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ENEV - Comité permanent

Énergie, environnement et ressources naturelles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent de
l'Énergie, de l'environnement et des ressources naturelles

Fascicule nº 19 - Témoignages du 15 décembre 2016


OTTAWA, le jeudi 15 décembre 2016

Le Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles se réunit aujourd'hui, à 9 h 3, pour poursuivre son étude sur les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

Le sénateur Paul J. Massicote (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président : Bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l'énergie, de l'environnement et des ressources naturelles. Je m'appelle Paul Massicotte, de la province de Québec, et je suis vice-président de ce comité.

J'aimerais souhaiter la bienvenue aux membres du public qui sont ici dans la salle, ainsi qu'à ceux qui nous regardent à la télévision. Pour ceux qui nous regardent, je rappelle que les audiences du comité sont ouvertes au public et qu'on peut aussi les visionner en webdiffusion sur le site sen.parl.gc.ca. Vous trouverez aussi plus d'information sur l'horaire des réunions sous la rubrique des comités du Sénat.

J'invite maintenant les sénateurs autour de la table à se présenter, en commençant par mon collègue à ma droite, le sénateur MacDonald.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Enverga : Tobias Enverga, de l'Ontario.

La sénatrice Fraser : Joan Fraser, du Québec.

La sénatrice Seidman : Judith Seidman, de Montréal, Québec.

Le sénateur Lang : Dan Lang, du Yukon.

[Français]

Le vice-président : J'aimerais aussi vous présenter notre personnel en commençant par notre greffière, Maxime Fortin, et nos deux analystes de la Bibliothèque du Parlement, qui sont à ma droite, Sam Banks et Marc LeBlanc.

Avant de présenter notre témoin, j'aimerais souligner que la motion du sénateur Carignan, qui a été adoptée la semaine dernière par le Sénat, apportera quelques changements à notre comité. D'abord, de nouveaux membres se joindront à nous. Le comité comptera bientôt 15 membres. Un autre changement touchera la composition du Sous-comité du programme et de la procédure qui sera composé d'un membre supplémentaire, choisi parmi les sénateurs qui ne sont pas membres d'un parti reconnu. L'adoption d'une motion à cet effet par le comité est une bonne pratique.

Si vous êtes d'accord, j'aurais besoin d'une motion qui stipule que, conformément à l'ordre adopté par le Sénat, le 7 décembre 2016, le nombre de membres du Sous-comité du programme et de la procédure soit augmenté d'un membre sans droit de vote, choisi parmi les sénateurs qui ne sont pas membres d'un parti reconnu, désigné après les consultations d'usage.

La motion est-elle proposée?

[Traduction]

Le sénateur Lang : Elle l'est.

[Français]

Le vice-président : Merci. Vous plaît-il, honorables sénateurs, d'adopter la motion?

Des voix : Oui.

Le vice-président : La motion est adoptée.

Nous en sommes aujourd'hui à notre 29e réunion dans le cadre de l'étude sur les effets de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, transition nécessaire pour atteindre les objectifs annoncés par le gouvernement du Canada en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. J'ai donc le plaisir d'accueillir notre témoin d'aujourd'hui, par vidéoconférence, de l'Institut canadien de recherche énergétique, M. Allan Fogwill, président-directeur général. Je vous remercie d'avoir accepté de témoigner devant nous. Je vous invite tout d'abord à faire votre déclaration liminaire, après quoi nous passerons aux questions et réponses.

[Traduction]

Merci d'être là ce matin, monsieur Fogwill. Nous apprécions votre contribution. L'un de nos témoins a fait allusion à votre institut, cette semaine, et nous sommes impatients d'entendre ce que vous avez à dire.

Allan Fogwill, président-directeur général, Institut canadien de recherche énergétique : Merci au comité de m'avoir invité. J'aimerais vous faire part de certains aspects de notre étude sur l'électrification. Nous pourrons ensuite en discuter de façon générale.

L'Institut canadien de recherche énergétique est une organisation vieille de 40 ans qui réalise des recherches objectives sur les impacts économiques et environnementaux des enjeux énergétiques. Notre statut neutre nous empêche de faire des recommandations ou de suggérer des politiques. Nous faisons de notre mieux pour fournir au gouvernement et à l'industrie des preuves fondées sur des faits, sur lesquelles ils peuvent baser leurs décisions.

