Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 14 - Témoignages du 15 mars 2012
OTTAWA, le jeudi 15 mars 2012
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 33, pour faire l'examen de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (L.C. 2000, ch. 17), conformément à l'article 72 de cette loi.
Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Mesdames et messieurs, c'est avec plaisir que je déclare ouverte cette séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.
Ce matin, nous poursuivons l'examen parlementaire quinquennal de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Nous en sommes à notre onzième réunion sur le sujet.
Au cours du dernier mois, le comité s'est employé à entendre un certain nombre de témoins dits partenaires du régime qui participent à la mise en œuvre de cette loi. Après avoir entendu le point de vue interne, nous allons maintenant entendre le point de vue externe. Au cours des prochaines semaines, nous allons continuer d'entendre ceux qui sont touchés par le régime et qui le connaissent, notamment les groupes de l'industrie et les associations, ainsi que les experts indépendants du domaine.
Durant la première moitié de la séance d'aujourd'hui, nous accueillerons un groupe de témoins représentant l'industrie de l'assurance, et durant la deuxième moitié, nous entendrons des témoins de l'industrie des jeux.
Nous accueillons donc à nouveau, et c'est toujours un plaisir de le voir parmi nous, Frank Swedlove, président de l'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes inc.; il est accompagné de Jean-Pierre Bernier, conseiller spécial du président, Gestion des risques. Nous avons également Allan Bulloch, président, comité législatif, Canadian Association of Independent Life Brokerage Agencies.
Nous disposons d'une heure. Monsieur Swedlove, vous prendrez la parole en premier, après quoi nous céderons la parole à M. Bulloch.
Frank Swedlove, président, Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes Inc. : J'espère que vous ne trouverez pas la question de l'assurance trop ennuyante comparativement à celle des jeux et qu'elle vous intéressera également. C'est toujours agréable de venir témoigner devant vous. Depuis de nombreuses années, je m'intéresse particulièrement au sujet que nous allons aborder aujourd'hui, et les membres de l'industrie s'intéressent aussi beaucoup à cette question.
L'Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes Inc. (ACCAP) représente les assureurs qui gèrent 99 p. 100 des assurances vie et maladie en vigueur au Canada. Grâce à un large éventail de produits et de services, les assureurs de personnes versent chaque semaine à leurs assurés canadiens plus de 1,1 milliard de dollars en prestations, les protégeant, ainsi que leur famille, contre le risque financier lié à un décès prématuré, à une maladie ou à la retraite. Parmi les produits proposés, on trouve l'assurance vie individuelle et collective, les rentes individuelles et collectives, dont les REER, les FERR et les régimes de retraite, ainsi que l'assurance maladie complémentaire.
[Français]
Monsieur le président, nous nous réjouissons de l'occasion qui nous est donnée de nous adresser à votre comité dans le cadre de son examen de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Notre industrie estime qu'il est d'une importance capitale d'actualiser régulièrement cette loi, tout particulièrement en vue de la révision des normes internationales par le Groupe d'action financière, le GAFI, le mois dernier.
[Traduction]
Je voudrais d'emblée signaler que l'industrie canadienne des assurances de personnes accueille avec satisfaction les deux énoncés suivants, qui figurent dans le document de consultation du ministère des Finances. Dans le premier, on indique :
Le gouvernement reconnaît également la nécessité de réduire au minimum le fardeau de conformité imposé aux organismes du secteur privé.
Dans le deuxième énoncé, on dit :
Le gouvernement reconnaît que les mesures qui permettraient d'améliorer le cadre juridique de LRPC/FAT ne doivent pas imposer un fardeau excessif aux entités déclarantes, qui sont sur la ligne de front dans ce domaine.
Aujourd'hui, mes remarques porteront sur l'approche fondée sur les risques qui est nécessaire à l'institution d'un dispositif ayant un bon rapport coût-efficacité. Les mesures adoptées pour prévenir ou réduire le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme doivent être proportionnées aux risques d'infraction décelés. Cette approche assurera une affectation efficiente des ressources et réduira le fardeau de conformité des entreprises.
Le principe général de l'approche fondée sur les risques veut que là où il existe un risque élevé d'infraction, les autorités imposent aux établissements financiers de leur pays des normes plus rigoureuses en matière de vigilance à l'égard de la clientèle, comme lorsqu'ils font affaire avec des étrangers politiquement vulnérables. Inversement, si le risque est faible, des mesures simplifiées peuvent être adoptées.
Les opérations d'assurance, toutefois, présentent un risque nettement moins prononcé que les opérations bancaires. Contrairement aux banques, les assureurs n'acceptent pas de versements en espèces et ne sont donc pas en cause durant ce que l'on appelle la phase de placement du processus de blanchiment. En assurance, certains produits, comme l'assurance vie temporaire et l'assurance maladies graves, ne conviennent tout simplement pas comme véhicules de blanchiment des capitaux. Dans le cas de tels produits, il est difficile de voir l'utilité d'une analyse du risque de blanchiment.
En ce qui concerne les autres produits, l'application d'une approche fondée sur les risques est justifiée. Un client de longue date qui souscrit un contrat de rente viagère par l'entremise d'un agent d'assurance-vie exclusif serait considéré selon nous comme un risque faible, tandis qu'un nouveau client qui souscrit un tel produit par le canal du télémarketing présenterait un risque plus élevé. Dans cet exemple simple, le fait d'appliquer à la transaction peu risquée des mesures simplifiées permises en vertu de l'approche fondée sur les risques réduirait le fardeau de conformité de l'assureur qui offre le contrat de rente.
Il existe diverses façons de simplifier les règles de surveillance du blanchiment des capitaux lorsque le risque d'infraction est faible. Par exemple, il pourrait être permis aux entreprises de ne vérifier l'identité des clients qu'après l'établissement de la relation d'affaires, de réduire la surveillance et le suivi continus des transactions, ou de ne pas avoir à obtenir plus d'informations concernant l'objet et la nature envisagée de la relation d'affaires.
Le cadre législatif canadien actuel régissant la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes (LRPC/FAT) ainsi que le document de consultation de décembre 2011 du ministère des Finances demeurent muets quant à l'adoption par les institutions financières de mesures simplifiées en matière de vigilance à l'égard de la clientèle lorsque le risque de blanchiment de capitaux ou de financement d'activités terroristes est faible. Dans un tel cas, et à condition que l'établissement financier se soit livré à une analyse sérieuse du risque, il serait normal que le Canada permette à l'établissement d'appliquer des mesures simplifiées.
[Français]
Sur le plan international, le GAFI a fait de l'approche fondée sur les risques une priorité. Il s'agit d'une nouvelle recommandation à laquelle se rallie pleinement la communauté internationale des assurances en particulier et le secteur des services financiers en général.
Qui plus est, les lignes directrices sur l'approche fondée sur les risques publiées par le GAFI pour le secteur de l'assurance, en octobre 2009, seront prochainement mises à jour avec la collaboration de la profession des assurances pour circonscrire les caractéristiques : un, des risques liés aux clients; deux, des risques liés aux produits, aux services, à la transaction ou au réseau de distribution; et trois, des risques liés au pays. Elles indiqueront les situations où il pourrait être justifié d'adopter des stratégies simplifiées d'atténuation des risques.
[Traduction]
Il y a lieu de croire que de nombreux pays, sous réserve de leurs lois en vigueur, permettront aux établissements financiers d'appliquer des mesures simplifiées lors de l'évaluation des risques, dans le cadre de l'approche fondée sur les risques reconnue à l'échelle internationale. Il est à espérer que le Canada s'engagera dans la même voie.
En conclusion, monsieur le président, sachez que l'ACCAP et ses membres se réjouissent de pouvoir participer à l'examen par le comité de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Allan Bulloch, président, comité législatif, Canadian Association of Independent Life Brokerage Agencies : Honorables sénateurs, c'est un plaisir d'être ici pour représenter la Canadian Association of Independent Life Brokerage Agencies, ou CAILBA. Dans cette industrie, on aime beaucoup les acronymes; je vous demande de m'en excuser à l'avance. Je me réjouis de pouvoir participer à cet examen parlementaire de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Comme on l'a indiqué, je m'appelle Allan Bulloch, et je suis le directeur législatif de la CAILBA, une association professionnelle à adhésion libre qui représente les intérêts des agents généraux gestionnaires du Canada. Nous aimons nous appeler AGG. Les agents généraux gestionnaires sont les plus importants distributeurs de polices d'assurance de personnes au Canada. Il existe 400 bureaux au pays; il peut s'agir d'un organisme national ou d'une petite entreprise locale. La majorité des polices d'assurance-vie traitées au Canada par l'entremise des AGG le sont par les membres de notre association. Mon véritable travail est de diriger l'un de ces agents généraux gestionnaires. Comme la majorité des AGG qui font partie de notre association, nous avons des contrats avec les compagnies d'assurance-vie de l'ACCAP, l'association que représente ce monsieur.
Aux fins de la discussion d'aujourd'hui, j'utiliserai indifféremment les termes AGG, bureaux de distribution et intermédiaires, puisqu'on nous donne différents noms, et je ferai de même pour ce qui est de l'agent, du courtier, de l'intermédiaire de marché et du conseiller, qui signifient tous la même chose. Je suis désolé de la confusion, mais je préfère utiliser le mot « conseiller »; donc, je l'utiliserai probablement durant le reste de mes observations. Les conseillers détiennent les permis requis, doivent obéir aux règles des provinces qu'ils représentent, et ont également des contrats avec les compagnies d'assurance qu'ils représentent.
La fonction d'un AGG comporte trois volets. Nous sommes le service de post-marché entre le conseiller et la société d'assurance et nous veillons à ce que la transaction ou la proposition d'assurance passe de l'un à l'autre. Nous offrons également au conseiller des services de soutien des ventes, en lui fournissant des renseignements au sujet du produit, entre autres, pour l'aider à le vendre. Nous sommes aussi responsables du volet conformité, le soutien à la conformité des pratiques sur le marché, pour l'assureur. Voilà essentiellement nos trois rôles.
Comme l'a indiqué M. Swedlove, nous n'acceptons pas non plus de versements en espèces, peu importe le montant. Les mandats et même les traites bancaires sont très limités. Il y a beaucoup de conditions à respecter avant que nous acceptions même une traite bancaire.
Je voudrais également mentionner que la CAILBA appuie fortement la position de l'ACCAP dans son exposé de principe. Nous croyons que cette industrie ne pose pas beaucoup de risques. À notre avis, l'assurance-vie ne constitue pas un produit viable pour le blanchiment de capitaux. Je pourrais en parler davantage un peu plus tard.
Nous pensons que les intervenants de l'industrie de l'assurance peuvent trouver des moyens rentables pour que nous puissions réduire ces risques, et je vais vous faire part avec plaisir de mes observations à ce sujet.
Les membres de la CAILBA sont un peu inquiets, toutefois, au sujet du règlement actuel, dans lequel nous sommes considérés actuellement comme des conseillers, ce qui suppose que nous avons des clients finaux, et non simplement comme des fournisseurs de services. C'est le conseiller qui rencontre le client. C'est le conseiller qui vérifie l'identité. C'est le conseiller qui exerce toutes les fonctions qui lui sont confiées. C'est le conseiller qui est en mesure de déterminer si les conditions de cette transaction sont raisonnables, car c'est lui qui rencontre le client en personne.
