Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 2 - Témoignages du 27 novembre 2013
OTTAWA, le mercredi 27 novembre 2013
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour examiner la teneur des éléments des Sections 2, 3, 9 et 13 de la Partie 3 du projet de loi C-4, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 mars 2013 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Le comité tient aujourd'hui sa deuxième réunion afin d'examiner la teneur des éléments des sections 2, 3, 9 et 13 de la partie 3 du projet de loi C-4, Loi no 2 portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 21 mars 2013 et mettant en œuvre d'autres mesures.
Avant de présenter les témoins, j'aimerais vous signaler qu'après les témoignages, les délibérations se poursuivront à huis clos pour discuter des travaux futurs du comité et de notre rapport provisoire.
J'ai le plaisir de vous présenter Yvan Allaire, président exécutif du conseil d'administration, qui témoignera au nom de l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques.
Monsieur Allaire, vous pourriez peut-être commencer par nous parler de vous-même et de l'institut, pour ceux d'entre nous qui ne le connaissons pas bien. Vous avez la parole.
[Français]
Yvan Allaire, président exécutif du conseil d'administration, Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques : Je vous remercie, monsieur le président. L'institut a été créé en 2005 par un support financier de la Fondation Jarislowsky, l'École des hautes études commerciales et l'Université Concordia, ainsi que l'Autorité des marchés financiers, la Caisse de dépôt et placements du Québec et d'autres institutions.
Nous prenons position sur des enjeux d'intérêt public. Nous avons publié des prises de position sur la rémunération des dirigeants, la place des femmes aux conseils d'administration et autres sujets importants tant pour les organisations privées que pour les organismes publics.
Je suis ici aujourd'hui pour traiter très brièvement des articles 160, 161, 162 et 163 de la Partie 3, section 2 du projet de loi qui est à l'étude.
Je dois dire d'abord que je suis perplexe. Je cherche à comprendre; quels problèmes cherche-t-on à régler, quelle situation cherche-t-on à corriger avec ces mesures? Pourquoi créer une occasion de conflit pour veiller à ce que les institutions sous réglementation fédérale continuent de faire l'objet d'une gouvernance et d'une supervision rigoureuse. J'avoue ne pas voir le lien entre ces deux aspects. En quoi les fonctionnaires autres que ceux du ministère des Finances contribueraient-ils à relever la gouvernance de banques et de sociétés d'assurance? Quant aux fonctionnaires du ministère des Finances, il serait malvenu qu'ils siègent au conseil d'administration d'institutions financières et, s'ils le faisaient, ils seraient tenus à un tel devoir de réserve qu'ils seraient pratiquement inutiles au conseil.
Ces fonctionnaires nommés au conseil d'administration d'une banque ou d'une société d'assurance seraient-ils rémunérés comme les autres membres indépendants du conseil? Sinon, pourquoi pas, puisqu'on les veut indépendants et qu'ils ne représentent pas le gouvernement au conseil de ces sociétés. Si oui, réalise-t-on que d'être invité au conseil d'une grande banque canadienne représente en fait une invitation à devenir multimillionnaire? En effet, les cinq grandes banques paient un traitement annuel qui varie entre 110 000 et 185 000 dollars par année et puisqu'on peut et même on doit placer une partie de cette somme en unités d'actions différées, si vous consultez les circulaires des grandes banques, vous constatez qu'un membre du conseil, après quatre ans, a à peu près un million de dollars de valeur provenant de ces unités et, après dix ans, quelques millions de dollars. Ne voit-on pas comment une telle mesure pourrait amener les fonctionnaires à être complaisants envers les institutions pouvant les inviter éventuellement à siéger à leur conseil? On a décrié ce phénomène aux États-Unis, en particulier à propos du personnel des agences de réglementation qui allait travailler ensuite pour des institutions qu'ils étaient chargés de réglementer. Ce conflit d'intérêts différé dans le temps est une source importante de risque pour le système qu'on essaie de contourner et de réprimer. Une règle de gouvernance veut que le traitement versé ne place pas les membres du conseil en position de dépendance virtuelle envers la direction.