Un débat fait rage au Canada en ce moment au sujet de la transition vers une économie à faibles émissions de carbone. L'une des solutions est d'utiliser l'électricité pour toutes les utilisations finales des secteurs résidentiel, commercial, industriel et des transports. L'Institut canadien de recherche énergétique a réalisé une étude afin de prendre la mesure des répercussions de l'électrification dans les secteurs résidentiel, commercial et du transport passager. Pour ce qui est de l'industrie et du transport de marchandises, cette évaluation s'est avérée plus compliquée, et c'est pourquoi, pour l'instant, ces secteurs ne font pas partie de notre analyse.

Nous voulions savoir dans quelle mesure ces secteurs pourraient aider le Canada à atteindre les cibles de réduction des émissions de dioxyde de carbone qu'il s'est fixées pour 2030 et 2050. Notre recherche visait à répondre aux trois questions suivantes : premièrement, quelles transitions majeures les systèmes énergétiques devront-ils effectuer pour électrifier les services énergétiques aux fins d'utilisation finale des services résidentiels, commerciaux et de transport des passagers? Deuxièmement, quelles réductions des émissions l'électrification permettrait-elle de réaliser? Et troisièmement, combien cela coûterait-il?

Nous avons comparé notre scénario d'électrification à ce qui se produirait si rien ne changeait. Selon ce scénario, l'équipement électrique viendrait peu à peu remplacer l'équipement utilisé pour le gaz naturel dans les secteurs résidentiel et commercial, suivant le cycle normal de mise hors service et de remplacement. La seule exception à cela, c'est que dans le Canada atlantique, le combustible à remplacer serait le mazout et non le gaz naturel.

Nous avons aussi remplacé les véhicules passagers fonctionnant à l'essence ou au diesel par des voitures électriques. L'échéancier pour ce remplacement commençait plus tard dans la période à l'étude, puisque les technologies des voitures électriques sont encore en développement.

Parallèlement à cela, l'augmentation de la demande en électricité — qui nous a été fournie par le réseau — serait assumée dans une large mesure par des sources renouvelables et d'autres options à émissions nulles, dans une proportion qui attendrait en moyenne 60 p. 100 dans chaque province ou chaque région. Le reste de l'électricité serait produite avec du gaz naturel accompagné ou non de procédés de captage et de stockage du carbone.

Notre première constatation c'est qu'une transition importante des services énergétiques vers des sources d'énergie autres que le gaz naturel, l'essence, le diesel et le mazout entraînerait une chute considérable des émissions. Considérable, mais pas suffisante.

À preuve, l'objectif de 2030 et de 30 p. 100 sous les niveaux de 2005. Or, avec le scénario dont je viens de parler, le Canada atlantique serait à 7 p. 100, le Québec, à 9 p. 100, l'Ontario, à 14 p. 100, le Manitoba, à 11 p. 100, la Saskatchewan, à 8 p. 100, l'Alberta, à 6 p. 100 et la Colombie-Britannique serait à 9 p. 100. Si l'on considère l'objectif de 2050, les résultats sont similaires, c'est-à-dire des réductions additionnelles, certes, mais qui ne représentent qu'une fraction de ce qu'il faudra pour atteindre la cible de réduction de 80 p. 100.

Donc, la première constatation, c'est que l'électrification de ces trois secteurs n'est pas suffisante. Le secteur industriel et le secteur du transport des marchandises produisent une part importante des émissions de gaz à effet de serre et ils devront être inclus dans cette démarche si nous voulons réaliser les cibles de réduction des émissions que s'est données le Canada.

La deuxième constatation, c'est que le prix au détail moyen de l'électricité en 2050 serait d'environ 16 à 77 p. 100 plus élevé que si le statu quo était maintenu. De manière générale, cela signifie qu'en plus des augmentations annuelles habituelles de 1 à 2 p. 100 que nous constatons à l'échelle du pays, il y aurait une augmentation annuelle additionnelle de 2 à 3 p. 100 pendant 30 ans. Cette augmentation n'est pas dramatique en soi, sauf que les consommateurs d'électricité sont déjà nombreux à se préoccuper de l'abordabilité de cette forme d'énergie.