Or, ce qui est intéressant, c'est que les AGG ont été créés au début des années 1980, peut-être, et que les lois sur les banques ont été rédigées avant cela. La Loi sur les banques n'a pas été rédigée pour viser les AGG. Mais ce qui est bien, c'est que nous collaborons avec le Conseil canadien des responsables de la réglementation d'assurance, le CCRRA, l'organisme qui représente chaque secteur provincial d'octroi de permis. Le CCRRA a entrepris un examen. Nous avons une bonne idée de ce qui va en ressortir. Il devrait être rendu public au cours des prochains mois.
Ce qui nous intéresse particulièrement, c'est que la Colombie-Britannique a déjà publié ses lignes directrices, et qu'il s'agit de l'une des autorités provinciales. Nous croyons que les autres provinces publieront quelque chose de semblable. L'exposé de principes de la Colombie-Britannique indique clairement que les AGG ne sont pas des conseillers-courtiers et qu'on ne peut s'attendre à ce qu'ils agissent comme tels. La Colombie-Britannique a indiqué que les AGG sont responsables d'abord et avant tout envers les sociétés d'assurance et que s'ils ne respectent pas leurs contrats, ils pourraient être considérés inaptes à détenir une licence. C'est en gros ce qu'on a dit.
De plus, les assureurs ne délèguent pas de responsabilités aux AGG en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux. Toutefois, ils s'attendent à ce que nous respections les lignes directrices établies. Nous sommes considérés comme une entité déclarante, tout comme les 300 000 autres entités qui existent, semble-t-il. Nous avons mis en place des régimes de conformité, des politiques et des procédures. Nous avons notamment formé nos employés pour la lutte contre le blanchiment de capitaux. Ils sont efficaces en ce qui a trait à l'établissement et à la présentation de rapports. La CAILBA a élaboré du matériel de formation à l'intention des conseillers indépendants également.
Le règlement actuel impose des exigences très rigoureuses et coûteuses aux AGG, encore une fois parce que nous sommes considérés comme des conseillers à la vente. Ce nouveau règlement accroît ces exigences, ce qui nous inquiète encore plus.
Ce qui nous préoccupe particulièrement, c'est l'affirmation dans le rapport de consultation de novembre 2011 selon laquelle il existe une relation d'affaires entre le client et nous, alors que ce n'est pas le cas. L'idée de créer une réglementation qui établit une telle relation et qui nous oblige à y adhérer pourrait vraiment nous mettre dans l'embarras, parce qu'il nous est impossible de savoir quoi que ce soit. N'ayant pas rencontré le client, nous ignorons la teneur des discussions qui ont lieu dans le cadre de la transaction.
Pour conclure, les membres de la CAILBA appuient l'adoption de mesures réglementaires et policières rigoureuses afin de lutter contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. Nous savons que nous avons un rôle à jouer, et nous sommes disposés à faire notre part. Nous espérons simplement que les modifications ultérieures ne viendront pas amplifier la dichotomie actuelle entre la réglementation à laquelle nous sommes assujettis et la fonction réelle que nous exerçons; il est aussi à espérer qu'on adoptera une mesure législative qui tiendra compte de ce que nous faisons, c'est-à-dire de la nature à faible risque de nos activités, de notre besoin de renseignements bien plus précis sur la façon dont l'argent est blanchi, et ce, sans perdre de vue la rentabilité.
Je serai heureux de fournir plus de détails à ce sujet, et je vous remercie de nouveau de nous avoir invités ici aujourd'hui.
Le président : J'aimerais commencer par me reporter aux points 2 et 3 de vos observations préliminaires. Au point 2, vous dites : « Au moment de traiter la transaction pour le conseiller et la société d'assurance, nous n'acceptons pas de versements en espèces, peu importe le montant de la transaction. » Il s'agit d'une déclaration très claire.
Au point 3, vous ajoutez ceci : « À notre avis, la plupart des contrats d'assurance-vie ne constituent pas un produit viable pour le blanchiment de capitaux. » Eh bien, quand on dit « la plupart », on insinue qu'il y en a peut-être quelques- uns qui le sont.
Je compare ces deux déclarations à certaines des observations que nous avons entendues hier de la part des témoins de Capra International, qui, comme vous le savez, est l'entreprise qui a mené l'examen de 10 ans. Ils nous ont expliqué qu'un des stratagèmes de blanchiment d'argent dans l'industrie de l'assurance-vie consiste à acheter une police d'assurance-vie avec une importante mise de fonds pour ensuite l'annuler.
Aimeriez-vous dire quelques mots là-dessus, messieurs?
M. Swedlove : Bien entendu, nous ne disons pas que nous devrions être exclus du régime de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et nous ne nions pas qu'il y a des problèmes. Nous faisons valoir l'argument que certains produits ne se prêtent pas à l'activité de blanchiment d'argent. J'ai donné quelques exemples dans mon exposé, notamment l'assurance contre les maladies graves et l'assurance-vie temporaire. En ce qui concerne les polices assorties d'un composant d'investissement et d'une option d'annulation, il y a absolument un risque qu'une telle activité ait lieu. Les versements en espèces ne sont pas nécessairement en cause, parce que cela ne fait pas partie de notre travail. Toutefois, les blanchisseurs pourraient recourir à la dispersion afin de cacher certaines pratiques et activités.
Il est important de noter que, dans notre industrie, le blanchiment d'argent est possible, mais relativement aux services bancaires, par exemple, c'est plus limité.
Le président : Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur Bulloch?
M. Bulloch : J'aimerais ajouter que les fonds distincts sont liés au volet assurance, ce qui signifie qu'ils fonctionnent beaucoup comme un investissement. Cela pourrait représenter une façon plus viable de transférer de l'argent. Pour donner suite aux observations de M. Swedlove, les frais de rachat pour annuler des polices d'assurance et le délai nécessaire pour effectuer l'opération sont très peu commodes; voilà pourquoi certains produits d'assurance-vie ne constituent pas une solution très attirante pour faire entrer et sortir de l'argent.
Le président : De toute évidence, l'industrie n'est pas totalement à l'abri du blanchiment d'argent.
M. Swedlove : C'est exact.
Le président : Je cède la parole au prochain intervenant sur ma liste.
[Français]
Le sénateur Maltais : Bienvenue, messieurs. Je suis heureux de vous voir ici. Votre langage ne m'est pas indifférent puisque j'ai pratiqué le courtage pendant 25 ans. Donc, je connais assez bien les compagnies d'assurance-vie autant que générales.
Hier soir, j'ai été vraiment surpris, presque sonné, d'entendre ce que Capra International est venu nous dire ici. Connaissant les contrats d'assurance, les exigences des compagnies et les enquêtes que les compagnies font sur leurs futurs assurés, j'ai été surpris d'entendre dire que c'était presque des passoires. J'ai compris qu'ils ne comprenaient pas le système. C'est ce que j'ai compris d'eux. Je ne dis pas que votre système est parfait à 100 p. 100 — il y en a un qui s'est prétendu parfait et il a fini sur une croix. Le système n'est pas parfait, il peut y avoir des petites failles, mais je ne crois sincèrement pas que les compagnies d'assurance, de la façon qu'elles opèrent au Canada et à l'étranger également, soient des endroits pour écouler de l'argent du crime de la drogue. On parle bien ici des produits de la drogue. Vous savez, dans un contrat d'assurance, et je ne vous l'apprends pas, il faut qu'il y ait dans l'intercalaire un intérêt assurable. Alors je ne vois pas un terroriste en assurer un autre, car encore faut-il qu'il meure pour toucher le bien. Je ne pense pas que les compagnies d'assurance embarquent là-dedans.
Hier, on me disait qu'une personne peut aller à une compagnie d'assurance, acheter une police de un ou plusieurs millions de dollars, déposer le chèque, l'annuler deux jours après, retourner le chèque. Dans la pratique, pour les conseils et les gens que j'ai vus pendant 25 ans, je ne crois pas que cela ce soit produit. Cela ne marche pas de même. Je ne crois pas qu'on puisse déposer un million de dollars cash dans une compagnie d'assurance. J'ai jamais vu de cash transigé dans les compagnies d'assurance-vie. À moins que vous ayez changé d'idée depuis le temps que je suis en politique; mais cela me surprendrait. Vous avez l'opportunité aujourd'hui de rétablir ces faits.
Deuxièmement, savoir que vous êtes d'accord avec la CAF et la révision d'y participer, c'est rassurant pour le public canadien, vos clients qui sont dans l'ensemble des compagnies d'assurance. J'aimerais vous entendre définitivement, pour clore ce dossier, nous dire que les compagnies d'assurance ne sont pas, au même titre que les banques, des endroits pour blanchir de l'argent.
M. Swedlove : Peut-être que je vais demander à mon collègue de répondre pour offrir plus de détails.
Jean-Pierre Bernier, conseiller spécial du président, Gestion des risques, Association canadienne des compagnies d'assurances de personnes Inc. : Je suis membre d'un comité au ministère des Finances, un comité multidisciplinaire qui se réunit deux fois par année au moins, et où nous avons des présentations de différentes parties intéressées.
Cela fait plusieurs années que je siège à ce comité, et, au cours des 18 derniers mois, nous avons eu deux présentations distinctes. Une par la Gendarmerie royale du Canada, et une deuxième par la Sûreté du Québec. J'ai profité de l'occasion pour demander aux policiers si, dans leur carrière de 25, 30 ans, ils avaient eu connaissance d'affaires dans lesquelles les produits d'assurance auraient été utilisés à des fins de blanchiment d'argent. Dans les deux cas on m'a répondu, d'un côté la Gendarmerie royale du Canada et, de l'autre la Sûreté du Québec : « Non, nous ne sommes pas au courant de situations au Canada où des produits d'assurance ont été utilisés pour le blanchiment d'argent. »
Le sénateur Maltais : Cela m'apparaît très clair.
[Traduction]
M. Bulloch : Tout d'abord, le conseiller à l'échelle provinciale doit connaître son client en vertu de la loi. Il doit lui poser beaucoup de questions pour faire toute la lumière sur la situation. Lorsque la demande est présentée, il faut parfois fournir des preuves, comme des échantillons de sang et d'urine et tous ces agréments. Il faut parfois des arrangements financiers de souscription, comme deux ou cinq ans de renseignements financiers sur la société, afin de justifier le montant de l'assurance. On effectue une vérification de la solvabilité et on peut même exiger que la personne présente ses états financiers pendant deux ans. Il y a beaucoup d'interdictions dans la prime de 1 million de dollars. J'ai 39 ans d'expérience dans ce domaine et je n'ai vu aucun cas de blanchiment ou d'activité criminelle jusqu'à présent.
Le sénateur Ringuette : Vos associations relèvent du BSIF. Lors de leur comparution devant notre comité, les représentants du BSIF nous ont dit qu'ils aidaient les banques et les sociétés d'assurance au chapitre de l'évaluation des risques. J'aimerais que vous nous disiez si c'est le cas pour vos deux organisations. Mon autre question concerne le seuil de 10 000 $. Vous n'êtes certainement pas le premier témoin à nous signaler qu'une mesure législative générale qui impose un seuil de 10 000 $ n'est peut-être pas la meilleure façon d'aborder la question. Il serait peut-être plus approprié de mener une évaluation des risques dans les différents secteurs.
Premièrement, comment travaillez-vous avec le BSIF pour remplir les exigences en matière d'établissement de rapports? Deuxièmement, étant donné qu'il y a eu consultation, avez-vous indiqué, comme bien d'autres témoins, au ministère des Finances et au CANAFE qu'il est nécessaire d'adopter une approche fondée sur les risques au lieu d'imposer un seuil concernant le montant d'argent?
