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Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule 10 - Témoignages du 16 février 2015


OTTAWA, le lundi 16 février 2015

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 h 2, pour poursuivre son étude des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité ou de pluralité linguistique.

La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Honorables sénateurs, je déclare cette séance du Comité sénatorial permanent des langues officielles ouverte. Je m'appelle Claudette Tardif, sénatrice de l'Alberta, et je suis la présidente de ce comité. Je demanderais aux sénateurs de bien vouloir se présenter, en commençant à ma droite.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, au Québec.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Suzanne Fortin-Duplessis, de la ville de Québec.

Le sénateur Maltais : Ghislain Maltais, sénateur du Québec.

Le sénateur McIntyre : Paul McIntyre, sénateur du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Chaput : Je suis Maria Chaput, sénatrice du Manitoba.

La sénatrice Charette-Poulin : Marie Poulin, je représente le Nord de l'Ontario depuis 1995. Je vous souhaite la bienvenue.

La présidente : Au cours de cette 41e législature, les membres de ce comité examinent les politiques linguistiques et l'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité et de pluralité linguistique. Cette étude vise à examiner les politiques existantes, les défis et les meilleures pratiques qui favorisent l'apprentissage d'une deuxième langue dans un pays où il y a deux ou plusieurs langues officielles.

Le comité, dans le cadre de son étude, examine à la fois la perspective canadienne et la perspective internationale. Nous recevons aujourd'hui quatre témoins du Québec. Je souhaite la bienvenue à Moktar Lamari, directeur du Centre de recherche et d'expertise en évaluation à l'École nationale d'administration publique, à Eva Anstett, coordonnatrice au Centre de recherche et d'expertise en évaluation, et aux représentants de l'organisation LEARN, Suzanne Longpré, agente de communications, et Donna Aziz, conseillère en anglais langue seconde.

Nous commencerons par entendre la présentation du Centre de recherche et d'expertise en évaluation pour écouter ensuite celle de l'organisation LEARN. Une fois que les témoins auront terminé leur présentation, les sénateurs leur poseront des questions.

Monsieur Lamari, on m'informe que vous serez le premier.

Moktar Lamari, directeur, Centre de recherche et d'expertise en évaluation, École nationale d'administration publique : Je vous remercie, madame l'honorable sénatrice et présidente du comité, mesdames et messieurs les honorables sénateurs et sénatrices, monsieur le greffier.

C'est un plaisir pour nous de venir vous présenter les résultats de nos recherches. Permettez-moi d'abord de vous remercier de cette invitation qui témoigne de l'intérêt manifeste du comité à l'égard de nos recherches menées au sein du Centre de recherche et d'expertise en évaluation (CREXE). Ce centre fait partie de l'École nationale d'administration publique qui relève à son tour de l'Université du Québec.

Je suis accompagné de Mme Eva Anstett, coordonnatrice au CREXE. Mme Anstett a coordonné cette recherche qui a fait intervenir une équipe multidisciplinaire comptant une vingtaine de professeurs et de professionnels.

À titre de chercheurs du CREXE et de l'ÉNAP, nous sommes fiers de vous présenter les résultats de notre recherche qui porte sur l'apprentissage de l'anglais langue seconde au sein des écoles primaires du Québec.

Compte tenu du temps imparti à mon allocution et du protocole préétabli, je vais rapidement dire quelques mots sur cette étude et revenir un peu plus tard à ses enseignements en ce qui a trait aux conditions de succès, aux balises et à l'inspiration qui favorisent la prise de décisions en matière de politique publique liée à l'apprentissage d'une langue seconde dans un contexte de dualité et de pluralité linguistique.

La recherche dont nous allons vous transmettre les résultats s'est étalée sur deux ans et a visé deux mesures principales, menées depuis 2006 et 2011, respectivement, au sein des écoles primaires du Québec. La première mesure constitue une mesure introductive et de familiarisation qui vise l'éveil à l'anglais des enfants âgés de six à sept ans. La deuxième mesure vise un apprentissage plus intensif dans le cadre de formules d'immersion, qui s'échelonne sur un minimum de cinq mois à la fin du cycle primaire. Je reviendrai en détail sur ces éléments un peu plus tard.

Cependant, avant de commencer, honorables sénateurs, je souhaite préciser la notion d'évaluation. C'est une notion principale qui nous a guidés dans notre étude. L'évaluation, ici, constitue une démarche systématique fondée sur des données empiriques, des données obtenues sur le terrain et auprès des parties prenantes. Ces données sont utilisées et analysées, à l'aune de méthodes de recherche liées aux sciences sociales, pour répondre à des questions précises, des questions évaluatives qui portent sur la conception, la pertinence, la mise en œuvre, l'efficacité et l'efficience d'une mesure ou d'une autre.

Dans ce cadre, le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport du Québec nous a donné le mandat d'examiner quatre questions. La première porte sur la pertinence. Est-ce pertinent? Est-ce que cela a un sens? La deuxième interroge la conception, la cohérence, la logique des interventions, et la troisième, leur mise en œuvre. Enfin, la dernière question examine les effets de ces mesures sur le système d'enseignement primaire au Québec et, de manière plus générale, sur l'apprentissage de l'anglais au premier cycle.

Pour ce faire, nous avons adopté un protocole empirique qui nous a permis de prendre l'avis de nombreuses personnes et des parties prenantes directement concernées. Nous avons questionné, rencontré et interrogé de diverses façons pas moins de 3 500 acteurs concernés, 1 000 répondants issus de la population générale du Québec, 980 enseignants, 1 000 parents, y compris 500 parents qui ont des enfants qui suivent la mesure principale d'immersion intensive, et 500 parents, dont les enfants ne la suivent pas. Nous avons interrogé les enseignants et les directeurs d'école, soit 490 directeurs dont certains ont implanté la mesure intensive et d'autres pas.

Évidemment, dans le cadre de ce processus, nous ne nous sommes pas limités à des sondages électroniques ou téléphoniques. Nous avons organisé des entrevues, des rencontres de groupe pour creuser de manière plus qualitative, plus approfondie nos questionnements. Je profite d'ailleurs de cette tribune pour remercier le ministère de l'Éducation pour le financement qu'il nous a accordé et je remercie aussi toutes les parties prenantes qui ont bien voulu répondre à nos sollicitations, comme les directeurs et les parents, et cetera.

J'aimerais répondre aux premières questions qui ont été posées au début de la séance. En ce qui concerne la première question, l'apprentissage de l'anglais langue seconde chez les jeunes dans les écoles primaires du Québec, selon nos enquêtes, les mesures d'apprentissage de l'anglais langue seconde sont très appréciées. Cela dénote un désir que le gouvernement en fasse davantage en matière d'apprentissage d'une langue seconde. Tous les sondages et toutes les recherches approfondies menés auprès des parents, de la population en générale, des directeurs et des enseignants démontrent que tous s'accordent pour dire que c'est pertinent et nécessaire, et qu'il faut en faire davantage dans ce secteur. Les doléances sont évidemment liées aux ressources, dont les mesures d'accompagnement.

Les deux mesures ont été mises en œuvre au cours de la dernière décennie. La première, en 2006, la seconde, en 2011. La première a été plus simple à implanter, parce qu'elle a été précédée d'un protocole expérimental; fondamentalement, elle demeure moins porteuse de changements majeurs au sein de l'école et des organisations au niveau primaire. Ainsi, la première mesure qui visait le premier cycle a été implantée de façon plus simple que la seconde, puisque la seconde a suscité beaucoup de remous et de débats politiques, ce qui n'a pas facilité sa mise en œuvre dans l'ensemble du Québec. Aujourd'hui, il n'y a que 15 p. 100 des écoles primaires qui ont implanté cette deuxième mesure visant l'apprentissage intensif de l'anglais à la fin du cycle primaire. Il y a un enjeu politique ou une sensibilité politique qui freine la mesure intensive.

En ce qui a trait à votre deuxième question, à savoir ce qu'il en est de l'apprentissage de la langue seconde pour les populations immigrantes ou issues de l'immigration, nos recherches portent à croire que les parents, dans la population immigrante récente et moins récente, demandent ces services et qu'ils sont conscients de l'importance de la maîtrise de la langue anglaise pour leurs enfants.

Pour beaucoup d'enfants issus de l'immigration, l'anglais constitue une troisième langue, ce qui ne facilite pas les arbitrages entre langue seconde et langue tierce par rapport à la langue maternelle. Il y a donc des enjeux qui complexifient le processus d'apprentissage et qui font que les écoles qui mettent en œuvre cette mesure éprouvent certaines difficultés particulières en matière de cohérence et de complémentarité des différentes mesures. Si vous le souhaitez, je reviendrai sur ces derniers éléments plus tard.

