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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

Fascicule no 47 - Témoignages du 31 mai 2018


OTTAWA, le jeudi 31 mai 2018

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 34, pour étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Le comité a reçu l’autorisation du Sénat d’étudier l’impact de la culture et des arts canadiens sur la politique étrangère et la diplomatie du Canada ainsi que leur utilisation dans ces domaines, et d’autres questions connexes.

En vertu de ce mandat, le comité est heureux de poursuivre cette étude et d’accueillir Mme Jana Sterbak, artiste, Sculptures conceptuelles. Avant de laisser la parole à Mme Sterbak, je demanderais aux sénateurs de bien vouloir se présenter.

[Français]

Le sénateur Cormier : Sénateur René Cormier, du Nouveau-Brunswick.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Pat Bovey, du Manitoba.

La sénatrice Cordy : Jane Cordy, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Dawson : Dennis Dawson, du Québec.

La sénatrice Saint-Germain : Raymonde Saint-Germain, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Paul Massicotte, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Victor Oh, de l’Ontario.

La sénatrice Ataullahjan : Salma Ataullahjan, de l’Ontario.

La présidente : De Paris, par vidéoconférence, nous accueillons Mme Sterbak. Madame Sterbak, je vous souhaite la bienvenue. Est-ce que vous nous entendez?

Jana Sterbak, artiste, Sculptures conceptuelles, à titre personnel : Je vous entends très bien. Merci.

La présidente : Merci d’avoir pris du temps de votre horaire qu’on nous dit très chargé, à Paris, pour témoigner. Nous vous en sommes reconnaissants. J’ai distribué aux membres du comité votre biographie. Donc, je ne prendrai pas le temps de vous présenter. Toutefois, soyez assurée que les sénateurs savent qui vous êtes.

Vous connaissez le sujet de notre étude. Nous tentons de communiquer avec autant de sources possibles afin de nous aider à définir la politique étrangère du Canada en ce qui concerne la diplomatie culturelle et d’autres questions connexes. Je vous souhaite la bienvenue au comité.

Mme Sterbak : Merci de m’avoir invitée. Je serai très brève, afin de vous laisser le temps de poser beaucoup de questions. Puisque vous n’aurez pas accès à de nombreux artistes comme moi, je préfère vous laisser le temps de me poser toutes les questions que vous voulez. N’ayez crainte de poser des questions trop personnelles ou qui vous semblent innocentes; ce n’est pas quelque chose qui nous inquiète.

J’aimerais d’abord citer un écrivain du XVIIIe siècle qu’un collègue à moi de Sarajevo, Dean Jokanović Toumin, a fait revivre récemment. L’écrivain en question se nomme Avigdor Posner. Il a dit :

Si vous souhaitez trouver l’enfer, demandez à un artiste, et si vous ne trouvez pas d’artiste, vous saurez alors que vous êtes déjà en enfer.

Non seulement devons-nous subventionner la culture à l’étranger parce que c’est ce que d’autres pays font, mais la culture et l’art sont importants, car ils sont pour l’esprit ce que sont les vitamines pour le corps.

Avant de commencer à formuler mes plaintes, je tiens à rassurer les membres du comité que nous n’avons pas vraiment à nous inquiéter de la visibilité du Canada ou de la transmission des valeurs canadiennes. Elles ont été transmises. Le Canada est apprécié pour son ouverture, son inclusivité, et l’attention qu’il porte aux minorités et aux femmes. Le Canada est reconnu pour sa transparence relative et son excellent niveau de vie. Notre société est vue comme étant douce et accueillante et généralement libre de préjudices, de snobisme et de clientélisme.

Je tiens également à rassurer les membres du comité sur le statut de nos arts à l’étranger. Ils se portent bien. Le genre de visibilité dont jouissent de nos jours les artistes, interprètes, cinéastes et danseurs canadiens aurait été inconcevable il y a à peine deux générations. Les choses vont très bien.

Toutefois, le Canada n’est pas assez grand pour soutenir une carrière artistique. Aucun pays ne l’est. Les carrières artistiques ont besoin d’une consécration internationale. L’histoire nous apprend que, souvent, les artistes révolutionnaires attirent d’abord l’attention à l’extérieur de leur mère patrie. Par exemple, ce sont d’abord quelques marchands russes éclairés qui ont fait l’acquisition des œuvres des peintres impressionnistes. Les artistes du mouvement minimalisme, un mouvement d’après-guerre, ont d’abord été compris en Allemagne où leurs œuvres ont été présentées. C’était bien avant qu’ils soient acceptés et que leurs œuvres soient ajoutées à des collections aux États-Unis, leur mère patrie.

Selon mon expérience, les collectionneurs canadiens sont davantage disposés à acheter des œuvres d’art lorsqu’ils les trouvent à l’étranger.

Le genre de valeurs qui fait du Canada un grand pays démocratique est mal adapté au monde artistique. Le monde artistique n’est pas un employeur souscrivant à l’égalité des chances. Il est et a toujours été élitiste. Il n’y a aucune élection démocratique; tout s’appuie uniquement sur l’excellence.

Par ailleurs, que ce soit en tant qu’individu ou en tant que pays, nous ne pouvons pas décider qui sont les artistes qui excellent. Pour cela, nous dépendons de l’opinion de professionnels étrangers. Ce sont les directeurs et conservateurs de musées à l’étranger qui décident qui mérite de voir ses œuvres d’art être exposées à l’échelle internationale. C’est la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui : il est impératif que lorsque nos artistes sont invités à l’étranger, ils reçoivent le même genre de soutien qu’ils recevaient avant 2008.

PromArt est l’un des programmes qui ont été stoppés à cette époque; on y a mis fin. Ce programme était dirigé par Yves Pépin et Robin Mader. Robin m’a dit qu’elle était disposée à venir témoigner et elle m’a également fourni les coordonnées de son ancien supérieur. Je vous encourage à les inviter à témoigner.