M. Swedlove : Je vais demander à M. Bernier de donner plus de détails sur le processus de consultation, mais il ne fait aucun doute que notre industrie appuie depuis longtemps l'approche fondée sur les risques à tous les niveaux. Selon nous, c'est vraiment ainsi qu'on devrait s'attaquer aux méchants dans le système. On ne résout pas le problème en imposant une foule de règles parce que les gens finissent par trouver un moyen de les contourner. La solution la plus efficace, c'est de se concentrer sur les domaines où il y a un risque accru.
Notre association a passé beaucoup de temps à collaborer avec nos collègues internationaux afin de faire passer le message à l'échelle internationale, notamment au sein du Groupe d'action financière sur le blanchiment des capitaux, ou GAFI. Nous sommes donc heureux de voir qu'ils ont récemment pris des mesures pour inclure, comme première recommandation, l'application d'une approche d'analyse fondée sur les risques.
C'est une tout autre paire de manches quand on demande aux gouvernements d'accepter ce principe et de délaisser l'approche fondée sur les règles parce qu'ils travaillent depuis fort longtemps dans un contexte axé sur les règles. Il s'agit d'une manière de penser qui est reconnue par la communauté internationale comme la bonne façon de procéder.
Si je me fie à mon expérience antérieure au sein du gouvernement, à titre de président du GAFI, les membres avaient du mal à accepter le concept de l'approche fondée sur les risques. Nous sommes donc ravis qu'ils soient maintenant disposés à l'accepter. Il est grand temps que les gouvernements réagissent positivement à cette idée.
Je vais maintenant laisser M. Bernier vous parler du processus de consultation avec le BSIF.
M. Bernier : Le BSIF, comme vous le savez, est un organisme de réglementation prudentielle. En ce qui concerne les institutions financières sous réglementation fédérale, elles mettent l'accent sur la gestion et l'évaluation des risques, plutôt que la conformité à la législation complète sur le blanchiment d'argent. C'est le CANAFE qui surveille la conformité de nos membres. Le BSIF figure parmi les meilleurs organismes de réglementation au monde, comme en témoigne sa réputation d'envergure mondiale. Alors, oui, nous collaborons avec le BSIF sur le plan de l'évaluation des risques.
Il y a quelques années, lorsque le projet de loi a été présenté, nous avons tenu une rencontre avec le BSIF. Nous avons examiné les produits et les services offerts par des sociétés similaires partout au Canada. Nous les avons divisées en grandes catégories, puis nous avons évalué les risques de chacune d'elles.
Pour ce qui est des transactions douteuses, ce n'est pas au BSIF que nous les signalons. C'est plutôt au CANAFE que nous rapportons toute transaction douteuse ou toute tentative de transaction douteuse. Étant donné que l'approche fondée sur les risques est une nouvelle mesure qui vient d'être adoptée à l'échelle internationale, conformément à la recommandation no 1 du Groupe d'action financière, nous avons rencontré les membres du GAFI et nous allons bientôt commencer à travailler avec eux pour déterminer comment l'approche fondée sur les risques sera mise en œuvre dans l'industrie de l'assurance. Il faut s'atteler à la tâche.
Par ailleurs, il y a une autre association ou organisation internationale, appelée l'Association internationale des contrôleurs d'assurance. Celle-ci tiendra une réunion la semaine du 18 avril, à Chicago, pour examiner comment mettre en œuvre l'approche fondée sur les risques. Il va sans dire que nous ferons preuve de cohésion tout au long de notre collaboration avec l'Association internationale des contrôleurs d'assurance et le Groupe d'action financière, mais le travail ne fait que commencer. Nous collaborerons avec le BSIF et le CANAFE une fois que les normes ou les critères internationaux seront établis.
M. Bulloch : Je représente peut-être davantage le côté terre-à-terre de bon nombre des questions dont on discute. Je vais donner un exemple. Un client remet à un conseiller un chèque de 11 000 $. Le conseiller doit effectuer des vérifications pour s'assurer que tout est correct et, le cas échéant, il renvoie le cas, disons, à notre agent. Mon employé administratif doit faire la même chose. Il doit consulter mon employé chargé de la conformité parce qu'ils doivent vérifier certains renseignements, après quoi le chèque est envoyé à la société d'assurance. Je ne suis pas sûr de tous les détails.
Lorsque la société d'assurance reçoit le chèque, elle le dépose dans son compte bancaire. Une fois que la société d'assurance effectue ses vérifications, sa propre banque fait d'autres vérifications parce qu'on vient de recevoir un chèque de 11 000 $; quand le tout est approuvé, c'est au tour de l'autre banque de procéder à des vérifications. Nous avons cinq ou six employés chargés des vérifications, et il s'agit d'une approche fondée sur les règles. Quand le CANAFE vérifie notre travail, il demande si nous avons obtenu toutes les réponses liées au cas en question; nous lui répondons que oui, nous les avons obtenues, avec preuves à l'appui. C'est ce qui permet de réaliser une excellente vérification.
Le sénateur L. Smith : Monsieur Bulloch, dans votre mémoire, au point 10, vous dites ceci :
Nous savons que nous avons un rôle à jouer, mais nous espérons sincèrement que les modifications proposées ne viendront pas amplifier la dichotomie actuelle entre la réglementation à laquelle nous sommes assujettis et les fonctions réelles que nous exerçons.
Que proposez-vous comme solution?
M. Bulloch : Une des choses que nous réclamons, c'est d'obtenir des renseignements sur ce que font les escrocs ou les terroristes. Je vais vous donner un exemple.
Il y a quelques mois, j'étais à Toronto et j'ai reçu un appel concernant ma carte Visa. C'était un dimanche, et je revenais tout juste d'un voyage de golf. J'avais fait des réservations pour mes vacances d'hiver. Après m'être arrêté à une station de service pour acheter de l'essence, je suis allé à un hôtel à Toronto pour signaler mon arrivée. La compagnie avait trouvé bizarre que tous ces achats aient été faits le même jour. Voilà pourquoi on m'appelait pour me poser des questions. La représentante a réussi, de façon professionnelle, à obtenir les renseignements dont elle avait besoin. Je l'ai complimentée pour son travail; en fait, j'étais heureux qu'on effectue cette vérification. Quelqu'un avait repéré ces renseignements à la vitesse de l'éclair. C'est justement ce dont nous avons besoin. Nous devons savoir à quoi ressemble Billy the Kid, être au courant de ses faits et gestes chaque jour et nous assurer qu'il ne vient pas rencontrer un de nos conseillers.
Récemment, je conduisais sur l'autoroute 416 pour aller au travail, et le voyant de service s'est allumé sur le tableau de bord de mon véhicule. Je n'ai pas une voiture haut de gamme, mais j'ai appuyé sur un bouton pour signaler le problème aux techniciens, qui ont alors procédé à un test de diagnostic de mon véhicule pendant que je roulais à 110 kilomètres-heure. Ne pouvons-nous pas faire quelque chose de similaire dans notre industrie? On dirait que nous sommes restés dans les années 1980 en ce qui concerne ce dossier.
Le sénateur L. Smith : Selon les témoins que nous avons reçus hier, le régime semble bien fonctionner, mais il faut prendre certaines mesures afin de l'améliorer.
Relativement à vos observations, il faut dire que certains témoins ont laissé entendre qu'on devrait établir un comité spécial composé des principaux acteurs des différents secteurs pour aider à élaborer une sorte de stratégie, de système d'identification ou de système de mesure.
Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet, messieurs Swedlove ou Bernier? Comment peut-on améliorer le système?
M. Bulloch : Ce qui risque de poser problème, c'est la protection de la vie privée et tout le reste. N'empêche que quand on fait une demande de police d'assurance, on doit signer un contrat et donner son accord pour que les renseignements soient conservés, et cetera. Je serais porté à croire qu'en achetant un tel produit, on accepte aussi que le CANAFE ait accès à ces renseignements. Peut-être que je regarde trop l'émission CSI, mais il y a moyen de savoir ce qu'une personne fait dans son compte bancaire.
Je vais reprendre l'exemple que j'ai utilisé tout à l'heure concernant le chèque de 11 000 $. Aucune de ces institutions ne communique entre elles; le conseiller ne nous parle pas des 11 000 $. Il y a une déconnexion totale.
Nous devons faire en sorte que quelqu'un là-bas dise : « Très bien, il y a une tendance ici. Cette personne a fait ceci, ceci et cela et elle l'a fait avec ces organismes, et maintenant, nous devons nous en occuper ».
M. Swedlove : Une plainte courante des entités déclarantes, c'est l'absence de rétroaction de la part du gouvernement, et en particulier du CANAFE, au sujet des tendances que nous serions censés connaître. Je pense que l'une des plus grandes frustrations des institutions financières tient au fait que toute cette information est communiquée au CANAFE. Le CANAFE possède des logiciels très perfectionnés permettant de déceler les tendances, comme en possède Visa pour la fraude sur les cartes de crédit, et pourtant, nous ne semblons pas trouver où se trouvent ces tendances et ce qui se fait qui nous permettrait de faire un meilleur travail pour appréhender les délinquants.
C'est une plainte courante. Comme mon collègue l'a noté, il y a des questions liées à la protection de la vie privée et ainsi de suite. Toutefois, on pourrait certainement nous fournir plus de typologies qui définissent les comportements de sorte que nous puissions faire un meilleur travail en ce qui concerne le processus.
M. Bernier : Pour répondre à votre question, j'aimerais passer du blanchiment d'argent au financement des activités terroristes.
Il existe aujourd'hui de nombreuses listes sur le terrorisme et les groupes terroristes. Malheureusement, certaines d'entre elles peuvent être téléchargées, d'autres non. Certaines n'existent que sur papier. Elles viennent dans des formats différents et ne sont pas toujours à jour.
Il serait très utile et rentable que les autorités compétentes trouvent une façon quelconque de regrouper ces listes des groupes terroristes en une seule et qu'ils la gardent à jour.
Le sénateur L. Smith : Est-ce que vous êtes en train de dire qu'il y a de nombreux cloisonnements; que les gens font du bon travail, mais qu'il n'y a pas suffisamment de communication, ce qui est probablement attribuable aux questions liées à la protection de la vie privée?
M. Bernier : C'est exact.
Le sénateur Harb : Merci de votre exposé.
Le point que vous avez soulevé au sujet de la rétroaction semble être un message que nous entendons de tous ceux qui ont comparu devant nous jusqu'ici. Un représentant de la Banque Canadienne Impériale de Commerce nous a dit que la communication doit se faire dans les deux sens.
C'est au cœur du problème. Je pense qu'aucun d'entre vous ne remettrait en question l'importance d'avoir un CANAFE. Ce sur quoi je vous ai entendus vous plaindre, c'est sur le degré de performance et comment vous pouvez rendre cette performance plus pertinente par rapport à ce qu'il fait.
L'idée que vous déclariez les gens qui font des transactions de plus de 10 000 $ est là. Il me semble que vous vous plaignez de cela; vous dites que le régime réglementaire actuel impose des exigences extrêmement difficiles et coûteuses aux AGG.
Si je vous disais qu'une des propositions que nous examinons est l'élimination de la limite de 10 000 $ — que vous deviez faire des rapports sur tout, même sur un sou —, comment verriez-vous cela?
M. Bulloch : Je pense que c'est un gaspillage total d'énergie, mais nous arriverions à y faire face. Cela signifierait simplement que quelqu'un dans nos bureaux aurait plus de travail. Cela aurait pour effet d'assurer leur carrière, je suppose. Nous pourrions vivre avec cela.
