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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce

Fascicule 26 - Procès-verbal du 25 mars 2015


OTTAWA, le mercredi 25 mars 2015

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 16 h 16, pour étudier l'utilisation de la monnaie numérique.

Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bon après-midi, soyez les bienvenus au Comité sénatorial des banques et du commerce.

Avant de commencer, j'aimerais profiter de l'occasion pour souhaiter la bienvenue à Keli Hogan, qui reprend ses fonctions de greffière du comité. Nous sommes enchantés que vous soyez de retour parmi nous.

Nous tenons aujourd'hui la 18e séance de notre étude spéciale de l'utilisation de la monnaie numérique, qui concerne également les risques, les menaces et les avantages potentiels associés à ces types d'échanges électroniques. Jusqu'ici, le comité a entendu les témoignages d'un large éventail de témoins, dont des organismes gouvernementaux, des experts des opérations financières numériques, des universitaires et des entrepreneurs qui utilisent le bitcoin. Dans le cadre de sa dernière séance, le comité s'est intéressé en particulier à la question de la cybersécurité dans le contexte canadien.

Aujourd'hui, nous allons changer de registre. Nous accueillons en effet un représentant de l'un des plus grands organismes sans but lucratif du monde, la Fondation Bill et Melinda Gates. La Fondation Gates s'est engagée dans l'économie numérique et s'en sert pour soulager la pauvreté dans les pays en voie de développement.

C'est un plaisir d'accueillir M. Rodger Voorhies, directeur, Développement mondial, Services financiers destinés aux plus démunis, qui témoigne par vidéoconférence depuis le siège de la Fondation Bill et Melinda Gates à Seattle, dans l'État de Washington.

L'initiative Services financiers destinés aux plus démunis vise à jouer le rôle de catalyseur afin d'élargir la portée des systèmes de paiement numérique à faible coût, en particulier dans les régions pauvres et les régions rurales. Selon son rapport annuel de 2013, la Fondation Gates, pendant l'année civile 2013, a versé à des programmes de développement mondial une somme de près de 1,8 milliard de dollars, dont une tranche de 5 p. 100, soit approximativement 90 millions de dollars, a été attribuée au programme Services financiers destinés aux plus démunis.

Les membres du comité s'en souviendront certainement, le concept des personnes qui n'ont pas de compte bancaire a été soulevé à plusieurs reprises au cours de notre étude. Nous avons entendu dire que plus de 2,5 milliards d'adultes n'ont pas de compte bancaire, ce qui équivaut à près de 50 p. 100 des adultes à l'échelle du globe. On nous a également expliqué en quoi les services financiers classiques peuvent aider les gens à protéger leurs avoirs, à traverser des crises financières personnelles, à envoyer et à recevoir des paiements et à mieux gérer leur exploitation agricole ou leur petite entreprise.

M. Voorhies et son équipe de la Fondation Gates cherchent le moyen de faire fond sur les progrès rapides des communications mobiles et des systèmes de paiement numériques. Leur objectif est d'élargir l'accessibilité d'outils financiers abordables et fiables qui comblent les besoins des plus pauvres.

C'est avec un grand plaisir que nous allons écouter la déclaration préliminaire de M. Voorhies, qui sera suivie des questions de nos sénateurs. Bienvenue, monsieur Voorhies. Vous avez la parole, monsieur.

Rodger Voorhies, directeur, Développement mondial, Services financiers destinés aux plus démunis, Fondation Bill et Melinda Gates : Merci, sénateur. C'est pour moi un honneur d'avoir été invité à m'exprimer devant votre comité. J'aimerais remercier le sénateur Gerstein, qui m'a transmis cette invitation à titre de président du comité, et j'aimerais également remercier la greffière du comité, qui m'a aidé à préparer mon témoignage d'aujourd'hui.

Je tiens à remercier le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce de l'invitation qui m'a été adressée pour témoigner aujourd'hui devant cette assemblée. L'étude menée par le Sénat canadien sur les monnaies numériques tombe à point nommé et devrait permettre des avancées considérables dans le débat mondial. La fondation attend impatiemment les résultats de l'étude menée par le comité, notamment parce qu'elle s'intéresse à la façon dont les monnaies numériques vont toucher les plus défavorisés au cours des 15 prochaines années.

En préparant mon intervention, j'ai pu consulter les transcriptions des témoignages précédents. Nombre des questions soulevées par le comité sont également examinées par d'autres institutions à l'échelle mondiale; elles constituent également un aspect clé des règlements envisagés, comme me l'ont dit des intervenants des banques centrales et des ministères des Finances avec qui j'ai discuté. Je crois donc qu'il s'agit d'un moment idéal pour à la fois stimuler le dialogue et réfléchir aux implications de ces questions.

Je me permets de souligner, mesdames et messieurs les sénateurs, que j'ai également pu compter sur l'aide d'une « conseillère maison » pour me préparer. Comme le sénateur Gerstein le sait, ma fille Willa a le privilège d'étudier à l'Université McGill. Elle m'a conseillé de m'assurer que la majorité des équipes canadiennes de la Ligue nationale de hockey participent aux séries éliminatoires, le mois prochain, mais de ne rien dire du tout sur le March Madness — la folie de mars —, c'est-à-dire le championnat universitaire de basket-ball américain de la NCAA.

J'aimerais présenter rapidement la fondation avant de parler du travail que nous faisons au sein du programme Services financiers destinés aux plus démunis.

Comme le sénateur Gerstein l'a signalé, notre fondation investit environ 3,6 milliards de dollars par année. De ce montant, environ 1,1 milliard de dollars sont consacrés à la santé mondiale et au soutien à la conception de nouveaux outils et de nouvelles technologies; un montant de 1,8 milliard de dollars est consacré au développement mondial; et le reste est consacré à des programmes américains axés principalement sur l'éducation.

Nous apprécions depuis longtemps le soutien massif apporté par le gouvernement canadien aux initiatives mondiales en matière de santé et de développement. Je sais qu'en cette période difficile sur le plan économique, il faut parfois procéder à des arbitrages délicats. Permettez-moi de vous demander de ne pas les faire au détriment du développement international, qui offre l'un des meilleurs taux de rendement des investissements à l'égard de nos ressources collectives.

Nous apprécions notre solide partenariat avec le gouvernement canadien autour de plusieurs questions liées au développement international. D'ailleurs, la visite de Bill Gates à Ottawa, à la fin du mois de février, a permis de mettre en lumière notre partenariat et de remercier le gouvernement canadien et le public de leur engagement soutenu dans les domaines de la santé de la mère, du nouveau-né et de l'enfant. Nous sommes très reconnaissants, en particulier, de la récente contribution du Canada à Gavi, l'alliance du vaccin, qui va nous permettre d'immuniser quelque 300 millions d'enfants supplémentaires sur les cinq années à venir. Le nombre de décès d'enfants a diminué de moitié depuis 1990 et pourrait diminuer de nouveau de moitié d'ici 2030.

Je voudrais centrer le reste de mon propos sur le programme Services financiers destinés aux plus démunis, qui vise à assurer une meilleure diffusion de systèmes de paiement numérique robustes, ouverts et peu onéreux.

Comme vous le savez, les technologies de la communication offrent aujourd'hui des moyens innovateurs et prometteurs d'effectuer des paiements à partir de téléphones mobiles ou d'autres appareils numériques. En passant du paiement en espèces au paiement en numérique, on facilite la vie financière des plus défavorisés, certes, mais on facilite également l'intégration de millions de ménages à l'économie officielle. La Fondation Gates croit que tout le monde bénéficie d'une économie qui inclut tout le monde.