La troisième constatation, c'est que la demande en électricité serait deux ou trois fois plus grande que la demande actuelle. Cela voudrait dire que chaque province aurait à doubler ou à tripler la taille de son réseau. Étant donné que les technologies renouvelables offrent une densité énergétique moindre, l'empreinte sur l'utilisation des terres serait vraisemblablement plus grande qu'avec le statu quo.

Les nouvelles ne manquent pas de nous rappeler que les citoyens s'inquiètent de voir des infrastructures énergétiques se bâtir près de chez eux. Cette expansion du système électrique nourrirait des inquiétudes. Toutefois, une façon de remédier à cela serait de recourir massivement à la production décentralisée et à la production autonome. C'est une option qui pourrait aider à réduire l'empreinte générale de l'expansion du réseau, mais qui ne règle pas les problèmes liés au choix des sites.

Une autre chose dont il faut tenir compte, c'est qu'il y a des taxes sur les carburants. Les taxes perçues sur l'essence par le gouvernement fédéral et les provinces totalisent 11 milliards de dollars par année. Cette recette fiscale disparaîtrait si notre scénario de l'électrification allait de l'avant, avec toutes les conséquences que cela signifierait pour les budgets de nos gouvernements.

En résumé, l'électrification des secteurs résidentiel, commercial et du transport passager n'est qu'une partie de la solution que pourraient envisager les gouvernements fédéral et provinciaux pour atteindre leurs cibles de réduction des émissions.

Merci.

Le vice-président : Merci, monsieur Fogwill.

Le sénateur Lang : Merci beaucoup d'être là, ce matin. Ma première question porte sur les prémisses que vous avez retenues pour votre étude à long terme afin de déterminer l'énergie qui serait requise pour les années à venir dont vous avez parlé. Je dis cela parce qu'à l'heure actuelle, le Canada accepte près de 500 000 nouvelles demandes par année de personnes qui souhaitent obtenir la citoyenneté, ou qui veulent travailler ici ou aller à l'université ici. Ce sont des chiffres non négligeables. Cela correspond à la taille d'une grosse ville; d'après ces chiffres, il y aurait 5 millions de nouvelles personnes au bout de 10 ans.

Quand vous cherchiez à cerner les besoins que les Canadiens auraient individuellement et collectivement, sur quelles prémisses vous êtes-vous basés pour déterminer quelle serait la population canadienne à la fin de la période visée par votre étude?

M. Fogwill : Sénateur, je n'ai pas les chiffres exacts en tête, mais je sais que nous avons tenu compte de la croissance globale démontrée de la population et de l'activité économique au cours de 10 dernières années, et nous avons fait des projections jusqu'à la fin du cycle visé par notre étude.

Le sénateur Lang : Croyez-vous que vous pourriez nous faire parvenir cette information?

M. Fogwill : Absolument.

Le sénateur Lang : J'aimerais changer de sujet. Vous en avez parlé dans votre exposé. Il s'agit de la difficulté de faire quelque projet que ce soit en raison d'une certaine attitude affichée par les citoyens à l'égard du développement, qu'il s'agisse d'électricité, d'hydroélectricité ou de quoi que ce soit d'autre de cette nature. C'est un phénomène que certains appellent le syndrome du « pas dans ma cour ».

Ma question porte sur le fait que le milieu politique canadien a passablement changé. Il y eut un temps où ceux qui faisaient des représentations dans le cadre du processus réglementaire étaient des personnes qui intervenaient généralement en fonction de leur propre point de vue et qui n'étaient pas payées pour le faire. Cela leur donnait une occasion de se faire entendre. Aujourd'hui, il y a des organismes qui sont financés par des intervenants qui sont à l'extérieur du pays et qui disposent de millions de dollars pour s'opposer sur une base quotidienne à tout projet de développement en sol canadien.

Votre organisme a-t-il déjà pensé à faire une étude en profondeur sur la provenance de cet argent et sur les personnes qui la fournissent? Cette information permettrait aux Canadiens de savoir qui sont ces personnes qui donnent des millions de dollars à ces organisations politiques et quelles sont leurs motivations.

M. Fogwill : Sénateur, nous n'avons jamais parlé de cela à l'institut. La réponse courte est donc non, nous n'avons jamais envisagé ce genre de travaux.