Nous voulons vraiment apporter notre aide dans tout cet univers du terrorisme. C'est une question sérieuse — nous sommes tous d'accord — et nous aimerions faire notre part. C'est simplement ce qui est raisonnable.
M. Swedlove : Je ne me plaignais pas du fait que le CANAFE n'avait pas une bonne performance parce que son rôle est de rassembler l'information et d'informer les autorités policières au sujet des activités possibles de recyclage des produits de la criminalité ou du financement des activités terroristes. Il fait cela, et nous voyons que les rapports aux autorités augmentent et cela mènent, nous pouvons le présumer, à plus de résultats.
Ce que j'ai signalé, c'est qu'en faisant cette activité, il nous serait utile, comme l'a noté le président, que nous ayons, à titre de partenaires dans le système, une rétroaction pour toute l'information que nous fournissons. Nous voulons savoir ce qui est utile, ce qui est moins utile et comment nous pouvons faire un meilleur travail dans ce processus.
Le sénateur Harb : Seriez-vous étonnés si je vous donnais le nombre de pays dans le monde qui font partie de ce système? Le CANAFE a publié un rapport daté d'avril 2012 et dans ce rapport, il a examiné les 12 principales destinations des transferts électroniques de fonds comportant un élément de recyclage des produits de la criminalité. Le Canada ne fait absolument pas partie des 15 principaux pays, mais vous seriez étonnés si je vous disais que les États- Unis arrivaient au premier rang, suivis du Royaume-Uni? Vous avez ensuite le Japon, l'Allemagne, l'Italie, la France, la Suisse, et ainsi de suite.
Ce ne sont pas des pays où vous vous attendriez qu'il y ait du financement d'activités terroristes. Six des pays du G7 en font partie.
Je pense que cela va au cœur de ce que vous dites : nous devons nous ressaisir pour déterminer exactement ce que nous essayons de faire ici.
Je pense que nous examinerons le côté gouvernemental des choses à un certain moment donné. Seriez-vous favorables à l'idée qu'il devrait peut-être y avoir un bureau de direction dont vous feriez vous-même partie, ainsi que les banques et tous ceux qui doivent se conformer à cette loi, de sorte que votre voix soit entendue plus efficacement?
M. Swedlove : Je serai bref, monsieur le président.
Comme l'a noté mon collègue, il existe un groupe consultatif dans lequel nous avons une participation active. Le gouvernement fait des efforts pour obtenir notre son de cloche sur une base régulière. C'est important de le noter.
La raison pour laquelle les pays dont vous avez parlé figurent au sommet de votre liste, c'est que ce sont les pays où se font les transactions financières. Si l'on se base sur le volume, il n'est pas étonnant que les États-Unis arrivent au premier rang simplement à cause du nombre de transactions financières qui passe par ce pays.
De plus, je veux souligner que nous n'appuyons pas l'élimination du seuil de 10 000 $ parce que nous pensons que cela ne fait qu'ajouter de manière substantielle au fardeau administratif, étant donné que nous croyons que l'on n'a pas fait la démonstration de l'existence d'un problème réel dans le cas des transactions d'une aussi petite taille.
M. Bernier : Concernant la question de la rétroaction, le Canada est un des pays dans le monde qui ne produit pas ce que nous appelons une « évaluation de la menace par secteur ». Un nombre croissant de pays fournissent ce document d'évaluation de la menace.
Dans notre mémoire adressé au ministère des Finances, nous avons fait cette recommandation pour renforcer le régime LRPC/FAT, sans le recours à la loi ou au règlement.
Le président : Merci beaucoup.
Cela met fin au premier tour de questions. Nous allons commencer le deuxième tour. Il ne nous reste qu'une dizaine de minutes.
[Français]
Le sénateur Maltais : Je me pose bien humblement une question. Contrairement aux institutions financières, les banques, les caisses de crédit, les cartes Visa et autres, les compagnies détiennent des renseignements sur la vie personnelle, l'état de santé et les antécédents familiaux par exemple. Est-ce que ce sont des informations qu'il serait utile de fournir à d'autres?
Il y a une loi au Canada qui exige le respect de la vie privée dans ce secteur particulier. Je ne sais pas en quoi l'état de santé d'un de vos clients pourrait intéresser la GRC si tout est correct sur le plan financier et que ce n'est pas un bandit. Est-ce qu'il n'y a pas un danger quelque part?
M. Bernier : Pour notre industrie, c'est beaucoup plus un défi pour s'assurer qu'il y a une bonne coordination entre la protection de la vie privée et l'information personnelle que nous pouvons communiquer aux agents policiers et même auprès du CANAFE.
Au Canada, malheureusement, il existe encore des problèmes dont quelques uns semblent insurmontables entre le traitement ou la conformité avec la loi sur les renseignements personnels et la conformité avec la loi sur le blanchiment d'argent.
Le sénateur Maltais : Que recommanderiez-vous pour ajuster tout cela?
M. Bernier : Il faudrait peut-être que le bureau du commissaire à la vie privée s'assoie avec les organismes compétents en la matière et cherche des solutions au problème. Ce ne sont pas des problèmes uniques au Canada; nous discutons des mêmes sujets au niveau international.
[Traduction]
M. Swedlove : À cet égard, à titre d'exemple pour le comité, lorsque je faisais de la consultation au niveau international sur cette question, le gouvernement exigeait des entreprises qu'elles appliquent une approche globale à la question du blanchiment d'argent. En d'autres mots, les activités internationales d'entreprises comme Manuvie, Sun Life ou la Banque TD doivent également être surveillées par les autorités canadiennes. Vous devez adopter une approche globale et être conscient de ce que font vos filiales et si les gens ont accès à la fois aux activités de la société mère et des filiales. Les exigences internationales s'appliquent à nos entreprises. En même temps, il existe dans la plupart des pays des lois qui limitent la transmission transfrontalière de l'information, des lois qui protègent la vie privée. Dans cette question, quoi que vous fassiez, vous avez tort parce qu'il est impossible de se conformer à ces deux normes.
Comme mon collègue l'a dit, c'est quelque chose qui existe non seulement au Canada, mais également à l'échelle internationale. Il faut que la communauté internationale travaille plus activement pour trouver des solutions dans ce domaine.
[Français]
Le sénateur Ringuette : Monsieur Bernier, vous avez dit que vous avez questionné la GRC et la Sûreté du Québec en ce qui a trait à des possibilités de blanchiment d'argent venant de votre secteur et que la réponse avait été que, jusqu'à maintenant, il n'y avait pas eu de transactions suspectes dans votre secteur.
M. Bernier : Oui, les deux policiers chevronnés qui ont fait leur présentation séparément nous ont dit qu'ils n'étaient pas au courant de la situation où les produits d'assurance de notre industrie ont été utilisés pour le blanchiment d'argent.
[Traduction]
Le sénateur Ringuette : Au cours d'une année donnée, prenons par exemple l'année dernière, si on parle de vous deux, combien de transactions avez-vous déclarées au CANAFE et à quel coût? Avez-vous établi le coût de cette mesure?
M. Bernier : L'an dernier, c'était dans les centaines. Je ne sais pas si c'était dans les dizaines de milliers. Nous ne prenons pas d'argent comptant, alors, nous ne pouvons pas être comparés aux banques en ce qui a trait au nombre de transactions douteuses que nous signalons au CANAFE. Nous sommes une industrie à faible risque, et cette situation a été reconnue également par l'Association Internationale des Contrôleurs d'Assurance.
Le sénateur Ringuette : Que vous en coûte-t-il pour faire ces rapports sur une base annuelle, quinquennale ou peu importe?
M. Bernier : Ce serait certainement dans les millions de dollars.
Le sénateur Ringuette : Est-ce par année?
M. Bernier : Ce sont des millions de dollars à l'échelle de l'industrie par année, oui. Avant de faire rapport, vous devez faire des vérifications à l'interne et respecter toutes sortes de processus pour vous assurer que vous faites une déclaration qui est exacte. Si vous œuvrez à l'échelle internationale, cela est plus coûteux.
Le sénateur Ringuette : Monsieur Bulloch, avez-vous des observations?
M. Bulloch : Je ne peux faire d'observation sur la question de savoir si les membres de l'association ont eu des cas et combien ils en ont eu. Au niveau de notre conseil de direction, personne n'a eu à le faire, et, dans mon bureau, il n'y a pas eu de rapport.
Le sénateur Ringuette : Hier, nous avons entendu des témoins de Capra International, qui a réalisé l'évaluation du système du Conseil du Trésor et du ministère de la Justice, je crois. Ils nous ont informés que toutes les données des trois dernières années ont été transmises à la GRC par le CANAFE, mais que la GRC n'avait pas suffisamment de ressources pour examiner toutes les données. Trois années d'activité par les différents secteurs — rapports, données, et cetera — ont été envoyées au CANAFE et ont été traitées pour tirer le maximum des données. Cette information a ensuite été transmise à la GRC. Toutefois, on nous a informés hier qu'au cours des trois dernières années, la GRC n'avait pas les ressources pour faire le suivi des données. Que pensez-vous de cela?
M. Swedlove : Je suppose que je serais inquiet de transmettre cette information à mes membres de peur qu'ils soient complètement découragés.
Cela revient à la question de la rétroaction. Vous encouragez beaucoup plus efficacement les gens lorsque ces derniers savent que même s'ils sont obligés de se conformer en vertu de la loi, ce qu'ils font signifie quelque chose. Qu'il s'agisse de ce genre de situation au sujet des ressources de la GRC pour réaliser des enquêtes ou d'une rétroaction suffisante pour pouvoir distinguer ce qui est important de ce qui ne l'est pas, je mettrais tout cela ensemble comme un aspect important pour garder nos gens concentrés sur la tâche principale consistant à trouver les délinquants.
M. Bernier : J'aimerais ajouter que nous, dans notre industrie, nous ne sommes au courant d'aucune poursuite intentée par la GRC, et encore moins de condamnations par les tribunaux, dans des cas où des produits liés à l'assurance-vie ont été utilisés. Les poursuites et les enquêtes sont différentes.
Le sénateur Ringuette : Nous avons demandé ce genre d'information et nous espérons l'avoir prochainement.
Le président : Au nom du comité, j'aimerais remercier les témoins d'avoir comparu devant nous aujourd'hui. Vous avez été extrêmement utiles pour nos délibérations. Merci.
Dans la deuxième partie de la réunion, nous allons tourner notre attention sur l'industrie du jeu et du hasard. Nous sommes heureux d'accueillir M. Paul Burns, vice-président de la Canadian Gaming Association, ainsi que M. Derek Ramm, directeur, Programme de lutte contre le blanchiment d'argent, Conformité aux lois et règlements, de la Société des loteries et des jeux de l'Ontario.
Chers collègues, je veux ajouter que Loto-Québec avait espéré participer ce matin, mais son expert n'était malheureusement pas disponible. Nous allons faire tous les efforts nécessaires pour lui permettre de comparaître au cours d'une prochaine réunion.
Encore une fois, nous avons une heure pour cette partie de la réunion. Monsieur Burns, vous avez la parole.
Paul Burns, vice-président, Canadian Gaming Association : Merci d'avoir invité la Canadian Gaming Association à comparaître devant votre comité. Je m'appelle Paul Burns et je suis vice-président de la Canadian Gaming Association. Mon expérience dans l'industrie du jeu et du hasard remonte au milieu des années 1990.