En conclusion, je ne comprends pas ce que l'on cherche à accomplir, je ne vois aucun avantage de gouvernance dans cette mesure. Par contre, on ouvre une boîte de Pandore d'où sortiront conflits d'intérêts et comportements de complaisance de la part de fonctionnaires attirés par les perspectives d'un poste d'administrateur.
Je vous remercie.
Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur Allaire. J'aimerais partager un commentaire avec mes collègues ici, selon lequel M. Allaire est impliqué dans la communauté des affaires de Montréal et du Canada depuis plusieurs décennies. Il est très impliqué dans la croissance de plusieurs de nos boîtes québécoises et il est un leader hors pair comme homme d'affaires et aussi dans le sens de la gouvernance au Québec. Je vous remercie de participer à notre débat.
D'après ce que je déduis de votre présentation, vous ne voyez aucun avantage de flexibilité que les fonctionnaires recherchent dans cette mesure. Vous confirmez, je présume, que cela ne provient pas d'une demande de l'industrie comme telle. La réponse que nous avons reçue jusqu'à maintenant c'est qu'en permettant à ces gens de devenir administrateurs de ces compagnies, l'inventaire du personnel et sa diversification d'intérêt augmenteraient. Ne voyez- vous pas cet avantage? Ne voyez-vous pas la nécessité de permettre la disponibilité de ces gens sur les conseils d'administration effectivement?
M. Allaire : Non, vraiment pas. Ce serait sous-estimer le réservoir de compétence canadienne et, de plus en plus de compétence de femmes canadiennes que l'on peut nommer à des conseils.. Il y a un réservoir important de compétence et d'expérience qui est fort riche et je ne vois pas qu'est-ce que cela améliorerait de nommer des fonctionnaires.
Par ailleurs, je vois de grands problèmes à faire cela avec des fonctionnaires en état de service. Rien n'empêche de recruter des fonctionnaires lorsqu'ils ont quitté, qu'ils ont pris leur retraite; ils ont attendu une année, n'ont pas traité avec leur ministère, et donc, ils peuvent être invités à ce moment-là. Il y a donc un réservoir important de gens venant de la fonction publique ou ailleurs qui prennent leur retraite qui n'ont plus de charge de l'État, qui ne sont plus des employés de l'État.
Le sénateur Massicotte : Anciennement, on voyait un gros avantage à fusionner l'État gouvernemental avec l'entreprise privée. Par exemple, au Japon, ils y voyaient un avantage, et comme on le sait tous, depuis, il y a eu beaucoup de conflits et de difficultés. Pensez-vous que l'on se dirigerait vers une situation semblable?
M. Allaire : C'est contraire à notre régime, surtout dans le secteur financier canadien. Le système japonais était structuré autour du MITI, qui avait une approche très dirigiste dans le financement des entreprises. Les banques finançaient les entreprises, on plaçait leurs gens au sein des entreprises, au sein des conseils d'administration des entreprises, c'était un système tout à fait différent du nôtre, et même tout à fait différent du système japonais actuel. Cette mesure proposée, c'est, je pense, vraiment une porte ouverte aux conflits d'intérêts et c'est une situation difficile pour les fonctionnaires. Ce n'est pas notre sujet ici, mais je suis même opposé aux fonctionnaires qui siègent au sein de conseils de sociétés d'État parce qu'on a la même ambiguïté de rôle en tant qu'administrateur ou représentant du ministre sur ces conseils. Mais ce n'est pas le sujet ici.
Je ne vois pas comment les banques à charte canadiennes, les sociétés d'assurance canadiennes verraient leur gouvernance améliorée par l'ajout possible de fonctionnaires fédéraux ou provinciaux.
Le sénateur Maltais : Monsieur Allaire, vous êtes responsable d'un institut de recherche, j'imagine que vous avez fait beaucoup de recherches pour en arriver à la conclusion à laquelle vous arrivez que, finalement, les fonctionnaires n'ont pas affaire sur ces conseils d'administration; est-ce que c'est le cas?
