Aller au contenu
OLLO - Comité permanent

Langues officielles

 

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Langues officielles

Fascicule no 8 - Témoignages du 21 novembre 2016


OTTAWA, le lundi 21 novembre 2016

Le Comité sénatorial permanent des langues officielles se réunit aujourd'hui, à 17 h 34, pour poursuivre son étude sur les défis liés à l'accès aux écoles françaises et aux programmes d'immersion française de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Claudette Tardif (présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La présidente : Bonsoir. Je m'appelle Claudette Tardif, je suis sénatrice de l'Alberta, et j'ai le plaisir de présider la réunion de ce soir.

Je suis particulièrement heureuse, car nous accueillons ce soir deux nouvelles sénatrices qui sont présentes en tant qu'observatrices. Je souhaite donc la bienvenue à la sénatrice Bovey, du Manitoba, et à la sénatrice Moncion, de l'Ontario.

Avant de passer la parole à nos témoins, j'aimerais inviter les membres du comité à bien vouloir se présenter.

Le sénateur Mockler : Percy Mockler, sénateur du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Maltais : Bienvenue à nos témoins. Sénateur Ghislain Maltais, du Québec.

Le sénateur McIntyre : Sénateur Paul McIntyre, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Gagné : Bonsoir. Raymonde Gagné, du Manitoba.

[Traduction]

La sénatrice Bovey : Patricia Bovey, du Manitoba.

[Français]

La sénatrice Moncion : Lucie Moncion, de l'Ontario.

La présidente : Ce soir, nous avons le plaisir d'accueillir M. Graham Fraser, commissaire aux langues officielles, Mme Mary Donaghy, commissaire adjointe, Direction générale des politiques et des communications, et Mme Christine Ruest Norrena, avocate principale et directrice adjointe.

Monsieur le commissaire, nous sommes très heureux de vous accueillir. La dernière fois, nous avions cru devoir vous dire adieu, mais quel plaisir de vous recevoir encore une fois. Pour la dernière fois, qui sait? Mais nous sommes enchantés de vous entendre.

Nous continuons notre étude sur les défis liés à l'accès aux écoles françaises et aux programmes d'immersion française de la Colombie-Britannique. L'un des enjeux dont on nous a fait part concernait toute la question de l'accès aux services à la petite enfance. À ce sujet, le Commissariat aux langues officielles a publié en octobre 2016 une étude très intéressante intitulée La petite enfance : vecteur de vitalité des communautés francophones en situation minoritaire. C'est tout récent.

Je vous invite, monsieur le commissaire, ainsi que vos collègues, à nous faire part de vos commentaires.

Graham Fraser, commissaire aux langues officielles, Commissariat aux langues officielles : Madame la présidente, membres du comité, bonsoir. Comme la présidente l'a dit, c'est probablement la dernière fois que je comparais devant vous. Je m'en voudrais de ne pas vous dire à quel point j'ai apprécié la relation constructive que j'ai eue avec vous et votre comité pendant les 10 ans où j'ai eu le privilège de servir en tant que commissaire aux langues officielles.

[Traduction]

Je suis impressionné par le fait que vous ayez visité la Colombie-Britannique et que vous ayez entendu les témoignages de parents, d'étudiants, de professeurs et d'administrateurs sur cet important sujet. Vos observations sont nécessairement fondées sur une visite plus récente que la mienne, et mon témoignage s'appuiera plutôt sur nos études et notre intervention dans la cause Rose-des-Vents.

Nos langues officielles font maintenant l'objet d'un consensus frappant. Cette question ne divise plus les Canadiens. En effet, selon un récent sondage Nielsen réalisé pour le Commissariat aux langues officielles, 84 p. 100 des Canadiennes et des Canadiens sont pour le bilinguisme et 88 p. 100 appuient les objectifs de la Loi sur les langues officielles.

[Français]

L'apprentissage des deux langues officielles contribue à pérenniser la dualité linguistique en tant que valeur canadienne. À cet égard, j'ai décerné, cette année, le Prix d'excellence pour la promotion de la dualité linguistique à Canadian Parents for French pour le rôle déterminant que cet organisme joue dans la promotion de la dualité linguistique à l'échelle nationale.

Beaucoup de jeunes Canadiens ont appris les deux langues officielles au moyen de programmes d'immersion ou d'éducation francophone. Aujourd'hui, on compte de hauts fonctionnaires de la fonction publique canadienne ainsi que des députés et des ministres qui ont profité de ces cours par le passé. Beaucoup de nouveaux arrivants expriment leur sentiment d'appartenance au Canada en s'assurant que leurs enfants apprennent les deux langues officielles.

[Traduction]

Dans le sondage Nielsen, parmi les Canadiens qui ont au moins une certaine maîtrise du français comme langue seconde, 80 p. 100 ont indiqué qu'ils l'avaient acquise à l'école primaire ou secondaire.

Nous avons également demandé aux gens qui disent ne pas être bilingues ce qui les a empêchés de perfectionner leur langue seconde. La réponse la plus fréquente, 33 p. 100, était le manque d'accès à des cours de langues. C'est donc dire que la route vers le bilinguisme commence généralement à l'école.