Notre association représente les principaux intervenants dans l'industrie canadienne du jeu et du hasard : les exploitants d'établissements de jeu, les fabricants d'équipements et les fournisseurs de services. Nous parrainons la recherche et intervenons dans les questions importantes au niveau national et régional. Nous sommes heureux de l'occasion qui nous est donnée de participer à l'examen quinquennal de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
J'aimerais décrire l'industrie canadienne des casinos d'un point de vue très élevé et proposer une approche législative qui s'appliquerait spécifiquement aux casinos au Canada. J'ignore combien d'entre vous connaissent le fonctionnement d'un casino, mais si vous le connaissez, vous comprendrez qu'on y retrouve les niveaux de sécurité et de surveillance les plus élevés. On dit souvent que, compte tenu des hauts niveaux de surveillance et de sécurité, y compris l'enregistrement vidéo constant de toutes les activités dans les aires de jeux du casino et les zones avoisinantes, que seuls les criminels stupides pourraient tenter de blanchir de l'argent dans un casino. Cela ne veut pas dire qu'ils n'essaient pas; c'est simplement que leurs tentatives ne passent pas inaperçues.
Les casinos, comme toutes les autres entreprises qui attirent de grandes quantités d'argent, comme les banques et les caisses populaires, se sont engagés à travailler avec les organismes d'application de la loi pour lutter contre le blanchiment d'argent. Une particularité des casinos canadiens, contrairement à ce qui se passe presque partout ailleurs dans le monde, c'est que l'industrie des casinos au Canada est régie par les gouvernements provinciaux par l'intermédiaire de sociétés d'État. À ce titre, ces sociétés s'emploient à se conformer de manière efficace aux lois et règlements du Canada en matière de blanchiment d'argent et de financement des activités terroristes. Cela comprend un système rigoureux de contrôles internes, de formation des employés et de communication pour s'assurer que toutes les transactions visées par la réglementation sont signalées au CANAFE.
Les casinos constituent des environnements hautement réglementés, où l'on trouve des règles sur tout, depuis la façon dont les jeux sont joués jusqu'à la manipulation de l'argent et des jetons. Les organismes provinciaux de réglementation du jeu et du hasard assurent une surveillance des activités des casinos pour s'assurer que les gens peuvent jouer dans un milieu sécuritaire. Les exploitants d'établissements de jeu et les organismes provinciaux de réglementation du jeu au Canada travaillent en collaboration pour reconnaître les dangers et s'entendre sur des moyens pour les éliminer de manière équilibrée et mesurée. C'est une relation bâtie sur les plus hauts degrés de confiance, de transparence et de communication.
En ce qui concerne les clients, en vertu de la loi canadienne, seuls les particuliers sont autorisés à jouer dans un casino. Notre clientèle est formée de particuliers. Il ne s'agit pas d'entreprises, de fiducies, de partenariats ou de toute autre forme d'entités. La relation entre les fournisseurs de jeux et la clientèle de jeu ne fait pas partie d'une relation financière plus vaste comme il peut en exister dans une relation bancaire, et il n'y a pas non plus d'activités ou de transactions financières additionnelles inhérentes dans cette relation.
Les répercussions d'un grand nombre des exigences actuelles de la loi, et des modifications proposées sont bien différentes pour l'industrie des casinos comparativement aux répercussions sur le secteur des services financiers du fait que la relation d'affaires, la nature de l'interaction avec la clientèle, les comptes et les activités diffèrent considérablement entre les deux secteurs. L'application des exigences de déclaration à l'industrie des casinos comprend l'utilisation des fonds des clients — ils franchissent le seuil de la porte pour jouer à des jeux — et la perte de ces fonds au fournisseur de jeux et ensuite, tout paiement découlant de l'encaissement des jetons ou des gains. Tenter de définir une relation d'affaires découlant de cet échange direct de jeu ne semble ni possible ni pertinent. Cela n'ajoute rien pour comprendre la relation globale d'une quelconque façon qui augmenterait la conformité avec les lois, les règlements ou les lignes directrices.
En raison de la forte réglementation des activités de jeu, il n'y a effectivement aucun changement touchant le fondement sous-jacent de la relation d'affaires entre le fournisseur de jeu et le client. Le refus de reconnaître ces différences par le CANAFE, même lorsque la méthodologie du GAFI le fait, peut entraîner certaines impossibilités pratiques en matière de conformité réelle. L'établissement d'une définition précise fournirait une meilleure base pour la conformité sans miner les objectifs, parce que la relation d'affaires ne peut tout simplement pas être autre chose qu'une relation directe entre le client et le fournisseur. Le jeu dans un casino n'a pas le caractère immédiat de l'exécution des transactions d'affaires. Les gens entrent dans le casino et aiment jouer. En conséquence, il faut prendre en considération des lignes directrices qui fournissent un fondement approprié sur lequel on peut réussir la conformité. L'arrivée des sociétés provinciales dans le jeu en ligne ne fait qu'augmenter la nécessité de mieux comprendre la situation. La simple reconnaissance que le blanchiment d'argent ne peut survenir que s'il y a un paiement à un joueur serait une bonne mesure.
Nous comprenons l'objectif du programme de conformité et le fait que la loi et la réglementation en vigueur ne visent pas à nuire à l'exécution d'une transaction commerciale légale. Il faut reconnaître que, de par son cadre juridique, l'industrie du jeu au Canada est tout à fait unique, et que la législation sur les produits de la criminalité doit en tenir compte.
Nous sommes tout à fait en faveur d'une conformité efficace et reconnaissons que les transactions et les rapports d'affaires commerciaux légaux devraient être autorisés sans entrave déraisonnable.
Merci. Je serai heureux de répondre à toute question que vous pourriez avoir sur les liens du CANAFE avec l'industrie du jeu.
Derek Ramm, directeur, Programmes de lutte contre le blanchiment d'argent, Conformité aux lois et règlements, Société des loteries et des jeux de l'Ontario : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie beaucoup d'avoir invité la Société des loteries et des jeux de l'Ontario à participer à l'examen de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité, le blanchiment d'argent, et le financement des activités terroristes.
Je m'appelle Derek Ramm et dirige les programmes de lutte contre le blanchiment d'argent au sein de la société. Je me suis joint à la société en septembre 2011 après avoir occupé pendant près de huit ans un poste d'agent au Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada. Je tiens par ailleurs à vous transmettre les salutations de notre président-directeur général, Rod Phillips, qui n'a malheureusement pas pu venir.
Pour vous donner un peu de contexte sur la société, nous sommes une entreprise opérationnelle créée par le gouvernement de l'Ontario. En tant que société d'État chargée de la direction et de la gestion du jeu conformément au Code criminel, la société est implantée dans 27 sites et surveille la vente de produits de loterie par environ 10 000 détaillants répartis dans l'ensemble de la province. La société et ses entreprises affiliées emploient actuellement plus de 18 000 personnes dans toute la province et suscitent une activité économique dont la valeur dépasse les 3,8 milliards de dollars. La société fait notamment des contributions aux organismes de bienfaisance, aux hôpitaux, aux associations de sport amateur et aux municipalités qui accueillent ses sites de jeu.
En plus d'être régis par la Commission des alcools et des jeux de l'Ontario créée en vertu de la Loi sur la réglementation des jeux, nos sites sont assujettis aux dispositions de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. De plus, en tant qu'agent représentant la province de l'Ontario, nous accordons la plus haute importance à nos responsabilités légales et sociales, soit détecter, décourager et signaler toute activité criminelle. En fait, le respect de cette philosophie est l'un des piliers de l'industrie du jeu, telle qu'elle est dirigée et gérée par la société au nom de la province de l'Ontario.
Mesdames et messieurs les sénateurs, j'ai passé la plus grande partie de ma carrière à essayer d'écarter les criminels des entreprises canadiennes légitimes. Comme je l'ai indiqué précédemment, j'ai eu le privilège de travailler pour le CANAFE. Avant cela, j'ai œuvré pendant plus de 10 ans dans le secteur privé, assumant diverses fonctions dans le domaine de l'application de la loi, notamment comme agent principal de lutte contre le blanchiment d'argent dans une firme d'investissement de Bay Street. Je pense que cette expérience m'a permis d'avoir une perspective équilibrée et unique sur le régime de lutte contre le blanchiment d'argent au Canada.
Mon collègue Paul Burns, qui représente la Canadian Gaming Association, a discuté du cadre juridique du jeu au Canada, cadre qui est entièrement différent de celui d'autres pays. Toutefois, j'aimerais aujourd'hui me concentrer sur deux points précis. Premièrement, les défis que posent les transactions au cours desquelles le client n'est pas présent; deuxièmement, le fait que le cadre législatif canadien relatif aux produits de la criminalité doit reconnaître le caractère distinct de l'industrie du jeu, tout en respectant les recommandations du Groupe d'action financière sur le blanchiment de capitaux.
Cette semaine, le ministre des Finances de l'Ontario, Dwight Duncan, et le président de la Société des loteries et des jeux de l'Ontario, Paul Godfrey, ont annoncé une nouvelle stratégie visant à moderniser les loteries et les jeux au cours des six prochaines années. Dans le cadre de cette stratégie, la société offrira prochainement au public l'accès aux jeux en ligne. Malheureusement, la réglementation actuelle concernant l'identification dans les situations où le client n'est pas présent et la tenue de registres présentent un certain nombre d'obstacles aux entreprises légitimes et aux responsables de la réglementation. Fort de mon expérience au sein du secteur privé et du CANAFE, je peux affirmer en connaissance de cause que la réglementation actuelle concernant les transactions dans lesquelles le client n'est pas présent est excessivement complexe, difficile à mettre en œuvre, difficile à interpréter, difficile à appliquer et, finalement, offre très peu de valeur analytique au CANAFE.
En outre, les exigences actuelles en matière d'identification dans les situations où le client n'est pas présent et la conservation des dossiers désavantagent sérieusement au plan de la concurrence les exploitants canadiens de casino en ligne par rapport à leurs homologues étrangers qui sont assujettis à une réglementation moins stricte. Ainsi, la nécessité de produire, dans le cadre réglementaire actuel, un document, tel qu'une fiche de signature, un chèque annulé ou une pièce d'identité notariée, ne fait que pousser les clients éventuels vers les exploitants étrangers, privant ainsi d'information le CANAFE et les agences d'application de la loi. Nous conviendrons donc, je pense, que le fait d'obliger un client à présenter des documents pour une transaction en ligne va à l'encontre de l'objet même du commerce électronique.
Les mesures d'application que les autorités fédérales américaines ont récemment prises à l'encontre des exploitants de casino étrangers sur Internet soulignent la nécessité pressante d'implanter des casinos en ligne légaux et réglementés pour les clients canadiens. Le gouvernement fédéral a d'ailleurs déjà reconnu le rôle important que les sociétés de loteries provinciales peuvent jouer pour combattre le blanchiment d'argent et d'autres activités criminelles. En fait, l'article 207 du Code criminel prévoit le cadre des jeux autorisés au Canada. À quelques très rares exceptions près, seuls un gouvernement provincial ou l'agent d'un gouvernement provincial peuvent diriger et gérer un système de loterie au Canada.
Le projet de loi C-290, dont est actuellement saisi le Sénat, modifiera le Code criminel de façon à autoriser les provinces à gérer des paris sportifs sur des événements uniques. Si cette mesure apporte des avantages économiques certains, il ne fait aucun doute qu'elle privera le crime organisé d'importantes sources de revenus.
