Délibérations du Comité sénatorial spécial sur l'Arctique
Fascicule no 24 - Témoignages du 1er avril 2019 (séance du matin)
OTTAWA, le lundi 1er avril 2019
Le Comité sénatorial spécial sur l’Arctique se réunit aujourd’hui, à 9 h 3, pour examiner les changements importants et rapides qui se produisent dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants.
Le sénateur Dennis Glen Patterson (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour. Ullaakuut. Bienvenue au Comité sénatorial spécial sur l’Arctique. Je m’appelle Dennis Patterson. J’ai le privilège d’être le sénateur du Nunavut et de présider le comité. Je demanderais aux sénateurs de se présenter.
La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.
La sénatrice Anderson : Akana. Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Eaton : Nicky Eaton, de l’Ontario.
Le président : Chères collègues, nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur les changements importants et rapides dans l’Arctique et les effets de ces changements sur les premiers habitants.
Pour notre premier groupe de témoins, je suis heureux d’accueillir, par vidéoconférence, Mikhail Voevoda, professeur de médecine de l’Institut de médecine interne de la division sibérienne de l’Académie des sciences médicales de Russie et président de l’Union internationale pour la santé circumpolaire, qui se joint à nous depuis Copenhague, au Danemark; M. Anders Koch, professeur de l’Université du Groenland et président sortant de l’Union internationale pour la santé circumpolaire, qui se joint à nous depuis Novosibirsk, en Russie; et, enfin, avec nous dans la salle, nous avons Patrice Gilbert, vice-président, Santé, sécurité et communauté, d’Agnico Eagle Mines Limited — une entreprise que je connais bien.
Merci beaucoup de vous joindre à nous aujourd’hui.
Je demanderais au président de l’Union internationale pour la santé circumpolaire, M. Voevoda, de bien vouloir faire sa déclaration liminaire.
Mikhail Voevoda, président et professeur de médecine, Institut de médecine interne de la branche sibérienne de l’Académie des sciences médicales de Russie, Union internationale pour la santé circumpolaire : J’apporterais une seule correction : je me trouve en Russie, à Novosibirsk, et M. Koch, président sortant, participera depuis Copenhague. Bonjour.
Le président : Bonjour.
M. Voevoda : Bonjour, mesdames et messieurs. Je suis heureux de participer à cette importante réunion. à mes yeux de président de l’Union internationale pour la santé circumpolaire, le sujet d’aujourd’hui est un enjeu très important pour l’union depuis de nombreuses années. À l’heure actuelle, l’importance de ce problème est reconnue, et il est d’autant plus crucial en raison des changements spectaculaires touchant le climat, la santé circumpolaire. Nous parlons non seulement des changements climatiques, mais également de la transition socioéconomique qui a lieu actuellement dans tous les pays de la région circumpolaire.
On a convenu que les systèmes de soins de santé dans cette région présentent des particularités importantes pour plusieurs raisons. Avant tout, en raison des Autochtones, qui comptent pour une part substantielle de la population de la région circumpolaire. Les membres de cette population ont leurs propres particularités génétiques qui influencent grandement la vulnérabilité à différentes maladies.
Par ailleurs, leur situation socioéconomique dans la région circumpolaire est différente de la situation dans d’autres régions du monde et exige des conditions spéciales pour offrir une qualité élevée aux habitants de cette région.
De façon remarquable, la pollution naturelle, entre autres, a une incidence distincte sur la santé dans cette région compte tenu de nombreuses particularités car, en général, l’environnement est très différent par rapport à d’autres régions dans le monde. Comme je l’ai dit, actuellement, toutes les particularités de ces régions sont encore plus importantes du fait des changements dans l’environnement et de la situation socioéconomique dans cette partie du globe.
Le président : Merci beaucoup.
Anders Koch, président sortant et professeur, Illisimatusarfik, Université du Groenland, Union internationale pour la santé circumpolaire : J’ajouterais à ce que le professeur Voevoda a dit que l’Union internationale pour la santé circumpolaire est une organisation qui s’intéresse à la santé des habitants des régions circumpolaires. L’organisation comprend des représentants du milieu médical et de sociétés scientifiques aux États-Unis, au Canada, au Groenland, au Danemark, dans le Nord de la Scandinavie et dans la République russe.
Nous traitons de questions de santé dans un large éventail de sujets pertinents pour les populations des régions circumpolaires, suivons les conditions de santé, organisons des conférences et réalisons des études en collaboration sur des problèmes de santé.
Le président : Merci. Je suis sûr que nous aurons des questions pour vous deux. J’aimerais maintenant passer à M. Gilbert.
Patrice Gilbert, vice-président, Santé sécurité et communauté, Agnico Eagle Mines Limited : Merci, monsieur le président. J’aimerais reconnaître que nous sommes sur le territoire algonquin.
[Français]
Monsieur le président, honorables sénateurs, distingués membres du comité, je m’appelle Patrice Gilbert. Je travaille pour Agnico Eagle Mines Limited, dont je suis vice-président, Santé sécurité et communauté.
[Traduction]
Agnico Eagle est une société minière de premier plan. Nous possédons huit mines dans le monde, en Finlande, au Mexique et au Canada. Nous avons quatre mines dans l’Arctique, trois au Nunavut et une en Finlande. Je suis également membre du Conseil économique de l’Arctique, qui a été créé par le gouvernement précédent, entre 2013 et 2015.
J’aimerais parler un peu de mon expérience dans l’Arctique avec Agnico Eagle ainsi que de mon rôle au sein du Conseil économique de l’Arctique et de l’importance de l’exploitation minière dans la mise en valeur de l’Arctique.
Commençons par Agnico Eagle. Nous sommes dans l’Arctique depuis plus de 12 ans, d’abord en Finlande, puis au Nunavut. Nous avons désigné le Nunavut comme plateforme principale pour l’expansion de notre entreprise au Canada. Nous aurons investi environ 1,2 milliard de dollars vers la fin de l’année dans la mise en valeur de nos mines au Nunavut.
Nous avons deux mines en exploitation. J’ai cru comprendre que certains d’entre vous avez eu l’occasion de visiter Meadowbank. C’est assurément avec plaisir que nous avons accueilli des membres du comité là-bas. Nous venons d’ouvrir une mine à Meliadine, près de Rankin Inlet. Nous travaillons à la mise en valeur du projet Amaruq, au nord de Meadowbank. Nous employons actuellement 2 400 travailleurs dans le Nord, dont plus de 500 sont des bénéficiaires inuits.
Les bénéficiaires inuits sont un élément important de notre avenir. Nous visons à ce que 100 p. 100 de nos emplois à long terme proviennent de la région, et, pour ce faire, un volet important de formation et de perfectionnement est nécessaire. Nous avons investi 8 millions de dollars dans la formation et le perfectionnement de nos employés inuits au cours de l’année dernière.
Nous avons également contribué de manière significative à la mise en valeur de la région. Nous construisons des routes. Nous sommes une société minière, mais nous avons néanmoins besoin de transport. Nous avons construit 200 kilomètres de route dont le coût s’élève à 200 millions de dollars. Bien sûr, nous sommes le créateur de la plus longue route du territoire du Nunavut. De plus, nous avons construit des générateurs de puissance électrique — 40 mégawatts —, une piste d’atterrissage et une station s’accueil pour barges.
Nous pensons que nos projets ont le potentiel de réaliser une chose importante pour notre pays, à savoir l’édification de la classe moyenne au Nunavut, à moyen terme. Nous investissons également dans le soutien aux entreprises locales — jusqu’à 120 millions de dollars l’année dernière. De plus, ces fonds ont été accordés à des compagnies enregistrées par des Inuits. Nous versons plus de 20 millions de dollars en salaires aux employés de la région de Kivalliq.
Nous avons également signé trois ententes sur les répercussions et les avantages pour les Inuits. Nous croyons par ailleurs que ces arrangements sont la voie à suivre pour l’avenir. Cela permet un engagement formel de la part des partenaires en faveur du développement social, du développement économique et, fait plus important encore, du développement des ressources humaines.
De même, nous travaillons en étroite collaboration avec le gouvernement du Nunavut. Le projet générera des redevances de 450 millions de dollars au cours des 15 prochaines années.
En outre, j’aimerais aborder brièvement mon rôle au sein du Conseil économique de l’Arctique. Le CEA comprend des membres d’affaires provenant de huit pays arctiques et de six groupes de participants permanents reconnus par le Conseil de l’Arctique, ce qui est très important pour la crédibilité du comité et de toute l’association. Les membres de la collectivité locale sont l’Aleut International Association, le Conseil circumpolaire inuit, le Saami Council, l’ARPAN, l’Association russe des populations autochtones du Nord, et l’Arctic Athabaskan Council. Le CEA compte cinq groupes différents : le transport maritime, la mise en valeur responsable des ressources — celui auquel je collabore le plus —, les investissements en matière de connectivité, l’infrastructure et l’énergie.
En tant que membre du comité de mise en valeur responsable des ressources, j’ai le plaisir d’annoncer que le plus récent rapport du comité a été produit. Il sera affiché sur la page web du Conseil économique de l’Arctique. C’est le fruit d’un travail d’environ un an et demi au cours duquel nous avons pu formuler des recommandations sur plusieurs sujets. Notre conclusion porte à croire que l’exploitation minière constitue indéniablement un volet essentiel de la prospérité accomplie de la région, à moyen et à long termes.
Des projets fructueux d’exploitation des ressources minières instaurent la confiance et créent des relations avec les collectivités autochtones directement touchées par ces ressources. Notre rapport se veut une ressource permettant de comprendre les meilleures pratiques dans le Nord et les défis uniques auxquels nous sommes confrontés lorsque nous élaborons ces projets. Les recommandations portent sur cinq sujets différents : la capacité humaine, la construction d’infrastructures, la viabilité économique, le partage de données et l’accessibilité. Cela contribuera à assurer une mise en valeur responsable des ressources et renforcera la réputation de l’industrie en tant que moteur du développement durable dans la région. Comme je le disais, le rapport sera disponible cette semaine sur la page web du Conseil économique de l’Arctique.
En concluant, j’aimerais souligner l’immense contribution de M. Larry Connell à la rédaction de ce rapport. Professionnel bien connu du secteur minier, il a consacré presque toute sa carrière à la mise en valeur des ressources minières dans l’Arctique.
Je tiens à vous remercier de votre attention. Nous attendons avec impatience les conclusions du comité afin de voir comment nous pourrions contribuer à renforcer notre présence dans l’Arctique. Monsieur le président, merci, Mat’na.
Le président : J’aimerais remercier les témoins de s’être joints à nous de loin et de nous avoir aidés à nous concentrer sur ce thème important des institutions et de la coopération circumpolaires.
La sénatrice Bovey : Merci à tous de vos exposés. Je m’intéresse particulièrement à l’évolution de la recherche sur les problèmes de santé dans le Nord. J’ai eu plaisir à lire le résumé d’un article sur la recherche en santé circumpolaire et le groupe qui a vu le jour en 1967. Si je ne me trompe pas, l’attention est passée de la biologie à la sociologie de la santé au cours des 50 dernières années. Monsieur Voevoda, vous avez évoqué les particularités génétiques, les différences socioéconomiques dans la région circumpolaire et les conditions particulières. Monsieur Koch, vous êtes assurément revenu sur ce point.
Je me demande si vous pouvez parler un peu de ce changement touchant les recherches, qui sont passées de la biologie à la sociologie de la santé, et corrigez-moi si je me trompe, les recherches actuelles portent sur l’épidémiologie des populations autochtones du Nord, la prestation des soins de santé dans le Nord et l’effet des facteurs physiques, en particulier le froid et l’obscurité, sur la physiologie et la santé humaines.
Pourriez-vous approfondir ces aspects pour nous? Corrigez-moi encore si je me trompe, mais je pense que vous avez travaillé à la fois sur les populations autochtones et sur les répercussions sur les gens qui vivent dans le Nord depuis des siècles, ainsi que les nouveaux arrivants, les peuples non autochtones.
Pourriez-vous nous donner plus de contexte en ce qui concerne votre travail? Je crois comprendre que c’est différent par rapport au Sud, et cela m’intéresse beaucoup.
M. Voevoda : Merci beaucoup de vos questions. Je vais essayer d’être relativement bref.
Au début de l’histoire de la recherche médicale, l’accent était mis principalement sur les problèmes infectieux, comme la tuberculose, par exemple. On a conclu que les populations autochtones étaient relativement exemptes de maladies répandues dans le reste de la société, comme le diabète et d’autres maladies dites liées à la civilisation.
La situation est maintenant très différente, et nous savons que les populations autochtones sont encore plus exposées aux maladies liées à la civilisation que les populations de l’Europe occidentale. À l’heure actuelle, nous pouvons constater que les maladies cardiovasculaires, le diabète et d’autres maladies courantes sont très répandues chez les populations autochtones. Tout cela s’est fait au cours de 60 ans. Nous n’avons pas vu autant de cas de tuberculose ou d’autres maladies infectieuses, lesquelles ont joué le rôle le plus important dans les siècles précédents.
Pour comprendre l’origine de ce changement, nous sommes passés du contexte biologique aux facteurs socioéconomiques. Ainsi, un mode de vie sain permet de remédier à la situation et constitue une transition par rapport à ces maladies, passées et présentes. Voilà, selon nous, l’ensemble de la situation et ce qu’il en est maintenant.
Le président : Merci. Monsieur Koch, pouvez-vous ajouter quelque chose à cela, s’il vous plaît?
M. Koch : Oui, et j’aimerais remercier la sénatrice d’avoir posé la question. Il est tout à fait exact que le mouvement pour la santé circumpolaire, comme tel, a commencé autour de 1967 dans le cadre d’un symposium en Alaska, qui mettait l’accent, à juste titre, sur la biologie. Cependant, au lieu de dire que l’accent est maintenant mis sur la santé sociale plutôt que sur la biologie, je dirais que l’univers ou le domaine de la santé circumpolaire s’est élargi de sorte qu’il inclut non seulement les facteurs relatifs à la vie dans les régions arctiques, où il fait froid et où les conditions biologiques sont particulières, mais également les changements relatifs à la santé et les effets sur les modes de vie et les conditions environnementales qui évoluent.
Dans le cadre du mouvement pour la santé circumpolaire, nous examinons un large éventail de problèmes de santé, mais nous reconnaissons aussi que nous ne parlons pas simplement d’une région; bien que les conditions de vie soient quelque peu semblables, d’une région à l’autre les problèmes de santé sont différents. Les systèmes de santé en place dans le Nord de la Russie, où on observe des taux croissants de tuberculose, peuvent être différents de ceux au Groenland, où les taux élevés de tuberculose ont peut-être diminué, quoiqu’il demeure tout de même difficile d’enrayer complètement la maladie.
Il y a aussi les conditions politiques. Les pays circumpolaires sont extrêmement différents les uns des autres, et leur situation politique varie aussi grandement. Le Groenland, par exemple, est un pays indépendant où la majorité des peuples sont autochtones, alors que dans le Nord du Canada, le Nord de l’Alaska et le Nord de la Russie, les populations autochtones sont minoritaires et vivent des problèmes particuliers.
Le mouvement pour la santé circumpolaire est assez vaste. Nous nous penchons sur de nombreux problèmes de santé différents.
La sénatrice Bovey : J’ai une question complémentaire. Comme je l’ai dit quand j’ai posé ma première question, je trouve cela très intéressant. Dans le cadre de votre recherche, examinez-vous les données médicales empiriques ainsi que le savoir autochtone? Si oui, de quelle manière combinez-vous ces deux éléments?
M. Koch : Dans le cadre de nos conférences, nous présentons la recherche sous les deux angles. Dans tous les pays circumpolaires, nous travaillons beaucoup avec le savoir autochtone et les approches à privilégier à l’égard de divers problèmes et nous en discutons.
Nous examinons les données épidémiologiques et biologiques d’un point de vue purement scientifique, mais nous nous penchons également sur le savoir et les traditions des populations circumpolaires.
La sénatrice Bovey : Croyez-vous que ces deux traditions se mêlent bien, de manière à vous permettre d’approfondir vos connaissances et votre compréhension à l’égard des conditions particulières dans l’Arctique?
M. Koch : Tout à fait. Je vais vous donner un exemple. Les taux d’infections transmissibles sexuellement et d’avortement sont élevés au Groenland. Cela a été étayé d’un point de vue épidémiologique. Nous examinons la microbiologie et les facteurs biologiques particuliers. Pourtant, nous devons assurément nous pencher sur la perspective de la population relativement à la santé sexuelle pour diminuer les taux. Ce sont deux dimensions importantes du problème.