Pour ces parents, l'apprentissage de l'anglais langue seconde est perçu comme un investissement rentable en matière d'emploi, de mobilité, d'innovation et de mondialisation.

Bien sûr, dans le cadre de cette enquête, nous avons réalisé une méta-évaluation qui nous a permis de connaître les expériences de six pays comparables et de voir comment cela se passe chez eux et quels sont les modèles, les bonnes pratiques et les enseignements qui peuvent nous guider et inspirer nos politiques publiques à ce chapitre. Les expériences sont différentes selon les pays, soit l'Espagne, les Pays-Bas, la Finlande, la France et les autres pays que nous avons étudiés. Nous constatons que la sensibilité par rapport à l'apprentissage d'une langue seconde est propre à chaque contexte, mais, de manière générale, l'anglais s'impose comme langue seconde dominante, et ce, dans les pays occidentaux, voire même dans les pays émergents.

Certains pays ont institué l'anglais langue seconde comme mesure obligatoire très tôt au sein du système scolaire. Nous avons recensé un certain nombre de pays qui sont aujourd'hui très bien placés en matière d'innovation et de croissance économique. Un peu partout dans le monde, on constate aussi que les parents souhaitent que leurs enfants acquièrent cette langue seconde étant donné sa domination dans plusieurs domaines et sphères de la vie, de la culture, du commerce et de l'innovation.

Toutefois, il n'est pas question uniquement de l'anglais. Il y a de plus en plus d'incitations et de politiques qui privilégient aussi l'espagnol et le mandarin, notamment dans les pays européens. On reviendra sur ce point si vous le souhaitez plus tard.

Je conclurai en parlant des principaux défis liés à ce domaine. Nos recherches les résument en 10 enseignements consignés dans ce document et que vous pourrez examiner. Ainsi, 10 défis sont à relever dans ce cadre. Je vais les citer en utilisant des mots clefs.

Le premier est la communication. Il s'agit de l'importance de communiquer toutes les politiques et les règles visant l'apprentissage de la langue seconde de façon à éviter les ambiguïtés politiques, les dissonances cognitives et les risques d'éviction perçus ou réels à l'égard de la précarisation des langues principales.

Le deuxième défi est la progressivité. Les plans et programmes visant l'apprentissage de la langue seconde doivent adopter une démarche progressive qui tient compte des capacités ou des sensibilités, notamment celles liées aux thématiques identitaires, culturelles et idéologiques.

Le troisième défi concerne l'adéquation. Les interventions gouvernementales et les interventions publiques, qu'il s'agisse de programmes, de réglementations, de plans ou autres, doivent veiller à bien tenir compte des spécificités des besoins réels exprimés. Dans cette étude, nous avons relevé des élèves qui ont des besoins spécifiques liés à des handicaps — je n'aime pas ce terme, mais disons des limites — qui font en sorte que la mise en œuvre ne se fait pas dans les meilleures conditions, ou que l'accompagnement des enseignants requiert plus d'heures de travail. Par conséquent, ces mesures deviennent parfois très coûteuses sur le plan budgétaire.

Le quatrième défi est lié au fait que l'apprentissage d'une langue seconde est perçu comme un investissement. C'est un point de vue qui est partagé par la société, les parents et les enseignants au Québec. L'apprentissage d'une langue seconde constitue une chance, une valeur ajoutée, un moyen d'acquisition de compétences valorisantes pour le développement personnel. Toute la documentation à ce sujet nous indique que cet apprentissage permet même de toucher un certain nombre de variables liées à l'évaluation du quotient intellectuel — j'exagère un peu, mais ce sont des faits. Il favorise l'emploi et la mobilité, qui sont des clefs du succès. C'est un investissement. Il pourrait y avoir une certaine réticence à assumer les coûts chez les parents qui souhaitent acquérir cet apprentissage et y investir.

Le cinquième défi est la flexibilité des politiques. Il faut flexibilité et modulation pour tenir compte des disparités et des diversités. Une approche mur à mur peut susciter des effets pervers, des raidissements qui peuvent faire avorter la mise en œuvre.

Le sixième défi concerne les spécificités. Il faut porter une attention particulière à la mise en œuvre des mesures d'accompagnement pour les professionnels concernés, pour les parents et pour les différents organismes impliqués.

Le septième défi est lié à l'évaluation, qui constitue un levier de succès majeur.

Enfin, les deux autres éléments sur lesquels je passe rapidement sont la résilience et l'innovation. La résilience évoque la notion selon laquelle les erreurs sont permises. L'expérience nous montre que certaines écoles, certaines régions ont acquis une expérience et que, ultimement, cela se corrige. Quant à l'innovation, les technologies Web 2.0 constituent aussi des leviers de succès. Enfin, il y a aussi la synergie, le souhait d'associer et de faire travailler différentes parties prenantes concernées au sein de l'école et du système connexe à l'école d'une manière générale. Voilà ce qui conclut ma présentation.

Permettez-moi d'insister sur le fait que, à titre de chercheur, je suis réellement honoré de pouvoir présenter mes travaux de recherche, parce que je pense qu'on reproche souvent aux chercheurs de ne pas parler aux décideurs. C'est une occasion qui témoigne de votre intérêt et qui nous donne espoir de faire traduire nos résultats de recherche sous forme d'action.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Lamari, pour cette présentation intéressante et très pertinente pour notre étude. Nous allons passer à Mme Longpré, de l'organisation LEARN.

[Traduction]

Suzanne Longpré, agente de communications, LEARN : Bonjour, j'ai l'intention de faire mon exposé en anglais et je ne pense pas que cela suscite des problèmes.

Mesdames et messieurs les sénateurs, mesdames et messieurs, je suis heureuse d'être ici. C'est la deuxième fois que je suis invitée. Il y a deux ans et demi, je vous ai présenté les ressources et les services de LEARN. Eh bien, nous sommes de retour et je me réjouis à la perspective de vous parler brièvement de nos réalisations, mais surtout, de notre nouveau projet.

Nous venons de vous distribuer des exemplaires de mon exposé. Nous nous attendions, j'en suis désolée, à un exposé en PowerPoint, mais grâce à Daniel, qui est plein de ressources et qui a su réagir vite, nous avons pu mettre au point l'exposé en PowerPoint dont vous disposez. Nous allons vous parler de LEARN dans le délai qui nous est imparti.

LEARN est un organisme à but non lucratif, dont le mandat est de combler les besoins éducatifs des étudiants de langue anglaise et des étudiants inscrits dans les écoles de langue anglaise au Québec. Nous sommes manifestement conscients du fait que les étudiants de langue anglaise sont une minorité au Québec. Ils sont répartis dans diverses régions de la province.

Nos services et ressources sont fournis gratuitement aux membres de la collectivité. Nous sommes en partie subventionnés aux termes d'une entente fédérale-provinciale et les crédits sont distribués pour les minorités linguistiques.

J'aimerais examiner avec vous une courte diapositive. On y trouvera certaines données sur les réalisations que nous avons faites depuis notre dernière rencontre. Nous avons un journal en ligne sur la recherche universitaire auquel ont accès plus de 100 universités dans le monde. Nous chapeautons les centres d'apprentissage communautaires. Nous avons créé des centaines de pages de ressources numériques. Nous faisons du tutorat en ligne et offrons de l'instruction à des étudiants vivant dans des régions isolées de la province.

Nous avons développé des logiciels de jeux et nous sommes les premiers dans le secteur anglophone du Québec, s'agissant du perfectionnement professionnel des enseignants. Nous sommes des pionniers et des innovateurs dans les secteurs dont vous pouvez voir la liste sur la diapositive. Nous avons, ou je dirais plutôt, en toute humilité, nos enseignants à iNACOL, qui est une conférence internationale de l'éducation en ligne, nos enseignants, disais-je donc, ont remporté un grand prix international.

Je dois par ailleurs vous annoncer une nouvelle importante, nous avons reçu le feu vert du MELS, le ministère de l'Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, pour ouvrir la première école virtuelle du Québec. Nous ne savons pas encore lorsqu'elle verra le jour, mais l'autorisation est donnée.

En outre, nous menons de concert avec le MELS un projet pilote d'anglais langue seconde et nous envisageons d'élaborer ce que nous appelons un DOA — un Dépôt d'objets d'apprentissage — pour recenser les ressources dont nous disposons pour les étudiants et le programme.

Je vais vite, car je ne veux pas déborder sur mon temps.