Le sénateur Lang : Ce qui se passe vous préoccupe-t-il?

M. Fogwill : En tant que citoyen, je suis d'avis que les gens devraient respecter nos institutions démocratiques. Pour ce qui est de la mesure dans laquelle les gens sont prêts à collaborer avec ces institutions démocratiques, je crois que c'est secondaire comparativement à la crédibilité des institutions proprement dites. J'ose espérer que nous sommes tous en mesure de respecter le processus et les décisions qui en découlent.

Le sénateur Lang : J'aimerais poursuivre dans cette veine. J'aimerais savoir ce que vous pensez du fait que des millions de dollars en provenance de l'extérieur du pays sont mis à disposition pour financer une bonne partie de ces protestations. Est-ce que cela vous a préoccupé, vous ou votre organisation, en ce qui a trait à la perception que vous aviez du processus de réglementation ainsi qu'au fait que nous ne semblons pas être en mesure d'aller de l'avant avec n'importe laquelle de ces décisions?

M. Fogwill : Sénateur, je ne connais pas suffisamment les divers organismes qui financent ou ne financent pas les intervenants dont vous parlez, alors je ne crois pas que je peux commencer à émettre des hypothèses sur ce qui se passe. Je ne peux pas formuler d'opinion valable à ce sujet.

La sénatrice Fraser : Bonjour, monsieur Fogwill. Merci beaucoup d'être là.

J'ai deux questions. La première est attribuable à mon ignorance. Dans votre exposé, vous avez dit qu'une solution aux problèmes sociaux occasionnés par l'expansion éventuelle du réseau électrique était de recourir de façon massive à la production décentralisée et à la production autonome. Je présume que la production autonome est le fait pour les citoyens d'avoir leurs propres cellules solaires, leurs propres éoliennes ou quoi que ce soit d'autre.

M. Fogwill : Oui.

La sénatrice Fraser : Qu'est-ce que la production décentralisée?

M. Fogwill : C'est un peu la même chose, mais à plus grande échelle. Habituellement, dans un réseau électrique, il y a les génératrices qui sont à un bout de la chaîne, la transmission qui apporte l'électricité jusqu'aux villes puis le réseau de distribution local. Il serait possible de construire de petites génératrices dans la ville, génératrices qui seraient mieux branchées au système local. Les unités ne seraient pas nécessairement pour un client, mais pour l'ensemble du système.

La sénatrice Fraser : Lorsqu'on se promène à la campagne, on voit de plus en plus de grands parcs de panneaux solaires, mais l'information qui me manque, c'est la taille qu'il faudrait qu'un tel parc ait pour répondre aux besoins en électricité d'un village. Avez-vous une idée de ce que cela peut être? Je fais allusion à votre vif commentaire sur la résistance sociale à l'égard d'une trop grande utilisation des terres.

M. Fogwill : En ce qui a trait à mon observation sur la densité énergétique moindre de l'éolien ou du solaire, je ne serais pas en mesure de vous donner de chiffre exact. Je pourrais le faire dans le cadre d'un suivi. Quoi qu'il en soit, il faudrait que le parc soit très grand, voire de plusieurs acres pour un petit village, et davantage pour une collectivité plus importante.

La sénatrice Fraser : Merci. Si vous avez des données là-dessus, nous vous saurions gré de nous les communiquer.

M. Fogwill : D'accord.

La sénatrice Fraser : Poursuivons. Qu'avez-vous pensé du fait que les appareils ont une efficacité énergétique plus grande lorsqu'ils fonctionnent à l'électricité, que ce soit des voitures ou des électroménagers?

M. Fogwill : Eh bien, il y a des gains d'efficacité inhérents au fait de remplacer les équipements qui fonctionnent au combustible fossile par des équipements qui fonctionnent à l'électricité. Dans le chauffage résidentiel, une chaudière alimentée au gaz naturel peut avoir une efficacité énergétique de 90 à 95 p. 100, mais celle des plinthes électriques est de 99 p. 100. Dans ce cas-là, l'amélioration est automatique.

Les vraies améliorations se produisent dans le transport des passagers. Un véhicule électrique permet d'améliorer l'utilisation de l'énergie dans une proportion d'environ 300 p. 100 par rapport à un moteur à combustion interne.