Tous ceux d’entre nous qui travaillent dans la région comprennent que nous devons nous pencher sur les problèmes du point de vue de la population et mettre à contribution les connaissances et les traditions locales.
La sénatrice Bovey : Merci.
La sénatrice Eaton : Merci beaucoup à tous les trois de vos exposés fort intéressants.
En ce qui concerne les particularités génétiques — la tuberculose, peut-être; l’empoisonnement au mercure lié aux poissons; la toxicomanie, assurément, comme nous l’avons constaté; le diabète, dont vous avez parlé —, ma préoccupation touche plutôt la façon de garder les professionnels de la santé dans le Nord. Nombre de ces particularités peuvent être attribuables au fait que nous avons privé les Inuits de leur mode de vie traditionnel, c’est-à-dire la chasse. Ils sont entassés dans des logements surpeuplés. Je ne sais pas si la situation est la même où vous travaillez tous les deux, mais c’est assurément le cas dans le Nord canadien. Cela engendre de la toxicomanie et de la violence, et le fait qu’ils mangent ce que nous leur envoyons parfois plutôt que des aliments traditionnels est probablement une cause de diabète.
Avez-vous des observations à faire à ce sujet?
D’après votre expérience, comment pourrions-nous attirer les professionnels de la santé dans le Nord et les inciter à rester?
M. Voevoda : Ce n’est pas une question simple. Il n’y a pas de réponse simple.
D’après l’expérience des Russes, pendant la période soviétique, le salaire était le mécanisme le plus puissant pour motiver les gens qui travaillaient dans le Nord, y compris les fournisseurs de soins de santé.
En effet, cela fonctionne également de nos jours, car le salaire moyen des travailleurs de la santé dans le Nord est environ trois fois plus élevé que le salaire moyen au pays, ce qui est important.
La sénatrice Eaton : Si je suis médecin à Moscou et que je vais travailler dans le Nord, vais-je gagner un salaire trois fois plus élevé?
M. Voevoda : Oui. Le salaire y est trois fois plus élevé. Le fait de motiver les peuples autochtones à exercer une profession médicale est un autre mécanisme important. Le processus est plus simple pour le personnel infirmier et plus complexe lorsqu’il s’agit d’enseignement médical supérieur, mais tout de même, cela fonctionne. Dans certaines parties du Nord de la Russie, nous réussissons assez bien. La majorité des membres du personnel médical sont Autochtones. C’est plus complexe dans de petits groupes autochtones, mais tout aussi efficace. Dans certains cas, des professionnels de la santé autochtones suivent des études scientifiques spécifiques.
Ce qui est plus difficile, c’est de savoir exactement comment motiver les peuples autochtones à préserver leur mode de vie traditionnel à certains égards, particulièrement en ce qui concerne leur alimentation.
J’ai tenté de vous répondre en toute honnêteté à partir de la situation que nous vivons en Russie.
Le président : Merci.
M. Koch : La sénatrice soulève des questions pertinentes. Je travaille principalement au Groenland. Comme dans d’autres régions circumpolaires, il est difficile de recruter du personnel. Nous n’avons pas trouvé de solution miracle. À long terme, la solution la plus efficace et viable serait de former le plus de membres du personnel infirmier, de médecins, de sages-femmes et de professionnels de la santé groenlandais possible, car ils sont plus susceptibles de rester au Groenland. Nous déployons des efforts en ce sens. Nous devons comprendre qu’il n’est pas possible d’y arriver sans professionnels de la santé venant essentiellement du Danemark ou d’ailleurs.
La sénatrice Eaton : Excusez-moi, mais vous dites que vous ne pouvez pas y arriver sans professionnels de la santé du Danemark. Pourquoi? Parce qu’ils ne sont pas à l’aise?
M. Koch : Non, j’ai dit du Groenland.
Nous avons tout de même besoin de médecins et de personnel infirmier venant du Danemark. Comme l’a dit M. Voevoda, l’un des moyens d’y parvenir est de rendre le travail plus attrayant ici. Il faut le rendre extrêmement intéressant du point de vue personnel. Nous ne pouvons pas payer des salaires trois fois plus élevés que ce que gagnent les professionnels au Danemark. Toutefois, si on leur donne une éducation, de bonnes conditions de travail et, fait très important, que l’on établit des partenariats avec les établissements de santé et les hôpitaux au Danemark — peut-être des postes jumelés — afin qu’ils puissent accroître leurs compétences professionnelles et travailler dans une partie du monde où ils sentent qu’ils réussissent mieux qu’au Danemark, cela pourrait aider.
Le président : Merci beaucoup.
M. Gilbert : La question des défis auxquels fait face l’Arctique est importante non seulement pour les professionnels de la santé, mais également pour différents types de professionnels. Dans une certaine mesure, je ferais le parallèle avec les répercussions humaines des difficultés que nous éprouvons actuellement dans l’industrie minière à recruter des ingénieurs, des géologues et d’autres professionnels. Nous voulons que tous nos employés viennent du site minier. C’est facile à dire, mais nous devons élaborer ensemble un plan d’action pour réussir à faire la même chose que nous avons fait ailleurs au pays et à différents endroits dans le monde.
Je souligne le fait qu’il n’y a pas d’université au Nunavut et affirme que ce ne devrait pas être ainsi. Je vais vous donner un exemple concret : si nous voulons avoir des professionnels dans les régions où nous en avons besoin, il nous faut d’abord des écoles qui peuvent offrir la formation requise. Puis, nous devons reconnaître le fait que ce n’est pas seulement en augmentant le salaire que nous arriverons à attirer des gens. Les gens resteront où ils sont, car c’est leur territoire, l’endroit qu’ils connaissent et le lieu où ils ont l’habitude de vivre.
La sénatrice Eaton : Lorsque nous avons visité votre mine, Meadowbank, j’ai été frappée par sa beauté et par la nourriture offerte à la cafétéria pour le déjeuner. Les logements étaient chauds et confortables. On s’y sentait très en sécurité. Je pense que cela en soi pourrait être très attrayant pour bien des gens qui vivent dans de petites collectivités isolées du Nord.
Vous pouvez hausser les épaules, car vous êtes probablement habitué à cela, mais est-ce parce qu’il y a une insécurité alimentaire et un manque de logements acceptables dans le Nord? Est-ce aussi pour cette raison que les professionnels de la santé du Sud ne sont pas attirés par le Nord?
M. Gilbert : Je ne suis pas sûr de bien comprendre votre question.
[Français]
La sénatrice Eaton : Dans de nombreuses petites communautés, il n’y a pas de sécurité alimentaire au quotidien. Il n’y a pas non plus le confort d’une maison. On est habitué à vivre dans le Sud; on a notre appartement et on ne le partage pas avec 15 autres personnes. Y a-t-il d’autres facteurs, en plus du logement et de la sécurité alimentaire, qui font qu’on a de la difficulté à attirer du personnel médical dans le Nord?
M. Gilbert : Je respecte votre commentaire, mais je suis davantage en mesure de constater les défis que nous avons par rapport aux professionnels qui travaillent dans les mines. En ce qui concerne les professionnels de la santé, j’imagine que vous avez des points qui ont été étudiés ou qui seront étudiés.
[Traduction]
Toutefois, si vous voulez réussir à garder les professionnels à long terme, vous devez former ces professionnels dans la région. Vous devez avoir comme perspective et but à long terme d’attirer ces gens qui ont grandi sur le territoire afin qu’ils offrent leurs services à ceux avec qui ils ont grandi et de les retenir.
Le président : Pour poursuivre dans la même veine, monsieur Gilbert, nous avons été impressionnés par le programme de formation échelonné qu’a établi Agnico Eagle pour ses opérations au Nunavut. Je crois que le taux d’Inuits au sein du personnel était d’environ 36 p. 100 à Meadowbank lorsque nous étions là, et cela allait en augmentant.
Vous avez dit avoir connu des réussites ailleurs. Pouvez-vous me dire comment l’entreprise procède pour employer des personnes issues des peuples autochtones dans sa mine en Finlande? Comment la situation a-t-elle évolué?
M. Gilbert : Je vais parler précisément de la Finlande. Tous nos employés viennent de la Finlande. Au début, nous avions environ 1 ou 2 p. 100 d’employés canadiens à des fins de transfert de la culture et du savoir, mais maintenant, tous nos employés sont Finlandais.
C’est la même chose au Mexique. Dans des endroits où d’autres entreprises minières canadiennes compteraient habituellement un certain nombre d’expatriés, notre main-d’œuvre est entièrement locale, car je crois que les circonstances s’y prêtaient. Sur le plan culturel, nous croyons que la seule façon de préserver le succès d’une région est de permettre aux gens de s’approprier le site minier, pas seulement les employés et la direction, mais les dirigeants communautaires. C’est pourquoi, lorsque nous nous trouvons dans une nouvelle région, il est aussi important de chercher à faire accepter notre présence au moyen d’ententes sur les répercussions au Nunavut et de différentes ententes dans d’autres administrations où nous exerçons nos activités.
Il en va de même pour d’autres endroits au Canada. En Abitibi, dans le nord-ouest du Québec, il y a 15 ou 20 ans, nous n’aurions pas pu envisager d’avoir des ententes sur les répercussions avec les Premières Nations. Le fait de travailler en étroite collaboration avec les groupes autochtones qui utilisaient les terres et, dans certains cas, en étaient propriétaires, c’est un aspect important de notre réussite à long terme. Tout cela pour dire que nous croyons réellement que la réussite du secteur minier et le développement durable de nos activités doivent appartenir aux résidants de ces sites miniers.
Le président : Il faut une attitude d’entreprise éclairée pour réussir, monsieur Gilbert. Je pense que c’est ce que vous dites.
La sénatrice Coyle : Merci à tous nos témoins ici présents ce matin. Je vais commencer par M. Gilbert. Merci d’être avec nous. Comme mes collègues l’ont dit, nous avons grandement apprécié notre visite à Baker Lake, puis à Meadowbank, et nous avons appris beaucoup de choses. C’était utile de nous adresser à la collectivité qui est la plus près de la mine et qui est la plus touchée de manière positive et autre.
Je m’intéresse à l’industrie minière et à l’Arctique canadien à une échelle plus générale. Je sais que vous représentez une seule entreprise et que, d’après ce que je comprends, on commence tout juste à exploiter les ressources dans l’Arctique canadien.
Lorsqu’on examine les collectivités, soit l’une des choses dont nous parlons ici aujourd’hui, et la santé, le fait d’adopter une approche plus éclairée à l’égard de l’exploitation et de la durabilité des ressources, je suis curieuse, car nous connaissons l’expérience du secteur minier. Les sociétés minières se rendent sur place, procèdent à l’extraction des ressources, les transforment peut-être puis les vendent, mais, une fois ces étapes terminées, c’est chose du passé.
Dans de nombreux endroits et bien des collectivités à l’échelle du Canada et dans le monde, il y a eu ce cycle d’expansion et de ralentissement. La situation peut être absolument fantastique en période d’expansion. Lorsqu’on examine les changements qui se produisent dans l’Arctique, ce qui est notre mandat en tant que comité, comment peut-on voir les mines comme un secteur qui évolue au fil du temps et qui contribue à la santé et au bien-être des gens dans l’Arctique canadien de manière durable? Je suis certaine qu’il y a eu certaines prévisions pour de nombreuses années à venir. J’aimerais connaître ces prévisions et savoir ce que vous avez appris de vos premières incursions et en quoi cela influera sur l’avenir afin que nous puissions continuer de garantir le genre d’avantages dont vous avez parlé.
M. Gilbert : Je peux faire quelques commentaires à ce sujet. Je vais commencer par la première partie de votre commentaire, qui faisait référence au secteur minier canadien en tant qu’entité. Bien sûr, de plus en plus de projets canadiens sont réalisés un peu partout dans l’Arctique. Nous avons une plus longue expérience dans l’Ouest du Canada que dans l’Est.
Néanmoins, pour ce qui est de réussir à trouver ces pratiques exemplaires à long terme qui sont utilisées dans l’industrie minière, j’ai fait référence au travail du Conseil économique de l’Arctique, le CEA, dans mon introduction. Bien sûr, il a été créé et dirigé par des Canadiens qui se posaient plus ou moins les mêmes questions que vous, avec beaucoup d’éloquence, au sujet des défis qui nous attendent à l’avenir.
Différents comités qui travaillent au sein du conseil essaient de trouver la meilleure façon d’assurer la viabilité du secteur minier dans l’Arctique. D’après les travaux réalisés au sujet du secteur minier, nous devons travailler en étroite collaboration avec les dirigeants des collectivités, puis prévoir quels seront les besoins à long terme pour que notre présence dans un lieu continue de produire des résultats positifs, et ce, même si nous exerçons nos activités de manière cyclique.
Ce que les sociétés minières font de plus en plus, c’est prévoir leurs besoins de main-d’œuvre à long terme. Dans notre cas, nous avons trois sites d’exploitation. Nous voulons nous assurer d’avoir une capacité suffisante pour éviter de diminuer notre présence sur un site minier de manière importante et être en mesure de transférer un groupe d’employés d’un site minier à l’autre.
Le président : Monsieur Gilbert, je pense que ce que vous dites, c’est que la viabilité d’une exploitation minière dépend de la création d’une main-d’œuvre qui est mobile et qui peut être affectée à d’autres projets.
Ai-je bien résumé la situation?
M. Gilbert : C’était la première partie de mon exposé. L’autre chose que je veux dire, c’est qu’on optimise de plus en plus l’exploitation minière. Vous ne verrez pas un travailleur qui a un profil de minier traditionnel formé pour un seul poste en particulier. De nos jours, les gens sont en mesure de faire de l’exploitation minière à partir de carrefours. Nous avons vu cela dans le sud du pays, en Ontario et au Québec, où un opérateur minier se trouvant au centre-ville de Sudbury peut utiliser de l’équipement souterrain à une distance de 50 kilomètres.
Le défi auquel nous faisons face dans l’Arctique, c’est de former des gens qui non seulement font leur travail manuellement, mais sont aussi capables de le faire à distance, et leur employabilité augmentera de manière considérable également. C’est un aspect important. Si un site minier ferme, vous pouvez rester à la maison et être en mesure de travailler dans un autre emplacement de travail.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, c’était très utile. Quant à nos deux autres témoins, monsieur Koch et monsieur Voevoda, vous vous êtes penchés sur vos environnements respectifs. J’aimerais savoir, en tant que membres de l’importante Union internationale pour la santé circumpolaire, où constatez-vous des effets positifs sur la santé, particulièrement chez les populations autochtones de la région circumpolaire? Pouvez-vous nous dire si vous avez enregistré des résultats positifs sur la santé dans certaines régions et à quoi vous attribuez ces résultats?
M. Voevoda : De manière générale, l’état de santé des Autochtones en Russie vient tout juste de rejoindre les conditions de santé de la population générale.
Nous observons une réelle amélioration au chapitre des maladies infectieuses. Bien sûr, les problèmes antérieurs concernant la santé de la mère et de l’enfant se sont améliorés considérablement à ce jour. De façon générale, la situation a évolué : les problèmes fréquents liés aux maladies infectieuses ont laissé place aux problèmes liés à des maladies communes occidentales. Évidemment, nous faisons face à de nombreux problèmes parallèlement. Comme vous l’avez mentionné, avec le développement au sein de l’industrie, les systèmes médicaux évoluent grandement.
Par exemple, à l’époque soviétique, nous avons mis sur pied un organisme mobile de systèmes prophylactiques destiné essentiellement au diagnostic de la tuberculose. Par ailleurs, cela a permis de résoudre de nombreux autres problèmes. Dernièrement, il a été détruit. À l’heure actuelle, nous organisons le système de nouveau. Nous revenons en quelque sorte à ce que nous avons fait par le passé avec les groupes mobiles de médecins spécialistes qui peuvent se déplacer rapidement pour offrir non seulement des services d’urgence, mais aussi des traitements prophylactiques aux gens dans les localités éloignées.
Le président : Merci. Monsieur Koch, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Koch : Bon nombre d’exemples témoignent de l’amélioration de la situation. Le taux de mortalité infantile diminue en Alaska et au Groenland. Le taux de tabagisme diminue. Le taux d’alcoolisme est à la baisse. En ce qui concerne l’hépatite B en Alaska, il y a considérablement moins de cas d’hépatite chronique en raison des programmes de vaccination ciblée. En outre, en ce qui a trait à la tuberculose, le Nord du Canada, l’Alaska et le Groenland affichaient les taux de tuberculose les plus élevés au monde durant les années 1950, mais ces taux ont diminué considérablement.