Dans les pays riches, la plupart des gens effectuent leurs transactions financières par voie numérique. L'argent et les valeurs sont stockés de façon virtuelle et transférés instantanément, en appuyant sur un bouton. Le système donne facilement accès à toute une gamme de services, et les gens peuvent épargner ou faire un emprunt d'urgence.

À l'inverse, la plupart des ménages défavorisés effectuent presque toujours leurs transactions dans une économie informelle, en utilisant de l'argent comptant, des bijoux, du bétail, et s'adressent à d'autres institutions informelles pour combler leurs besoins financiers. De fait, des études ont montré que les personnes à faible revenu peuvent utiliser de 11 à 14 types de services financiers informels. Le problème, c'est que ces services sont aussi coûteux que risqués.

Tout d'abord, il s'avère plus risqué et plus coûteux pour eux d'envoyer, de stocker ou de recevoir de l'argent. Et quand un problème majeur survient, ces mécanismes informels ont tendance à se désagréger. Ensuite, les ménages défavorisés se retrouvent exclus de l'économie officielle, car faire affaire avec eux coûte trop cher aux institutions financières.

J'ai vu de mes propres yeux, lorsque je travaillais à la mise sur pied d'une banque au Malawi, à quel point de petits changements au chapitre de l'accès peuvent avoir une incidence notable sur la vie des gens pauvres. Nous avons constaté que le simple fait de leur offrir un compte d'épargne pendant la saison des récoltes leur permettait de conserver cet argent pendant toute une saison et d'en investir davantage dans l'achat d'engrais pour l'année suivante. Une grande enquête à échantillon constant a révélé que l'utilisation d'engrais avait augmenté de 35 p. 100 et que le revenu des ménages s'était élevé de plus de 17 p. 100. Mesdames et messieurs les sénateurs, c'est ce qui fait la différence entre un plancher en terre battue et un plancher de béton, entre des enfants qui ne vont pas à l'école et des enfants qui y vont, entre un toit de chaume et un toit de tôle, et cette différence nous ramène aux causes profondes de la pauvreté intergénérationnelle.

L'exclusion financière est plus marquée chez les femmes et chez les habitants des zones rurales. Près de la moitié des adultes dans le monde n'ont tout simplement pas accès à l'infrastructure. La meilleure façon de réduire les coûts de la prestation de services financiers à des gens démunis consiste à les aider à effectuer la majorité de leurs transactions par voie numérique plutôt qu'avec de l'argent comptant, ce qui permet d'éliminer 90 p. 100 des coûts.

Dans le rapport Doing Payments Profitably, élaboré de concert avec McKinsey & Company à l'issue d'une étude portant sur plusieurs pays, nous avons constaté que les transactions par voie électronique, en plus d'être les moins coûteuses, sont celles dont les coûts varient le moins entre les pays; cela veut dire que les pays à faible revenu peuvent plus facilement offrir les niveaux de service nécessaires au moyen d'un service numérique.

On connaît des exemples de fournisseurs de services de paiement numériques qui tirent déjà parti de ces technologies. Il existe plus de 250 solutions de paiement à distance dans le monde, et le nombre d'utilisateurs dépasse largement les 200 millions.

Les technologies de communication offrent aujourd'hui de nouvelles façons d'effectuer des paiements sur téléphone mobile. Un aspect important des travaux de votre comité touchait la cryptomonnaie et la monnaie virtuelle, de nouvelles technologies emballantes qui présentent cependant leurs lots de problèmes au chapitre de l'anonymat. Il faut en outre s'assurer que la devise ne connaisse pas trop de fluctuations, car les gens à faible revenu ont besoin de stabilité.

J'ai été ravi d'entendre que le gouvernement canadien avait soutenu l'expansion du M-Pesa en Tanzanie et au Kenya.

L'approche de la Fondation Gates compte trois objectifs : développer les services financiers numériques destinés aux démunis; accroître la capacité des personnes défavorisées à surmonter les crises économiques; générer des répercussions sur l'ensemble de l'économie en reliant un grand nombre de personnes à faible revenu à l'économie officielle.

La fondation a défini quatre priorités ou secteurs prioritaires clés. Le premier secteur est celui des systèmes de paiement numérique, et la priorité consiste à ériger l'infrastructure adéquate dans de grands marchés du monde, où se trouvent jusqu'à 65 p. 100 des personnes à faible revenu. Il existe d'excellents modèles en Europe occidentale, et il y a Interac, au Canada; cette infrastructure est accessible par d'innombrables personnes et constitue un système robuste et peu coûteux. Le système canadien de paiement est l'un des meilleurs modèles qui soient dans le monde. Nous croyons que les nouvelles technologies peuvent avoir les mêmes résultats dans ces pays, qu'elles seront aussi sûres et qu'elles auront des répercussions économiques aussi importantes.

Nous travaillons aussi dans des pays où des systèmes de paiement numérique ont été lancés, et nous essayons d'offrir des services qui auront un impact véritable sur les ménages. Un grand nombre de ces services sont conçus spécifiquement pour répondre aux besoins en gestion des ménages, en particulier aux besoins des femmes et des petits exploitants agricoles.

Nous faisons la promotion de l'innovation et de l'ouverture, nous soutenons l'innovation et l'ouverture, et nous essayons en même temps de lancer de nouvelles idées dans des marchés qui ont trop longtemps été laissés pour compte.

Enfin, nous avons conclu des partenariats internationaux et nous mettons l'accent sur la recherche et l'innovation. Nous travaillons partout dans le monde avec des gouvernements, des donateurs, des organismes de normalisation financière, et nous nous réjouissons de ce que le GAFI a accompli ces deux dernières années afin de soutenir l'inclusion financière et de faire comprendre que l'exclusion représente un risque.

Je dirai pour conclure que les services bancaires numériques sont l'un des quatre défis lancés par Bill et Melinda dans la lettre qu'ils nous envoient chaque année. Nous croyons que les services numériques seront un agent de transformation et qu'ils amélioreront la vie des plus défavorisés au cours des 15 prochaines années; nous croyons que ces services s'étendront beaucoup plus vite que n'importe quel autre service au cours de l'histoire.

Nous espérons, que d'ici 2030, les deux milliards de personnes qui n'ont pas de compte bancaire pourront placer de l'argent et effectuer des paiements à partir de leur téléphone cellulaire ou d'un autre appareil numérique, et qu'ils pourront de cette façon économiser en vue des études, payer les soins médicaux d'urgence et acheter de la nourriture lorsque l'exploitation agricole familiale n'en produit pas suffisamment.

Je vous remercie de l'attention que vous m'avez accordée, et je répondrai avec plaisir à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Voorhies, c'était une remarquable déclaration préliminaire.

Je vous écoutais décrire tout cela. C'est si vaste, cela se passe à une échelle si étendue que c'est très incompréhensible, à certains égards. Très peu de gouvernements seraient en mesure de soutenir un programme comme celui dont vous parlez.

Dites-moi, quel a été votre point de départ? Comment avez-vous mis tout cela en œuvre? Comment vous êtes-vous attaqué à ces enjeux-là?

M. Voorhies : Très bonne question, sénateur. Merci.

Sénateur, nous nous sommes pour commencer posé trois questions fondamentales : pourquoi les services financiers sont-ils importants pour les démunis? Devrions-nous même nous en préoccuper? Pourquoi devraient-ils faire partie de la stratégie de développement? Deuxièmement, qu'est-ce qui cloche avec les outils informels qu'ils utilisent à l'heure actuelle? Troisièmement, que faudrait-il changer dans l'économie pour amener ces services à disparaître?