[Français]

En Colombie-Britannique, l'inscription aux programmes d'immersion a augmenté de 40 p. 100 depuis les 10 dernières années. Plus de 49 000 élèves sont inscrits à un programme d'immersion en français, 5 000 élèves fréquentent une école de langue française, et le tiers des élèves qui fréquentent les écoles publiques suivent des cours de français de base. Ces chiffres pourraient être plus élevés. Les programmes de français langue seconde ne souffrent pas d'un manque d'enthousiasme de la part des jeunes ou d'un manque de volonté de leurs parents, mais bien d'un manque de ressources suffisantes.

[Traduction]

Les embûches comme le contingentement, les absurdes files d'attente nocturnes et le système de loterie gênent toujours l'accès aux programmes d'enseignement en langue seconde dans de nombreuses régions, comme c'est le cas en Colombie-Britannique. Encore aujourd'hui, la demande des parents excède l'offre de places en immersion. Plutôt que simplement regretter que le taux de bilinguisme stagne, le gouvernement pourrait travailler à éliminer les barrières.

[Français]

Passons maintenant à l'éducation en langue française. Récemment, mon bureau a publié un rapport qui nous a permis d'analyser la période de la petite enfance et son importance pour la vitalité de ces communautés. La petite enfance est la période d'âge préscolaire, généralement de 0 à 6 ans. Ce rapport nous a permis de mieux comprendre les possibilités de collaboration entre les organismes communautaires et les institutions fédérales qui jouent un rôle crucial pour la vitalité des communautés francophones en ce qui a trait au développement de la petite enfance.

[Traduction]

L'éducation en milieu minoritaire devrait comprendre le développement de la petite enfance, soit tous les services offerts dans une communauté qui touchent de près ou de loin la petite enfance. Il faut que les enfants puissent se développer dans un milieu de vie qui correspond le mieux possible à leur réalité et dans lequel ils pourront progresser plutôt que d'avoir à s'y adapter. À ce sujet, le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique a lancé en septembre dernier un projet pilote et il a offert un nouveau programme de maternelle dès l'âge de quatre ans. Une cinquantaine d'enfants, répartis dans quatre écoles, ont pu commencer l'école en français langue première. C'est la première fois qu'un conseil scolaire de la Colombie-Britannique propose l'école en français dès l'âge de quatre ans.

[Français]

À l'instar d'autres domaines de compétence provinciale, comme plusieurs l'ont fait par le passé, les institutions fédérales peuvent apporter de l'aide en vertu de la partie VII de la Loi sur les langues officielles, laquelle énonce l'engagement du gouvernement fédéral de favoriser l'épanouissement des communautés de langue officielle. Il s'agit d'une occasion que les institutions fédérales ne doivent pas manquer.

Comme le gouvernement fédéral, les gouvernements provinciaux et territoriaux ne réagissent pas toujours adéquatement aux demandes qui leur sont formulées par les communautés de langue officielle, ou encore, aux jugements des tribunaux dans les causes linguistiques. Je vous donne comme exemple l'affaire de l'école Rose-des-Vents, le seul établissement francophone de l'ouest de Vancouver. La Cour suprême du Canada a jugé que la Colombie-Britannique n'a pas respecté le droit constitutionnel à l'instruction des communautés francophones en ne lui fournissant pas des installations scolaires de qualité équivalente.

[Traduction]

Il est essentiel que les Canadiens bénéficient de la même qualité d'éducation dans l'Ouest que dans l'Est du pays, dans une langue officielle comme dans l'autre. Il est inacceptable que des parents francophones de la Colombie-Britannique doivent se battre pendant si longtemps pour faire reconnaître leurs droits linguistiques énoncés dans la Charte canadienne des droits et libertés.

Appuyer davantage l'éducation en collaborant avec les provinces permettrait non seulement de promouvoir la dualité linguistique en tant que valeur canadienne, mais aussi de profiter des retombées de l'apprentissage du français.

[Français]

Les entreprises canadiennes peuvent certainement bénéficier d'une main-d'œuvre plus bilingue. À plus forte raison, le renouvellement de la fonction publique fédérale dépend de l'accès à des diplômés ayant de fortes compétences linguistiques, et ce, dans toutes les régions du pays. Le Canada peut atteindre cet objectif en ciblant des mesures durables et en investissant davantage de ressources pour offrir plus de possibilités d'apprentissage en langue seconde à tous les Canadiens, de la petite enfance jusqu'au niveau postsecondaire. Garantir aux communautés de langue officielle la même qualité d'éducation que les communautés majoritaires contribue également à cet objectif.

Sur ce, madame la présidente, j'aimerais conclure ma présentation. Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions et à celles de vos collègues.

La présidente : Je vous remercie, monsieur Fraser, pour votre présentation qui est toujours des plus intéressantes.

Le sénateur McIntyre : Bonjour à nouveau, monsieur le commissaire. C'est toujours un grand plaisir de vous recevoir, de vous entendre et de vous poser certaines questions.

Lors de son passage devant le comité sénatorial le 24 octobre dernier, la ministre du Patrimoine canadien a nommé la petite enfance comme l'une des priorités du prochain plan pluriannuel sur les langues officielles, qui sera rendu public le 1er avril 2018. Cependant, elle n'a pas indiqué si le montant qui y sera consacré sera suffisant, stable et continu, comme vous l'avez demandé dans votre rapport.