Le taux de suicide diminue, particulièrement dans les grandes villes du Groenland. De plus, la prestation de soins de santé s’améliore à nombre d’endroits dans le monde circumpolaire.
Il va sans dire que certaines mesures fonctionnent très bien.
La sénatrice Coyle : Nous n’avons pas le temps de nous pencher sur chacun de ces éléments aujourd’hui. Si vous pouviez nous fournir plus de renseignements à propos de ces facteurs — car nous voulons aussi en apprendre plus au sujet des aspects positifs — et des effets des diverses interventions et approches que vous avez décrites, cela nous serait très utile.
Le président : Je vais peut-être poser une question supplémentaire. Monsieur Voevoda, pendant votre déclaration liminaire, vous avez parlé des particularités génétiques des Autochtones qui les rendent vulnérables à certaines maladies. Pourriez-vous nous en dire davantage sur le sujet?
M. Voevoda : Oui, bien sûr. Il existe certains exemples connus de particularités génétiques; en fait, il y en a beaucoup. Nous savons que certains gènes prédisposent précisément cette population à certains problèmes de santé.
De façon générale, j’insiste sur le fait que les grandes populations des régions circumpolaires, de la Sibérie au Groenland, sont beaucoup plus étroitement liées entre elles qu’elles ne le sont avec d’autres populations. Ces groupes autochtones et les Autochtones d’Amérique ont aussi des origines communes. Il y a de nombreuses années, même pendant les années 1950, un généticien américain très connu a constaté que ces populations possédaient un gène qui pouvait les aider à survivre durant des périodes particulièrement catastrophiques de pénurie alimentaire. Lorsqu’elles se trouvent dans la situation actuelle et qu’il n’existe aucune restriction alimentaire, ces populations développent des maladies chroniques plus rapidement que d’autres populations, comme l’obésité et tout un éventail de maladies connexes.
Nous connaissons certains de ces gènes. Pas tous, mais certains d’entre eux.
Le président : Merci beaucoup de ces précisions.
La sénatrice Anderson : Je vous remercie des renseignements que vous nous avez fournis ce matin.
Au Canada, des avocats préparent actuellement un recours collectif intenté par des Inuits qui ont été victimes de discrimination au sein du système de soins de santé canadien. Est-ce un problème présent sur la scène internationale, et si c’est le cas, que pouvons-nous faire pour lutter contre la discrimination à l’endroit des Autochtones dans le domaine des soins de santé?
M. Voevoda : J’ignore s’il existe de tels problèmes en Russie. À ma connaissance, ce n’est pas un problème présent dans d’autres pays. M. Koch me corrigera peut-être si je me trompe.
M. Koch : Plutôt que de parler de discrimination, je dirais qu’il y a des écarts au chapitre des soins de santé dans l’ensemble du monde circumpolaire. Il est évident que les personnes qui vivent dans des collectivités éloignées ont plus difficilement accès à des soins de santé. Pourtant, en Alaska, par exemple, la population autochtone a accès à des soins de santé gratuits, contrairement à la population non autochtone de l’Alaska.
Au Groenland, il n’y a pas de discrimination dans le domaine de la santé en fonction des origines ethniques. Il y a pourtant des écarts au chapitre des soins de santé dans les régions éloignées, là où vivent les populations autochtones du Groenland. En ce sens, il existe une disparité en santé. Selon moi, nous ne voyons pas de discrimination en matière de santé.
Le président : Sur ce, j’aimerais remercier les témoins qui se sont joints à nous de leur région lointaine. Je remercie aussi M. Gilbert d’être ici présent ce matin. Nous avons eu une séance très enrichissante.
Nous examinerons le rapport du Conseil économique de l’Arctique. Merci de nous avoir informés de sa parution imminente.
Pour notre deuxième groupe de témoins aujourd’hui, je suis heureux d’accueillir Sandra Kunuk Inutiq, négociatrice en chef, Entente sur les avantages pour les Inuit de Tallurutiup Imanga, de la Qikiqtani Inuit Association, et Christopher Debicki, vice-président, Développement de politique et conseil de Oceans North. Merci à tous les deux d’être ici avec nous aujourd’hui.
Nous allons peut-être commencer par Mme Kunuk Inutiq, qui sera suivie de M. Debicki. Il y aura une période de questions et réponses par la suite.
Sandra Kunuk Inutiq, négociatrice en chef, Entente sur les avantages pour les Inuits de Tallurutiup Imanga, Qikiqtani Inuit Association : Nous soulignons aujourd’hui le 20e anniversaire de la création du territoire du Nunavut. Il me semble approprié d’être ici pour parler de Tallurutiup Imanga comme modèle de conversation pour la région de Qikiqtaaluk ou de Baffin. Nous sommes en train de négocier avec le gouvernement du Canada pour créer une aire marine de conservation. Dans le cadre de notre revendication territoriale au Nunavut, nous exigeons qu’une entente sur les répercussions et les avantages soit conclue avec les Inuits avant la création de l’aire marine de conservation.
Notre objectif est de conclure cette entente sur les répercussions et les avantages d’ici le début de juin. La revendication territoriale des Inuits était motivée par notre désir de protéger notre mode de vie; les Inuits veulent avoir un droit de regard sur l’utilisation, la gestion et la conservation de la faune, des terres, de l’eau et des autres ressources. Il s’agit là d’appliquer les droits pour lesquels nous nous sommes battus. Les Inuits essaient de protéger Tallurutiup Imanga depuis le début de l’exploration durant les années 1970, essentiellement pour aider à faire avancer le règlement des revendications territoriales.
Cette région, où la faune est abondante, assure la subsistance des Inuits et leur procure un mode de vie, et elle a été qualifiée de Serengeti de l’Arctique. Elle est vaste. Elle couvre 109 000 kilomètres carrés.
Les Inuits sont des gens de la mer. Il se trouve que notre océan est gelé la majeure partie de l’année. Nous dépendons grandement de la vie marine pour nous alimenter.
Dans son rapport publié en octobre 2016 par le gouvernement du Canada et intitulé Un nouveau modèle de leadership partagé dans l’Arctique, Mary Simon propose une économie de conservation. Dans leur proposition au Canada, les Inuits de Qikiqtaaluk expliquent ce que signifie pour eux l’expression « économie de conservation ». Elle inclut l’infrastructure maritime et communautaire, un modèle d’intendance appelé Uattijiit — comme un programme de gardiens fondé sur le fait que les Inuits parcourent déjà leur environnement terrestre et marin et mettant de l’avant le fait que les Inuits sont déjà les yeux et les oreilles de leur terre natale —, ainsi qu’un modèle de recherche rigoureux, orienté par la stratégie de recherche de l’Inuit Tapiriit Kanatami, qui permet aux Inuits de définir leurs propres priorités en matière de recherche.
Nous avons également accepté d’envisager des moyens pour créer une aire marine de conservation dans le bassin de l’Extrême-Arctique ou Tuvaijuittuq. En résumé, nous appuyons la chasse comme mode de vie. Il s’agit d’un modèle économique qui a bien résisté à l’épreuve du temps et qui fonctionne pour les Inuits depuis les tout premiers peuplements.
Le président : Merci beaucoup.
Christopher Debicki, vice-président, Développement de politique et conseil, Oceans North : Bonjour, distingués sénateurs. Je vous remercie, monsieur le président, mesdames et messieurs, de me donner la possibilité de prendre la parole devant vous ce matin. Je m’appelle Christopher Debicki, vice-président, Développement de politique et conseil, Oceans North. Nous sommes un organisme canadien sans but lucratif dont les activités sont axées sur la conservation marine dans les océans nordiques du Canada. Nous mettons l’accent sur des solutions conçues dans l’Arctique grâce à des partenariats avec des organisations autochtones et des collectivités nordiques afin d’encourager la résilience et l’abondance écologiques dans cette région. Nous sommes très fiers du fait que Mary Simon, dont a parlé Mme Inutiq, a récemment repris la présidence de notre conseil d’administration. Je suis certain que le comité connaît bien la formidable carrière qu’elle a menée comme penseuse et ambassadrice du Nord et militante pour le droit des Autochtones.
En effet, son rapport — auquel Sandra a fait allusion — continue d’éclairer grandement les conversations nationales et régionales au sujet de l’approche stratégique du Canada pour l’Arctique et du besoin de mettre le mieux-être humain et, par extension, la protection de l’environnement au cœur de tous nos efforts. Mary nous rappelle qu’il est inacceptable pour quiconque, et encore plus pour les écologistes de tout acabit, d’exercer des pressions en faveur d’un certain genre de protection absolue d’un Arctique intact, comme s’il ne s’agissait pas d’un endroit peuplé.
Nous avons commencé à déployer nos efforts dans l’Inuit Nunangat, et c’est principalement là que nous travaillons à ce jour. Je veux être clair : nous ne sommes pas là pour parler au nom des Inuits, des organisations inuites ou d’une circonscription autochtone. Nous travaillons dans les régions nordiques où les Inuits sont majoritaires et où les conversations au sujet des enjeux environnementaux et de la conservation ne peuvent pas avoir lieu en vase clos. Nous sommes éclairés par le contexte social et orientés par les voix de nos partenaires du Nord.
Personnellement, j’ai été façonné par ma propre expérience du Nord canadien. Je suis arrivé pour la première fois à Iqaluit en 2004. J’étais un avocat de la défense en droit criminel qui manquait d’assurance, et je travaillais, comme le président — le sénateur Patterson —, aux Maliiganik Tukisiiniakvik Legal Services, dans la région de Baffin.
Le travail m’a plu énormément. J’ai toujours été un avocat sensible, et je n’étais pas capable de contenir mes émotions et de les séparer de mon travail. L’histoire de la vie d’un grand nombre de mes clients — le mal qu’ils ont subi et qu’ils ont fait subir à d’autres personnes — m’a laissé profondément troublé.
Après avoir travaillé au tribunal, enseigné à la prison et eu affaire à des dizaines et des dizaines de gens — surtout des hommes — ayant des démêlés avec le système de justice pénale, j’ai commencé à bien connaître les profils de dysfonction sociale et l’infinité de façons dont ces tragédies se déroulent. L’un des mécanismes d’adaptation que j’ai découverts et qui m’ont probablement sauvé de mécanismes d’adaptation malsains consistait à passer le plus de temps possible dans la nature. J’ai eu la chance qu’un homme merveilleux, dont le titre d’emploi — aide judiciaire autochtone — en faisait un employé rémunéré par le fédéral, a décidé pour une raison ou une autre de m’amener chasser et pêcher avec sa famille et de me communiquer au moins assez de ses incroyables compétences liées à la terre pour m’empêcher de me tuer par une quelconque combinaison d’excès de confiance et d’inaptitude. Abraham m’a aidé à voir un monde naturel accueillant, riche et abondant, là où je voyais auparavant un paysage hostile et menaçant. Les leçons qu’il m’a enseignées me sont restées et, de bien des manières, ont façonné la vie que je mène depuis.
J’ai appris une autre leçon durant ces premières escapades dans la nature. C’est quand que je me promenais dans les sentiers, tendais des filets de pêche, installais des tentes en toile, buvais du thé et profitais des cabanes de chasse que j’ai commencé à rencontrer des familles dont l’histoire contrastait avec ce que je voyais devant les tribunaux. Ces familles prospéraient. À ce moment-là, j’ai appris quelque chose qui a été confirmé encore et encore depuis, c’est-à-dire que les familles qui passent encore du temps dans la nature se portent tout simplement mieux.
Trop souvent, des obstacles importants se dressent entre les habitants du Nord et le monde naturel, à l’extérieur de leur collectivité. Une fois que les grands-parents et les petits-enfants ne parlent plus la même langue, une fois qu’une génération ou deux ont perdu les compétences liées à la terre, il faut beaucoup de travail pour récupérer ces éléments.
De surcroît, les traditions évoluent. Maintenant, les compétences liées à la terre englobent également beaucoup de technologies, lesquelles ne sont pas bon marché dans le Nord.
Même si nous savons que les familles qui passent du temps dans la nature tendent à se porter mieux, il est aussi vrai que celles qui se portent mieux sur le plan matériel sont davantage en mesure de passer ces moments importants dans la nature.
En quoi est-ce lié à la conservation? J’affirmerais qu’il y a beaucoup de liens.
Je tiens pour acquis aujourd’hui, devant le distingué comité, que la nécessité des efforts de conservation dans l’Arctique visant à assurer la protection d’écosystèmes qui n’existent nulle part ailleurs sur la Terre... Aux fins de ma comparution, je veux faire semblant de m’adresser à un groupe de sénateurs nommés par le Parti vert.
Ce sur quoi je me concentre et qui m’a amené ici après ce long parcours, lequel m’a façonné et a commencé dans un bureau d’aide juridique miteux, c’est la relation entre les habitats solides et productifs et le bien-être social. Je ne suis pas en train de proposer une panacée pour tous les maux de nos collectivités arctiques. Je veux souligner, au moyen de quelques-unes des initiatives que nous avons tenté d’appuyer, l’importance des efforts de conservation dans l’Arctique et pourquoi, au-delà de l’atteinte des engagements internationaux, ils sont importants pour notre bien-être national.
D’abord et avant tout, nous espérons une réussite dans Tallurutiup Imanga, et je suis heureux que Mme Inutiq ait comparu avant moi aujourd’hui. Je voudrais profiter de l’occasion pour la féliciter, ainsi que la Qikiqtani Inuit Association, de leur persévérance et de leur vision.
Au moment où, les responsables de l’association ont commencé les négociations avec le gouvernement fédéral, des aspirations concurrentes existaient à l’égard de cet endroit, que nous appelions encore à l’époque le détroit de Lancaster, nom qui lui avait été donné par l’amirauté britannique. Nous espérons que, à titre de plus grande AMNC du Canada, Tallurutiup Imanga fera l’objet d’engagements en matière d’infrastructure et d’une surveillance et d’une intendance à long terme. Si le travail est bien fait — et nous avons toutes les raisons de croire qu’il le sera —, cette AMNC devrait créer des possibilités d’emploi pour les collectivités de l’Extrême-Arctique, lesquelles tiendront compte de la valeur intrinsèque incroyable des compétences liées à la terre qui, jusqu’à maintenant, existaient en marge de l’économie fondée sur les salaires.
Tallurutiup Imanga sera la preuve vivante que la conservation et le développement peuvent coexister; en effet, le plus grand projet de développement industriel et ce qui est probablement déjà le plus important employeur privé du Nunavut se trouvent dans la même région. La mine de fer de la rivière Mary, que le comité connaît sans aucun doute, emploie à peu près 900 personnes dans les installations minières et portuaires, et, au dire de tous, elle est rentable grâce à sa production actuelle.
Je remarque qu’il s’agit d’un enchaînement intéressant, du fait que nous avons entendu le témoignage d’un représentant d’Agnico Eagle Mines ce matin. Le nombre d’Autochtones qu’emploie Baffinland est bien inférieur à celui de mines nordiques comparables situées à l’intérieur ou à côté de collectivités autochtones, notamment les mines de Voisey’s Bay et d’Agnico Eagle, au Nunavut.
Pour l’instant, les Inuits occupent encore une très petite part des emplois à la mine de la rivière Mary, soit quelque part dans la fourchette des 12 à 14 p. 100, et ils sont presque tous en bas de l’échelle salariale. Mon but n’est pas de minimiser l’importance de 100 emplois ni les très importantes redevances qui devraient un jour être versées aux Inuits grâce à ce projet. La mine procure des avantages économiques très réels, mais un bien trop grand nombre des avantages nets qui s’y rattachent vont vers le Sud, ce qui nous rappelle que 70 années d’imposition d’un système d’éducation n’ont pas réussi à créer une main-d’œuvre pour l’économie fondée sur les salaires existants.
Même si une nouvelle entente sur les retombées et un accroissement au chapitre des investissements dans la formation visent à faire augmenter l’embauche d’Inuits à la mine, l’analyse du marché du travail réalisée par la société elle-même porte à croire que l’expansion proposée de l’effectif et la hausse de la production à la mine entraîneront, selon toute probabilité, une réduction encore plus grande de la part d’Inuits.
Soit dit en passant, nous avons récemment commandé un rapport d’un économiste de l’Université du Manitoba, John Loxley, qui conclut que, si la mine prend de l’expansion trop rapidement, les Inuits pourraient ne pas être bien placés pour capitaliser les revenus qui devraient être générés grâce à la ressource.
S’il fait l’objet d’une solide intendance locale, Tallurutiup Imanga devrait fournir une certaine assurance aux gens de Mittimatalik — Pond Inlet —, en particulier ceux qui vivent le plus près de la mine et qui craignent de plus en plus le transport industriel dans le détroit d’Éclipse et encore plus l’accroissement proposé à cet égard.
