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RPRD - Comité permanent

Règlement, procédure et droits du Parlement

 

Délibérations du Comité permanent du
Règlement, de la procédure et des droits du Parlement

Fascicule 2 - Témoignages du 5 juin 2012


OTTAWA, le mardi 5 juin 2012

Le Comité permanent du Règlement, de la procédure et des droits du Parlement se réunit aujourd'hui à 10 heures pour examiner d'autres affaires et, conformément à l'article 86(1)(d)(i), pour étudier les modifications au Règlement du Sénat.

Le sénateur David P. Smith (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bienvenue au Canada, à notre Parlement et au Comité permanent du règlement, de la procédure et des droits du Parlement.

Je dois vous faire quelques confessions. Tout d'abord, j'ai été en Afrique de l'Est environ cinq fois, principalement au Kenya. J'ai été en Tanzanie, une fois, mais je m'y suis rendu clandestinement. Je me promenais dans le Serengeti, à bord d'une Jeep, avec un homme d'affaires canadien très accompli qui venait de Mombasa. Tout à coup, il me dit : « Nous sommes maintenant en Tanzanie, tu sais; nous sommes trop loin pour aller au poste frontière. » C'était en 1988. Je dois retourner en Tanzanie, mais cette fois-ci, il faut que ce soit de manière légale.

J'aimerais souligner qu'un de nos membres les plus compétents — et cela m'a fait mal au cœur quand elle a perdu son siège, lors des dernières élections — Yasmin Ratansi est née en Tanzanie et fut une députée qui a travaillé d'arrache-pied et qui est membre de la communauté ismaïlienne. Je souhaite le préciser et vous le mentionner.

J'ai cru comprendre que vous aimeriez entendre des parlementaires canadiens vous parler du travail que nous faisons. J'ai quelques remarques liminaires à faire, puis nous entrerons dans le vif du sujet. La première chose que nous allons aborder est le mandat général du Comité permanent du règlement, de la procédure et des droits du Parlement. Je m'efforcerai d'être bref. Tout d'abord, notre mandat consiste à proposer des modifications au Règlement du Sénat, modifications qui seront examinées par le Sénat. Les changements ne peuvent entrer en vigueur que s'ils sont adoptés par le Sénat.

En revanche, notre comité ne nécessite pas d'ordre de renvoi du Sénat pour faire des recommandations au Sénat, en vue de modifier le Règlement. Il s'agit là du premier volet de notre mandat.

Le deuxième volet vise à examiner et à faire rapport sur toute question de privilège. Pour que nous le fassions, le comité requiert un ordre de renvoi du Sénat pour examiner ces questions de privilège. À ce sujet, nous ne faisons pas faire ce travail à la pige.

Le dernier volet concerne l'examen des ordres et coutumes du Sénat et des privilèges du Parlement. Parmi nos activités les plus récentes — nous en sommes au tout dernier chapitre — citons un rapport qui recommande une révision majeure du Règlement du Sénat pour le rendre plus clair, plus cohérent et plus compréhensible. Le dossier est actuellement devant le Sénat. La Chambre va en traiter aujourd'hui en comité plénier. Je ne sais pas si vous serez présents, mais si c'est le cas, vous assisterez à cet exercice. Il s'agit d'une de nos activités qui existent depuis un bon nombre d'années. Nous approchons de la fin, d'ici deux semaines environ.

Le prochain point concerne le survol des privilèges parlementaires. On m'a suggéré de vous renvoyer à une citation d'Erskine May, qui définit le « privilège » comme suit :

... la somme des droits particuliers à chaque chambre, collectivement, [...] et aux membres de chaque chambre individuellement, faute desquels il leur serait impossible de s'acquitter de leurs fonctions. Ces droits dépassent ceux dont sont investis d'autres organismes ou particuliers. On est donc fondé à affirmer que, bien qu'il s'insère dans l'ensemble des lois, le privilège n'en constitue pas moins, en quelque sorte, une dérogation au droit commun.

Les privilèges des deux chambres du Parlement et des assemblées législatives provinciales du Canada et de leurs membres, individuellement : chaque chambre du Parlement et ses membres, individuellement, peuvent exercer leur privilège parlementaire. Les privilèges qui sont utilisés à l'encontre de l'État et de l'appareil judiciaire sont un des moyens de préserver la séparation des pouvoirs entre ces trois branches de gouvernement.

Vous avez l'État, à savoir le gouvernement, l'appareil judiciaire et les assemblées législatives. Le privilège repose sur le principe de nécessité et seuls les privilèges qui sont nécessaires pour permettre au parlement et aux parlementaires de s'acquitter de leurs fonctions, à ce titre, seront protégés et à l'abri de l'ingérence des autres ordres de gouvernement.

Il me reste encore quelques points à aborder avant d'inviter les gens à poser leurs questions ou à faire leurs commentaires.

Un point très important est celui de la liberté de parole. La liberté de parole est fondamentale, tout comme l'immunité contre les poursuites en responsabilité civile pour diffamation, à la suite de déclarations faites lors de travaux parlementaires. Il s'agit là d'un débat animé qui revient de temps en temps. Parfois, un député — ou, à l'occasion, un sénateur — dit quelque chose en chambre et quelqu'un qui s'en offusque ou qui se sent insulté se lève et dit : « Je vous mets au défi de tenir les mêmes propos à l'extérieur de cette enceinte ». En d'autres termes, cela veut dire que si vous prononcez les mêmes paroles à l'extérieur de la Chambre, vous recevrez un avis d'intention de poursuite pour diffamation et calomnie.

En revanche, nous jouissons de l'immunité contre les poursuites en responsabilité civile pour diffamation, suite à des propos tenus lors des travaux parlementaires. Il y a aussi l'immunité contre les poursuites en responsabilité civile ou contre les poursuites qui seraient intentées contre les témoins qui comparaissent devant les comités, à cause de leur témoignage. En d'autres termes, s'ils sont invités à comparaître devant un comité parlementaire, ils jouissent de cette protection. Il arrive que des personnes qui ont un intérêt en jeu les mettent encore au défi de sortir de la salle et de tenir les mêmes propos, une fois de plus, car ils se feront poursuivre.

Il existe une autre façon de restreindre la liberté de parole, en invoquant la convention relative aux affaires en instance, c'est la règle du sub judice. Il s'agit d'une pratique généralement acceptée, voulant que les parlementaires s'abstiennent de commenter ou de débattre des affaires dont les tribunaux sont saisis, de manière à protéger la ou les personnes accusées qui sont traduites en justice.

Le point suivant est le droit dont dispose une chambre du Parlement de réglementer ses propres affaires, sans ingérence extérieure. Je vais faire quelques observations : le droit de prendre des mesures disciplinaires à l'encontre de ses membres; le droit de délibérer à huis clos; le droit de contrôler la publication de ses travaux et de ses débats; le droit de réglementer et d'administrer ses affaires dans son enceinte, notamment de nommer et de gérer le personnel; et le droit d'élaborer et d'administrer ses propres règles et procédures pour les débats et autres affaires.