Ma question est la suivante : en quoi consisterait, selon vous, un financement suffisant, stable et continu pour le développement de la petite enfance dans les communautés francophones?

M. Fraser : D'abord, je vais vous avouer que je ne peux pas vous donner de chiffres. Vous connaissez peut-être cette expression d'un romancier canadien : « Build it and they will come ». Il est très difficile de faire une prévision, et ce, même avec les outils de démographie qui pourraient, en principe, servir à prévoir la croissance des besoins. Tout dépend de l'éducation publique, des campagnes de sensibilisation pour informer les parents des communautés minoritaires de l'importance de cet outil. Il est très difficile de vous donner un chiffre.

Je peux vous dire, cependant, qu'un financement « suffisant, stable et continu » apporte une certaine garantie. Lorsqu'on annonce un financement pour la création d'un centre de la petite enfance, par exemple, il est entendu qu'il n'est pas financé uniquement pour un cycle de cinq ans. Les parents doivent compter sur le fait que si ce centre est établi, il est établi pour durer.

En ce qui concerne les programmes communautaires — par exemple, le financement en faveur de Radio-Canada —, lorsqu'ils sont renouvelés ou renouvelables, il est très difficile pour l'institution de prévoir le financement à long terme. Pour prévoir l'augmentation, le financement doit être basé sur une recherche réelle, sur l'identification du bassin potentiel, sur une campagne de sensibilisation. Nous avons pu constater une augmentation en Colombie-Britannique en ce qui a trait à l'immersion.

Le sénateur McIntyre : J'aimerais maintenant parler avec vous de l'article 23 de la Charte. Comme vous le savez, les communautés francophones réclament depuis longtemps des tribunaux qu'ils confèrent à cet article une interprétation large qui puisse inclure l'offre d'un programme préscolaire en français.

À ce jour, je comprends qu'il n'existe pas de consensus sur la question, comme vous l'avez mentionné d'ailleurs dans votre étude. Cela dit, on se souvient qu'en septembre dernier, la Cour suprême de la Colombie-Britannique n'a pas reconnu l'obligation d'offrir des services à la petite enfance en français, en vertu de l'article 23 de la Charte, et les services sont offerts en anglais seulement.

Ma question est la suivante : quelle interprétation faites-vous des droits reconnus en vertu de l'article 23 de la Charte?

M. Fraser : J'ai toujours été impressionné d'abord par la décision Mahe, qui propose une interprétation généreuse de l'article 23. Il y a aussi la décision Beaulac qui ne touche pas à l'éducation, mais bien à l'interprétation générale des articles 16 à 23 de la Charte, voulant qu'il faille toujours donner une interprétation large et généreuse.

Il faut donc reconnaître que la Charte a un aspect réparateur et que nous sommes en train de rebâtir des droits qui ont été bafoués pendant 100 années d'histoire. Je pense que toute décision devrait être prise non seulement en reconnaissant cette obligation de donner une interprétation large et généreuse, mais également en fonction de l'importance de la vitalité. Quelles sont les mesures qui vont augmenter et appuyer la vitalité des communautés?

La sénatrice Gagné : Merci de votre présence, encore une fois, ce soir. C'est un plaisir de vous revoir.

Lors de notre voyage en Colombie-Britannique, des parents nous ont dit que l'accès aux services de garde ou aux centres de la petite enfance était un réel problème. Je dois avouer que c'est un problème partout où on retrouve des communautés francophones en situation minoritaire. J'applaudis votre rapport concernant la petite enfance, et plus particulièrement son titre, qui indique que la petite enfance est vraiment un vecteur de vitalité pour les communautés francophones en situation minoritaire. J'irais jusqu'à dire qu'ils sont les poumons de la communauté.

Ma question porte sur la deuxième recommandation énoncée dans votre rapport qui traite de l'élaboration d'un cadre national pour l'apprentissage et la garde des jeunes enfants et de l'intégration d'une composante francophone à ce cadre. J'aime beaucoup cette recommandation. Je crois qu'une politique publique dans le domaine de la petite enfance serait très importante. Je crois qu'on devrait en élaborer une aussi en matière d'éducation postsecondaire.

La lettre de mandat du ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social fait référence au travail à faire en collaboration avec le ministère des Affaires autochtones et du Nord pour lancer des consultations auprès des provinces, des territoires et des peuples autochtones au sujet du cadre national. Or, on ne fait pas mention des communautés francophones.

Comment les communautés francophones peuvent-elles s'assurer que leurs besoins en matière d'apprentissage et de développement de la petite enfance seront pris en compte? Selon ma lecture de la lettre de mandat, celle-ci vise spécifiquement les communautés autochtones et pas nécessairement les communautés francophones.

M. Fraser : Un des facteurs dont nous avons tenu compte pour fixer l'échéancier de la publication de notre rapport était de faire en sorte que notre étude soit disponible pour le ministre dans le cadre de son travail sur l'élaboration du cadre national. J'espère que cette étude fera partie des enjeux qu'examineront le ministre et son ministère.

