Aller au contenu
OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 12 - Témoignages du 15 octobre 2012


OTTAWA, le lundi 15 octobre 2012

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 heures, pour faire une étude sur l'utilisation d'Internet, des nouveaux médias, des médias sociaux et le respect des droits linguistiques des Canadiens ainsi qu'une étude sur les obligations de CBC/Radio-Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles et de certains aspects particuliers de la Loi sur la radiodiffusion.

Le sénateur Maria Chaput (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, nous reprenons aujourd'hui, nos audiences publiques dans le cadre de l'étude des obligations de CBC/Radio-Canada en vertu de la Loi sur les langues officielles et de certains aspects particuliers de la Loi sur la radiodiffusion. Le comité a déjà entendu plusieurs témoins dans le cadre de cette étude.

Je me présente, je suis la sénatrice Maria Chaput du Manitoba, présidente du comité.

Avant de présenter le témoin qui comparaît aujourd'hui, j'invite les membres du comité à se présenter.

Le sénateur Mockler : Bonjour, je suis Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Champagne : Bonjour, je suis Andrée Champagne, sénateur du Québec.

Le sénateur Poirier : Bonjour, je suis Rose-May Poirier, sénateur du Nouveau-Brunswick

Le sénateur Fortin-Duplessis : Bonjour, je suis Suzanne Fortin-Duplessis, sénateur du Québec.

Le sénateur McIntyre : Bonjour, je suis Paul McIntyre, sénateur du Nouveau-Brunwick.

Le sénateur De Bané : Bonjour, je suis Pierre De Bané, sénateur du Québec

Le sénateur Charette-Poulin : Bonjour, je suis Marie Poulin, sénateur du Nord de l'Ontario.

Le sénateur Tardif : Bonjour, je suis Claudette Tardif, sénateur de l'Alberta.

Le sénateur Robichaud : Bonjour, je suis Fernand Robichaud, sénateur de Saint-Louis-de-Kent au Nouveau- Brunswick.

La présidente : Merci. Je souhaite à tous et à toutes la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des langues officielles. Je souhaite également la bienvenue à M. Réjean Beaulieu, qui comparaît devant nous aujourd'hui.

Monsieur Beaulieu vit dans l'Ouest canadien depuis plus de 30 ans. Il a mené, entre 2004 et 2009, le blogue contre- médias contre-culture du Canard réincarné. Il avait alors présenté à un comité parlementaire le mémoire intitulé Le rôle d'un radiodiffuseur public au XXIe siècle en milieu minoritaire.

Il a accepté de comparaître devant le comité aujourd'hui, pour reprendre ce mémoire à la lumière de l'étude de ce comité. Monsieur Beaulieu demeure généralement connu de la Francophonie institutionnelle canadienne comme une des rares voix de dissidence.

Merci, monsieur, d'avoir accepté l'invitation de comparaître devant le comité. Vous avez sept minutes pour faire votre présentation. Les sénateurs suivront avec des questions.

Réjean Beaulieu, à titre personnel : Madame la présidente, honorables membres du comité, je vous remercie de votre invitation à comparaître. C'est une belle surprise, cinq ans après la présentation de mon mémoire.

Je dispose de sept minutes pour fournir un bref aperçu du mémoire antérieur, d'une mise à jour depuis sa publication et des propos d'ouverture concernant la reconnaissance du contexte minoritaire ainsi que de la pertinence des nouveaux médias. C'est une grosse commande.

Reprenant le résumé exécutif du mémoire de 2007 :

Le diffuseur public demeurera le principal fil de survie linguistique et culturelle en situation minoritaire pour une génération de « Digital Natives » et « Digital Migrants » complètement bilingue et intégrée à son contexte minoritaire. Les défis à relever dans un environnement médiatique de participation Web 2.0 sont cependant immenses. Les résultats préliminaires de désengagement des francophones de leurs médias en l'absence de réglementation sur les services nouveaux médias ont précipité leur dérive et assimilation. Le diffuseur public doit assumer une part importante de responsabilité pour le manque flagrant de présence Net des francophones en situation minoritaire. Le rôle du diffuseur public au XXIe siècle sera ainsi mieux éclairé.

Des changements fondamentaux d'attitude de la part de l'organisme de réglementation et du diffuseur public incluant tout le personnel — ligne et direction — seront nécessaires pour relever les défis du changement de paradigme que représente le Web 2.0 dans le but de réengager quotidiennement les francos de situation minoritaire au français.

Une reconnaissance de besoins fondamentalement différents doit être pleinement réalisée et l'organisme de diffusion se doit de mieux refléter ces besoins pour mener une reprise des francos en situation minoritaire. Le Web 2.0 permet de nouvelles formes de regroupement et le diffuseur public doit dorénavant les faciliter plutôt que d'y faire entrave.

Je reprends ici quelques points du mémoire pertinents pour votre étude.

La génération des « digital natives » — -vs- digital migrants — est plus médiatisée que jamais pour mieux se connecter et gérer tout ce qui se passe. N'oublions pas que ces médias [...] impliquent maintenant la participation, i.e. lire et écrire, parler et écouter, poser et voir! Or les médias des francophones vivant en situation minoritaire sont particulièrement sclérosés du côté français à moins que l'on décide de vivre avec des médias des majorités franco, i.e. le Québec et la France où on ne se reconnaît cependant pas. Construire ou simplement maintenir une identité franco dans un tel environnement est à peu près impossible.

Un véritable partage d'une « conscience et une identité nationales » ne se fera que si les contextes minoritaires et majoritaires sont mieux compris et reconnus; le contexte minoritaire est hautement métissé anglais/français et cela est généralement très mal reconnu pour des raisons de rectitude linguistique; cette carence contribue au désengagement des francos métissés qui se reconnaissent mal.

La structure de gouvernance de la CBC/Radio-Canada doit adéquatement reconnaître le contexte minoritaire et ne plus le diriger à partir d'un contexte majoritaire avec du personnel provenant exclusivement de ce contexte, i.e. le personnel de ligne, le personnel de direction, l'ombudsman, le panel des régions, ainsi que le personnel de l'organisme de réglementation. Le Web 2.0 impose une redevabilité accrue, de la transparence et un engagement citoyen avec ce qu'on appelait traditionnellement un « auditoire » dans un monde de « broadcasting »; les retards du diffuseur public sont notables en contexte minoritaire et doivent être reconnus avec un plan d'action pour remédier à une structure de gouvernance dysfonctionnelle

Cet énoncé fut rédigé en 2007.

Les contenus en contexte minoritaire devront sensiblement s'améliorer pour rejoindre les francos qu'ils ne rejoignent plus, bien souvent; les statistiques Web devraient être publiées et utilisées comme indicateurs de performance pour rejoindre un marché Web 2.0 qu'on espère « en émergence »; le diffuseur public ne partage aucunement ces données, cela sans aucune raison légitime [...]

L'auditoire en contexte minoritaire doit être réengagé et les choix de programmation et contenus régionaux devraient être davantage établis en concertation avec cet auditoire dans le but de le réengager et même de lui laisser contribuer une part des contenus; dans un tel contexte, un « animateur » devient un « modérateur » pour qui la fonction principale est de mettre en contexte une certaine information afin d'engager son auditoire à une participation active à l'image de la formule du blogue; une participation « passive » mènera au désengagement du franco vivant en situation minoritaire et de son assimilation.

Toujours aucun blogueur de milieu minoritaire en 2012 sur le site de Radio-Canada.

Le mémoire de 2007 n'avait suscité aucune couverture médiatique en 2007, que ce soit chez le diffuseur public, parmi les journaux communautaires ou encore au sein du réseau associatif. Deux journalistes de Radio-Canada en Colombie- Britannique s'étaient pourtant présentés. Le reportage qui s'en est suivi avait porté sur la prestation d'un autre participant, un directeur général par intérim du Centre culturel francophone de Vancouver et son commentaire sur le service de base du câblodistributeur — rien à voir avec l'étude.

J'ai, par la suite, déposé une plainte à l'ombudsman sur la base d'une couverture journalistique en conflit d'intérêts avec l'intérêt du public à être informé. L'ombudsman avait rejeté ma plainte invoquant l'argument de la liberté de la presse et le code d'éthique suivi par ses journalistes.

