que nous pouvons faire mieux.

Le sénateur Moore : Nous devons encourager cela. Merci.

Le président : Merci, monsieur Jenkins. Nous espérons avoir l'occasion de discuter de ces questions avec certaines des organisations que vous avez nommées. Nous prenons bonne note de votre mise en garde sur les déclarations sans nuance, mais il serait intéressant de savoir comment ces entités voient la situation aujourd'hui et ce qu'elles proposeraient que le pays fasse pour combler la lacune dont vous avez parlé à maintes reprises.

Le sénateur Hervieux-Payette : Je vais m'exprimer en anglais aujourd'hui, vu que nous sommes dans un domaine où la plupart des gens parlent cette langue.

Bienvenue. C'est un plaisir de vous voir aujourd'hui, et je vous reverrai peut-être plus tard cette semaine à Berlin.

Nous parlons de l'approvisionnement gouvernemental. Mais qu'en est-il des mécanismes d'approvisionnement pour Bombardier, Magna, les télécommunications, et cetera? Je sais que ces compagnies collaborent avec de nombreux fournisseurs et qu'ils ont aidé leurs fournisseurs à mettre au point des innovations qui permettent de réduire les coûts, mais en faisons-nous assez? Est-ce que certaines compagnies le font et d'autres, non?

Le secteur privé joue-t-il aussi un rôle dans le soutien des PME au chapitre de l'innovation, de sorte que, lorsqu'elles prendront de l'expansion, elles puissent être plus concurrentielles à l'échelle mondiale?

M. Jenkins : Cette question est fantastique, car elle touche à l'aspect de la fidélité. Il ne faut surtout pas oublier que nous cherchons des réponses simples; pourtant, s'il existait une réponse simple, on pourrait faire valoir que nous aurions trouvé cette réponse simple et aurions adopté des politiques à l'avenant.

Votre question se rattache à l'aspect fidélité de la réponse. Lorsque nous avons étudié le système d'approvisionnement américain, nous avons constaté que les multinationales étaient invitées à participer à l'approvisionnement et à l'acquisition — à la fois le secteur de la production et la personne morale proprement dite. Et on ne l'a pas fait à l'aide d'un processus orchestré; c'est extrêmement compétitif.

Je vais vous donner un exemple. Le programme SBIR américain a à vrai dire un volet de capital-risque dans le secteur de l'approvisionnement. Soit dit en passant, tout cela est public; vous pouvez l'obtenir de la GSA. Les Américains vous diront : « Nous avons un problème, alors veuillez proposer des solutions. » Les solutions peuvent provenir de n'importe où dans le monde. Ce n'est pas censé être réservé aux Américains.

En fait, les entreprises canadiennes participent activement au programme SBIR ou DARPA. Ils ont cette vision à long terme selon laquelle toutes les petites entreprises se grefferont sur leurs multinationales. Il s'agit d'une approche très stratégique et perfectionnée, qui est fortement compétitive. La concurrence est très intense. Il n'est pas question de choisir des gagnants ou des perdants dans ce sens, mais le processus est très compétitif.

Ils envisagent une chaîne de création, et la participation de leurs multinationales en fait partie intégrante. Ils font gravir les échelons à ces sociétés, puis elles sont acquises par les grandes entités responsables de leur intégration dans le système mondial. Nous aurions intérêt au Canada à encourager ce type d'activités. Je dois insister sur le fait que cela n'est pas exclusif au Canada; toute société sur la scène internationale peut s'emparer de l'une de nos PME, mais le système d'approvisionnement doit bien prendre cela en compte.

L'expression au goût du jour est « chaîne de valeur mondiale ». Dans nos activités d'approvisionnement, nous devrions comprendre le rôle du Canada dans le cadre de la chaîne de valeur mondiale — le rôle de Bombardier et le rôle de SNC-Lavalin. Ils ont des rôles à jouer. Si nous avions une stratégie cohésive — sans qu'elle ne favorise Bombardier ou une société particulière — qui permettrait la mise en place de ce mécanisme, peut-être que nous pourrions commencer à enregistrer les mêmes chiffres que les Américains au chapitre de l'innovation et de la productivité. Vous commencez à toucher au cœur de la question.