La sénatrice Fraser : Oui, c'est ce qui est possible avec la technologie actuelle. Je me demandais si vous avez envisagé la possibilité qu'il y ait des technologies encore plus efficaces. Par exemple, si j'achète un lave-vaisselle, je peux voir la quantité d'énergie qu'il consomme, et c'est passablement moins que celui que j'ai acheté il y a quelques années.

M. Fogwill : Étant donné que les véhicules pour passagers électriques n'ont pas encore atteint l'âge de la maturité, nous avons fait l'hypothèse qu'ils continueront de s'améliorer avec le temps. Nous avons donc tenu compte de cela, mais le grand changement en matière d'efficacité est ce simple passage du moteur à combustion interne au moteur électrique.

La sénatrice Seidman : Je comprends l'analyse économique et la préparation nécessaire pour passer à l'électricité. Comme je viens du Québec, je comprends évidemment à quel point l'électricité peut être efficace et l'importance d'avoir accès à de l'électricité à bas prix.

Notre comité a discuté du partage de l'électricité entre les provinces. Outre le fait que ce soit assez compliqué, il s'agit d'alternatives très coûteuses. Certains témoins nous ont dit que ce partage allait coûter très cher et que cela allait nécessiter des infrastructures énormes et des développements d'envergure. Avez-vous examiné la faisabilité de passer dans le Nord, d'une province à l'autre, afin de faire en sorte que l'électricité devienne plus viable pour les provinces qui n'y ont pas accès directement ou qui n'ont pas beaucoup de moyens d'en produire?

M. Fogwill : Sénateur, nous avons produit une autre étude il y a quelques mois, qui passait en revue plusieurs options quant à la production d'hydroélectricité, mais dans le contexte de la consommation de l'Alberta. Je peux vous en fournir une copie. Les options examinées allaient du projet du site C, en Colombie-Britannique à la possibilité de construire une centrale sur la rivière des Esclaves, en passant par un autre projet de centrale sur la rivière Nelson, au Manitoba. Nous avons les coûts associés à chacun d'eux.

Dans l'optique du coût par tonne de CO2, ces coûts étaient dans les 200 $ la tonne. Ces projets ne sont pas donnés, mais ils sont assurément réalisables avec la technologie actuelle.

La sénatrice Seidman : Avez-vous calculé les coûts d'autres options, de combinaisons de moyens, de la possibilité de construire pour d'autres sources d'énergie renouvelables? Vous avez mentionné l'éolien et le solaire. Avez-vous envisagé la possibilité d'avoir un réseau s'alimentant à diverses sources?

M. Fogwill : Dans l'étude que nous sommes sur le point de publier, nous avons effectivement un pourcentage élevé d'éolien et de solaire, ainsi qu'un recours à grande échelle à l'hydroélectricité et au nucléaire en tant que sources sans émissions dans chacune des provinces. Alors, il y a une combinaison de ces technologies pour produire de l'électricité.

La sénatrice Seidman : Et vous dites que cette étude est sur le point d'être publiée?

M. Fogwill : Elle est sur mon bureau pour l'instant. Elle devrait être publiée d'ici une semaine.

La sénatrice Seidman : J'ai bien hâte de voir cela.

Le vice-président : Distingués collègues, avant de continuer, j'aimerais vous présenter la sénatrice Galvez, qui nous a rejoints au Sénat, hier. Soyez la bienvenue. Vous connaissez très bien le sujet auquel notre comité s'intéresse. Merci de vous être jointe à nous.

La sénatrice Galvez : Merci.

Le sénateur Enverga : Merci de votre exposé, monsieur Fogwill. En ce qui concerne la réduction des émissions, avez-vous déjà comparé le Canada à d'autres pays? Sommes-nous en meilleure posture que les autres ou avons-nous encore beaucoup de chemin à faire?

M. Fogwill : Eh bien, nous n'avons pas fait de comparaison officielle, mais le Canada est sans doute à l'avant-garde des pays qui ont un système d'électricité faible en carbone, principalement à cause du fait que nous avons la chance d'avoir des ressources hydroélectriques d'envergure dans l'ensemble du pays. Nous sommes donc plus ou moins les premiers au monde puisqu'une bonne partie de notre système peut compter d'entrée de jeu sur des composantes à faible émission, ce qui n'est pas le cas d'autres pays.