Le manque actuel de financement pour les artistes qui s’établissent ailleurs est plus qu’un simple inconvénient; c’est une honte. Il est surtout honteux d’être reçu dans un pays comme l’Allemagne, où j’ai présenté une exposition personnelle l’an dernier — une exposition importante —, étant donné l’attention et le soutien dont jouissent les artistes allemands lorsqu’ils viennent exposer avec nous au Canada.

Comme il le fait toujours lorsqu’il est question d’un artiste étranger, le représentant du musée Lehmbruck, à Duisburg, a communiqué avec la direction culturelle de notre consulat à Berlin. Il s’attendait à ce que mon billet d’avion ou celui de mon technicien soit payé. Sa demande a plutôt été rapidement rejetée. On lui a dit que l’artiste doit présenter une demande pour une subvention personnelle auprès du Conseil des arts du Canada. Le Conseil des arts du Canada est censé encourager la création à l’étranger, mais cela ne veut pas dire qu’il doit financer le genre d’exposition que je montais en Allemagne.

Je vais vous nommer trois artistes canadiens peut-être parmi les plus importants. Ils sont immédiatement reconnus dans tout le monde artistique : Jeff Wall, Rodney Graham et Stan Douglas. Tout comme les miennes, leurs œuvres d’art sont considérées comme étant une expression pertinente de notre époque. Tout comme moi, ce sont des artistes prestigieux, mais contrairement à moi, ils sont rémunérés par des galeries d’art privées qui font la promotion de leurs œuvres d’art et qui les exposent. Leurs œuvres sont représentées non seulement dans des collections de musées, mais aussi dans des collections personnelles et corporatives importantes partout dans le monde.

Cela signifie que lorsqu’une institution étrangère souhaite exposer leurs œuvres, il y a fort à parier qu’un collectionneur local, peut-être même un membre du conseil d’administration du musée, offre une contribution financière ou, à tout le moins, organise une cérémonie d’ouverture.

La raison pour laquelle c’est moi qui témoigne devant vous aujourd’hui plutôt que l’un de mes célèbres collègues, c’est parce que mes œuvres d’art sont expérimentales et qu’il est donc difficile de leur trouver une place dans les collections privées ou même corporatives. Les artistes comme moi dépendent de fonds publics. Ces fonds ne servent pas à soutenir financièrement une exposition; ils servent à démontrer que mon pays, le Canada, m’appuie.

Tous les professionnels d’expérience du domaine des arts vous confirmeront que la nature expérimentale de l’art canadien est exactement ce qui rend le Canada si attrayant à l’échelle internationale. Nous pouvons remercier le Conseil des arts du Canada pour cela et prendre le temps de reconnaître ceux qui l’ont créé. Ils ont contribué à la naissance de plusieurs générations de créateurs au pays.

Comme je l’ai dit plus tôt, le Conseil des arts du Canada est censé encourager la création, et non soutenir financièrement les expositions d’artistes déjà bien établis. Il est donc absolument impératif qu’Affaires étrangères investisse à nouveau les fonds qu’il investissait il y a environ 10 ans.

Madame la présidente, estimés sénateurs, n’oubliez pas que nous ne sommes pas tenus d’aimer toutes les œuvres d’art — personnellement, je n’aime pas tout ce que font mes collègues —, mais nous sommes tenus d’accorder aux artistes contemporains le même respect que nous accorderions à tout autre professionnel.

La deuxième partie de mon exposé concerne l’image d’autrefois du Canada, image qui persiste encore parfois aujourd’hui. À mon avis, nous devons porter une partie du blâme. Vous allez peut-être croire qu’il s’agit d’une farce, mais l’histoire que je vais vous raconter est vraie et elle se répète dans certains milieux artistiques plus anciens au pays.

Interrogé au sujet de la culture au Canada, un conservateur de musée européen bien connu a dit que lorsqu’il avait traversé le Canada d’est en ouest, tout ce qu’il a vu de son hublot, c’était des forêts.

Pourquoi sommes-nous à blâmer pour le maintien de ce mythe malheureux? Parce que nous emplissons les espaces publics de nos ambassades, consulats et résidences avec des photos et peintures de paysages sans tenir compte des conseils des conservateurs de musée internationaux d’expérience que nous embauchons par l’entremise de contrats; parce que nous préférons l’opinion de hauts fonctionnaires ayant très peu d’expérience internationale dans le milieu artistique; parce que nous offrons à ces malheureux de petits budgets. Même le fonctionnaire le plus innocent et mal informé peut faire de bons achats si on lui en donne les moyens.

Nous sommes conscients que ce ne sont pas toutes les expressions artistiques contemporaines qui peuvent être exposées dans ce contexte, mais il y a une grande marge de manœuvre entre la représentation d’acte par des adultes consentants, d’un côté, et des images de glaciers, de l’autre.

À titre de poste face à mon exposé, je tiens à honorer la demande d’un collègue qui savait que je venais témoigner aujourd’hui. Semble-t-il qu’à plus d’une reprise, il a vu des membres de conseil d’administration et collectionneurs d’une institution hôte ricaner devant les œuvres d’art exposées dans nos ambassades et choisies personnellement par nos ambassadeurs. Ces œuvres étaient exposées dans des salles de la résidence qui servent au divertissement d’invités. Il m’a demandé de vous dire ceci : « S’il vous plaît, au nom de nos contribuables et pour la bonne réputation de notre pays, pourrait-on demander à notre personnel diplomatique de réserver l’expression de leurs goûts personnels aux pièces plus privées de la résidence? »

Je vais terminer avec une citation qui me tient à cœur et que certains d’entre vous connaissent certainement. Je tiens à terminer sur une note plus joyeuse et à illustrer le pouvoir de l’art dans la diplomatie.