Nous avons réfléchi à ces questions, en tenant compte des données probantes et des antécédents des autres programmes de développement, et nous nous sommes également servis des données de la Banque mondiale, entre autres, afin de comprendre où se situaient les lacunes.

Nous pensons qu'en suscitant une telle transformation dans huit pays du monde, cela règle la moitié du problème — ou peut-être 60 p. 100, tout dépend de la façon de compter —, et nous pensons que cela créera un effet d'entraînement.

Nous avons également pu compter, sénateur, sur des partenaires extraordinaires, par exemple dans le cadre des initiatives de développement qui sont menées en Europe, en Amérique du Nord, y compris les banques du monde et aussi les pays en développement eux-mêmes.

La sénatrice Bellemare : Ma question a trait à l'instrument et à la devise utilisés dans les pays pauvres. Vous utilisez, je crois, le M-Pesa plutôt que le bitcoin, une autre devise, qui suppose d'avoir du temps d'antenne sur son téléphone cellulaire. J'aimerais que vous nous expliquiez pourquoi vous avez choisi le M-Pesa, comment il fonctionne et comment il peut fonctionner dans les pays pauvres, car il faut un téléphone cellulaire pour l'utiliser. Dans les pays pauvres, est-ce que des téléphones cellulaires sont donnés aux gens, ou doivent-ils les acheter? Est-ce qu'une infrastructure suffisante est en place pour changer les choses? C'est une technologie assez avancée, et parfois, dans les pays pauvres, les technologies ne sont pas si avancées que cela, corrigez-moi si je me trompe. J'aimerais que vous m'expliquiez comment vous fonctionnez, au sein de votre fondation.

M. Voorhies : Madame la sénatrice, vous posez une très bonne question, c'est une question au sujet de laquelle nous avons fait beaucoup de recherche.

Les téléphones mobiles affichent un très fort taux de pénétration dans de nombreuses économies, et ce, même dans les ménages à faible revenu. À l'échelle du globe, je crois que l'on compte plus de 85 cartes SIM — la petite carte que l'on glisse dans le téléphone — par tranche de 100 personnes. Les gens à faible revenu, même s'ils ne jouissent pas d'un accès universel, même dans certains des pays les plus pauvres du monde, il y a dans la population jusqu'à 60, 70, voire 90 p. 100 des gens qui ont accès à un téléphone mobile.

C'est en fait un des éléments clés qui nous permettent d'imaginer qu'il est possible de faire passer davantage les services financiers par les téléphones cellulaires, étant donné que l'infrastructure est vraiment bien en place.

Je vais vous donner un exemple. En Tanzanie, l'un des pays les plus pauvres du monde, plus de 45 p. 100 environ des gens utilisent des services financiers mobiles, pas seulement le M-Pesa, car il y a quatre fournisseurs présents dans le pays. Ce qui est emballant dans ce marché, c'est que plus de 35 p. 100 des gens gagnent moins de 2 $ par jour, et c'est chez ces personnes que la transformation est visible.

Il existe toutefois une lacune importante, que vous avez à juste titre mentionnée. Dans plusieurs des pays où nous travaillons, l'accès des femmes aux téléphones mobiles est disproportionné, et, dans le cadre de notre collaboration avec la GSMA et avec d'autres organismes, nous cherchons à savoir si les capitaux du milieu philanthropique n'auraient pas un rôle à jouer, alors je vous remercie.

La sénatrice Bellemare : Vous utilisez le M-Pesa plutôt qu'une cryptomonnaie comme le bitcoin, même si le bitcoin est très populaire, dit-on, dans certains pays en voie de développement. Pourquoi avez-vous fait ce choix?

M. Voorhies : Je dirais que le M-Pesa n'est qu'une marque, mais elle compte parmi les marques les plus anciennes; c'est pourquoi nous travaillons avec divers intervenants.

Si nous avons choisi la technologie mobile plutôt que le bitcoin, pour le moment, ou un protocole virtuel, c'est en réalité pour trois raisons. Premièrement, à l'heure actuelle, la technologie qui se retrouve entre les mains des personnes à faible revenu, c'est la technologie des appareils mobiles, et nous croyons qu'il est possible d'offrir des services ouverts et robustes à très peu de coûts avec cette technologie. Cela dit, nous pensons que la cryptotechnologie est un domaine très emballant, et nous effectuons actuellement des recherches de ce côté-là. Nous collaborons avec un grand nombre d'importants fournisseurs, dans ce domaine, afin de mieux le comprendre et peut-être même de pouvoir lancer des projets pilotes.

À l'heure actuelle, l'aspect qui nous préoccupe le plus, quand on parle des gens à faible revenu qui utilisent des produits semblables au bitcoin, c'est, tout d'abord, l'aspect de l'anonymat. Je dirais, à titre de personne qui travaille dans le développement, que les antécédents des gens pauvres sont mal connus et qu'il est donc difficile pour ces personnes de générer de la valeur économique. Ils restent dépendants, étant donné que les renseignements à leur sujet ne sont pas suffisants. Ils paieront des taux d'intérêt plus élevés; on leur imputera un risque plus élevé; et ils ne pourront pas obtenir les services gouvernementaux dont ils ont besoin. L'anonymat qu'offre cette devise n'est donc pas la solution idéale.

Deuxièmement, cette devise est plutôt instable, et je crois que les gens démunis vivent déjà dans l'instabilité. La stabilité leur est nécessaire.

Cela dit, nous croyons que la technologie pourra un jour assurer à la fois l'identité et la stabilité, et c'est pourquoi je pense que votre comité et d'autres comités devraient réfléchir sérieusement à la façon dont ces services sont offerts et montrer la voie à suivre.

La sénatrice Ringuette : Tout cela est très intrigant, et je comprends ce que vous voulez dire au sujet de l'anonymat. Pourquoi les Tanzaniens ne voudraient-ils pas traiter leurs achats, leurs prêts ou leurs économies au moyen d'appareils numériques, mais dans leur propre devise?

M. Voorhies : Madame la sénatrice, c'est une bonne question. Je vais vous expliquer un peu comment fonctionne actuellement cette technologie.

Disons que je suis un Tanzanien moyen; disons que j'habite près de Dar es Salaam et que je désire envoyer de l'argent à ma mère, qui vit à Arusha, ce qui est assez loin. Voici ce que je ferais. Je communiquerais avec un agent à Dar es Salaam : il y en a des milliers et des milliers. Je ne sais pas combien il y en a exactement en Tanzanie, mais il y a probablement quelque 45 000 agents, dans ce pays, alors qu'il n'y a que quelques centaines de succursales bancaires. Alors, je prendrais mon argent tanzanien, je le remettrais à l'agent et il me l'échangerait contre sa valeur électronique. C'est à peu près ce qui se passe lorsque vous allez dans une banque du Canada pour déposer de l'argent comptant et que la banque dépose de l'argent dans votre compte. C'est comme avoir un portefeuille mobile dans son téléphone. Cela se passe ensuite comme avec un message texte, mais c'est un peu plus sécurisé. Je peux envoyer de l'argent à ma mère, et elle peut le dépenser comme elle le veut. Donc, par exemple, en Tanzanie, je peux l'utiliser pour acheter des unités pour ma lampe solaire, pour éclairer ma maison, ou je peux demander qu'on me remette de l'argent comptant. C'est ainsi que cela se passe, à l'heure actuelle. Il suffit de convertir les devises tanzaniennes en devises électroniques, tout comme nous le faisons tous, avec nos cartes de débit.