Sur le feuillet que je vous ai donné, intitulé « LEARN by Numbers », vous verrez que notre site a été consulté 50 millions de fois cette année. Seule l'Université de Toronto a eu plus de consultations, s'agissant des centres de ressources éducatives. Sur notre site web, 5 000 éducateurs sont actuellement branchés à des collectivités en ligne. Depuis notre création, nous avons aidé 30 000 étudiants en ligne et proposé 90 000 activités de perfectionnement professionnel pour 4 000 enseignants.

Compte tenu de cette expertise et du succès que nous avons eu, je puis dire que nous avons été abordés par un groupe de particuliers qui fait appel à LEARN pour avoir des services éducatifs en anglais langue seconde. J'ai donc le plaisir de présenter Mme Donna Aziz, qui est responsable du projet.

Donna Aziz, consultante en anglais langue seconde, LEARN : C'est pour moi un grand honneur d'être ici et de vous d'expliquer comment l'expertise de LEARN dans divers domaines a permis de mettre sur pied un projet en Thaïlande. Le projet en est à sa première année.

Il y a plusieurs années, une organisation à but non lucratif de Thaïlande a pris contact avec LEARN, ayant besoin de son expertise dans la mise en œuvre d'un programme d'anglais langue seconde au niveau élémentaire. À l'époque, le gouvernement thaïlandais avait prévu des tablettes pour neuf millions d'enfants. Ces tablettes n'ont jamais été distribuées, et celles qui l'ont été, n'ont pas été utilisées. Le projet n'a pas abouti, parce qu'un programme technologique ne peut être appliqué sans pédagogie et c'est dans ce domaine que LEARN a apporté son aide à la Thaïlande. Le besoin découlait de la naissance de l'association économique ANASE, qui allait amener les étudiants thaïlandais à maîtriser parfaitement la langue anglaise. Et c'est comme cela que tout a commencé.

Il y a eu des obstacles à surmonter, s'agissant d'équité. Il y a plus de 30 000 écoles élémentaires en Thaïlande, mais il n'y a aucune égalité entre les écoles privées et les écoles publiques. Le projet se déroule en première année dans les écoles publiques, mais pas toutes. Nous avons commencé par le sud de la Thaïlande.

Autre difficulté, le problème des villes par rapport aux campagnes. En raison de l'économie, la majeure partie de la population cultive le riz et vit donc en dehors des centres urbains.

Il y a en plus la difficulté de trouver des enseignants dont l'anglais est la langue maternelle. On a malheureusement vu dans des écoles publiques des gens enseigner l'anglais, qui pouvaient à peine le parler et qui avaient été engagés alors qu'ils étaient peut-être en vacances, la Thaïlande étant une destination touristique très populaire pour les Nord- Américains. Ces gens — que nous appelons enseignants — sont des instructeurs qui n'ont aucune formation en pédagogie. C'était donc un autre obstacle à surmonter.

Autre problème, le réseau. C'est bien beau d'offrir aux gens des tablettes, des logiciels, mais c'est inutile s'ils ne peuvent pas se brancher à Internet.

Autre souci, les résultats scolaires désastreux. La Thaïlande est au 48e rang des scores PISA. Ses propres examens ne convenaient pas et les étudiants ne pouvaient pas les réussir.

Il y a environ deux ans et demi ou trois ans, le PDG de LEARN — c'est lui qui aurait fait normalement cet exposé — a lancé un projet pédagogique.

Ce projet pédagogique — qui figure sur votre imprimé de la diapositive — est un modèle d'apprentissage mixte qui fait appel à la neurolinguistique pour l'acquisition du langage. Autrement dit, vous pouvez le voir sur l'autre diapositive où figurent les taux de maintien de l'acquis, et où c'est la méthode traditionnelle qui est utilisée et qui met l'accent sur les exercices et des compétences. Ce projet était fondé sur l'acquisition du langage. On enseigne aux enfants comment apprendre la langue, en ne se contentant pas de leur fournir des faits ou des mots qu'ils ne peuvent pas mettre en pratique.

Par rapport au projet lui-même et les activités en classe, nous ciblons les quatre éléments de compétences que sont la lecture, l'écriture, l'écoute et la parole. Les étudiants pratiquent de façon intense chacune de ces compétences. C'est ce que j'aurais fait moi-même lorsque j'étais enseignante de cégep dans la province du Québec.

Nous sommes entrés en action. Nous avions ce projet pédagogique en place et nous allions enseigner aux enfants à lire, à écrire, à écouter et à parler. Ces enfants n'avaient que six, sept ans. La première chose que nous avons faite, je veux dire qu'a faite l'organisme à but non lucratif, a été de s'assurer que toutes les écoles adoptant le projet, ou en voie de l'adopter, étaient équipées d'Internet à haute vitesse.

On a réglé le problème de l'équité en donnant les tablettes aux enfants : ce sont eux qui en étaient propriétaires. Ils pourraient ensuite les apporter chez eux, mais elles leur appartenaient.

Les milieux urbains et ruraux vont en quelque sorte ensemble. Un centre de diffusion a été établi à Bangkok, où se trouvaient les locuteurs dont c'est la langue maternelle. La Thaïlande n'est pas, disons-le, stable politiquement. Nous avons commencé dans le sud, où il y a une insurrection et où il est très difficile d'attirer des enseignants formés, encore moins des locuteurs américains ou britanniques dont c'est la langue maternelle.

Les enseignants sont jumelés à un responsable de classe. À Bangkok, c'est lui qui vient avec les étudiants, écoute, intervient et communique avec eux. Nous avons réglé le problème en postant à Bangkok des locuteurs de langue maternelle.

La présidente : Madame Aziz, afin que les sénateurs aient assez de temps pour poser leurs questions, je vous demanderais peut-être d'accélérer.

Mme Aziz : Pour résumer, nous avons fait du perfectionnement professionnel avec les enseignants en ligne et les enseignants en classe. Finalement, à l'issue de notre première année, le projet fonctionne, même pour les étudiants qui ont des besoins spéciaux. Les réactions sont très positives et, l'an prochain, le programme couvrira la deuxième année.

Merci de votre attention.

La présidente : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : En tout premier lieu, je vous remercie de comparaître devant notre comité ainsi que de vos présentations très intéressantes.

Le commissaire aux langues officielles comparaît régulièrement à notre comité et, à un moment donné, il nous a mentionné qu'il y a moins de jeunes anglophones qui s'inscrivent à des cours pour apprendre le français dans les autres provinces. Or, moi qui viens du monde de l'enseignement, j'ai constaté que les jeunes au Québec ne sont pas bilingues au sortir de l'école secondaire ou du cégep. Je trouve cela très dommage.

Monsieur Lamari, en mai 2014, le Centre de recherche et d'expertise en évaluation de l'ÉNAP a publié trois rapports sur la question de l'enseignement de l'anglais intensif au Québec. L'étude a montré, entre autres, que certains facteurs peuvent entraver la mise en place de ces programmes intensifs d'apprentissage de l'anglais. Parmi ces facteurs, vous dénotez les difficultés de recrutement et de rétention des enseignants et les attitudes de ces derniers face aux changements.

Quelle solution proposez-vous pour améliorer le recrutement et la rétention des enseignants?

M. Lamari : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Cette question est tout de même assez vaste, puisqu'elle interpelle un certain nombre d'incitatifs.

Il y a, d'un côté, les conventions collectives. Très souvent, les enseignants qui sont recrutés pour enseigner l'anglais ont des statuts relativement moins formels que les enseignants titulaires. Donc, il y a ce point à renforcer qui pourrait générer également des restructurations au sein des écoles et au sein même des emplois du temps. Introduire l'anglais sous sa forme intensive cinq mois par année entraîne de nombreux changements qui requièrent de la volonté, de la persistance dans la volonté. Cependant, dans tous les cas, cela signifie des politiques engagées avec les moyens requis. C'est un point important. S'il n'y a pas de révision sur le plan des statuts qui régissent la sécurité d'emploi et les salaires, s'il n'y a pas d'incitatifs ni de formation pour les enseignants, aujourd'hui, statistiquement, on constate qu'il est très difficile de répondre à la demande si toutes les écoles québécoises mettent en place le programme d'apprentissage de l'anglais intensif. C'est une contrainte majeure qui interpelle les gouvernements fédéraux et provinciaux afin qu'ils aillent de l'avant dans l'élaboration de politiques plus importantes en termes de formation.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Vous aviez un commentaire à faire, madame Aziz?

Mme Aziz : Non, je m'excuse.

La sénatrice Fortin-Duplessis : J'ai une deuxième question pour vous, monsieur Lamari.

Dans cette même étude, vous mentionnez l'insuffisance des outils nécessaires qui sont fournis par le ministère. Quels sont ces outils d'apprentissage qui sont jugés nécessaires, selon vous?