M. Allaire : C'est le cas en utilisant les principes généraux de gouvernance, qui sont les principes de bonne gouvernance. On peut vérifier partout ces principes, entre autres, à la Coalition canadienne pour la bonne gouvernance, et vous verrez que le premier principe, c'est d'éviter de mettre les gens en conflit d'intérêts et on doit éviter le plus possible ces situations.
Le sénateur Maltais : Vous avez dit dans votre mémoire que le Canada a un bon bassin de hauts fonctionnaires — parce que je crois qu'on parle de hauts fonctionnaires ici, on parle sans doute pas du commissionnaire qui livre du courrier, on parle plutôt de hauts fonctionnaires très compétents — est-ce que cela arrive que votre institut va chercher des fonctionnaires compétents pour les amener dans le privé?
M. Allaire : S'ils veulent accepter un poste dans le privé, ils sont libres de le faire, bien sûr, s'ils ont pris leur retraite du secteur public et qu'ils sont maintenant disponibles étant donné qu'ils ont effectivement une expérience pertinente. C'est la coïncidence d'être à la fois encore un haut fonctionnaire et siéger sur le conseil d'une banque ou d'une société d'assurance qui me préoccupe.
Le sénateur Maltais : Est-ce que vous êtes d'accord avec moi que d'autres instituts arrivent à une conclusion contraire de la vôtre?
M. Allaire : Je n'en connais pas, mais vous pouvez m'en référer si vous en connaissez.
Le sénateur Maltais : Je vous pose la question. Si je connaissais la réponse, je ne vous poserais pas la question, mon cher monsieur.
M. Allaire : Bien, vous avez dit qu'il n'y en avait pas. Je n'en connais pas.
Le sénateur Maltais : Je vous pose la question. Vous êtes le seul au Canada qui arrive à cette conclusion-là.
M. Allaire : Je crois que la question n'a pas été soulevée par les autres. Est-ce que cette mesure proposée a fait l'objet de consultations auprès de tous les organismes qui se préoccupent de gouvernance au Canada? Je ne pense pas, mais il faudrait demander à chacun, les inviter peut-être à venir témoigner.
Le sénateur Maltais : Avez-vous consulté la commissaire à l'éthique?
M. Allaire : Pour faire quoi, pour dire quoi?
Le sénateur Maltais : Si vous faites de la recherche et que vous n'êtes pas d'accord parce que vous voyez un conflit d'intérêt, j'imagine que lorsqu'on voit un conflit potentiel d'intérêts quelque part, on va vérifier auprès du commissaire à l'éthique, il me semble. Un institut sérieux doit faire cela. L'avez-vous fait?
M. Allaire : On a examiné la Loi sur les conflits d'intérêts.
Le sénateur Maltais : Je ne veux pas une rhétorique, c'est une question très simple. Avez-vous consulté le commissaire à l'éthique, oui ou non?
M. Allaire : Le commissaire, non. La Loi sur le commissaire à l'éthique est bien connue.
La sénatrice Hervieux-Payette : Bienvenue, monsieur Allaire. Merci de nous aider à examiner cette question. Je rappelle à ceux qui n'étaient pas à notre dernière rencontre avec le ministre que ce dernier n'était pas très familier avec ces mesures, donc il a demandé à un fonctionnaire de nous les expliquer. On n'a pas eu toutes les réponses parce que tous ceux qui sont concernés ont été invités et ils ont décliné d'assister à nos réunions. Je parle des banques, des compagnies d'assurance et des groupes coopératifs.
À votre connaissance, est-ce que vous savez si, au sein de l'OCDE, il y a des pays, où il y a une participation des fonctionnaires dans l'administration des compagnies privées — que ce soit en Angleterre ou ailleurs en Europe, en Australie — au point de vue économique, fonctionnent comme le nôtre?