Le sénateur Enverga : Le gouvernement fédéral a proposé un modèle pour la tarification du carbone au Canada. Conformément à ce modèle, le prix du carbone sera de 10 $ la tonne en 2018 et il augmentera de 10 $ par année pour atteindre 50 $ la tonne en 2022. Ma question est la suivante : croyez-vous que la tarification du carbone est une façon de réduire les émissions? Croyez-vous que la tarification du carbone au Canada nuira aux entreprises canadiennes, surtout si l'on tient compte des politiques pro-entreprises proposées par le président élu, Donald Trump?

M. Fogwill : Sénateur, je vais revenir à une chose que j'ai dite au début de notre discussion : notre statut neutre nous empêche de faire des recommandations ou de suggérer des politiques.

En ce qui concerne les outils de gestion du carbone, il y a des exemples de par le monde qui montrent que les taxes ou les redevances sur le carbone peuvent fonctionner. Il y a aussi d'autres exemples de par le monde qui montrent que les systèmes de plafonnement et d'échange ont donné des résultats. D'autres exemples encore nous indiquent que la réglementation peut aussi fonctionner. Les lectures que j'ai faites à ce sujet me permettent de croire qu'une combinaison de ces différents éléments pourrait donner d'excellents résultats. Cependant, ce n'est pas à moi de dire si nous devrions opter pour une taxe sur le carbone plutôt que pour un système de plafonnement et d'échange.

La sénatrice Griffin : Merci de votre exposé. Il était très intéressant.

En septembre, votre institut a publié des prévisions étalées sur 20 ans concernant les industries canadiennes du pétrole brut et du gaz naturel. L'approbation récente du projet d'expansion du pipeline Trans Mountain de Kinder Morgan et du projet de remplacement de la canalisation 3 d'Enbridge change-t-elle considérablement votre façon d'envisager l'avenir de ces industries au Canada?

M. Fogwill : Les discussions que nous avons eues jusqu'ici — nous ferons le point dans quelques mois — semblent indiquer que cela pourrait quelque peu changer la donne, mais l'accès au marché n'est pas le seul facteur déterminant pour l'augmentation de la production pétrolière. L'autre chose qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est qu'il existe déjà un accès au marché — par chemin de fer, celui-là — dans lequel les sociétés ont investi, et qui peut être viable, selon les prix. À court terme, on ne peut pas encore dire si ces décisions auront un effet immédiat sur la production.

La sénatrice Griffin : Ma deuxième question est la suivante : à part l'électricité, quelles sont les deux ou trois meilleures technologies susceptibles de nous rapprocher d'une économie à faibles émissions de carbone?

M. Fogwill : Madame la sénatrice, j'ai beaucoup réfléchi à cela. En fait, j'ai passé presque toute ma carrière à réfléchir au changement climatique et à la gestion du carbone. Il n'y a pas de panacée, pas de réponse unique.

Permettez-moi maintenant de parler à titre personnel et non comme directeur de l'institut. Je crois que nous devons envisager toutes les possibilités. Nous devons envisager le captage et le stockage du carbone. Nous devons envisager le nucléaire. Nous devons penser à modifier la structure et la conception de nos villes. Toutes les possibilités devraient être mises sur la table, et aucune proposition ne devrait être mise de côté sous prétexte qu'elle serait une solution trop simpliste. Rien ne l'est. C'est une question complexe. Pour réussir, il faudra utiliser tout ce que tout le monde peut nous donner. Je suis convaincu qu'à la fin, nous aurons une combinaison d'énergies renouvelables et non émettrices, de combustibles fossiles, et de procédés de captage et de stockage du carbone. J'estime que c'est la seule façon d'y arriver.

Le sénateur MacDonald : En fait, il y a une façon d'y arriver, et vous en avez parlé. La seule façon de produire ce type d'énergie, de mettre en place ce type de réseau qui permettrait de tout électrifier, bref, la seule façon de tout faire cela sans empreinte de carbone n'est-elle pas de miser sur le nucléaire? L'énergie nucléaire serait en mesure de faire tout cela et de répondre à la demande. Le solaire et l'éolien ne répondent pas à la demande. Si nous voulons produire une telle quantité d'énergie et mettre en place ce type de réseau qui permettra de tout électrifier, le nucléaire n'est-il pas la solution?