La sénatrice Ringuette : Chaque fois qu'il faut convertir des devises, il y a un coût. Les agents dont vous parlez percevraient des frais pour la conversion de devises tanzaniennes en devises numériques. Pour reprendre votre exemple, si la personne envoie des devises numériques à sa mère, ou à qui que ce soit, alors il se pourrait qu'à l'autre bout, pour diverses raisons, des frais supplémentaires soient exigés pour la conversion dans une autre devise, et ainsi de suite.

Je comprends la simplicité du portefeuille numérique; toutefois, cela dit, des frais sont liés à toutes les étapes. Cela ne règle pas le problème, pour les petites entreprises, d'établir des antécédents de crédit en vue de demander un jour un prêt, des choses comme ça. Je suis une inconditionnelle des coopératives financières, alors j'aimerais que vous nous parliez de la question des frais et toutes ces choses.

M. Voorhies : C'est vraiment une très bonne question, et elle nous donne du fil à retordre. Je vais essayer de vous exposer quelques-unes des observations que nous avons jusqu'ici tirées de nos recherches.

Tout d'abord, la plupart des programmes dans le monde vous permettent de faire des paiements à partir de votre portefeuille mobile ou d'y déposer de l'argent sans frais, et le prix de la transmission par voie électronique — le coût réel de l'envoi de l'argent — ne représente que quelques cents, voire moins, dans certains pays. À l'heure actuelle, les fournisseurs font de l'argent au moment de monnayer les crédits, et les frais se situent quelque part entre 25 et 35 ¢, cela dépend du pays où vous vous trouvez.

Ce n'est quand même pas aussi abordable que nous aimerions que ce le soit. Il y aurait moyen de rendre ce service beaucoup plus abordable, mais il est déjà radicalement moins cher que les autres solutions auxquelles les démunis ont accès à l'heure actuelle, et c'est l'une des raisons pour lesquelles ils y recourent.

Permettez-moi de vous donner deux exemples tirés de la recherche. Le premier concerne les gens à faible revenu; comme ils n'ont pas d'assurance, dans leur pays, en cas d'urgence, ils se tournent vers leur famille et leurs amis pour leur emprunter de l'argent. Des professeurs du MIT, à Georgetown, ont mené une étude à grande échelle sur la situation des utilisateurs du système M-Pesa au Kenya, qui s'en servent pour faire des paiements et rien d'autre, n'ayant ni épargne, ni crédit, ni quoi que ce soit. Les chercheurs ont constaté que les gens envoyaient de l'argent de façon beaucoup moins coûteuse en cas d'urgence, grâce à un réseau beaucoup plus étendu, et que ce réseau protégeait les gens des imprévus affectant le ménage, qu'il s'agisse d'un problème de santé — il faut savoir que, dans 60 p. 100 des cas environ, les problèmes des personnes à faible revenu sont d'ordre médical — ou d'un événement plus positif, par exemple la naissance d'un enfant ou un mariage.

En réalité, les gens qui n'utilisaient pas le système M-Pesa affichaient, même six mois plus tard, une diminution de 7 p. 100 de leur revenu disponible, tandis que les utilisateurs du système avaient été protégés contre l'imprévu. Malgré les frais, qui sont relativement peu élevés — même si nous aimerions qu'ils le soient davantage —, le système avait réellement protégé le ménage, et c'est pourquoi les gens étaient prêts à en assumer le coût.

La deuxième question que vous avez soulevée, avec raison, concerne le crédit et l'épargne. Nous savons que l'épargne revêt une importance incroyable pour les personnes à faible revenu. Le crédit augmente, mais il est grevé par l'un des problèmes liés à l'anonymat des pauvres. Ces derniers sont considérés comme des personnes à risque très élevé et se voient imposer des taux d'intérêt très élevés parce qu'on ne les connaît pas suffisamment. À mesure qu'ils font des transactions par voie électronique, nous voyons apparaître de nouveaux modèles, des groupes comme M-Shwari au Kenya, M-Pawa en Tanzanie et d'autres encore qui commencent à offrir des prêts d'urgence à très court terme en se fondant sur le profil des paiements faits par les utilisateurs et sur d'autres types d'algorithmes.

Tout d'un coup, les pauvres ont accès à un crédit d'urgence, ce qui leur était impossible auparavant. Cela ne règle pas le problème des petites entreprises ni ne comble les besoins à long terme des petits exploitants agricoles. C'est l'un des aspects qui nous intéressent, à la Fondation Gates : comment rendre plus abordables encore ces instruments de crédit? Ils coûtent encore trop cher. Comment pouvons-nous en prolonger la durée de façon que leur valeur économique soit plus élevée?

Il y a un peu de tout. Il y a des lueurs d'espoir d'un côté, mais il y a encore les défis que vous avez mentionnés de l'autre.

La sénatrice Ringuette : J'imagine que cela continue de vous occuper. Vous avez parlé, dans votre exposé, d'une étude du groupe McKinsey; pourriez-vous nous en faire parvenir une copie?

M. Voorhies : Oui, sans aucun problème. Certains de mes collègues sont sur place et ils veilleront à ce que la greffière en reçoive une copie. Je préfère vous en avertir, c'est un document assez volumineux. Vous voudrez peut-être prendre connaissance du résumé, pour commencer, mais nous vous transmettrons quand même le document entier. Il est vraiment plein de renseignements utiles et éclairés qui ont influencé même des responsables de banques centrales, et c'est avec plaisir que je vais vous le transmettre.

Le président : J'aimerais poursuivre sur la question de la sénatrice Ringuette, un petit moment, parce que je n'ai pas tout à fait compris. Au Kenya, par exemple, on utilise forcément la devise du pays. Pourquoi un Kényan ne pourrait-il pas tout simplement transférer des devises de son pays, en utilisant son téléphone, plutôt que d'avoir à les convertir en M-Pesa?

M. Voorhies : La façon dont il faut voir cela, sénateur, c'est qu'il se transmet tout simplement des shillings kényans. Seulement, c'est sous forme électronique, plutôt qu'en espèces, de la même façon que pour nos cartes de débit ou de crédit. Les gens paient en shillings kényans.

Le président : Quel est le rapport entre le M-Pesa et le shilling?

M. Voorhies : Si vous voulez voir les choses de cette manière, imaginez que le téléphone mobile est tout simplement un portefeuille électronique. L'argent que vous placez à la banque n'est pas stocké quelque part, il est en réalité stocké dans un nuage, et vous pouvez y accéder à partir de votre appareil mobile.

C'est très semblable aux services bancaires que nous utilisons tous; vous déposez de l'argent à la Banque Royale du Canada, et il y a une inscription à votre compte indiquant que le sénateur Gerstein a déposé tel montant. Cela se passe de la même manière pour Mme Magadi, au Kenya : elle dépose de l'argent, elle possède un tel montant de shillings dans son compte, et elle fait des transactions avec ces shillings. C'est différent des bitcoins et d'autres types de cryptomonnaie; dans leur cas, vous échangez réellement une devise matérielle pour une devise virtuelle.

Du point de vue local, c'est la même devise. Cela s'applique à l'argent mobile partout dans le monde, à l'heure actuelle.

Le sénateur Tkachuk : C'est tout simplement un portefeuille numérique où les devises sont déposées; c'est cela?

M. Voorhies : Un portefeuille numérique, oui.

Le sénateur Greene : Merci d'être venu. Nous sommes enchantés que vous ayez pris le temps de comparaître devant notre comité.