Je pourrais vous citer plusieurs exemples, mais je m'en limiterai à un seul. En 2005, la Cour suprême du Canada a pris une importante décision dans l'affaire Canada (Chambre des communes) c. Vaid. Elle y a affirmé que les décisions de la Présidence sont à l'abri de tout contrôle judiciaire, car, sans cette immunité, une intervention de l'extérieur créerait des retards, des perturbations et des incertitudes et elle entraînerait des frais, paralysant les affaires de la nation.

Le droit de réglementer nos propres affaires est une compétence permettant de sévir contre toute atteinte au Parlement par ses propres membres. Chaque parlement a la compétence exclusive de discipliner ses membres quand leur conduite porte atteinte à la dignité ou à l'autorité de l'institution et chaque chambre est investie du pouvoir de prendre tout un éventail de mesures disciplinaires pouvant aller jusqu'à l'expulsion et l'interdiction d'exercer à l'avenir, en cas d'inconduite particulièrement flagrante. Il existe une affaire célèbre, à ce sujet, mais je ne vais pas m'y attarder.

Il est essentiel que les parlementaires soient à l'abri de l'ingérence des tribunaux pour la dignité et l'efficacité des deux chambres à mener leurs affaires. Pour sa part, le Parlement respecte la compétence du système judiciaire par le biais de la convention sub judice que j'ai mentionnée plus tôt, mais il s'agit uniquement d'une façon de préserver le respect mutuel entre les deux branches de pouvoir. Cela permet également de maintenir et de renforcer la séparation constitutionnelle des pouvoirs.

Je ne passerai pas grand temps sur l'immunité d'arrestation. Les parlementaires ne jouissent pas d'une immunité d'arrestation totale. En fait, pour être plus précis, les parlementaires au Canada ne jouissent pas d'immunité d'arrestation ou d'emprisonnement pour des infractions criminelles ou quasi criminelles, y compris pour outrage criminel au tribunal.

Ce ne sont là que quelques commentaires et un petit survol des questions dont traite notre comité. À ce stade-ci, je crois qu'il conviendrait d'enjoindre nos invités à faire des remarques liminaires qu'ils ont prévues. Ensuite, s'ils le souhaitent, ils pourront nous poser des questions sur certaines des questions que je viens juste d'aborder ou sur tout ce qui concerne ce domaine d'activités, au sein de nos chambres respectives.

Au nom de tous nos membres, j'aimerais vous souhaiter une très chaleureuse bienvenue au Canada.

Des voix : Bravo!

L'honorable Christopher Olonyokie Ole Sendeka, député, vice-président, Comité tanzanien sur les privilèges, l'éthique et les pouvoirs parlementaires : Monsieur le président et honorables sénateurs, je m'appelle Christopher Olonyokie Ole Sendeka et je suis vice-président du comité sur les privilèges, l'éthique et les pouvoirs parlementaires et je suis à la tête de cette délégation. Notre comité sur les privilèges, l'éthique et les pouvoirs est un des comités permanents qui a été mis sur pied par voie du Règlement du Parlement de Tanzanie.

Avant d'aller plus loin dans mes explications, monsieur le président, permettez-nous d'abord de saisir cette occasion pour vous remercier personnellement, ainsi que le Sénat du Canada, pour cet accueil cordial que nous avons reçu hier, à notre arrivée. Merci de nous accueillir ici, au Canada. Une fois de plus, c'est un grand plaisir pour nous d'être au Sénat pour acquérir une expérience pertinente, des connaissances et des compétences en nous inspirant de votre Chambre, ainsi que de la Chambre des communes, plus tard.

J'aimerais également vous présenter mes collègues. Je peux peut-être commencer à ma droite et leur laisser le soin de se présenter. Je me contenterai d'ajouter qu'il y a sept députés : trois de l'opposition et quatre du parti au pouvoir. Nous avons également la secrétaire du comité et un représentant de l'ambassade de la Tanzanie, ici, au Canada.

L'honorable Augustino Lyatonga Mrema, député, membre du comité, Comité tanzanien sur les privilèges, l'éthique et les pouvoirs parlementaires : Je m'appelle Augustino Lyatonga Mrema, je suis député et membre du comité.

L'honorable Said Amour Arfi, député, membre du comité, Comité tanzanien sur les privilèges, les pouvoirs et l'éthique parlementaires : Je m'appelle Said Amour Arfi, je suis député et membre du comité.

L'honorable Christine Ishengoma, députée, membre du comité, Comité tanzanien sur les privilèges, les pouvoirs et l'éthique parlementaires : Je m'appelle Christine Ishengoma et je suis membre du comité.

L'honorable capitaine John Chiligati, député, membre du comité, Comité tanzanien sur les privilèges, les pouvoirs et l'éthique parlementaires : Je m'appelle John Chiligati, capitaine à la retraite, et je suis membre du comité.

Joseph Sokoine, ministre plénipotentiaire, Haut Commissariat de Tanzanie : Je m'appelle Joseph Sokoine, je suis chef adjoint de la mission du Haut Commissariat de Tanzanie.

L'honorable Riziki Omar Juma, députée, membre du comité, Comité tanzanien sur les privilèges, les pouvoirs et l'éthique parlementaires : Je m'appelle Riziki Omar Juma. Je suis députée et membre du comité.

L'honorable Gosbert Blandes, député, membre du comité, Comité tanzanien sur les privilèges, les pouvoirs et l'éthique parlementaires : Je m'appelle Gosbert Blandes, je suis député et membre du comité. Je suis heureux d'être ici.

Yona Kirumbi, greffier du Comité tanzanien sur les privilèges, les pouvoirs et l'éthique parlementaires : Je m'appelle Yona Kirumbi, je suis assistant parlementaire et greffier du comité.

Le président : Nous allons peut-être prendre quelques minutes et faire de même, de notre côté. Je m'appelle David Smith et je suis président de ce comité. Je suis un député de l'opposition, membre du Parti libéral. Nous avons toujours une poignée de comités qui sont présidés par des membres de l'opposition. Je viens de Toronto et je représente l'Ontario. Dans ma jeunesse, j'ai été député et membre du Cabinet de M. Trudeau pendant un an, il y a bien des années.

Le sénateur Duffy : Je m'appelle Mike Duffy et je viens de l'Île-du-Prince-Édouard, la plus petite province du Canada. Je suis un ancien journaliste et je suis passé du côté politique il y a trois ans.

