Délibérations du Sous-comité des
Anciens combattants
Fascicule 6 - Témoignages du 11 juin 2014
OTTAWA, le mercredi 11 juin 2014
Le Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense se réunit aujourd'hui, à 12 h 10, pour étudier les répercussions médicales, sociales et opérationnelles des problèmes de santé mentale dont sont atteints des membres actifs et à la retraite des Forces canadiennes, y compris les blessures de stress opérationnel (BSO) comme l'état de stress post-traumatique (ESPT).
Le sénateur David M. Wells (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Mesdames et messieurs, bienvenue à cette réunion du Sous-comité des anciens combattants du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense. C'est la troisième réunion que le sous-comité consacre à l'étude des problèmes de santé mentale dont sont atteints des membres actifs et à la retraite du personnel militaire. Je m'appelle David Wells, je suis le vice-président du comité et j'occupe le fauteuil aujourd'hui.
Nous entendons aujourd'hui le Dr Wayne Corneil, scientifique affilié de l'Institut de recherche sur la santé des populations et chercheur et enseignant universitaire attaché au Département d'épidémiologie et de médecine communautaire de l'Université d'Ottawa. Il a participé à plusieurs grands projets de recherche sur la santé des cadres, le leadership en période de crise, les aspects psychosociaux des désastres et du terrorisme et la gestion des situations d'urgence pour les populations à haut risque, notamment les personnes atteintes d'invalidité. Sa plus récente recherche portait sur la résilience des organisations d'intervention.
Avant de prendre sa retraite de la fonction publique du Canada en 2004, il a occupé pendant 32 ans des postes de direction à Santé Canada, aux niveaux régional, national et international, avec des responsabilités en matière de sécurité et santé au travail, de mise en quarantaine et de services d'urgences de santé.
Il a acquis de l'expérience sur le terrain lorsqu'il a pris part aux travaux liés à l'écrasement de l'avion de Swiss Air, ainsi qu'au sein de l'équipe chimique, biologique, radiologique et nucléaire de la capitale nationale et il a collaboré avec des équipes dans le domaine de la défense radiologique et nucléaire, en plus de travailler dans le domaine des traumatismes et des fausses alarmes liés aux événements du 11 septembre.
Bienvenue docteur Corneil. Avant de vous inviter à présenter votre exposé préliminaire, j'aimerais présenter Mme Josée Thérien, greffière du comité et, à ma droite, Martin Auger, notre analyste de la Bibliothèque du Parlement. Nous allons maintenant faire un tour de table pour permettre aux sénateurs de se présenter eux-mêmes.
Le sénateur Mitchell : Grant Mitchell de l'Alberta.
Le sénateur White : Vern White, Ontario.
Le sénateur Lang : Dan Lang, Yukon.
Le sénateur Campbell : Larry Campbell, Colombie-Britannique.
Le vice-président : Docteur Corneil, vous avez la parole.
Wayne Corneil, scientifique affilié, Institut de recherche sur la santé des populations, Université d'Ottawa : Merci beaucoup. C'est un grand privilège pour moi de pouvoir témoigner devant vous aujourd'hui.
Avant de me tourner vers mes notes, j'aimerais établir le contexte de mon travail. Comme l'a mentionné le président, j'ai une expérience assez complète dans de nombreux domaines, en particulier comme chercheur et clinicien. Ma pratique clinique porte sur les travailleurs des services d'urgence : la police, les pompiers, le personnel des SMU, les médecins, les infirmières et infirmiers, ainsi que certains militaires, dans le traitement de l'état de stress post- traumatique et autres blessures de stress opérationnel.
Plus récemment, j'ai poursuivi ce type de travail dans le secteur privé en m'intéressant aux personnes atteintes à la fois d'ESPT et de traumatisme cérébral. Nous effectuons des recherches dans ce domaine particulier.
Aujourd'hui, j'aimerais parler de ce que nous qualifions de dynamique psychosociale ou de soutien social. Je sais que mon collègue, le Dr Greg Passey, est déjà venu vous parler de biologie, de neurologie et de certains traitements. Par conséquent, j'ai pensé mettre surtout l'accent sur le continuum que nous qualifions de comportements psychosociaux dans les secteurs de la préparation aux situations d'urgence, de l'atténuation, de la récupération et de la réhabilitation.
L'ESPT et les autres blessures de stress professionnel ou opérationnel se produisent toujours dans un contexte social. Souvent, lorsqu'on choisit un traitement, on a tendance à oublier le contexte social et le milieu dans lequel s'est produite la blessure, ainsi que le milieu dans lequel les comportements se manifestent et la récupération se déroule.
J'ai appris très tôt qu'un soldat sans famille, ça n'existe pas. Quand un soldat est envoyé en mission, c'est toute sa famille qui sert avec lui; à son retour, c'est toute sa famille qui subit les répercussions de la mission; et lorsqu'un soldat est blessé, c'est toute sa famille qui est blessée. Nous voulons nous intéresser au contexte psychosocial — pas seulement à l'exposition au traumatisme ou aux événements terrifiants que les victimes ont vécus, mais comment elles y ont réagi avec d'autres ou, dans certains cas, comment elles ont préféré s'isoler.
Nous sommes des êtres sociaux. La qualité de nos vies est vraiment liée à la qualité de nos relations. C'est l'aspect sur lequel je vais me concentrer, en évoquant essentiellement le contexte des familles. Cependant, quand je parle de famille, il ne s'agit pas simplement de la famille nucléaire immédiate, mais également de la famille élargie et de la famille que les soldats et les anciens combattants constituent à l'intérieur de leurs unités, de leurs compagnies, et en association avec leurs collègues. Ce sont là aussi des contextes familiaux et nous devons nous pencher sur ces dynamiques familiales et réfléchir à la façon dont ils vivent les diverses situations.
Toute expérience, bonne ou mauvaise, façonne et remodèle ces familles. Presque la totalité du personnel, militaires en activité ou anciens combattants, vit dans une relation familiale — beaucoup d'entre eux ont des enfants très jeunes ou des adolescents. Leur famille est composée de leur conjoint, de leurs parents, de leurs frères et sœurs, d'autres personnes, même de leurs animaux domestiques, car nous savons quelle incidence extraordinaire ces derniers peuvent avoir sur le bien-être et la récupération des personnes atteintes d'ESPT.
Nous connaissons tous la théorie des six degrés de séparation. Selon cette théorie, chacun d'entre nous a tout un réseau autour de lui. Quand on s'intéresse aux militaires en activité et aux anciens combattants, on découvre qu'en moyenne, leur famille proche est composée de sept membres qui sont tous plus ou moins touchés par les divers comportements et troubles dont ils sont les premières victimes.
Les militaires et les anciens combattants s'inquiètent énormément des répercussions sur leur famille et leurs enfants. Cela ajoute à la difficulté qu'ils éprouvent à obtenir et poursuivre un traitement, parce qu'ils s'inquiètent toujours des répercussions qu'il peut avoir sur les personnes qu'ils aiment et qu'ils veulent protéger.
J'aimerais parler un peu de la recherche à laquelle j'ai eu la chance de participer, ainsi que des recherches effectuées par mes collègues ici au Canada et aux États-Unis, en particulier au sein de l'American Psychological Association.
Au cours de leur carrière, les militaires sont constamment dans leurs unités, qu'ils soient en période d'exercice et de formation ou déployés en mission. À leur retour, en particulier s'ils ont été blessés ou s'ils ont vécu un épisode de stress post-traumatique ou souffert d'une autre blessure de stress opérationnel, ils ont tendance à s'isoler ou à être séparés de leur milieu habituel. Nous voyons également les membres de leur famille, qui eux aussi faisaient partie de la communauté militaire et qui fréquentaient d'autres familles de militaires. Ces familles se sentent elles aussi isolées et séparées. Cela ajoute aux difficultés. La famille est en retrait et n'est pas en mesure de soutenir ces personnes dont beaucoup ont besoin de cet appui pour faire face à l'ESPT et à d'autres troubles de stress opérationnel.