L’autre initiative que je veux souligner, c’est l’effort déployé par la Commission Pikialasorsuaq. Pikialasorsuaq, qui est un mot groenlandais signifiant « une grande remontée d’eau » et qui a été surnommé « les eaux du Nord » par les premiers baleiniers européens, est la plus grande polymie — ou mer libre à l’année longue entourée de glace — dans l’hémisphère Nord. Ce lieu suscite un grand intérêt de la part des scientifiques, qui visitent habituellement la région à bord d’un brise-glace.
Son importance pour les Inuits remonte à bien avant l’avènement de la chasse à la baleine par les Européens. L’arche de glace nordique qui s’étend de l’île d’Ellesmere et au Groenland forme le pont sur lequel les Inuits et leurs ancêtres ont marché pour aller s’établir au Groenland. La polymie, où le soleil peut être absorbé dans les eaux libres parce que la glace ne le réfléchit pas, est une zone productive qui permet à de gros animaux de se nourrir, lesquels à leur tour, alimentent les établissements humains les plus nordiques au monde depuis au moins 5 000 ans.
Les collectivités du Nunavut et de l’Avanersuaq, c’est-à-dire le nord-ouest du Groenland, continuent de dépendre de la productivité de la polymie. En 2017, la Commission Pikialasorsuaq du Conseil circumpolaire inuit a publié un rapport recommandant, entre autres, que le Pikialasorsuaq soit géré conjointement par les Inuits de ces régions du Canada et du Groenland. La commission a fondé sa recommandation sur ce qu’elle avait entendu durant les consultations auprès de gens de l’Extrême-Arctique des deux côtés de la baie de Baffin, qui avaient affirmé souhaiter fortement travailler en plus étroite collaboration les uns avec les autres, peut-être en raison de leur histoire commune.
Je remarque également que le comité a entendu des témoins groenlandais. Je l’encourage à enquêter le plus possible sur l’extraordinaire pays de comparaison qu’est le Groenland. Ce pays, qui fait face à un grand nombre des mêmes défis que le Canada arctique, affiche néanmoins des résultats légèrement meilleurs à presque tous les indicateurs socioéconomiques et relatifs à la santé. Nous pouvons apprendre beaucoup de choses.
Je suis grandement encouragé par le fait que nous menons nos activités à un moment où le gouvernement du Canada a non seulement reçu le rapport de la Commission Pikialasorsuaq, mais le prend au sérieux, au point d’avoir affecté un représentant à l’étude des options.
Enfin, en ce qui concerne le rapport de Mary Simon, les projets de gardiens qui sont mis en œuvre partout au pays et les ententes sur les retombées prévues entre la Qikiqtani Inuit Association et Parcs Canada, toutes ces choses nous rappellent que la conservation, les lois et les politiques ne peuvent pas être abordées en vase clos. La protection de notre environnement marin commence par la protection des personnes qui occupent ces régions et nécessite des logements sûrs, une éducation de la petite enfance, une scolarisation pertinente et appropriée sur le plan de la culture et de la langue, une sécurité alimentaire pour les familles et des investissements concertés dans les services de soutien aux personnes qui ont subi un traumatisme.
J’espère que les prochaines étapes nous amèneront au-delà de la notion selon laquelle la conservation n’est qu’un compromis entre les emplois et l’environnement. Ce n’est pas un jeu à somme nulle. De fait, la conservation doit se traduire par des emplois. Ces emplois dans les collectivités autochtones auront des effets exponentiels, notamment la multiplication des bienfaits sociaux.
Par conséquent, j’espère que la fameuse approche pangouvernementale fait réellement intervenir le gouvernement en entier. Autrement dit, les processus de consultation et de négociation nécessaires à l’atteinte des cibles en matière de conservation devraient être abordés non pas comme le prix à payer pour des gains au chapitre de la conservation, mais plutôt comme le cadre d’une amélioration sur le plan de l’environnement, et donc humain. Merci.
Le président : Merci.
La sénatrice Bovey : Je veux vous remercier tous les deux. Vous avez abordé de nombreux éléments. Je me sens un peu comme un moustique : sur qui vais-je me poser pour une première question?
Vous avez tous les deux mentionné Mary Simon, une Canadienne merveilleuse avec qui nombre d’entre nous ont eu la chance de travailler, et son économie axée sur la conservation.
À mon avis, en cette période de changement climatique rapide, les besoins et les connaissances en matière de conservation complexifient d’autant plus la conservation, car des espèces changent, certaines sont moins abondantes et d’autres sont nouvelles. Je me demande si vous pourriez aborder un peu cet aspect. Quels seront les besoins dans l’avenir du point de vue de la conservation dans ce climat très changeant?
Compte tenu de nos travaux, quelles seraient vos recommandations concernant les politiques fédérales nécessaires pour renforcer ces capacités, pour établir un équilibre — je vais utiliser l’expression que j’ai déjà employée — entre les données scientifiques empiriques et les importantes connaissances autochtones et pour nous assurer que ces deux éléments sont liés d’une manière constructive et tournée vers l’avenir? Que devons-nous faire, du point de vue fédéral?
Mme Inutiq : En ce qui concerne les besoins en matière de conservation, je pense que la première chose qui vient à l’esprit, c’est qu’il faut écouter les gens qui vivent là-bas. Beaucoup de nouveaux efforts de conservation sont déployés — notamment à Sanikiluaq —, lesquels sont axés sur la collectivité. Ce sont ceux que nous devons appuyer plus particulièrement. En outre, n’oubliez pas les structures de gouvernance inuites aux échelons régional, territorial et national parce qu’on ne veut pas seulement aborder la question uniquement d’un point de vue compartimenté. Comment définissons-nous la conservation d’un point de vue inuit? C’est ce qui me vient immédiatement à l’esprit.
Au chapitre des organisations environnementales, nous avons eu des relations pas très bonnes avec les organisations non gouvernementales, puis il y a nos antécédents avec Greenpeace et les mouvements contre la chasse aux phoques. Je pense qu’il faut moins compter sur les organisations environnementales et leurs programmes et nous fier davantage aux personnes qui vivent là-bas pour définir ce qui doit être protégé et comment ces mesures de protection doivent être mises en œuvre, parce qu’il y a cette approche empirique traditionnellement adoptée à l’égard de la conservation. Nous devons nous en éloigner.
En tant qu’Inuits, il s’agit d’un domaine où nous devons rétablir une partie de la confiance à l’égard de certaines des organisations environnementales. Nous sommes probablement sur la bonne voie. Je ne sais pas si nous y sommes déjà arrivés. J’espère avoir répondu à votre question.
Concernant les capacités — les connaissances autochtones —, le modèle sur lequel nous travaillons consiste à faire établir les priorités de recherche par les collectivités, puis à renforcer les capacités chez les Inuits afin qu’ils puissent effectuer ces travaux ou que nous puissions collaborer avec qui nous voulons pour le faire. Cela comprend l’Inuit Qaujimajatuqangit, la conception de ce qui doit faire l’objet de recherches d’un point de vue inuit et la façon dont le savoir inuit peut être le fondement de la définition des priorités et de la réalisation de la recherche.
Les connaissances sur la glace sont un des exemples que nous utilisons. Les Inuits possèdent énormément de connaissances à ce sujet. Il existe également des études scientifiques sur la glace. Les deux peuvent vraiment se compléter. Imaginez seulement les connaissances de plus que nous aurions si nous travaillions ensemble sur ces fronts.
Je vais m’arrêter là pour l’instant.
La sénatrice Bovey : Je me demande si M. Debicki pourrait prendre la parole également.
M. Debicki : Je vous remercie, madame la sénatrice. Au nom de ma propre organisation de conservation et d’un grand nombre des autres avec lesquelles nous travaillons occasionnellement en partenariat, nous espérons faire partie d’un changement de paradigme dans lequel nous cherchons à nous éloigner réellement d’une approche passée, laquelle visait en réalité la préservation et la protection d’un Arctique intact, avec des images d’ours polaires et très peu d’images d’êtres humains, et minimisait l’importance de la présence des humains dans ces régions et de leur lien avec cet environnement.
Pour répondre à la question que vous avez posée plus tôt concernant la façon d’établir un équilibre entre les données scientifiques empiriques et les importantes connaissances autochtones, j’ai toujours été d’avis qu’il ne s’agit pas vraiment d’une question binaire. Mon travail auprès de nombreux titulaires de connaissances autochtones merveilleux m’a donné l’impression que le savoir est empirique. Ce n’est pas une question de science contre une autre façon magique de comprendre l’environnement naturel. Il s’agit d’une compréhension empirique.
L’expertise en matière de glace à laquelle Sandra a fait allusion en est une qui a été acquise au fil d’années d’observations cumulatives et collectives, mais elle n’en est pas moins empirique. Elle n’est tout simplement pas présentée de la même manière.
J’espère que nous en viendrons à comprendre et à apprécier les façons d’écouter, d’apprendre et d’acquérir ces connaissances dans nos domaines scientifiques traditionnels.
De plus, madame la sénatrice, je pense que vous avez posé une question au sujet de la façon — je suis en train de paraphraser — dont on aborde la question du changement qui est en train de se produire du point de vue de la conservation. L’un des moyens essentiels, c’est un investissement important, pour que nous puissions non seulement protéger des zones et les définir comme telles sur des cartes, mais aussi assurer une intendance et une surveillance. Un investissement important dans la surveillance et une responsabilité à l’échelon local sont cruciaux à notre époque.
Le président : Merci. À cet égard, je pourrais attirer l’attention du comité sur le fait que nous entendrons, concernant la question du savoir traditionnel — l’Inuit Qaujimajatuqangit —, les témoignages de Theo Ikummaq, qui participe à des études de la glace en tant que chasseur traditionnel, et de M. Claudio Aporta, de l’Université Dalhousie, qui a travaillé auprès d’Autochtones dans le domaine de la glace marine afin de documenter le savoir inuit. Nous approfondirons ces questions au sein du comité.
La sénatrice Eaton : Merci beaucoup à vous deux. J’ai une question à vous poser à chacun, des questions très différentes.
Monsieur Debicki, qui finance Oceans North?
M. Debicki : Nous recevons habituellement du financement d’un certain nombre de fondations. Nous sommes en train de devenir un organisme de bienfaisance enregistré, de sorte que nous pourrons ensuite chercher... Oui, allez-y.
La sénatrice Eaton : C’est une réponse charmante. Recevez-vous du financement de fondations américaines?
M. Debicki : Oui.
La sénatrice Eaton : Pensez-vous que les fondations américaines ont le même objectif que, disons, les Inuits locaux ou le gouvernement canadien?
Comment cela fonctionne-t-il? C’est intéressant; je reçois de l’argent de la Chine, mais ce pays n’a aucune influence sur moi, du point de vue du Canada et des États-Unis, et je pense, plus précisément, que c’est la fondation Pew qui vous donne de l’argent. Est-ce que je me trompe?
M. Debicki : Une part du financement provient de la fondation Pew. C’est arrivé par le passé, oui.
La sénatrice Eaton : Cette fondation a manifestement un superbe programme. La dernière fois que j’ai lu quelque chose à son sujet, c’était il y a deux ou trois ans, quand je menais une enquête du Sénat, et il était mentionné qu’elle adorerait que le Nord du Canada soit un merveilleux parc faunique. Toutefois, ce n’est peut-être pas ce que souhaitent les gens de la localité ni même le gouvernement canadien. Je suis intéressée, car je sais que vous ne siégez pas au conseil d’administration de la fondation Pew et que vous ne prenez pas les décisions, mais comment arrivez-vous à concilier ce mandat avec le fait de recevoir de l’argent d’un pays étranger?
M. Debicki : Madame la sénatrice, je pense que notre bilan actuel est éloquent. Nous avons établi un énoncé de mission correspondant à ce que je vous ai décrit au début de mon exposé. Nous n’acceptons pas de financement conditionnel à la promotion d’objectifs extérieurs, que ce soit ceux des Pew Charitable Trusts ou de toute autre organisation.
La sénatrice Eaton : L’argent vous est remis tout à fait sans condition. Vous n’avez pas à discuter de vos plans avec ces organisations. Vous recevez tout simplement un joli chèque.
M. Debicki : Madame la sénatrice, il est difficile de tenir une conversation au sujet de modalités de financement dans l’abstrait. Nous avons toutes sortes de modalités de financement, dont certaines sont fondées sur un projet, c’est-à-dire que nous décrivons le projet, la campagne ou les objectifs particuliers, puis nous demandons du financement. Je devrais également souligner que nous obtenons des fonds de nombreuses sources et que celle que vous avez mentionnée en est une, oui.
La sénatrice Eaton : Madame Inutiq, je n’ai pas été insensible aux propos que vous avez tenus au sujet du fait que les Inuits ont leur mot à dire sur leurs propres terres. Le passage du Nord-Ouest — ou ce que nous appelons maintenant ainsi — traverse-t-il votre territoire?
Mme Inutiq : Oui, il traverse Tallurutiup Imanga.
La sénatrice Eaton : Dans le cadre de notre petit voyage, nous avons découvert que le passage du Nord-Ouest est soumis à peu de règlements sur le transport et l’environnement. Que pensez-vous de cette situation? Comment voyez-vous la mise en valeur continue de cette voie de transport importante? Les Chinois veulent siéger au Conseil de l’Arctique, Singapour veut le statut d’observateur. C’est en jeu maintenant. Comment voyez-vous votre rôle dans cette histoire?
Mme Inutiq : L’aire de conservation créerait des zones, en ce qui concerne le fait de tenter de réglementer certaines activités. Le droit de naviguer grâce à l’accord international entre les pays est primordial. Pourvu que les navires ne jettent l’ancre nulle part, ils peuvent traverser. Certains des travaux que nous ferons consisteront à définir les itinéraires et...
La sénatrice Eaton : Vous allez définir des itinéraires?
Mme Inutiq : Pour créer une aire marine de conservation, il faut un plan de gestion, et c’est prévu par la loi. Nous sommes en train de créer un plan de gestion qui délimitera des zones en ce qui a trait aux activités qui pourront y être menées. Une partie de cet exercice consistera à créer des itinéraires que nous voudrions que les transporteurs suivent.
La sénatrice Eaton : Autrement dit, comme nous avons entendu parler, au cours des dernières années, de personnes qui ont décidé de naviguer par le passage du Nord-Ouest, qui se sont retrouvées sur les rochers et qui ont dû être secourues par la Garde côtière, ou bien de bateaux de croisière qui traversent et restent pris parce qu’ils ont décidé d’emprunter un autre itinéraire... Une fois que vous aurez mis en place votre plan de gestion, toute cette activité fera l’objet d’une surveillance attentive. Autrement dit, je ne pourrais pas embarquer dans un canot, m’échouer sur des rochers et devoir appeler la Garde côtière, et les bateaux de croisière ne pourront pas traverser là où bon leur semble?
Mme Inutiq : Je pense que les bateaux de croisière ont besoin de beaucoup de permis pour mener diverses activités, alors l’octroi d’un permis indiquant où ils peuvent aller ferait partie de ce processus.
L’une des préoccupations majeures que nous avons entendues de la bouche des collectivités concernait les fjords ou les passages où se trouvent des espèces sauvages; on ne veut pas qu’elles soient perturbées. L’une des tensions qui se font actuellement ressentir, compte tenu du tourisme, tient au fait que ces navires traversent ces passages ou fjords et perturbent la faune. L’autre chose dont nous avons entendu parler durant la visite des collectivités et dont nous tenons compte en cours de route, c’est le nombre de voiliers qui entrent dans la zone. Parfois, ils n’avisent personne du fait qu’ils s’en vont dans ces endroits. Un incident a eu lieu au large de l’une des collectivités, où un voilier a été écrasé par la glace et, comme on ne disposait d’aucun instrument permettant de le localiser, il a fallu déployer un peu plus d’efforts. Il s’agit de tenter de promouvoir une navigation de plaisance plus responsable pour les visiteurs, parce qu’au-delà d’une certaine taille de navire, des règlements s’appliquent et vous devez disposer de certains instruments pour indiquer votre destination. Toutefois, s’il s’agit d’une petite embarcation, il doit davantage s’agir d’une promotion des pratiques sécuritaires. C’est un des éléments que nous prenons en considération dans le cadre de notre travail.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Coyle : Merci à vous deux d’être des nôtres aujourd’hui. Il s’agissait d’exposés très importants.