M. Lamari : Vous savez, le programme d'apprentissage de l'anglais, dans sa forme intensive, est récent. Il a été lancé en 2011 par le gouvernement libéral. Il y a eu des élections par la suite et, en quelque sorte, des paramètres politiques qui ont fait en sorte que les ressources et la continuité manquaient à l'appel.

Maintenant, cela requiert évidemment l'élaboration d'outils, parce qu'aujourd'hui, beaucoup d'enseignants, de parents et de directeurs d'école parmi ceux que nous avons rencontrés s'accordent pour dire que, malgré l'existence de la mesure, celle-ci n'est pas accompagnée des moyens nécessaires. Donc, la précipitation de la mise en œuvre, selon le programme politique — je me permets de le dire dans ces termes —, parfois électoral, a entraîné la communication d'annonces, la prise d'engagements et l'élaboration d'un échéancier en 2015-2016 pour généraliser la mesure.

Les écoles avaient déclaré clairement qu'elles n'avaient pas les ressources, qu'elles n'avaient ni les enseignants, ni les outils. La mesure mise en place en 2006 valait pour les premières années de l'école primaire. Elle était plus légère et moins exigeante au chapitre des compétences des enseignants.

Cette mesure a été précédée d'un protocole expérimental, elle a été testée et évaluée de façon à ce que sa mise en œuvre soit optimisée, ce qui n'est pas le cas de la deuxième mesure.

Le sénateur McIntyre : Mesdames, monsieur, merci pour vos présentations. Depuis environ deux ans, notre comité poursuit son étude sur les meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde.

Plusieurs témoins sont venus formuler des revendications qui touchaient une foule de sujets, par exemple le rôle des universités et des médias; l'accès aux programmes d'immersion française à travers le pays; la sensibilisation des immigrants sur le plan de l'apprentissage d'une langue seconde; les multiples avantages du bilinguisme, autant sur le plan économique, social, commercial que cognitif; l'évaluation des compétences linguistiques et la reddition de comptes dans le secteur de l'éducation.

Finalement, plusieurs témoins ont fait remarquer qu'apprendre une autre langue exigeait non seulement l'acquisition de compétences en communication dans cette langue, mais aussi une compréhension de la culture qui l'accompagne.

Cela dit, nous voudrions connaître vos principales revendications en ce qui concerne toutes ces questions, en votre qualité de représentants d'organismes qui œuvrent dans le domaine de l'éducation. Est-ce le rôle des universités qui devrait être élargi ou est-ce celui des médias?

Mme Longpré : Cette fois-ci, je vais m'adresser en français. Au terme de ma carrière en tant que directrice d'école, j'ai eu le plaisir et l'honneur d'enseigner à l'Université McGill pendant deux semestres. J'ai donc acquis du « millage », comme on dit. Je l'affirme, bien entendu, au sens figuratif.

La situation commence à changer dans les universités, surtout à McGill. Dans l'une des classes où j'enseignais, il y avait 125 étudiants et, de ces 125 étudiants, il y en avait une cinquantaine qui était de langue française.

Maintenant, supposons qu'on discute de ses tâches avec un enseignant qui est bilingue ou très fonctionnel en français, et qu'on lui dise : « J'aimerais que tu enseignes l'éthique et la culture religieuse en anglais. » Les enseignants sont très professionnels. Certains d'entre eux ont beau être bilingues et connaître à fond la matière et la méthodologie, ils sentent tout de même qu'ils n'ont pas tout ce qu'il faut.

C'est peut-être un manque de confiance. Il faut savoir qu'un enseignant mettra cinq ans à développer de la confiance en soi. Cela s'appuie sur des recherches. Il faut cinq ans avant de développer une méthodologie et de se sentir à l'aise. Cela commence à changer, mais il est difficile de convaincre un enseignant en lui disant : « Tu es assez fort, assez compétent pour pouvoir relever le défi. » C'est un problème.

Le sénateur McIntyre : Merci, madame Longpré. Monsieur Lamari?

M. Lamari : Oui, c'est vrai que les universités ont un rôle à jouer dans le développement d'outils qui sont parfois complexes. Mme la sénatrice a évoqué ce point, tout en tenant compte de la dualité en termes de culture. Pour les immigrants, il y a encore plusieurs perspectives culturelles qui sont présentes et qui sont peut-être parfois plus ou moins conflictuelles.

Ainsi, il faut que le financement de la recherche arrive tout de même à inciter ce développement d'outils. Il y a aussi des enjeux liés à la formation d'enseignants. Il faut une mobilisation pour attirer, pour retenir et, évidemment, pour faire aimer la profession.

L'autre point dont les universités doivent tenir compte, c'est un certain engagement à évaluer ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. La réalité n'est pas homogène. Si je prends l'exemple du Québec, la situation est très différente entre Montréal et Québec, et Sherbrooke et Chicoutimi.

Évidemment, on ne peut pas intervenir avec les mêmes moyens et les mêmes ressources sans devoir les moduler. Voilà un peu le commentaire que je voulais faire par rapport à ce que j'ajoute.

Le sénateur McIntyre : Seriez-vous d'accord pour dire qu'à l'instar de la recherche, la formation du personnel enseignant et le maintien de ses acquis sont également très importants?

Mme Longpré : À vrai dire, la formation des enseignants, c'est une chose; faire en sorte que ceux-ci se sentent à l'aise pour enseigner la matière, c'est autre chose. Il faut tenir compte de la province et de son étendue. Lorsqu'on essaie d'implanter un programme de cours intensifs dans certaines régions de la province, on n'a pas les ressources pour le faire.

Je parle ici de ressources humaines. C'est plus difficile lorsqu'on a des professeurs qui enseignent l'anglais un mot à la fois. À Montréal, ça va bien, parce que c'est une ville cosmopolite, bilingue, qui offre tout ce qu'il faut. Cependant, dans les régions, c'est beaucoup plus difficile, et le même problème se pose avec les médecins. N'essayez pas de les affecter dans certaines régions éloignées. Cela demeure un problème et un grand défi.

La sénatrice Chaput : Mon collègue a mentionné plus tôt que nous procédons présentement à l'étude des meilleures pratiques en matière de politique linguistique et d'apprentissage d'une langue seconde. C'est la raison d'être du travail du comité en ce moment.

Comment les politiques d'un gouvernement peuvent-elles appuyer l'apprentissage d'une langue seconde? J'aimerais que vous nous parliez davantage de la province d'où vous venez et que vous nous expliquiez quelles sont les politiques québécoises en matière d'apprentissage d'une langue seconde. Comment ces politiques ont-elles été conçues? Est-ce qu'elles appuient cet apprentissage?

[Traduction]

Mme Aziz : J'aimerais vous parler de mon expérience au niveau collégial, puisque nous avons connu cette situation.

Il y a près de cela 20 ans, le MELS avait proclamé une réforme. À cette occasion, j'ai été un de ceux qui avaient dû complètement changer sa pratique fondée sur les exercices et les compétences au profit des quatre compétences que sont la lecture, l'écriture, l'écoute et la parole. Heureusement, dans le collège où j'enseignais, nous avons reçu beaucoup d'appui pour mettre en œuvre la réforme.

Le MELS a fait la même chose dans les secteurs élémentaires, exigeant que l'anglais soit enseigné selon les quatre éléments de compétence. Malheureusement, les enseignants à ce niveau n'ont pas reçu suffisamment d'appui de la part du gouvernement.

La sénatrice Chaput : Parlez-vous des écoles anglaises, des écoles d'immersion ou bien encore des écoles françaises où l'on enseigne l'anglais?

Mme Aziz : J'ai enseigné l'anglais langue seconde dans un cégep français. Je parle donc des écoles françaises du Québec.

Il y a peut-être deux ou trois ans, nous avons reçu la première cohorte d'étudiants qui avaient suivi l'école élémentaire et secondaire en apprenant selon les quatre compétences que sont la lecture, l'écriture, l'écoute et la parole. Les examens ont été changés et au cégep, nous avons constaté qu'il fallait renforcer les cours, les étudiants étant bien meilleurs. La tendance était positive, mais le processus extrêmement lent.

Pour revenir à votre question, on n'y arrivera pas à moins d'appuyer les enseignants dans cette approche et de leur donner une formation adéquate.

La présidente : Un commentaire sur ce sujet?

[Français]

M. Lamari : On a fait circuler des documents à votre intention. Il y a un graphique qui recense les différentes mesures et interventions selon qu'elles ont été mises en œuvre ou conçues par le parti X ou le parti Y. Les documents illustrent cet échelonnement et cette évolution. Cette évolution nous permet de constater que, depuis 2006, les choses bougent beaucoup plus qu'auparavant. Il y a une certaine conscientisation, une prise de conscience de la part des gouvernements, de la société civile et du milieu scolaire. Dans ce graphique, on l'identifie. Vous voyez que la partie 3 indique des initiatives qui se multiplient. Ce sont de bonnes nouvelles, et il y a une conscientisation.