Le même argument avait été invoqué cinq ans plus tard, en 2012, sur une plainte que je déposais cet été aux deux ombudsmans du réseau au sujet de la couverture pathétique de cette consultation pancanadienne de Patrimoine canadien portant sur la Feuille de route. J'en appelais, encore une fois, à l'intérêt du public à être adéquatement informé sur un exercice qui est supposé mener à des engagements financiers de plus de un milliard de dollars sur cinq ans. Malgré une plainte similaire rejetée cinq ans plus tôt, lors de la consultation précédente, on s'est retrouvé, une autre fois, avec la situation absurde qu'un festival local de danse à claquettes générait plus de couverture que les visites de consultation de James Moore dans le Nord de l'Ontario. Que le retour d'un singe-écureuil au Zoo de Moncton générait plus de couverture que les séances de consultation d'un ministre conservateur dans les Maritimes. Que l'émission d'affaires publiques du pourtant excellent Désautels n'a osé couvrir cette consultation pancanadienne, le sujet des langues étant pourtant chaud au Québec. Que le réseau CBC a complètement ignoré cette consultation.

N'était-il pas dans l'intérêt du public de savoir, parmi autres, que la Feuille de route de 1,1 milliards de dollars n'a jamais fait l'objet d'un audit du vérificateur général? Que Patrimoine canadien avait entrepris durant la dernière année de grands changements en matière de langues officielles sans même attendre les résultats de cette consultation. Par exemple, ils ont retiré, à ma connaissance, le financement de certaines fédérations pour la gestion de l'entente Canada- Communauté.

Petit progrès en 2012 : le dernier ombudsman de Radio-Canada reconnaissait la bavure, indiquant que les choix de couverture relevaient strictement de la direction de Radio-Canada tous directement copiés en courriel cette fois-ci, le directeur de l'information Alain Cormier, le p.-d.g. Hubert Lacroix ainsi que le président du conseil d'administration. Personne n'a toutefois répondu, cautionnant donc cette carence de couverture; et ce, sous le regard de mon député Peter Julian, son collègue Yvon Godin aux langues officielles et le ministre James Moore ainsi que le commissaire aux langues officielles.

J'ai, par la suite, porté plainte auprès du commissaire aux langues officielles, invoquant que mon droit d'être informé sur un sujet important d'affaires publiques avait été brimé en français et en anglais. Cette dernière plainte était jugée non recevable parce que « l'acte ou l'omission d'une institution fédérale n'aurait donc pas enfreint l'esprit de la loi et l'intention du législateur ». Pas même signé par le commissaire, le plus haut officiel, avec un excellent salaire, d'excellents bénéfices, une pension, le plus haut officiel s'était défilé, cautionnant également la mascarade. Le commissaire n'a pas non plus utilisé son droit de commenter les affaires publiques importantes à son champ d'activité. Rappelons ici un financement annuel de près de 25 millions de dollars au commissariat.

Ce dernier épisode m'amène maintenant sur le sujet fondamental des agents du statu quo, sur l'esprit de la loi et de la mise en œuvre, le principal ajout à mon mémoire. Le reste de mon intervention sera de nature un peu technique, médias sociaux, et de moindre importance compte tenu des blocages actuels, là où le bât blesse depuis longtemps, peu importe l'ampleur des développements en matière de médias sociaux où le nombre d'études du CRTC, du commissaire aux langues officielles, de comités parlementaires et sénatoriaux.

Je ne suis pas un législateur, mais je ne crois aucunement que ceux qui ont jadis œuvré sur ces lois permettraient que cette consultation sur les langues officielles ait été si mal couverte par le diffuseur public du côté français ainsi que du côté anglais. L'esprit de la loi ne permettrait pas non plus que le changement fondamental ayant cours dans notre environnement médiatique soit ainsi manqué en milieu minoritaire.

Oui, je pourrais signaler quelques améliorations récentes au diffuseur public, mais trop peu trop tard. Des dommages considérables ont été causés. Il faudra bien un jour reconnaître l'état des lieux. Vancouver, la troisième plus grande métropole canadienne, se retrouve ainsi depuis plus d'un an sans aucun journal/média communautaire francophone sans que personne ne s'en offusque, alors que les journaux et radios communautaires pullulent dans toutes les autres langues. Personne n'a osé publiquement poser la question. Pourquoi donc une situation aussi absurde? Je vous la pose aujourd'hui.

Je peux terminer mon mémoire à ce moment-ci et répondre aux questions en utilisant mes notes.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur. J'aimerais vous faire remarquer que les sénateurs ont une copie de votre mémoire devant eux. Ils sont donc en mesure de le lire ou poser des questions s'y rapportant, s'ils le désirent.

Nous allons maintenant passer aux questions. Dans un premier temps, un premier tour de table.

Si nous consacrons environ sept minutes par sénateur pour la question et la réponse, cela devrait nous prendre une heure. Ensuite, si on veut faire un deuxième tour, on pourra utiliser 30 minutes de plus, si vous le désirez. La première question sera posée par la sénatrice Fortin-Duplessis.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci, madame la présidente. Monsieur Beaulieu, j'ai eu le plaisir plus tôt de vous serrer la main, soyez le bienvenu devant notre comité. Cela nous fait toujours plaisir d'avoir des témoins comme vous, qui connaissent bien leur affaire. Je vais vous poser des questions assez brèves.

Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez du rôle de la télévision comme médium? Croyez-vous que ce médium a de l'avenir ou devrions-nous investir ailleurs, par exemple du côté du Web ou encore dans les médias sociaux?

M. Beaulieu : Je dois reprendre la métaphore de hockey de Wayne Gretzky qui disait ceci :

[Traduction]

Je patine dans la direction où la rondelle se trouvera, pas dans la direction où elle se trouve.

[Français]

Pas là où la rondelle était, mais là où elle va. Kai Nagata, un jeune francophile défendait, dans l'initiative récente de Reimagine CBC, exactement le même argument : il faut arrêter d'investir tellement en télévision, en productions visuelles. Les gens n'ont plus l'attention pour regarder de longues productions audiovisuelles. Il faut tourner la page. Il restera toujours de la place pour les médias traditionnels, papier, télévision, mais il faut que les nouvelles énergies, les nouveaux investissements se dirigent où va la rondelle.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je voudrais savoir, selon vous, quelles mesures législatives et réglementaires amélioreraient la présence francophone sur le Net hors Québec, freineraient ou ralentiraient l'assimilation des prochaines générations francophones vivant en milieu minoritaire?

M. Beaulieu : Je ne suis pas sûr que le cadre législatif soit la façon d'opérer en 2012. Le cadre législatif, c'est là où la rondelle était. Cela va prendre du leadership, des gens comme Hubert Lacroix ou M. Cormier, des gens comme le président du conseil d'administration, qui envoient des messages — le commissaire aux langues officielles aussi, et j'en oublie. Cela va prendre du leadership. Je ne crois pas que la solution soit au niveau légal. Je crois simplement qu'une solution au niveau réglementaire ne ferait que faire empirer les choses.

La présidente : Dans votre mémoire, monsieur Beaulieu, lorsque vous parlez de la pertinence des nouveaux médias, vous dites :

Les milieux majoritaires comprennent mal les nouveaux besoins de regroupement des milieux minoritaires.

Ce n'est pas une surprise, nous le savons tous, mais comment pourrait-on renverser la vapeur? Comment pourrait- on faire autrement? Avez-vous des éléments de solution à nous suggérer?

M. Beaulieu : Il faut réengager la démocratie et la francité des gens. Les francophones hors Québec s'assimilent dans toutes les métropoles canadiennes. Ils le font souvent parce qu'ils sont dispersés. On ne peut plus se regrouper facilement de façon physique. Je pense que les premiers regroupements se font de plus en plus, maintenant, de façon plus virtuelle, que ce soit des regroupements de couples ou de communautés. Les communautés d'intérêt peuvent prendre place dans des nouveaux espaces — là où la rondelle va. C'est vraiment là qu'il faut se diriger. Il faut que le diffuseur public facilite cela et n'y fasse pas entrave.

La présidente : À un moment donné, dans votre mémoire, vous avez aussi parlé — comme vous le voyez, j'ai eu le temps de lire — du désengagement des jeunes francophones en milieu minoritaire, et du fait que tous ces nouveaux médias n'aidaient pas nécessairement à ce qu'ils se réengagent. Pouvez-vous nous en dire plus? Je trouve cela inquiétant aussi.