Madame Inutiq, en ce qui concerne la recherche dans l’Arctique, vous avez affirmé que c’est vous qui devriez déterminer ce qui devrait faire l’objet de recherches et décider avec qui vous voulez travailler pour l’atteinte de ces buts.
Je pense qu’il s’agit de déclarations très importantes.
Pourriez-vous nous donner un peu de détails sur certaines priorités de recherche que vous avez entendu les gens de votre association énoncer? Quelles sont les grandes priorités en matière de recherche, selon les gens de la QIA? Qui considérez-vous comme des partenaires clés dans l’atteinte de vos buts en matière de recherche?
Mme Inutiq : Concernant la première question, nous n’avons pas procédé à l’établissement des priorités avec les collectivités, alors je répondrais avant la tenue de ce processus.
Jusqu’ici, nous avons entendu dire que les collectivités veulent connaître l’information sur la circulation des navires et savoir qui se trouve sur leurs eaux. Il y a beaucoup de méfiance quant aux personnes qui se trouvent dans les eaux de l’Arctique, et on craint des lacunes au chapitre de l’information, en ce qui a trait aux personnes qui s’y trouvent et au but de leur présence.
On soupçonne, par exemple, que certains des militants pour les droits des animaux viennent dans nos eaux pour émettre des sons visant à faire fuir la faune. Est-ce vrai, par exemple? Voilà le genre d’exemples que nous avons entendus de la bouche des membres des collectivités, mais il faudrait que nous entendions vraiment ce qu’ils ont à dire en ce qui a trait à leurs priorités.
Quelle était votre deuxième question?
La sénatrice Coyle : Quels pourraient être vos partenaires de recherche privilégiés?
Mme Inutiq : Encore une fois, je parlerais des résultats d’un processus qui n’a pas eu lieu et, une fois que les priorités auront été établies, il incombera aux collectivités de définir avec qui elles veulent travailler en partenariat. Par exemple, le MPO envoie déjà des navires dans le Nord pour effectuer de la recherche.
S’agit-il de quelque chose qui intéresse les collectivités, d’ajouter cet Inuit Qaujimajatuqangit à la recherche qui est déjà en cours? Nous ne le savons pas, pour l’instant.
La sénatrice Coyle : Nous tous ici présents nous intéressons au Cadre stratégique pour l’Arctique et à l’élaboration du nouveau Cadre stratégique pour l’Arctique.
Pouvez-vous nous parler de la participation de votre association à l’élaboration de ce nouveau cadre? Quel a été le processus, à ce jour, et où en est-on, en ce moment, du point de vue de la relation?
Mme Inutiq : Oui, nous avons soumis des observations. Le dernier document à cet égard est la réponse de la Qikiqtani Inuit Association au rapport intitulé « Stronger Together : An Arctic and Northern Policy Framework for Canada ». Ce document a été communiqué. Nous avons même présenté précédemment un nouveau modèle économique axé sur l’économie de conservation. Nous participons pleinement au processus.
La sénatrice Coyle : De quelle façon le processus se déroule-t-il de votre côté?
Mme Inutiq : J’ai occupé un rôle plutôt périphérique, donc je ne connais pas les détails. J’ai participé à l’élaboration d’ébauches, vu que nos activités fournissent des renseignements aux fins du processus, parce que l’économie de conservation est abordée dans ce document. Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question quant à la façon dont ce processus s’est déroulé dans notre organisation.
Le président : Madame Inutiq, nous serions reconnaissants si vous pouviez transmettre ces documents à la greffière du comité. J’en ai pris connaissance, mais je crois qu’il serait très utile que vous ayez la gentillesse de les remettre à la greffière.
Pour poursuivre sur ce point, je me demande, monsieur Debicki, si les responsables de votre organisation pourraient transmettre le rapport que vous avez mentionné et qui a été commandé à l’Université du Manitoba? Ce document est-il accessible au public?
M. Debicki : Il est accessible. Je serai heureux de vous le transmettre.
Le président : Si vous pouvez le remettre à notre greffière, nous vous serions reconnaissants.
Mme Inutiq : L’autre document que je souhaitais transmettre est intitulé « Food Sovereignty and Harvesting », et il a été diffusé par notre organisation. Je vais vous laisser ces deux documents.
Le président : C’est très apprécié.
La sénatrice Anderson : Je vous remercie de ces renseignements. Madame Inutiq, vous avez évoqué le fait que les Inuits dépendent de la faune et de la flore marines et de la chasse pour se nourrir, et vous avez mentionné les liens entre les collectivités maritimes et le modèle de gouvernance. Compte tenu des différentes priorités du gouvernement, du développement économique et des droits inhérents des Inuits, à votre avis, quels sont les éléments essentiels pour conserver le mode de vie des Inuits? C’est une question complexe.
Mme Inutiq : Quelle question! Combien de temps ai-je pour répondre?
Le président : Personne ne vous a dit que ce serait facile, n’est-ce pas?
Mme Inutiq : Je crois qu’il y a vraiment beaucoup de travaux qui sont réalisés et qui portent sur le lien entre, par exemple, l’accès au territoire, la chasse, la nourriture et notre santé mentale. Nous constatons les effets de la sédentarisation et de l’assimilation qui découle de ce mode de vie. Depuis que les Inuits se sont installés dans des collectivités, nous avons constaté des effets négatifs.
Des résultats d’études montrent maintenant véritablement l’ampleur des effets sur la santé du fait d’aller chercher la nourriture et de manger des aliments traditionnels. J’ajouterais que cela a un effet sur notre perception personnelle, à la fois sur le plan spirituel et social.
Pensez simplement à un enfant qui réussit à attraper son premier mammifère marin. Je vais prendre l’exemple du phoque. On célèbre cette prise. Les membres de la collectivité se rassemblent pour manger le phoque, pour célébrer avec cet enfant et pour remercier l’animal. Cela crée de la cohésion au sein de la collectivité. Il ne s’agit pas seulement de nourriture déposée dans une assiette, ou sur un morceau de carton, comme dans notre cas, parce que nous mangeons de la nourriture congelée sur du carton. Donc il ne s’agit pas simplement de nourriture déposée dans une assiette; il y a aussi l’importance de la connaissance des techniques de chasse, la célébration de la prise et l’effet rassembleur. La chasse englobe tout cela. J’espère que j’ai bien réussi à faire valoir ce point dans ma réponse à votre question à 100 $.
La sénatrice Anderson : Je crois que vous avez réussi. On discute beaucoup de l’importance des savoirs traditionnels autochtones. D’après vous, accorde-t-on la même importance à ces savoirs qu’aux connaissances scientifiques?
Mme Inutiq : En bref, non. Il y a deux avenues pour en rehausser l’importance. L’une consiste à inciter les membres des collectivités à utiliser les connaissances autochtones. Par exemple, pour établir les limites de Tallurutiup Imanga, on a effectué une tournée des collectivités pour échanger avec les détenteurs des savoirs concernant les zones migratoires de la faune, les lieux habités, les lieux de chasse et les endroits importants à protéger. On a ensuite dressé des cartes en s’appuyant sur les savoirs traditionnels et cerné des zones qui revêtent une importance particulière.
C’est ma carte géographique préférée, parce qu’elle contient des images qui illustrent les savoirs traditionnels. On s’est ensuite servi de cette carte pour établir les limites de Tallurutiup Imanga. Cet exercice montre à quel point ces connaissances ont de la valeur. Nous devons favoriser ce genre d’exercice au sein de nos collectivités.
Concernant l’autre avenue, elle tient au fait que la communauté universitaire ou occidentale doit laisser une place au savoir traditionnel. Ce sont les deux voies à emprunter afin de véritablement soutenir la valeur accordée aux connaissances autochtones.
Le président : Merci. Madame Inutiq, je sais que les négociations relatives à l’entente sur les répercussions et les avantages pour les Inuits relativement à Tallurutiup Imanga en sont aux dernières étapes, et que l’annonce n’en a pas été faite encore. Ce sera bientôt terminé; je crois que vous avez dit que ce serait en juin. Pouvez-vous nommer les thèmes abordés dans le cadre des négociations? Je m’intéresse en particulier au processus touchant les gardiens inuits. Est-ce le bon terme?
Mme Inutiq : Nous avons décidé de ne pas utiliser le mot « gardiens », parce que la définition est plutôt limitée dans le cadre des programmes du gouvernement du Canada.
Le président : Je n’ai pas utilisé le bon terme. Je suis désolé.
Mme Inutiq : Nous avons choisi le mot inuktitut « uattijiit ». Nous menons actuellement un projet pilote à Arctic Bay dans le cadre duquel nous avons embauché quatre uattijiit, un coordonnateur de programme et un gestionnaire, donc six personnes en tout. Nous avons voulu mettre en œuvre ce projet pilote pendant que nous menions les négociations afin d’en montrer la faisabilité et aussi d’en tirer des leçons, vu qu’il est prévu que ce projet serve de modèle dans les quatre autres collectivités.
Le projet pilote du programme est sur pied depuis le mois d’août. Nous avons loué de l’équipement, un bateau et des motoneiges. Grâce à un partenariat avec la GRC, nous pouvons utiliser des motoneiges. On a tenu des ateliers de fabrication de kamik, et un aîné a donné une formation sur la fabrication de parkas. On tiendra un cours sur la fabrication de parkas en peau de caribou, la construction d’un igloo et le maniement d’armes à feu ainsi que des formations portant, notamment, sur les dispositifs inReach utilisés aux fins de sécurité. Voilà certaines des formations que nous avons offertes.
Les participants peuvent chasser pendant qu’ils sont sur le territoire et qu’ils effectuent de la surveillance. Ils préparent des festins mensuels, qu’ils s’efforcent de tenir vers la fin de la période précédant le prochain versement d’aide sociale, car ils savent que c’est le moment le plus difficile pour les familles qui dépendent de cette aide. Il a été stimulant d’être témoin du déroulement de ce processus à mesure que les uattijiit assument leur rôle, définissent où ils veulent aller et ce qu’ils veulent faire. Par exemple, ils ont pris des relevés de la glace de mer en prévision de la course de traîneaux à chiens du nord de l’île de Baffin qui se tiendra entre Pond Inlet et Arctic Bay. Ils ont examiné l’état de la glace de mer relativement à la tenue de cet événement, et ils font rapport de l’état de la glace et des observations d’animaux sauvages aux membres de la collectivité. Ils se déplacent fréquemment sur le territoire. Ils ont porté assistance à des personnes. La dernière fois où je me suis rendu à Arctic Bay, un aîné m’a dit qu’il les voyait toujours à l’extérieur, sur le territoire, et que les choses se passaient très bien.
Bien entendu, nous avons encore bien des leçons à tirer. Certaines compétences en matière d’évaluation des vagues sont à peaufiner avec l’aide d’aînés. Pour un des participants, cette expérience a changé sa vie; il s’adonne même à la chasse à l’extérieur du programme des uattijitt. J’en ai des frissons, parce qu’il a acquis la confiance nécessaire pour le faire par lui-même.
Voilà le modèle que nous espérons être en mesure de reprendre dans les cinq collectivités. Ai-je répondu à votre question?
Le président : Oui. Merci.
Je souhaite poser une question dans la même veine à M. Debicki.
Vous avez mentionné la Commission Pikialasorsuaq, qui portait sur cet endroit aussi appelé la polynie des eaux du Nord. Vous avez dit que les responsables de cette initiative du Conseil circumpolaire inuit recommandent la gestion conjointe de cette zone par les Inuits du nord de l’île de Baffin et du Groenland.
Ma question est peut-être naïve, mais je vais la poser quand même, parce que je l’ai déjà entendue dans d’autres circonstances. Actuellement, du moins, les Inuits n’ont pas de navires, de satellites ni d’aéronefs pour surveiller cette région éloignée. Pouvez-vous nous expliquer comment vous percevez le rôle que joueraient les Inuits — la gestion serait confiée aux Inuits, je crois que c’est ce que vous avez dit — et de quelle manière cela se réaliserait, sur le plan pratique, étant donné que le Conseil circumpolaire inuit ne dispose pas de la capacité nécessaire sur le plan des ressources humaines actuellement? Comment voyez-vous la mise en œuvre de cette initiative, selon ce que vous envisagez?
M. Debicki : D’abord, les Groenlandais ont accès à une infrastructure plus importante que bon nombre des membres des collectivités de l’Est de l’Arctique. La plupart des collectivités au Groenland disposent d’installations portuaires. Il existe une plus grande participation locale dans les pêcheries, et on retrouve notamment un bon nombre de capitaines groenlandais qui dirigent de grands navires. La culture maritime y est plus développée pour des raisons historiques et certaines raisons relevant de la géographie et du climat. Les Groenlandais sont probablement dans une meilleure situation et pourraient participer plus rapidement à une gestion active sur le plan physique dans les eaux du Nord.
Jusqu’à maintenant, je crois qu’il serait juste d’affirmer que les activités officielles du Canada dans les eaux du Nord ont découlé principalement de la présence de brise-glace et de navires transportant des équipes de recherche, comme le NGCC Amundsen, le navire de la Garde côtière. Une des façons de permettre la gestion conjointe et d’obtenir une participation régionale serait de susciter une plus grande participation régionale et de la part des Inuits dans les activités de la Garde côtière même. Je sais qu’on tient des discussions et que l’on prend des mesures dans le but de créer des possibilités en ce sens pour les habitants du Nord.
Le président : Comme la Garde côtière auxiliaire?
M. Debicki : Par exemple, oui.
Bien entendu, il est possible d’en faire davantage. Même s’il est vrai que nos activités officielles, de recherche et de surveillance des eaux du Nord étaient liées aux brise-glace, je ne crois pas que cela soit immuable. Depuis longtemps, les Inuits parcourent cette arche de glace entre l’île d’Ellesmere et le nord-ouest du Groenland. Ils traversaient à l’aide de traîneaux à chiens aussi récemment qu’au cours des dernières décennies. En effet, sur l’île d’Ellesmere, il y a beaucoup de noms groenlandais pour désigner des entités topographiques naturelles qui sont connues des habitants de Qaanaaq, parce que c’est à cet endroit que, au cours de notre époque même, ils chassaient le bœuf musqué.
Nous sommes d’avis qu’une bonne partie de ces activités de surveillance peuvent être effectuées au moyen de petites embarcations et par des moyens traditionnels.
Le président : Merci. Vous avez tous les deux parlé de l’économie de conservation. Vous avez mentionné le projet de Baffinland, qui, si je me souviens bien, compte entre 900 et 1 000 employés. Vous avez mentionné que l’entreprise n’a toujours pas une fiche très reluisante quant au nombre d’employés inuits.
Quel type d’emploi serait créé dans l’économie de conservation? Quel rôle joueraient les personnes dont le travail est lié à l’aire marine protégée? Quels sont ces emplois? Quel en serait le nombre par rapport à celui offert par les entreprises d’exploitation minière qui peuvent possiblement embaucher des centaines de personnes?
M. Debicki : Je souhaite préciser, et peut-être que je ne l’ai pas déjà fait, que, assurément, à mon avis, l’un n’exclut pas l’autre. Il ne s’agit pas d’opposer un emploi dans le domaine de la conservation à un autre dans le domaine minier. Il existe une centaine de bons emplois dans le nord de l’île de Baffin, à la mine de Mary River. Malheureusement, cela représente environ 12 p. 100 des emplois à la mine, et, si on examine la qualité de ces emplois, ce pourcentage descend. L’entreprise Agnico Eagle se situe probablement dans les environs de 30 p. 100 et à la mine de Voisey’s Bay, ce pourcentage est beaucoup plus élevé.
Ce que nous constatons à la lecture des analyses sur le marché du travail, c’est qu’il y a une limite aux emplois dans le domaine des ressources naturelles selon l’état du marché de l’emploi actuel dans le nord de l’île de Baffin, par exemple. Il doit y avoir davantage de formation. On doit investir de façon très importante dans l’éducation et dans des initiatives pour rendre ces emplois plus attirants sur le plan culturel. Je crois que cela se produira probablement. Néanmoins, selon les prévisions des responsables de l’entreprise, ils ne seront pas en mesure d’accroître le bassin de travailleurs de façon à doter tous les postes offerts dans le Nord.
Les responsables de cette mine proposent d’augmenter la production de 600 p. 100. En conséquence, la mine sera épuisée d’ici 2035.
Il s’agit d’une mine située sur une terre inuite qui a été choisie par les négociateurs pour ses ressources potentielles, lesquelles devraient profiter au détenteur des droits. Nous disons simplement que, si nous reconnaissons qu’il vous est impossible de pourvoir tous les postes dans le secteur minier avec des personnes de la région parce que le marché du travail ne le permet pas, alors, si la mine s’agrandit aussi rapidement, il faudra nécessairement plus de 737 remplis de personnes venant du Sud qui viendront séjourner de deux à trois semaines puis repartiront.