Quelles en sont les raisons? La maturation, l'apport, l'évolution; l'immigration contribue certainement à l'évolution, mais je pense que les difficultés sont parfois aussi imputables à une certaine discontinuité dans les mesures. On peut initier une mesure et, avant qu'elle commence à prendre ancrage, on la remet en question ou on la défait, parfois pour des raisons politiques ou partisanes. Toutefois, de notre point de vue, cette réalité est en train de changer.

La sénatrice Chaput : Monsieur Lamari, il y a peut-être un lien avec cela dans votre présentation. Vous avez mentionné que les programmes doivent adopter une démarche progressive; est-ce en lien avec ce que vous venez de dire?

M. Lamari : Oui, absolument. L'idée de la progressivité est une idée qui s'appuie sur la communication, afin de rassurer les partenaires, de rassurer les directeurs d'école et les enseignants titulaires pour qu'ils ne se sentent pas menacés du fait qu'un enseignant d'anglais vienne prendre leur salaire.

Il y a ces réalités aujourd'hui qui ont été documentées dans nos rapports, et certains enseignants d'anglais n'ont même pas de bureau. Parfois, la situation va jusque-là, parce que le système n'a pas prévu la logistique requise. Il y a quand même cette progressivité qui, probablement, à la longue, créera la mobilisation, créera les ressources pour que la mesure — par exemple, la formation intensive de l'anglais — puisse s'implanter et suivre son chemin comme la mesure qui a visé le premier cycle du primaire.

La sénatrice Chaput : Parmi toutes ces mesures — et je sais qu'elles sont toutes importantes —, quelle serait la plus importante? Quelle mesure contribue le plus au succès, et sans laquelle il serait difficile d'arriver à atteindre les objectifs fixés?

M. Lamari : Nous avons évalué deux mesures, y compris la mesure qui visait le premier cycle du primaire. Il s'agit d'un éveil métalinguistique; on apprend aux élèves à pouvoir distinguer entre un mot en français et un mot en anglais. On leur fait réciter des comptines. C'est donc une première initiation assez légère qui tient compte de l'âge de l'enfant.

À la fin du primaire, cela devient plus intensif et on parle de cours plus formalisés, plus structurés et évalués davantage. Or, c'est important, l'évaluation. Il est sûr qu'une mesure de ce type optimiserait l'apprentissage et qu'on ne peut pas faire l'économie d'initiatives de ce type.

Cependant, les écoles ne présentent pas les mêmes prédispositions et les mêmes moyens. Ce que nous avons constaté dans notre évaluation, c'est que différentes écoles ont implanté la mesure, mais sous des formats différents. Certaines écoles font cinq mois en anglais et cinq mois en français; d'autres font 2,5 jours en anglais et 2,5 jours en français par semaine. Il existe plusieurs formules. On a recensé une dizaine de formules, qui illustrent l'innovation liée à l'école et à la structure interne. Les mesures gouvernementales doivent-elles aller jusque-là pour formaliser et structurer la mesure? Il faut alors savoir qu'il faudra tout de même prévoir des ressources additionnelles.

La sénatrice Chaput : Si je comprends bien, l'école est en mesure de déterminer ou de choisir le format qui lui convient?

M. Lamari : C'est la réalité que nous avons constatée aujourd'hui pour la proportion de 15 p. 100 des écoles qui ont implanté la mesure. Cette formule d'anglais intensif en est encore à ses débuts. Dans cette proportion de 15 p. 100 des écoles, il y a plusieurs modèles. Les écoles n'ont pas mis en œuvre les mêmes modèles.

La sénatrice Chaput : Je comprends. Je vous remercie.

Le sénateur Maltais : Mesdames, monsieur Lamari, merci d'être ici, j'en suis heureux. Vous êtes beaucoup plus braves que vos collègues du Conseil supérieur de l'éducation. Transmettez-leur le message suivant : ce sont des sages, mais ce sont des peureux. Il est indigne de leur part de ne pas se présenter à un comité sénatorial qui représente la langue française au Canada. Transmettez-leur cordialement mes salutations.

Monsieur Lamari, j'ai été étonné et agréablement surpris par votre rapport. Je pense que vous avez fait une étude très exhaustive de la situation.

Pour vous mettre en contexte, j'ai passé ma vie à œuvrer — en dehors de ma vie professionnelle et politique — dans le domaine de l'éducation, à titre de président de commission scolaire, à titre de vice-président de la Fédération des commissions scolaires du Québec, et à titre d'adjoint de M. Ryan lors de la réforme de l'éducation. J'étais député, à l'époque, et c'est un domaine qui m'a grandement intéressé.

J'ai eu trois enfants qui ont fait des études primaires, secondaires, collégiales et universitaires. Malheureusement, à l'époque où ils ont fait leurs études, l'anglais était absent. Quel grand défaut lorsqu'ils sont arrivés à l'université, particulièrement en génie et en médecine où il n'y a pas un livre en français, ni même en génie. Pour ces pauvres enfants qui n'ont pas appris un traître mot d'anglais à l'école, c'est tout à fait inacceptable!

Par contre, j'ai un petit-fils, maintenant âgé de 13 ans, qui fréquente une école publique, option anglaise. C'est extraordinaire ce qu'il a appris, rapidement, depuis le début de septembre. À ma grande surprise également, j'ai un autre petit-fils en première année, option générale, et son anglais est extraordinaire pour un petit bonhomme de 6 ans. J'ai honte; parfois, il fait la leçon à son grand-père.

Il se passe quelque chose au Québec, et c'est très malheureux.

La sénatrice Fortin-Duplessis, qui est une ancienne enseignante, l'a dit tout à l'heure : il est aujourd'hui inacceptable qu'un jeune finissant du cégep ne puisse pas parler anglais couramment. Alors, pourquoi, en ce qui concerne les penseurs, les professeurs, les directeurs de cégeps, la dernière chose à laquelle ils pensent, c'est d'enseigner l'anglais? Ils pensent à enseigner comment manifester, comment se syndiquer, comment contester de partout, sauf comment enseigner l'anglais. Pourtant, ce n'est pas si compliqué quand on s'y met comme il faut.

Pour avoir une véritable chance d'accès à l'université aujourd'hui, on n'est plus Québécois ni Canadien, on est international; et la langue internationale, c'est l'anglais, vous en conviendrez avec moi. Il y a de petits problèmes, c'est sûr; il y en a partout. Comme vous et comme ma collègue, je viens de Québec; plus particulièrement je demeure à Beauport. Là-bas, en face de l'île d'Orléans, il y a beaucoup de travailleurs hispanophones — mexicains ou guatémaltèques. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de visiter l'école publique là-bas, car il y a une communauté fort intéressante.

J'ai parlé, non pas avec les enfants, mais avec les parents. Je leur ai demandé quel était leur objectif en choisissant de demeure au Québec. Les parents précisent qu'ils doivent apprendre le français s'ils veulent travailler au Québec, et ensuite, dans le domaine de l'agriculture ou dans d'autres entreprises. Les parents voient loin; il ne faut pas penser que, parce qu'ils ne parlent notre langue, ils ne sont pas instruits ou pas intelligents, loin de là. Donc, dans le cas d'un petit bonhomme ou d'une petite fille de six ans qui parle espagnol, qui arrive à l'école et à qui on apprend le français et l'anglais en même temps, les pauvres, au cours des trois premiers mois, ils ne sauront plus leurs prières.

Je viens d'une région du Québec qui est particulière, le Nord du Québec. Il y a là-bas beaucoup de collectivités anglophones, de petites communautés anglophones où on ne parle pas français. Il y a aussi beaucoup de communautés autochtones dans lesquelles, selon que le curé qui se présentait était catholique ou protestant, on apprenait le français ou l'anglais. Tout cela fait que, finalement, personne ne se comprend. Les communautés autochtones, entre elles, qu'elles soient attikameks, montagnaises ou innues, ne parlent pas la même langue. La langue est censée être un élément rassembleur.

Dans votre rapport, vous avez touché à certains points. Pour ma part, je ne suis pas d'accord avec vous sur la question financière. Il y a la volonté des parents, celle des enfants, et j'en arrive aux gestionnaires de conventions collectives que sont les directrices et les directeurs d'écoles. Ils ne sont pas des pédagogues; ils n'ont pas le temps de faire de la pédagogie, de la méthodologie ou autre, ils administrent des conventions collectives. Ils sont pris avec la concierge, l'ouvreur de la cour, ils n'ont absolument pas le temps de faire cela. Les directeurs d'école, ce sont des fonctionnaires qui administrent les conventions collectives. C'est malheureusement le cas. Il y a 50 ans, ce n'était pas tout à fait comme cela mais, malheureusement, aujourd'hui, c'est ce qu'ils sont devenus. Ce n'est pas leur faute, je ne les blâme pas, loin de là. Ne pleurez pas, madame, je ne vous vise pas du tout; mais c'est un constat que je fais.