M. Beaulieu : Nos jeunes sont souvent le reflet cruel des plus vieux. Si les plus vieux ne montrent pas le meilleur exemple, cela n'aide pas. Souvent j'entends parler du poids qu'on fait peser sur nos jeunes. Nos jeunes ont beaucoup d'angoisse à vivre en 2012. Je pense que notre génération a du travail à faire. Peut-être que dans le passé, moi par exemple, je n'ai pas assumé mes responsabilités en tant que francophone et je crois que maintenant il faut mieux les assumer.

Le sénateur Charette-Poulin : Merci beaucoup monsieur Beaulieu d'être ici. Vous arrivez de Vancouver, je sais que vous avez voyagé aujourd'hui même. Quand je regarde votre engagement sur l'importance d'une présence francophone vivante, partout au pays, je vous admire énormément, car je pense que c'est un engagement qui est authentique, constant et très réel. Pour nous c'est extrêmement important de vous avoir comme témoin crédible devant notre comité. Je vous en remercie.

Je voudrais faire suite à la question de ma collègue. Vous dites que vous ne voyez pas l'importance de faire des changements dans le cadre législatif pour la législation qui est vraiment, comme on dit en anglais, the enabling legislation; c'est-à-dire le fondement de notre radiodiffuseur public, qui est un organisme financé publiquement.

Vous dites que ce qu'il faut, c'est du leadership. Si, demain matin, M. Lacroix vous appelait — le président de CBC/ Radio-Canada — et vous disait : « Monsieur Beaulieu, on a entendu dire que vous avez beaucoup d'idées pour nous sur la façon de vraiment s'assurer que les nouveaux médias, dont le Web 2.0, reflètent mieux la vie francophone partout au pays », quelles seraient vos trois principales recommandations?

M. Beaulieu : Je crois que je demanderais à tous les administrateurs de Radio-Canada et de CBC de faire leur chemin de Damas, de commencer à bloguer, de commencer à s'engager activement dans les médias sociaux, de susciter l'intérêt d'un auditoire, particulièrement hors Québec, et d'essayer de le comprendre.

Le sénateur Charette-Poulin : En bloguant individuellement, vous voulez dire?

M. Beaulieu : Par exemple, oui. Hubert Lacroix, à ma connaissance, n'a pas blogué dans le passé et ne tweete pas. L'exemple vient de là.

Le sénateur Charette-Poulin : C'est donc une question d'engagement personnel.

M. Beaulieu : Absolument. Si ces gens-là, à ce niveau-là, ne s'investissent pas dans ces choses, les gens aux niveaux en-dessous vont suivre cet exemple; ils voient qu'on ne doit pas s'investir dans ce domaine et il faut suivre l'ordre des choses. Je crois que c'est la chose la plus fondamentale. L'exemple doit venir d'en haut.

Le commissaire aux langues officielles a finalement, récemment, ouvert un compte Twitter, il y a deux semaines seulement. Je l'embêtais avec ça depuis près de deux ans, il l'a finalement fait. Est-ce qu'il écrit ses tweets lui-même? Je ne sais pas. Je sais que M. Graham Fraser génère de grands rapports tous les ans; je ne sais pas s'ils sont lus, mais je pense qu'il y aurait une meilleure valeur ajoutée s'il se limitait dans ses interventions. Le fait, par exemple, qu'il n'ait pas commenté la consultation aux langues officielles récemment est pour moi une situation aberrante.

Le sénateur Charette-Poulin : Est-ce que cela veut dire, à ce moment-là, que ce que vous recommandez c'est l'engagement individuel, personnel, des employés actuels de la société Radio-Canada? Par exemple, à Vancouver, il y a une équipe radio et télé — il y a peut-être 50 employés du côté français à Vancouver.

M. Beaulieu : Je sais que le Téléjournal a une longue liste d'employés; si vous allez sur leur site Web, il y a 50 employés sur l'équipe du Téléjournal.

Le sénateur Charette-Poulin : Ce sont ces gens que vous aimeriez voir comme blogueurs?

M. Beaulieu : L'exemple doit venir de plus haut, le directeur de la région de l'Ouest, le directeur de la station. Ce sont les gens qui doivent montrer cet exemple, des gens qui doivent participer à notre démocratie, qui doivent écrire des courriers de lecteurs — en tant que citoyens et non comme porte-parole d'un organisme. On a des infrastructures, on a des organismes, mais on n'a pas de citoyens. La coquille est vide. Pour la remplir, cela va prendre des gens qui vont s'affirmer, qui vont dire des choses pour intéresser et mobiliser les gens, pour montrer que tout cela est réel.

Le sénateur Charette-Poulin : Si un employé de la Société Radio-Canada blogue ou tweete pour une présence francophone, croyez-vous que cela puisse soulever un problème de conflit d'intérêt?

M. Beaulieu : Il y a certainement le danger du publireportage, c'est quelque chose qui n'est pas nouveau, on le voit déjà dans nos médias à l'heure actuelle. On essaie de nous vendre quelque chose, une idée, quelque chose à acheter, à aller voir, et cetera. Nos médias sont de plus en plus pollués, pas seulement en milieu minoritaire.

Tous les médias sont pollués et il faut commencer à les nettoyer. Oui, il y a un danger de dérive. La beauté du Web 2.0, c'est que si tu dis une niaiserie, tu vas te faire corriger. Ces gens n'ont pas vraiment de motivation à prendre ces risques et se faire corriger.

C'est beaucoup plus facile de laisser les jeunes travailler. Par exemple, il y a énormément de nouveaux arrivants francophones dans l'Ouest canadien. Ils observent la façon dont fonctionnent les plus vieux qui ne s'investissent pas dans ces technologies. Alors pourquoi est-ce que nos nouveaux arrivants devraient le faire? Si j'étais dans leurs souliers, je ferais la même chose. Mais je ne suis pas dans leurs souliers.

Le sénateur Poirier : Monsieur Beaulieu, merci d'être ici ce soir. Au cours de la dernière année, le comité sénatorial a reconnu l'importance d'appuyer la production de contenus en français en ligne, que ce soit sur Internet, dans les nouveaux médias ou dans les médias sociaux. Selon vous, est-ce que, à cet égard, les radiodiffuseurs publics jouent bien leur rôle présentement?

M. Beaulieu : J'utilise souvent la métaphore « mettre la charrue devant les bœufs » dans le sens que pour produire des contenus télévisuels, il faut d'abord que les francophones soient engagés dans la francité, qu'ils s'y s'intéressent.

On peut bien produire des contenus audiovisuels à ce moment-ci, mais je ne suis pas certain dans quelle mesure ils seront consommés. Il y a aussi le fait qu'on ne voit pas le nombre de clics, on ne sait pas combien de personnes consultent ces contenus. Je crois qu'il faut actuellement réengager le citoyen dans la francité du milieu minoritaire. C'est la priorité.

Pour moi, les affaires publiques sont fondamentales. Donc, le fait qu'il n'y ait pas d'intérêt pour la consultation en langues officielles est une aberration.

Le sénateur Poirier : Diriez-vous que c'est le plus gros défi en matière d'utilisation du développement des nouvelles technologies?

M. Beaulieu : Si on produit des trucs sur lesquels les gens ne cliqueront pas, quelle est l'utilité d'en produire?

Le sénateur Poirier : Pour les années à venir, quelles seraient vos recommandations pour aider les radiodiffuseurs publics à respecter leurs obligations linguistiques?

M. Beaulieu : Encore une fois je me répète. Il faut réengager le public. Ce n'est pas facile de réengager des francophones en milieu minoritaire qui ont vécu en anglais pendant 10 ans, 20 ans, 30 ans. Ce n'est pas facile.

Le sénateur Poirier : Selon votre expérience personnelle, de quelle façon CBC ou SRC pourraient-ils améliorer ses services offerts aux francophones de la Colombie-Britannique?

M. Beaulieu : J'aimerais que CBC reconnaisse le fait qu'il existe une francophonie hors-Québec. Souvent on blâme Radio-Canada Montréal, le Pont Champlain, et cetera, mais je vais me porter à la défense de Radio-Canada qui couvre les affaires publiques des anglophones du Québec. Au moins ils les couvre, ils les reconnaissent. Peut-être que c'est toujours plus vert dans le jardin du voisin et c'est ce que j'observe. À partir de Vancouver, j'entends des voix anglophones au Québec, sur la radio francophone de Radio-Canada.