Elles vivent des transitions importantes du fait qu'elles ont été séparées de leur être cher pendant qu'il était en mission. Quand il est de retour, elles doivent s'adapter à un environnement totalement différent, avec tous les ajustements que cela implique. Souvent, elles sont livrées à elles-mêmes pour affronter ces comportements. En fait, certains symptômes liés aux blessures de stress opérationnel sapent leur soutien social. Les gens ont tendance à éviter les contacts, à s'isoler, et à faire preuve d'irritabilité et de colère en raison de l'ensemble de symptômes que le Dr Passey vous a certainement expliqués. Cette attitude a tendance à éloigner les autres personnes ou, en tout cas, à dissoudre le soutien social autour d'elles.
Cette disparition du soutien social est vraiment grave, car nous savons, d'après tous les traitements et les recherches que nous avons effectuées, que les relations intimes représentent une source importante de soutien pour la plupart des gens. Si l'on a pu constater qu'un niveau élevé de soutien social est associé à une diminution de l'intensité de l'ESPT et à une récupération plus robuste, il est important de conserver une vue globale et de ne pas mettre l'accent sur une personne en particulier.
Prenons par exemple les syndromes tels que ceux qui amènent à revivre un événement traumatique. Les cauchemars et les retours en arrière créent une confusion et un sentiment de crainte chez les membres de la famille, car ils ne comprennent pas ce que vit cette personne pour laquelle ils ont de l'affection et ne savent pas comment entrer en communication avec elle. Cette situation est anxiogène pour le militaire ou l'ancien combattant, car ce dernier a l'impression que son environnement n'est ni sûr ni prévisible. Alors, comment réagit-il? Il a tendance à éviter tous les éléments susceptibles de déclencher ce type de symptôme ou ce type de réaction en pratiquant l'évitement affectif ou le retrait qui peut mener à une perte d'intimité ou de proximité avec les gens mêmes dont il a besoin pour aller mieux. Ces gens-là sont ses collègues, ses camarades anciens combattants, mais également les membres de sa famille.
On observe également une sorte d'hyperstimulation qui mène les personnes atteintes à devenir des parents hyper protecteurs. Elles éprouvent de la difficulté avec leurs enfants et il est vraiment important de ne pas négliger ces enfants, car ils risquent d'hériter du trouble. Nous y reviendrons plus tard.
Nous connaissons beaucoup de comportements qui sont déjà associés à ce trouble. Le risque d'abus d'alcool ou d'autres drogues est plus élevé chez les militaires actifs ou les anciens combattants. Les risques de violence familiale sont bien documentés. Il ne faut pas oublier également les comportements risqués et bien entendu, le risque de suicide.
L'entourage aussi est touché. Les symptômes vécus par la personne atteinte d'ESPT ont également une incidence sur les membres de sa famille. Vivre avec un ancien combattant ou un militaire traumatisé est une expérience traumatisante. Les membres de la famille sont les mieux placés pour observer les signes de difficulté, car la personne atteinte s'efforce de faire bonne figure devant les gens de l'extérieur. Pourtant, que peuvent faire les membres de la famille? Comment peuvent-ils réagir afin d'aider la personne qui souffre d'ESPT? Souvent, ils cherchent de l'aide autour d'eux, auprès de personnes qui n'ont pas nécessairement la formation pour identifier le trouble lui-même ou, plus particulièrement, son lien avec la culture militaire. Parfois, on leur conseille tout simplement de sortir, de s'extraire de cet environnement, ce qui n'est absolument pas la bonne chose à faire. Les membres de la famille doivent faire partie de cet environnement, car c'est lui qui leur a permis d'être en bonne santé et qui leur permettra de le rester à long terme.
Nous devons nous assurer que notre approche clinique est renforcée par le soutien social et le traitement collectif. Comme je l'ai dit, la récupération repose, d'abord et avant tout, sur le soutien social, celui de la famille et celui des camarades anciens combattants. Les autres amis et ceux qui ne sont pas des anciens combattants sont moins importants dans le processus de récupération. Nous savons que nous devons maintenir cette cohésion et ce réseau pour eux. Le soutien social des pairs a une incidence plus grande. Il permet l'interaction sociale. Il réduit également les symptômes, et ce que nous appelons la réciprocité joue un rôle vraiment intéressant. En fait, les victimes peuvent s'aider elles-mêmes en aidant les autres. Elles trouvent un réconfort dans le fait d'offrir leur soutien à leurs collègues atteints des mêmes troubles. Il faut bien faire attention de ne pas les isoler pendant leur traitement et de ne pas isoler leur famille, car cette interaction les aide également à récupérer et à guérir.
Nous devons faire attention à d'autres groupes importants, en particulier les réservistes qui n'ont peut-être pas autant de contacts personnels. Ils vivent peut-être dans des localités plus petites où le réseau n'est pas assez grand pour répondre à leurs besoins. Ils sont peut-être les seuls de leur unité de réserve à avoir servi dans ce type de contexte. Comment alors peuvent-ils obtenir plus de force et de soutien de leur réseau?
Il y a quelques années, lorsque je travaillais ici, au Service d'incendie d'Ottawa, j'ai traité beaucoup de pompiers qui avaient été blessés dans l'exercice de leurs fonctions. Nous avons découvert que leur retour au travail dépend énormément de la façon dont on traite leur famille. En effet, lorsque le pompier se rétablit chez lui, tentant de surmonter son trouble, sans bénéficier du soutien de son service, sa conjointe lui dit : « Pourquoi retourner au travail? Ton service t'a laissé tomber, alors pourquoi tu ne ferais pas pareil? » La conjointe essaie de protéger son mari, mais ce qui est vraiment important, c'est de ne pas oublier que la famille aussi a besoin d'aide, afin qu'elle puisse encourager la victime à retourner au travail, sachant qu'elle sera bien traitée et bien soignée. Il ne faut pas oublier que ce sont des fournisseurs de soins.
Je vais vous citer quelques statistiques afin d'évoquer certaines conséquences. Les personnes atteintes d'ESPT ont deux fois plus de risques de divorcer et quatre fois plus de risques de connaître des difficultés conjugales ou familiales. L'incidence de violence conjugale est beaucoup plus élevée, tout comme celle des dysfonctions sexuelles et les partenaires ont tendance à être moins ouverts et moins expressifs. Nous constatons également un syndrome traumatique secondaire que l'on désigne généralement par les expressions « traumatisme transmis par personne interposée, traumatisme indirect ou usure de compassion ». En entendant leur conjoint revivre ces horribles moments, le ou la partenaire devient en quelque sorte une victime et souffre de symptômes similaires.
Les répercussions que nous avons constatées chez les enfants et les conjoints sont une diminution du bien-être; des affections somatiques plus nombreuses, autrement dit, des problèmes physiques; des douleurs; des symptômes névrotiques. Jusqu'à 50 p. 100 des conjoints disent frôler la dépression nerveuse lorsqu'ils traversent une telle situation. Nous constatons aussi chez eux des symptômes de dépression, des troubles du sommeil et ce que nous appelons le fardeau du fournisseur de soins. Il faut se souvenir que ce sont les familles qui sont les aidants naturels primaires. Ce sont les familles qui prennent soin des victimes d'ESPT lorsqu'elles sont à la maison et au loin. Pourtant, elles sont souvent exclues du processus et ne sont pas considérées comme un des éléments de l'équipe de traitement. Or, les familles jouent un rôle extrêmement précieux pour la réussite du traitement. Les familles doivent recevoir les informations appropriées et bénéficier d'une formation adéquate afin d'être en mesure de prodiguer leurs soins à la personne blessée atteinte, non seulement de traumatismes liés au stress opérationnel, mais également de déficiences physiques. Ces problèmes, des choses comme la douleur chronique ou d'autres affections que nous ne comprenons pas bien empêchent de fonctionner normalement dans la vie quotidienne.