Il ne s’agit pas d’une économie de conservation considérable.
Ce que j’envisage pour l’économie de conservation au chapitre des emplois... encore une fois, il ne s’agit pas de remplacer 100 bons postes au sein d’une très bonne mine. Il s’agit d’emplois en intendance et en surveillance, dans la même veine que ce dont Sandra a parlé. Il s’agit d’emplois en conservation que nous envisagerions dans des endroits comme l’aire marine nationale de conservation Tallurutiup Imanga. Ce sont des emplois qui s’harmonisent très bien avec les modes de vie, l’exploitation et les pratiques traditionnelles — une économie d’exploitation.
Je ne suis pas en mesure de parler de chiffres, mais encore une fois, il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle dans lequel il faut limiter les emplois liés aux ressources naturelles pour favoriser les emplois en conservation. Les deux peuvent coexister au sein d’une économie florissante.
Le président : D’accord. Merci beaucoup.
Voilà qui met fin à cet intéressant groupe de témoins. Je vous remercie tous les deux de votre présence ici. Je sais que Mme Inutiq est venue d’Iqaluit hier; nous avons voyagé à bord du même vol. Nous vous sommes reconnaissants d’être ici en personne.
Nous effectuons beaucoup de travail ce matin.
Je suis très heureux d’accueillir notre troisième groupe de témoins. Nous avons Lotfollah Shafai, professeur distingué émérite au Département de génie électrique et informatique de l’Université du Manitoba, qui comparaît à titre personnel, et Jennifer Provencher, boursière de recherches postdoctorales Liber Ero.
Monsieur Shafai, je crois comprendre que vous allez commencer avec votre déclaration préliminaire, puis ce sera Mme Provencher. Vous pouvez vous attendre à recevoir quelques questions de la part des sénateurs par la suite. Vous avez la parole.
Lotfollah (Lot) Shafai, professeur distingué émérite, Département de génie électrique et informatique, Université du Manitoba, à titre personnel : Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant le comité. Je suis heureux d’être ici.
J’ai 15 ans d’expérience en recherche sur la télédétection de glace en Arctique à bord du brise-glace Amundsen. J’ai également 40 ans d’expérience en recherche dans le domaine de la communication, particulièrement en communication par satellite; j’ai conçu de nombreuses composantes et j’ai aidé mes étudiants à mettre sur pied des entreprises prospères.
L’un des éléments qui intéressent votre comité est la technologie des communications et son utilité pour le développement économique dans le Nord pour les enjeux environnementaux. Je vais me concentrer sur cela.
Dans mon exposé, je me concentrerai sur le fait de faire un grand bond afin de bâtir un environnement riche et prospère dans le Nord canadien grâce aux avenues virtuelles et au commerce électronique.
Essentiellement, il s’agit d’Internet. J’ai choisi ce sujet afin d’encourager les discussions.
La photo que vous voyez dans le coin à droite montre notre équipe dans l’Arctique devant un brise-glace, nous avons pris cette photo lorsque Peter Mansbridge est venu faire un reportage pour CBC.
Les premières pages sont constituées de renseignements courants sur le Nord et l’isolement. Je n’en parlerai pas. Je vais me concentrer sur le type d’entreprise qui pourrait faire en sorte que le commerce dans le Nord soit international et ne soit pas influencé par l’isolement et les difficultés du Nord.
À des fins de précisions, j’ai parlé à la page 5 des défis engendrés par le lien terrestre dans le Nord. Il y a une photo de la liaison ferroviaire en direction de Churchill qui a été endommagée en mai 2017. Il a fallu 17 mois pour la réparer. Cela montre le défi que représente la liaison physique avec le Nord. Dans ce cas, nous pouvons aller au-delà de ce problème et utiliser les technologies de communication, essentiellement, les ondes radio, lesquelles ne sont pas restreintes par les routes et les ponts.
Pour vous montrer à quel point cela peut être couronné de succès, je vous présente aujourd’hui deux exemples d’entreprises prospères que presque tout le monde connaît. Il s’agit d’Amazon et d’eBay. En 1994, Jeff Bezos, un ingénieur sans emploi, a créé Amazon dans son garage, à partir de son ordinateur. Il n’a pas eu besoin de fonds de démarrage, il n’a eu besoin ni de route ni de pont. Il a choisi des modèles d’affaires en fonction de l’emplacement de ses entrepôts et de ses clients. En 2017, Jeff Bezos était la personne la plus riche au monde. Sa fortune s’élève maintenant à plus de 150 milliards de dollars.
Il a créé cette entreprise à Seattle. Il aurait pu le faire à Churchill, à Inuvik ou dans n’importe quelle autre collectivité dans le Nord. La seule chose dont il avait besoin était un accès Internet à large bande fiable.
Mon deuxième exemple est eBay, qui est bien plus pertinent pour le Nord, puisque cela ne nécessite pas d’entrepôt. L’entreprise eBay a été créée par un jeune étudiant étranger aux États-Unis; il l’a créée sur son ordinateur, dans sa chambre. Il a mis sur pied un site Internet pour connecter les entreprises entre elles. C’était en 1995. En 1998, trois ans plus tard, il était milliardaire. Il n’a pas eu besoin de fonds de démarrage, de route ou d’entrepôt ni même d’un réseau de livraison. Il n’a eu besoin que de son ordinateur.
Encore une fois, il aurait pu créer cela ici à Churchill, à Inuvik, à Grise Fiord ou n’importe où dans le Nord. La seule chose dont il avait besoin était une connexion fiable à Internet. Des sondages ont été réalisés dans le Nord, et tous s’entendent pour dire que l’infrastructure de communication n’est ni assez forte ni assez fiable pour que l’on puisse créer une entreprise de la sorte. Cependant, on pourrait facilement remédier à ce problème à moindre coût grâce à la communication par satellite. J’ai choisi la communication par satellite parce qu’elle fournit une connectivité partout dans le Nord, tant dans les montagnes que dans les collectivités et, en raison de la faible population, c’est facile et peu coûteux.
Pour permettre aux entreprises de s’installer dans le Nord, il faut d’abord deux petits satellites qui offrent une connectivité à large bande, il faut ensuite mettre en place une autoroute virtuelle, puis un accès Internet à large bande pour que le commerce au sein de la collectivité soit un commerce mondial. On pourrait également mettre en place un système d’éducation à distance afin d’offrir un enseignement sur les entreprises et les entreprises en démarrage aux collectivités et aux jeunes, et rassembler un groupe de bénévoles pour organiser la mise sur pied des entreprises sur Internet.
Alors, qui veut devenir partenaire de ce projet? Bien sûr, les dirigeants de la collectivité au Nord sont ceux qui doivent décider du type d’entreprise qu’ils aiment, compte tenu des enjeux culturels et politiques.
Le gouvernement du Canada et l’Agence spatiale canadienne sont plus ou moins liés, puisque je parle de ce projet avec l’Agence spatiale canadienne depuis un certain nombre d’années. Ils se sont penchés là-dessus et ont convenu qu’il s’agissait d’une bonne idée. Ils ont conçu, construit et mis à l’essai des satellites. Ils existent réellement. Il n’y avait aucun financement pour les lancer. Si le gouvernement offre du financement, les satellites seront lancés et il s’agira d’une entreprise locale.
L’autre partenaire pourrait être le ministère de la Défense nationale. Ce dernier a des besoins similaires dans le Nord. Il pourrait soit se joindre à nous ou nous aider à mettre en place un tel réseau.
La prochaine étape serait de demander de l’aide financière de diverses sources pour mettre en place le système à distance d’éducation et d’entreprises, et pour recruter le secteur privé et obtenir de l’aide institutionnelle pour mettre en place les entreprises.
Pourquoi faire cela? Pourquoi s’en préoccuper? La région du Nord est très vaste, mais la population est petite. Cependant, les gens du Nord ont fait leur part pour établir la souveraineté canadienne dans le Nord. Au Sud, nous avons accès à des services de communication de base, comme la prochaine génération de communication 5G, et ces services font partie du pays. Tout le monde mérite le même accès à une bonne communication. Merci.
Le président : Bravo! Merci.
Jennifer Provencher, boursière de recherches postdoctorales Liber Ero, à titre personnel : Bonjour, je m’appelle Jennifer Provencher, je m’adresse à vous aujourd’hui en tant que boursière de recherches postdoctorales Liber Ero de l’Université Acadia. C’est un grand honneur et un privilège pour moi de m’adresser à vous aujourd’hui. J’ai la chance de travailler dans l’Arctique depuis 2007, année où j’ai entamé mon travail de recherche pour la maîtrise à l’Université de Victoria dans le cadre du dernier projet de l’Année polaire internationale avec Environnement et Changement climatique Canada.
Depuis, je travaille avec mon équipe d’un bout à l’autre de la région de l’Arctique et je mène des projets de recherche avec des partenaires autochtones et nordiques. En plus de détenir un doctorat en sciences, j’ai également un baccalauréat en éducation et je participe depuis 15 ans à des programmes d’éducation, à la fois dans le Nord et dans le Sud. Le principal objectif de ce projet est que la science soit enseignée aux étudiants à l’aide d’une approche axée sur le lieu afin qu’ils s’intéressent aux idées et qu’ils puissent se reconnaître dans la science. Ce projet comprend des programmes d’éducation dans l’Inuit Nunangat.
J’ai beaucoup appris de mon travail avec les aînés et les chercheurs qui m’ont encadrée au fil des ans, et la mobilisation de partenaires non traditionnels dans les activités scientifiques afin d’explorer les nouveaux enjeux qui concernent l’Arctique.
Mon travail vise à la fois l’éducation et la santé de la faune. Je vais vous présenter deux exemples de projets que j’ai menés avec des partenaires du Nord et du Sud depuis 2007.
Le premier exemple que je vais vous donner concerne la pollution par les plastiques. Comme je l’ai mentionné plus tôt, j’ai commencé mon travail en tant qu’étudiante à la maîtrise dans le cadre de la dernière Année polaire internationale. L’un des projets que le Canada a appuyés était un examen de la façon dont la diète des oiseaux marins de l’Arctique a changé suivant la diminution de la glace de mer estivale au cours des 30 dernières années.
En collaboration avec des chasseurs inuits, nous avons recueilli des guillemots de Brünnich, aussi connus sous le nom d’akpa, pour regarder à l’intérieur de leurs estomacs et voir ce qu’ils avaient mangé, puis comparer cela aux données historiques et à l’étendue de la glace marine en été à proximité des colonies de nidification. En examinant le contenu des estomacs, nous avons constaté que la diète des colonies plus au sud avait changé en raison du réchauffement et des conditions climatiques continues. Ce sont les petits morceaux de plastique que j’ai trouvés dans les estomacs et les préoccupations que les chasseurs locaux avaient à propos de cette pollution qui ont motivé mes recherches depuis.
Dès lors, lorsque je trouvais de petits morceaux de plastique dans les oiseaux, je travaillais avec un certain nombre de collectivités pour évaluer les répercussions de la pollution par les plastiques sur les oiseaux marins de l’Arctique, et à d’autres égards. Cela repose sur de l’échantillonnage ponctuel, la collaboration de la collectivité et le financement, surtout de la part d’Environnement et Changement climatique Canada et du Programme de lutte contre les contaminants dans le Nord. J’ai également travaillé avec des partenaires internationaux afin de m’assurer que les estomacs des oiseaux marins que nous avons recueillis au Canada étaient traités de la même façon pour garantir le respect de notre part des normes actuelles qui sont utilisées en Europe.
Après 10 ans, nous pouvons constater que, bien que le niveau de pollution par les plastiques dans l’Arctique est relativement bas, les oiseaux marins et, donc, les réseaux trophiques, y sont vulnérables. En fonction de notre travail dans l’Arctique canadien avec les collectivités autochtones, nous travaillons actuellement avec le Conseil de l’Arctique afin de surveiller l’ingestion de plastique partout dans la région arctique.
Nous avons également étendu nos travaux en nous appuyant sur des discussions tenues avec les résidants du Nord sur la pollution par les plastiques chez les oiseaux marins et dans l’environnement. La première expansion de ce travail a été d’examiner la façon dont les plastiques ingérés pouvaient mener au transfert de contaminants chez les animaux.
En collaboration avec les chasseurs et d’autres chercheurs, nous avons maintenant élargi ce travail, et nous examinons l’ingestion de plastique et de contaminants dérivés du plastique chez l’omble chevalier et le phoque annelé. Ces espèces sont particulièrement importantes parce qu’elles sont chassées aux fins d’alimentation et qu’elles sont d’importance culturelle.
Plus récemment, j’ai mené des travaux communautaires à Qikiqtarjuaq, au Nunavut, pour examiner si les oiseaux dont l’estomac contient une accumulation de plastiques rejettent des microplastiques dans leurs excréments et comment cela peut concentrer des microplastiques dans l’environnement des colonies d’oiseaux de mer.
Ces travaux sont réalisés avec des membres de la collectivité qui aident à déterminer où chercher des plastiques autour des colonies et où regarder lorsqu’on ne s’attend pas à trouver des microplastiques dans les excréments des oiseaux dans l’environnement immédiat. En utilisant la science et les connaissances autochtones pour étudier ce polluant émergent, nous voulons améliorer notre compréhension et ainsi appuyer les politiques le plus efficacement possible.
En plus des travaux sur les microplastiques, nous avons également compté les colonies d’oiseaux de mer par rapport à l’élargissement des pêcheries et aux prises accessoires connexes dans les eaux voisines ainsi que les groupes d’oiseaux de mer en vue d’évaluer les niveaux de contaminants liés au pétrole dans la région. Il s’agissait tous de domaines de recherche auxquels s’intéressait la collectivité au cours de notre phase de consultations et de planification du projet.
Il convient de mentionner que, étant donné que la recherche dans l’Arctique canadien peut être de quatre à dix fois plus coûteuse que le même travail dans le Sud du Canada, nous travaillons toujours de façon à optimiser le travail qui est réalisé et à aborder le plus de questions possible avec nos partenaires.
Le deuxième aspect de mon travail est un programme auquel je participe depuis 12 ans au Collège de l’Arctique du Nunavut à Iqaluit. Encore une fois, nous avons commencé durant l’Année polaire internationale par de grands groupes d’oiseaux de mer avec l’aide de chasseurs inuits, nous avons établi un partenariat avec le programme de technologie de l’environnement en vue d’offrir aux étudiants une expérience d’apprentissage pratique dans le cadre d’un projet de recherche actif.
Depuis la permière année, où nous avons offert un atelier de quelques heures et montré aux étudiants comment disséquer un oiseau, cela s’est transformé en un programme d’une semaine de formation en recherche sur les contaminants touchant les espèces sauvages, formation qui fait partie du programme annuel. Cet atelier a pris de l’ampleur, et l’on enseigne maintenant aux étudiants non seulement comment disséquer des animaux sauvages, mais également comment préparer les tissus à des fins d’analyse de contaminants, faire fonctionner les appareils pour détecter les contaminants ou les PCB dans les tissus et utiliser les résultats pour éclairer les politiques.
Je crois que ce programme ainsi que d’autres que nous offrons aux étudiants de tous âges sont un aspect essentiel de la science dans le Nord en particulier, car jusqu’à 41 p. 100 de la population est âgée de moins de 20 ans. Même si les détenteurs de connaissances et les aînés jouent un rôle essentiel en participant à la recherche, il est tout aussi important que l’on s’assure d’offrir aux membres de la collectivité la possibilité de participer activement aux programmes de recherche.
L’atelier sur les contaminants touchant les espèces sauvages se tient annuellement depuis 2007, mais nous demandons encore du financement annuel. L’atelier a d’abord été appuyé par Environnement et Changement climatique Canada dans le cadre de l’Année polaire internationale. Il a ensuite été soutenu par le Centre Nasivvik et, depuis 2013, il est financé par le Programme de lutte contre les contaminants dans le Nord, qui relève de Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada.
En résumé, je continue de travailler dans l’Arctique de plusieurs façons, tant en recherche qu’en communication scientifique. Je participe à des projets menés au Canada, mais également à plusieurs projets du Conseil de l’Arctique, qui supposent des collaborations dans l’ensemble de la région de l’Arctique, car je crois que les mesures locales et mondiales sont importantes pour la conservation de l’Arctique.
Je m’efforce de continuer d’adapter mes recherches pour tenir compte des désirs et des besoins émergents des résidants de l’Arctique, puisque je veux m’assurer que le travail que je fais aura une influence positive sur les gens, les endroits et les animaux sauvages du Nord.