M. Fogwill : Vous voulez dire, un système fondé intégralement sur le nucléaire?

Le sénateur MacDonald : Pour ce qui est de produire de telles quantités d'énergie dans l'ensemble du pays afin de tout électrifier et d'être en mesure de répondre à la demande, que peut-il y avoir de mieux que le nucléaire?

M. Fogwill : Assurément, c'est quelque chose qu'il faut envisager, bien entendu. Il n'est pas approprié de rejeter une technologie — n'importe laquelle — sous prétexte d'incertitudes ou d'absence de faits. Je pense effectivement que le nucléaire devrait recevoir une attention plus sérieuse pour la suite des choses. Il y a encore des problèmes et des inquiétudes relativement au stockage à long terme des déchets nucléaires. Il faudra s'attaquer ou, du moins, il serait souhaitable de s'attaquer à ces problèmes et à ces inquiétudes avant de s'engager plus avant dans le nucléaire.

Le vice-président : Monsieur Fogwill, si vous me le permettez, j'aimerais vous poser quelques questions.

Je veux être certain de bien comprendre la prémisse de votre exposé. Vous avez électrifié tout ce que vous pensiez possible d'électrifier, à l'exception des industries et du transport des marchandises. Lorsque vous parlez d'« industrie », il ne s'agit pas de transport industriel. Il y a les sociétés industrielles, les compagnies industrielles et le transport des marchandises. Est-ce exact?

M. Fogwill : C'est exact, c'est le secteur industriel.

Le vice-président : Vous électrifiez tout : 60 p. 100 d'énergie verte et 40 p. 100 de gaz naturel, mélangé ou non à des procédés de captage et de stockage du carbone. Malgré cela, nous n'arriverons à réduire les émissions que de 10 ou 11 p. 100 en moyenne à l'échelle du Canada. Vous en concluez que, même en faisant tout cela, nous ne serons pas près d'atteindre notre objectif national de réduction de 30 p. 100.

M. Fogwill : Oui.

Le vice-président : Quelle est la solution? Vous affirmez que nous sommes loin du compte et que nous devons envisager toutes les autres options, et cetera. Étant donné le prix de la tonne de CO2, quelle serait la meilleure chose à faire pour la suite? L'électrification est-elle la façon la plus économique d'atteindre notre objectif? Le prix moyen est probablement aux alentours de 75 à 100 $ la tonne. En Ontario, il est à 114 $. D'un point de vue strictement économique, si la population adhère à ce scénario, quelles seraient les deux ou trois prochaines choses à faire pour arriver à nos fins de la façon la moins coûteuse pour l'économie?

M. Fogwill : Plusieurs possibilités sont envisageables et elles ont vraisemblablement quelque chose à voir avec le développement technologique. Il faut nous doter des outils dont nous aurons besoin.

L'un des inconvénients de l'éolien et du solaire est le fait qu'ils fonctionnent par intermittence. L'absence d'une production constante est un obstacle qui les empêche de prendre leur envol, mais c'est un problème qui peut être réglé grâce au stockage. Il y a beaucoup de recherche qui se fait sur le stockage et c'est quelque chose qui doit continuer si nous voulons permettre à l'énergie éolienne et à l'énergie solaire de prendre une place beaucoup plus importante dans nos réseaux électriques.

Un autre élément auquel nous devrions, selon moi, nous intéresser beaucoup plus, c'est le captage et le stockage du carbone. Ces procédés nous permettront d'utiliser les combustibles fossiles, mais en réduisant ou en neutralisant les effets qu'ils peuvent avoir sur l'environnement. Nous ne manquons pas d'énergie, mais nous avons un problème d'émissions. Si nous parvenons à utiliser les carburants tout en éliminant les émissions, ce sera bon à la fois pour l'environnement et pour l'économie.

Le vice-président : Cela dit, à combien évaluez-vous le coût à la tonne pour le captage et le stockage du carbone?

M. Fogwill : Le captage et le stockage du carbone coûtaient cher. Je n'ai pas les chiffres avec moi, mais vous les trouverez dans le rapport. C'est passablement cher.