Lors d'une rencontre avec le ministre au printemps dernier, j'ai soulevé ces enjeux. À titre d'ancien professeur, je crois que c'est l'une de ses spécialisations en tant qu'économiste. Je serais surpris qu'il ne tienne pas compte du volet francophone. On s'est toutefois assuré de faire la recommandation. On n'a pas reçu de réponse officielle de la part du gouvernement, et je ne m'attendais pas à en avoir une. Je voulais simplement que l'étude soit disponible à temps pour le ministère. Les fonctionnaires nous ont dit avoir apprécié le fait que nous ayons ajusté notre échéancier afin qu'ils puissent disposer de cette étude dans le cadre de leur travail.

La sénatrice Gagné : J'aurais une question complémentaire au sujet des besoins. On a entendu des parents en Colombie-Britannique nous faire part de leurs besoins. Je suis aussi très consciente des besoins qui existent au Manitoba. Comment établit-on les priorités, en ce qui concerne le développement de la petite enfance, dans un pays constitué de provinces qui investissent différemment et qui ont des normes différentes en ce qui a trait à la qualité de la garde des jeunes enfants?

M. Fraser : C'est le défi de toute intervention fédérale dans un domaine qui est clairement de compétence provinciale. Effectivement, l'établissement final des priorités sera fait au niveau provincial. L'intervention du gouvernement fédéral doit se faire avec une main de velours et avec diplomatie, tout en respectant la compétence des provinces.

Je crois que l'expérience au Québec a démontré à quel point la création d'un réseau de centres de la petite enfance de qualité a un impact réel sur l'économie et sur la participation des femmes en milieu de travail. Les données sont claires quant à l'impact économique. Ici, on parle de l'impact sur la vitalité des communautés.

Je me souviens d'une conversation que j'ai eue avec Madeleine Meilleur, ancienne ministre de la Francophonie en Ontario, qui me parlait d'un projet pilote mis en œuvre dans la région de Windsor. Dans le cadre de ce projet, on avait suivi les enfants qui fréquentaient le centre de la petite enfance. On a découvert que 95 p. 100 des enfants qui avaient fréquenté un centre de la petite enfance étaient inscrits à l'école de langue française. Pour ce qui est de l'autre 5 p. 100, il s'agissait de familles qui déménageaient dans une autre communauté. Ce projet a donné une indication très claire de l'importance des centres de la petite enfance comme porte d'entrée au système d'éducation francophone.

Le sénateur Maltais : Monsieur Fraser, vous êtes comme le bon vin. Plus on en boit, plus on a de la difficulté à s'arrêter. Merci d'être avec nous. Depuis une vingtaine d'années, nous croisons le fer.

Tout d'abord, j'aimerais que vous nous laissiez un legs, celui de ne plus jamais parler de langue seconde. Je me suis permis de corriger le président de la University of British Columbia, mes collègues s'en souviendront. Au Canada, il y a deux langues officielles : le français et l'anglais. Que l'on parle l'une ou l'autre, il s'agit toujours d'une langue officielle. Il a beau y avoir 25 autres langues, le Canada est un pays bilingue avec deux langues officielles. Il n'y a ni seconde ni première, mais deux langues. Ce terme est péjoratif aussi bien envers les francophones que les anglophones. Qu'on le raie donc du vocabulaire. L'ayant convaincue, la ministre a indiqué qu'elle aussi le rayerait de son vocabulaire, parce que c'est discriminatoire.

Nous avons visité plusieurs écoles en Colombie-Britannique, y compris l'école Rose-des-Vents. Comme vous l'avez dit au début, il s'agit d'une compétence provinciale. On s'aperçoit que la collaboration, comme pour Internet, n'est pas toujours à haute vitesse. Cela crée des situations tout à fait incroyables.

Lorsqu'on parle de francophones en Colombie-Britannique, il faut parler des listes d'attente. C'est incroyable! Il s'agit de 150 ou de 200 parents qui veulent inscrire leurs enfants à l'école de langue française, mais il n'y a pas de place, on manque d'écoles. À part une école à Victoria et une autre, ce sont des roulottes.

On parle de la petite enfance. Nous avons visité des centres qui accueillent des enfants de trois ans et qui disposent d'environ 20 pieds carrés. Il faut donc corriger cette situation et agrandir l'espace vital pour accommoder les parents qui désirent que leurs enfants apprennent le français. Vous l'avez très bien dit dans votre rapport, et je vous en félicite, il y a une volonté exceptionnelle chez les francophones de la Colombie-Britannique, et même chez les anglophones, d'apprendre le français. Il faut tout simplement leur en donner la chance.

Je reviens à une de mes vieilles marottes, c'est que Radio-Canada ne fait pas son travail en Colombie-Britannique. Pourtant, la société a reçu 600 millions de dollars additionnels. Je voudrais savoir combien de cet argent a été dépensé en Colombie-Britannique. Les reportages que la société fait sur les francophones de la Colombie-Britannique ne traversent pas les Rocheuses, et on dirait que la caméra est tournée vers le Pacifique.

La soif des élèves qu'on a rencontrés, et je prends à témoins mes autres collègues, c'est de connaître la culture francophone. Mais ce n'est pas avec les gens du Plateau de Montréal qu'ils vont apprendre la culture francophone. Ils vont préférer aller à Sherbrooke, au Lac-Saint-Jean, dans le Bas-Saint-Laurent, en Gaspésie, sur la Côte-Nord, à Québec et dans le centre du Québec, plutôt que dans une grande ville. Ils vivent déjà dans une grande ville et ils savent fort bien comment cela se passe.