Le poète que je vais citer nous parle de son héros victime de plusieurs revers de fortune. Un jour, le héros se retrouve naufragé sur une terre inconnue. Il a tout perdu dans les eaux : ses biens et ses compagnons. Il est seul et craint que la terre où il se trouve soit habitée par des barbares qui vont le couper en petits morceaux. Mais, tout à coup, il aperçoit des œuvres d’art et dit : « Ces gens savent exprimer la pitié de la vie et sont sensibles aux choses mortelles. » Ces mots ont été écrits il y a plus de 2 000 ans.

Merci de m’avoir invitée à témoigner aujourd’hui.

La présidente : Merci. Vous avez certainement abordé plusieurs sujets avec passion — et même avec humour. J’aimerais préciser deux choses. Vous dites qu’un programme a été annulé en 2008. Pourriez-vous me donner le nom de ce programme? Je n’ai pas bien entendu. Il y avait plus d’un programme à l’époque.

Mme Sterbak : Certainement. Le programme s’appelait PromArt et était dirigé par Yves Pépin et Robin Mader. Dans certains cas, ils disposaient d’un financement très généreux pour aider les institutions étrangères à promouvoir nos artistes.

Par exemple, j’ai reçu près de 30 000 $ pour une exposition en deux temps qui se déroulait d’abord à Malmo, en Suède, puis à Munich. En Suède, l’ambassadeur et l’attaché commercial du Danemark étaient invités au dîner. Habituellement, lorsque de tels invités sont présents, le musée s’arrange pour inviter des membres du personnel diplomatique. Donc, d’augustes personnalités de la Suède et du Danemark ont mangé avec nous lors de la réception.

La présidente : Je voulais simplement savoir à quel programme vous faisiez référence.

La sénatrice Ataullahjan : Merci pour cet exposé.

Vous nous avez dit de poser n’importe quelle question et qu’il n’y avait aucune question ridicule. Afin de renforcer ce que nous avons déjà entendu et ce que vous avez dit aujourd’hui, selon vous, est-ce que nous prêtons suffisamment attention à l’art et aux artistes et est-ce que nous reconnaissons le rôle qu’ils peuvent jouer dans la diplomatie culturelle?

Ensuite, est-ce que nous reconnaissons les artistes des minorités qui ont parfois beaucoup de difficulté à se faire valoir et que peut-on faire pour changer cela?

Mme Sterbak : Pour répondre à votre première question, oui, nous reconnaissons leur rôle sur papier, mais c’est dans le cadre d’un programme officiel. Par exemple, dans cette ambassade, en 2011, nous avons accueilli un groupe artistique canadien très important qui s’appelait General Idea. Le groupe n’a reçu aucun fonds public, mais, grâce à l’ambassadeur et au dirigeant du centre culturel et à leurs adjoints, le groupe a pu expédier du matériel par Air Canada. Cela a été possible uniquement en raison de l’initiative personnelle de l’ambassadeur. Personne ne l’a obligé à s’intéresser à la situation. C’est le genre de chose qui se produit.

Pour répondre à votre deuxième question, oui, il y a des gens dans le milieu diplomatique et culturel canadien qui prennent soin des minorités, mais, malheureusement, il n’existe aucune entente officielle. Tout cela est laissé entre les mains des diplomates et certains ont d’autres intérêts ou d’autres mandats.

La sénatrice Ataullahjan : Vous dites que c’est laissé entre les mains des diplomates, si la situation les intéresse. Certains n’ont aucun intérêt à promouvoir l’art et la culture, car, selon eux, l’art et la culture n’ont aucun rôle à jouer sur le plan diplomatique. Si un artiste se rend dans ce pays, il ne trouvera personne pour le soutenir ou promouvoir son art.

Mme Sterbak : À titre d’exemple, auparavant, l’ambassade canadienne en France disposait de 250 billets d’avion gratuits d’Air Canada. Ce nombre est passé à 50 et, maintenant, ces billets ne sont plus offerts. La raison est que le directeur du centre culturel — qui est, en réalité, l’attaché culturel — n’a tout simplement pas pris le temps de renouveler cet engagement. Donc, ces billets ne sont plus offerts.

[Français]

Le sénateur Cormier : Bonjour, madame Sterbak. Je vais m’adresser à vous en français. C’est un grand honneur de m’adresser à vous. Je respecte votre travail et il nous interpelle beaucoup sur notre rapport au monde, à la modernité et à l’actualité. Je suis extrêmement touché de pouvoir vous parler ce matin.

En tant qu’artiste, vous avez évidemment une grande diffusion de vos œuvres sur la scène internationale. Vous présentez votre travail, et il est au cœur de votre impulsion de départ que de vouloir entrer en dialogue avec des citoyens un peu partout au sujet de vos œuvres. Dans les questions qui nous ont été suggérées, on dit que la grande majorité des témoins ont affirmé que la diplomatie culturelle permettrait d’atteindre cinq objectifs, c’est-à-dire promouvoir les priorités de la politique étrangère canadienne, promouvoir les valeurs et la culture canadienne, favoriser la compréhension mutuelle entre les populations, stimuler le commerce des produits culturels et renforcer l’image de marque du Canada à l’étranger.

Alors, quand on pense à la diplomatie culturelle de cette manière, comment une artiste telle que vous imagine-t-elle une contribution à cette diplomatie culturelle? Je reprendrai une citation bien connue de John F. Kennedy qui dit : « Ask not what your country can do for you, ask what you can do for your country. »

Quelle est votre vision quant au rôle d’un artiste tel que vous dans la diplomatie culturelle et comment devrait-on l’inscrire dans une politique ou une stratégie de diplomatie culturelle pour qu’elle tienne compte de votre réalité comme artiste?