M. Allaire : Ce qui existe, c'est que lorsque l'État est un actionnaire, comme c'est souvent le cas en France, on retrouve au conseil des hauts fonctionnaires de l'État français qui représentent les intérêts de l'État français dans l'entreprise.
C'est un phénomène qu'on ne voit pas en Grande-Bretagne ou au Royaume-Uni, et qui se limite vraiment aux cas des gouvernements qui prennent des participations dans les entreprises et qui, à cet effet, nomment au conseil des gens comme ils sont en droit de le faire comme actionnaires. Mais des entreprises dans lesquelles le gouvernement n'a aucun intérêt financier et qu'on retrouve des fonctionnaires au conseil, c'est extrêmement rare.
La sénatrice Hervieux-Payette : À votre connaissance, est-ce qu'il y a des banques, des compagnies d'assurances en France où l'État a des investissements? Je connais des compagnies d'utilité publiques, mais est-ce qu'il y a des institutions financières?
M. Allaire : En cogestion financière où les banques sont intéressées en France, oui.
La sénatrice Hervieux-Payette : À ma connaissance, il n'y a pas eu de consultations auprès des gouvernements provinciaux. Est-ce que vous pensez qu'il est possible d'autoriser que des fonctionnaires provinciaux siègent sur les conseils d'administration des banques de juridiction fédérale? Peut-on faire ce genre de législation en légiférant les employés d'un autre corps politique?
M. Allaire : Disons que c'est surprenant et ce serait certainement reçu avec beaucoup de réserves que des fonctionnaires provinciaux soient invités et acceptent de siéger à des conseils d'administration de banques et de sociétés d'assurance. Cela semblerait tout à fait anormal.
La sénatrice Hervieux-Payette : Au point de vue éthique, il y a eu une évolution au sein des entreprises, particulièrement celles cotées en bourse dans lesquelles le public investit. Quels sont les organismes qui s'assurent de l'indépendance de la gouvernance de ces entreprises? Est-ce que c'est la Bourse de Toronto? Est-ce que c'est la Commission des valeurs mobilières?
M. Allaire : Au Canada, nous avons un régime de conformité et d'explications des écarts. Il y a des règles de gouvernance, à la fois combinées de la Bourse de Toronto et des commissions des valeurs mobilières. Les entreprises, dans leur circulaire de sollicitation de procurations, prennent chacun des éléments de gouvernance et indiquent s'ils se conforment à ce qui est proposé. S'ils ne se conforment pas, ils doivent expliquer pourquoi ils ne se conforment pas à ces dispositions.
Il y a par ailleurs la Coalition canadienne pour la bonne gouvernance, l'institut qui regroupe les grandes caisses de retraite canadiennes qui émet des politiques et s'assure que les entreprises dans lesquelles ils investissent respectent les normes et les principes de gouvernance que la Coalition propose pour les entreprises.
Donc il y a une série de pressions sur les entreprises qui leur dictent des règles de gouvernance en plus d'avoir une évaluation publique chaque année par le Globe and Mail, qui leur donne des rangs de bonne gouvernance, en plus d'avoir un gestionnaire de procuration, ISS ou autres, qui évalue les conseils et la gouvernance chaque année et recommande aux investisseurs d'appuyer ou de ne pas appuyer les membres du conseil, de voter contre les membres du conseil s'ils n'ont pas mis en place une gouvernance impeccable, s'ils ont trop payé le PDG. Ils évaluent la rémunération des dirigeants chaque année. Il y a tout un encadrement de la gouvernance qui est assez serré. C'est tissé assez serré maintenant.
La sénatrice Hervieux-Payette : Dorénavant, une autre section de la loi permettra aux employés du ministère des Finances de ne plus avoir à rapporter les prêts qu'ils contractent auprès des banques. Et j'essaie de voir dans quelle mesure on ne met pas à risque ces employés puisque les banques font affaire avec ce ministère de façon très régulière et qu'on pourrait leur consentir des privilèges.