Le fardeau de l'aidant naturel comprend toutes ces difficultés objectives, les exigences physiques liées aux soins à apporter à une personne souffrant de déficience, la fatigue et les contraintes financières, ainsi que les difficultés subjectives telles que les tensions émotionnelles et les problèmes psychologiques liés au désir de prendre soin de l'être aimé.
La recherche a montré clairement que le fardeau du fournisseur de soins augmente en fonction de la gravité de l'ESPT du militaire actif ou ancien combattant. Autrement dit, plus les symptômes sont graves et plus le fardeau du fournisseur de soins est lourd.
Nous constatons que les gens qui souffrent d'ESPT, de traumatisme cérébral ou de dépression grave, rencontrent des difficultés dans leurs relations sociales et dans leur vie conjugale. Leurs troubles aggravent également les difficultés qu'ils rencontrent dans l'exercice de leur rôle parental et entraînent des problèmes chez leurs enfants, contribuant ainsi à transmettre d'une génération à l'autre les traumatismes subis au cours d'une vie de combat. Les personnes que nous connaissons, dont les parents étaient atteints d'ESPT non traité ou non résolu, sont plus susceptibles elles-mêmes d'être atteintes d'ESPT.
Nous devons traiter les traumatismes pour les empêcher de se répercuter d'une génération à l'autre. Nous avons souvent constaté ce phénomène chez les anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre de Corée, dont les enfants ont souffert de maux qui n'étaient pas reconnus. Nous l'avons constaté très clairement dans les statistiques sur les anciens combattants du Vietnam et nous commençons à observer ce phénomène dans le contexte actuel chez les enfants et les adolescents aux prises avec de tels problèmes.
Mais quels sont les effets du traitement? Le Dr Passey et d'autres témoins vous ont sans doute déjà parlé des interventions cliniques directes que nous devons également combiner avec d'autres techniques que nous appelons la psychoéducation familiale, le soutien aux groupes, aux conjoints et aux anciens combattants, parallèlement à la thérapie individuelle et conjugale ou familiale. La psychoéducation consiste à enseigner des stratégies d'adaptation pour informer ces personnes au sujet des effets des traumatismes sur les individus et les familles et les aider à constituer le soutien social dont elles ont besoin pour pouvoir soutenir leurs êtres chers dans leurs efforts de rétablissement.
Si l'on observe la situation, on peut dire que les Forces armées canadiennes et Anciens Combattants Canada s'efforcent de faire face au problème. Mais c'est un problème immense que de tenter de relier tous ces éléments. Au pays, la disponibilité, la cohérence et la qualité de tels programmes varient énormément d'un endroit à l'autre. Tout dépend du nombre de professionnels de la santé mentale en poste, mais également de leur formation et de leur expérience. Beaucoup de cliniciens n'ont pas reçu de formation en matière de soins aux familles. Ils tentent d'offrir des services de conseil conjugal, mais ils ne peuvent pas non plus aller très loin dans ce domaine.
Nous devons examiner la formation de ces cliniciens afin de nous assurer qu'ils possèdent les compétences nécessaires et qu'ils comprennent la culture militaire et les réactions des personnes atteintes.
Nous devons nous assurer de disposer d'une quantité suffisante de fournisseurs de soins de santé mentale dotés d'une bonne formation et que ces spécialistes puissent aider à former les membres des familles des victimes afin qu'ils soient en mesure de les aider et de les guider. Beaucoup de cliniciens n'ont pas ce genre de formation. Ils sont très bons dans leur domaine, soit la thérapie individuelle ou peut-être la thérapie conjugale, mais nous devons vraiment renforcer leur capacité à aller au-delà afin d'éduquer les autres et de les aider à apprendre les compétences nécessaires pour offrir leur soutien aux victimes.
Les troubles de santé mentale souffrent toujours d'une stigmatisation, que ce soit chez les militaires ou à l'extérieur, auprès du grand public. Le travail que vous faites, avec d'autres, afin d'en parler et de sensibiliser la population, est extraordinaire. Parallèlement, nous pourrons diffuser des messages positifs extrêmement importants si nous parvenons à convaincre les anciens combattants et les membres de leur famille, ainsi que d'autres, à prendre la parole pour exposer le travail qu'ils font.
Quand bien même nous aurions tous les fournisseurs de soins possibles, tous les spécialistes et tout le reste, et s'il paraissait tout à fait acceptable de demander un traitement, il resterait quand même que les services ne sont pas toujours aussi accessibles qu'on le souhaiterait. Cela dépend de plusieurs facteurs. Les listes d'attente sont longues. Les heures d'ouverture des cliniques sont limitées. Il y a le processus d'aiguillage lui-même. Les formalités administratives sont sources de difficultés, en particulier chez des personnes qui ne fonctionnent pas bien dans la vie quotidienne. Il ne s'agit pas uniquement des anciens combattants et des militaires, mais également des membres de leur famille.
Je ne sais pas si vous avez essayé de remplir un formulaire en état de stress, mais je peux vous dire que cela ajoute à la tension et à la difficulté à accomplir cette tâche. Naviguer sur un site web peut s'avérer extrêmement difficile. Il est extrêmement important de faciliter l'accès à ce type d'information.
La préparation est également un aspect important. Quel que soit son âge, aucun enfant n'est réellement prêt à accueillir un parent blessé à la maison. Et en fait de blessures, il peut s'agir aussi d'amputation, de défigurement, de traumatisme cérébral et de troubles de la santé mentale.
Ces blessures peuvent nécessiter un déménagement pour permettre à la famille de se rapprocher du lieu de traitement; à moins que la victime doive quitter sa famille pour aller se faire soigner, ce qui ajoute une dimension d'incertitude. Cela perturbe la famille et les enfants. La famille ou le conjoint peut être pris entre les besoins du militaire ou de l'ancien combattant et ceux des enfants, en particulier les besoins émotionnels. Que pouvons-nous faire pour mieux les aider à réagir dans de telles situations?
Comme je l'ai mentionné, le degré d'ajustement et de détresse du militaire et de l'ancien combattant, ainsi que sa réaction face au traumatisme dont il est atteint, a une incidence sur sa capacité à communiquer avec ses enfants et à répondre à leurs besoins émotionnels. Nous ne disposons pas de beaucoup d'études sur le sujet. Les cliniciens ne savent pas très bien comment les aider à faire face à de tels problèmes. Il y a de grands besoins en matière d'éducation et de formation pour les victimes d'ESPT et de TSO et les membres de leur famille.
Par ailleurs, certaines questions pratiques constituent aussi des obstacles. L'absence de transport convenable, les contraintes financières que vit la famille et même les coûts de garderie sont des éléments dont il faut tenir compte. Les victimes de cancer disposent d'un formidable système d'aide. Il y a des chauffeurs pour les conduire à la clinique. Il y a des personnes qui les aident à comprendre les nombreux types différents de traitements et tout le reste. En revanche, les personnes qui connaissent déjà des difficultés en raison de traumatismes cérébraux, d'ESPT ou de TSO, sont toutes seules pour trouver leur chemin dans le labyrinthe. Elles ont besoin d'un sherpa pour les aider à suivre le processus et les soutenir, car il s'agit d'un système très complexe. Une personne qui n'a pas une pensée claire et qui est perturbée émotionnellement, a plus de difficultés à suivre le processus. Or, ce n'est pas ce que nous voulons. Même si les services sont disponibles, que pouvons-nous faire pour aider les patients à se rendre de chez eux à l'endroit où les services sont dispensés et à y demeurer?