Nous demandons au gouvernement fédéral de poursuivre les efforts qu'il déploie pour lutter contre le blanchiment d'argent et le crime organisé en adoptant des modes électroniques d'identification des clients et de conservation des dossiers qui encouragent les entreprises légales et suivent le rythme des transactions en ligne. À cette fin, la société a présenté au ministère des Finances des suggestions sur des façons de moderniser la réglementation.
Le second point que je voudrais porter à votre attention a trait au cadre législatif et à sa portée sur l'industrie du jeu du Canada. Nombre des propositions et règlements actuels dont font état les documents de consultation sont réalisables dans un environnement comptable tel que les banques ou les coopératives de crédit. Mais comme mon collègue l'a déjà souligné, les casinos opèrent dans un environnement très différent. Une approche universelle pourrait présenter des obstacles insurmontables à l'industrie du jeu.
J'aimerais attirer l'attention du comité sur les recommandations du Groupe d'action financière, qui ont été mises à jour en février 2012. La recommandation 10, qui a trait au devoir de diligence à l'égard de la clientèle, indique que les institutions devraient obtenir l'information appropriée sur la relation d'affaires et que la diligence à exercer à l'égard de la clientèle devrait être établie en fonction du risque. En outre, le GAFI fixe à 3 000 $ le seuil désigné applicable aux casinos.
J'aimerais signaler qu'aucun de ces concepts n'a été retenu dans la réglementation actuelle ou proposée pour les casinos. J'exhorte donc vivement le comité et le ministère des Finances à adopter un cadre législatif et réglementaire convenable et adapté à l'industrie canadienne du jeu. Cela nous permettrait en outre de nous conformer aux normes du GAFI.
Pour terminer, la société reste engagée dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. Je serais heureux de répondre à toute question que pourrait avoir le comité. Merci de votre attention.
Le président : Merci. Monsieur Ramm, dans vos remarques préliminaires, vous avez parlé des mesures d'application de la loi aux États-Unis. Je remarque à ce sujet que le 7 mars dernier, le Bureau international des stupéfiants et de l'application de la loi du Département d'État des États-Unis a présenté au Congrès son rapport de 2012 sur la stratégie internationale de contrôle des stupéfiants. À la page 73 du volume II, intitulé Blanchiment d'argent et crimes financiers, le rapport indique au sujet du Canada :
Les produits de la criminalité blanchis au Canada découlent essentiellement des activités nationales contrôlées par les organisations œuvrant dans le trafic des drogues et le crime organisé.
À la page 74, le rapport recommande, et là encore je cite :
Le Canada devrait poursuivre l'action qu'il mène pour renforcer ses mesures de LBA/LFAT au sein de l'industrie des casinos [...]
Il est donc clair que le gouvernement américain s'inquiète du blanchiment d'argent au Canada, surtout dans les casinos. J'aimerais avoir votre réaction à ce sujet.
M. Ramm : Ayant lu moi-même le rapport, je dois dire que je suis déçu qu'il ne fournisse aucun contexte. Il ne contient qu'une seule phrase indiquant que le Canada doit faire plus. Je suppose que cette information provient de l'évaluation mutuelle sur le Canada effectuée par le GAFI en 2008, qui faisait état de certaines lacunes dans le secteur des casinos. Or ces lacunes n'ont rien à voir avec les casinos, les exploitants ou les sociétés de loterie, mais plutôt avec le cadre législatif et réglementaire s'appliquant à l'industrie du jeu. Je ne suis pas nécessairement en désaccord avec le département d'État américain; j'aurais simplement souhaité que ses déclarations soient plus étoffées.
Le président : Merci de vos commentaires. Nous passons maintenant — et je consulte ma liste — au sénateur Tkachuk.
Le sénateur Tkachuk : Comme je ne parie pas, je vais peut-être vous sembler ignorant sur certaines des procédures que vous utilisez; je vous prie donc de m'en excuser.
Lorsque quelqu'un entre dans un casino et achète des jetons, y a-t-il une limite au montant d'argent qu'il peut dépenser? Quel montant déclenche l'alerte, 3 000 $ en espèces ou 4 000?
M. Ramm : Le CANAFE publie des avis sur ce qui est suspect, mais nous avons nos propres indicateurs. Comme nous faisons nos affaires avec de l'argent liquide, quelqu'un qui rentre avec plusieurs milliers de dollars en espèces n'est pas forcément suspect. S'il utilisait toutefois des petites coupures et semblait être là, non pas pour jouer, mais pour faire des transactions financières, cela déclencherait des signaux d'alarme. Comme M. Burns l'a indiqué précédemment, il y a une surveillance en temps réel. On observerait alors l'activité du joueur et, au besoin, on rapporterait toute transaction suspecte au CANAFE. En Ontario, on informerait également l'Unité d'application des lois du casino de la Police provinciale.
Le sénateur Tkachuk : Y a-t-il d'importantes transactions en espèces, disons de 10 000 à 20 000 $?
M. Burns : Cela est courant, par exemple en Colombie-Britannique. Jusqu'à tout récemment, un client qui voulait parier d'importantes sommes ne pouvait pas faire de versement bancaire au casino. Il devait donc se présenter avec d'importantes sommes d'argent en espèces. Mais ces clients sont connus et jouent régulièrement. En raison des sommes en jeu, on en faisait rapport au CANAFE, mais les règles ont depuis été mises à jour en Colombie-Britannique de sorte qu'un joueur n'a plus à être muni d'argent liquide. Sa banque peut faire des arrangements pour virer l'argent au casino. Le client utiliserait un chèque et son identité serait vérifiée. Il y a souvent des gens munis d'importantes sommes d'argent liquide.
Sont-ils connus du casino? Franchement, le casino suit la réglementation du CANAFE et produit donc un rapport.
Le sénateur Tkachuk : Le moyen de blanchir l'argent serait peut-être d'en perdre un certain montant, n'est-ce pas? Pourrait-on ainsi acheter 20 000 $ de jetons, en perdre 6 000 et s'en faire rembourser 14 000 en argent propre? Est-ce que c'est comme cela qu'on procéderait?
M. Burns : Les règles diffèrent selon la province. Dans certaines provinces et certains casinos, vous pourriez peut- être ne pas pouvoir sortir avec ce montant d'argent en espèces. On vous donnerait un chèque et vous devriez présenter une pièce d'identité pour l'obtenir.
Le sénateur Tkachuk : Cela peut donc se faire dans certaines provinces?
M. Ramm : Ils peuvent partir avec de l'argent en espèces ou un chèque. Nous avons par ailleurs des procédures pour vérifier les activités de jeu. Si quelqu'un se présente au comptoir avec un grand nombre de jetons ou même une grande quantité d'argent liquide et demande un chèque du casino, nous avons un processus — qui figure dans notre guide de contrôle interne — permettant de vérifier que cette personne a réellement joué. Si elle n'a pas joué, nous pouvons refuser de lui remettre un chèque ou établir un rapport de transaction suspecte que nous enverrons au CANAFE.
Le sénateur Tkachuk : La technologie me permet de payer des comptes par ordinateur. Vous devriez donc pouvoir, si vous êtes un habitué, transférer les sommes que vous voulez parier sur un compte appartenant au casino et dans lequel vous pourriez déposer un crédit.
M. Ramm : Oui, on les appelle « comptes de montant initial ». Dans les centres de villégiature de l'Ontario, on offre ce service aux joueurs afin qu'ils n'aient pas à porter sur eux d'argent en espèces.
Le sénateur Tkachuk : Est-ce qu'un particulier peut devenir propriétaire d'un casino, ou est-ce que les casinos sont tous à but non lucratif ou propriété du gouvernement?
M. Burns : Il y a des propriétaires privés des installations. La relation d'affaires est différente dans chaque province. Loto-Québec, par exemple, possède et gère les installations et ses employés dirigent tous les aspects du jeu; mais dans d'autres provinces, par exemple en Colombie-Britannique et en Alberta, la propriété est privée ainsi que les installations et les employés, mais une relation d'affaires sert de cadre à la répartition des profits. La province prend un pourcentage donné, l'exploitant également et paie par ailleurs les dépenses. Cela se fait aux termes d'un contrat, sous la surveillance de la société des loteries provinciale. En Colombie-Britannique ou en Alberta, les sociétés de loterie achètent les machines à sous, les répartissent parmi les exploitants et en assurent la surveillance.
Nous aimons qualifier les jeux de casino comme une industrie de prestige. Pour être propriétaire ou détenir d'importants actifs dans l'industrie, vous devez vous soumettre à une enquête approfondie; on fouille vos dossiers bancaires, les dossiers de vos parents et vos antécédents. Il faut suivre un processus rigoureux et c'est loin d'être une simple formalité.
Le sénateur Tkachuk : Cela m'inquiète toujours un peu de voir une institution se gouverner elle-même. Le fait qu'un gouvernement soit propriétaire des casinos et les réglemente est très différent que s'il se contente de les réglementer sans en être propriétaire. En Saskatchewan, le gouvernement s'autoréglemente; il est propriétaire d'un tiers des casinos. Je pense donc que la corruption serait facile.
M. Burns : Il ne s'agit pas généralement des mêmes agences.
Le sénateur Tkachuk : Quelle est la différence entre quelqu'un qui travaille pour une institution gouvernementale et celui qui travaille pour une institution privée? Ils ont tous les deux les mêmes possibilités de se laisser corrompre. Celui qui travaille pour le gouvernement n'est ni meilleur ni plus honnête que celui qui travaille dans une entreprise privée, où tous les deux sont régis par la même institution. C'est le gouvernement qui surveille le gouvernement. Je ne vois pas comment vous pouvez avoir un système intègre lorsque le gouvernement surveille le gouvernement.
M. Ramm : Je vous entends, sénateur, mais je ne peux que parler pour l'Ontario et M. Burns, pour l'ensemble de l'industrie. En Ontario, la Société des loteries et des jeux est soumise à divers paliers de vérification, notamment par la Commission des alcools et des jeux de l'Ontario, l'Unité d'application des lois du casino de la Police provinciale et le vérificateur général et, au niveau fédéral, il y a le CANAFE. Il faudrait donc qu'il y ait un énorme niveau de collusion pour cacher des impropriétés, si l'on songe à tous les paliers de la surveillance qui s'exerce dans la province et au niveau fédéral.
M. Burns : Dans la plupart des provinces, ils font rapport à divers ministères et ils sont tenus de faire respecter diverses lois. Donc, c'est un système rigoureux.
Le sénateur Tkachuk : Il y a eu de la corruption dans le système de loterie; des gens qui vendaient des billets ne disaient pas nécessairement la vérité aux détenteurs de billets. Ce n'est pas qu'il ne peut pas être corrompu.
M. Burns : C'était du vol.
Le sénateur Tkachuk : Exactement. Essentiellement, c'est la définition même d'une fraude. Dans un casino, il me semble qu'il ne faudrait pas beaucoup de personnes — pas plus qu'il n'en faudrait dans un casino privé — pour comploter en vue de blanchir de l'argent par l'intermédiaire du casino.
M. Ramm : Il y a eu des cas, mais l'industrie du jeu ne diffère en rien de toute autre industrie, comme le secteur bancaire. Lorsqu'il y a d'importantes quantités de capitaux ou d'argent qui circulent, c'est malheureux, mais le côté obscur de la nature humaine fera en sorte qu'il y aura des gens qui essaieront d'en tirer profit.
Le sénateur Tkachuk : Par contre, on ne demande pas aux banques de surveiller les banques. C'est le gouvernement qui surveille les banques. Ce sont deux entités distinctes, qui n'ont pas le même propriétaire.