Le vice-président : Un témoin que nous avons reçu récemment, Mark Jaccard, nous a dit qu'il faut, en gros, compter 176 $ la tonne. On lui a demandé comment il serait possible d'arriver à nos fins en ne misant que sur la tarification du carbone. Il a répondu qu'à 176 $, c'était probablement la façon de faire la plus économique. Toutefois, comme la population n'accepterait probablement pas ce prix, il faudrait combiner cela avec de la réglementation et d'autres choses.

Vous dites que si vous électrifiiez les provinces adjacentes, le prix serait de 200 $ la tonne, ce qui est pas mal élevé. D'après ce que je comprends, le prix pour le captage et le stockage est probablement dans ces eaux-là — en tout cas, il est d'au moins 100 $ la tonne. D'après vous, quel serait le prix pour le nucléaire? Le savez-vous?

M. Fogwill : Vous voulez dire le prix en dollars par tonne associé aux émissions de carbone?

Le vice-président : Exactement.

M. Fogwill : Non, je n'ai pas ce chiffre.

Le vice-président : Est-ce que l'une des solutions serait de retirer graduellement le gaz naturel de la production d'électricité? Vos projections comptent encore sur une utilisation du gaz naturel dans une proportion de 40 p. 100.

M. Fogwill : Si votre objectif est de décarboniser la production d'électricité, oui, vous allez faire de votre mieux pour réduire au minimum l'apport du gaz naturel, mais le problème avec cela, c'est que les alternatives dites renouvelables ne peuvent pas alimenter le réseau de la même façon que les unités qui fonctionnent au gaz naturel. C'est dans ce contexte que se fait sentir le besoin d'améliorer considérablement les options de stockage pour l'électricité produite de sources renouvelables. C'est un peu compliqué.

Le vice-président : Qu'en est-il de la conservation? Étant donné ce prix associé au carbone, avez-vous pensé à consommer moins, tout simplement? Cette possibilité fait-elle aussi partie de votre modèle?

M. Fogwill : Non, nous n'avons pas inclus cette possibilité parce que nous cherchions à rester fidèles à nos scénarios et à nos paramètres. Nous voulions tout simplement montrer l'incidence de l'électrification. Il ne fait aucun doute que la conservation et l'efficacité énergétique ont un rôle à jouer dans d'autres domaines, mais nous n'avons pas tenu compte de ces aspects.

Il y a d'autres études qui montrent que ces démarches permettraient d'importantes améliorations. Cependant, certaines de ces études mettent surtout l'accent sur l'optimisation d'un combustible en particulier. Par exemple, les sociétés de gaz naturel vont produire des études qui affirment : « Nous pouvons économiser telle quantité de gaz naturel en remplaçant de l'équipement d'une efficacité de 70 p. 100 par de l'équipement d'une efficacité de 90 p. 100. »

Dans l'étude sur l'électrification, ce que nous constatons, c'est que, pour la plupart des équipements d'utilisation finale, l'efficacité énergétique est à son maximum. Par conséquent, vos efforts de conservation se limiteront à examiner l'enveloppe et la taille de la maison ou de l'immeuble.

Le vice-président : Madame la sénatrice Galvez, auriez-vous une question à poser à notre invité?

La sénatrice Galvez : Tout cela est très intéressant et j'aurais bien des questions à lui poser, mais ce que je me proposais de faire, c'est d'offrir un complément à la réponse que M. Fogwill a donnée au sénateur MacDonald relativement à sa question sur le nucléaire. Il faut tenir compte de l'expérience de pays européens comme la France qui doivent composer avec des installations nucléaires vieillissantes et qui se retrouvent devant cette épineuse question : « Que faire de tous les déchets radioactifs accumulés, ces déchets qu'aucune étude économique n'a jamais pris en compte? »

J'ai bien aimé vos réponses, monsieur Fogwill. Elles m'ont permis d'apprendre beaucoup de choses.

Le vice-président : Monsieur Fogwill, je crois que vous avez répondu à toutes nos questions. Encore une fois, merci d'avoir été là, ce matin. Nous vous en sommes reconnaissants. Poursuivez votre bon travail, car je crois qu'il fournit des renseignements très importants aux preneurs de décisions et qu'il donne corps aux alternatives qui s'offrent à nous. Encore une fois, merci de vous être joint à nous ce matin.

(La séance est levée.)

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