J'aimerais explorer davantage la relation entre le M-Pesa et le shilling, car j'aimerais bien comprendre. Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, le M-Pesa est tout simplement un autre nom pour le shilling, il en est la version électronique. Je pensais que le M-Pesa était la création d'une entreprise privée, M-Pesa, un très important fournisseur de services Internet et de services pour téléphone mobile.

Essentiellement, quand vous achetez par M-Pesa, vous achetez du temps d'antenne. J'aimerais en apprendre davantage sur sa relation avec le shilling et sur la façon dont les taux de change sont déterminés. Supposons que M-Pesa, c'est-à-dire l'entreprise privée, décidait d'augmenter les frais d'utilisation du réseau, quelle serait l'incidence sur le shilling et sur ce qu'il faudrait pour transférer ou acheter un certain montant?

M. Voorhies : C'est une très bonne question qui concerne un aspect très pointu de la technologie. Je pourrais peut-être vous présenter un bref historique, sénateur, si vous me le permettez...

Le sénateur Greene : Bien sûr.

M. Voorhies : ... puis je vais vous expliquer comment cela fonctionne dans la pratique. Lorsque ces programmes ont été lancés, il y a eu partout dans le monde différents projets pilotes. La première utilisation consistait à envoyer à une autre personne du temps d'antenne pour qu'elle puisse l'utiliser.

Une étude réalisée au Rwanda en fournit un excellent exemple. Une région du pays a été secouée par un tremblement de terre; aussitôt, des gens du réseau entier se sont mis à envoyer du temps d'antenne aux gens de la région frappée, qui pouvaient utiliser ce temps. Ils l'ont monnayé, et un ratio a été établi.

Dans le cas du M-Pesa, le travail a été fait en collaboration avec la Banque centrale du Kenya. Il s'agit d'une entreprise privée, détenue à la majorité ou en partie par Vodafone, du Royaume-Uni. L'innovation qu'elle a proposée consistait à convertir des shillings kényans en une valeur électronique du shilling kényan. Le système s'appuyait sur un compte en fiducie, constitué d'argent liquide — d'espèces — conservé par une banque du Kenya, et par plusieurs banques aujourd'hui.

C'était assez semblable à ce qui se passe quand nous envoyons de l'argent dans une autre région du monde, ou ailleurs au Canada, ou aux États-Unis. Nous prenons en fait des espèces pour les échanger contre leur valeur électronique, laquelle dans ce cas-ci est soutenue par une réserve de liquidités à 100 p. 100, détenue en fiducie, pour ce qui concerne le M-Pesa, que vous pouvez ensuite encaisser.

Ce que je suis incapable de vous dire, étant donné que je ne connais pas l'architecture du système du M-Pesa, c'est la nature du code transmis d'un téléphone à un autre. Est-ce que ce sont les devises elles-mêmes qui sont transmises, ou prennent-elles une forme électronique différente? En pratique, aucune commission n'est perçue au regard du taux de change, et tout le monde au Kenya considère essentiellement qu'il s'agit de shillings kényans soutenus par des shillings kényans.

Il s'agissait en réalité d'un cas d'utilisation très particulier et très important, et nous devons veiller à ce que les banquiers le comprennent. Étant donné l'exigence d'un compte en fiducie et le rapport un pour un, il était impossible de créer une valeur électronique supérieure à la valeur des shillings kényans en circulation. Il y a eu quelques inquiétudes, à un moment donné, quant à la possibilité que ce système crée de l'inflation ou d'autres sortes de problèmes; le FMI a évalué la situation, avec d'autres intervenants, et a conclu qu'il n'y avait aucun risque, puisque la masse monétaire restait inchangée.

La nature exacte de ce qui est transmis reste subtile, mais il est probablement plus simple de s'imaginer qu'il s'agit exactement d'un shilling kényan.

Le sénateur Greene : Cela répond à deux ou trois de mes questions. Merci beaucoup.

Il me reste une question, cependant. Par rapport aux autres devises du même type, en Afrique, est-ce que le M-Pesa est la devise la plus importante en son genre?

M. Voorhies : Le M-Pesa est la plus importante devise au Kenya. C'est aussi la plus importante en Tanzanie. C'est même la plus importante dans le monde, mais il y a au Bangladesh un groupe, qui s'appelle bKash, qui pourrait la surpasser d'ici un an ou deux, et cette devise est tout aussi importante.

Le sénateur Greene : C'est très intéressant. Est-ce qu'il y a un aspect de la mise en œuvre de ces devises qu'on pourrait appliquer dans des pays industrialisés comme les États-Unis ou le Canada?

M. Voorhies : Si nous réfléchissons à ce type de capacité, les pays industrialisés peuvent en tirer des enseignements et des leçons. Ce système aurait peut-être de la difficulté à démarrer, car nous sommes assez satisfaits de ce que nous avons, ou à peu près. Laissez-moi vous dire ce que je pense au sujet des différences, et je crois qu'elles ont en partie motivé notre travail, comme nous l'avons déjà vu.

À l'heure actuelle, bon nombre des systèmes de transfert d'argent utilisés pour le commerce de détail, par exemple les cartes de crédit, supposent que le commerçant prend l'initiative du paiement, non pas que l'utilisateur s'occupe de payer le commerçant. Quelques études semblent indiquer que la formule contraire est beaucoup moins propice à la fraude. Je crois que c'est une grande leçon et qu'elle fait son chemin chez les fournisseurs de services de paiement du monde entier, qui commencent à céder l'initiative du paiement au payeur, parce qu'ils croient que cela permettra de réduire la fraude et aussi une partie des coûts de transaction.

La seconde leçon pourrait s'appliquer au moins aux États-Unis; je ne peux pas envoyer de l'argent à partir de mon téléphone mobile sans passer par plusieurs intermédiaires ni sans présenter en garantie ma carte de crédit. J'aimerais beaucoup pouvoir envoyer de l'argent à ma fille à Montréal, directement, sans avoir à payer des frais de 45 à 55 $ comme je le fais aujourd'hui.

Pour répondre à la question précédente de la sénatrice Ringuette, je paie entre 45 et 55 $ pour envoyer de l'argent au Canada. J'adorerais pouvoir faire un virement d'un pays à un autre pour 1 $ ou quelques cents. Je crois que la technologie permet aujourd'hui de le faire, mais l'infrastructure et la réglementation ne sont pas encore prêtes pour cela.

La troisième leçon que nous pouvons tirer de tout cela a trait au fait que, historiquement, les banques n'ont pas distingué l'intermédiation — ce qui veut dire que je prends de l'argent et je le prête à d'autres — et les paiements. Cela a freiné l'innovation dans le secteur financier, et nous payons tous des frais plus élevés que nécessaire parce qu'il n'y a pas suffisamment d'innovation. C'est à juste titre, selon moi, parce que nous ne voulons pas que notre système financier soit mis en danger.

Certaines des économies qui ont crû plus tôt — le Kenya, la Tanzanie, le Bangladesh, et d'autres encore — accueillent des innovations qui pourraient profiter aux pays industrialisés. Parmi ces innovations, mentionnons, encore une fois, le transfert de l'initiative du paiement au payeur; le règlement et la compensation des instruments de paiement en temps réel, ce qui ne se fait pas actuellement; à un certain niveau, l'irrévocabilité, associée aux bonnes mesures de protection du consommateur, précisons-le. Enfin, en pensant aux travaux de votre comité, quelle est l'incidence de cette nouvelle technologie sur le nombre d'intermédiaires? Est-il possible de mettre en place un système moins lourd, plus propre et plus simple qui permettrait d'effectuer un grand volume de transactions de faible valeur sans frais importants?

