Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Banques et du commerce
Fascicule 26 - Procès-verbal du 26 mars 2015
OTTAWA, le jeudi 26 mars 2015
Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd'hui, à 10 h 31, pour étudier l'utilisation de la monnaie numérique.
Le sénateur Irving Gerstein (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour et bienvenue au Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.
Il s'agit de la 19e réunion consacrée à notre étude spéciale sur l'utilisation de la monnaie numérique, y compris les risques potentiels, les menaces et les avantages associés à ces formes d'échange électroniques. À ce jour, le comité a entendu un large éventail de témoins, dont des représentants d'organismes gouvernementaux, des spécialistes des opérations financières numériques, des universitaires et des entreprises qui font l'échange de bitcoins.
Aujourd'hui, notre réunion sera divisée en deux panels d'une heure. Durant la première heure, nous aurons un représentant de MoneyGram International, puis nous entendrons, au cours de la deuxième heure, Samir Saadi, professeur de finances de l'Université d'Ottawa.
Avec notre premier témoin, nous allons nous concentrer sur une entreprise de services monétaires et sur son rapport avec la monnaie numérique. Je suis ravi d'accueillir aujourd'hui M. Derek McMillan, directeur principal de la Conformité régionale à MoneyGram International.
MoneyGram est la deuxième plus importante entreprise de transfert de fonds et de services de paiement dans le monde. Elle permet le transfert rapide et fiable de fonds partout dans le monde au moyen d'un appareil mobile ou en ligne grâce à son vaste réseau de plus de 350 000 agents répartis dans plus de 200 pays.
Nous commencerons par la déclaration de M. McMillan, puis nous passerons aux questions des sénateurs. Monsieur McMillan, merci de témoigner devant notre comité aujourd'hui. Vous avez la parole, monsieur.
Derek McMillan, directeur principal, Conformité régionale, MoneyGram International : Monsieur le président, merci de nous donner l'occasion de témoigner devant votre comité. Comme vous l'avez dit, je m'appelle Derek McMillan, et je suis directeur principal de la conformité pour MoneyGram International. Je travaille à Toronto.
Le siège social de MoneyGram se trouve à Dallas, au Texas, et l'entreprise est reconnue dans le monde comme un chef de file mondial dans les services de paiement. Nous avons plus de 2 500 employés et plus de 347 000 agents à l'échelle mondiale.
Étant donné que 2,5 milliards de consommateurs dans le monde, soit environ la moitié de la population mondiale, ne peuvent pas compter sur les banques traditionnelles pour leurs services financiers de base, MoneyGram offre un accès essentiel à des services de transfert de fonds à des millions de ces consommateurs qui envoient de l'argent à leurs proches pour des choses essentielles. MoneyGram est un service qui aide les gens à envoyer de l'argent partout dans le monde de manière rapide, fiable et économique.
De New York à New Delhi ou d'Ottawa à Nairobi, les services de transfert de fonds de MoneyGram envoient rapidement et facilement de l'argent dans plus de 200 pays par l'intermédiaire de transactions de personne à personne, de versements directs dans un compte, de guichets automatiques bancaires, de guichets pour les dépôts et les retraits en espèces et de transferts de fonds à un téléphone mobile ou à une carte.
MoneyGram s'engage à investir dans l'innovation et les technologies en vue d'offrir à ses clients la plus grande variété possible d'options pratiques et accessibles pour envoyer et recevoir de l'argent. Même si les détaillants joueront toujours un rôle fondamental en vue de servir nos clients, nous croyons également que les transactions mobiles et en ligne peuvent rendre de tels services plus accessibles pour des millions de gens, en particulier ceux qui se trouvent dans des régions rurales et qui n'ont pas facilement accès à des succursales bancaires.
De plus, grâce à MoneyGram, les consommateurs peuvent maintenant virer des fonds directement dans des comptes bancaires dans quatre des plus importants marchés d'envois de fonds dans le monde — la Chine, le Mexique, l'Inde et les Philippines — et les plus grands bassins de consommateurs utilisant le paiement mobile dans le monde.
MoneyGram est fière de la vaste gamme de services qu'elle offre aux Canadiens par l'intermédiaire de ses plus de 6 000 agents et grâce à sa relation de longue date avec Postes Canada et son réseau de détaillants. Nous demeurons déterminés à collaborer avec nos agents pour offrir à nos clients au Canada les services de transfert de fonds les plus concurrentiels, sécuritaires, fiables et accessibles.
Je crois comprendre que votre comité a étudié des enjeux liés aux cryptomonnaies. Même si MoneyGram s'engage à soutenir l'innovation, l'entreprise n'accepte pas les cryptomonnaies pour l'instant. Nous avons entendu des réserves concernant les cryptomonnaies de la part de divers organismes de réglementation qui considèrent que cela présente un risque élevé. Si les cryptomonnaies deviennent une monnaie ou un bien réglementés, MoneyGram envisagera de les adopter de la même manière dont nous le faisons actuellement quant aux autres méthodes de paiement. Nous espérons également que les cryptomonnaies seront réglementées de la même manière que les entreprises de services monétaires en ce qui concerne la lutte contre le blanchiment d'argent et les exigences en matière de sécurité et de solidité.
Merci encore une fois de votre invitation; je suis impatient de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur McMillan, de votre déclaration.
J'aimerais essayer de comprendre. Une personne va voir un de vos agents à Toronto avec des dollars canadiens. Elle veut envoyer le tout à New Delhi. Le destinataire à New Delhi recevra-t-il des roupies indiennes?
M. McMillan : Oui.
Le président : Où l'opération de change se fait-elle? Est-ce au Canada ou en Inde? Du moment où la personne dépose des fonds auprès de l'agent à Toronto, combien de temps faut-il pour que l'argent soit disponible en Inde?
M. McMillan : Je vais vous expliquer les étapes de cette transaction. La personne remet à l'agent canadien une somme d'argent en dollars canadiens à envoyer à ses proches en Inde. L'agent au Canada prend les fonds et les renseignements dont nous avons besoin concernant l'expéditeur et entre les données dans le système de MoneyGram. Le système contrôle les éléments qu'il faut obtenir de la part de l'expéditeur. Plus la somme envoyée est élevée, et plus nous avons besoin de renseignements.
Ensuite, l'agent conclut la transaction et remet un numéro de référence à l'expéditeur qui communiquera ce numéro de référence au destinataire en Inde. MoneyGram est l'intermédiaire entre l'envoi et la réception des fonds. Bref, MoneyGram a maintenant reçu cette information et le nom du destinataire. Nous faisons des contrôles et des vérifications pendant la transaction. Sur le plan de la conformité, nous avons des règles à respecter concernant la transaction, mais si la transaction est conforme aux règles et que nous n'avons pas besoin de recueillir d'autres renseignements, les fonds peuvent être récupérés en Inde.
Le destinataire en Inde se rend alors chez un agent, sachant que des fonds à son nom sont disponibles, et lui donne le numéro de référence. L'agent cherche la transaction dans le système. Lorsqu'il la trouve, il vérifie les renseignements auprès du destinataire et les entre dans nos systèmes. L'agent remet enfin le montant en roupies au destinataire.
Pour ce qui est de la manière dont les fonds sont transférés, l'agent au Canada et l'agent en Inde ont chacun un compte bancaire, et MoneyGram verse le montant net dans les comptes bancaires des agents à la fin de chaque période de 24 heures. Bref, nous payons les agents.
Par exemple, si un agent a envoyé cinq transactions et en a versé une, nous prélevons le montant net des quatre transactions effectuées de son compte bancaire. Si l'agent en Inde a fait l'inverse, nous lui envoyons des fonds.
Le président : J'aimerais m'assurer de bien comprendre. Si je veux transférer 100 $ en Inde, dois-je payer des frais au moment de remettre les fonds à l'agent à Toronto? Je présume qu'il y a des frais de change. Le destinataire paye-t-il des frais lorsqu'il récupère les fonds?
M. McMillan : Non. C'est l'expéditeur qui les paie.
Le président : Tous les frais sont payés par l'expéditeur, n'est-ce pas?
M. McMillan : C'est exact. Cela inclut aussi les frais de transaction et les possibles frais de change. C'est transparent aux yeux du consommateur. MoneyGram se sert de ces frais pour payer l'agent qui envoie et verse les fonds, mais c'est uniquement l'expéditeur qui paie des frais.