Le sénateur Stratton : Je m'appelle Terry Stratton. Je suis membre de ce comité. Je suis sénateur du Manitoba, province qui se situe en plein milieu du pays. Je viens d'une ville d'environ 650 000 habitants qui est considérée comme la ville de cette taille la plus froide de la planète; elle est réputée pour cela.

Je vous verrai également plus tard, car je siège également au Comité sur les conflits d'intérêts.

Le sénateur Fraser : Je m'appelle Joan Fraser. Je suis sénateur de Montréal, au Québec. Tout comme le sénateur Duffy, je suis une ancienne journaliste, mais j'ai fait le saut il y a 13 ans de cela.

Le sénateur Joyal : Je m'appelle Serge Joyal et je suis membre du Sénat et de ce comité. Auparavant, j'ai été député à la Chambre des communes et j'ai été ministre de la Couronne. Je suis avocat de profession et je me spécialise dans le droit relatif à l'administration publique et le droit constitutionnel.

Comme le sénateur Stratton, je suis également membre du Comité de l'éthique du Sénat. J'ai participé à la rédaction du Code régissant les conflits d'intérêts des sénateurs qui est en vigueur depuis sept ans maintenant. Je suis heureux de vous accueillir.

Le sénateur Braley : Je m'appelle David Braley. Je suis sénateur de l'Ontario. Je suis probablement le sénateur le plus récent, ici. Je suis ici depuis seulement deux ans et demi. En ce qui concerne mes antécédents, je suis un homme d'affaires et je siège à ce comité.

Le sénateur Comeau : Je suis le sénateur Comeau. Je viens de Nouvelle-Écosse, dans la partie Est du pays. Moi aussi, je suis un ancien député de la Chambre des Communes et ancien professeur d'université. C'est un plaisir de vous recevoir ici.

Le président : Merci, collègues.

À vous, monsieur le vice-président.

M. Sendeka : Monsieur le président, je saisirai cette occasion pour inviter l'honorable John Chiligati, qui est également ancien ministre de Cabinet et membre de notre comité, à expliquer brièvement l'objectif de notre visite et le rôle que joue notre comité, en vertu du Règlement de l'Assemblée nationale de Tanzanie.

M. Chiligati : Avec le consentement de la délégation, permettez-moi également de vous remercier, monsieur le président et honorables sénateurs, du chaleureux accueil que nous avons reçu, ce matin. Vous avez mis vos fonctions de côté pour nous recevoir; il s'agit d'un grand honneur pour nous. Merci beaucoup.

Notre mission au Canada vise à apprendre le plus possible à partir de votre expérience. Vous jouissez d'une vaste expérience, depuis 1867. Nous avons obtenu notre indépendance il y a 50 ans, seulement, et vous pouvez donc voir la différence entre la Tanzanie et le Canada, ainsi que l'énorme expérience que vous avez en matière d'affaires parlementaires. En Tanzanie, nous n'avons que 50 ans. Nous sommes venus tirer les leçons de vos expériences.

Tout d'abord, en Tanzanie, nous n'avons pas de seconde chambre. Nous n'avons que ce que vous appelez la Chambre des communes. Pour nous, le fait d'avoir un Sénat est nouveau et nous devons nous renseigner là-dessus. Nous pensons aux 50 années depuis notre indépendance et nous sommes en train de débattre de la possibilité de nous doter d'une nouvelle constitution. Pour cette nouvelle constitution, certains pensent qu'il faudrait une seconde chambre, à savoir un sénat. Il s'agit de quelque chose de nouveau, mais nous espérons pouvoir apprendre de vous. Nous n'avons ni sénateurs ni sénat dans notre pays, mais certains pensent que ce serait une bonne idée de créer également une seconde chambre, une chambre haute. Au cours de notre visite de trois jours, ici, au Canada, nous voulons notamment apprendre comment le Sénat fonctionne et comment ses membres sont choisis.

Chose la plus importante, nous venons, comme notre président l'a indiqué, du Comité sur les privilèges, l'éthique et les pouvoirs parlementaires. Nous sommes, pour la plupart, nouveaux à ce comité. Nous sommes également venus pour apprendre quelque chose sur la façon dont fonctionnent vos comités, surtout celui sur les privilèges et l'éthique. Il s'agit d'un autre domaine qui est nouveau pour nous et sur lequel nous aimerions apprendre.

Merci pour l'exposé que vous nous avez présenté ce matin. Je crois que notre tour est venu de vous poser certaines questions sur les points que nous aimerions voir éclaircir, car notre objectif est d'apprendre un maximum de choses, en très peu de temps. Soyez patients avec nous, car nous avons beaucoup de questions.

Le président : Allez-y, faites comme il vous plaît.

M. Chiligati : Avec la permission de notre chef de délégation, je commencerai par poser deux ou trois questions. Premièrement, admettons qu'un membre du Sénat ou de la Chambre des communes dise quelque chose et que quelqu'un, un citoyen — pas un autre député — en soit offensé. Quelles mesures le citoyen en question peut-il prendre? Existe-t-il un système quelconque de droit de réplique, un système qui lui permettrait de faire parvenir ses plaintes au président. Je pense à un citoyen qui s'offusquerait des propos d'un sénateur ou d'un député, en chambre, lors d'un débat.

Le président : Voulez-vous que nous répondions à vos questions, une après l'autre, ou bien voulez-vous toutes les poser avant? Que préférez-vous?

M. Chiligati : Une à la fois, peut-être.

Le président : J'ai indiqué que lorsqu'on prend la parole en chambre, on ne peut pas faire l'objet de poursuites, mais cela ne veut pas dire qu'une personne qui se sent offensée ne puisse pas soulever une question de privilège. Il n'est pas rare qu'on soulève une question de privilège, mais cela provoque ensuite toutes sortes de défis. Par exemple, une personne peut dire « Je vous mets au défi ou je vous lance un pari. Êtes-vous suffisamment culotté pour répéter cela à l'extérieur de cette enceinte? » En d'autres termes, ce que cela veut dire, c'est que si vous tenez ces propos à l'extérieur de la Chambre, je vous poursuivrai.

Le sénateur Stratton : Je crois que la question faisait référence à un membre du public qui serait dénigré par un parlementaire. Est-ce bien cela?

M. Chiligati : Oui.

Le sénateur Stratton : Cette personne peut avoir recours aux tribunaux, bien entendu, et à des lettres de menace, car même si les parlementaires disent qu'ils sont protégés en chambre, les gens peuvent toujours les menacer — et c'est ce qu'ils font. À mon sens, je ne crois pas que nous ayons de véritables recours.

Le sénateur Fraser : Cela vaut si les propos sont prononcés en chambre.

Le sénateur Stratton : S'ils sont prononcés en chambre, car il s'agit d'un privilège parlementaire, selon lequel un membre de cette chambre peut quasiment dire ce qu'il ou elle veut.