Je disais plus tôt que CBC n'a absolument pas couvert la consultation sur les langues officielles. Mais est-ce que cette consultation existe seulement pour les francophones et que les anglophones ne devraient pas s'impliquer? Quel est le problème?

Dans un cas où je serais à la fois francophone et anglophone, ça voudrait dire que mon coté anglais serait complètement écrasé. Quand je vais sur CBC, j'aimerais qu'on me reconnaisse, mais je ne m'y retrouve pas. Mes enfants ne sont pas reconnus non plus. Malheureusement, il y a beaucoup de francophones qui s'expriment mal en français maintenant et qui vont sur CBC. Pourquoi on ne peut pas les rejoindre?

Le sénateur De Bané : J'ouvre une petite parenthèse. Quand vous parlez de la sensibilité du Radio-Canada français envers la communauté anglophone du Québec, je voudrais seulement vous dire que le comité a passé plusieurs mois à étudier les problèmes et les défis de la communauté anglo-québécoise.

Après avoir passé plusieurs mois à étudier cela ici, on s'est promenés au Québec pour les rencontrer. Ni ici, ni au Québec, ni la CBC ni la Société Radio-Canada n'a suivi cela. À la fin de votre document, vous suggérez des questions à poser au CRTC lors de l'étude du renouvellement des permis de CBC-Radio-Canada.

M. Beaulieu : Vous parlez de l'addenda, monsieur le sénateur?

Le sénateur De Bané : Je parle des questions suggérées. Si je comprends bien, la production, les animateurs, les recherchistes, tout cela est la vision d'un groupe majoritaire francophone situé à Montréal. Et on ne tient pas compte des besoins, des aspirations, des défis et des problèmes des gens dans chaque milieu où ils sont minoritaires. Est-ce que c'est cela en gros?

M. Beaulieu : Oui, absolument. Je souligne dans mon mémoire qu'à Montréal, la plupart des animateurs sur le réseau anglophone sont natifs de Montréal et connaissent bien le milieu. Ils sont beaucoup plus crédibles et ils peuvent rejoindre leurs spectateurs là où ils sont. Malheureusement, dans l'Ouest canadien ce n'est pas le cas.

Le sénateur De Bané : Moi ce qui me frappe, c'est que ces problèmes sont bien identifiés, ils reviennent régulièrement. La communauté acadienne a fait des études très poussées là-dessus, pour dire à quel point la production française ne tient pas compte de leur milieu. Et aussi— et cela se fait à travers tout le pays—, ils n'ont pas l'occasion de se voir et de s'entendre sur le réseau national. Ils ont cela à l'intérieur de la province, sur ce qui se passe chez eux, mais ne sont pas projetés sur le réseau national.

Ce problème est connu et il n'y a pas de progrès. Si vous allez devant le CRTC lorsqu'il étudiera tout cela, que pourrez-vous suggérer pour que finalement il y ait quelque chose qui se fasse? Je vais vous soumettre une idée. C'est que le service de radio et de télévision français et anglais soient tenu de déposer, à tous les mois, un rapport détaillé sur le contenu des émissions, quel était le sujet, quels sont ceux qui ont participé à le faire. Tant que cela ne sera déposé par la société, il sera très difficile de pouvoir porter un jugement.

Si on n'avait pas Statistique Canada, on ne pourrait pas fonctionner. Si la Banque du Canada n'avait pas ces économètres, elle ne pourrait pas fonctionner. À Radio-Canada, il n'y a pas de rapports détaillés qui montre le pourcentage de nouvelles sur le réseau national qui proviennent de la communauté franco-colombienne depuis trois mois. Ce n'est jamais rapporté.

Dans les questions que le CRTC pose au sujet du renouvellement, il dit vouloir avoir l'opinion du public. Mais comment doit-on s'y prendre pour s'assurer que CBC/Radio-Canada remplit bien son rôle?

M. Beaulieu : En 2012, encore une fois, la rondelle va vers les moteurs de recherche et l'étiquetage ou TAG en anglais. Les mots-cliques doivent être utilisés. Par exemple, je devrais être capable de regarder le mot-clique, frcb, utilisé par Radio-Canada. Il ne l'utilise pas.

Je devrais être capable de voir ce que cela a généré, le genre de « viralité » qu'on a observé par la suite, et cetera. C'est le genre de solution que je favorise plutôt qu'une solution plutôt vieillotte. Autrefois, le CRTC aurait considéré une solution un peu comme vous suggérez. Il y aurait des comptables, des « moines », qui tiendraient de grands cartables et essaieraient de comptabiliser les choses.

Je crois qu'en 2012, il faut utiliser davantage les moyens disponibles de Web 2.0. Le tag, Twitter. Le paradigme a changé fondamentalement. Le CRTC doit davantage travailler avec ce nouveau paradigme. Le réglementer est un grand défi, je le reconnais. Il faudrait au moins pousser le diffuseur public dans cette direction.

Le sénateur De Bané : Malheureusement, je ne suis pas à jour comme vous sur ces nouvelles méthodes de contrôle, mais je sais que si nous avions un document nous disant que l'an dernier, sur 365 jours, on a vu de l'activité de la communauté franco-colombienne durant deux minutes, je comprendrais cela. S'il y a des méthodes plus modernes pour collecter cette information, tant mieux. Actuellement, on ne l'a pas. Le rapport annuel de CBC/Radio-Canada ne comporte aucune statistique sur ces choses.

M. Beaulieu : Je suis tout à fait d'accord avec vous. Les statistiques pré-Web 2.0, les statistiques 2.0. Peut-être que la question à poser ici est : est-ce qu'on doit s'engager à produire de nouvelles statistiques dans un monde 2.0 ou est-ce qu'on doit s'investir dans le monde avant? Vous connaissez ma réponse à ce sujet.

Le sénateur Champagne : Bonjour, monsieur. Merci de nous faire l'honneur de partager ce que vous avez étudié pendant tant d'années.

Dans votre rapport de 2007, vous parliez du rôle important du diffuseur public pour assurer la survie linguistique, mais aussi culturelle dans le milieu minoritaire et également un peu partout au Canada. C'est probablement ce qui me rend le plus agressive face à CBC/Radio-Canada. Le côté culturel disparaît aussi. Vous parliez tout à l'heure de l'excellent Desautels. Si vous écoutez son émission jusqu'à la fin — il faut écouter le générique — vous découvrez qu'ils sont 14 à faire cette émission : Webmestre, assistant-Webmestre, recherchiste, assistant-recherchiste, assistant des assistants et tout est pour le Web.

M. Beaulieu : Je comprends.

Le sénateur Champagne : J'ai écouté la radio de Radio-Canada pendant presque quatre heures ce matin dans ma voiture. Je n'ai pas entendu un seul artiste. On nous demandait de répondre sur leur site Web, si on était ceci ou cela, mais il n'y avait pas un seul artiste. Il n'y a pas si longtemps, je vous dirais dix ans, en provenance des studios de Montréal entre Radio-Canada et la CBC, huit émissions par semaine étaient diffusées sur le réseau et faisaient connaître nos artistes partout au Canada dans tous les milieux, minoritaires et majoritaires. Nos artistes avaient l'occasion de se faire connaître et parce qu'ils avaient fait cette émission à Radio-Canada ou à la CBC, pouvaient obtenir un concert à Régina, Edmonton ou n'importe où, mais on diffusait la culture partout au Canada. Et pas plus qu'on diffuse en ce moment la langue, on ne diffuse pas non plus la culture et pourtant ce sont deux choses très importantes qui existent dans le mandat de la Société Radio-Canada et de la CBC.

Je veux bien écouter Desautels et me faire dire qu'ils sont trois Webmestres, mais cela ne fait pas travailler un artiste. À certains moments, je vous avoue que je deviens agressive face au Web. Cela a pris la place de ceux qui nous apportaient de la culture au Canada. J'aimerais avoir votre réaction à mon commentaire.

M. Beaulieu : Ce n'est pas une question facile. Je suis ingénieur de formation, alors il y a souvent de vielles technologiques et de vieilles pratiques qui sont remplacées par des nouvelles. Il y a toujours des gagnants et des perdants. Souvent on perd des choses et on le réalise trop tard.