Le président : Vous n'avez pas répondu à une question. Si je me rends à 10 heures ce matin dans les bureaux de l'un de vos agents, quand le destinataire en Inde pourra-t-il récupérer les fonds?
M. McMillan : Cela ne prend que quelques minutes.
Le président : Des minutes?
M. McMillan : Je vous rappelle que le temps dépend des contrôles nécessaires au moment de la transaction. Nous ralentirons souvent certaines transactions en fonction de certaines règles, de certains types ou de la liste de sanctions. Cela ne concerne pas toutes les transactions, mais la majorité des transactions se font en quelques minutes.
Le président : Merci. Je vais me tourner vers ma liste des sénateurs qui ont des questions.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je vous remercie d'être avec nous, monsieur McMillan. Vous avez répondu en partie à ma question.
Je comprends que si mon fils se trouve en Amérique du Sud et qu'il a tout perdu, sauf son téléphone cellulaire, je ne peux pas utiliser vos services pour lui transférer de l'argent, parce qu'il n'aura pas de compte bancaire dans la ville où il se situe. C'est un transfert d'argent entre comptes bancaires. S'il n'avait que son téléphone cellulaire, il ne pourrait pas recevoir de crédit. Est-ce que j'ai bien compris?
[Traduction]
M. McMillan : Merci de votre question. Je vais préciser la situation en ce qui a trait au compte. C'est l'agent qui a offert notre service et non le client. Nous avons des options qui permettent aux expéditeurs de transférer directement des fonds dans un compte bancaire, mais le destinataire n'a pas besoin d'un compte bancaire dans le cas d'un transfert de fonds typique de personne à personne. Le destinataire se présente aux bureaux de l'agent, fournit l'information à l'employé sur place et reçoit les fonds. Aucun compte bancaire n'est nécessaire. C'est MoneyGram qui s'occupe de verser les fonds dans le compte bancaire de l'agence.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Mais il doit tout de même se rendre à votre unité de service. Cela ne peut pas être, par exemple, transféré par carte de crédit au moyen d'un téléphone mobile.
[Traduction]
M. McMillan : Nous avons certains corridors, notamment entre le Canada et la Chine, où il est possible de transférer directement des fonds dans un compte bancaire. Nous avons des situations au Kenya où il est possible d'envoyer directement des fonds à un téléphone mobile. Il y a donc des situations où il n'est pas nécessaire de s'adresser à un agent, mais c'est le gros de nos activités.
Bref, si MoneyGram a une relation d'affaires avec le fournisseur de services de téléphonie mobile, que ce fournisseur offre des services de paiement mobile et que nous avons une entente de collaboration avec ce fournisseur, dans un tel cas, c'est peut-être une option, mais c'est généralement limité aux situations où nous avons déjà une telle relation en place.
Le sénateur Massicotte : Merci de votre présence. Votre témoignage est utile à nos délibérations.
Notre président vous a posé une question quant au processus, mais j'aimerais avoir une idée des coûts. Je sais que vous direz que cela dépend de la situation. Dans certains pays pauvres, je sais que 100 $ est une rondelette somme. Disons que je veux envoyer 100 $ dans un pays africain ou ailleurs. Donnez-moi une idée de ce que représentent les frais de transaction ou votre commission en pourcentage. À quel point vos frais de change sont-ils supérieurs au taux de change en vigueur sur le marché? Donnez-moi une idée des coûts.
M. McMillan : Certainement. Comme vous l'avez dit, cela dépend du montant transféré.
Le sénateur Massicotte : Je vais vous donner deux situations : 100 $ et 1 000 $.
M. McMillan : D'accord. Pour ce qui est d'un transfert de 100 $, le pourcentage serait certainement plus élevé, parce qu'il y a un montant minimum que nous devons exiger en vue de payer nos agents qui s'occupent de l'envoi et de la réception.
Le sénateur Massicotte : Combien cela représente-t-il? Quel est le pourcentage?
M. McMillan : Dans le cas d'une transaction de 100 $, cela dépend aussi du pays dans lequel vous transférez les fonds. Je ne connais pas par cœur la grille tarifaire, mais généralement...
Le sénateur Massicotte : Choisissez un pays que vous connaissez suffisamment pour me donner une réponse.
M. McMillan : Je dirais que les frais que je vois se situent entre 5 et 10 $.
Le sénateur Massicotte : Et cela représente le coût de la transaction. Qu'en est-il des frais de change?
M. McMillan : Les frais de change varient en fonction du pays. Dans beaucoup de pays, les agents verseront les fonds dans la même devise qu'au départ — pas dans le cas du Canada; ce n'est donc peut-être pas un problème. Cependant, ce serait probablement de 0 à 2 ou 3 p. 100.
Le sénateur Massicotte : De plus que le taux de change en vigueur sur le marché, évidemment, n'est-ce pas?
M. McMillan : Oui.
Le sénateur Massicotte : Qu'en est-il dans le cas d'une transaction de 1 000 $?
M. McMillan : Le pourcentage serait moindre, mais je répète que cela pourrait varier — encore une fois, je n'ai pas tous les détails —, mais j'ai vu de 9,99 à...
Le sénateur Massicotte : Le coût de la transaction serait de 9,99 $?
M. McMillan : Oui. Et plus. Je tiens à rappeler que je n'ai pas... 200 pays, et cela varie.
Le sénateur Massicotte : D'accord.
M. McMillan : Par contre, ce serait probablement le minimum.
Le sénateur Massicotte : Vous avez dit plus tôt que cela dépend des exigences. Vous faisiez alors référence aux exigences en vue de connaître votre client et les cinq sommes. Vous avez des politiques internes qui prévoient que, dans le cas d'une transaction de plus de 1 000 $, il faut obtenir certains renseignements. Donnez-moi une idée de ce que vous faites en la matière.
M. McMillan : Avec plaisir. Un grand nombre des exigences découlent de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et des règlements d'application.
En vertu de cette loi, les entreprises de services monétaires doivent recueillir les coordonnées, la date de naissance et l'emploi dans le cas d'une transaction de 1 000 $. Si vous avez une relation d'affaires avec un client, il faut obtenir d'autres renseignements et évaluer le risque de cette relation avec ce client. Ensuite, vous devez déclarer l'envoi à l'extérieur du Canada ou la réception d'une transaction provenant de l'extérieur du Canada d'une somme de 10 000 $ et plus. Vous devez transmettre une déclaration de transfert électronique de fonds à CANAFE. Dans le cas d'une opération suspecte, vous devez également transmettre une déclaration à cet égard.
Le sénateur Massicotte : D'où la somme de 1 000 $ provient-elle? Est-ce parce que c'est considéré comme un transfert bancaire? Est-ce la raison de cette somme?
M. McMillan : Un transfert d'argent, oui. C'est 1 000 $ ou plus.
Le sénateur Massicotte : Étant donné que bon nombre de personnes en Afrique n'ont pas de compte bancaire, selon vos dires, et que la réception en personne de fonds en espèces représente une part importante de vos activités, avez-vous beaucoup d'agents en Tanzanie ou au Kenya? Est-ce difficile pour les gens d'aller récupérer leurs fonds? Y a-t-il beaucoup d'agents?
M. McMillan : Eh bien, notre objectif est de rendre le tout le plus pratique possible pour nos clients. Nous cherchons donc toujours à conclure des partenariats. Dans bien des pays, nous faisons affaire avec des banques ou des bureaux de poste qui sont très répandus. Ce n'est donc pas un problème pour nos clients de venir récupérer leurs fonds.
Le sénateur Massicotte : Ce n'est donc pas un problème pour la majorité des gens, n'est-ce pas?
M. McMillan : Ce n'est pas un problème, mais je suis persuadé que des gens ont dû faire deux ou trois heures de route pour venir récupérer leurs fonds. Toutefois, règle générale, la réception des fonds se fait facilement, compte tenu de nos 350 000 agents.
Le sénateur Massicotte : Oui. Si vous le pouvez, j'aimerais vous entendre sur l'énorme pression qu'exerce Apple avec sa monnaie numérique. Ce n'est pas décentralisé. C'est centralisé. Il y a PayPal. Comment ces services se compareront-ils aux vôtres dans trois ou cinq ans? Comment le tout évoluera-t-il, selon vous?