Je déplore énormément le manque de professionnalisme et de volonté de la part de Radio-Canada. Je ne vous dis pas cela pour vous disputer, mais je sais que, vous aussi, vous l'avez constaté. On le constate aussi dans les provinces centrales, car Radio-Canada, une fois qu'elle a fait ses reportages, pointe la caméra de l'autre côté des Rocheuses, et les reportages ne se rendent pas chez nous. Le Québec a une méconnaissance des minorités francophones de la Colombie-Britannique et du centre du Canada.

J'ignore si vous avez abordé le sujet dans votre rapport, mais lorsque le président du Conseil du Trésor a comparu devant notre comité récemment, nous nous sommes aperçus que les transferts d'argent fédéraux aux provinces par l'intermédiaire de Patrimoine canadien ou du Conseil du Trésor ne sont pas assortis de mécanisme de reddition de comptes. Le gouvernement fédéral ne peut pas savoir ce qui est arrivé avec cet argent. J'ai rencontré le président du Conseil du Trésor à une autre occasion, et il m'a affirmé qu'il travaillait à mettre en œuvre des contrôles pour assurer une reddition de comptes. Je pense que c'est là le nœud gordien. Si les provinces ne versent pas l'argent aux programmes d'enseignement en français et qu'au lieu, elles construisent des ponts, des aqueducs et des autoroutes, cela ne bénéficie pas aux enfants.

Il y a aussi une volonté de la part de la ministre du Patrimoine canadien d'établir une reddition de comptes. Avez-vous constaté que l'argent versé aux provinces sert effectivement à financer les services aux francophones hors Québec?

M. Fraser : C'est très difficile de savoir où est dépensé l'argent. J'ai déjà eu une conversation avec un ministre de l'Éducation qui m'a avoué que, lorsqu'il reçoit un chèque du gouvernement fédéral, il ne lit pas la lettre qui l'accompagne. Pour lui, cet argent, c'est de l'argent.

Nous avons fait tout de même une vérification des mesures de reddition de comptes et, dans le cas de Patrimoine canadien, il y a certains contrôles qui existent pour veiller à ce que le montant soit dépensé dans le domaine de l'éducation. Par contre, dans le détail, il est très difficile de savoir.

Je pense que vous avez déjà entendu des témoins qui ont raconté leurs difficultés d'obtenir certains services mandatés par un programme fédéral. Par exemple, dans les provinces, pour les programmes de moniteurs, il a été dit qu'au lieu d'en prévoir 50, il n'y en aurait que 20. Je pense aussi qu'il y a des membres de Canadian Parents for French qui ont désigné, à la blague, un gymnase comme étant un gymnase d'immersion ou des basketballs d'immersion — c'est-à-dire qu'ils avaient été achetés avec des fonds consacrés au programme d'immersion. Le ministère de l'Éducation aurait répondu que les étudiants en immersion ont besoin de ces services, eux aussi, et que les fonds devraient être tirés d'une certaine enveloppe, même si on ne peut pas garantir que tout l'argent sert à appuyer ces programmes.

Donc, oui, certains mécanismes sont en place pour permettre, grosso modo, de déterminer que l'argent consacré à l'éducation est versé à l'éducation. Dans le détail, nous n'avons pas l'autorité de faire des vérifications des dépenses. Il est même difficile de demander aux vérificateurs généraux des provinces de faire ce genre de vérification. Comme vous le savez, les provinces sont assez jalouses de leur juridiction.

Le sénateur Maltais : C'est un constat que les conseils scolaires ont renchéri de Vancouver à Victoria. Vous avez raison, nous n'avons pas de mécanisme de vérification et, eux, ils prétendent qu'ils ne reçoivent pas tout l'argent que le gouvernement fédéral leur verse.

En ce qui concerne les radios communautaires, on sait que le gouvernement fédéral finance une très grande partie des radios autochtones, presque à 95 p. 100, et c'est très bien ainsi, pour leur permettre de conserver leurs langues et leurs coutumes. Je suis tout à fait d'accord avec cela. Nous avons visité une radio communautaire à Victoria qui ne recevait pas un sou de financement de la part du gouvernement fédéral. Pourtant, Radio-Canada pourrait leur octroyer une petite enveloppe de 25 000 $, de 30 000 $ ou de 50 000 $ avec l'argent qu'elle a reçu. Ces gens-là tiennent à bout de bras la culture francophone. Ils ont un journal qui est financé par trois ou quatre petits commerçants du coin. On ne fait pas assez notre part pour les aider. Je ne sais pas si vous avez fait le même constat.

M. Fraser : D'après mon expérience personnelle dans l'Ouest canadien, les animateurs des programmes locaux de Radio-Canada font un travail extraordinaire. Oui, je pense que la radio communautaire joue un rôle extrêmement important, et cette question mérite qu'on l'examine pour déterminer s'il y aurait une façon pour nous de l'appuyer davantage.