Nous voulons faciliter l'accès des victimes à l'information et aux divers portails et à des contacts plus directs entre elles grâce aux groupes de soutien par les pairs. Nous cherchons des moyens de rendre plus complets ce système et cette approche. Nous avons besoin de plus de données et de preuves pour nous aider à adapter le système, mais nous connaissons déjà plusieurs moyens de faciliter cela. Comment trouver des façons systémiques d'aider les victimes à obtenir les services dont elles ont besoin et à poursuivre leur traitement? C'est un des facteurs principaux sur lesquels nous voulons nous pencher.
Nous voulons créer un réseau de soutien social, un filet de sécurité, si l'on peut dire, qui permettra de les garder en place et leur donnera les moyens de poursuivre leur rétablissement, mais également de s'épanouir et de reprendre leur rôle de citoyens actifs et de participants, de s'assurer que leurs familles ne souffrent pas davantage et que la génération suivante ne soit pas touchée elle aussi.
Merci d'avoir pris le temps de m'écouter. Je suis prêt maintenant à entendre vos commentaires ou vos questions.
Le vice-président : Merci, docteur Corneil. Vous nous avez fourni des renseignements extrêmement précieux et vous avez couvert un champ très vaste. Je suis certain que les sénateurs auront beaucoup de questions à vous poser.
Le sénateur Mitchell : Docteur Corneil, vous avez présenté un exposé très captivant.
Je ne sais pas si vous connaissez Stéphane Grenier, mais il a joué un rôle clé dans la fondation du groupe d'entraide par les pairs. J'ai assisté à une de ses conférences. Il disait que contrairement à ce que l'on croit et à ce qui semble évident, l'ESPT n'est pas causé par un traumatisme, par une situation de combat ou par le fait d'avoir assisté à des scènes d'accident, comme c'est le cas pour les premiers intervenants. Bien que ces événements soient à l'origine du trouble, ce ne sont peut-être pas les causes les plus pernicieuses. Il expliquait que la cause la plus pernicieuse de l'ESPT peut être une dichotomie entre nos valeurs et nos actions, par exemple lorsque nous sommes contraints d'effectuer quelque chose de contraire à nos valeurs ou incapables d'agir conformément à nos valeurs, comme ce fut le cas au Rwanda.
Au sein de la GRC, nous avons peut-être affaire à une variante. J'aimerais vous demander de commenter. Les personnes qui s'engagent dans la GRC parce qu'elles adhèrent fondamentalement aux valeurs mises de l'avant par cette institution — valeurs qui sont intrinsèquement positives, peut-on penser — et parce qu'elles croient que leurs interventions seront intrinsèquement bonnes. Combinez cela avec leur conception du contexte social et le fait qu'elles se font intimider. Non seulement ces personnes se font-elles tout à coup intimider, mais elles se rendent compte en plus que leur famille, puisque vous avez mentionné qu'il s'agissait d'une famille, un concept puissant, les laisse tomber. Tout cela est fondamentalement incompatible avec les valeurs qui les animent lorsqu'elles travaillent au sein de cette organisation. Est-ce que vous voyez dans cette observation une influence ou un thème aggravant?
M. Corneil : Tout à fait et je peux vous renvoyer à certains travaux effectués par mon collègue à l'Université de Washington pour les services d'incendie de Seattle, Everton et Tacoma. On peut remarquer que les taux d'ESPT sont plus élevés chez les officiers que chez les pompiers subalternes. Nous avons fait plusieurs constatations, notamment que les officiers sont placés dans un rôle de cadre sans avoir la formation nécessaire. Ils sont promus sur la base de leurs compétences professionnelles et techniques, comme c'est le cas dans beaucoup d'organisations, notamment dans les organismes militaires et paramilitaires. Ils n'avaient pas reçu la formation dont ils avaient besoin pour exercer un rôle de leader.
Deuxièmement, il faut prendre en compte les conflits qui existent au sein d'un groupe, qu'il s'agisse d'une équipe de pompiers ou d'une unité militaire. Dans tous les groupes, il y a des conflits. L'aptitude à résoudre des conflits est extrêmement importante. Certains de ces conflits sont liés à l'intimidation ou au harcèlement, ou au type d'interaction entre les membres d'organisations où l'intensité est très vive. Cependant, ces personnes ne savaient pas comment affronter ces conflits ni comment les résoudre.
Troisièmement, ces dirigeants n'avaient aucune formation dans le domaine de l'intervention de crise, pas tant sur le plan technique que sur la façon de gérer les patients, les familles et autres. Nous avons fait ces observations chez les pompiers, mais également chez les autres intervenants tels que la police et les SMU.
Ces facteurs contextuels occasionnaient un plus grand niveau de vulnérabilité parce que leur sens de la responsabilité était plus élevé. Lorsque les intervenants étaient exposés à un événement, les répercussions étaient d'autant plus grandes qu'ils se sentaient plus responsables. Ils se sentaient tenus d'agir et de résoudre le problème. Voilà qui nous ramène à la question morale évoquée par Stéphane Grenier. Le traumatisme se forme dans de telles circonstances, lorsqu'intervient ce que nous appelons la « blessure morale », notion dont les études feront de plus en plus mention.
J'ai un bon exemple là-dessus et je suis certain que le sénateur White s'en souvient très bien. Un agent d'Ottawa du nom de Syd Gravel a créé un groupe d'entraide intitulé Robin's Blue Circle, destiné aux agents de police ayant été blessés en service ou qui avaient abattu quelqu'un dans l'exercice de leurs fonctions. Comme vous l'avez dit, les agents se sont engagés dans la police pour servir le public et pour se donner à fond. Nous avons vu la semaine dernière qu'ils sont prêts à risquer leur vie pour les autres. Nous avons parlé d'idéal moral; les pompiers, les ambulanciers paramédicaux et les militaires obéissent à un impératif moral élevé que le reste d'entre nous a peut-être de la difficulté à comprendre.
Syd Gravel s'est trouvé, au cours de sa carrière, dans une situation où il poursuivait un individu qu'il croyait armé. Cet individu n'ayant pas rendu ce que Syd Gravel croyait être une arme, le policier a tiré et l'a abattu. Tout au long de sa carrière, il a été hanté par cet événement. Cela est dû en partie à l'idéal moral et à l'impératif moral que se donnent les policiers. C'est la même chose par exemple pour des soldats qui se trouvent dans des situations où ils ont pris une décision en s'appuyant sur les informations dont ils disposaient, découvrant par la suite que ces informations étaient incomplètes. Tout au long de leur vie, ils doivent se débattre avec leur conscience. Nous constatons ce genre de répercussions et nous devons disposer des moyens nécessaires pour pouvoir venir en aide à ces personnes qui ne parviennent jamais à se débarrasser de ce souvenir qui les hante.
Syd Gravel a fait un excellent travail. Il a parlé aux autres agents de police et a aidé ceux qui avaient vécu de telles situations à se rétablir, à reprendre le service et à exécuter à nouveau leurs fonctions de manière efficace. Nous avons observé des situations analogues dans l'armée. C'est de ce type d'entraide que je parle quand je mentionne les cercles d'aide par les pairs. C'est un exemple classique de ce type d'aide pure et des connaissances qui ont permis de faire progresser les choses.
Le sénateur Mitchell : Vous avez mentionné l'importance de soins de santé adéquats et d'un type très précis de compétences. Je sais que les militaires possèdent beaucoup de ces compétences à l'interne. Le commissaire de la GRC a récemment écrit qu'il existait toutes sortes de services de soins de santé à l'externe.
Pensez-vous qu'en raison du caractère précis de ce type de traumatisme — l'ESPT dans les organisations de première intervention — il faudrait offrir des services de santé à l'interne, ou bien que ces services peuvent être dispensés de manière adéquate par le réseau de santé public?