M. McMillan : Pour ce qui est d'évoluer, disons que MoneyGram est toujours à l'affût de façons d'innover et de changer. Cela dit, je crois que certains pays continueront longtemps d'avoir besoin d'espèces. Selon moi, beaucoup d'eau aura coulé sous les ponts avant qu'un pays d'Europe de l'Est ou d'Afrique se mette à utiliser autre chose que des espèces. Néanmoins, c'est une situation qui continuera d'évoluer.
Le sénateur Massicotte : Quel est le montant moyen de vos opérations, des opérations de transfert?
M. McMillan : En ce qui concerne les envois d'argent, de 300 à 400 $ canadiens, approximativement.
Le sénateur Massicotte : Merci.
Le sénateur Tkachuk : Merci, monsieur McMillan. Vous avez dit que, sans réglementation, vous n'envisageriez pas de vous servir d'une monnaie numérique comme, disons, le bitcoin. Quelle sorte de réglementation vous faudrait-il pour que vous adoptiez un système comme celui-là?
M. McMillan : À titre d'exemple, j'évoquerais notre système de conformité. Nous procédons selon une approche axée sur les risques. Alors, en ce moment, avec tout ce que nous avons vu et tout ce que nous disent les organismes de réglementation, la conjecture présente un risque élevé. Par conséquent, nous souhaiterions la mise en place de contrôles adéquats aptes à atténuer une bonne partie de ces risques, ce qui nous permettrait de nous sentir plus à l'aise de nous associer avec d'autres et de bonifier notre offre de services.
Le sénateur Tkachuk : Faudra-t-il que le pays concerné réglemente ou garantisse la monnaie? Je ne sais pas comment il est possible de maintenir la stabilité d'une monnaie lorsqu'elle fait l'objet d'un commerce. La monnaie canadienne est en recul par rapport à la monnaie américaine qui, elle, prend de la valeur par rapport à l'euro. Cela devient très compliqué. Or, j'ai l'impression que le bitcoin ou une monnaie universelle coûtera beaucoup moins cher à échanger, puisqu'on n'aura pas à se soucier de tous ces différents pays et de toutes ces différentes monnaies.
M. McMillan : Je suis d'accord. Lorsqu'il est question de blanchir de l'argent et de financer le terrorisme, je crois que l'aspect anonyme d'un produit est aussi attrayant pour les criminels, et c'est ce qui retient mon attention à titre de directeur de MoneyGram. Dans cette optique, je crois que des mesures pour régler ces problèmes permettraient de changer la donne de façon considérable.
Le sénateur Tkachuk : D'accord. Merci.
Le sénateur Tannas : Merci de votre présence, monsieur McMillan. Nous avons entendu parler du système M-Pesa, hier. Vous avez dit qu'au Kenya, il est possible de faire des opérations en vous branchant à un réseau téléphonique. Est-ce que c'est ce à quoi vous faisiez référence?
M. McMillan : Oui.
Le sénateur Tannas : De toute évidence, ils font de la transmission et de la conservation, n'est-ce pas? Envisagez-vous la moindre possibilité de vous lancer dans la conservation ou êtes-vous actifs dans un autre pays — un M-Pesa d'ailleurs?
M. McMillan : Dans une optique américaine ou canadienne, je ne connais pas vraiment le fonctionnement de ce système comme portefeuille ou pour conserver des fonds. Je sais que diverses entreprises de services monétaires s'y intéressent. Cela ne fait aucun doute.
Le sénateur Tannas : Votre organisation est dans une position exceptionnelle. Je crois que le président a dit que vous étiez deuxième en importance dans ce créneau. Je présume que c'est Western Union qui arrive au premier rang. Est-ce exact?
M. McMillan : C'est exact.
Le sénateur Tannas : Votre cheminement et vos façons de faire sont virtuellement les mêmes que Western Union, n'est-ce pas?
M. McMillan : Ce sont deux entreprises très similaires.
Le sénateur Tannas : Western Union et vous seriez particulièrement bien placés pour nous donner un aperçu de la réglementation qui entoure les entreprises de services monétaires. Parmi les pays où vous faites des affaires, où le Canada se situe-t-il en ce qui concerne la rigueur de sa réglementation? Lorsque vous comparez vos notes avec celles de vos collègues de MoneyGram International et des tenants de la conformité au Kenya et en Allemagne, que retenez-vous?
M. McMillan : En ce qui concerne la lutte contre le blanchiment d'argent, je sais que le Groupe d'action financière, le GAFI, fait des recommandations aux divers pays. Le Canada est membre et il continue de mettre à jour sa réglementation. Je dirais que le Canada a un régime robuste de réglementation qui s'inspire de l'ensemble des pays du monde. Cela dit, beaucoup de pays n'ont pas l'équivalent du rapport sur les transferts électroniques de fonds qui rend compte de l'argent qui traverse les frontières. Voilà un élément utile qui est utilisé ici, mais que l'on ne voit pas beaucoup ailleurs.
Le sénateur Tannas : Quels sont les endroits qui n'en ont pas et où cette absence vous surprend?
M. McMillan : Il a fallu beaucoup de temps avant que les États-Unis en aient un. Ils ont un régime de déclaration d'opération en espèces — le CTR, ou Currency Transaction Reporting —, qui rend compte des espèces entrantes et sortantes, mais ils n'avaient pas l'équivalent de ce rapport sur les virements d'argent transfrontaliers.
Le sénateur Tannas : L'ont-ils maintenant?
M. McMillan : Ils en parlent beaucoup.
Le sénateur Tannas : Je peux comprendre que cela puisse vous mettre mal à l'aise. Nous essayons seulement de comprendre en quoi devrait consister la réglementation à cet égard. On nous a dit qu'il faut viser les points par où les espèces entrent et sortent — les rampes d'accès —, ce qui est exactement dans vos cordes. Or, dans cet environnement virtuel, un tel régime ne pourra fonctionner qu'à condition que tout le monde y souscrive. Si tout ce que nous faisons consiste à déplacer des fonds d'une administration à une autre, il y a matière à préoccupation. Pouvez-vous nous dire quels autres pays seraient susceptibles d'accueillir un tel système? Et je ne parle pas de n'importe quel pays, mais bien d'un pays du G20 où vous croyez qu'il pourrait y avoir un risque que les entrées et les sorties d'argent échappent à la surveillance?
M. McMillan : Je pense qu'aucun pays du G20 ne se présente comme une destination de choix pour ces activités criminelles.
Le sénateur Tannas : Les 20 principaux pays traitent-ils tous plus de moins de la même façon de ces questions?
M. McMillan : De façon générale, oui. Je dirais qu'ils sont tous au fait de ce problème et qu'ils sont tous passés en revue par le GAFI, qui tente de faire en sorte que tous les pays adoptent certaines normes. Je dirais que tous les pays sont engagés dans ce processus.
Le sénateur Tannas : Merci.
Le président : Monsieur McMillan, je vous invite à étoffer votre propos pour le comité. Vous représentez MoneyGram. Vous nous avez dit que la maison mère de MoneyGram est à Dallas, mais nous savons aussi que vous avez 350 000 agents et que vous faites affaire dans 200 pays. Qu'est-ce que MoneyGram? En d'autres mots, êtes-vous propriétaire de certaines agences? Êtes-vous propriétaire de votre pupitre de négociation? Qu'est-ce que MoneyGram?
M. McMillan : En tant qu'entreprise de services monétaires, MoneyGram a tissé un réseau de relations dans presque tous les pays du monde. Nous travaillons avec ces agences locales pour offrir surtout des services de transfert d'argent, de personne à personne. Nous sommes propriétaires de quelques magasins.
Le président : Ailleurs qu'aux États-Unis?
M. McMillan : MoneyGram est propriétaire d'agences dans d'autres pays.
Le président : Je vois.
M. McMillan : En général, les relations que nous avons sont avec d'autres organismes. Par exemple, au Canada, nous avons une relation de longue date avec Postes Canada. Si vous voulez envoyer de l'argent, il suffit d'aller à un comptoir de Postes Canada, par exemple dans un Shoppers Drug Mart, et le transfert se fera par l'entremise de MoneyGram. C'est la connexion de ces 200 pays à ce Shoppers Drug Mart que nous offrons à nos clients.