Le président : En réalité, nous avons vécu un incident de ce genre au cours des dernières semaines. Nous avons un Canadien très connu qui se nomme Conrad Black. Il est revenu au Canada et le chef du NPD, un parti de l'opposition à la Chambre des communes — qui n'est représenté par aucun sénateur — a tenu des propos que Conrad Black l'a mis au défi de répéter, à l'extérieur de cette enceinte. Cela revenait à dire : « Vous dites cela à l'extérieur de la Chambre et je vous poursuivrai ».

Le sénateur Stratton : Il s'agit du seul recours.

Le sénateur Joyal : Votre question est très complexe, car si un sénateur ou un député lance des accusations contre un simple citoyen, quelque part au pays — pas un autre sénateur ou un autre député — comme mes collègues l'ont précisé, les sénateurs et les députés sont protégés par une liberté de parole absolue à l'intérieur de l'enceinte du Sénat et de la Chambre des communes. Si vous êtes à l'extérieur, dans les couloirs, vous perdez cette protection.

Il s'agit d'un droit très ancien, car il remonte aux origines du Parlement, à l'époque où les premiers députés ont été élus. Il leur fallait être libres de dire tout ce qu'ils pensaient être juste et ne pas faire l'objet d'une intervention et de sanctions du Roi ou de la cour. Un juge pouvait lire le compte rendu des débats et imposer des sanctions ou des mesures disciplinaires contre les députés. La liberté de parole dans l'enceinte du Parlement doit être absolue pour qu'un citoyen élu soit libre de s'exprimer comme il l'entend.

Cela va même plus loin. Par exemple, il y a quelques années, l'Assemblée législative du Québec a pris l'initiative d'imposer des sanctions à un citoyen pour des propos qu'il avait tenus. L'Assemblée législative du Québec a adopté une motion visant à imposer des sanctions contre un ancien journaliste — et là, je me tourne vers mes collèges, le sénateur Fraser et le sénateur Duffy —, car cet ancien journaliste avait lancé une accusation contre la communauté juive ou avait fait des commentaires sur la communauté juive que l'Assemblée avait trouvés déplacés. L'Assemblée législative a donc proposé et adopté une motion visant à condamner les propos de l'ancien journaliste. D'ailleurs, ce journaliste était également un ancien député de cette assemblée.

Cela a été très contesté par les experts qui étudient la procédure, car cela pouvait être perçu comme un abus du Parlement pour sanctionner la liberté de parole des citoyens. En d'autres termes, il s'agit du cas de figure inverse de ce que vous avez mentionné.

Vous voyez, cela va dans les deux sens. Si un député, comme vous, jouit de la liberté de parole et peut dire ce que bon lui semble, cela ne devrait pas signifier que l'assemblée législative devrait limiter la liberté de parole de ses citoyens, sinon vous passeriez votre temps à examiner ce qui se dit au sein de la population et cela serait, bien entendu, perçu comme étant un abus de pouvoir de la part des députés.

Si vous êtes dénigré par un simple citoyen, vous pouvez le poursuivre en diffamation devant les tribunaux, mais ce que vous dites dans cette enceinte est totalement protégé, comme le sénateur Smith et le sénateur Stratton l'ont correctement indiqué.

En fait, votre question soulève nombre d'enjeux connexes sur le principe de liberté totale de parole, dans l'enceinte du Parlement — à savoir à l'intérieur des murs de la salle que vous avez vue ou que vous verrez et où nous siégeons, à titre de sénateurs ou de députés.

Le sénateur Duffy : La chose ne vaut pas dans les couloirs.

Le sénateur Joyal : Cela ne s'applique pas dans les couloirs.

Le président : Y a-t-il d'autres commentaires?

Charles Robert, greffier du comité : En réalité, il y a eu un ministre qui a été accusé d'avoir commis une infraction, car il avait répété, à l'extérieur, ce qu'il avait dit à la Chambre des communes. Il a été traîné devant les tribunaux et a été poursuivi, avec succès, car il avait répété, à l'extérieur de l'enceinte parlementaire, un mot déjà prononcé à l'intérieur et qui était crucial pour les intérêts d'une entreprise.

Le sénateur Joyal : Il s'agissait d'un ancien collègue du sénateur Smith et de moi-même, en fait.

Le président : Je devrais préciser que le sénateur Fraser a été, pendant quelques années, le rédacteur en chef d'un des plus grands journaux du Canada et qu'elle était donc très au courant des lois régissant la calomnie et la diffamation, avant même de venir ici.

Le sénateur Fraser : Merci, monsieur le président.

Votre question portait sur ce que le simple citoyen peut faire. Si les mots offensants sont prononcés à l'extérieur de l'enceinte du Parlement, comme on l'a souligné, le citoyen peut entamer des poursuites. Sinon, il ne peut que s'adresser à l'opinion publique ou, éventuellement, à des membres du parti opposé, pour semer la zizanie au sein du Parlement. L'opinion publique, les lettres ouvertes aux journaux, contacter des journalistes, lancer des pétitions et soulever un tollé au sujet du parlementaire fautif — voilà des choses qui peuvent s'avérer efficaces pour discipliner le parlementaire en question.

Toutefois, comme vous le savez sûrement, l'insulte ne peut jamais être complètement effacée. Il est très grave d'attaquer un citoyen individuellement et je crois que vous verrez qu'en tout cas, dans notre pays, nous nous attaquons les uns les autres avec vigueur, mais il est rare de voir un parlementaire tenir des propos insultants ou agressifs à l'égard d'un simple membre du public.

Le président : Passons à la question suivante.

M. Chiligati : Pendant votre exposé, vous avez dit que le Sénat a un code d'éthique. Cela nous intéresse également, car en Tanzanie, nous n'avons pas encore de code d'éthique.

Ce code s'applique-t-il uniquement aux sénateurs ou à la fois à la Chambre des communes et au Sénat ou chaque chambre a-t-elle son propre code d'éthique?

Le sénateur Stratton : Le moment est particulièrement bien choisi. Sénateur Joyal, vous pouvez répondre à cette question.

Le président : Vous pouvez intervenir également, mais le sénateur Joyal en premier.

M. Chiligati : Laissez-moi terminer. Ce code — et nous serions très heureux d'en recevoir un exemplaire — punit-il les sénateurs ou les députés qui l'enfreignent?

Le président : Nous allons demander à quelqu'un de répondre pour chaque parti. Sénateur Joyal est de l'opposition et le sénateur Stratton du gouvernement. Nous commencerons par le sénateur Joyal.

Le sénateur Joyal : Voulez-vous commencer, sénateur? Vous avez la parole.

Le sénateur Stratton : Non. Vous êtes là depuis plus longtemps. Je parlerai de l'avenir possible des deux systèmes.