L'argent, pour moi, ce n'est pas un problème, parce que l'argent est là. La question porte sur la façon de bien l'employer, car il est trop normé. Ne demandez plus à ce qu'on en accorde au ministère de l'Éducation, car il n'y a plus de place au Conseil du Trésor pour mettre un dollar. Comment l'administrer, comme le répartir justement et équitablement? C'est une question que vous posez, et je pense que c'est une question qui est très importante.

M. Lamari pourra répondre à ma question, Mme Longpré aussi. J'ai bien aimé votre programme. Cela m'intéresse. Au lieu de le faire en Thaïlande, ne pourriez-vous pas l'inverser et le faire en français dans d'autres provinces?

Mme Aziz : Si vous me permettez de répondre : c'est exactement cela. Un plan pédagogique qui est efficace peut se traduire dans n'importe quelle langue. C'est exactement pour cela que M. Canuel m'a demandé de venir vous l'expliquer.

Le sénateur Maltais : Je vous félicite. C'est ce dont on a besoin dans les communautés francophones hors Québec. On ne comptera pas sur le gouvernement du Québec pour les défendre, mais on s'appuiera sur des gens comme vous pour les aider à mieux comprendre et à mieux appuyer les enseignants et les parents dans l'apprentissage de la langue française. Si vous le faites, bravo. Je vous félicite, car je trouve cela génial. C'est lorsqu'on est jeune qu'on apprend une langue seconde. Merci.

Mme Longpré : Je voulais simplement ajouter que, dans le cadre de mes fonctions de directrice d'école — maintenant que j'ai séché mes pleurs —, il est absolument vrai que nous sommes des gestionnaires. Lorsque ce n'est pas le problème de la couleur du mur, nous sommes aux prises avec toutes sortes de choses. Cependant, je peux vous dire, par exemple, que du côté anglophone, où j'ai travaillé pendant de nombreuses années, ce qui me rendait très joyeuse, c'était quand on faisait, au mois de mars ou d'avril, ce qu'on appelle la répartition du temps — en anglais time allocation. Ça, c'est quelque chose! Parce que le professeur d'éducation physique dit : « Un instant! Il faut que les enfants soient en forme! », le professeur d'anglais dit : « Je n'ai pas assez de temps! », et le professeur de mathématique dit : « They're not doing well, Suzanne! ». Il y a un tiraillement, et il faut que l'horaire, comme le savent les éducateurs et éducatrices, soit accepté par le comité de parents, le conseil d'établissement — j'allais dire aussi les Chevaliers de Colomb, mais ce n'est pas le cas.

Dans la dernière école où j'étais directrice, 54 p. 100 de notre temps se passait en français. Il restait juste l'anglais qui était en anglais. S'ils en avaient eu la chance, je pense qu'ils auraient enseigné l'anglais en français! C'est beaucoup. Il y avait l'éthique et la culture religieuse; il restait les maths et l'anglais langue première.

Du côté anglophone, selon mon expérience, il y avait une volonté politique basée sur le concret et sur tous les points que vous avez soulevés, c'est-à-dire que les enfants doivent sortir de l'élémentaire en étant bilingues. C'était la réalité dans la commission scolaire où je travaillais. Je connais les neuf autres, et on y trouve à peu près la même intention.

M. Lamari : Je suis d'avis que les moyens, ce n'est pas tout. En termes de budget, vous l'avez bien souligné, les conditions budgétaires fédérales et provinciales sont telles que ce n'est pas là où... Mais il va falloir tout de même que des politiques publiques soient lancées pour « brasser la cage » en termes de conventions collectives, en termes d'aménagements de négociations, pour que l'anglais puisse trouver une meilleure place. Maintenant, c'est un processus, il ne se fera certainement pas du jour au lendemain. De mon point de vue, il faudra une volonté politique pour que l'on conscientise les gens, que l'on change les mentalités, et peut-être qu'on atténue cette méfiance, cette peur exprimée par certains milieux, certains lobbys, certains médias — vous l'avez bien souligné — à l'égard de l'anglais. C'est comme si l'équation était à somme nulle : si l'anglais monte, ça veut dire que le français baisse. Il va falloir qu'on dépasse cette réalité, en se disant que l'apprentissage de l'anglais peut bénéficier même à la langue maternelle, qu'elle soit le français ou une autre langue.

Les recherches le démontrent aujourd'hui; il y a une stimulation réciproque. Il y a, à ce jour, plusieurs expériences, américaines notamment, qui démontrent que l'apprentissage de l'anglais aux États-Unis est accompagné d'un apprentissage et de modules en espagnol, et le tout produit un effet de levier très bénéfique.

Je partage votre point de vue, mais il faut une volonté structurante et peut-être plus durable, dans la continuité et dans le temps.

Le sénateur Maltais : Merci, monsieur Lamari. Bravo pour votre rapport, encore une fois. Il va nous être très utile pour l'avenir. Vous l'avez fait pour l'avenir et non pour le passé.

La sénatrice Charette-Poulin : J'aurais une question à vous poser à la suite de vos excellentes présentations comme chercheurs et comme professionnels du milieu de l'éducation. Si le gouvernement fédéral venait aujourd'hui vous demander votre avis pour que la politique du bilinguisme au Canada soit vraiment une source de fierté pour toutes les provinces, quelles seraient vos recommandations?

Mme Longpré : C'est une question très complexe, mais ce que je peux vous dire, compte tenu de mon expérience sur le terrain, c'est que cela s'en vient. Il y a une génération je pense à ma fille et à mon garçon qui sont trilingues. Leurs enfants sont déjà bilingues, un en troisième année et l'autre en maternelle. Déjà, ils ont maîtrisé deux langues. Je pense que, avec le temps, avec la mondialisation et avec la volonté de ces jeunes à réussir, les chaînes ou les entraves seront moins rigides. Les jeunes d'aujourd'hui comme ma fille veulent une belle vie pour leurs enfants et la meilleure éducation possible. S'ils sont bilingues, trilingues, c'est parfait. Ils veulent leur donner un passe-partout linguistique, les compétences nécessaires et le courage, en leur disant : « Vas-y, t'es capable! » Parfois, ils vont trop loin, parce que l'enfant se sent capable de tout, mais cela s'en vient. C'est une question à laquelle il est très difficile de répondre, car ce que M. Lamari a dit est vrai. Cela me fait penser à une expérience de chimie. Il y a un petit vase communiquant et on se dit : « Oh! Il y a trop d'anglais et moins de français. » C'est exactement cela. Il y a seulement X nombre de minutes dans la journée, et peut-être qu'on devrait commencer à examiner, comme certains pays avancés le font, la possibilité de rallonger la journée à l'école. On fonctionne encore selon le calendrier agricole. Au mois de juin, il fallait tout lâcher pour s'occuper des foins et nourrir les animaux. Il faudrait peut-être rajouter des journées pour que les gens n'aient pas de choix difficiles à faire entre le bilinguisme et...

Bref, pour la question de la fierté, cela viendra avec le temps. J'en suis convaincue.

M. Lamari : La question est majeure. Que peut faire le gouvernement fédéral dans ce cadre? Le premier élément : le besoin y est aujourd'hui, les parents, les Québécoises et Québécois, les enseignants et directeurs d'école sont conscients de l'importance de l'anglais et présentent des arguments quant à ses retombées. Le besoin, la pertinence sont démontrés au sein du Québec. Que peut faire le gouvernement fédéral? On peut en parler longtemps, mais je vous dirais qu'il y a quatre points. Le premier est de sensibiliser les gens. Aujourd'hui, le débat est binaire dans certaines communautés : l'anglais contre le français. Donc, sensibiliser les gens pour développer cet esprit de complémentarité dans les apprentissages, et au moyen de simulations positives. Il n'y a pas suffisamment de moyens aujourd'hui pour sensibiliser en termes d'information, de dépliants. Les Québécois et Québécoises diplômés qui ont des salaires importants sont déjà sensibilisés à cette réalité, mais lorsqu'il s'agit de déterminer le comment ou le pourquoi, dans les régions parfois isolées où il y a un faible niveau d'enseignement, la sensibilisation n'est pas présente.