Le président : Merci de cette information.
La deuxième chose que j'aimerais savoir, c'est ceci : en tant qu'entreprise de services monétaires, vous rapportez-vous au CANAFE?
M. McMillan : Oui.
Le président : Pour peu que vous soyez disposé à en parler, pouvez-vous expliquer au comité quelle expérience vous avez eue avec le financement du terrorisme et le blanchiment d'argent? Je ne vous demande pas de donner des détails particuliers, mais plutôt de nous décrire la place que ces activités occupent dans votre secteur?
M. McMillan : Nous nous rapportons au CANAFE, cela ne fait aucun doute. À l'instar d'autres entreprises de services monétaires, nous savons que certains de nos rapports ont été transmis par le CANAFE aux instances d'application de la loi et que ce transfert d'information a donné lieu à des arrestations. Je ne crois pas pouvoir vous donner quelque détail que ce soit, mais l'information que nous rapportons au CANAFE fait partie de ce qu'utilisent les instances chargées d'appliquer les lois.
Le président : Soumettez-vous des Déclarations d'opérations douteuses au CANAFE, comme le font d'autres institutions?
M. McMillan : Oui, nous lui soumettons des DOD, tout à fait.
Le président : Y a-t-il d'autres questions de la part des sénateurs?
Le sénateur Massicotte : Vos activités se limitent au transfert d'argent. Vous ne faites pas de conversion ou d'échange de devises.
M. McMillan : Nous ne sommes pas un bureau de change. Lorsqu'un agent situé au Canada accepte de l'argent, ce sont des dollars canadiens. Et lorsque l'argent est versé n'importe où ailleurs qu'au Canada, il n'est pas versé en dollars canadiens. Il y a une certaine notion d'échange de devises, mais c'est en fait un échange d'argent.
Le sénateur Massicotte : Vous ne pouvez pas entrer avec des dollars canadiens et repartir avec des dollars américains?
M. McMillan : Non. Ce n'est pas ce que nous faisons.
Le président : Vous avez évoqué votre association avec Postes Canada. Avez-vous d'autres agences mandataires au Canada à part Postes Canada?
M. McMillan : Oui, nous avons d'autres mandataires dans différentes villes du Canada.
Le président : Avez-vous des magasins avec pignon sur rue où la seule activité est l'envoi et la réception d'argent au moyen de MoneyGram? Ces services sont-ils habituellement inclus dans d'autres entités?
M. McMillan : Ces services sont inclus dans d'autres entités. Les commerces qui ont pignon sur rue, comme les comptoirs de Postes Canada, offrent nos services en plus de leurs services de base.
Le président : Monsieur McMillan, je vous remercie beaucoup d'avoir été là aujourd'hui. Votre contribution nous sera d'une grande utilité pour la suite de nos travaux.
M. McMillan : Vous m'en voyez ravi.
Le président : Pour la deuxième heure de cette séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce, nous sommes heureux d'accueillir M. Samir Saadi, professeur adjoint à l'École de gestion Telfer de l'Université d'Ottawa. M. Saadi est titulaire d'un doctorat en finances de l'Université Queen's. Il a enseigné à l'Université Queen's, au Collège militaire royal et à l'Institut de technologie de l'Université de l'Ontario. Son travail a été publié dans des revues évaluées par les pairs. Il travaille en outre à titre d'expert-conseil auprès de plusieurs entreprises et organismes gouvernementaux.
Monsieur Saadi, nous sommes très heureux de vous avoir parmi nous. Je crois savoir que vous souhaitez commencer par une déclaration préliminaire; une fois cette déclaration terminée, nous passerons à la période de questions.
Samir Saadi, professeur adjoint, École de gestion Telfer, Université d'Ottawa, à titre personnel : Bonjour, monsieur le président, mesdames et messieurs. Merci de m'avoir invité ici aujourd'hui pour vous parler de monnaie numérique. Comme vient de le dire le président, je m'appelle Sam Saadi, et je suis professeur adjoint à l'Université d'Ottawa. J'enseigne le financement des entreprises pour les programmes de MBA et de MBA pour cadres.
Le président : Puis-je vous demander de ralentir? Les traducteurs ont de la difficulté à vous suivre.
M. Saadi : Bien sûr.
Je fais aussi de la recherche empirique sur les fusions et les acquisitions, la gouvernance des entreprises, l'efficacité des marchés, les émissions initiales de titres ainsi que sur la modélisation de la volatilité d'éléments financiers.
Comme je viens de le dire, je fais de la recherche empirique sur les fusions et les acquisitions, les émissions initiales de titres, la gouvernance des entreprises, la modélisation de la volatilité et l'efficacité des marchés. Mes travaux de recherche récents portent sur la façon dont les médias sociaux influencent le comportement des investisseurs ainsi que les décisions financières et de placement des entreprises. J'ai récemment participé à un projet conjoint qui avait pour objet de mettre au point un modèle de volatilité pour le bitcoin afin d'en tester la prévisibilité.
La sphère des monnaies numériques compte à l'heure actuelle environ 20 cryptomonnaies, qui sont rapidement en train de devenir le centre d'intérêt de nombreux intervenants. La monnaie numérique la plus en vue est le bitcoin, qui est sur le marché depuis 2009. Le bitcoin se fait par minage, et chaque transaction est sauvegardée en une chaîne de blocs.
Lorsque l'on y pense un peu, les monnaies virtuelles et les paiements en ligne ne sont pas des nouveautés. Ils sont utilisés depuis des décennies déjà. Ce qui rend le bitcoin ou les autres cryptomonnaies si particuliers c'est qu'ils procèdent de réseaux d'homologues décentralisés à 100 p. 100 qui permettent d'authentifier et de transférer la propriété de la monnaie numérique sans avoir à passer par un intermédiaire.
Dans l'esprit des consommateurs, des entreprises, des investisseurs, des organismes de bienfaisance et des organismes de réglementation, le bitcoin est une technologie perturbatrice qui génère à la fois des espoirs et des craintes. En fait, les monnaies virtuelles comme moyen de paiement offrent plusieurs avantages à différents intervenants et à l'économie en général. Qui plus est, la technologie de registre distribué qui soutient ces monnaies virtuelles offre un potentiel important sur le plan de l'innovation, et ce, pour l'ensemble des services financiers et dans d'autres domaines.
Parallèlement, les monnaies virtuelles posent des risques immédiats et potentiels susceptibles de nuire aux consommateurs, aux systèmes financiers et même à la sécurité nationale, un aspect des plus importants, surtout pour le Canada, compte tenu de la menace terroriste sans précédent dont il fait l'objet.
Il n'est pas surprenant que plusieurs pays, dont le Canada, essaient de mettre au point des règlements aptes à créer un environnement hostile aux personnes qui essaient de se servir des monnaies numériques à des fins illégitimes tout en permettant toutefois aux utilisations légitimes de se développer. Comme le dit Tom Carper, le président du comité américain de la Sécurité intérieure :
Plutôt que d'y aller au cas par cas en ce qui concerne le dernier site web, la dernière monnaie ou la dernière méthode qu'utilisent les criminels [...] nous devons mettre au point des politiques sensées, souples et pratiques [...] aptes à protéger le public sans étouffer l'innovation et la croissance économique.
Malgré leur important potentiel, les monnaies virtuelles n'ont jusqu'ici été adoptées que par un nombre relativement modeste de consommateurs et d'entreprises à l'échelle planétaire. Cela est attribuable à plusieurs facteurs, dont l'absence du cadre réglementaire requis pour améliorer la crédibilité et la légitimité des monnaies numériques, absence qui, dans les faits, entretient l'incertitude dans le milieu des affaires.
L'autre facteur est l'extrême volatilité de la valeur de ces monnaies, et notamment de celle du bitcoin. Les investisseurs qui ont cru d'emblée au bitcoin à sa sortie ont engrangé des millions de dollars — du moins, au début. En revanche, les investisseurs qui y ont investi plus tard ont perdu des millions de dollars lorsque sa valeur a chuté.
La volatilité du bitcoin s'est avérée être un couteau à deux tranchants pour les investisseurs. La volatilité du taux de conversion du bitcoin en dollars a été fréquemment influencée négativement par les nouvelles d'arrestations liées au financement d'activités illicites et aux problèmes de sécurité qui ont donné lieu à diverses infractions. Les exemples ne manquent pas; je suis convaincu que vous êtes au courant.