Mme Sterbak : Je crois que l’artiste n’a qu’un seul devoir : être le meilleur dans ce qu’il fait. Après, par le fait qu’il fait un bon travail, l’artiste sera exporté. Une fois qu’il est à l’extérieur, il lui faut l’appui de son pays. À propos de ce dîner en Suède, puisque les Affaires étrangères ont octroyé une somme importante, l’ambassadeur était présent, ainsi qu’un commissaire chargé du commerce d’un pays juste à côté. Ce dîner a été organisé en fonction de leur présence. Alors, moi et les autres artistes, dans ce contexte, on fonctionne comme une espèce de colle qui met les gens ensemble. On ne peut pas nous demander davantage. C’est pour cette raison que je vous ai cité cette belle phrase de L’Énéide. Tout ce qu’on a à faire, c’est de montrer notre humanité commune d’une façon pertinente et novatrice. Dans le contexte des rencontres, tous ces buts que vous avez nommés peuvent être atteints.

Le sénateur Cormier : Madame Sterbak, qui doit décider qu’une artiste comme vous serait l’artiste à soutenir dans un pays quelconque parce qu’on souhaite faire de la diplomatie culturelle dans ce pays? Qui devrait prendre cette décision et comment cela devrait-il se faire?

Mme Sterbak : C’est ce que je viens de dire, ce n’est pas à nous de le faire. L’artiste doit être invité de l’extérieur, et c’est pour cette raison qu’il est très important, une fois que l’artiste est invité par les professionnels dans le secteur des musées, des centres d’art, et cetera, d’intervenir, mais pas forcément avec des sommes aussi importantes que celles que j’ai reçues en Suède. Non, il suffit de donner 5 000 $ ou 8 000 $. Cela indique que l’artiste compte pour son pays. L’artiste est soutenu par son pays.

Cependant, nous ne pouvons pas forcer nos artistes à se faire connaître à l’extérieur. Par exemple, le pavillon du Canada à Venise est très bien doté. Chaque deux ans, la Biennale de Venise accueille, dans le pavillon canadien — une espèce d’ambassade culturelle, on pourrait dire —, un artiste qui est choisi par nos commissaires d’art. Or, si vous regardez tous les artistes qui ont défilé dans ce pavillon, vous allez vous rendre compte que moins de la moitié ont une carrière à l’extérieur du pays par la suite. Cela veut dire qu’on ne peut pas décider pour les autres. De plus, notre pays et d’autres pays sont trop petits pour favoriser une carrière sérieuse d’artiste. Il faut être présent dans l’arène internationale. Puisque les autres pays, comme l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, donnent de l’argent aux artistes, nous aussi nous sommes obligés de le faire. Ce n’est pas une question de « keeping up with the Joneses ».

[Traduction]

Il s’agit d’un geste de respect, de reconnaissance.

[Français]

Le sénateur Cormier : Merci beaucoup.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Ayant moi-même fait partie de la communauté des arts visuels, je tiens à vous remercier et à vous féliciter pour l’incroyable présence que vous donnez au Canada partout dans le monde. Je tiens à vous féliciter pour votre ténacité et votre dévouement à vos expériences qui, je le sais, provoquent souvent diverses réactions. Il est très important de rester fidèle au questionnement que vous faites dans la société et je vous félicite de le faire également à l’étranger.

Si vous me le permettez, j’aurais quelques questions à vous poser. Vous dites qu’à votre avis, c’est la reconnaissance à l’étranger qui permet aux nouveaux artistes canadiens de trouver leur voix, si je puis m’exprimer ainsi. De toute évidence, vous avez trouvé votre voix tôt dans votre carrière. Vous êtes une artiste canadienne confirmée et lauréate du Prix du gouverneur général, et vous portez toujours cette flamme, ce qui n’est pas chose facile.

À votre avis, pourquoi certains artistes canadiens disparaissent-ils de la scène internationale après avoir connu un brillant début de carrière? Plus précisément, j’aimerais vous parler de l’expédition de vos œuvres d’art et des coûts qui y sont rattachés. J’ai rencontré des artistes hier qui m’ont dit qu’ils ne peuvent expédier qu’une seule de leurs œuvres d’art à une exposition internationale entre Winnipeg et Seattle, car les coûts s’élèvent à 8 000 $ et qu’ils n’ont pas les moyens d’expédier plusieurs de leurs œuvres d’art. Où trouvez-vous les fonds pour expédier vos œuvres d’art un peu partout dans le monde? Est-ce que ces coûts étaient auparavant couverts par le ministère des Affaires étrangères?

Je sais que, en France et en Angleterre, il y a encore des attachés culturels ou des gens qui occupent ce rôle, mais dans bon nombre d’ambassades où vous avez travaillé ailleurs dans le monde, plus personne n’occupe ce rôle.

Pouvez-vous nous dire comment peuvent s’articuler tous ces éléments comme les frais d’expédition pour assurer une présence internationale tout au long d’une carrière et permettre à l’art canadien de s’exprimer à l’étranger? Quel rôle devrait jouer les ambassades à cet égard?

Mme Sterbak : Je vais répondre d’abord de façon détournée en attirant votre attention sur le fait que de nombreux artistes s’expriment aujourd’hui au moyen de la vidéo.

La sénatrice Bovey : Ce n’est pas le cas de tout le monde. Certains ne le font pas.

Mme Sterbak : Plusieurs ne le font pas, effectivement. Si la vidéo est devenue aussi populaire, ce n’est pas seulement en raison de l’excellence des œuvres produites, mais aussi à cause de l’exportabilité de ce médium, de la facilité d’expédition et des coûts d’assurance, dont vous n’avez pas traité, qui sont considérables. Les frais d’expédition et d’assurance ont grimpé en flèche depuis le 11 septembre.

Je fais partie des chanceux dont la carrière était déjà bien établie avant cette date. Reste quand même que pour cette exposition en Suède dont je vous parlais qui a grandement bénéficié du programme PromArt, la majorité des fonds sont allés à l’expédition.