M. Burns : Les gouvernements — les gouvernements provinciaux — prennent cette responsabilité très au sérieux. Dans la province, le système a été structuré de façon à inclure des freins et contrepoids. Les responsables des entités se rencontrent souvent à l'échelon politique, ce qui pourrait être le seul endroit où ils peuvent se réunir pour discuter de la surveillance gouvernementale. Les agences fonctionnent en cloisonnement au sein de différents organismes et en vertu de lois distinctes. Encore une fois, la collusion est tout à fait possible, mais hautement improbable.
Le sénateur Tkachuk : Quand faut-il signaler une transaction en espèces? Dans un casino, à quel montant doit-elle s'élever avant de faire l'objet d'une déclaration?
M. Ramm : Le même montant que pour les banques, c'est-à-dire 10 000 $.
M. Burns : Il en va de même pour les transactions douteuses.
Le président : Monsieur Burns, en réponse aux questions du sénateur Tkachuk, vous avez utilisé deux fois l'expression « importantes sommes d'argent en espèces ». Pourriez-vous dire au comité ce que vous entendez par d'importantes sommes d'argent en espèces? Cela a une signification qui varie selon les personnes.
M. Burns : En effet. Dans les casinos, la majorité des joueurs ne joue pas d'importantes sommes d'argent.
Le président : Là n'est pas la question. Quel est le montant minimal? Nous savons ce que c'est.
M. Burns : Cela pourrait être 5, 10 ou 20 $.
Le président : Aux échelons supérieurs, avec quelle somme d'argent en espèces les gens peuvent-ils se présenter au casino?
M. Burns : À l'occasion, des joueurs pourraient venir jouer avec plusieurs milliers de dollars. Souvent, la plupart de ces clients sont connus et les déclarations sont faites. Dans l'industrie, les règles s'appliquent uniformément à tous.
Le président : Quelqu'un peut-il arriver avec 500 000 $?
M. Burns : On peut se présenter avec un million de dollars.
Le président : Cela se produit-il?
M. Burns : Oui, à l'occasion, des gens le font, il y a des joueurs importants. Mais, encore une fois, les règles sont appliquées de façon uniforme. Ce sont les mêmes. L'industrie est aussi tenue de déclarer les déboursements auprès du CANAFE. Si vous vous présentez au casino, que vous mettez 10 $ dans une machine à sous et que vous gagnez 100 000 $, une déclaration indiquant que le casino vous a versé 100 000 $ sera présentée au CANAFE. Par rapport aux déboursements, peu importe la somme que vous avez misée pour gagner cet argent, on présente une déclaration. Si l'argent est entré, il peut y avoir une déclaration sur les opérations douteuses — et on vous a aussi décrit de quelle façon on surveille le jeu —, mais il y a aussi de l'argent qui sort. Par exemple, certains peuvent accueillir 39 millions de visiteurs par année à leurs installations. En moyenne, le montant dépensé par un joueur serait de moins de 100 $. La grande majorité des gens vient jouer pour se divertir, mais certaines personnes aiment jouer davantage et...
Le président : Je ne parle pas de la grande majorité. Je parle du segment supérieur de l'ensemble. Quelqu'un peut-il se présenter avec 100 000 $? Cela est-il déjà arrivé?
M. Burns : Oui.
Le président : Un demi-million ou un million de dollars dans une mallette? J'aimerais simplement le comprendre. Arrive-t-il à l'occasion que quelqu'un se présente à un casino avec un million de dollars en espèces?
M. Ramm : Je ne sais pas s'il y a déjà eu quelqu'un qui est arrivé avec un million de dollars en espèces, mais je peux vous assurer que si c'était le cas, on le remarquerait immédiatement.
Le président : Sans aucun doute, mais c'est possible.
M. Ramm : Oui. Notre organisme de réglementation a établi une limite pour les mises, mais pour ce qui est de la somme d'argent qu'une personne dépense pour jouer, il n'y a pas de limite réelle prévue dans la loi ou la réglementation.
Le sénateur Moore : J'ai une question complémentaire à celle qu'a posée le président. Ce même joueur pourrait-il arriver avec un chèque certifié au montant d'un million de dollars?
M. Ramm : Oui. Nous remarquerions tout de même ce joueur. Il s'agit d'un joueur très inhabituel. Comme M. Burns l'a indiqué, en Ontario, le montant habituel dépensé par joueur est bien en deçà de 1 000 $. Les joueurs qui dépensent plus que cela se font remarquer, pour diverses raisons.
Le sénateur Ringuette : À l'instar du sénateur Tkachuk, j'ai une certaine naïveté par rapport aux casinos. L'an dernier, combien de déclarations avez-vous présentées au CANAFE sur des situations que vous considériez comme douteuses?
M. Ramm : Il y a différents chiffres à cet égard. Dans l'ensemble, en Ontario — ce sont les seuls chiffres que je peux vous donner —, nous avons probablement présenté 50 000 ou 60 000 déclarations, ou un peu plus, pour les transactions d'importantes sommes d'argent en espèces, les déboursements de casino et les transactions douteuses, comme le prévoit la loi.
M. Burns : À l'échelle du pays, il y en aurait probablement entre 120 000 et 150 000.
Le sénateur Ringuette : Parmi les événements que vous avez déclarés au CANAFE, êtes-vous au courant de cas où cela aurait entraîné la tenue d'enquêtes?
M. Ramm : À ma connaissance, en ma qualité de directeur de la SLJO, il n'y en a pas eu. Ma carrière au sein du CANAFE me donne un autre point de vue, mais je ne suis pas autorisé à en parler. Je sais que lorsque je travaillais au CANAFE, on nous a communiqué des informations sur des casinos. Je ne suis pas en position de faire des commentaires quant à savoir si on a vraiment enquêté sur ces cas.
M. Burns : On nous a dit qu'il y en a eu l'occasion; toutefois, je ne sais pas si cela concernait des cas précis ou si cela faisait partie d'un stratagème ou d'un mécanisme plus complexe visant à déplacer de l'argent.
Dans la chaîne de déclaration, notre rôle est de nous assurer que les données sont recueillies et envoyées au CANAFE, où elles seront traitées et analysées.
Le sénateur Ringuette : J'avais en tête qu'un simple citoyen peut aller au casino et miser 100, 200 ou même 1 000 $, mais ensuite, je pense à tous les paris qui se font en ligne.
Vous avez longuement parlé des problèmes liés à la réglementation. Il y a les sites de jeu à l'étranger qu'aucun pays ne peut réglementer ou même retracer. Vous dites que nous avons besoin de mesures législatives adéquates; je suppose que vous parlez du jeu en ligne. Que faut-il inclure dans nos pour pouvoir enquêter?
M. Ramm : Comme je l'ai dit dans mon exposé, les exigences du cadre réglementaire actuel liées au devoir de diligence à l'égard de la clientèle dans le monde virtuel, ou ce qu'on appelle les transactions à distance, sont extrêmement lourdes et nuisent au commerce électronique. Cela s'applique aux casinos en ligne, aux services bancaires en ligne et à tout ce qui touche le commerce légitime en ligne.
Le cadre réglementaire qui est entré en vigueur en 2008, je crois, est extrêmement complexe. Selon le genre de compte que vous ouvrez, vous devez choisir deux options parmi les sept qui sont offertes et certaines d'entre elles exigent la présentation de documents ou une copie notariée de votre permis de conduire. Au XXIe siècle, ce genre de règlement cause plus de tort que de bien au commerce légitime. Cela aide-t-il vraiment les organismes d'application de la loi ou le CANAFE à suivre la piste de l'argent? Étant donné mon expérience, je dirais que ce n'est pas le cas.
Pour suivre la piste de l'argent, découvrir quelles sont les personnes concernées et savoir quels sont les comptes en cause, en particulier dans le monde virtuel, on peut recueillir d'autres renseignements qui seraient beaucoup plus utiles pour le CANAFE et les organismes d'application de la loi. Pour les organismes d'enquête, ce sont des renseignements beaucoup plus utiles que de demander à un avocat — qui pourrait ou non être de connivence avec le client — d'authentifier une copie du permis de conduire du client.
M. Burns : Loto-Québec, la British Columbia Lottery Corporation et Loto Atlantique offre toutes aux joueurs la possibilité d'ouvrir des comptes en ligne. Puisque la loi prévoit qu'elles ne peuvent accepter que les paris des citoyens de leur province, le processus d'ouverture d'un compte comporte une vérification de l'adresse et de l'identité.
Le deuxième volet du système, c'est qu'on ne peut retirer son argent que par l'intermédiaire d'une banque canadienne. On a établi les modalités pour le retrait de l'argent, et cela consiste à le transférer à une banque canadienne ou, pour les lots importants, à se présenter en personne avec des pièces d'identité adéquates. En vertu de la structure qui a été créée, il est impossible de demeurer anonyme. On a créé un système rigoureux qui retourne l'argent dans le régime bancaire canadien.
Les Canadiens dépensent beaucoup d'argent à l'étranger; c'est de l'argent qui sort du pays. Les entreprises de jeu en ligne établies à l'étranger rapportent que leurs revenus en provenance du Canada s'élèvent à plus d'un milliard de dollars. Certaines banques permettent maintenant l'utilisation de cartes de crédit sur ces sites, mais il est aussi possible de transférer des fonds par voie électronique par l'intermédiaire de comptes PayPal, par exemple. Donc, c'est important.
Les Canadiens aiment les produits de jeu offerts en ligne et ils adoptent la technologie très rapidement. La nécessité de s'assurer que les lois suivent le rythme rapide de cette évolution a été un défi pour tout le monde, tandis que celui de l'industrie du jeu est de satisfaire aux besoins de ses clients en leur offrant des produits qui répondent à leurs critères.
Le sénateur Ringuette : Plusieurs témoins nous ont dit que les organisations criminelles qui cherchent à blanchir de l'argent veulent aussi tirer profit des produits de la criminalité. Je suis désolée de vous le dire, mais j'ai toujours été d'avis qu'il est plus probable que les gens qui vont au casino n'en ressortiront pas avec des profits.
Pouvez-vous nous brosser un tableau de la façon dont on blanchirait de l'argent par l'intermédiaire d'un casino?
M. Ramm : Si un malfaiteur se rend dans un casino avec l'intention de blanchir de l'argent, il ne cherche probablement pas à réaliser un profit. Son objectif est probablement de procéder à l'affinage des coupures. Dans le trafic de stupéfiants, par exemple, on a tendance à retrouver de petites coupures. Donc, les trafiquants cherchent à alléger cette charge, parce qu'un million de dollars en billets de 20 $, c'est très lourd. Si vous transportez un million de dollars en billets de 100 $, le poids n'est plus que d'un cinquième. Il veut peut-être convertir cet argent de coupures de 20 $ à des coupures de 100 $. Ils espèrent peut-être sortir du casino avec un chèque pour que la provenance de l'argent paraisse légitime. Ainsi, lorsqu'ils iront à la banque et qu'on leur demandera d'où provient l'argent, ils pourront dire qu'ils l'ont gagné au casino.
Voilà les deux principales méthodes qu'utilisent les criminels pour essayer de blanchir de l'argent dans les casinos. Comme nous l'avons mentionné, M. Burns et moi, le degré de surveillance que l'on observe dans les casinos et le fait que le genre de transactions qui peuvent être faites dans les casinos est limité nous facilitent la tâche quand il s'agit de détecter le comportement ou les transactions qui ne sont pas habituels pour des gens qui viennent au casino pour jouer et pour le plaisir.