Le sénateur Hervieux-Payette : Je me disais que nous devons guider les grands ministères qui ont des budgets d'approvisionnement de 35 milliards de dollars pour de nouveaux navires, des avions, et tout cela. Nous allons acheter beaucoup de produits de haute technologie dans les années à venir. Il s'agit d'un bon exemple de façon dont nous pourrions aider nos petits innovateurs à avoir un accès. Ils auront besoin d'un modèle. Je suis d'accord avec vous : nous devons modifier l'attitude qui sous-tend notre mécanisme, et l'approvisionnement est une chose difficile. Je crois que cela devrait aussi s'appliquer aux provinces.

Pour vous donner un exemple, si nous utilisions ce système, croyez-vous que nous aurions dépensé de l'argent pour simplement essayer de mettre en place un système de dossiers médicaux électroniques fonctionnels au Canada? Nous n'en avons pas. Nous avons probablement dépensé — provinces et gouvernement fédéral confondus — plus de 3 milliards de dollars, et nous n'avons toujours pas de dossiers médicaux électroniques.

Comment avons-nous raté cela? Personnellement, j'éprouve une certaine frustration, car on a gaspillé une énorme quantité de deniers publics. Nous n'avons pas le système. Tous les Canadiens devraient posséder, à un certain endroit, une puce, ainsi, où que je me trouve dans le pays, si je tombe malade, mon dossier sera disponible.

Que feriez-vous pour avoir ces choses, qui sont des éléments essentiels pour un pays?

M. Jenkins : Ma réponse comportera trois niveaux, parce que vous abordez maintenant en profondeur la cause première du dysfonctionnement de notre pays sur le plan de la productivité, de l'innovation et des dépenses globales pour la R.-D.

Premièrement, je dirais que TPSGC, comme nous l'avons signalé dans le rapport, a lancé un projet pilote appelé PCCI, un programme d'une valeur de 40 millions de dollars qu'a annoncé la ministre Ambrose il y a deux ans. C'était excellent. Dans notre rapport, nous avons dit : « Faites davantage de choses comme ça. C'est excellent. Il s'agit d'un projet pilote, mais, s'il vous plaît, faites-en plus. » Nous avons eu de bonnes interactions avec TPSGC à ce sujet. Une de nos recommandations consistait à en faire plus et à le rendre plus compétitif et davantage comme le SBIR.

Le président : Que désigne ce sigle?

M. Jenkins : Le Programme canadien pour la commercialisation des innovations, le PCCI. Il y a beaucoup de sigles dans le rapport. Je m'excuse.

Le deuxième volet de votre proposition touche l'approvisionnement proprement dit, de dossiers médicaux, de navires ou d'aéronefs. Actuellement, notre système d'approvisionnement vise essentiellement à combler une exigence précise au coût le plus faible plutôt que d'adopter une démarche novatrice, caractéristique première de la façon de faire américaine et britannique. Eux disent : « J'ai un problème; proposez-moi une solution, et je vais recevoir les soumissions et choisir ma solution. Peut-être que je vais vous demander d'investir avec moi dans le cadre d'un partenariat public-privé. » Cela va accroître l'innovation et la productivité dans le pays et fera du gouvernement la principale autorité en matière d'approvisionnement plutôt qu'un joueur aveugle. Cela nous donnera les avantages qu'ont d'autres États.

Cela ne se fait pas sans risque, bien entendu. À la fin du processus d'approvisionnement, nous disposerons peut-être de la meilleure façon au monde de faire des dossiers médicaux, que nous pourrons alors vendre à d'autres États- nations. C'est ce que font d'autres pays. Ce que vous voyez dans le rapport et dans certaines activités de TPSGC illustre cela.