On avait cette mesure qui vient d'être retirée. On me dit que c'est une question d'éthique et que s'ils le font, ils seront soumis à la question d'éthique, mais personne ne va savoir qu'il y a des fonctionnaires. Est-ce que c'est inhabituel? Est- ce que c'est quelque chose qui, pour vous, était une contrainte que nos employés du gouvernement fédéral, en particulier au ministère des Finances, devaient rapporter les emprunts qu'ils faisaient auprès des institutions qu'ils surveillaient?
M. Allaire : Cela me semblait une mesure assez sage que l'on veuille connaître l'importance des prêts accordés à des fonctionnaires du ministère des Finances par des banques à charte, comme d'ailleurs on devrait le savoir aussi pour le personnel du Bureau du surintendant des institutions financières. S'il y avait des employés du Bureau du surintendant des institutions financières qui recevaient des prêts bancaires, je présume qu'il devrait y avoir une information de communiquer à la direction du Bureau.
La sénatrice Hervieux-Payette : Mon dernier commentaire sera pour vous et pour mes collègues. Au point de vue éthique au fédéral, on a un régime à deux temps : on a le commissaire à l'éthique, qui régit tous les fonctionnaires qui relèvent de la fonction publique, et tous les employés cadres de l'administration publique sont soumis à un code d'éthique régi par le Conseil du Trésor du Canada. Ce ne sont pas les mêmes mécanismes d'intervention et ils n'ont pas la même gouvernance au point de vue de l'éthique selon qu'ils sont commis-comptable au sein d'un ministère ou s'ils sont sous-ministres. Ils ne sont pas soumis au même mécanisme.
Est-ce que vous pensez que la loi régie par le commissaire à l'éthique devrait s'étendre et maintenant, compte tenu que cette provision soit là, que la loi s'applique aux hauts fonctionnaires?
M. Allaire : Dans la mesure où on voudrait adopter les mesures proposées, je pense que ce serait intéressant — et je pense que c'est le sens de la question qui m'était posée il y a un instant — d'ouvrir le parapluie de couverture du commissaire à l'éthique le plus largement possible.
La sénatrice Ringuette : Monsieur Allaire, merci beaucoup pour votre présence et votre contribution. Mme Mary Dawson, commissaire à l'éthique, a comparu à notre comité le 21 novembre dernier. Je lui ai demandé si elle avait été consultée avant que les changements proposés soient inscrits dans le projet de loi omnibus budgétaire et elle a répondu, non.
Donc, vous n'avez pas à vous faire de bile si on vous demande si vous avez consulté la commissaire à l'éthique; le gouvernement actuel ne l'a pas fait avant d'apporter de tels changements à un projet de loi omnibus budgétaire.
Non seulement cela va donner l'autorisation aux hauts fonctionnaires de siéger sur des conseils d'administration d'institutions financières, mais aussi à des gens qui siègent présentement au conseil de sociétés d'État fédérales de siéger sur des institutions financières. On pourrait avoir quelqu'un qui siège, par exemple à la Société canadienne d'hypothèques et de logement et également, à une institution financière qui ne serait régie par aucune règle fédérale des conflits d'intérêts avec les changements proposés.
Comment amender le projet de loi pour faire en sorte d'éliminer de telles situations? On pourrait donner l'exemple de la BDC, qui est une quasi-institution financière au fédéral ou encore, la Caisse agricole qui, elle aussi, est une société d'État, mais qui est essentiellement une quasi-institution financière. On aurait des membres qui siègent aux conseils d'administration de sociétés d'État. Le fait qu'on retrouve de tels changements dans un projet de loi omnibus budgétaire qui ne nous donne quasiment aucun levier pour enlever ces éléments est tout à fait aberrant. Il y a eu soit une demande au ministre des Finances pour avoir de telles libertés où un haut fonctionnaire voulait faire partie d'une institution financière ou vice versa.
On a parlé tout à l'heure des hauts fonctionnaires, mais il y a toute la question des gens qui peuvent siéger sur les sociétés d'État comme les exemples que je vous ai donnés.