Les entreprises qui investissent dans le bitcoin se butent aussi à des difficultés pour l'ouverture de comptes bancaires, attendu que certaines institutions financières, certains pays, continuent de traiter les monnaies virtuelles ou numériques avec méfiance.
Outre la couverture médiatique négative, d'autres facteurs expliquent la grande volatilité du bitcoin. Par exemple, la technologie utilisée pour cette plateforme et cette industrie ainsi que la communauté des bitcoins ou des monnaies numériques en sont encore aux premières étapes de développement. Des échanges considérables peuvent avoir des répercussions énormes sur les taux de conversion.
De plus, nombreux sont les investisseurs qui ignorent en quoi consistent les bitcoins et les monnaies numériques, et comment tout cela fonctionne. Cela donne lieu à beaucoup de bruit de fond sur le plan des échanges. C'est un phénomène que l'on constate aussi à la bourse ordinaire. Ce bruit est habituellement porteur de volatilité. Nous constatons un grand nombre de transactions qui ne s'appuient pas sur des données de fond, mais juste sur du bruit.
Du côté positif, les monnaies virtuelles ont donné lieu à l'émergence d'investissements dans des fonds privés et d'autres monnaies virtuelles. Parmi de nombreux exemples en la matière, mentionnons que la création de fonds de couverture englobant les transactions axées sur la volatilité de la monnaie virtuelle est devenue une tendance. Nous assistons donc à la création de nouveaux fonds aptes à générer de l'argent en misant sur la volatilité de cette monnaie numérique.
Le 25 février 2015, la Bourse de New York annonçait qu'elle allait investir dans un service domestique d'échange et de portefeuille pour bitcoins nommé Coinbase. Le Coinbase Exchange est la première bourse de bitcoins réglementée. Appuyée par la Bourse de New York, elle fournit ce qui semble être une plateforme fiable et sûre pour l'échange de bitcoins, la première du genre.
Mardi dernier, Noble Markets, une plateforme d'échange de bitcoins, a annoncé qu'elle adoptait le même logiciel qu'utilisent les principales bourses de valeurs mobilières, fourni par NASDAQ Group. Beaucoup d'analystes voient l'adoption du bitcoin par le New York Stock Exchange et le NASDAQ, qui sont les plus grands opérateurs boursiers des États-Unis, comme un signe que la monnaie numérique est en train de sortir de la clandestinité et qu'elle est là pour rester.
Je remercie le président et les membres du comité. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur.
J'aimerais d'abord mentionner que l'une des obligations de la monnaie, c'est de maintenir une réserve de valeur. Vous avez parlé de l'extrême instabilité du cours du bitcoin. Voulez-vous dire que c'est grâce à la réglementation que cette instabilité pourra être éliminée? Diriez-vous, d'abord, que pour donner de bons résultats, une monnaie doit maintenir une certaine valeur?
M. Saadi : Oui. Je conviens qu'il est très important de maintenir la valeur, sinon, il y aura beaucoup d'instabilité, les gens perdront de l'argent et les investisseurs tenteront de quitter cette industrie.
Le problème qui se pose, en ce qui concerne le bitcoin, par exemple, c'est l'absence de réglementation. C'est un problème majeur. D'après ce que j'ai lu, la communauté Bitcoin souhaite la mise en place d'une réglementation pour légitimer ses activités. Une réglementation lui donnerait davantage de légitimité, ce qui donnerait davantage confiance aux consommateurs, aux investisseurs et aux entreprises. C'est probablement ce qui permet de réduire à la longue l'instabilité, car la réglementation n'est qu'un des facteurs. Si on met en place une réglementation, il y aura de plus en plus d'utilisateurs de bitcoins au fil du temps; le volume augmentera, et cela permettra de remédier à l'instabilité à long terme.
Puisque nous parlons d'instabilité — vous me poserez peut-être la question —, honnêtement, je suis surpris que les gens s'étonnent de l'instabilité du bitcoin. Il n'a été créé qu'en 2009. Lorsqu'on songe aux premiers appels publics à l'épargne, ou PAPE, quand les sociétés fermées deviennent ouvertes, même si nous en savons parfois beaucoup sur ces sociétés privées, le marché est tout de même instable le premier jour, la première semaine, et même les six premiers mois.
Nous ne devrions donc pas nous étonner de l'instabilité du bitcoin. Lorsqu'on y pense, au début, en 2013 et 2014, il était réellement instable. Lorsqu'on examine les graphiques, on constate que par la suite, il est devenu plus stable. L'instabilité a diminué considérablement.
Pour revenir à votre question, ils veulent une réglementation, mais pas une réglementation trop lourde, parce que cela pourrait mener à une augmentation du coût de la conformité, à des coûts plus élevés pour eux, et c'est une industrie en croissance. Trop de règlements nuiraient à la croissance. Ils cherchent des endroits, un pays où leur industrie peut croître; ils pourraient donc facilement s'en aller dans d'autres pays où la réglementation est moins stricte.
Le président : Merci.
Le sénateur Tkachuk : Merci beaucoup. Au sujet de la réglementation, que conseilleriez-vous au gouvernement canadien de faire pour favoriser la croissance du bitcoin, pour que son utilisation soit plus répandue et que les gens craignent moins de l'utiliser dans le marché, de sorte que non seulement les producteurs de bitcoins soient satisfaits, mais aussi que les consommateurs eux-mêmes se sentent plus à l'aise de l'utiliser?
M. Saadi : Sur le plan de la réglementation, ils veulent être reconnus. En même temps, on permet et on favorise la croissance et l'utilisation novatrice de cette technologie ou monnaie. Il y a deux choses, ici : la monnaie même, et la technologie utilisée, qui est très novatrice.
En même temps, on protège les consommateurs. Je pense qu'il existe beaucoup de possibilités. Par exemple, on peut protéger les consommateurs parce qu'il y a beaucoup de risques et que bien des gens ne sont pas rassurés. Ils pensent que c'est une arnaque. J'utilise les médias sociaux pour étudier d'autres effets, et l'une des choses que nous avons examinées, c'est ce que disent les gens au sujet des bitcoins sur les médias sociaux. Beaucoup pensent qu'il s'agit d'une escroquerie, d'une combine à la Ponzi.
Sur le plan de la protection des consommateurs, il vaut mieux ne pas mettre en place de règlements. Honnêtement, lorsqu'on y pense, les risques ne sont pas énormes. Le milieu lui-même tente de trouver de nouvelles technologies et de mettre au point un système pour protéger les consommateurs de la fraude. Le système tente donc de se protéger lui-même.
Au lieu d'imposer une réglementation à la communauté Bitcoin pour protéger les consommateurs, vous pourriez établir des normes relatives aux pratiques exemplaires. C'est ainsi que je vois les choses.
Le sénateur Tkachuk : Donnez-moi un exemple.
M. Saadi : On pourrait par exemple permettre au consommateur d'obtenir un remboursement. Je sais que jusqu'à maintenant, il a été difficile de faire le suivi des transactions et de faire des remboursements, mais la communauté Bitcoin se penche sur cette question. Il est possible de connaître l'identité du consommateur et aussi de l'acheteur. On peut obtenir cette information. Le problème, à l'heure actuelle, c'est que le gouvernement ne peut pas intervenir et annuler les transactions, mais il pourrait peut-être adopter une mesure législative qui permettrait d'annuler les transactions et de connaître l'identité des deux parties. Cependant, ce qui attire les gens vers cette monnaie, notamment, c'est l'anonymat.
Honnêtement, on se demande encore si c'est possible ou non. Or, selon les experts qui proposent cette technologie, il est possible d'identifier les clients et les fournisseurs. Ils suggèrent que le gouvernement puisse annuler les transactions et identifier les deux parties. De cette façon, nous pourrions protéger les consommateurs et protéger l'acheteur également.