Le sénateur Joyal : Il y a neuf ans, lorsque le gouvernement a estimé qu'il fallait avoir un code d'éthique pour les parlementaires, il a décidé que les codes seraient les mêmes pour les deux chambres et qu'il n'y aurait qu'un seul responsable de l'éthique, qui est la personne nommée par le Parlement pour surveiller la mise en œuvre des règles déontologiques établies et reconnues dans le code et pour veiller à ce que les parlementaires s'y conforment.

Cette question a suscité un vif débat à l'époque, car on estimait que les deux chambres étaient indépendantes l'une de l'autre et que chacune possédait un pouvoir disciplinaire sur ses membres. Cela est parfaitement reconnu dans le Règlement, comme le sénateur Smith l'a dit dans ses remarques liminaires.

La Chambre des communes a le pouvoir de faire en sorte que les députés se conforment ou adaptent leur comportement aux normes établies dans le code, et le Sénat a le même pouvoir sur ses membres. En ayant un seul code, on rattache plus ou moins une chambre à l'autre. Étant donné que le principe d'indépendance des deux chambres est consacré dans la constitution, chaque chambre a le même pouvoir d'adopter ou de refuser une loi. C'est un principe fondamental qui a été reconnu pour protéger l'indépendance des deux chambres.

La Chambre des communes a adopté son propre code d'éthique et le Sénat a adopté le sien. Il existe un commissaire aux conflits d'intérêts et à l'éthique pour la Chambre des communes et un conseiller sénatorial en éthique pour le Sénat. Chacun est indépendant de l'autre.

Bien entendu, dans la pratique, nous lisons le code d'éthique de la Chambre des communes, tout comme nous suivons les débats de la Chambre des communes qui sont susceptibles de soulever une question d'éthique, car nous voulons en tirer éventuellement les enseignements. Mais la Chambre des communes ne peut pas nous imposer ses règles déontologiques, tout comme à l'inverse, nous ne pouvons pas imposer les nôtres aux députés de la Chambre des communes.

Ce système existe maintenant depuis presque sept ans et fonctionne plutôt bien. D'ailleurs, chaque année, le conseiller sénatorial en éthique publie un rapport annuel. Si vous le souhaitez, nous vous remettrons un exemplaire de ce rapport, ou un des six rapports qui ont été publiés jusqu'à présent, pour que vous ayez une idée de la fonction du conseiller sénatorial en éthique, qui est différente de celle du commissaire à l'éthique de la Chambre des communes. Dans la mesure où le conseiller sénatorial en éthique a 105 membres à surveiller, il a davantage de possibilités de rencontrer chacun des sénateurs que le commissaire de la Chambre des communes qui est responsable de 308 députés, en plus de tout le personnel administratif, autrement dit des milliers de personnes.

Il n'entretient pas les mêmes relations personnelles que le conseiller sénatorial en éthique. Pour que l'éthique soit réellement une préoccupation quotidienne, il est préférable de communiquer directement avec le conseiller du Sénat chaque fois qu'on en a besoin. Vous appelez simplement son bureau et il est là pour répondre à vos questions ou il peut vous recevoir et vous donner des conseils.

Autrement dit, un lien personnel s'établit au cours des années avec le conseiller sénatorial en éthique. Personne ne s'est jamais plaint du fonctionnement de ce système. C'est un système qui ne coûte pas cher. Nous avons pu atteindre les objectifs qui ont été acceptés au départ, presque à l'unanimité, par les sénateurs et examiner régulièrement le code nous-mêmes pour nous assurer qu'il est adapté à l'évolution de la situation. C'est un peu comme un règlement administratif ou un règlement du Sénat. Il est facile de l'adapter, de consulter les sénateurs et d'adopter une proposition de réforme nécessaire à un moment donné. C'est un système qui a très bien fonctionné jusqu'à présent.

Le président : Merci. Nous allons maintenant passer au sénateur Stratton qui parlera au nom du gouvernement afin que vous puissiez entendre les points de vue des deux côtés.

Le sénateur Stratton : Le régime d'éthique est un processus en perpétuelle évolution. Nous venons d'adopter six modifications, que vous pourrez obtenir du greffier. Ces modifications permettent de mettre à jour notre code sur les conflits d'intérêts. C'est un examen normal qui se déroule régulièrement.

À vrai dire, la Chambre des communes exerce des pressions pour que nous n'ayons qu'un seul responsable de l'éthique. Nous résistons à cette idée — discrètement, mais nous résistons tout de même — simplement parce qu'il existe 308 députés au Parlement, auxquels viendront bientôt s'ajouter 30 autres environ et 105 sénateurs. Le conseiller sénatorial en éthique rencontre chaque sénateur, chaque année, pour leur expliquer comment respecter le code. Du côté de la Chambre des communes, j'ai parlé à des députés qui n'ont jamais rencontré leur commissaire à l'éthique. Voilà la différence.

De notre côté, il existe quatre personnes au bureau du conseiller sénatorial en éthique, dont le conseiller lui-même, qui travaillent à temps partiel, et je pense que son budget s'élève à environ 250 000 $. Du côté de la Chambre des communes, 50 personnes travaillent au bureau du commissaire à l'éthique. Nous devons donc résister à la fusion, car simplement de par leur nombre, nous serions submergés. Nous avons des liens personnels avec le conseiller sénatorial en éthique. Comme je l'ai précisé, nous voulons maintenir cette distance. Comme le sénateur Joyal l'a dit, il est extrêmement important que les deux chambres restent distinctes, car leur fonctionnement est complètement différent. Nous espérons que ce projet de loi ne sera pas présenté.

Le sénateur Duffy : Monsieur le président, en ce qui concerne l'éthique, j'aimerais ajouter qu'un régime d'éthique solide et rigoureux est essentiel à la perception qu'a le public du Parlement, dont la fonction est de représenter la population plutôt que des intérêts particuliers. En ce qui concerne le respect pour le Parlement, pour la démocratie et pour l'institution, nous estimons important que le public sache que lorsque les députés parlent et agissent au Parlement, ils le font dans l'intérêt public et non dans leur propre intérêt. Cela semble parfois ésotérique, mais c'est de cette façon que le public peut avoir confiance dans notre système parlementaire.

Le président : C'est un point pertinent.

M. Blandes : Merci beaucoup. J'aimerais savoir quelle est la situation ici au Canada pour les députés de la Chambre des communes et les sénateurs en ce qui concerne la politique et les affaires. On m'a dit qu'au Canada, la politique et les affaires sont séparées tant pour la Chambre des communes que pour le Sénat. J'aimerais savoir si un député a le droit de faire des affaires pendant qu'il est en politique.

Le président : Si vous êtes ministre ou secrétaire parlementaire, quelle que soit la chambre à laquelle vous siégez, c'est impossible. Si vous êtes simple député, vous pouvez faire certaines choses.