M. Allaire : Oui, ou encore des mandataires. Dans la réalité des choses, si un membre de conseil ou un dirigeant d'une société d'État siégeait au conseil d'une banque à charte, il serait continuellement ou très souvent appelé à déclarer ses conflits d'intérêts selon les règles propres à la gouvernance de la banque à charte et, de l'autre côté, selon les règles propres à la société d'État sur laquelle il siège dont il est le dirigeant, chaque fois que des sujets arriveraient au conseil qui impliquent l'une et l'autre institution. C'est pourquoi lorsque j'ai été membre du conseil de la Caisse de dépôt et placement du Québec on a évité d'avoir des gens d'autres institutions financières parce que, trop souvent, ils devaient quitter la réunion parce qu'il était question d'enjeux où ils auraient pu être en conflit.
Du côté de l'institution qui recrute, les banques à charte sont sérieuses lorsqu'elles recrutent des membres du conseil. Elles sont très préoccupées du fait que la personne recrutée n'a pas à sortir de la réunion parce qu'elle est en conflit d'intérêts. Donc, on essaie d'éviter cela. Vous avez raison, on pourrait avoir des situations de cette nature.
La sénatrice Ringuette : C'est bien beau sortir de la pièce lorsqu'il est question de discuter d'un sujet, mais il n'y a aucune restriction aux discussions qui se produisent en dehors de la pièce.
Le 21 novembre dernier, lorsqu'on nous a présenté ces éléments dans le projet de loi C-4, le sous-ministre adjoint, direction de la politique du secteur financier, ministère des Finances, M. Rudin, a comparu, accompagné de 11 collègues. Donc, une douzaine d'experts du ministère des Finances, de la division du secteur financier nous ont dit que le secteur financier au Canada avait des problèmes à se trouver des experts pour siéger sur leur conseil d'administration.
Déjà là, on avait potentiellement une douzaine de nouveaux conseillers. Je fais de la politique depuis 26 ans et je n'ai jamais vu une situation aussi aberrante.
[Traduction]
Le président : Pourriez-vous, sénatrice, poser votre question avant que tout votre temps ne s'écoule?
[Français]
La sénatrice Ringuette : Que pensez-vous faire face à 12 fonctionnaires du ministère des Finances responsables au secteur financier qui viennent revendiquer la possibilité de siéger à des conseils d'administration de nos institutions financières?
M. Allaire : J'ai déjà dit dans mes notes de départ qu'il serait incongru que des fonctionnaires du ministère des Finances siègent sur les conseils de banques à charte ou de compagnies d'assurances. Ce serait se placer dans une situation intenable et j'ai toujours cru que si on pense à des fonctionnaires, on pense à des fonctionnaires d'autres ministères qui pourraient siéger au conseil de banques à charte et qui diminueraient un peu le risque de conflits. Mais il me semble inopportun et étonnant que l'on pense même à cette possibilité que des fonctionnaires du ministère des Finances fédéral siègent au conseil de banques à charte canadiennes.
Le sénateur Massicotte : Le projet de loi parle de fonctionnaires qui siègent sur le conseil d'institutions fédérales. Que pensez-vous du fait que les fonctionnaires siègent, comme en France, sur des conseils des sociétés d'État et ici, sur le conseil d'administration de la Banque du Canada ou de la BDC? Est-ce dans l'intérêt du Canada de le permettre? Comment voyez-vous cela?
M. Allaire : Cette question est plus complexe puisque, évidemment, l'actionnaire est le gouvernement et qu'il souhaite parfois être représenté directement au conseil.