Le sénateur Tkachuk : Donc, si j'achète quelque chose en ligne — des vêtements de sport ou des skis, par exemple —, qu'ils acceptent les bitcoins et que je paie avec des bitcoins, mais que je ne reçois jamais le produit, parce que c'est un faux site web et qu'ils ne vendent pas réellement de skis... Comment empêcheriez-vous la perte de mes bitcoins? Réglementeriez-vous au point où les gens devraient être évalués d'une quelconque façon, soit par le Conseil canadien des bureaux d'éthique commerciale ou la Chambre de commerce, pour déterminer s'ils sont des fournisseurs légitimes du produit qu'ils proposent? Autrement dit, envisagez-vous l'utilisation d'une sorte de sceau d'approbation?
M. Saadi : Oui. La plateforme d'échange de monnaies virtuelles... Par exemple, lorsqu'on veut acheter quelque chose sur eBay, on peut voir s'il est judicieux de faire affaire avec la personne ou l'entreprise en question. On pourrait faire la même chose, je crois, avec la monnaie virtuelle.
Le problème, c'est de réglementer une transaction lorsque l'acheteur est au Canada et que la soi-disant entreprise ou la personne est ailleurs, en Afghanistan, par exemple. Une réglementation internationale pour tous les pays où s'effectuent des transactions avec des bitcoins permettrait d'épargner beaucoup de temps et d'argent. Je sais que cela semble être une tâche imposante, mais pour faire face aux mêmes enjeux, pourquoi n'aurions-nous pas une réglementation internationale, plutôt que d'en avoir une dans chaque pays?
Puisqu'il s'agit du même type de technologie, pourquoi ne pas proposer le même type de pouvoirs harmonisés qui permettraient de protéger tout le monde? C'est l'une des choses que l'on pourrait faire, car on peut protéger les consommateurs au Canada, mais on ne peut probablement pas les protéger...
Le sénateur Tkachuk : Peut-on les protéger lorsqu'ils utilisent la monnaie régulière?
M. Saadi : Voilà, exactement.
Le sénateur Tkachuk : Mais en même temps, si la personne peut accepter Visa et faire des transactions avec Visa, peut-être que quelqu'un la reconnait quelque part.
M. Saadi : En effet.
Le sénateur Tkachuk : C'est peut-être un moyen. Au Canada, qu'est-ce que je peux acheter avec des bitcoins?
M. Saadi : Honnêtement, je n'ai jamais rien acheté avec des bitcoins.
Le sénateur Tkachuk : Moi non plus, mais notre président a acheté des bitcoins. J'ignore ce qu'on peut acheter avec des bitcoins.
M. Saadi : Pour tout dire, j'envisageais d'acheter des bitcoins pour faire de l'argent, en les échangeant. Je n'ai jamais rien acheté avec des bitcoins. En examinant les échanges hier... Je ne vous suggère pas d'en acheter maintenant, mais je dis que ce n'est pas une mauvaise idée de le faire. Je ne vous donne pas un conseil. Hier, je parlais justement à mon épouse d'en acheter maintenant. À long terme, j'ai l'impression que leur valeur va monter en flèche.
Le sénateur Tkachuk : Est-ce une devise ou une marchandise?
M. Saadi : Les deux.
Le sénateur Tkachuk : Cela peut être les deux?
M. Saadi : Oui.
Le sénateur Tkachuk : Comme l'or.
M. Saadi : Oui, cela peut être les deux. D'ailleurs, c'est encore mieux que l'or. Si l'on songe à l'instabilité, même...
Le sénateur Campbell : Est-ce que vous vous sentez mieux, monsieur le président?
Le sénateur Tkachuk : Vous vous sentez mieux. Allez en acheter d'autres. Achetez-en le double.
M. Saadi : Prenons l'or : il est dangereux de le conserver à la maison, le coût, la sécurité, et tout le reste. Les devises peuvent être conservées en ligne en toute sécurité.
Actuellement, l'instabilité du bitcoin est inférieure ou comparable à celle de l'or. Il est intéressant de voir comment elles convergent; mais il pourrait y avoir encore une augmentation.
Je parle sans cesse d'instabilité parce que c'est ce sur quoi je travaille actuellement. On ne sait pas trop si les gens échangent les bitcoins en fonction de certaines données et d'hypothèses. Voilà le problème pour les investisseurs ou les consommateurs, car cela influe directement sur la valeur. Ce n'est pas clair.
Le sénateur Tkachuk : Ce que je veux dire, c'est que si on ne peut rien acheter avec le bitcoin, alors quelle valeur a-t-il?
M. Saadi : Je ne sais pas. Comme je l'ai dit, je n'ai jamais rien acheté avec le bitcoin, mais je suis sûr qu'il permet d'acheter bien des choses. Je me rappelle avoir lu un article au sujet d'une dame qui utilisait les bitcoins en Afghanistan. On peut acheter des ordinateurs et ce genre de choses; on ne peut pas obtenir de devises en échange, mais on peut obtenir d'autres biens en ligne.
Le sénateur Massicotte : Je voulais prendre la parole pour vous prévenir; les seules personnes qui nous écoutent sont nos belles-mères et nos vieux parents, et je ne veux pas qu'ils achètent des bitcoins. Maman, n'achète pas de bitcoins. Je voulais régler cela.
Cela dit, vous suggérez qu'on adopte une mesure législative afin qu'il soit possible d'annuler des transactions, mais cela ne fonctionnerait que si les fournisseurs de services disposaient de tous les renseignements, car tout est anonyme. Pour que cette solution soit efficace, il faudrait qu'ils recueillent constamment des renseignements sur chacun des principaux utilisateurs. Si on peut le faire, on résoudra le principal problème, car on saura qui sont les joueurs.
M. Saadi : Je pense que les acheteurs, les vendeurs ou le registre Bitcoin disposent de renseignements au sujet des personnes qui participent à la transaction. C'est ce que je crois comprendre. Ils ont des renseignements à ce sujet. Mais ils peuvent aussi appliquer la loi. Si vous adoptez la mesure législative, elle peut prévoir qu'ils n'acceptent que les personnes qui fournissent des pièces d'identité et tous les renseignements d'identification, comme leur adresse. Je sais toutefois qu'il est possible de contourner cela en présentant d'autres documents d'identification.
Le sénateur Massicotte : Selon vous, ils obtiennent actuellement tous ces renseignements pour chaque transaction?
M. Saadi : Exactement. Ils ne doivent pas être rendus publics, évidemment, mais s'ils en ont besoin, ils peuvent les utiliser.
Le sénateur Massicotte : C'est le contraire de ce que je comprends. Est-ce que vous dites qu'ils devraient obtenir ces renseignements pour chaque transaction, peu importe le montant de cette transaction? Si j'achète un bitcoin et ensuite un paquet de gomme, dois-je fournir des renseignements? Où cela commence-t-il et s'arrête-t-il?
M. Saadi : C'est un bon point, car sur le plan des coûts... Disons, par exemple, que vous achetez aujourd'hui de la gomme à mâcher et que dans un mois ou un an, vous achetez quelque chose de plus gros, vous n'aurez probablement pas à... je ne sais pas. Pour tout dire, je comprends votre point, en ce qui concerne le fait d'acheter de petites choses; ce n'est pas une chose importante. C'est peut-être une bonne chose. Dès que vous tentez d'acheter une chose importante, on constitue un dossier sur vous. Vous avez soulevé un bon point concernant l'élément déclencheur.
Le sénateur Massicotte : Qu'est-ce qu'une chose importante pour vous? Quel montant cela représente-t-il?
M. Saadi : Tout dépend du pays. En Afghanistan...
Le sénateur Massicotte : Qu'en est-il du Canada?
M. Saadi : En ce qui concerne les consommateurs moyens, c'est difficile à dire, car le salaire moyen, au Canada, est de 43 000 ou 47 000 $. Je ne sais pas. Il pourrait probablement s'agir de 10 p. 100 de ses avoirs, ou peut-être de 5 p. 100 de son salaire mensuel, par exemple. Honnêtement, on devra se pencher sur cette question.
Le sénateur Massicotte : Manifestement, le but de l'exercice est de s'assurer qu'il n'y ait ni fraude ni exagération. Or, certaines de ces personnes disent que vous confondez l'aspect mécanique, qui concerne le registre Bitcoin, une forme de technologie extraordinaire, et l'aspect qui concerne les utilisateurs. Elles donnent comme exemple la banque HSBC, qui vient de recevoir une amende de plus de 1 milliard de dollars. Elle dispose de tous ces renseignements et est supposément très réputée; le problème vient donc peut-être simplement de mauvaises personnes. On ne devrait peut-être pas se concentrer autant sur la mise en place de tous les mécanismes de contrôle et l'obtention des renseignements additionnels, car il a été prouvé que même dans notre système bancaire, les mêmes pratiques frauduleuses existent. Qu'en pensez-vous?