Je suis maintenant une artiste suffisamment reconnue pour que les institutions étrangères qui m’invitent épongent la plus grande partie des frais d’expédition. Ce ne fut toutefois pas le cas de ma dernière exposition en Allemagne pour laquelle nous n’avons même pas obtenu un billet d’avion. J’ai même dû payer une partie des frais d’expédition pour le retour de mes œuvres au pays.

La sénatrice Bovey : Je pense que nous pouvons constater qu’un grand nombre de pays sont prêts à appuyer les artistes canadiens de différentes disciplines dans leurs efforts pour faire carrière à l’étranger.

Vous avez parlé tout à l’heure d’une véritable honte. Pouvez-vous nous dire exactement ce qui est à l’origine de cette honte et comment vous vous sentez lorsque vous obtenez le soutien d’un pays étranger, mais pas nécessairement celui du Canada?

Mme Sterbak : C’est particulièrement frappant en Allemagne. Dans bien des cas, lorsqu’un de nos conservateurs ou une de nos institutions s’intéresse un tant soit peu à un artiste allemand, l’Institut Goethe se précipite pour offrir son soutien financier.

Lorsque j’ai fait mon exposition en Allemagne l’an dernier et que mon conservateur s’est fait rabrouer, je ne me sentais pas très bien. Cela ramène à la mémoire l’histoire de ce conservateur italien qui disait n’avoir vu rien d’autre que des forêts. Nous sommes rendus beaucoup plus loin que cela.

La contribution des artistes canadiens nous vaut une réputation enviable et solide dans les milieux professionnels. Une grande partie de cette réussite est attribuable au financement du Conseil des arts qui permet à nos artistes de s’exprimer sans avoir à se préoccuper de questions commerciales.

C’est ce qui est apprécié le plus dans l’univers muséal. Bon nombre de mes collègues américains doivent emprunter des avenues parallèles pour être capables d’expérimenter certaines choses de temps à autre.

La sénatrice Cordy : Un grand merci d’être des nôtres aujourd’hui pour nous faire bénéficier de votre vaste expérience du milieu artistique. Tout cela est très intéressant.

Vous nous disiez que le programme PromArt annulé en 2008 prévoyait des fonds pour aider les institutions étrangères à présenter des œuvres d’art canadiennes. Vous avez parlé de ces artistes qui ont besoin de fonds pour exposer leurs œuvres à l’étranger alors que le Conseil des arts n’offre pas d’aide à ce niveau.

Si le gouvernement faisait appel à vous pour concevoir un programme de financement en vue d’aider les artistes émergents ainsi que les artistes bien établis à faire connaître leur travail à l’étranger sur des tribunes diplomatiques, que proposeriez-vous? Comment vous y prendriez-vous? Quels devraient être les éléments principaux d’un programme permettant d’aider rapidement un artiste canadien qui a besoin d’un petit coup de pouce financier pour se rendre à l’étranger afin d’y exposer ses œuvres?

Mme Sterbak : Le Conseil des arts a un programme pour le financement des déplacements qui est accessible à tous. Si je ne veux pas m’en prévaloir, c’est parce que je crois vraiment être trop vieille pour cela. J’estime qu’il devrait être réservé aux jeunes artistes.

Il m’est toutefois arrivé en de très rares occasions de demander l’aide du Conseil des arts. L’une des galeristes qui exposent mes œuvres prépare actuellement ma participation à la Foire artistique de Bâle. Elle va payer environ 40 000 euros juste pour le stand où mes œuvres seront exposées. Elle doit aussi éponger les frais d’expédition depuis l’Allemagne, l’assurance et tout le reste. De plus, elle convie des critiques et des collectionneurs à un dîner. C’est un bon exemple de situation où elle peut fort bien se passer de dépenses additionnelles et, comme elle m’a demandé de me rendre là-bas, j’ai fait appel au Conseil des arts du Canada.

L’aide effectivement offerte par le Conseil des arts se limite aux frais de déplacement, mais ce sont les coûts d’expédition qui sont les plus difficiles à éponger. Je pense qu’il serait bon que l’on établisse, au sein du ministère des Affaires mondiales, une instance qui pourrait être dirigée en rotation. Les effectifs requis ne seraient pas si considérables. La gestion pourrait être confiée à des gens en semi-retraite qui possèdent une vaste expérience sur la scène internationale, notamment pour ce qui est des musées, des centres d’art et des festivals de cinéma. Ces gens-là détermineraient qui peut obtenir une aide financière. L’invitation devrait toutefois toujours venir de l’étranger.

La sénatrice Cordy : Est-ce que les coûts de l’assurance devraient être inclus avec les frais d’expédition?

Mme Sterbak : Oui.

Le sénateur Massicotte : Merci, madame Sterbak. Je ne vous vois pas très bien, mais je présume que vous êtes toujours là.

Mme Sterbak : Pour une raison ou une autre, les lumières se sont éteintes. Je ne sais pas comment les rallumer.

La présidente : Il y a sans doute une minuterie.

Le sénateur Massicotte : Je profite de l’occasion pour vous féliciter de l’excellente réputation que vous avez acquise en tant qu’artiste et de votre réussite dans ce milieu. Votre travail est reconnu de par le monde, et bien sûr également au Canada. Nous apprécions grandement tout ce que vous avez accompli pour notre pays dont vous êtes en quelque sorte une ambassadrice.

J’aimerais que l’on revienne à la situation d’ensemble, si vous n’y voyez pas d’objection. Je peux comprendre que le financement gouvernemental ait pu vous causer certaines frustrations, notamment quand il vous est impossible de savoir à quoi vous en tenir quant aux coûts que vous devrez assumer vous-mêmes.

Notre étude s’inscrit toutefois dans une perspective un peu différente. Nous nous intéressons aux sommes dépensées pour des activités culturelles à l’étranger, le tout bien évidemment au bénéfice de notre pays.