Merci de m’avoir donné l’occasion de m’adresser au comité aujourd’hui.
Le président : Merci.
La sénatrice Bovey : Merci à vous deux d’avoir abordé deux sujets importants qui sont au cœur de nos discussions.
Monsieur Shafai, j’aimerais vous dire que j’ai adoré ma rencontre avec les étudiants en génie de l’Université du Manitoba il y a environ une dizaine de jours. Nous avons tenu des discussions animées sur le chemin de fer qui se rend à Churchill et la connectivité dans le Nord. Vous avez donné les exemples très clairs et simples d’Amazon et d’eBay et vous avez dit qu’il était essentiel qu’il y ait une bonne connexion à Internet. Je comprends ce que vous avez dit à propos des satellites et des possibilités de connexions satellites.
En tant que comité fédéral qui présentera un rapport au gouvernement dans les deux ou trois prochains mois pour, espérons-le, agir à l’égard de nombre de ces questions, que devons-nous recommander pour nous assurer que les citoyens de l’Arctique ont un accès comparable à celui qu’ont les gens du Sud au quotidien?
M. Shafai : Le modèle que je propose, c’est qu’une entreprise établie sur Internet est instantanément une entreprise mondiale. Elle ne dessert pas seulement une ville ou un endroit; elle devient mondiale. Voilà l’importance d’Internet: il peut faire en sorte que le Nord du Canada devienne mondial.
Je mentionne les satellites parce que l’Agence spatiale canadienne a un programme à cet égard. Elle a conçu, construit et mis à l’essai des satellites. Ils existent. Elle a simplement besoin de financement pour les lancer.
Sans ces satellites, il n’y a pas de connectivité dans le Nord, on ne démarrera jamais ce type d’entreprise et personne n’envisagera de le faire. Une fois le satellite dans l’espace, on peut établir un service Internet à large bande et, rapidement, les gens commenceront à l’utiliser, particulièrement avec la jeune génération.
Pour vous donner un exemple, une jeune personne à Winnipeg a fait cela. Elle a essentiellement démarré une entreprise sur Internet, où elle offre certains produits. Elle a conclu une entente avec Amazon pour que la société livre ses produits. Lorsqu’une personne va sur son site web et commande une tasse ou des tee-shirts, Amazon reçoit la commande et, le jour suivant, elle livre le produit. La personne ne fait rien parce que tout est sur Internet.
Personne ne peut faire cela dans le Nord. Il nous faut des satellites et une connexion Internet. Ensuite, on pourra démarrer des entreprises.
J’ai mentionné eBay, parce que cette société a été établie par un jeune étudiant dans sa chambre. Il n’avait qu’une pièce et son ordinateur. En trois ans, il est devenu milliardaire. Pourquoi cela ne pourrait-il pas arriver dans le Nord?
La sénatrice Bovey : Si tout existe, combien cela nous coûterait-il?
M. Shafai : Je ne peux pas vous donner les chiffres exacts parce qu’il s’agit de petits satellites. Ils existent déjà. Ils sont la propriété de l’Agence spatiale canadienne. Il faut seulement les lancer. Cela dépend de qui les lance. Chaque programme pourrait coûter de 2 à 20 millions de dollars.
Ce que votre comité pourrait faire — et je serai heureux de l’aider —, c’est essentiellement de convaincre le gouvernement d’accorder du financement à l’Agence spatiale canadienne afin qu’elle puisse lancer les satellites, car il a annulé le seul financement qu’il y avait à cet égard. Vous voyez, c’est tout ce dont on a besoin.
La sénatrice Bovey : Je dis souvent que tout le monde va mieux quand tout le monde va mieux.
Madame Provencher, je suis vos travaux, comme vous le savez. J’ai été heureuse d’entendre la façon dont vous les poursuivez, certainement depuis ces derniers temps. Vous avez parlé de l’approche axée sur le lieu. Pourriez-vous nous en parler un peu plus, afin que nous puissions bien l’expliquer dans notre rapport lorsque nous parlerons du travail que vous faites?
Mme Provencher : L’approche axée sur le lieu vient de ma formation en éducation. Lorsque nous parlons de cette approche, que ce soit en sciences ou en éducation, il s’agit d’adapter quelque chose afin que les gens puissent s’y reconnaître.
Permettez-moi de vous l’expliquer. Prenez par exemple des manuels qui portent sur l’évolution ou les écosystèmes. Pendant longtemps, l’exemple classique de l’évolution était la mousse qui poussait sur un arbre à Londres et l’écorce de celui-ci qui changeait. Cela ne représentait rien pour beaucoup de gens à nombre d’endroits au Canada.
Une grande partie de ce que nous essayons de faire pour parler des exemples d’adaptation des animaux ou d’éducation, c’est de prendre des thèmes et des exemples de l’Arctique afin que les gens puissent vraiment se reconnaître et que ce ne soit pas un aspect isolé ou éloigné de leur vie.
J’essaie d’intégrer cela à l’approche scientifique du point de vue des plastiques. Nous savons que la pollution par les plastiques est un problème mondial. Nombre de personnes travaillent sur la façon dont nous examinons ce problème dans divers écosystèmes et dont nous surveillons la situation au fil du temps. Si nous le faisons ici, au Canada, adoptons-nous la même approche qu’en Europe, afin que nous puissions comparer les résultats? Beaucoup de gens travaillent là-dessus, mais l’Arctique, comme nous le savons, est un endroit unique. À titre d’exemple, on effectue des recherches sur les détritus rejetés sur les plages, mais que se passe-t-il lorsqu’il y a de la glace sur la plage pendant huit mois de l’année sinon plus? Nous avons essayé de prendre ces questions mondiales comme la pollution et la pollution par les plastiques pour travailler avec les collectivités et les détenteurs de connaissances autochtones pour essayer de comprendre la façon de procéder ici, à cet endroit, afin que les gens puissent se reconnaître dans la science et les résultats dans l’avenir. Nous utilisons les connaissances scientifiques pour comprendre que nous devons examiner des choses comme les types de polymères et les diverses tailles de tissus ou de fibres. Nous utilisons ensuite les connaissances autochtones pour connaître les endroits et les périodes de l’année où nous devons chercher les détritus et où les remous vont les rejeter? Je ne pense pas seulement à la science et aux connaissances autochtones, mais également à tous ces divers fils qui composent un tissu. Il y a peut-être des questions pour lesquelles il faut que le maillage soit très serré dès le départ.
En ce qui concerne précisément les plastiques, je pense à un maillage moins serré, qui offre davantage de liberté. Ce sont des chasseurs autochtones qui ont été les premiers à trouver des plastiques dans les animaux sauvages qu’ils avaient chassés. Ils détenaient cette connaissance, mais ils s’en sont un peu remis à la science. Ils se sont demandé : « Qu’est-ce que cela veut dire? D’où vient ce plastique? » Lorsque nous voulons retourner à des systèmes de surveillance, nous pouvons échanger l’information et travailler ensemble. Nous sommes comme des joueurs d’une équipe. Je crois que l’aspect « axé sur le lieu », c’est de comprendre les connaissances de la science que nous pouvons utiliser à cet endroit pour que les gens, jeunes et vieux, puissent se reconnaître et, par conséquent, contribuer aux résultats qui en découlent et y attribuer une valeur.
La sénatrice Coyle : Merci, monsieur Shafai et madame Provencher, d’être parmi nous aujourd’hui. Ma question s’adresse à Mme Provencher. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas aimé votre recommandation et votre exposé très direct, monsieur Shafai, sur l’importance de l’accès à la large bande pour le développement économique futur du Nord canadien et de l’Arctique en particulier. Je pense à l’idée de faire un grand bond; pourquoi forcer cette économie à suivre les diverses étapes que d’autres économies du Sud ont suivies? Cela n’est pas logique de nos jours. Je comprends vraiment votre point de vue.
Madame Provencher, je suis ravie de vous revoir. Je vous remercie également de votre excellent exposé. En fait, je trouve qu’il est fascinant que vous soyez à la fois enseignante de formation et scientifique parce que...
Le président : On reconnaît facilement ses semblables.
La sénatrice Coyle : Ce sont des caractéristiques importantes. Nous avons abordé au comité avec divers témoins les questions de la recherche, de la création du savoir et de l’interconnexion, si je peux m’exprimer ainsi, entre les connaissances autochtones, les connaissances scientifiques et la recherche.
Vous avez soulevé, tout comme d’autres témoins, l’importance de l’intégration de ces connaissances dans l’éducation. Vous avez parlé d’intégrer des programmes au programme de technologie de l’environnement du Collège de l’Arctique du Nunavut. C’est une partie importante de cet écosystème de création, de transformation et de diffusion du savoir.
Pouvez-vous nous parler un peu, par exemple, des diplômés de ce programme? Où aboutissent-ils? Que font-ils avec les connaissances et l’expertise qu’ils ont acquises dans le cadre de votre programme et d’autres? Quels sont les autres types de points d’entrée? Vous avez parlé d’autres points d’entrée dans le système d’éducation pour le type d’interface comprenant la recherche que vous menez et les techniques de recherche, et cetera. Pouvez-vous nous en parler?
Mme Provencher : Je vais parler des diplômés du programme de technologie de l’environnement du Collège de l’Arctique du Nunavut. Ce programme existe maintenant depuis environ 27 ans. Nous avons lancé le nôtre il y a à peu près 12 ans. Il a un très bon bilan. Nous avons eu l’idée il y a quelques années lorsque nous effectuions une évaluation. Étant donné mon expérience en éducation, je crois fermement qu’il faut que les programmes scientifiques et les programmes d’éducation contiennent une évaluation ou une réflexion pour comprendre ce qui pourrait être amélioré. C’est ce que nous avons fait il y a deux ans. J’ai bien aimé l’exposé de Sandra, de la QIA. Certains diplômés de ce programme sont les uattijiit dont elle a parlé, ce qui est vraiment excitant à voir.
Nous avons des diplômés qui travaillent maintenant pour Environnement et Changement climatique Canada, au bureau d’Iqaluit, pour le ministère des Pêches et des Océans, également au bureau d’Iqaluit, et pour des sociétés d’experts-conseils dans le Nord et dans le Sud. Le plus grand défi dont ont fait part les instructeurs principaux de ce programme, c’est le braconnage parce que les étudiants sont très compétents. Je donne un module d’une semaine qui fait partie d’un programme de deux ans, mais les étudiants se font souvent offrir un emploi avant de terminer le programme. Mes collègues là-bas travaillent dur pour s’assurer que ces étudiants obtiennent leur diplôme avant de commencer leur emploi. Les étudiants sont très qualifiés parce que je crois que le collège a trouvé, dans le cadre du programme de technologie de l’environnement, un juste équilibre, encore une fois, entre les détenteurs de connaissances locaux, ce qui permet aux étudiants de vivre dans le Nord et de participer aux efforts déployés au besoin, ce qui est combiné à une attention particulière portée aux jeunes femmes et aux parents. Nous offrons notre module la semaine et, la fin de semaine, nous essayons de trouver aux étudiants des emplois à court terme le samedi ou le dimanche afin qu’ils puissent continuer leurs cours et faire des dissections. Cela nous aide parce que nous pouvons analyser nos échantillons et cela aide aussi les étudiants parce que nous leur versons un assez bon salaire selon leur formation. Au cours des dernières années, de jeunes mères nous ont dit qu’elles ne pouvaient pas travailler la fin de semaine. Nous les avons donc accueillies avec leurs enfants. En fait, j’ai de merveilleuses photographies de jeunes étudiants d’âge scolaire qui aident leur mère et leur père dans l’établissement, ce qui en fait un espace ouvert qui accueille tout le monde. Je crois que ces types d’initiatives ont très bien fonctionné pour le programme et ont permis aux étudiants de poursuivre le programme et, par conséquent, de réussir. Je pense que c’est un aspect important.
Pour ce qui est des possibilités de rechange, nous offrons un certain nombre d’autres programmes. Encore une fois, je fais beaucoup de travail qui est financé par le Programme de lutte contre les contaminants dans le Nord. Par le passé au Canada, on n’a pas toujours bien communiqué avec les peuples autochtones pour ce qui est des contaminants. Nous travaillons avec de nombreux chercheurs, ainsi que des experts en savoir traditionnel, afin d’offrir des ateliers communautaires. Nous proposons entre autres un atelier sur les connaissances et les sciences autochtones relatives au phoque annelé. Nous en avons tenu à Resolute Bay et à Sachs Harbour et nous venons d’en organiser un l’an dernier à Arviat, qui a été une réussite et dans le cadre duquel nous avons collaboré avec l’organisation de conservation locale pour permettre aux enseignants, aux étudiants, aux chasseurs et aux aînés — à vraiment tout le monde — de venir interagir en personne avec les gens. Il n’y a pas beaucoup de présentations PowerPoint, mais nous présentons des tableaux et des exemples concrets, et des personnes peuvent venir parler dans un environnement très décontracté. Ces discussions sont parmi les plus importantes parce qu’elles permettent aux chercheurs d’apprendre des choses et d’écouter les gens. C’est un changement de paradigme que j’ai constaté au cours des 10 années que j’ai passées sur le terrain. Les chercheurs de l’ancienne génération faisaient de l’excellent travail, mais ils n’étaient pas nécessairement formés pour écouter les gens.
En comparaison avec les premiers chercheurs, nous avons appris davantage, à mon avis, à écouter les gens et à tenir compte des multiples points de vue de tous les intervenants.
Les discussions que nous tenons sont de moins en moins unilatérales et de plus en plus multilatérales.
La sénatrice Coyle : Votre recherche sur les plastiques m’intéresse beaucoup. Vos conclusions sont très inquiétantes. Je crois que le monde est bien au fait maintenant du problème.
J’aimerais en savoir plus sur les tendances que vous pouvez découvrir au fil du temps et sur ce à quoi vous les attribuez.
Vous êtes une universitaire. Quel type de relation entretenez-vous, vous et votre cohorte de chercheurs sur les plastiques dans l’environnement, avec les ministères, les organisations inuites et les organisations environnementales? Il serait bon que nous comprenions cela.
Mme Provencher : Je vais d’abord répondre à la question sur les tendances. Malheureusement, les prélèvements d’échantillons de plastiques au Canada ont seulement été faits de manière ponctuelle jusqu’à maintenant. Nous ne pouvons pas parler de tendances parce que les données sont incomplètes. Je peux discuter des tendances géographiques. En Europe, on surveille la pollution par les plastiques chez les oiseaux de mer, qui servent d’indicateurs à cet égard depuis les années 1980. Pour ma maîtrise, je suis allée en Europe pour apprendre ce que les gens font en vue d’appliquer les mêmes normes à chaque occasion. Ce que nous savons, c’est que là où il y a le plus haut taux d’ingestion de plastiques par des oiseaux de mer — par le fulmar boréal, ou Fulmarus glacialis, qui est une espèce indicatrice utilisée en Europe —, c’est en Nouvelle-Écosse, dans l’île de Sable, qui est située dans le Gulf Stream, à notre frontière sud.
Au deuxième rang, c’est le taux de l’île de Vancouver, ce que les gens trouvent souvent plus surprenant parce qu’ils s’attendent à ce qu’il soit le plus élevé. Les taux les plus faibles sont ceux du Nord. Nous avons un troisième site, la mer du Labrador, qui compte un taux faible. Ensuite, près de la baie Resolute et de l’île Prince Leopold se trouvent les taux les plus faibles. Même les oiseaux du passage du Nord-Ouest ont du plastique dans l’estomac. Environ 80 p. 100 de ces oiseaux ont au moins un morceau de plastique dans l’estomac.
Il s’agit d’un problème pancanadien. Nous prélevons des échantillons sur les trois côtes lorsque nous le pouvons. Nous travaillons avec nos collègues d’Environnement et Changement climatique Canada dans ce dossier. Nous avons avancé des idées sur ce à quoi pourrait ressembler un programme pancanadien de surveillance des plastiques. Il est possible d’utiliser des oiseaux de mer comme témoins dans les océans et les eaux douces parce que le plastique n’est pas un problème océanique, c’est un problème aquatique. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec nos collègues pour examiner cela au moment où le Canada élabore ses politiques et son cadre stratégique en matière de plastiques.
Pour ce qui est des ONG, je pense que nombre de personnes font de l’excellent travail, notamment pour nettoyer les plages.