M. Corneil : Je ne dirais pas que c'est tout l'un ou tout l'autre. Je pense qu'il faut un peu des deux — en partie parce qu'on a besoin de personnes à l'intérieur qui connaissent bien les rouages et la culture. Comme je l'ai mentionné, la culture de l'organisation joue un rôle très important. C'est pourquoi, il faut des ressources internes. Mais il faut également avoir un lien avec l'extérieur, car on ne peut tout simplement pas disposer de toutes ces ressources à l'interne. Par exemple, il est nécessaire d'avoir un lien avec les écoles et les conseillers d'orientation scolaire qui suivent ces enfants et ces adolescents. Nous avons besoin d'un lien avec des personnes et des organisations de la collectivité qui pourront continuer à soutenir ces patients dans leur évolution et leur rétablissement, lorsqu'ils reprendront leur carrière ou retourneront à la vie civile.
C'est vraiment une combinaison des deux. Je ne pense pas que ce soit tout l'un ou tout l'autre. Si c'était le cas, le service serait insuffisant pour offrir le type de filet de sécurité dont nous avons besoin pour ces individus et leurs familles.
Le sénateur White : C'est toujours aussi agréable de vous revoir, docteur. Pour ce qui est de Syd Gravel, je tiens à mentionner qu'il a fait un excellent travail au sein de la police et qu'il poursuit ses activités à l'extérieur du Service de police d'Ottawa. Je ne sais plus quand il a pris sa retraite, mais il avait déclaré à ce moment-là qu'il attendait ce moment depuis 27 ans, car chaque jour, il lui paraissait impossible de se rendre au travail, même s'il aurait pu quitter ses fonctions à n'importe quel moment. La manière dont il s'y est pris est tout à fait extraordinaire. Il a continué à faire son travail même s'il pensait qu'il n'en était plus capable.
Vous avez parlé de confidentialité et le Robin's Blue Circle était de nature confidentielle. Beaucoup de dirigeants sont rebutés par le caractère confidentiel du Robin's Blue Circle — injustement, mais ils le sont.
La semaine dernière, un témoin nous a parlé de réintégration. Il est certain que j'en ai parlé dans le passé. Et vous avez dit que le dernier endroit où vous devez être n'est pas ici. En fait, les réservistes représentent peut-être notre plus grand défi.
Avez-vous lu ou effectué des recherches sur la réintégration? J'entends par-là le retour d'une mission, par exemple. C'est moins le cas pour la police. Mais au retour d'une mission, il est presque nécessaire de garder le personnel actif pendant des périodes prolongées si l'on décèle chez eux des indicateurs, signaux qui sont, je crois, assez faciles à repérer, afin d'éviter que leur retour les prive de leur équipe, de l'atmosphère de camaraderie et de la certitude qu'autour de la table, chacun sait d'où ils viennent et ce qu'ils ont fait.
Pensez-vous qu'une telle formule serait utile ou croyez-vous au contraire qu'après une aussi longue période, les mêmes problèmes finiraient inévitablement par surgir?
M. Corneil : Vous avez tout à fait raison. Lorsqu'on fait le bilan des traitements et des réintégrations qui ont réussi, on se rend compte qu'en fait les choses ont changé considérablement. Il suffit de revenir en arrière et de voir ce qui s'est passé, par exemple, avec les anciens combattants de la Première et de la Seconde Guerre mondiale. Il y aurait eu beaucoup plus de cas d'ESPT — qualifiés à l'époque de « traumatismes dû au bombardement » ou « d'épuisement au combat » — si les soldats n'étaient pas retournés en Angleterre pour passer une certaine période ensemble. Je pense qu'ils ont d'ailleurs passé une bonne partie du temps dans les pubs.
Ensuite, il y avait les transports de troupes. Nous savons, pour avoir interrogé les anciens combattants, qu'il y a eu beaucoup de soutien entre pairs, une sorte de « thérapie » si l'on veut.
Dans le contexte moderne, les choses ont beaucoup changé puisqu'un jour un soldat peut se trouver sur le théâtre d'opérations et le lendemain dans un centre commercial près de chez lui. C'est là que se produit la rupture. Les Forces canadiennes commencent à appliquer une formule similaire : les soldats qui reviennent d'Afghanistan ou d'ailleurs passent quelque temps dans un de ces centres, mais leur séjour ne doit pas nécessairement être très long.
L'autre chose, c'est que l'on oublie la famille et le reste du réseau de soutien. Eux aussi ont besoin de temps pour s'ajuster, pour être actifs et pour participer au processus.
L'autre groupe est constitué de soldats qui souffrent de blessures physiques. Ils sont transportés immédiatement à l'extérieur du théâtre d'opérations vers un hôpital ou un autre service, mais ils aboutissent dans un centre de réadaptation loin de leur unité, de leur famille et de leur collectivité. Nous devons trouver un moyen de constituer le réseau de soutien social dont ils ont besoin, car même lorsqu'ils suivent une thérapie — et certains d'entre eux sont absolument extraordinaires. J'ai eu le plaisir de parler avec plusieurs d'entre eux dans le cadre du projet sur l'invalidité auquel j'ai participé. Ils font preuve d'une détermination étonnante. Cependant, ils évoquent tous un sentiment d'isolement. Leurs camarades et leurs collègues leur manquent et ils aimeraient être mieux entourés. Leurs familles ressentent la même chose, car elles sont déracinées de la collectivité à laquelle elles appartenaient et qui faisait partie intégrante de leur bien-être.
Nous devons réfléchir à ce que nous pouvons faire pour améliorer cette situation.
Le sénateur White : Quelqu'un a formulé cette idée de la manière suivante : « Un jour, vous êtes dans le théâtre d'opérations, et le lendemain, vous êtes au cinéma ».
Vous êtes-vous penché ou avez-vous présenté des recommandations sur les prédicteurs et la perspective pratique dans laquelle se trouvent les militaires avant d'être déployés dans le théâtre d'opérations, afin de mieux comprendre quels sont les individus qui sont les plus susceptibles d'être confrontés à ce genre de défis à leur retour? Mais je suppose que n'importe qui peut y être confronté.
M. Corneil : Cette dimension a été étudiée, mais il n'existe aucun test décisif qui pourrait s'appliquer aux soldats. La meilleure solution se situe au niveau de la préparation et de la formation avant le déploiement. Cela se fait beaucoup, en particulier aux États-Unis, mais désormais également aussi dans les Forces canadiennes. C'est la notion « d'esprit de combat » qui les aide.
Quant au personnel des services d'urgence — policiers, pompiers, SMU, médecins, infirmières et infirmiers — il passe beaucoup de temps en formations, simulations, exercices et répétitions. Cela permet de vérifier les réactions du personnel. C'est la même chose chez les militaires. La formation permet de vérifier les réactions du personnel et de s'assurer que les officiers et les autres militaires observent les comportements et accordent un soutien. Certaines personnes peuvent rencontrer des difficultés. Les tracas de la vie quotidienne peuvent être parfois sources d'énervement et de préoccupation. Par exemple, le simple fait d'avoir à renégocier un prêt hypothécaire quand on s'aperçoit tout à coup que les taux d'intérêt grimpent — ils peuvent être raisonnables aujourd'hui, mais, si tout d'un coup ils devaient monter en flèche, cela pourrait créer beaucoup de tension chez un militaire en phase préparatoire au déploiement, inquiet pour sa famille qui sera soumise à de nouvelles contraintes financières. L'attention de ce soldat ne sera pas nécessairement centrée sur la tâche à accomplir.
Voilà le genre de choses auxquelles il faut prêter attention. Il ne s'agit pas de faire des tests de personnalité ou d'appliquer d'autres mesures du genre, il faut plutôt s'intéresser au personnel et s'assurer qu'il dispose du soutien nécessaire pour supporter au mieux la situation.