Ce que vous signalez est tout à fait juste. Les cultures sont différentes maintenant. Je travaille avec des jeunes, je le vois. Il faut réussir à faire les ponts et il faut réussir à maintenir un sain équilibre. Ce n'est pas facile. Cela revient au leadership, je pense.

Le sénateur Champagne : On a sabré les budgets de Radio-Canada et de la CBC depuis plusieurs années. Un des secteurs qui a écopé énormément, est celui qui s'appelait Radio Canada International où les nouvelles canadiennes étaient diffusées partout dans le monde et on pouvait avoir des nouvelles de chez nous peu importe où nous nous trouvions. Radio Canada International avait aussi autre chose d'extraordinaire. On devenait producteur de disques. On enregistrait des compositeurs canadiens interprétés par des artistes canadiens. Tous ces disques se retrouvaient dans toutes les ambassades canadiennes à travers le monde. Évidemment, cela n'existe plus. Radio-Canada a décidé qu'elle ne voulait plus avoir de disques dans ses boutiques. Heureusement, elle a mis des petites annonces dans les grands quotidiens. Nous avons téléphoné pour demander si telle ou telle chose était encore disponible. On nous a répondu qu'il en restait un et on a demandé à ce qu'on la mette de côté pour nous. Il s'agissait de l'œuvre pianistique de Harry Somers. Cinq pianistes canadiens avaient joué toute l'œuvre pianistique de Harry Somers. Le disque avait gagné le Grand prix du disque canadien et personne n'en avait entendu parler. Maintenant, Radio-Canada n'a plus les disques. On ne peut même plus les acheter. On pourrait peut-être trouver une façon de les mettre sur le Web pour avoir droit à cette musique. C'est peut-être un endroit où le Web pourrait être utile, voir des concerts, voir l'ouverture de la grande salle symphonique à Montréal, même si on nous a mis des funambules et des acrobates au milieu de la neuvième symphonie de Beethoven, mais il s'agit d'une autre histoire. Le voir sur le Web ou à la télévision, c'est la même chose.

Moi, je veux bien fonctionner avec le Web, j'ai commencé très tard à envoyer des courriels. Là, je m'y retrouve un peu, mais je ne voudrais pas que la culture perde sa place parce que tout s'en va vers les Webmestres et jamais vers les artistes.

M. Beaulieu : Il s'agit d'un phénomène de société qui va au-delà du cadre de cette étude. On pourrait dire qu'il y a un « dégringolement » de la culture partout, en Europe, et cetera, et selon certains critères. Toutefois, il y a de nouveaux trucs qui apparaissent, alors c'est un grand sujet.

Le sénateur Champagne : Radio-Canada ne produit plus, elle achète des choses. Elle nous les diffuse ici et là, un concert en provenance du Luxembourg ou de la Belgique ou encore de la France. Mais ici, on ne fait plus rien et cela me préoccupe beaucoup.

M. Beaulieu : Vous comprenez que la quantité de productions, de contenus qui vient du milieu minoritaire alors que vous vivez en milieu majoritaire, n'est pas là.

La présidente : J'ai une question additionnelle qui fait suite à celles du sénateur Champagne. Est-ce que cela ne rejoint pas ce que vous avez dit à plusieurs reprises à l'addenda de votre mémoire lorsque vous parlez de l'importance de la pertinence des contenus? Est-ce qu'il n'existe pas un lien entre ce que le sénateur Champagne vient de mentionner au niveau de la culture et ce que vous dites ici?

M. Beaulieu : La pertinence des contenus est un autre grand sujet. Les lois du marché disent maintenant que si c'est cliqué, c'est que c'est bon. Le problème est que parfois les gens vont cliquer des choses pour des raisons de violence, de sexe et autres.

Il existe donc une balance, un besoin d'encadrement quelque part à savoir si l'on va cliquer sur des choses de valeur. Je pense qu'on a suffisamment de bon jugement pour savoir ce qui a une valeur et ce qui n'en a pas.

La présidente : Alors le nombre de cliques ne veut pas nécessairement dire que la pertinence du contenu est là? Tout dépend qui clique et les raisons pour lesquelles la personne clique, si je puis m'exprimer ainsi.

M. Beaulieu : Ce n'est qu'un indicateur parmi d'autres. Si on voit que les gens cliquent Lady Gaga ou peu importe, d'accord.

Le sénateur Tardif : Monsieur Beaulieu, vous avez indiqué dans votre mémoire, fort intéressant d'ailleurs, que le contexte minoritaire doit être pleinement reconnu par le diffuseur publique, et ce, bien au-delà de la reconnaissance des régions. Qu'entendez-vous par cela?

M. Beaulieu : Je regarde l'organisation de Radio-Canada. Radio-Canada reconnaît des régions telles le Saguenay, Ottawa et d'autres. Toutefois, elle ne reconnaît pas vraiment une partie du pays où les gens vivent dans un environnement anglophone. L'Ouest canadien est un exemple assez frappant à ce sujet. Les besoins sont très différents quand tous mes voisins sont anglophones, chinois, indiens ou peu importe. Je ne crois pas que Radio-Canada comprenne vraiment le rapport de ces gens avec le français.

N'ayant pas vécu dans ces environnements, j'ai de la difficulté à me faire informer par ces personnes, ou me faire encadrer, administrer ou gérer par des individus qui ne comprennent pas cet environnement pour ne jamais y avoir vécu.

Le sénateur Tardif : Je suis de l'Ouest canadien, de l'Alberta. Je comprends donc très bien les réalités dont vous parlez. Une de vos suggestions serait d'avoir davantage de personnes au niveau de la direction qui viendraient de ces milieux? Est-ce bien ce que vous suggéreriez? Ou auriez-vous d'autres suggestions?

M. Beaulieu : Souvent, l'argument qu'on invoque est lié à la qualité du français, à une expérience professionnelle de formation ou autre. Pour la personne qui tient le micro, on veut peut-être monter la barre. Toutefois, un exemple qui me frappe est celui des personnes qui font des choix de pupitre. Celles-ci n'auront pas nécessairement à avoir une maîtrise du français, mais plutôt une maîtrise de l'environnement dans lequel ces gens vivent.

Quand des gens de Vancouver font des choix de pupitre et qui ne comprennent pas l'environnement dans lequel je vis, cela me désole. Les individus qui font les affectations, par exemple, comme choix de reportage, pour ce que j'appelle de la malbouffe médiatique, cela m'embête. On a tellement peu de ressources disponibles, on doit les déployer adéquatement. Les seules personnes qui sauront comment déployer seront des gens qui ont l'expérience du vécu. Continuellement, on voit des personnes qui viennent se faire entraîner dans l'Ouest.

Le sénateur Tardif : Puis, on les ramène à Montréal.

M. Beaulieu : À Vancouver en particulier, c'est les montagnes, l'océan, la belle température, l'absence d'hiver. Ils viennent aussi pour apprendre l'anglais.

Le changement de génération est, bien sûr, une mentalité. Cela pose pour les gens peut-être de ma génération — quoi que je me considère assez jeune et je suis sur Internet depuis longtemps — certaines difficultés.

Le sénateur Tardif : Vous parlez aussi d'une structure de gouvernance dysfonctionnelle.

M. Beaulieu : Oui.

Le sénateur Tardif : Pourriez-vous clarifier?

M. Beaulieu : Parlons argent, parlons pouvoir, puisque c'est ce dont il s'agit. Quand tout l'argent, tout le pouvoir et ceux qui prennent ces décisions vivent dans un milieu majoritaire, toute l'organisation des choses devient telle que le milieu minoritaire n'est qu'une autre région. Souvent, j'entends le diffuseur public invoquer qu'il a besoin de financement pour s'occuper mieux de nos francophones en milieu minoritaire. Et aussitôt que le financement est accordé, Montréal tire la couverture, et on se retrouve finalement avec un retard.

Je prétendrais que, bien souvent, en milieu minoritaire on est les premiers à avoir de grandes mouvances de société qu'en milieu majoritaire. On les verra d'abord en milieu minoritaire.

C'est pourquoi il faut une espèce d'autonomie dans la gérance et la gouvernance de nos médias. Si mon ombudsman vient de Montréal, il ne me comprendra pas — quoi qu'il doit commencer à me comprendre, ayant persisté depuis si longtemps.