Nous avons des choses à apprendre, mais nous sommes actuellement assez satisfaits et pouvons compter sur des solutions assez efficaces, je pense en particulier à Interac.

Le sénateur Greene : Merci beaucoup. J'apprécie énormément ces réponses.

Le sénateur Campbell : Merci, monsieur, d'avoir témoigné aujourd'hui. Il va sans dire que la Fondation Gates offre au monde entier un modèle de ce qu'on peut accomplir avec de l'argent, des idées et une vision.

Je vais prendre une tangente légèrement différente. Nous étudions entre autres — et, quand nous avons commencé le processus, je crois que c'était notre objectif — la façon de réglementer les bitcoins. Comme le président l'a dit, nous avons discuté avec des gens extraordinaires, des gens qui voient tout simplement beaucoup plus loin que moi — certainement, ce qui ne surprendra personne — et que bien des gens.

Premièrement, pensez-vous que nous avons besoin de réglementer le bitcoin? Deuxièmement, dans le cas contraire, pouvons-nous ne rien faire et laisser le marché décider? Simple information, il me semble que le bitcoin n'est pas aussi important que le système de chaînes d'algorithmes qui a été mis sur pied afin d'assurer le transfert d'une chose quelconque du point A au point B. J'apprécierais beaucoup que vous abordiez ces deux questions.

M. Voorhies : Merci, sénateur. Je ne crois pas posséder l'expertise qu'il faut pour recommander au gouvernement du Canada la bonne marche à suivre au chapitre de la réglementation de l'espace Bitcoin ou de la chaîne de blocs; nous pourrions utiliser le terme générique. Je pourrais cependant parler de deux ou trois choses qui sont intéressantes, à nos yeux, que nous avons explorées et qui nous enthousiasment.

Nous pensons que cette technologie offre quelques capacités très intéressantes qui permettront de mettre en place des systèmes de paiement très, très efficaces. Je crois également — je suis convaincu que vous avez entendu des témoignages en ce sens, et j'en ai lu certains, de gens qui seraient d'accord — que c'est non seulement le mécanisme de paiement qui est intéressant, mais le fait qu'il offre une capacité unique de stocker numériquement des actifs, ce qui nous était impossible auparavant. Il est réellement possible de suivre les déplacements de ces actifs dans un grand livre. À mon sens, quand je vois cela, il se présente des possibilités emballantes pour les gens à faible revenu, si nous pensons à l'enregistrement des titres fonciers et aux autres droits dont ils sont privés. J'aimerais que notre réglementation soit élaborée avec prudence et après mûre réflexion, plutôt qu'à la hâte, parce que je veux être sûr que nous aurons bien compris les avantages de ce système pour l'économie, en évitant de nous lancer trop vite.

En même temps, comme nous l'avons déclaré, ou alors Bill Gates et d'autres personnes ont repris la citation, il s'agit d'une technologie emballante, mais elle présente certaines faiblesses touchant l'anonymat et les fluctuations. Je crois que le gouvernement doit l'examiner avec une grande attention. Je ne connais pas la bonne réponse; je crains de paraître évasif sur la question de savoir si le gouvernement canadien devrait adopter une réglementation.

Le sénateur Campbell : Non, pas du tout.

M. Voorhies : Ce n'est pas mon domaine d'expertise.

Je dirais que, en tant que protocole, c'est un outil de tenue de livres incroyable, qui nous permet de voir où se trouvent les actifs et de suivre leur histoire. Maintenant, les questions qui se posent sont les suivantes : comment pouvons-nous envisager cela sous l'angle de l'identité? Comment pouvons-nous envisager cela sous l'angle de l'innovation? Comment pouvons-nous envisager cela sous l'angle d'une révolution du système financier qui aurait une incidence positive et serait menée avec prudence? Je crois que c'est dans ce domaine que votre comité peut réellement assurer un bon leadership.

Le sénateur Campbell : La prochaine fois que vous enverrez de l'argent à votre fille, vous devriez lui demander d'acheter deux billets pour un match des Canadiens de Montréal pour les séries éliminatoires de la Coupe Stanley. Je note que vous avez étudié à Northwestern, où la tradition du hockey est assez forte.

M. Voorhies : Malheureusement, je n'ai jamais joué dans cette équipe, mais je vous remercie, sénateur.

Le sénateur Tannas : J'aimerais revenir en arrière et reparler un peu de la question originale de la sénatrice Bellemare. Pour bon nombre d'entre nous, il est difficile de croire qu'il existe des pays où il est plus facile d'avoir un téléphone cellulaire que l'eau courante. Nous avons de la difficulté à nous faire à cette idée.

Ces pays peuvent nous donner beaucoup de leçons intéressantes. Il y a une chose que j'aimerais savoir, parce qu'il n'en a pas beaucoup été question. Nous avons entendu dire, pendant les témoignages, que, malgré tout le bruit que fait le bitcoin, les gens se donnent la peine de payer en bitcoins, et, à l'autre bout, le destinataire les échange aussitôt. En réalité, donc, il n'y a pas vraiment d'échanges commerciaux utilisant le bitcoin comme devise. Pourriez-vous nous donner une idée de la portée du M-Pesa en Tanzanie et au Kenya et nous dire quel pourcentage des transactions ou combien d'argent, peu importe la mesure que vous utilisez, passe par les communications téléphone à téléphone plutôt que par une démarche en personne pour retirer de l'argent, ce genre de choses?

M. Voorhies : Tout à fait, sénateur, c'est une excellente question. C'est le prochain défi que nous allons avoir à relever.

Une étude a été réalisée, je crois que c'était par le FMI. Je n'ai pas les données sous la main, mais nous allons vous les transmettre, avec le rapport sur les paiements qui montre quel pourcentage du PIB s'appuie sur les différents systèmes monétaires mobiles, dans le monde, ce qui vous donnera une idée des proportions et de la valeur des échanges reposant sur des devises électroniques; mais cela ne répond pas à votre question sur le volume du commerce se faisant à partir des appareils mobiles.

Le sénateur Tannas : Oui.

M. Voorhies : Nous nous appuyons sur le paramètre suivant : combien de transferts numériques l'argent subit-il avant d'être finalement encaissé? Quand le système a été mis sur place, il n'y avait qu'un seul transfert, n'est-ce pas? L'argent était déposé, il était transféré; il était encaissé. Mesdames et messieurs, je m'excuse, je n'ai pas sous la main les chiffres exacts, mais, de manière générale, pour les utilisateurs actifs, le nombre est de cinq, environ, dans certains pays. Je m'excuse, ce n'est pas vrai. Ce nombre se situe entre deux et quatre et demi, selon le pays.

Fait intéressant, l'un des pays les plus actifs à ce chapitre est le Somaliland, province d'une ancienne colonie britannique, qui enregistre en moyenne 30 transactions par utilisateur, par mois; mais, dans ce pays, les gens peuvent payer leurs factures à l'aide de leur téléphone mobile.

Vous voyez l'énorme défi, puisqu'il n'y a que deux ou trois transferts avant que l'argent soit encaissé. Les gens de la Fondation Gates estiment que, en ce qui concerne les gens à faible revenu, il faut stimuler l'utilisation, et nous voyons trois manières de le faire. Premièrement, nous voulons stimuler l'utilisation pour les choses qui comptent. Nous réunissons des données probantes concernant l'épargne, le crédit et les autres types d'accès parce que nous voulons nous assurer que ces usages seront privilégiés.