L’aquarium de Vancouver effectue le Grand nettoyage des rivages canadiens, et l’Ocean Conservancy organise la Journée internationale de nettoyage des côtes. Ces données sont très importantes. Lorsque nous passons des plastiques aux microplastiques, nous collaborons étroitement avec le Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut, lequel a fait de la question des plastiques une priorité cette dernière année dans les trois régions du Nord. À l’Université Acadia, nous avons établi un partenariat avec la collectivité de Qikiqtarjuaq pour demander du financement au Conseil de gestion des ressources fauniques du Nunavut. Le financement a été directement versé à la collectivité, qui a ensuite embauché des aides et des capitaines de bateau locaux qui ont travaillé en collaboration avec nous pour prélever des échantillons environnementaux.
C’est complexe dans le Nord en raison du financement. Nous avons effectué une analyse il y a quelques années, qui a révélé que les mêmes travaux réalisés dans l’Arctique coûtent de 4 à 10 fois plus cher que lorsqu’ils sont menés dans le Sud. Nous pouvons faire cela parce qu’il y a des oiseaux de mer dans le Sud et dans le Nord. Nous devons rassembler beaucoup de joueurs à la table afin de réunir les connaissances, mais également le financement et les ressources.
Nous avons une longue histoire et d’excellentes relations. Nous allons retourner à Qikiqtarjuaq pour présenter nos résultats dans deux ou trois semaines. Il s’agit d’excellentes relations. À mesure que nous nous intéressons davantage aux microplastiques, les plastiques de petite taille, je pense que ces relations continuent d’évoluer. Lorsque nous parlons de très petits plastiques, ce sont ceux que nous rejetons tous dans l’environnement à l’heure actuelle. On doit être très précis et minutieux; on ne peut pas demander à des scientifiques amateurs de recueillir ces microplastiques ou nanoplastiques parce qu’il faut être complètement couvert. On doit porter des vêtements d’une couleur précise afin que, lorsqu’on trouve des fibres de cette couleur, on puisse ne pas en tenir compte. Dans mon laboratoire, il y a beaucoup de sacs Ziploc roses pour que nous puissions ne pas tenir compte des fibres roses, puisqu’elles ne sont pas courantes dans l’environnement. Elles sont très particulières.
Il est très intéressant de travailler sur les plastiques avec des données scientifiques et autochtones parce qu’il n’y a pas beaucoup de données scientifiques ni beaucoup de connaissances autochtones sur ce sujet. Nous travaillons ensemble afin de mieux les comprendre. La science offre de l’information quantitative sur les produits chimiques, et les connaissances autochtones nous disent où chercher, ce que nous devons chercher et ce qui est important que les gens comprennent. D’excellents groupes font cela, mais, comme nous explorons la question ensemble, il faut également soulever certaines réserves.
La sénatrice Coyle : Avez-vous dit qu’il est de 4 à 10 fois plus coûteux de réaliser le même type de recherche dans l’Arctique? D’accord. C’est ce que j’avais compris. Merci.
La sénatrice Eaton : J’ai lu votre recherche et je mène actuellement une équipe chargée d’évaluer les niveaux de prises accessoires dans les pêches du Nord du Canada et les incidences démographiques et génétiques potentielles que peuvent avoir les pêches sur les populations d’oiseaux de mer.
Il importe de souligner que ce projet est une priorité dans le cadre de l’Initiative sur les oiseaux migrateurs de l’Arctique du Conseil de l’Arctique. Pourriez-vous nous en parler?
Mme Provencher : L’Initiative sur les oiseaux migrateurs de l’Arctique était menée lorsque le Canada présidait le groupe de travail sur la conservation de la flore et de la faune arctiques.
Nous avons mené des évaluations initiales des prises accessoires...
La sénatrice Eaton : Qu’est-ce qu’une prise accessoire?
Mme Provencher : Lorsqu’on attrape un poisson, qui est le poisson ciblé... Lorsque vous commandez ce poisson au restaurant, il n’est pas servi avec un accompagnement d’oiseau de mer mort.
La sénatrice Eaton : Pas encore.
Mme Provencher : Vous commandez un poisson, et c’est ce poisson que les pêcheurs capturent dans leurs filets.
La sénatrice Eaton : S’agit-il de grands bateaux de pêche commerciale?
Mme Provencher : Il pourrait s’agir de n’importe quel type. Dans ce cas-ci, il s’agit de pêche commerciale. Les prises accessoires, peu importe la cible, sont les prises autres que l’espèce de poisson ciblée, mais ce peut également être des oiseaux de mer.
Dans la région de la baie de Baffin et du détroit de Davis, on pêche le flétan noir et la crevette et on fait des prises accessoires de poissons et d’oiseaux de mer. On ne s’est jamais penché sur les oiseaux de mer. Nous ne savions pas s’il y en avait beaucoup ou si cela posait problème. Au bout du compte, nous travaillons avec les chasseurs. Nous ne sommes pas contre la capture accessoire d’oiseaux de mer, mais nous voulons savoir si cela a une incidence. Si on n’attrape que quelques oiseaux, cela ne nuit probablement pas à la population. Mon travail consiste à comprendre si ces prises accessoires d’oiseaux pendant la pêche de poissons ont une incidence sur la conservation des oiseaux.
La sénatrice Eaton : Et combien d’oiseaux sont capturés par tonne.
Mme Provencher : Exactement. Nous avons établi un partenariat avec le ministère des Pêches et des Océans et, le plus important, avec la Nunavut Fisheries Association dans le cadre de ce travail parce qu’elle a présenté une demande au Marine Stewardship Council en vue d’obtenir une certification de la durabilité pour ses pêches afin d’augmenter les revenus de ces pêches et des pêches durables. Elle est un de nos principaux partenaires, et nous lui avons demandé du financement par l’intermédiaire de ma subvention fiscale afin qu’un doctorant puisse travailler à temps plein là-dessus pour les quatre prochaines années. Nous nous sommes attaqués à cette question — y a-t-il des oiseaux qui sont capturés, et cela a-t-il une incidence sur les populations — avec nos partenaires. La question à laquelle nous voulons répondre est la suivante : quelle est la meilleure façon d’exploiter les pêches du Nunavut de manière durable afin de nous assurer que ces écosystèmes et ces pêches sont accessibles aux gens et leur sont bénéfiques?
La sénatrice Eaton : Nous avons tous vu les énormes quantités de plastique qui ont traversé l’océan jusqu’à la côte Ouest à la suite du tsunami et les derniers efforts déployés en Asie du Sud-Ouest et dans certaines des îles pour ramasser le plastique. D’où vient le plastique dans le passage du Nord-Ouest?
Mme Provencher : Nous avons des idées, mais nous n’avons pas nécessairement de réponses.
Nous savons qu’il arrive au moins en suivant les courants océaniques. Nous trouvons des larmes de sirène — des granules industrielles — dans le corps des oiseaux de l’Arctique. Étant donné que nous n’avons pas de couloirs de navigation pour les bateaux transportant des larmes de sirène — qui sont du plastique brut — qui entrent dans l’Arctique et qu’il n’y a pas d’usines de plastique dans l’Arctique, nous savons qu’elles sont apportées par les courants marins.
Nous savons également qu’il existe de nombreuses sources locales de plastique. Je participe à quelques projets dans le cadre desquels nous faisons des évaluations — nous appelons cela une vérification des plastiques ou des déchets. Nous déterminons la quantité de plastique rejetée par l’océan par rapport à celle provenant de la terre ferme. Nous savons qu’il y a des sources locales et de la gestion locale des déchets dans de nombreuses collectivités éloignées, mais surtout dans l’Arctique, où il n’y a pas de routes. Ce n’est pas facile.
La sénatrice Eaton : Les déchets de plastique dans l’eau pourraient provenir de l’Arctique lui-même.
Mme Provencher : Les collectivités de l’Arctique y jettent du plastique, mais la question est de savoir dans quelle proportion. Dans le cadre de mon travail, nous savons également que les espèces migratrices apportent des matières plastiques dans l’Arctique. Nous avons des oiseaux migrateurs qui se nourrissent dans les tas d’ordures dans les régions du Sud tout l’hiver pour ensuite s’envoler vers le Nord. Je m’excuse, mais nous avons examiné les excréments de ces oiseaux, et on y trouve du plastique. Ils défèquent autour de la colonie et concentrent également les matières plastiques.
Il y a de nombreux vecteurs. Je dirais qu’il y a des vecteurs à la fois locaux et éloignés relativement aux matières plastiques dans l’Arctique.
La sénatrice Eaton : Professeur, au moment de la période des questions, si vous aviez une question à poser au leader du gouvernement au Sénat ou au premier ministre au sujet de la large bande, quelle serait-elle? Pourquoi, monsieur, ne faites-vous pas une chose aussi évidente?
M. Shafai : Ce qui est troublant, à mon avis, c’est que la solution pour connecter le Nord au reste du monde semble tellement simple. Nous refusons de la voir. Je pense que c’est ça, le problème.
J’ai passé beaucoup de temps à parler à mes collègues de l’Agence spatiale canadienne et de l’industrie, et ils sont tous en faveur. Puis, soudainement, on entend dire qu’on veut dépenser de l’argent pour envoyer un homme sur la lune. Qu’en est-il de nos concitoyens du Nord? On peut dépenser autant d’argent.
La sénatrice Eaton : Selon les dernières nouvelles sur Google ce matin, on veut dépenser 6,2 milliards de dollars pour reconstruire les Nations Unies à Toronto. Nous pourrions avoir beaucoup de services à large bande et faire beaucoup de choses dans le Nord avec ces fonds.
M. Shafai : Essentiellement, si nous oublions demain ce dont nous avons discuté aujourd’hui, nous n’avons vraiment rien accompli. Si nous pouvons mettre en place un mécanisme permettant de faire connaître la situation au public, au gouvernement du Nord ou aux représentants de l’industrie dans le Sud, ils pourront se réunir et dire : « C’est un problème simple. Pourquoi ne pas le faire? » C’est peu coûteux parce que les satellites existent. Il s’agit simplement de les lancer.
La sénatrice Bovey : Supposons que l’on nous réponde aujourd’hui que l’argent sera dépensé. Combien de temps cela prendrait-il pour la connexion? Combien de temps faudrait-il pour donner aux gens du Nord ce qu’ils méritent?
M. Shafai : Eh bien, il faut réserver un moment pour le lancement. Cela pourrait prendre un an. Si on va dans des pays comme l’Inde et la Chine, ce sera plus rapide. Il y a ici des questions politiques qui influent sur le choix du moment.
Si le satellite est là pour les collectivités du Nord, beaucoup d’affaires s’y feront. Des services Internet seront mis en place parce que le satellite sera accessible au sommet d’une montagne, dans la toundra, dans les collectivités, partout. Il s’agit simplement qu’ils soient là afin que les gens puissent dire : « D’accord, je veux l’utiliser. »
Le principal problème, c’est qu’il ne faut pas que cela aboutisse à une impasse et tombe dans l’oubli. Mettons en place un mécanisme permettant aux gens d’en parler. Alors, le projet se réalisera.
La sénatrice Bovey : Lorsque nous étions dans le Nord l’automne dernier, cette question a été soulevée à de nombreuses reprises, et c’est pourquoi j’en ai parlé avec les étudiants en génie de l’université la semaine dernière. Je vous remercie.
Le président : Monsieur Shafai, votre exposé m’a beaucoup intrigué. Je ferai part du point de vue que j’ai entendu, à savoir que la connectivité par satellite — soit dit en passant, c’est la priorité du gouvernement du Canada, ce qu’on appelle le programme Brancher pour innover — dépend de la large bande par satellite comme moyen d’étendre l’accès à Internet. Toutefois, les gens disent que l’argent mis dans les satellites est de l’argent perdu, parce que vous payez pour le temps, mais vous n’avez pas d’infrastructure permanente, et les satellites ont une durée de vie limitée. La bonne solution est la fibre optique. Il s’agit d’une solution à long terme, de meilleure qualité et durable.
Vous avez choisi les satellites et présenté des arguments convaincants. S’il s’agissait d’un satellite du gouvernement canadien, ses coûts d’utilisation ne seraient pas si élevés.
Pourriez-vous nous dire ce que vous pensez de la fibre optique par rapport aux satellites, s’il vous plaît?
M. Shafai : Dans ce domaine, on ne rejette rien. Il y a quelques années, une entreprise de Winnipeg a réalisé une étude visant à assurer une connectivité au Nunavut au moyen de la fibre optique. Elle a estimé que cela coûterait environ 4 milliards de dollars.
À présent, si c’est le cas, il y a beaucoup de problèmes environnementaux. Les défenseurs de l’environnement diront : « Non, vous ne pouvez pas faire cela. Vous allez nuire à ceci ou à cela. » Il faut beaucoup de temps pour obtenir le permis et dépenser autant d’argent.
Cela pourrait arriver un jour ou l’autre. Le satellite est très bon marché. Il existe déjà. C’est un peu comme si on disait : « Faisons-le maintenant, et cela donnera aux gens le temps de régler le problème de la fibre optique à large bande. » C’est peut-être la solution éventuelle, mais ce n’est pas pour demain.
Je vais vous donner un exemple de ce qui s’est passé après l’Union soviétique. Toutes les républiques voulaient des réseaux à large bande. Le choix s’est porté sur la fibre optique ou le sans-fil. L’un de mes étudiants avait mis au point un système sans fil à large bande, et il aurait pu, du jour au lendemain, installer une antenne et le matériel nécessaire et établir le réseau. C’était presque une solution instantanée.
C’est ce que fournit le satellite : une solution rapide. Ce n’est peut-être pas une solution permanente, mais c’est une solution rapide. Faisons-le maintenant au lieu d’attendre 10 ans de plus.
Cette étude a été réalisée il y a plusieurs années. L’entreprise a estimé que cela coûterait 4 milliards de dollars seulement pour le Nunavut. Aujourd’hui, il pourrait s’agir de 10 milliards de dollars; demain, ce pourrait être 15 milliards de dollars. Nous parlons d’une somme de l’ordre de 100 millions de dollars pour lancer le satellite et démarrer le service.
S’il est établi là-bas, les gens sont conscients du besoin et ils ne reviendront pas en arrière. Ils diront : « Je veux une solution permanente. »
Cela établit vraiment le bien-fondé, parce que c’est peu coûteux et rapide et qu’on peut le déployer aussitôt que possible. Il n’y a pas de problèmes environnementaux, car les ondes n’ont aucune incidence sur la glace, les routes et les ponts. Vous mettez en place le satellite et vous établissez la connexion.
Le président : Vous dites que l’Agence spatiale canadienne a conçu un satellite. Est-ce qu’un programme de satellite financé par le gouvernement pourrait coûter moins cher aux utilisateurs qu’un satellite privé comme celui sur lequel nous comptons actuellement, plus particulièrement Télésat?
M. Shafai : Le système de poursuite par satellite SAR fait autre chose que de fournir un service Internet. Ce n’est qu’un satellite de télédétection.
Le président : Oui, mais je veux dire celui que vous envisagez comme satellite de l’Agence spatiale canadienne. Serait-il offert à un coût moindre?
M. Shafai : Le service mondial de communication et d’Internet?
Le président : Oui.
M. Shafai : Je dis qu’il est peu coûteux parce qu’il existe déjà. Il a été conçu, construit et mis à l’essai. Il s’agit simplement de le lancer. Si on devait repartir à zéro et concevoir, construire et mettre à l’essai un satellite, cela prendrait du temps et de l’argent; mais on l’a déjà fait. On n’a simplement pas obtenu l’argent pour le lancer. Les gens de l’agence ont dit : « Eh bien, le ministère de la Défense est sur l’affaire; peut-être qu’il devrait payer pour cela. Le dossier s’est perdu quelque part entre les ministères. »
Le président : Vous m’avez intrigué et vous nous avez probablement tous intrigués avec vos commentaires sur la disposition de l’Agence spatiale canadienne à offrir son aide pour relever cet énorme défi dont nous avons tous entendu parler et à relancer son programme de satellite polaire. Vous avez des relations à l’Agence spatiale canadienne. Y a-t-il une personne ou une division à qui le comité devrait s’adresser?
M. Shafai : Je peux recommander Guy Séguin, qui est maintenant retraité de l’agence spatiale. Il connaît tout le monde là-bas. Il connaît tous les programmes et il est au courant de ce qui s’est passé. Je peux travailler avec lui parce que nous sommes toujours en communication et nous savons ce qui se passe. Ce contact peut être établi. Vous pouvez aller voir l’agence spatiale à Montréal. Guy Séguin est à Montréal. Il peut vous aider à obtenir toute l’information dont vous avez besoin.
Le président : Merci beaucoup de cette recommandation. Je vous remercie tous les deux de cette discussion des plus stimulantes et instructives.
(La séance est levée.)