M. Saadi : Pourriez-vous reformuler votre question?
Le sénateur Massicotte : Vous suggérez essentiellement que nous mettions en place tous ces contrôles afin de nous assurer que personne ne se fera voler son argent. Pourtant, dans notre système bancaire, il existe d'importants contrôles et des règlements relatifs à la connaissance du client. La banque HSBC en est un bon exemple; elle a abusé continuellement de ce système à l'échelle internationale, et ce, en dépit des accords internationaux.
M. Saadi : La fraude existe depuis fort longtemps et elle continuera longtemps d'exister. La mesure législative ou le règlement a pour but de protéger les consommateurs et de nous protéger maintenant, non seulement de la fraude, mais aussi du terrorisme; on peut tenter de protéger tout le pays, mais le risque ne peut être nul. C'est impossible. C'est comme faire des spéculations sur le marché boursier : peu importe ce qu'on fait, le risque ne peut être nul. Toutefois, on peut le réduire au minimum. C'est ce que vous devez faire. Votre rôle est de minimiser les risques de fraude. Je crois que tout le monde sait que les risques ne seront jamais nuls. Même les dirigeants d'entreprise, les PDG, par exemple, trouvent toujours des façons de commettre des fraudes au moyen de la rémunération, et parfois...
Le sénateur Massicotte : Tous les PDG?
M. Saadi : Non, pas la totalité d'entre eux, mais certains d'entre eux.
Le sénateur Massicotte : Une grande partie d'entre eux?
M. Saadi : La plupart d'entre eux sont des personnes honnêtes et travaillantes. Prenons, par exemple, l'antidatage d'options d'achat d'actions. Je suis certain que vous en avez entendu parler. Peu importe les lois que vous adoptez, les arnaqueurs trouveront toujours d'autres stratagèmes. L'ironie, c'est que l'antidatage a été proposé par un avocat, un avocat qui, au contraire, est censé agir honnêtement.
Je soutiens qu'il y aura toujours de la fraude, que nous utilisions les bitcoins ou une nouvelle technologie. Le Bitcoin n'est pas nécessairement la technologie qui survivra éternellement. J'affirme qu'il y aura toujours des moyens de frauder. Il y aura toujours des possibilités. Ces gens travaillent probablement d'arrache-pied. L'évasion fiscale est un problème que nous affrontons tous. Par exemple, les gens en sont témoins en Grèce. Le Canada connaît également ce problème. Les arnaqueurs trouvent toujours des moyens de frauder le système. Je dis qu'il est impossible d'éliminer complètement la fraude, mais, au moins, on peut la minimiser.
Le sénateur Massicotte : Votre point de vue est intéressant. Je vais m'arrêter ici.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je vous remercie de votre participation. Vous avez beaucoup parlé de la volatilité du bitcoin. Vous semblez dire — et vous pouvez me corriger si ce n'est pas ce que vous avez dit — que plus on utilisera le bitcoin, plus sa volatilité diminuera. Toutefois, vous dites que, pour réduire la volatilité, il faut élaborer une réglementation. En d'autres mots, il faut une réglementation pour encourager les gens à utiliser le bitcoin et, finalement, il y aura un système autonome qui circonscrira la variation du bitcoin.
Beaucoup de gens nous ont demandé une réglementation, et certains ont insisté sur le fait de ne pas trop en avoir, comme vous l'avez dit, mais d'en avoir suffisamment. On a aussi insisté sur l'idée de réglementer ceux qui changent la cryptomonnaie en monnaie courante, en monnaie nationale.
Que pensez-vous de cette idée de réglementer ceux qui échangent les bitcoins en monnaie canadienne, par exemple, et de laisser faire les échanges qui se font en bitcoin? Il s'agirait de ne pas réglementer, au fond, comme dans le cas des échanges qui se font en monnaie canadienne. On ne réglemente pas tout cela lorsqu'il s'agit d'argent comptant.
[Traduction]
M. Saadi : Les gens qui échangent des bitcoins et des devises se comportent essentiellement comme des banques. Les banques doivent être réglementées, peu importe où elles se trouvent dans le monde. En fait, les banques sont l'un des secteurs les plus réglementés qui soient. Il faut envisager ces gens comme des banques virtuelles. Vous ne souhaiteriez probablement pas que quelqu'un exploite une banque dans son garage, sans supervision. Par conséquent, je crois qu'il est important de réglementer les gens qui convertissent les bitcoins en espèces, ou qui font l'inverse.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Serait-ce suffisant?
[Traduction]
M. Saadi : J'aime l'idée d'avoir recours à une réglementation seulement quand c'est nécessaire. La prévention est une bonne chose — les vaccins préviennent les maladies, et ainsi de suite —, mais il ne faut pas entraver la croissance d'une industrie, en particulier lorsqu'il s'agit d'un marché. On intervient seulement lorsqu'une menace se matérialise. Il faut qu'un consommateur ou des gens portent plainte. On peut alors réagir très rapidement avant que le problème ne s'aggrave. Ma philosophie est la suivante : on réglemente seulement lorsqu'il le faut.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Avec le principe de nécessité.
M. Saadi : Exactement.
La sénatrice Bellemare : Vous avez dit que le bitcoin et les cryptomonnaies sont là pour demeurer.
M. Saadi : Oui.
La sénatrice Bellemare : D'après vous, comment ce système va-t-il régler le problème de l'augmentation inhérente des coûts des transactions? Actuellement, lorsqu'il y a une transaction, cela se fait par des mineurs qui sont payés en bitcoins, et on sait que l'offre des bitcoins est à 21 millions. À un moment donné, il va falloir introduire des frais de transaction.
Ne croyez-vous pas que ces frais de transaction vont freiner automatiquement l'utilisation de cette monnaie, ou voyez-vous la résolution de ce problème d'une autre manière? Si c'est le cas, de quelle manière?
[Traduction]
M. Saadi : À long terme, c'est vrai. Ils sont maintenant en train d'établir un service d'échange Bitcoin. Si vous voulez, il est possible d'offrir une commission, par exemple. Maintenant, vous avez la possibilité d'offrir une commission, si vous le souhaitez. Mais à long terme, vous avez raison. Les bitcoins doivent être payés au moyen de commissions, et cela accroîtra les frais. Je conviens que les coûts augmenteront.
Si vous y réfléchissez et que vous comparez le bitcoin à d'autres systèmes, vous constaterez que, même si vous ajoutez des coûts, le système est beaucoup plus économique que Western Union, dont les coûts s'élèvent à 9 p. 100, et d'autres cartes de crédit, dont les recettes totalisent 250 milliards de dollars par année, par exemple.
Je ne suis pas une personne spécialisée en haute technologie ou en technologie de l'information, mais je pense que, grâce, à l'accroissement de la puissance informatique, les coûts diminueront. Ils augmenteront peut-être pour le moment, mais je pense qu'à long terme, ils chuteront. Voilà mon opinion.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Mon autre question est très théorique, mais comme vous êtes professeur d'université, je peux me permettre de la poser. Compte tenu de toutes ces cryptomonnaies qui pourraient fleurir — vous avez dit qu'il y en avait une vingtaine de sortes —, pensez-vous que la politique monétaire d'un pays en sera affectée? En d'autres mots, notre capacité à influencer le coût du crédit, et l'offre de monnaie.
[Traduction]
M. Saadi : C'est maintenant ce que redoutent les gouvernements et les banques centrales. Les cryptomonnaies ne représentent pas vraiment une menace parce que leur volume est très faible comparativement à l'ensemble de l'économie. Toutefois, il est vrai qu'à long terme, elles pourraient avoir une incidence sur la politique monétaire d'un pays.