Je ne veux pas entendre de commentaires péjoratifs sur le rôle joué par Radio-Canada dans les communautés minoritaires. Ce sont presque des animateurs sociaux, et ils jouent un rôle extraordinaire pour ces communautés. C'est vraiment une espèce de babillard communautaire avec les émissions du matin et du midi. Souvent, les animateurs vont dans la communauté et y préparent des émissions d'événements communautaires diffusées en direct. Ils jouent souvent un rôle de façon bénévole pour animer des spectacles ou des soirées dans la communauté. Je comprends votre frustration comme Québécois de ne pas voir les résultats de ce genre de travail, car les Rocheuses sont souvent une barrière à la communication, mais je suis très impressionné par le travail que fait Radio-Canada sur le plan local.

Le sénateur Maltais : Grand bien leur fasse.

La présidente : Avant de passer au sénateur Mockler pour la prochaine question, j'aimerais attirer votre attention sur la présence de notre collègue, la sénatrice Poirier, du Nouveau-Brunswick, qui s'est jointe à nous.

Le sénateur Mockler : Premièrement, je m'en voudrais de ne pas reconnaître le travail gigantesque que vous avez fait et le rôle d'impulsion que vous avez joué d'est en ouest et du sud au nord, monsieur Fraser. J'ai eu l'occasion de traiter avec vous et votre bureau, et vous avez toujours été professionnels. De temps en temps, lorsque les questions que je posais touchaient des sujets dont la cour était saisie, vous me disiez toujours que vous ne pouviez pas les commenter. Maintenant, j'ai quelques questions à vous poser, puisque les sujets ne sont plus traités par les tribunaux.

Premièrement, Jean-François Dumas, président d'Influence Communication, a dit ce qui suit récemment, et je cite :

Il y a de moins en moins de médias en région. On a mis en réseau l'ensemble des médias privés. Il y a de moins en moins de personnel. Et on a commencé à « Mcdonaliser » l'information. D'un océan à l'autre, c'est de plus en plus la même nouvelle.

Cela ne fait pas ressortir ce qui se fait dans nos petites et grandes communautés.

Cela dit, il a dit aussi, et je cite :

Les francophones hors Québec occupent autant de place dans les médias canadiens que l'horoscope dans un journal.

La vice-rectrice de l'Université de Moncton, Marie-Linda Lord, a dit, il y a quelques années, que les francophones hors Québec n'étaient pas présents, pour ne pas dire qu'ils faisaient rarement l'objet de couvertures médiatiques. Avec votre grande expérience et à l'aube de la fin de votre grande carrière, pensez-vous que les groupes qui sont en minorité, aussi bien les anglophones de la ville d'Edmundston que les francophones des villes de Fredericton ou de Vancouver doivent relever le même défi? Quelle stratégie de communication devrions-nous utiliser pour sensibiliser tous les francophones du pays, d'un océan à l'autre?

M. Fraser : D'abord, il faut reconnaître que la crise des médias n'est pas limitée aux médias minoritaires. Nous vivons une période de transformation des médias traditionnels. Quand La Presse s'est transformée en média social pendant la semaine et que La Presse papier est maintenant un hebdomadaire, quand il y a une chute des revenus pour tous les médias traditionnels, quand les jeunes ne s'abonnent plus aux journaux, si je peux corriger M. Dumas, ce n'est pas une « Mcdonalisation », mais plutôt une « Facebookisation » des médias que l'on constate.

Je pourrais aller beaucoup plus loin sur les symptômes de ces maladies qui touchent les médias traditionnels et sur ce que cela veut dire pour la profession de journaliste. Pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire, d'abord, le gouvernement fédéral a la responsabilité d'être très conscient de l'impact de sa politique de publicité et d'information publique. Il y a eu, sans que je le sache, une directive du Conseil du Trésor. Plusieurs ministères se sont tournés vers les médias sociaux pour annoncer des activités, ce qui a entraîné certains résultats néfastes, et pour les médias communautaires et pour les communautés.

Il y a eu une réunion récemment pour discuter de l'impact des changements de politiques gouvernementales pour les communautés. L'éditeur d'une petite publication communautaire a dit que, traditionnellement, les consultations gouvernementales étaient annoncées dans son journal. Des gens lisaient l'annonce et participaient à ces réunions publiques. Or, cette année, la consultation a été annoncée sur Internet. Personne n'était au courant, et il y a eu très peu de participation.

Donc, je crois que le gouvernement fédéral a la responsabilité de reconnaître que, souvent, les communautés de langue officielle en situation minoritaire ne sont pas aussi branchées que les gens des grandes villes et des communautés majoritaires. Les ministères devraient tenir compte du niveau de connexion des communautés dans le cadre de leurs campagnes publicitaires ou d'information publique.

De plus, je crois qu'il est important pour ces médias communautaires de reconnaître que les communautés minoritaires ne sont peut-être pas aussi branchées que les jeunes de 20 ans dans les grandes villes. Cependant, on constate une transformation et on ne peut pas ordonner aux gens d'utiliser un média qu'ils trouvent dépassé. Il est important pour les médias communautaires de réfléchir à la façon d'utiliser les médias sociaux et Internet et à la façon de faire la transition.

Le sénateur Mockler : Je sais que vous suivez de très près ce qui se passe dans toutes nos provinces et ce qui se passe dans la seule province bilingue du Canada ou de l'Amérique du Nord. La semaine dernière, le gouvernement provincial a jeté l'éponge dans le dossier des autobus bilingues. N'est-ce pas un affront à la Loi sur les langues officielles lorsqu'on transfère nos responsabilités linguistiques aux conseils scolaires? Ce n'est plus du domaine judiciaire. Le gouvernement a déchargé cette responsabilité sur le dos des conseils scolaires.