M. Burns : Une des choses qu'il faut savoir, au sujet des casinos — et ils sont entourés d'un certain mystère et d'une histoire qui est propre à l'industrie —, c'est qu'il s'agit d'un secteur hautement réglementé et que la surveillance y est rigoureuse. Nous cherchons constamment à nous améliorer et nous sommes déterminés à satisfaire aux exigences et à nous assurer que les déclarations sont faites. Le rôle des casinos n'est pas d'arrêter les criminels. Nous croyons comprendre que nous présentons les rapports et les dossiers et que nous apportons notre contribution. Certaines personnes peuvent présumer que nous sommes un refuge et ce n'est pas le cas. Nous n'encourageons pas cela. C'est tout le contraire. On surveille le jeu. Dans ces installations, toutes ces choses sont monnaie courante.
Nous sommes conscients des importantes sommes d'argent qu'attirent les banques et d'autres bureaux de change de devises, et nous prenons la question très au sérieux. On a fait une surveillance étroite, et en raison du passé de notre industrie, nous prenons la question très au sérieux, et c'est en partie grâce à notre transparence et à notre réglementation solide que nous réussissons. Si nos clients ne pensent pas que c'est équitable et sûr, ils ne viendront pas. Nous travaillons tous les jours pour nous assurer d'avoir la confiance de nos clients.
Le sénateur Greene : À mon avis, ce ne serait pas très difficile — et ce n'est pas que j'ai l'intention de l'essayer — de blanchir 5 000 $ ou 6 000 $ dans un casino et 5 000 $ ou 6 000 $ dans un autre, et cetera, et de blanchir 100 000 $ au cours d'une semaine.
Je me demande si vous avez quelque chose à dire à ce sujet.
M. Ramm : Nous donnons une formation approfondie à notre personnel, y compris les caissiers, les croupiers et les préposés aux machines à sous. Nous les formons de façon à ce qu'ils s'attendent à certaines choses. Nous avons mis en place des systèmes de surveillance analytique pour détecter des comportements. Je pense que le montant d'argent ne passerait pas inaperçu, même si la personne est allée dans un casino et ensuite dans un autre, surtout si c'est dans la même province, qu'il s'agisse de l'Ontario, du Québec et de la Colombie-Britannique. Compte tenu de la formation que reçoit le personnel, et étant donné qu'on leur dit de détecter certains comportements et types de transactions et de les signaler — je ne dirais pas qu'on ne les détecte jamais —, il est fort probable que ce type d'activités soit détecté.
Le sénateur Greene : Les casinos communiquent-ils entre eux tous les jours au sujet de ce type d'activités?
M. Ramm : Oui. La SLJO est responsable de 27 établissements de jeux. Pour ce qui est des exploitants privés, ils ne communiquent pas beaucoup entre eux, mais la société des loteries, comme la SLJO, possède toutes les données sur le joueur, et nous y avons accès.
Le sénateur Greene : Je vais vous poser une question qui ne se pose probablement pas.
Monsieur Ramm, vous avez beaucoup d'expérience dans le domaine. Je me demande si vous pouvez enlever votre chapeau de directeur un instant et répondre à ma question. Si vous étiez un blanchisseur d'argent et que vous aviez de l'argent à blanchir, comment vous y prendriez-vous? Le feriez-vous dans un casino, une banque ou chez une compagnie d'assurance, ou que feriez-vous? Quelle méthode est moins risquée pour un blanchisseur d'argent?
M. Ramm : Pour ce qui est de la méthode moins risquée, en toute honnêteté, et ce n'est pas parce que c'est mon employeur actuel, mais je pense qu'un casino n'est pas un bon endroit pour blanchir de l'argent. Je ne suis pas en train de dire que cela ne se produit pas. Comme M. Burns l'a dit, il y a des gens qui essaient de le faire, mais je dirais que les casinos et, dans une certaine mesure, les institutions financières, comme les banques sous réglementation fédérale, représentent un risque élevé et ne sont donc pas de bons endroits pour blanchir de l'argent. Cela ne veut pas dire que cela ne se produit pas.
Si j'étais un criminel et que j'avais beaucoup d'argent à blanchir, je me servirais d'entreprises moins réglementées ou qui ne sont pas visées par les dispositions législatives sur les produits de la criminalité.
Le sénateur Greene : Pourquoi un casino représente-t-il beaucoup de risques pour un blanchisseur d'argent?
M. Ramm : Je vais parler du cadre législatif du Canada. Si l'on examine le cadre concernant les produits de la criminalité et les entreprises qu'il vise, l'industrie du jeu et le secteur bancaire sont des secteurs qui investissent beaucoup de ressources, qu'il s'agisse de gens, d'argent ou de logiciels, pour détecter et signaler des comportements suspects.
Un criminel ne veut pas nécessairement aller dans un secteur qui investit beaucoup de ressources pour pouvoir l'attraper, mais plutôt dans des entreprises qui ne sont pas assujetties au cadre réglementaire ou qui lui attachent assez peu d'importance, même si elles y sont assujetties. Le criminel voudra se servir de ces entreprises, car il sait qu'il y a moins de risques que des renseignements soient signalés au CANAFE ou transmis à la police.
Le sénateur Greene : Concernant la première question que j'ai posée au sujet d'un criminel qui blanchirait 5 000 $ ou 6 000 $ dans un casino ou dans un autre, comment suivriez-vous sa trace étant donné que le montant établi par le CANAFE est de 10 000 $?
M. Ramm : Ce n'est pas un secret, car en Ontario, nous sommes tenus par la loi, la Loi sur la réglementation des jeux, de commencer à faire le suivi des transactions à partir de 2 500 $. Nous commençons à surveiller les transactions d'argent à partir de 2 500 $. Je ne sais pas s'il en est ainsi dans toutes les autres provinces, mais encore une fois, je ne peux parler que de l'Ontario.
M. Burns : Il y a une période de 24 heures à respecter, donc en moins de 24 heures, le CANAFE exige que les organisations tentent de grouper et de comparer les activités d'une personne en moins de 24 heures également. Cette exigence existe déjà et les casinos le font.
En fait, dans la plupart des cas, si la personne a un comportement suspect, on le déclare pour chaque transaction.
Le sénateur Moore : Monsieur Ramm, combien y a-t-il de casinos privés en Ontario? Vous avez dit que vous êtes responsables de 27 établissements.
M. Ramm : Techniquement, aucun d'entre eux n'est privé. L'approche du Canada en matière de jeux est intéressante en ce que c'est illégal en vertu du Code criminel. Il est illégal de mettre sur pied une loterie, et l'article 207 établit quelques exceptions, y compris celle permettant aux gouvernements provinciaux de mettre sur pied et d'exploiter une loterie. Techniquement, il n'y pas de casino privé.
Parce que des multinationales ont une expertise dans la gestion des activités quotidiennes du casino, nous donnons une partie des opérations en sous-traitance, nous la confions à des exploitants privés, mais nous sommes propriétaires des lieux et ils doivent nous rendre des comptes. Les casinos n'existeraient pas sans la Société des loteries et des jeux de l'Ontario.
Le sénateur Moore : Font-ils partie des 27?
M. Ramm : Oui. En Ontario, il y a actuellement quatre établissements.
Le sénateur Moore : Qui sont gérés par des exploitants privés?
M. Ramm : Oui.
Le sénateur Moore : Ce que vous avez dit au sujet du changement d'argent, lorsqu'une personne se présente avec des petites coupures, m'a intéressé. Y a-t-il des situations où vous ne changez pas l'argent? Si une personne se présente avec 2 500 $, c'est cela? Si elle entre avec 10 000 $ en billets de 20 $, allez-vous faire la transaction? Si oui, lui donnez-vous de l'argent liquide ou un chèque?
M. Ramm : Habituellement, nous échangeons de l'argent liquide contre de l'argent liquide. On peut ajouter une devise : par exemple, j'ai 5 000 $ en billets de 20 $ américains, et je veux 100 billets de 20 $ canadiens.
Nous n'avons pas de politique qui interdit cela, mais nous le signalons. Tous les cas de gens qui changent d'importantes sommes d'argent seront signalés. Je sais que nous avons discuté de ce qu'« importants » signifie. Cela dépend de la situation, car une somme importante pour l'un de nos établissements qui fait partie d'un grand complexe de villégiature ne correspondra pas à une somme importante pour l'un de nos établissements situés en zone rurale. Nous n'avons pas de règle absolue sur la somme que nous refusons de changer. Toutefois, nous nous réservons le droit de ne pas faire la transaction; si nous ne nous sentons pas à l'aise de la faire, nous pouvons tout simplement refuser de faire la transaction.
Le sénateur Moore : Une transaction de 9 000 $ serait-elle considérée comme suspecte?
M. Ramm : C'est une somme importante qui mérite notre attention, et ce, pour deux raisons. Premièrement, 9 000 $, c'est une somme plus élevée que ce qu'un joueur dépense en moyenne. Deuxièmement, elle est inférieure à la limite de 10 000 $. Notre personnel a reçu une formation qui les amène à se demander immédiatement si la personne tente d'éviter que le montant soit déclaré.
Le sénateur Moore : Vous avez tous les deux répondu à des questions portant sur le nombre de transactions suspectes que vous déclarez au CANAFE par année. Je crois que le sénateur Ringuette vous a posé une question à ce sujet.
Monsieur Ramm, vous avez dit qu'il y a entre 50 000 et 60 000 déclarations, et monsieur Burns, vous avez dit qu'il y en a entre 120 000 et 150 000.
Ces déclarations incluraient-elles 20 000 $ de gains légitimes? Les gains légitimes sont-ils également considérés comme suspects?
M. Ramm : Pas comme étant suspect, mais la déclaration...
Le sénateur Moore : Parce que le montant dépasse 10 000 $?
M. Ramm : Ce n'est pas comme aux États-Unis, par exemple. Si l'on examine le cadre réglementaire pour les casinos américains, ils n'ont pas à déclarer des gros lots légitimes. Gagner un gros lot légitime, compte tenu de l'élément de hasard...
Le sénateur Moore : C'est un jeu.
M. Ramm : Oui, c'est un gain. Les États-Unis partent du principe que s'il s'agit d'un gros lot légitime, il n'est pas nécessaire de le déclarer.
Le Canada a adopté un cadre général de sorte que chaque fois qu'un casino décaisse 10 000 $ ou plus, le montant doit être déclaré. Je dirais que la majorité des déclarations de décaissement que nous envoyons au CANAFE concerne des gens qui ont gagné légitimement des gros lots à une machine à sous ou qui ont joué à une table et ont gagné à un tournoi de poker, par exemple.
Le sénateur Moore : Pouvez-vous nous donner un pourcentage? Parmi les 50 000 à 60 000 cas que vous déclarez au CANAFE, quelle est la proportion de gains légitimes par rapport aux activités suspectes, criminelles?
M. Ramm : Je m'excuse; je n'ai pas de chiffres précis. Je vais vous donner un pourcentage approximatif, mais si l'on examine le nombre de déclarations de transactions suspectes, qui se comptent par milliers par année en Ontario, c'est plus de 80 p. 100. Cela veut dire que 80 p. 100 ou plus concernent des paiements légitimes pour lesquels on peut remonter aux sources légitimes, étant donné que les machines à sous sont électroniques.
Le président : C'est ce qui met fin aux questions. Au nom du comité, je vous remercie d'avoir comparu devant nous. Votre témoignage nous sera utile pour notre réflexion et nos délibérations.
Je vous remercie encore une fois.
(La séance est levée.)