J'aimerais citer, à ce moment-ci, des propos de Winston Churchill que je lisais aujourd'hui, et qui se lit comme suit :

Le succès consiste à garder son enthousiasme échec après échec.

L'ombudsman de Radio-Canada me connaît très bien, et le précédent et celui en place. Ils savent que s'ils font des bêtises, je vais revenir et le directeur de ma station se penchera sur la question. Ils savent comment me toucher, comment m'atteindre.

Le sénateur Tardif : Avez-vous présenté votre mémoire à la personne responsable de Radio-Canada, par exemple, à Vancouver?

M. Beaulieu : On penserait que cela aurait eu lieu. J'ai déjà essayé de rencontrer cette personne. Non, il n'y a pas eu d'intérêt de l'autre côté. Il n'y a pas vraiment de motivation à le faire, et c'est dommage. Je crois toutefois qu'il suit mon Twitter très bien.

Le sénateur Robichaud : Monsieur Beaulieu, c'est bon de vous entendre. Vous avez mentionné à plusieurs reprises qu'il fallait réengager la communauté. Étant du Nouveau-Brunswick, province bilingue, je sais qu'on est censé recevoir les services dans les deux langues officielles. Il faut toutefois être vigilant continuellement, car si on ne l'exige pas, lorsqu'on appelle les institutions où on doit nous donner les services, on s'aperçoit qu'à un moment donné les services sont moins disponibles. Si on veut avoir une réponse en français, il faut alors attendre qu'on trouve quelqu'un qui puisse venir nous répondre. Souvent, plutôt que de perdre du temps au téléphone, on s'adresse en anglais.

M. Beaulieu : Je comprends le problème.

Le sénateur Robichaud : Vous comprenez que si on ne fait pas les efforts continuellement, les services se détériorent. Lorsque vous parlez de réengager, vous parlez de Radio-Canada. La communauté est-elle suffisamment engagée? Qui engage qui?

M. Beaulieu : La communauté a certainement une part de responsabilité. Le problème avec la communauté est le suivant, et j'en suis un exemple : pendant longtemps, j'avais ma famille, mes factures, ma job, mon travail et mes obligations. Je peux maintenant me permettre le luxe d'un engagement communautaire, et c'est ce que je fais.

Toutefois, certaines institutions sont supposées nous aider, et elles sont bien financées pour le faire. Or, quand ces institutions commencent à s'isoler, par exemple, en ne participant pas aux consultations en matière de langues officielles ou ne démontrent pas d'intérêt dans la francité, comment s'attendre à ce que même les plus motivés en milieu minoritaire suivent?

La communauté, bien sûr, a une part de responsabilité. Toutefois, présentement, je dirais qu'elle n'est pas dans un état. Elle est passablement désengagée. Je ne dirais pas apathique.

On me demande souvent pourquoi je mène ces chimères. C'est impossible. De toute façon, vis ta vie et tout va bien aller. C'est ce que la plupart des gens décident tôt ou tard. Les jeunes le voient et on ramasse les résultats.

Si on investit des sommes d'argent importantes comme 1,1 milliard de dollars pour cinq ans, on doit s'assurer que cet argent est bien utilisé. Nos payeurs de taxes s'attendent à ce qu'elles soient bien utilisées. Ils s'attendent à une vérification de la part du vérificateur général pour savoir comment cet argent est utilisé. Les citoyens de la francité devraient s'intéresser à savoir comment l'argent est dépensé. Ils ne sont pas en mesure de le savoir présentement.

Je creuse cela depuis longtemps et je n'ai pas réussi à déterminer comment le 1,1 milliard de dollars est dépensé aux cinq ans.

Le sénateur Robichaud : Vous y mettez beaucoup d'efforts, maintenez toujours une certaine pression et essayez d'impliquer votre communauté, cependant, avez-vous réussi, dans la communauté qui vous intéresse, à trouver de quelle façon les gens sont intéressés à recevoir les mêmes informations que vous cherchez, à savoir comment on utilise les fonds pour desservir la communauté qui doit être desservie?

M. Beaulieu : Les gens aimeraient le savoir. Le problème est qu'ils n'ont peut-être pas le luxe que j'ai de passer un temps considérable à creuser cela. Je ne m'attends pas à ce que mes amis soient aussi intéressés à cela que je le suis. Ils sont curieux. Ils reconnaissent que quelqu'un doit le faire. Souvent on est content que ce soit quelqu'un d'autre qui le fasse à notre place. Le problème, c'est l'épuisement. J'ai une autre vie également et d'autres préoccupations. Ma fille vient d'avoir un bébé, par exemple. Ma femme aimerait bien parfois que je tourne la page. J'imagine que vous pouvez tous comprendre.

Le sénateur Robichaud : Je n'en doute pas. Parce que c'est toujours ceux qui livrent des services et qui le font de façon à intéresser les gens en bout de ligne. Ils livrent ce que les gens veulent, des émissions populaires, mais peut-être pas l'information que certains groupes aimeraient recevoir.

Vous prenez l'exemple de Wayne Gretzky, qui ne va pas où la rondelle est mais où elle va. Comme tout joueur de hockey, il veut aller vers le filet de l'adversaire, mais il doit aussi tenir compte du fait qu'un autre groupe veut aussi l'envoyer de l'autre côté. Il n'est pas seul sur la glace.

C'est un peu notre situation. On aimerait tous jouer, mais il y a deux filets.

M. Beaulieu : J'ai une perspective différente sur le hockey. Je joue toujours au hockey et ce qu'un joueur observe, c'est où la glace est libre pour pouvoir prendre le plus de vitesse. Quand on a de la vitesse, on peut contrôler le territoire, la rondelle et, éventuellement, compter le but. J'applique cette métaphore à notre milieu.

Il y a des endroits où on peut patiner plus rapidement. On devrait mieux les occuper, mais il faudrait que la rondelle se passe. Et si la rondelle ne se passe pas, parce que les gens manquent la rondelle, c'est un problème. Personne n'est intéressé à regarder la partie, les médias non plus et les jeunes non plus. Alors, finalement, on passe au soccer.

Le sénateur Champagne : Il n'y a pas grand-chose à voir en ce moment.

M. Beaulieu : Les Sénateurs seront de retour bientôt, je crois.

Le sénateur Robichaud : Vous parlez à des gens qui suivent le hockey de près et ils ont peur que la saison de cette année soit très courte, mais cela n'a rien à voir avec ce qu'on fait ici.

Lorsque vous dites que le joueur va où la rondelle va, cela veut-il dire qu'on doive absolument se diriger vers les médias sociaux, les blogues, Facebook, etc? Je ne suis pas sûr combien de gens sont rendus là. Je ne devrais pas généraliser pour les gens de ma génération, mais je ne suis pas là. Est-ce que vous avez des idées à savoir qu'est-ce qu'on pourrait rejoindre?

M. Beaulieu : La raison pour laquelle Twitter est devenu si populaire, c'est qu'on peut mobiliser les gens. Lors du Printemps arabe, les gens, en utilisant Twitter et des textos, ont réussi à mobiliser d'autres gens.

Malheureusement, je ne connais pas d'autres façons de mobiliser les gens. Si on regarde les grands mouvements qu'il y a eus précédemment, tel le mouvement féministe, par exemple, Twitter n'existait pas. Le problème maintenant, c'est que les gens n'ont plus le champ d'attention qu'ils avaient ni le temps qu'ils avaient autrefois. Les gens ont souvent deux ou trois emplois, ils courent à gauche et à droite. Les gens ne sont pas disponibles comme ils l'étaient. Alors on doit composer avec les outils disponibles. Twitter, j'en suis sûr, amènera sa part de problèmes.

Je suis conscient des problèmes que chaque technologie amène. Chaque technologie amène toujours des problèmes terribles. L'idée est qu'on pense être capable de gérer cela.

Le sénateur Tardif : Lorsque vous reprochez aux diffuseurs publics de ne pas utiliser suffisamment les nouveaux médias afin de nous amener où est la rondelle, que voulez-vous dire?

M. Beaulieu : Par exemple, ils ne se diffusent pas correctement via Twitter et Facebook. Ce que j'ai observé, c'est qu'ils utilisent Facebook et Twitter comme un nouveau média de diffusion.