Une entreprise du Kenya, M-KOPA, en offre un excellent exemple. Cette entreprise vend des systèmes d'éclairage à l'énergie solaire à crédit. Le système est muni d'une carte SIM, ce qui permet à l'utilisateur de transférer l'argent, tout simplement, à partir de la carte SIM. C'est un système de paiement à l'utilisation, ce qui fait qu'au bout du compte, l'utilisateur sera propriétaire du dispositif. Quel puissant levier; le système de paiement règle un problème de crédit et règle également le dossier de l'éclairage.

Deuxièmement, nous allons procéder, en Ouganda, à une expérience touchant les frais liés à l'école. Certains enfants vont manquer l'école parce qu'il leur manque moins de 1 $ pour obtenir un uniforme ou un livre ou pour acquitter les frais d'examen. Que se passerait-il s'il était possible d'acquitter d'avance tous ces frais dès que l'argent est disponible? L'argent pourrait être placé dans un portefeuille numérique, en prévision de ces frais. Nous pensons que cela permettrait d'éviter aux enfants la perte de milliers de jours d'école. C'est pour ce type d'usages que nous nous efforçons de faire en sorte que l'argent numérique puisse vivre encore plus longtemps.

Troisièmement, nous sommes emballés à l'idée de l'approche de la plateforme ouverte. Nous essayons de travailler de concert avec d'autres intervenants pour permettre aux entrepreneurs et aux innovateurs de faire preuve de créativité et de proposer des usages sur ces plateformes, comme sur Internet.

Disons que vous travaillez pour CARE International et que vous vous occupez d'un programme du bétail, au Nigeria. Vous voulez vous assurer que votre paiement aide à mettre de l'argent de côté pour l'engrais et les semences pour l'année suivante. A l'heure actuelle, vous devez suivre un processus très complexe pour obtenir la permission d'utiliser un système de paiement mobile. Nous essayons de créer des interfaces de programmation d'applications ouvertes, des API, c'est-à-dire des protocoles ouverts qui facilitent la mise en place d'usages comme celui-là.

Nous croyons que c'est encore tôt, mais nous constatons que le nombre de transactions qu'effectuent les gens à faible revenu évolue bel et bien, il est passé de 1 à 2, puis à 3, puis à 7; mais cela va prendre du temps. Vous avez mis le doigt sur le problème, mais nous pensons que les choses évoluent dans la bonne direction.

Un dernier point, dans cette très longue réponse, au sujet du fait que les paiements faits par le gouvernement à des particuliers sont essentiels. Le gouvernement du Mexique s'est informatisé, et il utilise un système fondé sur des cartes pour faire des versements aux citoyens à faible revenu, et ce, depuis un certain nombre d'années. Selon la Better Than Cash Alliance, le gouvernement réalise des économies de 1,3 milliard de dollars par année.

En Inde, dans le cadre de l'un des plus grands essais cliniques randomisés au monde, auquel prenaient part 19 millions de personnes, on a commencé à verser une rétribution virtuelle au lieu d'espèces transmises par voie électronique, et nous avons observé des effets notables sur le bien-être des ménages.

Vous avez bien cerné le problème, mais nous avançons lentement, mais sûrement, dans la bonne direction. Je suis désolé de cette très longue réponse.

Le sénateur Tannas : Y a-t-il un risque que les gouvernements cherchent à mettre la main sur une partie de ces sommes en imposant par exemple une taxe, ce qui pourrait causer un retour aux transactions en espèces?

M. Voorhies : Des taxes ont été perçues dans certains marchés. Nous, à la Fondation Gates, estimons que ces services ne devraient pas être taxés. Nous pensons qu'il faudrait que ce soit comme pour les services bancaires, qu'il n'y ait pas de taxe sur la valeur ajoutée à l'égard de ces services. Nous pensons en fait que cela ne favoriserait pas à long terme la croissance économique du pays.

Certains pays songent à le faire, mais, de manière générale, je crois que l'Alliance pour l'inclusion financière, qui rassemble des gouverneurs, s'est intéressée à la question et qu'elle trouvera une bonne solution.

Le sénateur Tannas : Bien, merci.

La sénatrice Unger : Merci, monsieur Voorhies, votre exposé était extrêmement intéressant; merci aussi pour tout ce que vous faites, à la Fondation Gates.

Je sais que l'assurance-vie va probablement poser problème un jour; mais cela pourrait finir par devenir important. Quand vous avez parlé des services financiers numériques, vous avez dit que vous collaborez avec des banques, des compagnies d'assurance et d'autres fournisseurs. J'aimerais savoir quel est ce lien avec les compagnies d'assurance.

M. Voorhies : Merci, madame la sénatrice.

Au début de la mise en œuvre de notre stratégie, avant mon arrivée, nous avions beaucoup travaillé sur la question de la microassurance dans le but de comprendre comment des polices d'assurance de faible valeur pourraient intéresser les démunis. Je crois que ce que nous ne savons pas encore, madame la sénatrice, c'est comment en arriver à un modèle économique et à un modèle d'affaires enviables et comment répartir les risques de manière appropriée.

Il se fait beaucoup de travail. Des groupes comme Telenor, une compagnie de téléphonie mobile, mènent quelques expériences intéressantes dans le domaine de la microassurance. Pour le moment, notre stratégie actuelle ne nous permet pas de nous y intéresser. Nous nous sommes surtout préoccupés des paiements, puis de l'épargne, et nous allons aussi nous pencher sur le crédit. Je crois que nous attendons que les compagnies d'assurance nous fournissent des données supplémentaires. Nous ne sommes pas suffisamment sûrs de nous, nous estimons qu'il s'agit d'un enjeu complexe. Mais il y a des projets pilotes, dans différentes régions du monde, et nous les suivons de très près, madame la sénatrice.

Le président : Monsieur Voorhies, nous nous sommes concentrés sur les systèmes mobiles par téléphone. Quelle sorte de répercussions économiques l'utilisation du téléphone pourrait-elle avoir pour les gens auxquels vous vous intéressez, qui comptent en réalité parmi les plus pauvres du monde?

M. Voorhies : Sénateur, merci de poser la question. Je suis loin d'être un expert pour ce qui concerne les répercussions économiques du téléphone mobile sur le développement, mais je peux vous parler de certaines choses que les gens surveillent de très près.

Parlons, par exemple, de l'échange d'information. Certains chercheurs ont voulu savoir ce qui arriverait si, dans les régions rurales, les gens avaient accès à de meilleurs prix pour leur production. Est-ce que cela veut dire que le petit exploitant agricole peut demander un prix plus élevé pour sa production? Les résultats sont partagés.

D'autres études ont porté sur les questions des messages et des communications simples, qui constituent pour les gens à faible revenu un moyen de réunir rapidement et de manière plus efficace des informations. Il semble que les résultats permettraient de croire que ces informations sont précieuses pour les gens à faible revenu et que cela explique pourquoi ils décident rapidement d'acheter un téléphone, même s'ils n'ont pas encore l'eau courante, comme quelqu'un l'a souligné.

Parmi les autres questions en cours d'étude, il y a un certain nombre de développements intéressants, du côté des téléphones intelligents, en ce qui concerne les applications en matière de santé et d'autres types de mécanismes. Jusqu'ici, nous sommes principalement intéressés aux téléphones ordinaires, puisque c'est ce qu'ont la plupart des personnes à faible revenu; ils n'ont pas de téléphones intelligents. Mais à mesure que les téléphones intelligents se multiplieront, je crois que vous pourrez voir certaines innovations mises à contribution dans ce secteur.