Le deuxième point est de financer l'évaluation de ce qui se fait aujourd'hui. Quels sont les effets sur les connaissances et les compétences des élèves à cet âge? Là aussi, il n'y a pas suffisamment de financement pour évaluer et pour démontrer où cela pourrait mieux marcher et où cela ne marche pas. C'est majeur, le financement de l'évaluation. Il faut revoir les partenariats fédéral-provinciaux avec les paliers locaux, parce que ces trois paliers sont souvent regroupés.

Aujourd'hui, le gouvernement fédéral peut financer des programmes, comme il l'a fait pour les infrastructures, où il y a un partage des coûts. Je vais peut-être un peu loin, mais je pense qu'il y a des pistes de partenariat ou de négociations avec cofinancement.

Il faudra tout de même des mesures comme le fait le gouvernement fédéral aujourd'hui à l'aide des programmes fédéraux en recherche-développement et en innovation. Il y a tout de même beaucoup de programmes-cadres qui desservent l'ensemble des provinces, et il y a une option pour prévoir des financements de ce type.

[Traduction]

La sénatrice Beyak : Je suis désolée d'être en retard, je viens d'un autre comité. Je suis la sénatrice Beyak, du nord- ouest de l'Ontario.

Ce que vous dites m'a frappé, madame Longpré, à propos de la nervosité que l'on ressent lorsque l'on veut faire preuve de professionnalisme dans l'enseignement de l'anglais. C'est comme ça que les gens comme moi se sentent; nous sommes perfectionnistes et ne nous parlons pas français du tout parce que nous avons l'impression de mal le parler.

Je suis d'accord avec ce que vous avez dit, monsieur Lamari, à propos de l'apprentissage dans la joie, par des chansons. Et le sénateur Maltais a terminé en beauté.

L'anglais est la langue universelle. Que penseriez-vous d'une stratégie fédérale qui en rendrait l'enseignement amusant et inclusif? Nous avions autrefois — mais plus maintenant — des points de vue différents sur le financement des langues officielles à hauteur de 20 millions de dollars et l'inclusion du Québec en tant que nation. Les divergences que nous avions sont derrière nous, je l'espère.

Y a-t-il une stratégie qui pourrait rendre agréable le renforcement du français dans l'ensemble du pays? Nous sommes déjà un pays mondialisé. Le monde est global. Chacun de vous a une vaste expertise et je me demande ce que vous en pensez.

Mme Aziz : Vous parlez de plaisir. Il y a un autre élément que je n'ai pas mentionné, c'est que cela ne peut pas être imposé d'en haut; cela doit être une lame de fond.

Les ressources que les enfants thaïlandais utilisent pour lire, écrire, écouter et parler sont toutes créées de concert avec les enseignants thaïlandais. Il y a une sensibilité à la réalité de leur culture, au fait que tout est totalement authentique. Je pense que ce serait important.

Oui, il faut certainement que ce soit amusant. Malheureusement, le sénateur Maltais n'est pas ici, mais dans le programme de première année, ces enfants ne savent pas lire le thaïlandais non plus, or, ils apprennent l'anglais. Une compétence renforce l'autre et il n'y a absolument aucune résistance. Les enfants ne résistent pas; ils ne savent pas assez de choses pour le faire.

Mme Longpré : J'aimerais vous faire part d'une expérience que j'ai menée grâce à un financement du gouvernement fédéral, lorsque j'enseignais au secondaire. Nous avons participé à un programme d'échange avec un groupe d'étudiants. J'enseignais à Beaconsfield et nous avons pris l'avion pour aller au-delà de Sept-Îles. C'était vraiment loin. Les étudiants nous ont amenés à la pêche à deux heures du matin parce qu'il y avait du poisson. « Ça roule, ça roule, le caplan! », disaient mes enfants en ajoutant : « Ce n'est pas français, madame Longpré, ce n'est pas français. » Ils sont allés ensuite à Montréal. Nous les avons amenés au Big O et partout.

Voilà la conversation que j'ai eue dans l'autobus avec mes étudiants lorsque nous sommes arrivés à Sept-Îles par avion. Les enfants français étaient là à notre rencontre et l'un d'entre eux a dit : « Écoute bien, tu n'en as jamais vu un, un Anglais! », ce à quoi l'autre a rétorqué : « Oui, oui. J'en ai vu un à Québec l'année passée! » Je ne vous mens pas. Le voyage a coûté cher. L'organisation a demandé beaucoup de travail, mais les avantages qu'en ont tirés les enfants ont été incroyables. C'était un groupe de 15 enfants qui ont été accueillis. Je voulais simplement vous le rapporter.

Au-delà de cela et ce qui est plus important que l'anglais langue seconde est que nous avons suscité une culture de l'apprentissage qui est passionnante et cette génération ne sera pas capable de bien faire ou de survivre si elle n'apprend pas.

La technologie double tous les six mois. Tout ce que nous savons dans le domaine des connaissances générales double tous les cinq ans. Ainsi, si nous n'arrivons pas à garder l'émerveillement que les enfants ont à l'école maternelle et en première année, lorsqu'un enfant dit à sa mère : « Oh, maman, j'ai appris les papillons aujourd'hui », si nous n'arrivons pas à garder cet émerveillement, si nous ne pouvons pas inspirer les enfants et susciter la soif de savoir, et si nous n'arrivons pas, grâce à des maîtrises, à des doctorats et à d'autres titres, à trouver les moyens d'accrocher nos enfants et de rendre cet apprentissage significatif, nous n'atteindrons pas notre but.

M. Lamari : Mon anglais n'est pas très bon, mais je vais quand même essayer de faire un commentaire sur votre question.

Selon notre étude, nous faisons face à au moins quatre problèmes. Le premier est le syndicalisme, qui est un énorme problème. Le deuxième est le temps. Troisièmement, nous pensons que les enseignants ne sont pas toujours d'accord avec les gestionnaires ou les directeurs d'école. Le quatrième concerne les handicaps et les problèmes des enfants. Il y a toutes sortes de problèmes qui freineront la restructuration et la mise en œuvre de moyens intensifs et plus efficaces d'enseigner l'anglais.

La sénatrice Beyak : Votre rapport est excellent. Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Je vais essayer d'être brève. Monsieur Lamari, vous avez participé à l'élaboration et à l'évaluation de diverses politiques et stratégies gouvernementales au Québec alors que vous étiez directeur au sein de la fonction publique québécoise. Ma question sera un peu embêtante, mais êtes-vous en mesure de nous expliquer comment les politiques publiques québécoises relatives à l'apprentissage d'une langue seconde sont conçues? J'aimerais savoir comment cela se passe dans les hautes sphères. Mme Longpré a longuement parlé de son expérience de directrice, elle nous a expliqué comment cela se passait à son niveau, mais chez les grands bonzes dont vous faisiez partie, comment cela était-il perçu?

M. Lamari : Excellente question. J'étais gestionnaire au sein du ministère de la Recherche et de l'Innovation, et j'ai été parfois impliqué directement dans la conception et l'élaboration des politiques publiques.

Vous savez, une politique publique, c'est un ensemble de fins et de moyens. La définition des fins est sujette à des rapports de force, malheureusement. L'anglais propose un enjeu qui implique parfois des rapports de force défavorables. On le constate parfois lors de nos rencontres, alors que l'atmosphère est très tendue. Voyez-vous, la logique est binaire : si c'est l'anglais, ça veut dire qu'il y aura moins de français. Cette réalité fait malheureusement très peur aux fonctionnaires et aux politiques s'ils ne sont pas du bon côté. Donc, les politiques sont parfois conçues, dans l'administration, de manière rationnelle, fondée sur des chiffres, sur des démonstrations, sur une revue de ce qui se passe ailleurs, sur les meilleures pratiques. Plus on avance dans le processus de sélection des instruments d'intervention, plus l'étau se resserre, et les bonnes intentions finissent parfois par être perverties, parce qu'il y a des rapports de force idéologiques, politiques, et budgétaires.

La mise en œuvre de l'anglais intensif dans l'ensemble du Québec demande un nombre incroyable d'enseignants; il faut les trouver, les intégrer dans le système et les payer. Il faut des outils, des traditions, et ce sont des moyens qu'on ne peut pas réaliser du jour au lendemain. Il faut des politiques qui s'inscrivent dans la continuité, dans la durée, et les politiques d'aujourd'hui sont souvent très serrées dans le temps. Il y a des contingences pour deux, trois ans, soit la durée d'un mandat. Voilà notre réalité.