Le commissaire aux langues officielles fait pareil présentement. C'est un autre canal par lequel on peut envoyer d'autres messages, mais ce n'est pas l'idée de mobiliser les gens. On mobilise les gens en créant un environnement où les gens veulent revenir.

Le sénateur Tardif : Cela dépend du contenu diffusé, de sa pertinence?

M. Beaulieu : D'une part, cela prend la pertinence, on peut bien essayer de les diffuser, s'ils ne sont pas pertinents, ils n'iront nulle part. Ce que je leur reproche en ce moment, c'est qu'ils n'utilisent pas les mots-cliques adéquats, par exemple, s'ils ont un contenu d'intérêt qu'on pense être pertinent pour intéresser les gens aux langues officielles, non, ils ne l'ont pas fait. Présentement, ils opèrent sans stratégie numérique.

Je vais être positif ici pour l'Alberta. J'ai remarqué qu'en Alberta et en Ontario, dans certaines institutions, Radio- Canada, et le réseau associatif, ont commencé avec succès à établir une présence d'intérêt sur Twitter en utilisant simplement frab. C'est inspirant. Ils l'ont fait en Alberta et en Ontario. C'étaient des initiatives individuelles, de la part de gens qui travaillent pour ces associations et pour Radio-Canada. Ils ne l'ont pas fait en Saskatchewan, ni au Manitoba, ni en Colombie-Britannique. J'avais dit aux directeurs des stations de le faire.

À Vancouver, présentement, il y a un média qui s'appelle La Source/The Source, qui utilise frbc. Présentement, il y a deux utilisateurs de frbc, moi et La Source.

Si on avait une masse critique, cela deviendrait intéressant pour le nouvel espace mais il y a danger d'essoufflement.

Le sénateur Tardif : Vous croyez que c'est le rôle du diffuseur public de créer cet espace communautaire?

M. Beaulieu : Le diffuseur public occupe un espace absolument vital en milieu minoritaire. En milieu majoritaire, il ne l'occupe pas, parce qu'il y a une compétition. En milieu minoritaire, il n'existe aucune compétition, alors ils peuvent faire ce qu'ils veulent. Ils servent, selon moi, un peu comme à l'église autrefois, de perron. Il n'y a pas d'autres perrons pour se rejoindre. S'ils ne sont pas capables de servir ce rôle de rencontres sur le perron, il y a un problème.

La présidente : Vous dites que la diffusion ne se fait pas correctement, et ensuite vous parlez de la pertinence du contenu, ce sont deux choses qui doivent être étudiées en parallèle.

Si on apprend à diffuser correctement, mais que la pertinence du contenu n'est pas là, qu'elle ne reflète pas la réalité des communautés francophones, à titre d'exemple, en situation minoritaire, l'un ne va pas avec l'autre, n'est-ce pas?

M. Beaulieu : Laissez-moi ajouter quelques commentaires additionnels sur la pertinence des contenus. Je suis, depuis longtemps, un organisme du nom de Adbusters, qui est un peu contre les médias. Ils ont identifié que partout en Amérique et ailleurs nos environnements médiatiques sont devenus pollués par essentiellement les vendeurs, de sorte qu'on est continuellement bombardés par ce qu'ils appellent la malbouffe médiatique. Ils ont mené une campagne qui s'appelle Media Carta dans le cadre de laquelle on doit nettoyer notre environnement médiatique.

Pour notre diffuseur public, la malbouffe médiatique est du remplissage de temps d'antenne inutile comme, par exemple, les faits divers.

Dans un milieu minoritaire on a, à Vancouver, la meilleure personne, un excellent journaliste, qui fait une merveilleuse chronique internationale. Le problème est qu'il prend du temps d'antenne précieux. Or, je préférerais entendre ce chroniqueur sur le temps d'antenne de Montréal, car sa chronique internationale est absolument excellente.

De la bonne bouffe médiatique est donc vraiment quelque chose qui nourrit l'esprit et qui fait penser. Quand les pages Web, le contenu radio ou télévision sont utilisés pour remplir la page, pour avoir le financement, il existe maintenant un écart. C'est pourquoi il est si important d'être capable de mesurer la pertinence de ces contenus. Le Web devrait le permettre de façon vraiment utile.

Le sénateur McIntyre : Monsieur Beaulieu, je vous ai écouté attentivement. Ce qui me préoccupe énormément dans votre présentation, c'est le manque d'intérêt de la part des francophones hors Québec. Il est vrai que le diffuseur public a fait certaines améliorations mais, comme vous l'avez mentionné dans votre mémoire, les conséquences sont réelles. Vous citez, dans votre mémoire, l'exemple de Vancouver. Vous dites :

Vancouver, la troisième plus grande métropole canadienne se retrouve ainsi depuis plus d'un an sans aucun journal/média communautaire francophone sans que personne ne s'en offusque alors que les journaux et radios communautaires pullulent dans toutes les autres langues. Personne n'a osé publiquement poser la question : pourquoi donc une situation aussi absurde?

Et je suis d'accord : pourquoi? Comment se fait-il que personne ne se soit offusqué face à cette situation incroyable?

M. Beaulieu : J'ai découvert une chose récemment, en milieu minoritaire. Je demeure tout de même un Québécois et j'ai ce caractère un peu « baveux », d'une certaine façon. Je vis en milieu minoritaire depuis 30 ans. J'ai découvert, après une longue période de temps, ce qu'on appelle en milieu minoritaire « les non-dits ». Les non-dits, c'est ainsi que les minorités ont survécu dans le passé. Devant une situation de pouvoir, quand on se trouve en dessous, on ne dit rien, il y a certaines choses dont on ne parle pas. Des hommes de théâtre, tels Jean-Marc Dalpé, en ont fait tout un style littéraire. Pour nos médias, cela pose un défi incroyable. Comment un média peut-il rejoindre son auditoire si la colle qui garde tout ensemble est ce qu'on appelle les non-dits? Autrefois, peut-être que ce principe fonctionnait. Maintenant, le non-dit trouve un espace du côté anglais peut-être.

Il n'y a pas de solution facile. Je pense qu'il faut reconnaître le problème, arrêter de porter des lunettes roses et utiliser les nouvelles technologies, utiliser ce qui fonctionne en Alberta ou dans le Nord de l'Ontario.

J'aimerais mentionner le site Web de tagueule.ca, un merveilleux Webzine des jeunes dans la vingtaine en Ontario. Félix et Christian, bonjour. J'espère que vous m'écoutez. Ils ont fait un excellent travail, diffusé sur Twitter et sur Facebook. Toutefois, les appuis n'ont pas été là. Les contenus étaient pertinents, à mon avis, mais il n'y a pas eu suffisamment de soutien de la part, par exemple, du milieu associatif. Je crois que la FCFA aurait dû les louanger, peut-être contribuer du contenu, participer et même soumettre des commentaires. Ainsi, le site tagueule.ca se retrouve présentement presque abandonné.

Aujourd'hui, j'ai remarqué un truc, qui résultait de l'intervention du sénateur De Bané, tout récemment, au sujet des radios et de Radio-Québec. C'était repris dans tagueule.ca aujourd'hui, après une pause sur ce site depuis trois bonnes semaines. J'espère que ces gens reprendront. Le problème est le suivant : il faut mieux appuyer les gens qui brassent la cage. Et ceux qui ne brassent pas la cage, il faut arrêter de les financer.

Le sénateur McIntyre : Le sénateur Robichaud parlait de vigilance, et je suis d'accord avec lui qu'il faut être de plus en plus vigilant non seulement d'une façon individuelle mais collective face à cette situation.

Le sénateur Mockler : J'aimerais premièrement vous féliciter, monsieur Beaulieu, pour votre pèlerinage canadien. Il y a certainement un constat qui vient de se faire chez nous, dans l'Atlantique. Le nouvel animateur de Télé-Acadie fait beaucoup de travail avec Twitter, Facebook et même YouTube. Il est présent. Lorsqu'on regarde le soir, si une actualité touche la péninsule acadienne, le Nord-Ouest du Nouveau-Brunswick, le Sud-Est ou même l'Atlantique, il invite les gens à se rendre sur le site de Twitter, enclencher et s'engager.