M. Fraser : Ma compréhension, c'est qu'ils ont retiré un renvoi à la cour. Je n'ai pas nécessairement compris cela comme un abandon, mais peut-être me suis-je trompé. J'ai cru que le gouvernement avait laissé entendre qu'il y avait une possibilité qu'il prenne une décision plutôt que d'attendre une décision de la cour.

Je dois dire que la Loi sur les langues officielles qui est en lien avec cette décision n'est pas la loi fédérale, mais plutôt celle du Nouveau-Brunswick. Donc, j'hésite à me prononcer sur la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, sauf pour dire que c'est une question reliée au droit constitutionnel dans la Charte canadienne des droits et libertés. Je pense qu'il s'agit de l'article 16.2, et je vais demander à Mme Ruest Norrena de parler un peu de cet article de la Charte des droits et libertés qui définit des droits collectifs. C'est le seul élément de la Charte qui est clairement collectif dans sa définition, si je comprends bien.

Christine Ruest Norrena, avocate principale et directrice adjointe, Commissariat aux langues officielles : En effet, c'est l'article 16.1 de la Charte canadienne des droits et libertés qui reconnaît l'égalité des deux communautés de langue officielle au Nouveau-Brunswick.

De plus, le renvoi était lié au droit à l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés qui protège les droits à l'éducation dans la langue de la minorité. Il s'agissait d'une demande de clarification à ce niveau-là.

Le sénateur Mockler : Donc, le gouvernement l'a retiré de l'appareil judiciaire pour demander aux conseils scolaires de prendre la décision. Ainsi, n'est-ce pas un affront à la Loi sur les langues officielles? Ou est-ce que ce n'est pas un mécanisme d'assimilation?

M. Fraser : Je ne vois pas comment la Loi sur les langues officielles peut être en jeu, mais je pose la question à notre conseillère juridique.

Mme Ruest Norrena : En effet, M. le commissaire a raison, il ne s'agit pas de la loi fédérale.

La présidente : Sénateur Mockler, peut-être que vous pourriez prendre rendez-vous avec le commissaire ou avec Mme Ruest Norrena pour en discuter davantage.

M. Fraser : Mon homologue du Nouveau-Brunswick, Katherine d'Entremont, veille à la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Mockler : Je l'ai déjà rencontrée.

La sénatrice Poirier : Bienvenue, et merci d'être ici avec nous ce soir. Je m'excuse de mon retard.

J'avais trois différents sujets à aborder, mais comme deux de mes questions ont déjà été posées, je vais donc passer au troisième point dont je voulais discuter.

Malgré l'annonce faite par le gouvernement jeudi dernier, certaines décisions du gouvernement m'inquiètent. Notamment, la ministre du Patrimoine canadien a décidé de laisser tomber le titre de ministre des Langues officielles pour des raisons encore inconnues.

Par ailleurs, en ce qui concerne la nomination de votre éventuel successeur, le gouvernement ne semble pas en faire une priorité, et ce, malgré qu'il soit au courant de votre date de fin de mandat depuis son entrée au pouvoir. Je lisais aussi dans les journaux que le nombre de plaintes qu'a reçues votre bureau augmente et que ce sont les communautés de langue officielle en situation minoritaire qui sont perdantes pendant qu'il n'y a pas de commissionnaire aux langues officielles. J'aimerais entendre vos commentaires à ce sujet.

M. Fraser : D'abord, j'étais moi aussi très heureux d'entendre la nouvelle de l'annonce du gouvernement la semaine passée. Je trouve bonne la décision de faire un moratoire sur la cessation possible des services bilingues dans 176 bureaux qui auraient perdu des services selon l'ancienne méthode de calcul. Je suis tout à fait en faveur du moratoire et de la consultation qui va suivre.

Je pense que vous m'avez déjà posé la question quant au titre de la ministre et je n'ai pas de commentaires additionnels à faire.

En ce qui concerne le retard dans la nomination de mon successeur, je dois dire que, d'abord, je suis très content de constater que le poste a été affiché et qu'il restera affiché jusqu'au 2 décembre. J'ai l'impression qu'il y a plusieurs candidats potentiels de très bonne qualité qui souhaiteraient postuler. C'est l'un des effets de la décision du gouvernement d'ouvrir plusieurs postes publics de façon plus large, ce qui a créé beaucoup plus de travail pour le Conseil privé lorsqu'il s'agit d'organiser l'évaluation des candidats et d'établir les critères.

Je pense que les nouveaux sénateurs ont passé par un processus inusité et qu'il s'agissait d'une priorité pour le gouvernement de nommer d'abord les sénateurs avant de passer au choix du nouveau juge de la Cour suprême. Je crois qu'il y a maintenant quatre postes d'agents du Parlement qui seront ouverts bientôt. Ce n'est pas nouveau; plusieurs de mes collègues agents du Parlement ont pris leur retraite et ont été remplacés par un commissaire par intérim. C'était le cas du vérificateur général, de la commissaire à la vie privée et du commissaire à l'information. C'est regrettable et, comme agents du Parlement, nous sommes toujours étonnés de constater que, quand vient la fin de notre mandat, ce n'est pas une priorité pour le gouvernement d'afficher nos postes et de choisir nos successeurs. Cependant, ce n'est pas la première fois que cela arrive.