Je suis avocat de profession et j'ai été président du conseil d'un grand cabinet d'avocats comptant plus de 500 avocats. Lorsque je suis arrivé au Sénat — j'ai été député à la Chambre il y a des années également — je me suis retiré des affaires pour éviter tout conflit d'intérêts. Par exemple, je suis administrateur de plusieurs organismes. Dans deux ou trois cas, lorsque j'étais administrateur pour des banques étrangères, j'ai déclaré que je ne pourrais pas intervenir au sujet d'une loi en particulier. Vous allez voir le conseiller en éthique de votre chambre, vous examinez les faits et respectez les règles.

Quelqu'un d'autre veut-il ajouter quelque chose? Sénateur Braley est un homme d'affaires très prospère.

Le sénateur Braley : J'ai des intérêts dans de nombreux domaines. S'il y a une perception de conflit d'intérêts, je vais voir le conseiller sénatorial en éthique. Dans un des cas, il m'a dit : « Vous ne dites rien, quittez simplement le Sénat pendant le vote et la discussion et n'intervenez pas ». C'est la solution à laquelle nous sommes arrivés avec le conseiller sénatorial en éthique.

Dans un autre cas, j'ai fait part d'un conflit d'intérêts. Dans d'autres situations, vous n'avez pas à faire quoi que ce soit si vous êtes simplement à la limite, mais vous ne votez pas.

Le président : J'aimerais également ajouter que ma femme est juge en chef de la Cour supérieure de justice de l'Ontario. Dans deux ou trois cas, des questions auraient pu avoir une incidence sur son travail. J'ai consigné alors au compte rendu que je n'allais pas participer pour cette raison.

Si vous avez le temps d'entendre une plaisanterie, je vais vous en raconter une. Elle trouve que ce n'est pas drôle, mais je dis que je suis le seul homme en Ontario qui ne pourrait jamais obtenir un divorce équitable parce qu'il y a 300 juges qui les délivrent et qu'ils travaillent tous pour elle. Elle ne trouve pas ça drôle du tout, mais nous sommes mariés depuis 42 ans et je pense que ce n'est pas un problème.

Le sénateur Joyal : J'aimerais ajouter quelque chose aux propos du sénateur Braley, que je trouve tout à fait pertinents. Les députés de la Chambre des communes ou les sénateurs peuvent avoir des activités professionnelles ou des activités liées aux affaires. Ils doivent simplement le déclarer au responsable de l'éthique. Chaque année, nous remplissons un formulaire et vous pourrez en recevoir un exemplaire — le sénateur Stratton...

Le sénateur Stratton : À notre prochaine réunion.

Le sénateur Joyal : Je ne pourrai pas y assister, mais je pense que vous devriez avoir une copie de ce formulaire que chaque sénateur doit remplir. On y indique toutes les activités privées, ainsi que les revenus, pas le montant, mais les activités dont il retire un revenu. Si l'on est avocat, comme mon collègue le sénateur Smith, on dit : « Je travaille pour le cabinet d'avocats X, Y, Z ». Comme le sénateur Braley, on dit : « Je possède le cabinet d'avocats qui s'occupe de ce genre d'activités » et ainsi de suite. Ces renseignements sont rendus publics chaque année par le conseiller sénatorial en éthique et ils sont affichés en ligne. Ils sont sur Internet. N'importe quel citoyen peut taper votre nom et il aura devant lui la liste des entreprises ou des activités professionnelles du sénateur en question.

Comme le sénateur Braley l'a dit, de façon encore plus appropriée, en cas de débat au Sénat où vos intérêts sont en jeu parce que vous possédez par exemple des actions ou exercez des activités qui bénéficieraient de ce texte de loi ou de cette décision du gouvernement, la première chose à faire est d'appeler le conseiller en éthique du Sénat et de lui demander « Pensez-vous que je devrais participer à ce débat oui ou non? ». Le conseiller vous dira alors : « Laissez-moi examiner la question et je vous rappellerai. Je vous enverrai une note ». C'est rapide. Il ne faut pas des mois parce que le débat est en train de se dérouler.

Lorsque vous recevez l'avis du conseiller en éthique et qu'il vous conseille de ne pas participer au débat, vous vous levez au Sénat et vous dites : « Monsieur le président, je tiens à ce qu'il soit consigné au compte rendu du Sénat que je m'abstiendrai de participer au débat en raison d'un risque de conflit d'intérêts ». Cette déclaration est ensuite consignée au compte rendu. Le public et le sénateur sont ainsi protégés de toute allégation d'acte répréhensible puisque le sénateur a déjà vérifié auprès du conseiller en éthique s'il peut ou non participer au débat ou à n'importe quel contrat ou activité du gouvernement susceptible de lui apporter un avantage par rapport aux autres citoyens.

Le système fonctionne plutôt bien. Je connais de nombreux sénateurs ayant agi ainsi. Le sénateur Braley l'a fait. Je l'ai fait moi-même parce que j'ai des activités dans le secteur privé. Nous le faisons régulièrement. On a facilement accès au conseiller. Les sénateurs en sont satisfaits parce qu'ils peuvent recevoir rapidement une réponse.

M. Chiligati : Je pense qu'il y a une différence entre posséder une entreprise et la diriger soi-même. Vous êtes autorisé à posséder cette entreprise, mais pouvez-vous la diriger, à titre de directeur général, si vous êtes député ou sénateur?

Le président : Je vais vous donner un exemple. J'ai dit que j'étais président du conseil d'un grand cabinet d'avocats. Lorsque je suis arrivé ici, je me suis retiré en tant que partenaire. J'y ai toujours mon bureau. J'ai toujours des revenus, mais c'est un montant fixe. Il n'a rien à voir avec les revenus du cabinet.

Si j'étais un partenaire, j'obtiendrais un certain pourcentage qui serait plus ou moins élevé selon les centaines et les centaines de clients que nous aurions ou si j'obtenais des résultats spectaculaires, et cetera. On ne peut jamais suivre toutes les causes des clients de sorte que la meilleure chose à faire est de se retirer et de recevoir un montant fixe pour que rien n'influe sur le revenu.

Le sénateur Braley : Je gère une entreprise. Je possède des actions dans d'autres entreprises et je siège à des conseils d'administration. Je dirais que tous les trois ou quatre mois, une question d'éthique est soulevée. J'appelle aussitôt le conseiller et nous avons une conversation.

Dans un cas, il s'agissait de trois ou quatre choses qui ne me touchaient pas directement, mais qui touchaient un de mes concurrents. Il m'a dit qu'en quittant le Sénat et en ne votant pas, je n'aurais pas à dire quoi que ce soit. Une autre fois, il m'a conseillé très clairement de ne dire ni faire quoi que ce soit et de ne pas voter.

Chaque situation est différente. Du moment que tout est fait dans les règles, on ne peut pas empêcher les gens qui sont en mesure de servir leur pays d'essayer de construire une meilleure société.