J’aimerais donc que nous discutions un peu des avantages pour le Canada de voir quelqu’un comme vous le représentez à l’étranger. Je vois bien quels peuvent être les bénéfices pour vous et les autres artistes, mais, dans une perspective plus générale, en quoi la position de notre pays dans le monde s’en trouve-t-elle améliorée? Pouvez-vous me donner quelques exemples des bienfaits pour notre réputation, notre capacité d’attirer au Canada toutes sortes de professionnels et l’opinion que les gens du reste de la planète ont de nous? Pouvez-vous m’en dire un peu plus long à ce sujet de telle sorte que le tout soit consigné officiellement?

Mme Sterbak : Je peux essayer. Lorsque je réponds à une invitation après avoir obtenu du financement, il y a toujours certaines personnalités importantes présentes à la réception. Je ne saurais vous dire quelles sont les répercussions concrètes de ces rencontres. Je peux toutefois vous assurer que le nombre d’entreprises canadiennes présentes à l’étranger a considérablement augmenté depuis le début de ma carrière artistique — ce qui nous ramène une trentaine d’années en arrière. Il y a beaucoup plus de firmes se spécialisant dans la promotion qui sont visibles à l’étranger et les gens sont plus nombreux que jamais à venir au Canada.

Je parle ici de tourisme culturel. Lorsque j’étais étudiante, il n’y avait pas de tourisme culturel au Canada. Personne ne venait au Canada pour notre culture. On venait pour notre nature. C’est toute une réussite selon moi d’être parvenus à intéresser les gens à notre culture, car nos paysages naturels sont vraiment époustouflants. Cet intérêt pour notre culture est d’autant plus remarquable que les visiteurs doivent parcourir un vaste territoire pour y avoir accès. Les grappes culturelles sont vraiment très parsemées au Canada.

Quant aux retombées économiques à proprement parler, ce n’est pas à moi qu’il faut poser la question.

Le sénateur Massicotte : Merci.

La présidente : Madame Sterbak, j’ai quelques questions à vous poser. Vous avez parlé des ambassades et des choix d’œuvres d’art qui perpétuent en quelque sorte certains stéréotypes au sujet de notre pays, comme nos forêts, nos arbres et nos paysages.

Vous avez également indiqué qu’il arrive que les choix artistiques de l’ambassadeur lui-même entrent en jeu. Je pense que c’est une discussion qui est très fréquente dans nos bureaux à l’étranger. Supposons que vous avez un poste à l’étranger — je ne prendrai pas Paris comme exemple, car c’est un cas un peu particulier. Disons que vous avez un poste en Afrique et que vous voulez présenter de l’art canadien. Il est alors également primordial de montrer du respect envers les artistes locaux et d’encourager leur travail. C’est donc un choix qui est souvent déchirant. Et si vous appréciez l’art, comme c’est mon cas, les artistes vont sans cesse venir cogner à votre porte pour vous demander d’acheter et d’exposer leurs œuvres. Vous vous retrouvez ainsi déchiré entre la volonté d’offrir une représentation fidèle du Canada et le respect à démontrer pour le pays hôte.

Il y a bien sûr aussi les préférences personnelles de l’ambassadeur. Il veut notamment montrer un peu sa personnalité, ce qui peut l’inciter à pencher vers certaines œuvres.

Je ne veux pas mal interpréter vos propos. Soutenez-vous qu’il devrait y avoir de l’art canadien dans les aires officielles alors que les œuvres exposées dans les pièces privées devraient être laissées au libre choix de l’ambassadeur. Je crois en effet qu’il y a lieu de vouloir présenter d’autres œuvres pour témoigner de notre internationalisme et de notre respect pour le pays hôte, tout en mettant en valeur le Canada. Nous montrons ainsi vraiment que, dans le cadre de nos relations internationales, nous ne nous intéressons pas uniquement aux valeurs politiques de l’autre pays.

Mme Sterbak : Pouvez-vous me dire à quelle époque vous étiez en Afrique?

La présidente : Vous avez indiqué que vous étiez prête à tout nous dire. Ce n’est pas nécessairement mon cas. C’était vers la fin des années 1980 et au début des années 1990, mais j’y retourne presque chaque année, en plus de visiter bien d’autres pays. Nous cherchions à déterminer ce qui était le mieux pour mettre en valeur l’ambassade canadienne et servir les intérêts de notre pays. La situation peut varier d’un pays à un autre et d’un ambassadeur à un autre.

Prônez-vous l’exclusivité pour les œuvres canadiennes dans les aires officielles? Est-ce que c’est ce que vous êtes en train de nous dire?

Mme Sterbak : Non, pas nécessairement. Je crois que l’on peut s’en remettre à une combinaison. Je suis surtout au courant de ce qui se passe du côté de la France. Les Français ont retenu les services d’artistes pour la conception d’une tapisserie destinée à être suspendue dans l’une de leurs ambassades. Je faisais partie des artistes étrangers qui ont été invités à contribuer à cette œuvre. Il est fort possible que cette tapisserie se retrouve dans un consulat ou une ambassade de la France au Canada.

C’est un point de vue intéressant, mais je crois que l’ami dont je vous parlais voulait que vous compreniez bien une chose. Un ambassadeur n’est pas censé tout savoir au sujet de l’art contemporain. L’ambassadeur et son personnel doivent être conseillés par des professionnels qui s’y connaissent, plutôt que par un fonctionnaire envoyé d’Ottawa à cette fin.

La présidente : Comme le dit souvent le sénateur Massicotte, je vais me faire un peu l’avocate du diable.

Si vous travaillez pour le gouvernement et que vous souhaitez appuyer les arts au moyen de certains de ces programmes, il faut notamment que vous vous fixiez des objectifs et que vous obteniez des résultats. Comment alors faire un choix entre les jeunes artistes dont vous voulez promouvoir le travail en leur permettant d’acquérir une expérience internationale, et les artistes bien établis dont vous pourriez exposer les œuvres qui font déjà partie du patrimoine connu du Canada?