Le sénateur Lang : J'aimerais poursuivre dans la même direction que le sénateur White, mais peut-être dans une perspective différente. J'aimerais m'intéresser à la façon dont fonctionne l'armée aujourd'hui et quels sont les changements qu'il faudrait apporter à l'interne afin de promouvoir au moins un sentiment d'indépendance.
Si vous me permettez, je vais prendre le cas d'un jeune qui s'engage dans l'armée à 18 ans. Il est militaire pendant 25 ou 30 ans et ne connaît rien d'autre que la vie militaire. Il a peut-être été envoyé en mission à quelques reprises à l'extérieur du Canada. Tout à coup, il est de retour au pays et s'apprête à quitter l'armée. Du jour au lendemain, il va entrer dans la vie civile, sans même savoir ce qu'est un prêt hypothécaire.
Savez-vous s'il existe des études réalisées au Canada ou dans d'autres pays sur la façon dont nous gérons la vie militaire, afin de savoir comment encourager les militaires à acquérir une certaine indépendance bien qu'ils se trouvent dans un environnement où ils sont habitués à recevoir des ordres et à y répondre de manière adéquate? Il faudrait que le militaire et sa famille soient en mesure de se débrouiller tout seuls, sans compter sur l'armée pour jouer un rôle de tuteur. Avez-vous réfléchi à cette question?
M. Corneil : Oui, et il existe à ce sujet des données que l'on peut trouver au sud de la frontière. Nos collègues des États-Unis ont examiné cette question du point de vue du réseau. Ils ont commencé à y investir fortement. Au départ, ils avaient investi dans la préparation préalable au déploiement pour les troupes elles-mêmes et leur commandement, mais ils ont compris que cela ne représentait qu'une partie de l'équation. Le programme qu'ils proposent actuellement consiste à renforcer les familles de manière à avoir des militaires forts. Ils touchent exactement les points que vous avez soulevés. Comment peuvent-ils aider leur personnel à s'adapter à la vie militaire et aux autres aléas, étant donné qu'il est amené à se déplacer constamment? Les militaires sont mutés tous les deux ans. Il y a aussi des programmes spéciaux qui s'intéressent au rôle parental. Ils ont vraiment renforcé cet aspect afin que le soldat soit assuré, au moment d'être déployé, que sa famille est prête et capable de s'en sortir très bien pendant son absence.
Cela fait partie de l'investissement. Comme je l'ai dit, le soldat n'est pas le seul à servir son pays, sa famille aussi. Il faut reconnaître cette réalité et faire en sorte de mettre en place à l'avance les conditions nécessaires. Comme vous l'avez si bien dit, voilà ce que nous pouvons faire à l'avance pour préparer les militaires et les rendre plus résilients, afin qu'ils aient les ressources nécessaires pour pouvoir prendre leurs responsabilités quand ils devront le faire. Même s'ils vivent un événement traumatique et qu'ils en subissent les séquelles, ils seront mieux préparés et pourront rebondir, grâce à leur plus grande résilience. Cela nécessite une certaine adaptation. Cependant, je ne pense absolument pas que tous les problèmes seront réglés, mais je crois que cela constituera une base stable qui leur permettra de progresser. Le processus commence dans l'armée et se poursuit au-delà.
Le sénateur Lang : Je ne veux pas m'attarder trop là-dessus, mais ce que vous dites essentiellement, c'est qu'il faudrait changer la culture militaire, le fonctionnement quotidien de l'armée, afin de permettre cette indépendance pour disposer au bout du compte d'une plus grande résilience quand vient le temps d'aller de l'avant.
M. Corneil : Il faudra sans aucun doute modifier la culture. Un des grands enjeux consiste à lutter contre la stigmatisation. Il faut aider les gens qui ont des angoisses et des craintes à comprendre ce qui se passe. Il faut, comme je l'ai dit, reconnaître le rôle de la famille. Les Forces canadiennes progressent certainement dans cette direction et je les invite à continuer parce que je pense que cette démarche leur sera profitable à long terme.
Les autres bénéficiaires seront les nombreux enfants qui éprouvent des difficultés. On veut que ces enfants s'épanouissent, se sentent bien et obtiennent de bons résultats. On ne veut pas avoir à les soigner eux aussi. Il faut privilégier la prévention. Que pouvons-nous faire pour les préparer? Voilà la bonne attitude à avoir. Les résultats sont là pour le prouver. Quelqu'un d'inquiet ne fait pas vraiment attention à ce qu'il fait. Si l'on veut obtenir un bon rendement, il faut s'assurer que toutes les conditions favorables soient réunies.
Le sénateur Campbell : Merci beaucoup d'être venu témoigner aujourd'hui. J'ai deux questions. J'ai bien du mal à comprendre ce que je lis et ce que je vois. D'une part, le ministre de la Défense affirme que nous disposons de plus en plus de moyens pour répondre aux besoins de nos anciens combattants, malgré la fermeture de plusieurs centres.
D'autre part, nous voyons les familles et les soldats, comme cette femme de militaire que l'on a vue l'autre jour à la télévision. Aussi, je ne sais pas si nous progressons dans le bon sens ou si nous régressons, par souci de faire des économies? J'aimerais connaître votre point de vue à ce sujet, parce que vous en êtes sans vraiment en être. J'aimerais connaître votre point de vue. Je souhaite que l'on continue à aider ces gens-là. La population canadienne ne veut pas qu'on les abandonne. Nous voulons connaître la vérité et, je pense que jusqu'à présent, toute la lumière n'a pas encore été faite.
M. Corneil : Je ne suis pas certain de pouvoir vous dire exactement ce qui se passe, ni dévoiler l'utilisation qui est faite des crédits. Ce que je peux vous dire, c'est que le système en place actuellement n'est pas aussi complet qu'il devrait l'être. Je pense que je l'ai indiqué clairement dans mes commentaires précédents. C'est un des problèmes auxquels on est confronté. Le réseau a établi des liens, mais ils n'atteignent pas tous les endroits où ils seraient utiles. Je vous ai signalé quelques-uns des problèmes. Les militaires qui se trouvent dans une grande base comme à Petawawa, Gagetown ou Edmonton ont un meilleur accès aux services. Par contre, les militaires qui travaillent dans une plus petite base ou une plus petite localité ont de moins bons services. Il est donc plus difficile pour les familles d'obtenir le traitement ou les ressources et le soutien dont elles ont besoin.
Nous devons revoir le mécanisme de prestation et d'accès, et je ne sais pas ce que cela signifie sur le plan du budget. Il faudra probablement un certain financement, mais c'est un des aspects que nous devons examiner. Que devons-nous faire pour améliorer l'accès et l'offre de services? Nos soldats et nos anciens combattants ne vivent pas tous dans des grandes localités. Un militaire qui vit à Petawawa doit quand même se rendre à Ottawa, à l'Hôpital Royal Ottawa. Comme je l'ai dit, cela peut poser des difficultés sur le plan pratique pour la garde des enfants et le transport. Que proposons-nous à ce sujet? Ni l'armée, ni Anciens Combattants Canada ne peuvent prendre en charge tous ces aspects.
Nous devons trouver notamment une façon de faire participer ces familles qui représentent une ressource extraordinaire. Au Canada, nous avons une excellente réputation en matière de bénévolat et d'entraide. Les familles qui vivent sur la base se soutiennent les unes les autres. Comment tirer parti de cet esprit d'entraide? Il faudrait peut- être miser là-dessus afin de préparer et de former les familles, dans le cadre d'un programme de psychoéducation, afin qu'elles puissent offrir une meilleure entraide. Elles peuvent offrir un tel service et en bénéficier elles-mêmes.