Je suis assez opposé à cela; je l'étais à la Caisse de dépôt, mais dans la révision des choses, le sous-ministre des Finances du Québec siège maintenant à la Caisse de dépôt du Québec. J'étais contre parce que cela place le sous- ministre dans une drôle de position. Il est à la fois membre du conseil devant délibérer et voter sur des questions et tout le monde le voit comme le représentant du ministre qui n'est pas dans la pièce, mais lui est là. C'est un rôle rempli d'ambigüité pour une personne près du ministre et au conseil d'une entreprise. C'est, je crois, malsain, mais cette opinion n'est pas partagée par tous; je crois que c'est une situation malsaine, mais d'autres pensent autrement à ce sujet. Je peux comprendre qu'on puisse voir un lien direct entre le gouvernement et le conseil par le truchement de cette personne. C'est une erreur. C'est par le président du conseil d'administration que le ministre doit être informé de ce qui se passe au conseil par rapport aux enjeux de la gouvernance et par le président de l'entreprise, le chef de direction, qu'il doit être informé sur les enjeux de fonctionnement. Avoir au conseil un sous-ministre ou un haut fonctionnaire me semble créer une situation ambigüe.
Le sénateur Maltais : J'ai posé également des questions à la commissaire à l'éthique qui est, d'abord, commissaire à l'éthique pour faire appliquer la Loi sur l'éthique. Ce n'est pas à elle à composer la loi et de dire ce qu'elle doit contenir. Elle est nommée pour faire appliquer une loi existante. Sauf erreur, c'est son travail.
Je lui ai posé la question et je vous la pose également : voyez-vous un conflit d'intérêts à ce qu'un haut fonctionnaire du ministre des Finances siège au Fonds de solidarité? Et sa réponse a été non. Qu'en pensez-vous?
M. Allaire : Je ne crois pas que ce soit une question d'éthique, mais une question de fréquence. Il y a une possibilité de conflit entre son rôle d'administrateur d'une société et son rôle de haut fonctionnaire dans un ministère. Si on décrète que cette fréquence est très faible, on peut le considérer, mais on reste avec la possibilité très réelle que d'être nommé à ces conseils d'administration, qui sont très généreux financièrement, met la personne à risque.
Le sénateur Maltais : Les sommes que ces gens vont recevoir sont-elles déterminées dans le projet de loi? Ce n'est pas fait gratuitement.
M. Allaire : J'ai posé la question dans mon introduction. S'ils siègent en tant qu'indépendant, pourquoi ne seraient- ils pas payés comme les autres membres indépendants? S'ils ne sont pas indépendants, à ce moment, il y a un enjeu.
Le sénateur Maltais : Ce sont de hauts fonctionnaires. Habituellement, lorsqu'ils sont à l'emploi du gouvernement, ils ne peuvent pas avoir double rémunération. C'est quelque chose qu'on voit dans le secteur privé, mais rarement dans le secteur public.
M. Allaire : On ne peut pas dire que ces gens sont là au nom du gouvernement parce que c'est le gouvernement qui les nommerait à ce moment.
[Traduction]
La sénatrice Hervieux-Payette : On a dit qu'il pourrait y avoir des représentants du ministère de l'Agriculture, de la Santé et d'autres ministères.
[Français]
Ce qu'il est important de savoir, c'est que lorsqu'on est un haut fonctionnaire, généralement, nous sommes soumis à des règles spécifiques et je me demande comment nous allons gérer l'agenda de ces gens. Combien y a-t-il de réunions de conseil généralement? Combien de comités ces entreprises ont-elles? Il y a quand même une règle habituellement.
M. Allaire : Oui, on estime qu'être membre du conseil d'une entreprise demande en moyenne 300 heures par année et cela n'est pas suffisant lorsqu'on parle d'une grande banque dont les enjeux sont très complexes et dont la documentation pour chaque conseil est très complexe et volumineuse.
C'est extrêmement prenant pour quelqu'un qui a un travail à temps complet. C'est un engagement de temps considérable. Si un PDG du secteur privé veut accepter de joindre le conseil d'une banque, il doit demander l'autorisation de son conseil et on est très parcimonieux sur ce genre d'autorisation étant donné le temps à investir à cette entreprise, temps qu'il ne pourra consacrer à sa propre entreprise. On ne le fait que dans les cas où l'on pense que le PDG va apprendre des choses utiles pour son entreprise en étant membre du conseil d'une autre entreprise.
La sénatrice Hervieux-Payette : Est-ce que le Fonds de solidarité est une entité imposable?