Je crois que tous nos gouvernements ont été exposés à un dilemme qui ne date pas d’hier. Comment peut-on appuyer nos artistes à l’étranger tout en s’assurant de pouvoir démontrer concrètement aux contribuables canadiens en quoi ces investissements sont justifiés?

J’essaie simplement de faire valoir qu’il y a toujours une forme de concurrence qui s’exerce. Comment peut-on faire ces choix et établir un programme à cette fin?

Avez-vous une préférence quant à l’approche à adopter par le gouvernement canadien? Quelles seraient vos recommandations à notre endroit? Devrions-nous simplement nous dire que le Canada dispose de ressources limitées et que nous pourrions choisir d’amorcer la mise en place d’un programme en faisant la promotion de nouveaux artistes utilisant les nouvelles technologies ou pratiquant de nouvelles formes d’art, ou devrions-nous plutôt y aller avec des artistes bien connus? Quelle est notre définition de la culture? Quelle est notre définition de l’art?

J’ai assez travaillé en coulisse dans des dossiers semblables pour pouvoir vous dire que peu importe les conditions mises en place, il y aura toujours quelqu’un pour se plaindre que ce n’est pas suffisant, qu’il aurait dû être pris en compte. Pouvez-vous nous aider à y voir plus clair?

Mme Sterbak : Ce sont là d’excellentes questions, mais il n’est peut-être pas vraiment nécessaire de se les poser. Il faut simplement constater que certains de nos artistes sont invités à l’étranger. Lorsqu’un autre pays dépense pour les inviter, il faut aussi leur donner un coup de main. Il faut montrer à l’institution étrangère que nous avons effectivement nos artistes à cœur. Si c’est un jeune artiste qui est invité, apportez votre soutien. Si l’on invite plutôt un artiste chevronné, appuyez-le également.

Quant à savoir ce que l’on doit exposer dans nos ambassades, je crois qu’il convient d’assurer un juste équilibre en misant à la fois sur de jeunes artistes émergents et sur les œuvres d’artistes bien établis qui ont droit à une reconnaissance instantanée comme les trois que je vous ai mentionnés : Jeff Wall, Stan Douglas et Rodney Graham. Ces gens-là n’ont pas besoin de nous. C’est nous qui avons besoin d’eux.

Je vais en vacances dans un petit village québécois le long du Saint-Laurent. Par une sorte de coïncidence ou d’accident pour ainsi dire, une sculpture du célèbre artiste italien Michelangelo Pistoletto s’est retrouvée sur les terrains de la marina locale. C’est une grosse sculpture rouge que les gens de la place appellent « Hémorroïdes ». Ils la détestent. Depuis que je leur ai indiqué que cette sculpture pouvait valoir quelques centaines de milliers de dollars canadiens, leur attitude a considérablement changé. Ils ne l’aiment pas plus qu’auparavant, mais ils en sont maintenant fiers. Ils sont heureux que leur village en soit propriétaire.

Ils étaient encore plus fiers récemment lorsque le Musée des beaux-arts de Montréal a demandé à l’emprunter pour la placer sur la rue Sherbrooke au centre-ville dans le cadre des célébrations de Canada 150.

La question de la valeur de l’œuvre est importante. Je pense qu’il nous est tous arrivé de visiter des expositions simplement parce qu’il y avait beaucoup d’objets en or. Allons-nous voir l’exposition sur Toutankhamon parce que nous nous intéressons à l’histoire de l’Égypte? Peut-être pas. Peut-être sommes-nous simplement attirés par tous ces artefacts d’une valeur inestimable.

Cela fait également partie de la diplomatie. Montrons au reste de la planète que nos artistes ont réussi et que leurs œuvres ont une très grande valeur.

La présidente : Merci.

[Français]

Le sénateur Cormier : Merci de vos réflexions très pertinentes, madame Sterbak.

Si on imagine un programme qui touche la diplomatie culturelle, quelle place feriez-vous dans ce programme, par exemple, à des initiatives qui aideraient nos artistes canadiens à être en relation avec d’autres artistes dans les pays que nous visitons? On parle de la diplomatie culturelle comme ayant un objectif de compréhension mutuelle entre les populations. À votre avis, cette idée de soutenir des initiatives d’artistes rencontrant d’autres artistes pour créer ensemble ou faire quelque chose ensemble est-elle une initiative qui pourrait être bonne pour la diplomatie culturelle?

Selon votre expérience sur la scène internationale, quel rôle y aurait-il à l’intérieur d’un programme comme celui-là pour favoriser le mentorat envers de jeunes artistes? Vous avez une telle expérience. Comme l’indiquait notre présidente, on a de jeunes artistes qui pourraient rayonner sur la scène internationale. Quelle aide permettrait à quelqu’un comme vous de faire du mentorat auprès de ces artistes?

Mme Sterbak : Je crois que vous devez laisser le choix des artistes entre les mains des professionnels. Par exemple, ici, à l’ambassade, ils ont invité à contrat Jessica Bradley, une ancienne galeriste et quelqu’un qui travaillait au Musée des beaux-arts du Canada. Ce type de personne vous dira instantanément quel artiste des pays étrangers vous devriez inviter au Canada et qui sont ses homologues que vous pouvez contacter pour qu’une sélection soit faite chez nous. Tout dépend des bons conseils que vous recevez.

Le sénateur Cormier : Pour être plus précis, croyez-vous que l’idée de favoriser la rencontre entre des artistes comme vous et d’autres artistes dans d’autres pays, par le truchement non seulement d’expositions, mais aussi de laboratoires, d’ateliers, de cocréations, de réflexion sur les enjeux sociaux, politiques, culturels de nos pays pourrait bénéficier à la diplomatie culturelle?