Le sénateur Campbell : À ce propos, lorsque j'étais dans la GRC, nous étions soignés à l'hôpital Shaughnessy à Vancouver, que l'on appelait également l'hôpital des anciens combattants. Il y en avait de toutes les régions du Canada. À l'hôpital Shaughnessy, on était entouré d'anciens combattants. Il y avait des patients qui souffraient de ce que l'on appelait alors un « traumatisme dû au bombardement » et qui, à l'époque, étaient condamnés à y rester indéfiniment. Tous les traitements étaient dispensés dans cet hôpital. On avait vraiment l'impression d'être bien soigné. On avait l'impression d'être compris. Ces centres de soins n'existent plus, étant donné que les anciens combattants sont moins nombreux. Je comprends tout cela.
Cependant, je me demande s'il ne faudrait pas penser à un autre endroit similaire. À Vancouver, un certain Allan De Genova a créé une maison appelée Honour House qui comprend je crois 16 appartements pouvant accueillir des familles pendant qu'un militaire se fait soigner. Je me demande si l'on ne pourrait pas envisager à nouveau l'idée de créer un hôpital consacré expressément aux anciens combattants et proposant, comme vous l'avez dit, une annexe permettant d'accueillir les familles afin de leur offrir à elles aussi des services. Leur seul désir est de se trouver auprès de la personne qui se fait soigner. Est-ce un modèle que l'on pourrait envisager ou est-ce tout simplement un rêve beaucoup trop coûteux?
M. Corneil : Je ne suis pas certain qu'il faudrait construire de nouveaux hôpitaux, mais on pourrait certainement s'intéresser aux installations existantes et à leurs unités spécialisées. Il y a des cliniques TSO un peu partout au pays.
Il serait bon d'examiner les modèles déjà existants. Sans vouloir être péjoratif, nous avons la Maison de Roger et le Manoir Ronald McDonald qui accueillent les familles dont les enfants sont hospitalisés et dont la présence est utile. Ces endroits leur offrent cette possibilité.
À Vancouver, quand un militaire se rend à une clinique TSO, nous ne voulons pas qu'il vienne tout seul, sans le reste de son réseau de soutien, car grâce à son réseau composé des membres de sa famille et d'autres personnes, le patient bénéficiera d'un environnement porteur et compréhensif. Je ne sais pas si vous avez déjà visité la Maison de Roger ou le Manoir Ronald McDonald, mais ce sont des endroits extraordinaires qui accueillent des familles qui luttent, qui vivent une situation de vie ou de mort, une situation qui ressemble à celle des anciens combattants et du personnel militaire. L'environnement est porteur et les aide à traverser ces moments difficiles, à rester en bonne santé, tout en évitant que la famille se désintègre et que les enfants soient livrés à eux-mêmes. Si maman et papa sont à Vancouver ou à Ottawa, qui s'occupe des enfants? Qu'est-ce qui leur arrive? Cela mérite réflexion.
L'investissement ne serait pas énorme, mais nous devons réfléchir à ce que nous voulons réaliser et mettre en place afin d'offrir à l'avenir à ces familles et à ces anciens combattants les moyens de se rétablir pleinement et de retrouver toutes leurs capacités. C'est ce que nous souhaitons.
Le vice-président : Monsieur Corneil, vous avez parlé du recours à des guides que vous appelez des sherpas. Pouvez- vous nous donner un peu plus de détails à ce sujet? Tout d'abord, ce modèle existe-t-il dans d'autres pays? Comment s'appliquerait-il dans le système existant?
M. Corneil : Je ne connais pas d'autres pays qui l'utilisent. C'est un concept que j'ai vu appliquer dans le cas d'autres invalidités ou maladies graves. J'ai pensé aux victimes du cancer ainsi qu'aux personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer ou de démence. Encore une fois, je ne parle pas de l'ESPT ou du TSO, mais il y a certaines similitudes puisqu'il s'agit de patients aux prises avec toute une gamme de difficultés d'ordre physique, mental et émotionnel qui leur rend la tâche plus difficile quand il s'agit de s'y retrouver dans le système. C'est complexe. C'est difficile à comprendre. Dans certains cas, leur difficulté tient à peu de choses, comme simplement retenir des informations sur ce qu'ils ont à faire, les comportements que le thérapeute leur demande d'adopter, les multiples rendez-vous. C'est ce genre de choses.
Il est probable qu'un sherpa ou un guide pourrait les aider à naviguer dans le système. Je sais qu'ils ont des gestionnaires de cas, mais le travail de ces derniers consiste à alimenter la machine administrative. Les patients ont besoin de personnes qui sont déjà passées par le système ou qui le connaissent intimement et qui peuvent les guider à travers ses méandres.
Encore une fois, les personnes que je rencontre me disent clairement que les membres de la famille ou d'autres anciens combattants qui ont déjà vécu cette expérience sont désireux de s'impliquer, mais qu'ils ont besoin d'un certain soutien; ils ont besoin d'informations, ils ont besoin d'une formation. Je ne pense pas que ce soit une entreprise très complexe ou extrêmement onéreuse, mais je crois plutôt qu'il y a des gens qui sont désireux et capables d'aider les patients à cheminer dans ce processus.
Le vice-président : Cela me paraît être un moyen très simple et élégant de répondre aux besoins en matière de soutien des anciens combattants et des anciens de la GRC qui sont atteints d'ESPT.
Vous avez mentionné leur capacité à aider les autres et, ce faisant, à s'aider eux-mêmes. Quand vous avez parlé de cela, j'ai pensé immédiatement au programme d'animaux domestiques. Quand on a un animal domestique, que l'on soit atteint de TSO ou non, on s'en occupe; on le nourrit, on lui fait faire de l'exercice; la présence de notre animal nous réconforte, que l'on soit malade ou non. Le maître veille à la bonne santé et au bien-être de son animal domestique.
Pouvez-vous me parler de cet aspect et me dire comment un animal domestique peut être bénéfique pour un ancien combattant atteint d'ESPT ou de TSO?
M. Corneil : Vous en avez peut-être déjà parlé. Si je reviens au commentaire du sénateur Mitchell au sujet des valeurs et des croyances, beaucoup de personnes atteintes d'ESPT se sentent perdues, exclues, et sont par conséquent à la recherche d'une sorte d'ancrage, mais également d'une raison d'être, d'un but à atteindre. Il ne faut pas oublier que ce sont des gens qui sont habitués à servir et à donner, et qu'ils se retrouvent tout à coup dans un endroit où ils se sentent inutiles; ils ont l'impression que leur contribution n'est plus respectée ni appréciée. Nous avons constaté que leur participation donne un sens à leur vie. Dans toutes les recherches que j'ai effectuées au fil des années, j'ai pu observer que les personnes les plus engagées sont celles qui ont connu le processus de l'intérieur, parce qu'elles ont elles-mêmes été atteintes d'une invalidité ou d'un trouble quelconque. Une fois rétablies ou en voie de guérison, elles veulent elles aussi faire leur part, parce que cela les renforce dans leur cheminement et leur capacité à atteindre leur but.
L'exemple pourra vous paraître trivial, mais j'aimerais vous parler d'une étude réalisée il y a quelques années aux États-Unis, à l'Université de Floride. On avait demandé à des patients de donner des massages à d'autres personnes souffrant de divers troubles. Les chercheurs ont observé une amélioration de la santé physique et mentale chez les personnes qui recevaient les massages, mais également chez les personnes qui les donnaient. À leur grande surprise, ils ont découvert que les avantages étaient plus grands chez les personnes qui donnaient les massages que chez celles qui les recevaient. Cette observation a mené à un modèle de réciprocité selon lequel le simple fait de donner procure un immense bien-être et une satisfaction, non seulement d'un point de vue émotionnel, mais également sur le plan physiologique.
Selon moi, c'est la raison pour laquelle il est si important de faire appel aux pairs, de leur permettre d'effectuer une contribution significative et de faire une action très saine qui est bénéfique non seulement pour leurs collègues et leur famille, mais également pour eux, étant donné qu'ils en retirent eux aussi des avantages.