M. Allaire : C'est une entité qui n'est pas imposable au taux habituel.
Le sénateur Maltais : Mais déductible.
Le sénateur Rivard : La sénatrice Ringuette a fait allusion à la dernière rencontre où il y avait potentiellement 12 candidats intéressants pour des conseils d'administration de compagnies d'assurances ou d'institutions financières. Lorsqu'on atteint à un tel niveau de compétence, on arrive à un niveau de très hauts fonctionnaires. Ce sont des personnes avec des compétences établies. Ils ne sont pas arrivés là par hasard. Il peut y avoir quelques nominations politiques à l'occasion, mais si c'est politique, la compétence va avec. J'essaie de comprendre si les contribuables pourraient voir un conflit si un haut fonctionnaire est membre d'un conseil d'administration d'une banque ou d'une compagnie d'assurance.
Les compagnies d'assurance et les banques, en général, comptent environ 20 à 30 membres sur leur conseil d'administration. Comment un sous-ministre adjoint ou un haut fonctionnaire pourrait-il faire en sorte que les intérêts du pays soient mal servis?
M. Allaire : Enfin, je ne sais pas si l'intérêt du pays serait mal servi, mais il y a deux éléments. D'abord, il y a effectivement du talent, des ressources et de l'expérience pertinente. Mais au Québec, la plupart des sous-ministres des finances qui ont été là, qui ont quitté la fonction publique, sont membres de conseils d'administration d'entreprises, mais après avoir quitté leur rôle et leurs fonctions de sous-ministre ou de sous-ministre adjoint ou autre. C'est normal.
Cela fait partie du talent, du bassin de talents duquel on peut recruter. Maintenant, quant à l'intérêt public, est-ce qu'on permet à ce que des fonctionnaires de ces ministères qui ont des rôles sensibles auprès de ces entreprises siègent aux conseils d'administration? Si vous dites non, ce seront des gens très éloignés dans leur expérience du secteur financier, puisqu'on parle du secteur financier. Je dis peut-être, mais à ce moment, leur valeur ajoutée n'est pas si grande. On ne parle pas du tout de gens qui apporteraient des valeurs ajoutées considérables de par leur expérience et expertise. Venant des finances, oui.
[Traduction]
Le président : Voilà qui met fin à nos questions, monsieur Allaire. Au nom du Comité sénatorial des banques, je vous sais gré d'avoir témoigné et de nous avoir donné des renseignements des plus utiles. Merci beaucoup.
Avez-vous une question?
La sénatrice Ringuette : Oui.
Le président : Allez-y.
La sénatrice Ringuette : J'aimerais que nous invitions l'Association des banquiers canadiens. Habituellement, ses représentants n'hésitent pas à comparaître devant le Comité sénatorial des banques. J'aimerais que l'on invite aussi le Bureau du surintendant des institutions financières et le responsable de l'Agence de la consommation en matière financière du Canada. En d'autres termes, de très nombreuses organisations gouvernementales sont touchées par cette législation et par les changements que nous examinons. Je pense donc qu'elles devraient comparaître devant nous pour justifier ces changements.
Le président : Merci beaucoup. Le comité directeur étudiera certainement la question.
Je suis heureux de vous annoncer que l'Association des banquiers canadiens, qui avait à deux reprises décliné notre invitation, sera en mesure de témoigner demain matin à 10 h 30 par vidéoconférence. À cet égard, je sais gré à la vice- présidente du comité, la sénatrice Hervieux-Payette, d'avoir réussi, pratiquement au moment même où nous siégeons, à en avoir la confirmation.
Quant aux autres invitations, le comité directeur s'en occupera, mais une chose est sûre, l'Association des banquiers canadiens sera là et je vous remercie de votre proposition. J'exprime de nouveau mes remerciements à la vice-présidente pour les immenses efforts qu'elle a déployés.
Sur ce, j'aimerais que quelqu'un propose une motion visant à poursuivre nos débats à huis clos. Merci, la motion est adoptée.
(La séance se poursuit à huis clos.)