Mme Sterbak : Absolument. Plusieurs de ces rencontres se tiennent au niveau universitaire chaque année. Là aussi, les Affaires étrangères peuvent aider. Les universités ont l’argent, certes, mais elles ne veulent pas forcément le dépenser sur des voyages d’étrangers. C’est une bonne occasion de dépenser l’argent de l’État pour inviter des gens dans les conférences qui se tiennent chaque année dans les grandes villes partout au Canada.

Le sénateur Cormier : Merci, madame.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Je vais revenir d’abord à une question pratique avant de vous en poser une autre de nature plus philosophique.

J’aimerais que l’on reparle un instant des frais d’assurance. J’ai moi-même expédié des œuvres à l’étranger, comme j’en ai aussi fait venir au Canada dans le cadre de nombreuses expositions. Au fil de votre expérience comme artiste contemporaine, avez-vous collaboré avec des pays hôtes qui avaient un programme d’indemnisation couvrant pour vous les frais d’assurance?

Mme Sterbak : Oui, bien sûr. Toutes les fois que je suis invitée à l’étranger, c’est le musée d’accueil qui s’occupe des assurances. C’est ce qui fait grimper les coûts. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle tous les musées où j’expose mes œuvres vont faire appel à l’ambassade.

Il y a une chose intéressante que je n’ai pas mentionnée. Lorsque le musée allemand s’est fait dire non par l’ambassade canadienne, quelqu’un les a aiguillés vers le délégué du Québec. Celui-ci leur a accordé une somme de 800 euros.

La sénatrice Bovey : Merci. Je voulais seulement éclaircir ce point, car je sais que le Canada a un tel programme d’indemnisation qui lui permet de faire venir ici de grandes expositions. Je pensais simplement qu’il fallait…

Mme Sterbak : Bien sûr. C’est toujours prévu dans l’entente.

À titre d’exemple, mes œuvres font maintenant partie de grandes collections internationales. Il arrive souvent qu’un musée impose comme condition qu’un messager accompagne les œuvres, ce qui entraîne des coûts additionnels. Je réussis bien dans ma carrière, mais si quelqu’un veut organiser une exposition de mes œuvres, il aura des coûts considérables à engager.

La sénatrice Bovey : Je comprends. Je veux maintenant passer à ma question d’ordre plus philosophique.

Vos œuvres ont été exposées de par le vaste monde, et j’aimerais savoir dans quelle mesure vous croyez avoir pu contribuer dans ces différents endroits au pouvoir discret de la diplomatie au bénéfice du Canada.

Nous avons reçu des témoins qui nous ont parlé de ce pouvoir discret. Des gens nous ont dit à quel point cela était important. Vous êtes vous-même allée un peu partout sur la planète. Pouvez-vous nous dire comment vous résumez votre contribution à ce pouvoir discret de la diplomatie canadienne? Il s’agit d’un aspect important aux yeux de la plupart d’entre nous.

Mme Sterbak : Je considère comme très révélateur le simple fait qu’un pays ait voulu appuyer quelqu’un comme moi qui réalise des œuvres éphémères et provocatrices qui ont été reproduites un peu partout dans le monde, en lui permettant de profiter de toutes ces possibilités de développer un talent qui lui a valu des prix — surtout au Canada, mais également à l’étranger.

J’en reviens à ma citation de L’Énéide, où ce héros naufragé complètement nu se dit, en voyant des œuvres d’art, qu’il est en présence de gens capables d’exprimer l’indicible tristesse de la vie et de compatir aux maux de leurs semblables. C’est l’essence même de l’art.

La sénatrice Bovey : Je tiens à vous remercier pour votre compréhension des choses et pour votre grande humanité. Merci beaucoup.

La présidente : Je peux seulement me faire l’écho des remerciements de la sénatrice Bovey.

Nous vous sommes reconnaissants pour le temps que vous nous avez consacré afin d’éclairer le travail de notre comité ainsi que pour votre contribution à la bonne réputation du Canada à l’étranger.

Il est difficile de parvenir à un certain équilibre et de comprendre la politique étrangère du Canada, car c’est bel et bien la question que nous devons nous poser d’entrée de jeu. Quelle est la politique étrangère du Canada? À partir de là, on pourra se demander comment nous pouvons l’améliorer et la moderniser en répondant aux attentes des Canadiens. Vous nous avez certes aidés à voir plus clair dans tout cela.

Je ne peux pas lever la séance, car le sénateur Massicotte me fait un signe de la main.

Le sénateur Massicotte : J’aimerais bien que nous puissions discuter un moment avant de partir pour savoir où nous en sommes dans cette étude et quels sont nos prochains témoins et nos plans pour les réunions à venir.

La présidente : Merci beaucoup, madame Sterbak.

Mme Sterbak : Une dernière chose en terminant. Je sais que vous êtes nombreux au Sénat à vous demander si on a vraiment besoin de tous ces artistes. Laissez-moi vous assurer qu’il y a bien des gens à l’extérieur du Sénat, et pas seulement des artistes, qui se demandent si l’on a vraiment besoin de tous ces sénateurs.

La présidente : Je pense que l’on peut très bien voir quel est votre parcours.

Je peux vous garantir que je n’ai jamais entendu quiconque au Canada dire que nous n’avons pas besoin de plus d’artistes. Je l’entends pour les sénateurs, mais certainement pas au sujet des artistes. Il s’agit de savoir dans quelle mesure le gouvernement du Canada doit s’intéresser à leur contribution dans le cadre de sa politique étrangère.

Nous allons nous contenter d’essayer de bien saisir la valeur du travail de nos artistes en nous efforçant de déterminer dans quelle mesure il peut être intégré à notre politique étrangère.

Un grand merci pour l’aide que vous nous avez apportée aujourd’hui.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons nous interrompre quelques instants avant de reprendre la séance à huis clos, si c’est bien ce que vous désirez.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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