Vous savez, j'aimerais envisager les choses de la façon suivante. Il n'est pas nécessaire de voir les choses en noir ou en blanc, de croire que ces monnaies périront ou qu'elles domineront l'économie. Ces monnaies pourraient fonctionner en parallèle. Si vous souhaitez utiliser des monnaies fiduciaires, vous pourrez le faire. Si vous pensez que votre monnaie est avantageuse pour les entreprises qui exportent des marchandises, par exemple, il est clair que ces entreprises tireront de nombreux avantages des transactions peu coûteuses que ces monnaies permettent d'effectuer. Elles ont même l'avantage de réduire les coûts des consommateurs. Lorsque des entreprises commenceront à se livrer concurrence, nous verrons les coûts diminuer. Je dirais que cette monnaie créera un système parallèle, qui ne remplacera pas nécessairement le système actuel.
Si je remontais 100 ou 50 ans dans le temps et que je tentais d'expliquer le monde d'aujourd'hui à quelqu'un de cette époque, cette personne penserait que je suis fou. « De quoi parlez-vous? », dirait-il. « Qu'est-ce qu'Internet, et à quoi cela sert-il? » Il est difficile de prédire l'avenir. Pouvons-nous le faire? Non. Nous devons gérer les problèmes à mesure qu'ils surviennent. Je suis désolé, j'ai perdu le fil de mes pensées. Voilà comment je vois les choses. Ces monnaies pourraient former un système parallèle qui ne nuirait pas à l'économie.
Notez que le bitcoin et les monnaies numériques sont apparus après la crise de 2008. La façon dont les gens tentent d'adopter ce système est phénoménale. Nous avons le sentiment que certaines personnes ont perdu confiance dans le système, étant donné que le système actuel présente de nombreux problèmes que nous tentons de résoudre. Le monde est très déroutant. D'une part, il y a la menace terroriste, et d'autre part, une technologie très novatrice existe maintenant. Si je me compare à mes étudiants ou à des étudiants plus jeunes, je constate que je ne peux pas suivre l'évolution de la technologie. J'arrive à peine à m'adapter à cette technologie.
Je pense que, dans 50 ans, le monde sera complètement différent. Des gens intelligents s'efforcent en ce moment de faire face à ce problème. En toute honnêteté, je ne crois pas que la monnaie numérique représente une menace. Nous ne devrions pas laisser nos craintes entraver l'innovation. Vous savez, nous devrions permettre aux choses de suivre leur cours. Voilà ce que je pense. Elles fonctionneront, vous verrez. Le marché est doté d'un système qui lui permet de se rétablir.
Le sénateur Greene : J'ai une brève question à vous poser. En fait, il s'agit d'une requête. J'ai été très intéressé d'entendre ce que vous avez dit à propos de l'instabilité et du fait que le bitcoin ne soit pas tellement instable si on le compare aux autres nouveautés. Le bitcoin a la réputation d'être instable, d'être une mauvaise monnaie dans laquelle investir, et cetera. J'ai appris quelque chose de nouveau. Je pense que notre rapport devrait discuter de l'instabilité. Par conséquent, je me demande si vous disposez de renseignements ou de graphiques supplémentaires que vous pourriez envoyer à la greffière et qui présentent ce point de vue.
M. Saadi : D'accord. Je travaille là-dessus en ce moment. Nous avons collecté les données, et nous avons produit quelques résultats préliminaires. Je peux vous les envoyer quand l'étude sera terminée. Je peux vous les envoyer avec quelques explications, ou je peux vous envoyer l'étude en entier accompagnée de tous les détails. Je serais vraiment heureux de vous communiquer cette information.
Le sénateur Greene : Merci.
M. Saadi : Pour être honnête, je dispose d'autres études sur la couverture médiatique et sur la façon dont les médias peuvent influer sur le comportement des consommateurs. La mauvaise réputation du bitcoin découle en grande partie des médias. Prenons la fraude. Ce n'est pas un problème vraiment important par rapport à l'ensemble du système du bitcoin. Cependant, seules les mauvaises nouvelles permettent de vendre des journaux, n'est-ce pas? Si vous regardez sur Internet...
Le sénateur Greene : Nous savons cela.
M. Saadi : Oui. Par conséquent, il s'agit probablement d'une réaction excessive, et les gens renchérissent sur ces mauvaises nouvelles. Dans le domaine des finances, nous savons, par exemple, que les gens qui jouent à la bourse manquent d'objectivité et qu'ils réagissent aux mauvaises nouvelles. Honnêtement, pensez-y. Lorsque nous recevons de bonnes nouvelles, nous ne passons nous-mêmes que quelques heures à nous réjouir pendant le jour en question. En revanche, si les nouvelles sont mauvaises, nous passons la semaine entière à ruminer cela. L'ampleur de la réaction des marchés est toujours beaucoup plus grande lorsque les nouvelles sont mauvaises que lorsqu'elles sont bonnes, et c'est normal.
Le comportement des bitcoins est étrange. Habituellement, nous constatons que la courbe de rendement des options est plus inclinée vers la droite en raison de résultats extrêmement négatifs. Toutefois, si vous examinez ce graphique-ci, c'est-à-dire les résultats initiaux que nous avons obtenus, il ressemble exactement à une belle courbe en cloche, en raison de résultats extrêmement bons et de résultats extrêmement mauvais. Le graphique est plus symétrique. Ces résultats sont fascinants, car ils suscitent beaucoup d'espoir.
Je ne dis pas que le bitcoin survivra nécessairement. Il se peut qu'une nouvelle monnaie ou qu'une nouvelle technologie le remplace. Toutefois, les professionnels du monde des finances, comme ceux de la Bourse de New York et du NASDAQ — ces gens ne sont pas des personnes ordinaires; ce sont des professionnels —, pensent que le bitcoin a beaucoup de potentiel. Ils n'ont pas nécessairement raison, mais, au moins, des perspectives semblent exister.
Le sénateur Greene : Formidable. Merci.
La sénatrice Ringuette : J'ai une brève question à vous poser qui n'en est pas moins très importante.
M. Saadi : Oui, bien sûr.
La sénatrice Ringuette : La Banque du Canada devrait-elle créer sa propre cryptomonnaie?
M. Saadi : Ses dirigeants songent déjà à échanger des dollars canadiens par voie électronique et à rivaliser peut-être avec le secteur privé. Je ne sais pas si c'est une bonne idée.
La sénatrice Ringuette : Mais un tel système n'offrirait-il pas au consommateur le caractère sécuritaire que vous recherchez, comme nous le faisons dans le cadre de notre étude?
M. Saadi : Oui. Vous savez pourquoi je dis cela? Si ce système privé flanche, cet échec pourrait ne pas avoir d'importantes répercussions. Cependant, si le gouvernement du Canada investit beaucoup d'argent ou beaucoup de ressources pour remplacer le bitcoin et que ses efforts ne sont pas couronnés de succès, je pense que cela nuira à l'économie tout entière. En règle générale, un gouvernement ne devrait pas prendre de risques. Personnellement, j'encourage la banque à le faire, mais, à mon avis, nous devons attendre plus longtemps, afin de voir comment le système évoluera, puis nous devons examiner les résultats. Si vous y réfléchissez, vous vous rendrez compte qu'un grand nombre d'éléments sont en jeu. Il s'agit de la Banque du Canada. Elle représente l'ensemble de l'économie. Je ne sais pas; elle pourrait probablement mettre cela en œuvre à une petite échelle. Toutefois, je ne l'encourage pas à s'investir entièrement là-dedans. C'est mon point de vue. Je ne suis pas un preneur de risques.
La sénatrice Ringuette : Mais il s'agirait seulement d'une version numérique de la devise canadienne en tant que telle.
M. Saadi : Je pense qu'ils envisagent déjà cela. Je ne crois pas qu'une version numérique du dollar canadien soit une mauvaise idée. Outre cette initiative, la création d'une autre monnaie comme Bitcoin ou d'instruments électroniques est... je suis désolé, je croyais que vous pensiez peut-être ainsi. Non, je ne crois pas qu'un dollar canadien numérique serait problématique. Pardon, je songeais à d'autres monnaies comme Bitcoin ou Litecoin.
Le président : Monsieur Saadi, je vous remercie infiniment d'avoir comparu devant nous aujourd'hui. Vous nous avez beaucoup aidés à délibérer, et j'exprime l'immense gratitude du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce.
M. Saadi : Je vous remercie tous de m'avoir invité. Cela a été pour moi un plaisir d'être ici.
Le président : Merci. Cette séance est terminée.
(La séance est levée.)