Le président : C'est l'avantage d'obtenir des avis indépendants du conseiller sénatorial en éthique.

Le sénateur Joyal : Cela dépend si vous êtes ministre d'État. Pour un ministre d'État c'est différent. Un ministre d'État doit placer tous ses actifs dans une fiducie sans droit de regard qui est gérée sans son intervention. Un ministre d'État doit passer la plupart de son temps, voire tout son temps, à assumer les responsabilités de l'État.

Un sénateur a le droit d'avoir sa propre entreprise, mais comme le président et le sénateur Braley l'ont dit, il ne peut pas la gérer, car il ne serait pratiquement jamais au Sénat. Nous avons des registres de présence publics. À chaque séance du Sénat et à chaque séance des comités, quelqu'un note notre présence qui figure aux Journaux du Sénat. N'importe qui peut vérifier combien de jours j'ai été absent du Sénat chaque année. Je suis payé par les fonds publics et les gens qui me paient s'attendent à ce que je fasse mon travail.

Nous pouvons gérer nos entreprises, mais notre première priorité est le travail du Sénat. Notre présence est enregistrée et est rendue publique.

Le sénateur Fraser : Pour être bien clair, tout le monde en dehors des ministres peut avoir toutes sortes d'activités privées, mais dans ce cas, il ne faut pas participer aux débats ou aux votes sur des sujets susceptibles d'influer sur ces entreprises. Ce n'est pas seulement une question de jugement et de discussion avec le conseiller à l'éthique, cela fait également partie du règlement. Le conseiller en éthique explique si le règlement s'applique à votre cas ou s'il est approprié, voire exigé par le règlement, que vous vous retiriez.

Le règlement est clair. En cas de conflit d'intérêts, on ne doit pas participer aux activités du Sénat sur ce sujet.

M. Sendeka : En Tanzanie, les membres des comités permanents du Parlement sont nommés par le président de l'Assemblée nationale en fonction de la représentation des partis politiques, des syndicats, du sexe et de l'expérience dans les affaires politiques et parlementaires. Quelle est la situation au Sénat et à la Chambre des représentants? Qui nomme les membres des comités permanents du Parlement?

Le président : C'est le chef du parti. Lorsque des gens ont des compétences particulières, ils sont évidemment nommés à certains comités. Nous avons un chef pour chaque parti à la chambre ainsi qu'un whip et une équipe de gestion. Les sénateurs donnent leurs préférences et les choses se passent généralement bien.

Y a-t-il d'autres observations?

Le sénateur Stratton : À chaque nouvelle session, les chefs de parti demandent aux sénateurs d'indiquer trois comités auxquels ils souhaitent siéger. Les chefs de chaque parti en discutent. Chaque parti politique prépare sa propre liste de membres des comités. Cette liste est ensuite remise au comité de sélection, qui officialise la liste des membres de chaque comité. Une fois que la liste est adoptée par le comité de sélection, elle est présentée à la chambre du Sénat pour y être approuvée, et elle est généralement adoptée à l'unanimité sans débat.

Le sénateur Joyal : Nous pourrions peut-être vous remettre un exemplaire du Règlement du Sénat. La règle 85 porte sur cette question. Vous y verrez la procédure.

Le président : Je pense que les personnes qui peuvent choisir quatre personnes sur sept ayant indiqué une préférence pour un comité peuvent regarder les registres de présence et autre.

Le sénateur Stratton : Ce n'est pas ce que j'ai dit.

Le président : Vous ne l'avez pas dit, mais nous sommes humains.

Le sénateur Fraser : Vous avez parlé d'une pratique qui est très différente de la théorie. Comme on vous l'a dit, ce sont les chefs de parti qui finissent par décider qui représentera le parti à chaque comité.

Théoriquement, les membres du comité élisent ensuite leur président. Mais dans la pratique, c'est encore les chefs de parti qui décident. Le président appartient à un parti et le vice-président à l'autre parti.

Les sénateurs ont tendance à penser que l'élection d'un président de comité devrait faire l'objet d'une véritable élection et ne pas se limiter à un formulaire que l'on doit remplir. Cette opinion ne l'a pas encore remporté. Je ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée, car comme nous l'avons dit, les gens ici comme en Tanzanie veulent que les régions, les hommes et les femmes, les minorités et les groupes linguistiques soient représentés. Si l'on passe à des élections libres dans chaque comité, cela ne sera probablement pas le cas.

Le sénateur Duffy : Pour faire suite à ce qu'a dit le sénateur Fraser, le Président de la Chambre des communes est élu par les députés au cours d'une série de votes. Dans certains cas, il a fallu parfois cinq scrutins secrets. Ce n'était pas le cas autrefois. Le Président était nommé par le premier ministre et la nomination était approuvée par la Chambre.

Au Sénat, le Président n'est pas élu par les membres. Il y a là une différence qui s'explique en partie par les raisons évoquées par le sénateur Fraser.

Mme Ishengoma : En Tanzanie, c'est le Président qui décide normalement des questions qui seront abordées dans nos comités et ces questions sont ensuite remises au comité. Comment faites-vous ici pour décider des questions qui seront abordées au comité?

Par exemple, si quelqu'un a fait quelque chose qui n'est pas dans l'intérêt du Parlement, s'est mal conduit ou a agi contre le gouvernement, le Président est celui qui doit soulever la question et l'envoyer au comité pour y être traitée.

Le président : Cela dépend des règles, le Président les interprète pour savoir comment elles doivent être appliquées. Si le sujet concerne plutôt la gestion du Sénat ou de la Chambre, c'est l'équipe de direction du parti politique qui décide. Le cas peut se produire dans les deux catégories.

Le sénateur Fraser : Comme le président l'a dit dans ses remarques préliminaires, le comité n'a pas besoin d'instructions du Sénat et certainement pas du Président. Le Président ne peut pas nous donner d'instructions sur quoi que ce soit. Le Sénat pourrait, mais nous n'avons pas besoin d'instructions pour étudier un sujet ou rendre compte au Sénat.

La seule fois où le Président peut nous renvoyer quelque chose c'est lorsqu'une question de privilège est soulevée. Le Président décide s'il s'agit d'un cas de privilège et en général, le Sénat nous renvoie la question. On peut dire que le Président nous renvoie quelque chose indirectement, mais je ne connais aucun cas où le Président a demandé au comité de faire quelque chose.

Le président : En général, les présidents n'essaient même pas. Est-ce que cela répond à votre question?

Le sénateur Fraser : Il peut faire une suggestion et nous l'écouterons.