J'enseigne aussi l'analyse des politiques publiques, et leurs paramètres n'ont rien de rationnel parfois; ce sont les rapports de force, l'idéologie, le lobby. Les médias sont un acteur majeur. Notre étude d'articles de journaux démontre nombre de sorties et d'argumentaires qui, parfois, ne sont pas suffisamment étayés et qui sont contre la formule intensive, même si les parents et la population, de manière générale, démontrent des taux d'acceptation très élevés, qui frôlent les 85 et 90 p. 100.

Voyez-vous, parfois, le processus d'élaboration des politiques publiques n'est pas aussi rationnel qu'on pourrait le croire. C'est un processus qui est vulnérable au budget, à l'idéologie, aux rapports de force et, évidemment, à la durée dans le temps.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Pensez-vous que le gouvernement du Québec accepterait les recommandations de notre comité? L'éducation relève des provinces, et je crois qu'il serait important qu'elles soient mises au courant de nos recommandations.

M. Lamari : Je vais peut-être vous surprendre, mais la recherche a été commanditée par le ministère de l'Éducation, du temps où Mme Malavoy, du Parti Québécois, était ministre. Les résultats de notre recherche ont mis un peu de temps mais, finalement, vous avez lu les recommandations, et cela a été bien accueilli. Les temps ont changé, les mentalités ont évolué. Cela ne va pas aussi vite qu'on le voudrait, mais il y a quand même des ouvertures.

Je crois que vos recommandations appuieraient un peu plus les revendications que nous avons quantifiées de la part des parents, de la population, et des enseignants. La pertinence, elle est là. Les taux quant à la pertinence de l'anglais langue seconde dépassent 80 p. 100 du nombre total des gens qu'on a rencontrés, toutes catégories confondues.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Madame Longpré, je vous ai vue sursauter à quelques reprises.

Mme Longpré : Je vous assure que je ne manque pas d'enthousiasme. Je souhaiterais qu'il y ait une ouverture de l'autre côté. Monsieur, dans une très belle langue, a souligné l'ampleur du défi, mais comme je vous disais, on sent que les vents changent. J'ai travaillé au ministère de l'Éducation, j'étais responsable de programmes, et quand vous parlez de pédagogie, je peux vous dire sincèrement que des efforts surhumains ont été faits pour créer cette réforme dont les assises sont solides en recherche.

Quand on parle de pédagogie, de ce qui est là, il y a peut-être eu des problèmes dans l'implantation, mais je ne travaillais pas en langue anglaise à ce moment-là. J'étais dans le domaine de l'éthique et de la culture religieuse; domaine encore très controversé. Oui. J'appuie les propos de M. Lamari. Je suis aussi consciente des contraintes, et j'espère voir une ouverture.

Le sénateur Maltais : Monsieur Lamari, en ce qui concerne votre rapport, nous allons laisser de côté le Québec, parce que nous sommes des sénateurs canadiens et que notre mandat est de voir à améliorer la situation de la langue seconde dans les milieux un peu émergents, dans les autres provinces.

Le sens de votre rapport peut s'appliquer au Québec, mais si on le retournait un peu, il pourrait drôlement nous servir dans les autres provinces, pour toute la francophonie canadienne. C'est là un élément important que vous avez apporté et dont le conseil supérieur nous a privés.

En tant que chercheur, vous avez fait un travail exceptionnel. Vous n'aurez certainement pas d'objection à ce que nous nous servions de votre rapport pour mieux préparer le nôtre, en ce qui a trait à la situation de la francophonie canadienne, comme j'ai demandé à Mme Aziz plus tôt de faire l'inverse de ce qu'elle fait présentement pour la communauté anglophone et de le faire pour la communauté francophone hors Québec.

C'est Roger de Bussy-Rabutin qui disait : « Quand on n'a pas ce qu'on aime, il faut aimer ce que l'on a. » Nous allons vous chérir, parce que vous avez fait un rapport exceptionnel et que nous allons drôlement nous en servir.

Quant à votre rapport, madame Longpré, il était exceptionnel. Sachez que nous allons le retenir. Je vous remercie de votre participation au nom de la francophonie canadienne.

M. Lamari : Si vous me permettez un petit commentaire rapidement. Il est certain que ce qu'on a inscrit dans ce rapport est une partie de toute la base de données dont on dispose. Nous sommes disposés à la partager et honorés de le faire, et de développer des pistes avec vous.

Cela dit, j'ajouterais qu'au Nouveau-Brunswick — et on a tenté d'examiner ce pendant —, il y a un programme français intensif. On a décrit quelques éléments dans le rapport, notamment en ce qui concerne la relation entre la langue maternelle et la langue seconde, cette fois-ci avec du matériel où la langue maternelle est l'anglais et la langue seconde est le français.

[Traduction]

Le sénateur McIntyre : Je suis content, monsieur Lamari, que vous ayez mentionné le Nouveau-Brunswick, parce que lorsque j'étais jeune, l'apprentissage d'une seconde langue était très amusant et passionnant. À la maison, nous parlions français, mais à l'école et dans la cour de récréation, nous parlions les deux langues.

Je parle aujourd'hui l'anglais et le français, et je dois dire que c'est amusant et très passionnant de pouvoir m'exprimer dans les deux langues. J'aurais souhaité en parler de nombreuses autres. Je tiens simplement à souligner le concept d'amusement associé à l'apprentissage et aux langues. C'est comme cela qu'on apprend une langue, en s'amusant et comme vous l'avez mentionné, madame Aziz, l'imposer n'est pas une solution.

Cela dit, différentes approches existent en matière d'enseignement de la langue seconde, je pense aux programmes de base, aux programmes intensifs, aux bains linguistiques ou à l'immersion. À votre avis, quelles sont les meilleures approches pour un enseignement effectif de la langue seconde, que ce soit au Québec ou dans les autres provinces? Sont-elles toutes efficaces, où devrions-nous nous concentrer sur une approche en particulier?

Mme Aziz : J'ai eu la chance d'étudier le programme de l'enseignement de l'anglais langue seconde en Ontario, en Alberta et bien sûr au Québec et j'ai également lu un rapport de Terre-Neuve sur l'enseignement de la langue. Tout ce que je peux vous dire, c'est que, quel que soit le temps consacré à cet enseignement, il faut éviter d'enseigner la langue en vase clos. Il ne s'agit pas seulement de s'amuser, mais de lire, d'écrire, d'écouter et de parler, en commençant par utiliser des images, mais ce qui compte, c'est la pertinence, l'authenticité et le plaisir, quelle que soit la langue enseignée.

J'ai présidé le département dans lequel j'ai travaillé pendant 15 ans et nous avons enseigné l'espagnol exactement de la même façon, par la lecture, l'écriture, l'écoute et la parole. J'ai été dans un collège français. Malheureusement, mes collègues francophones du département de français n'ont pas réussi aussi bien que nous. Beaucoup d'étudiants ne sont pas arrivés à finir le cégep parce qu'ils n'arrivaient pas à maîtriser la grammaire, la syntaxe et la littérature. Très souvent, ces jeunes gens qui se destinaient à des métiers techniques ne se souciaient pas vraiment de littérature.

Ce serait ma réponse. Quel que soit le temps ou l'argent qu'on y consacre, le programme doit être enseigné de façon à pouvoir acquérir des connaissances et à apprendre la maîtrise d'une langue. Il ne s'agit pas exclusivement d'acquérir des mots de vocabulaire.

M. Lamari : J'ai une brève question à ce sujet. Certes, le plaisir est un énorme déterminant de la réussite, mais dans certains cas il faut faire des nuances. Par exemple, l'âge auquel on apprend une deuxième langue est important. Nous avons posé la question à des directeurs et enseignants, qui nous disent que le meilleur âge pour apprendre une langue seconde est entre huit et neuf ans, après avoir consolidé les acquis de la première langue.

Deuxièmement, nous avons à mon avis la chance d'avoir de nouvelles technologies. Ainsi la nouvelle plateforme Web 2.0 est aujourd'hui utile au Québec.

Mes deux enfants utilisent cette technologie et font beaucoup de progrès en anglais. Je pense que nous avons l'occasion d'investir davantage et d'aider les écoles à acquérir cette nouvelle technologie afin de mettre à leur disposition des outils mis au point pour des enfants de langue anglaise, particulièrement dans les milieux francophones.

La présidente : Merci beaucoup à nos témoins. Merci, madame Longpré et madame Aziz, de votre enthousiasme et de nous avoir fait part de votre expérience professionnelle. On sentait votre enthousiasme dans vos propos.

[Français]

Monsieur Lamari, madame Anstett, je vous remercie d'avoir partagé avec nous ce rapport des plus intéressants. Il nous permettra réellement d'appuyer notre étude, et nous vous remercions de vos commentaires très perspicaces.

Honorables sénateurs, nous allons suspendre la séance pendant cinq minutes et nous reprendrons à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos sans transcription.)


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