Pour le troisième volet de votre question, dans le cadre de nos interactions avec les provinces — que ce soit le Québec, la Colombie-Britannique ou la Nouvelle-Écosse, entre autres —, tout le monde a fait valoir le même point que vous : il doit certainement exister une meilleure façon de faire. Nous avons parlé du système des États-Unis. Ils ont une Constitution différente de la nôtre, mais ils nous ressemblent dans la mesure où ils ont des échelons fédéral, étatiques et locaux. Le système fédéral dirigé par la GSA tient les rênes de la méthode d'approvisionnement. Bon nombre des autres échelons du gouvernement ne font que suivre. La Constitution ne les oblige pas, mais cela est logique. C'est une bonne façon d'investir l'argent des contribuables à leur avis. En fait, les gouvernements d'États et les administrations locales utiliseront beaucoup des principes, des modèles et des structures créés à l'échelon fédéral. Si nous devions faire quelque chose comme ça, nous pourrions nous attendre à ce que les provinces puissent participer, pas parce que quelqu'un leur aurait dit, mais parce que ce sont des acteurs rationnels qui doivent s'occuper des dossiers médicaux — ou je ne sais quoi — et ils choisissent de s'y prendre ainsi.

Le sénateur Hervieux-Payette : Croyez-vous que les institutions financières — celles qui ont l'argent — possèdent l'expertise, à l'interne ou à l'externe, qui est nécessaire pour évaluer les projets qui leur sont proposés? Est-ce que quelque chose manque? Je mentionne toujours aux gens dans ce secteur qu'ils pourraient embaucher moins de titulaires de maîtrise en administration des affaires et plus d'ingénieurs — ce à quoi vous n'aurez aucune objection — ou plus de chercheurs. Je crois qu'on manque de gens qui connaissent les domaines qui sont, à vrai dire, en cours de développement, que ce soit la biochimie ou quelque chose d'autre. Ils doivent dépendre des chercheurs, mais l'expertise qu'ils obtiennent est ponctuelle. Ils n'apprennent pas à se connaître très bien. Ils doivent externaliser ces fonctions. Y a- t-il une relation fonctionnelle entre les chercheurs et ceux qui ont l'argent?

M. Jenkins : C'est encore une excellente question et une question complexe. Certains sont d'avis que les structures de capital de risque au Canada sont en fait toujours en croissance. Plusieurs nous ont dit que nous avons fait un pas en arrière au cours des 10 dernières années. Nous avions tant de capital pour si peu de projets que les rendements étaient trop faibles, à tel point que beaucoup des grandes institutions ont tout simplement renoncé à cette catégorie de valeurs mobilières. Certes, il y a ce problème. Toutefois, du point de vue de la politique gouvernementale, on ne peut pas se contenter de cette justification, car cela laisse le pays sans facilitateur du côté financier pour investir dans ces projets.

Vous avez parlé des détenteurs de MBA et des ingénieurs. Décrivons-les comme des experts en la matière, des gens qui connaissent vraiment un sujet particulier. Le parcours qui va du rapport Wilson jusqu'au nôtre nous a démontré qu'il faut faire très attention à cet égard. À un certain moment, Industrie Canada et Affaires étrangères disposaient d'une quantité énorme d'expertise, et nous nous sommes dirigés vers l'échelon macroéconomique, pour beaucoup de bonnes raisons, mais nous avons perdu quelque chose. Lorsque nous regardons les institutions financières, elles ne disposent pas de l'expertise en la matière. Dans certains secteurs, on pourrait faire valoir que le Canada est un chef de file à ce chapitre, mais, dans d'autres secteurs de notre économie, ce n'est pas le cas. Le problème devant lequel nous devons faire preuve de beaucoup d'humilité concerne l'échelle. Les Américains ont une taille 10 fois supérieure à la nôtre, alors ils peuvent disposer d'une expertise dans certains domaines où nous sommes à échelle réduite, même si cela fait partie de notre économie. Il faut en quelque sorte combler cette lacune. La meilleure façon de le faire, c'est d'établir des partenariats avec des joueurs financiers qui, sur la scène internationale, disposent d'une expertise.