Le président : Aujourd'hui, en nous écoutant débattre de ce rapport récent sur l'éclaircissement du Règlement, vous avez vu qu'il y avait une controverse émanant d'un sénateur. Une question de privilège a été soulevée et le président a dit : « Je propose que cette question soit traitée en comité plénier. » Ce qui, bien entendu, a été accepté à l'unanimité. C'est ce que nous sommes en train de faire. Il l'a proposé, mais il ne l'a pas ordonné et il ne pouvait d'ailleurs pas le faire.

Le sénateur Joyal : Il serait utile de remettre aux délégués le Règlement du Sénat pour qu'ils connaissent les pouvoirs du comité et la façon dont cela est formulé.

Le président : Je suis sûr que notre greffier leur remettra cette documentation. J'ai proposé que notre comité leur remette toute la documentation pertinente. Oui?

M. Blandes : J'aimerais savoir ce qu'il en est au sujet des questions judiciaires. Dans notre parlement, nous ne sommes pas autorisés à débattre d'affaires qui sont devant les tribunaux de crainte d'influencer le jugement. Quelle est la position ici à ce sujet?

Le président : C'est la même chose.

Le sénateur Joyal : Ce n'est pas indiqué dans le Règlement du Sénat comme tel, ni dans la Constitution, mais compte tenu du principe de séparation entre le judiciaire et le Parlement et le Parlement et le judiciaire, le Parlement doit s'abstenir de commenter une question qui est devant un tribunal ou d'exprimer une opinion à ce sujet.

Comme mes collègues l'ont dit, nous suivons une convention de common law, car nous ne voulons pas que les juges se prononcent sur des questions débattues au Parlement pas plus que nous voulons dicter aux juges leur conduite relativement à des affaires dont ils sont saisis. Le principe fondamental d'indépendance du judiciaire est consacré dans la Constitution.

Le sénateur Fraser : Nous pouvons dire ce que nous voulons, mais il peut y avoir des conséquences, c'est pourquoi nous ne le faisons pas.

Il y a eu un cas au Québec il y a une trentaine d'années à l'Assemblée nationale, qui est protégée par le privilège parlementaire. Le premier ministre d'alors avait fait une observation plutôt incendiaire au sujet d'une affaire devant les tribunaux et le juge avait annulé le procès. Le premier ministre n'a pas été pénalisé, mais le cours de la justice en a été bien évidemment entravé. Le juge a déclaré que ce qu'avait dit le premier ministre était tellement préjudiciable que cela ne pouvait être réparé d'où l'annulation du procès. C'est l'exemple le plus flagrant que je connaisse des raisons pour lesquelles on ne doit rien dire.

Le sénateur Duffy : J'aurais une dernière petite chose à ajouter. Il existe une tension permanente entre les tribunaux et le Parlement, qui connaît des hauts et des bas et qui atteint son sommet au moment où les salaires des juges doivent être réexaminés. Le Parlement désigne un arbitre indépendant qui décide que les juges méritent telle ou telle augmentation. Les juges estiment que le Parlement ne devrait pas intervenir et que c'est à l'arbitre indépendant de fixer leur salaire. C'est un des moments où nous devons approuver la somme d'argent qu'ils reçoivent. En tout cas, c'est un moment intéressant tous les trois ou quatre ans.

Le président : Compte tenu du poste de ma femme, je n'ai jamais voté ni ne suis intervenu sur ce sujet.

Nous avons une dernière question, puis les remarques de clôture.

M. Chiligati : Au sujet des relations entre la Chambre des communes et le Sénat, avez-vous des luttes internes entre les deux chambres?

Le sénateur Stratton : Oh, oui.

Le président : C'est une lutte entre les deux partis principaux et non le NPD. Les deux grands partis siègent au même caucus dans la mesure où il faut parfois régler les choses. Ce processus fonctionne généralement bien. Aviez-vous une question plus précise à ce sujet?

M. Chiligati : La Chambre des communes prend parfois une décision sur un projet de loi qui est ensuite adressé au Sénat. Est-ce que vous annulez cette décision? Qu'arrive-t-il entre les deux chambres?

Le sénateur Fraser : Nous pouvons amender un projet de loi qui nous vient de la Chambre des communes. Dans ce cas, il retourne à la Chambre. La Chambre peut accepter ou rejeter nos amendements. Si elle les accepte, le projet de loi est adopté tel quel. Si elle n'est pas d'accord, elle nous renvoie le projet de loi. Un désaccord prolongé est plutôt rare, mais cela arrive. Il arrive qu'un projet de loi fasse ainsi la navette, car il n'existe pas de mécanisme officiel de règlement des conflits.

Bien entendu, nous pouvons également refuser simplement un projet de loi, auquel cas il est éliminé.

Le président : J'aimerais dire également que l'opposition officielle actuelle à la Chambre des communes, le NPD, s'exprime depuis plusieurs années contre l'existence du Sénat. Il estime que le Sénat devrait être aboli.

Il y a quelques années, une nouvelle sénatrice très impressionnante de la Saskatchewan, qui avait été membre du NPD, est arrivée au Sénat et a voulu se joindre à son caucus, mais elle n'a pas été acceptée. Elle a siégé à titre de député indépendant pendant quelques années puis a décidé de se joindre à notre parti; nous avons été très heureux de l'accueillir.

Cela pourrait entraîner un incident à un moment donné. Cela ne s'est pas produit, mais c'est une possibilité; nous verrons bien.

Y a-t-il des remarques de clôture?

Mme Ishengoma : Honorables sénateurs et monsieur le président, au nom de la délégation des députés de la Tanzanie, je tiens à vous remercier d'avoir pris le temps de nous donner ces explications. Je vous suis reconnaissante de cette formation. Ce fut une discussion très intéressante.

Merci beaucoup de votre accueil chaleureux. Je tiens à transmettre également les salutations de notre pays, la Tanzanie, de notre Président, du Président de notre chambre des communes et d'autres députés. Vous serez chaleureusement accueillis en Tanzanie.

Le président : Merci. Au nom de notre groupe, nous avons pris beaucoup de plaisir à cet échange.

Je ne devrais pas vous raconter cette histoire, mais je vais le faire quand même. Pierre Trudeau a été un de nos grands premiers ministres selon moi. Les autres membres ne seront peut-être pas d'accord. Mais au début des années 1980, je me rappelle l'avoir entendu parler de trois premiers ministres du Commonwealth particulièrement impressionnants et Julius Nyerere en faisait partie. Tout le monde ne sera peut-être pas d'accord, mais je pensais devoir le mentionner. Je ne dirai pas qui étaient les deux autres, mais il en faisait partie.

Merci beaucoup. J'espère que nous nous rencontrerons de nouveau. La prochaine fois que j'irai en Tanzanie, j'irai de façon légale et pas en passant par le désert.

Nous allons nous dire au revoir et les membres du Comité du Règlement vont rester pour une brève discussion sur d'autres sujets.

(La séance se poursuit à huis clos.)


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