Le sénateur White : Je pense que vous faites allusion au centre Maplesoft qui offre des services d'encadrement aux malades atteints du cancer. Existe-t-il au Canada ou ailleurs des programmes qui mettent à la disposition des anciens combattants atteints d'ESPT ou d'autres troubles de santé mentale, un accompagnateur, presque un défenseur, quelqu'un qui peut les aider à franchir quelques-uns des obstacles? Est-ce qu'il existe quelque part de tels programmes?
M. Corneil : Je ne connais pas de programme officiel de ce type. Un certain nombre de programmes spéciaux voient le jour ici et là dans le pays. À ma connaissance, il n'existe aucun réseau, mais je serais prêt à parier qu'il y a en aura probablement dans pas longtemps, tout simplement parce que les personnes concernées considèrent qu'il s'agit d'une nécessité. On a pu constater les résultats qu'on a obtenus en prenant de telles mesures sur le plan local. Le modèle va se répandre. Je crois qu'on observe une participation de plus en plus grande de la part des anciens combattants, mais également de la part de leurs familles et des militaires toujours en activité. Je pense que les choses vont évoluer en ce sens.
Ce serait le bon moment, dans un sens, d'appuyer cette tendance et de lui accorder une structure et un soutien systémique pour qu'elle puisse offrir les résultats qu'elle promet.
Le sénateur White : Monsieur le président, j'aimerais ajouter à titre d'information que le programme d'encadrement est sans doute le programme qui a remporté le plus de succès au centre Maplesoft. Pourtant, il s'agit d'un programme destiné à répondre aux questions élémentaires suivantes : « Comment remplir un formulaire? Qui dois-je appeler? Si je suis une radiothérapie, est-ce que je peux passer près d'un four à micro-ondes? » C'est ce genre de questions. Beaucoup de questions posées par des personnes atteintes d'ESPT ou qui craignent de l'être sont, dans certains cas, des questions extrêmement élémentaires : « Qui dois-je appeler? À qui dois-je m'adresser? Est-ce qu'il y a des formulaires à remplir? Comment puis-je me rendre de Petawawa à l'Hôpital Royal? » Ce sont des questions assez simples, des questions de routine.
M. Corneil : Les professionnels n'ont pas le temps de répondre à de telles questions. Nous comprenons que ce n'est pas le rôle du travailleur social, du psychologue, de l'aumônier ou d'autres personnes qui doivent se concentrer pour bien faire leur travail. Il manque toute une dimension importante qui aide les gens à accéder au système et à le traverser de manière plus efficace et appropriée.
Le sénateur Mitchell : J'aimerais revenir à un point que vous avez soulevé. Cela m'a frappé et m'a rappelé une statistique que j'ai déjà entendue. Il s'agit de l'organisation mise sur pied par M. Gravel pour les gens qui ont été blessés ou qui ont blessé quelqu'un. Dans notre société actuelle, il y a beaucoup de violence gratuite à la télévision, au cinéma, dans les films de gendarmes et voleurs, si bien que nous sommes devenus insensibles à la violence. Selon certaines statistiques, un agent de police qui tire sur une personne reste en moyenne en activité pendant environ deux ans. Le traumatisme qu'il subit est beaucoup plus grave que l'on croit. Est-ce que cela correspond à ce que vous affirmez ou est-ce que nous devons accorder un meilleur soutien à ces personnes, appliquer de meilleures techniques et offrir de meilleurs soins de santé? Avons-nous négligé quelque chose?
M. Corneil : Je ne suis pas familier avec ces statistiques. Cependant, j'ai pu constater au cours de mes travaux auprès de services de police au Canada et à l'étranger, que les personnes qui s'étaient trouvées dans de telles situations éprouvent des difficultés à les assumer. Ce que nous savons, c'est qu'elles peuvent reprendre du service si elles obtiennent le soutien de leur organisme, de leurs chefs, de leur famille et de leurs collègues. Si ce soutien fait défaut, il est probable que leur carrière prendra fin. Tout repose sur ce réseau et ce processus de soutien. Si le réseau existe et s'il est solide, ces personnes poursuivront leur carrière et de façon aussi remarquable que Syd Gravel. Malheureusement, faute de réseau, d'autres personnes doivent abandonner leur carrière.
Le vice-président : Une dernière question, docteur Corneil. Est-ce qu'il existe des statistiques permettant de juger du succès des divers traitements?
M. Corneil : Dans quel domaine?
Le vice-président : Dans le domaine de l'ESPT. Savons-nous quelles sont les méthodes qui fonctionnent le mieux en général, ou peut-on en mesurer le succès d'une certaine manière?
M. Corneil : Oui. Il existe beaucoup de données, pas tant au Canada qu'aux États-Unis. Le National Center for PTSD des États-Unis dispose d'une grande quantité d'informations de ce type.
Encore une fois, ces données portent sur deux aspects. Le premier est le traitement clinique qui se présente la plupart du temps sous la forme d'une thérapie cognitivo-comportementale, alliée à une médication. Ce sont eux qui ont déterminé avec l'American Psychological Association, l'APA, que le traitement clinique a ses limites et qu'il faut le compléter par l'autre aspect, le soutien psychosocial qui permet de faire le reste du chemin vers la réadaptation et la réintégration. C'est à peu près le modèle qui est mis en place pour permettre aux victimes de traverser cette épreuve.
Pour répondre à votre question, il existe des recherches et beaucoup de données. Il y en a très peu dans le contexte canadien, étant donné que le Canada ne finance pas beaucoup de chercheurs pour effectuer ce type d'étude.
Le vice-président : Docteur Corneil, merci beaucoup pour l'exposé que vous nous avez présenté aujourd'hui.
Le sénateur Lang : Je pense que le président a posé une question importante. L'information dont vous parlez, qui a été recueillie et compilée aux États-Unis, serait utile pour nous dans le sujet qui nous préoccupe. Par conséquent, nous n'avons pas nécessairement à réinventer la roue.
M. Corneil : Ces données seraient utiles jusqu'à un certain point, mais il faut être prudent. En effet, la culture des États-Unis est très différente de la nôtre. Le contexte est différent sur le plan de la culture sociale dans laquelle évoluent les militaires et leurs familles, et également sur le plan du système de santé. Ayant travaillé aussi bien au Canada qu'aux États-Unis, je peux vous dire que leur système de santé ne ressemble pas exactement au nôtre. Il faut tenir compte des valeurs sociales — je reviens ici aux éléments sociaux et culturels. Il faut être prudent dans l'utilisation des principes que nous trouvons dans les recherches effectuées aux États-Unis. Nous pouvons les emprunter, mais on ne peut pas les appliquer exactement de la même manière qu'aux États-Unis. Si on le fait, on n'obtiendra pas les résultats escomptés. Il est possible d'utiliser la recherche comme source d'information; nous voulons une recherche fondée sur des données probantes. Mais il faut trouver par ailleurs un moyen de l'appliquer dans le contexte canadien et de s'en servir pour obtenir des résultats positifs pour nos soldats et nos anciens combattants ainsi que leurs familles au Canada.
Le vice-président : Merci, docteur Corneil. Ces précisions sont intéressantes. Vous avez raison de souligner que l'on ne peut pas nécessairement répliquer ici les modèles utilisés aux États-Unis. Le Canada ressemble sous bien des angles aux États-Unis, mais nos systèmes sont différents.
Merci beaucoup pour l'exposé que vous nous avez présenté aujourd'hui et merci d'avoir répondu à nos questions. Tout cela nous sera très utile pour notre étude. Je vous remercie pour vos longues années de service au bénéfice du Canada et de nos anciens combattants.
M. Corneil : Merci.
Le vice-président : La séance est levée.
(La séance est levée.)