Encore une fois, on revient à l'incitatif macroéconomique. Si nous offrons ce dollar supplémentaire au moment de la décision, à l'étape des 50 à 100 millions de dollars — si, lorsqu'elles enregistrent ces recettes elles sont incitées à faire cet investissement risqué ici et à établir ce partenariat avec l'expert en la matière, alors on aura obtenu un excellent résultat. Toutefois, nous devons être conscients de la question d'échelle et nous devons comprendre que, si nous voulons que nos investissements soient efficaces, nous avons besoin d'une expertise. Il s'agit de maintenir un équilibre entre les deux.

Le sénateur Hervieux-Payette : Il y a une pénurie. C'est ce que vous venez de confirmer.

M. Jenkins : Cela dépend du secteur. En général, les participants au débat, selon les témoignages qu'on nous a présentés au sujet de notre système de capital-risque, considèrent qu'il est immature, qu'il n'y en a pas assez.

Le sénateur Massicotte : Vous avez beaucoup interagi avec Helix, une société de capital-risque. Nous nous sommes posé la question. À l'heure actuelle, le montant des placements de capital de risque au Canada a beaucoup diminué. Les gens se plaignent haut et fort de la pénurie de capital de risque pur. Certains experts disent que c'est tout simplement à cause de la dynamique du marché. Il y avait un excès de capital, personne n'a fait d'argent, et les gens n'investiront plus s'ils vont perdre de l'argent; par conséquent, il faut tout simplement permettre aux choses de suivre leur cours. Quelles sont vos idées à l'égard du capital de risque? Y a-t-il un problème? Il y a une pénurie, mais c'est peut-être naturel.

M. Jenkins : Je crois que tout le monde a raison. Il n'y a pas de réponse simple. Je crois que le mouvement du marché est vrai, de toute évidence. Les grandes institutions du pays ont fait des investissements dans cette catégorie de valeurs mobilières et ont enregistré des rendements très faibles, démesurément faibles. Roger Martin a étudié cette question dans le détail et a montré nos rendements. Soit dit en passant, d'autres pays ont vécu la même expérience. Selon Roger, les Américains ont profité d'un rendement global supérieur parce que, à l'extrémité du spectre, ils avaient les grands gagnants, comme Google, notamment, et nous n'avions pas assez de RIM, si vous lisez son analyse. Nous devons faire attention lorsque nous intervenons à l'égard d'une déficience du marché s'il s'agit en fait du cycle normal. Nous devons faire preuve de patience, dans une certaine mesure, et permettre au cycle de se terminer sans intervenir.

Dans le rapport du groupe d'experts, nous étions persuadés que, à l'une ou l'autre des extrémités du spectre, il y avait une déficience du marché — du côté des investisseurs providentiels et du côté des extrants. Dans le cadre de nos interactions à New York et à Washington avec des observateurs du système canadien, on nous a essentiellement dit qu'il nous manquait le bassin d'extrants. Le système américain n'enregistrait pas un faible rendement du capital de risque investi parce qu'il y avait une porte de sortie pour les sociétés de capital-risque, ce que, à l'époque critique il y a sept ans, nous avons retiré à beaucoup de sociétés fournissant du capital-risque et du capital aux étapes ultérieures. Nous étions convaincus que ces bassins étaient nécessaires. À l'étape intermédiaire, nous n'étions pas convaincus qu'il y avait un problème et qu'il s'agissait d'un cycle du marché.

Le président : Monsieur Jenkins, merci. Le fait que nous ayons pris plus de temps que prévu prouve que mes collègues et moi étions intéressés par tout ce que vous aviez à dire. Je crois que je parle au nom de tous en vous félicitant de votre rapport exhaustif et provocateur. Je suis certain que le gouvernement étudiera les recommandations de très près, et nous pourrons peut-être aussi participer en tant que comité sénatorial. Vous nous avez dit qu'il s'agissait de votre dernière allocution publique. Nous sommes honorés que vous l'ayez faite devant nous. Nous vous remercions d'être venu ici aujourd'hui, malgré un préavis relativement court.

M. Jenkins : Merci beaucoup.

Le président : Bonne chance pour l'expansion de votre entreprise.

M. Jenkins : Je retourne dans le secteur privé.

(La séance est levée.)


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