J'ai lu attentivement ce que vous nous avez présenté et j'ai obtenu de l'information, en fin de semaine. Même en voiture, j'ai parlé à des gens au téléphone qui ont des objectifs comme les vôtres — ce n'est pas moi qui conduisait. Ces personnes me disaient, « mais dites-moi qui est ce M. Beaulieu ». J'ai entendu parler de vous. J'ai eu l'occasion de parler avec d'autres intervenants qui m'ont dit « Percy, c'est une personne comme les gens qu'on a vus en Acadie, que ce soit les Gervais, les Pelletier, les Godin et autres; l'Université de Moncton, son rôle avec les médias sociaux », et n'oublions pas les Robichaud — pour ne pas oublier notre premier ministre, et plusieurs autres.

Je ne veux pas poser la même question qui a déjà été posée. Supposons que vous vous trouviez, demain matin, installé dans le fauteuil du capitaine de Radio-Canada, du CRTC ou de la CBC, et que, en onde, vous deviez enclencher l'utilisation des médias sociaux et les faire connaître réellement afin de protéger les minorités. Vous l'avez dit tout à l'heure, et c'est vrai, et j'ai entendu un sénateur qui disait qu'on n'a pas d'anglophones, même ici. Dans le milieu minoritaire, que ce soit anglophone ou francophone, que feriez-vous pour enclencher le tout?

Si je vous dis, « Réjean, tu as ici 30 minutes ». Dites-moi ce qu'on peut faire pour faire avancer vos idées et revendications depuis 30 ans?

M. Beaulieu : J'ai fait cet exercice au mois de juin. Nous étions au début de l'été, c'était peut-être un temps inopportun. J'ai dit pourquoi ne pas tenir des états généraux sur l'état de nos médias sur Twitter? On ne créera pas des états généraux où les gens prennent l'avion et on prend une éternité. Pourquoi ne pas avoir une rencontre virtuelle sur Twitter où les gens pourraient créer une espèce de synergie et une reconnaissance, un espace à partir duquel commencer à travailler. Ce moment critique arrivera, mais malheureusement je n'ai obtenu aucune réponse.

Le journal La liberté a publié mon courrier du lecteur où j'avais lancé l'invitation, à la suite du déboire d'un journal papier au Manitoba, qui avait perdu son financement et criait panique, en disant pourquoi ne pas avoir des états généraux Twitter en utilisant frcanouest.

Je porte mon chapeau de l'Ouest canadien. Nos problèmes dans l'Ouest sont bien partagés. La direction de Radio- Canada était bien sûr invitée mais je n'ai pas eu de réponse de leur part.

Alors à quelque part, M. Hubert Lacroix devrait proposer à M. Sylvain Cormier et aux autres de faire une rencontre Twitter au sujet de, je ne sais pas, frcan, par exemple, frcanmedia.

Une fois que ce message sera envoyé, imaginez la puissance que cela aura parmi tous les gens qui cherchent de nouveaux endroits pour s'investir. Nos immigrants et notre jeunesse, par exemple. Présentement, ces messages ne sont pas envoyés, alors c'est la dérive.

Le sénateur Mockler : Je suis d'accord avec vous mais je crois qu'il faut faire plus que cela.

M. Beaulieu : Un pas à la fois. Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Avant d'aspirer à aller sur la planète Mars, il faut aller d'abord sur la lune. Et avant d'aller sur la lune, il faut d'abord orbiter autour de la Terre. Il faut donc être modeste dans nos ambitions, il faut avoir une direction, il faut du leadership, il faut reconnaître l'état des lieux.

Ici, ce que j'entends continuellement c'est qu'on ne reconnaît pas l'état des lieux. Les gens pensent que tout va bien, il y a plein de nouveaux immigrants qui arrivent et des francophiles qui découvrent le français. Et pendant ce temps, le noyau constitué par nos francophones s'effrite et les francophiles se demandent où sont les francophones.

Le sénateur Mockler : La fin de semaine dernière j'étais avec des jeunes. Parmi ces jeunes, il y avait des anglophones, des francophones et des personnes bilingues. Je leur ai demandé s'ils envoyaient des tweets et s'ils clavardaient.

Si on n'essaie pas de corriger le tir, pensez-vous qu'on met la langue en danger? Surtout avec le langage qui est utilisé lors des sessions de clavardage ou sur Twitter.

Je demandais aux jeunes — qui étaient francophones, des Acadiens et même des Québécois — ce que voulait dire ce qu'ils écrivaient. Ils utilisent beaucoup de symboles, d'abréviations pour réussir à partager ce qu'ils veulent dire. Mais il y avait aussi beaucoup d'anglicismes d'utilisés.

M. Beaulieu : Je comprends ce que vous voulez dire. Je pense qu'il faut faire confiance à nos jeunes, leur montrer de beaux exemples en matière d'usage pertinent du français. Si Twitter est un média de 140 caractères, quel est le problème s'ils utilisent des raccourcis? Je ne vois pas de problème à se limiter pour partager une version courte d'une idée puissante.

Je verrais un problème si on devait écrire un mémoire. Mais avant de courir, il faut marcher, et pour marcher, il faut s'intéresser, il faut reprendre intérêt à la langue, et cetera.

Le sénateur Mockler : Est-ce que cela pourrait contribuer davantage à assimiler nos groupes minoritaires dans certaines régions?

M. Beaulieu : Il y a toujours un aspect négatif et un aspect positif à chaque changement de société. Les personnes plus âgées disent toujours aux jeunes de ne pas faire cela ni cela, et la première chose qu'on apprend c'est que les jeunes le font. Il faut montrer l'exemple et les jeunes suivront.

Parlant de langage, quand Michel Tremblay a introduit le joual au Québec, les gens disaient que c'était effrayant. Il y a pourtant eu une reprise de l'intérêt du français qui a suivi. Les gens ont évolué après le joual. Et c'est tant mieux.

Le sénateur Fortin-Duplessis : M. Beaulieu, quand vous dites que la population est désengagée, est-ce une façon polie pour vous de nous dire que la population francophone hors Québec est sur le chemin de l'assimilation et que Radio- Canada contribue à cette assimilation en ne jouant pas son rôle?

Personnellement, en tant que Québécoise fédéraliste, je trouve que Radio-Canada divise le pays, alors que son but premier est de l'unifier. Cela a été son mandat. Le mandat premier de Radio-Canada a été l'unification du pays. Actuellement, ce n'est pas ce qui se passe.

Ce que l'on vit actuellement à Québec, c'est que Radio-Canada, de façon habile et sournoise, fait la promotion de l'indépendance du Québec.

Est-ce que, pour vous, utiliser le mot « désengager » est une façon polie de dire que la population francophone hors Québec est en train de s'assimiler?

M. Beaulieu : Ce n'est pas moi qui l'invente. Les statisticiens de Statistique Canada le remarquent depuis longtemps. Plus on est loin du Québec et des grands centres francophones, plus on s'assimile rapidement.

Ce qui est particulier avec la Colombie-Britannique, c'est un endroit où les gens sont libres, la côte Ouest, les gens sont plus indépendants. Alors un francophone indépendant y est encore plus vulnérable.

Est-ce que Radio-Canada divise le pays? Je dirais que CBC également le divise. Je crois que CBC et Radio-Canada doivent être repensés. Il y a des murs incroyables entre ces deux organismes. Selon moi, les gens de CBC devraient être parfaitement bilingues et l'idée qu'une nouvelle soit différente des deux côtés du réseau est étrange, inacceptable.

Le site Web de Radio-Canada et celui de CBC sont complètement différents. Je pense que les syndicats sont peut-être différents des deux côtés. Ce sont les agents du statu quo. C'est une autre histoire sur laquelle je pourrais longuement continuer.

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je suis très déçue par Radio-Canada.

La présidente : S'il n'y a aucune autre question des sénateurs, monsieur Beaulieu, j'aimerais vous remercier très sincèrement de votre comparution, du document que vous nous avez remis ainsi que de vos réponses à nos nombreuses questions. Il n'y a aucun doute que vous êtes engagé, vous croyez en ce que vous faites. Je vous remercie et vous souhaite bon succès dans vos futures entreprises.

M. Beaulieu : Je vous remercie beaucoup, cela a été une magnifique expérience de vous voir aujourd'hui. Peut-être qu'à l'avenir, on communiquera ensemble sur Twitter.

La présidente : Merci beaucoup, honorables sénateurs. La séance est levée.

(La séance est levée).


Haut de page