Un dernier aspect qui emballe les gens, si vous pensez à l'identification des personnes, serait la possibilité d'enregistrer cela dans un téléphone. Il n'y a rien de certain encore, sénateur, mais il y a beaucoup d'espoir.

Le président : Merci. J'aimerais commencer la deuxième série de questions, en donnant d'abord la parole à la sénatrice Bellemare, puis à la sénatrice Ringuette.

La sénatrice Bellemare : J'aimerais savoir, étant donné la technologie que vous utilisez, si vous avez eu des problèmes en matière d'activités illicites ou en matière de sécurité?

M. Voorhies : Je crois que, comme tous les systèmes financiers, celui-ci comporte une part de risque et de problèmes de sécurité. Ils ont été relativement mineurs, madame la sénatrice, dans la plupart des cas. Prenez notre stratégie en matière de plateformes et notre approche touchant ce problème : la fraude et l'analyse des fraudes en forment une bonne partie. Nous collaborons avec un imposant groupe de fournisseurs de services de paiement qui savent comment faire les choses de façon que les pauvres soient bien protégés, en tant que consommateurs, et que le système reste bien stable. Nous voulons nous assurer que cette innovation ne mette pas le système en péril. Jusqu'ici, les mesures de contrôle ont été assez bonnes, mais nous pensons qu'à mesure que le volume augmentera, elles pourront être améliorées encore davantage.

La sénatrice Bellemare : Il n'y a donc pas eu de problèmes de portefeuilles volés ou des choses comme cela? La technologie est suffisamment sûre pour que les gens qui placent leur richesse dans leur téléphone mobile puissent la conserver en toute sécurité?

M. Voorhies : Je crois que, par rapport à d'autres instruments, par exemple les différentes sortes de cartes de débit ou autres choses, oui. Si vous perdez votre téléphone, vous ne perdez pas votre argent. Il existe des façons de le récupérer.

Mais il y a des problèmes ordinaires, n'est-ce pas? Je ne veux pas induire votre comité en erreur. Comme dans tout système financier, il y a eu des problèmes, à la fois de fraude et d'erreurs, mais il est relativement bien contrôlé, et jusqu'ici, nous n'avons pas entendu dire que les gens à faible revenu avaient perdu quelque chose. C'est le système lui-même qui les a protégés.

La sénatrice Ringuette : Ma première question vise à mieux comprendre le concept du M-Pesa. Le M-Pesa aura la même valeur que la devise du pays où on l'utilise, c'est bien ça?

M. Voorhies : Oui, madame la sénatrice, c'est ça.

La sénatrice Ringuette : Donc, la valeur du M-Pesa change selon qu'on se trouve en Tanzanie ou en Mongolie?

M. Voorhies : Pensez aux portefeuilles mobiles : si vous quittez le Kenya pour vous établir dans un autre pays, votre portefeuille mobile contiendra dans ce pays l'équivalent — je dis bien « équivalent » — de cette autre devise. Il ne s'agit donc pas en soi d'une devise, au sens où on l'entend habituellement.

La sénatrice Ringuette : J'aimerais que ce soit clair dans mon esprit; par rapport au système monétaire classique, si je dis, corrigez-moi si je me trompe : le M-Pesa n'est pas une devise numérique; le M-Pesa, c'est une banque numérique qui émet des billets.

M. Voorhies : Cela me conviendrait, sauf pour la dernière partie, car il n'émet pas vraiment des billets. Cela relève de la compétence de la Banque centrale du Kenya.

Mais il s'agit bel et bien d'une valeur électronique. Dans certains pays, on parle d'un émetteur d'argent électronique. J'imagine que vous pourriez utiliser cette expression, dans le sens où il s'agit d'une entité qui accepte des devises et qui émet des valeurs électroniques. En ce sens, je serais d'accord, et j'utiliserais probablement cette expression.

Mais il faudrait presque avoir ici un représentant du système du M-Pesa qui pourrait nous expliquer comment fonctionne réellement l'architecture de ce système, à ce niveau-là. J'aimerais tout simplement être précis. Mais je crois que l'on peut dire sans se tromper qu'il ne s'agit pas à proprement parler d'une devise; c'est une émission électronique qui reflète la devise locale. Je crois que ce serait correct.

Écoutez : je vais leur poser la question, je vais y réfléchir, et si je change d'idée, j'en aviserai la greffière du comité. Nous discutons ici d'un point de détail.

La sénatrice Ringuette : Merci beaucoup.

Le président : Monsieur Voorhies, vous avez parlé de nombreuses réalisations remarquables qui vont au-delà des rêves les plus fous de la plupart des membres du comité. Pourriez-vous nous dire à quoi vous rêvez? Si vous consultez votre boule de cristal, comment l'avenir se présente-t-il, et qu'est-ce qu'il serait possible d'accomplir?

M. Voorhies : Sénateur Gerstein, voilà une excellente question.

Comme le savent les membres du comité, j'ai passé une grande partie de ma vie en Afrique, et j'y ai élevé mes enfants. L'une des choses qui m'ont amené à prendre activement part à ce travail, c'est que j'imagine un monde où les gens à faible revenu participent réellement et pleinement à l'économie, un monde où l'économie tire profit de leurs idées, de leurs activités économiques et de leur engagement dans des domaines desquels ils sont aujourd'hui exclus.

À quoi ce monde ressemble-t-il? Je crois que nous ratons quelque chose en marginalisant les gens à faible revenu dans l'économie. Nous ratons quelque chose, en ne sachant pas de quelle manière ils contribuent en réalité au PIB. Je crois que les gens à faible revenu contribuent réellement au PIB.

Le deuxième aspect auquel je pense, c'est que j'ai vu trop souvent une personne à faible revenu qui arrivait à emmener un enfant malade au médecin, au beau milieu de la nuit, mais qui ne pouvait pas se payer les médicaments contre la malaria, ou encore un agriculteur qui doit conserver son argent dans ses poches tout au long de l'année — aucun d'entre nous n'y arrive —, mais qui a des obligations à l'égard de sa famille et de ses amis et qui, au bout du compte, arrive au temps des semailles sans avoir suffisamment d'argent pour acheter des semences.

J'imagine un monde où les gens peuvent en toute sécurité mettre de l'argent de côté pour des choses auxquelles ils tiennent vraiment, non pas seulement pour régler les problèmes immédiats. J'imagine un monde où, en cas d'urgence, une personne à faible revenu peut emprunter et éviter que son enfant malade meure de la malaria. J'imagine un monde où les gens à faible revenu peuvent réellement lancer leur propre entreprise et leurs propres idées parce qu'ils ont accès à du crédit et qu'ils peuvent économiser, et qu'ils peuvent aussi être protégés contre le risque. J'imagine un monde où les jeunes peuvent aller à l'école et où les parents peuvent payer les factures avant qu'elles n'arrivent à échéance.

Je ne sais pas si c'est une bonne réponse, mais c'est à ce monde-là que nous travaillons.

Le président : C'est une excellente réponse.

Le sénateur Campbell : Fantastique.

Le président : Monsieur Voorhies, je ne vous remercierai jamais assez, au nom des membres du comité, d'avoir pris le temps de nous parler aujourd'hui. Je crois pouvoir ajouter que notre comité considère que c'était un privilège de vous entendre. Au nom de chacun d'entre nous, merci; nous vous souhaitons toute la réussite possible dans vos projets. Merci beaucoup.

M. Voorhies : Merci, monsieur le président. Merci beaucoup.

Le président : Sincèrement, merci.

La séance est levée.

(La séance est levée.)


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