J'ai déjà eu des discussions avec le Bureau du Conseil privé sur le processus de nomination d'un commissaire par intérim, parce que, évidemment, on ne peut pas terminer le processus entre le 2 décembre et le 16 décembre, date où mon mandat se termine. On ne sera pas sans commissaire; il y aura toujours un commissaire aux langues officielles, et la loi prévoit qu'une personne puisse occuper ce rôle par intérim pendant une période maximum de six mois.

Donc, j'aurais bien voulu organiser une transition, comme ce fut le cas lorsque j'ai été nommé. Il y avait eu une période de cinq semaines où j'ai eu plusieurs conversations avec ma prédécesseure, Mme Diane Adam. Mais je demeurerai à Ottawa et je pourrai être en lien avec le commissaire par intérim, de même qu'avec le commissaire permanent.

La sénatrice Poirier : Votre mandat en tant que commissaire aux langues officielles se termine le 16 décembre, mais les dossiers continueront de s'accumuler. Comment envisagez-vous la transition dans les délais?

M. Fraser : D'abord, ce que j'ai suggéré au Conseil privé, c'est que quelqu'un soit nommé par intérim, soit un des commissaires adjoints. Il y aura donc une continuité à l'intérieur de l'organisation et, pendant cette période, la préparation pour le prochain commissaire se poursuivra. On a mis beaucoup de temps depuis un an à préparer la transition vers le nouveau commissaire aux langues officielles. Les notes de synthèse, les cartables sont terminés et prêts à être transmis à la nouvelle personne. Il y a eu beaucoup de planification qui a été faite. Je suis convaincu que cela va se faire assez facilement. En outre, je me rendrai disponible. Étant donné que j'habite à Ottawa, je serai toujours disponible pour rencontrer mon successeur.

La présidente : Pour le deuxième tour de questions, nous allons procéder plus rapidement.

Le sénateur McIntyre : Monsieur le commissaire, je reviens à l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés et à la répartition des fonds fédéraux consacrés à l'enseignement du français langue première. Vous avez légèrement effleuré ce sujet tout à l'heure, en réponse à une question du sénateur Maltais.

Au cours de la dernière année, il y a trois organismes — la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada, la Commission nationale des parents francophones et la Fédération nationale des conseils scolaires francophones — qui ont déposé un mémoire selon lequel l'approche gouvernementale actuelle concernant la modernisation de la répartition des fonds fédéraux consacrés à l'enseignement du français langue première est contraire à l'article 23 de la Charte.

Avez-vous pris connaissance du mémoire? Le cas échéant, que pensez-vous des recommandations qui y sont présentées? Et finalement, partagez-vous l'avis de ces trois organismes?

M. Fraser : J'hésite à répondre en détail à ce sujet. Je suis très conscient de cette préoccupation. Il est clair que, pour certaines provinces, la compréhension des besoins particuliers des écoles françaises est limitée, voire inexistante.

Je me souviens qu'après l'introduction de l'article 23, il y avait eu un effort de la part d'une des provinces de l'Ouest de faire dévier des fonds qui devaient être consacrés à des écoles françaises vers des écoles d'immersion.

D'après moi, l'important est de collaborer avec les communautés, avec ces institutions ainsi qu'avec les instances provinciales dans l'évaluation de la façon d'allouer ces fonds.

Madame Ruest Norrena, voulez-vous ajouter quelque chose?

Mme Ruest Norrena : C'est très bien.

La sénatrice Gagné : J'aurais vraiment voulu entendre votre vision à l'égard d'un cadre national, mais étant donné que la sénatrice Poirier a fait allusion à l'annonce de jeudi dernier, j'ai une autre question brûlante à vous poser. Si nous en avons le temps, je reviendrai au cadre national.

Je voulais mentionner que jeudi dernier, le Sénat a renvoyé le projet de loi S-209 au comité pour qu'il y soit étudié. Nous avons eu aussi l'annonce du ministre Scott Brison qui souhaitait, en plus du moratoire, entamer une consultation pour ensuite procéder à la modification du règlement.

Étant donné que vous avez appuyé le projet de loi S-209...

M. Fraser : Et le projet de loi S-205 avant celui-là.

La sénatrice Gagné : Étiez-vous commissaire au moment de l'examen du projet de loi S-211?

Je me demandais si on pouvait arriver au même objectif visé par le projet de loi S-209 par voie de modifications réglementaires?

M. Fraser : Je crois que oui. Le plus important, à mon avis, est de mettre fin à l'utilisation des pourcentages et à ce rituel décennal de passer à travers le recensement pour décider si une communauté minoritaire est tombée sous le seuil des 5 p. 100. Pour moi, l'utilisation d'un tel pourcentage signifie que les services et les droits des communautés minoritaires dépendent du taux de croissance de la majorité. On peut avoir une communauté qui est en pleine croissance, mais si la communauté majoritaire croît plus rapidement, la communauté minoritaire tombera sous le seuil de 5 p. 100. Ces communautés ont toujours des écoles, un petit journal, une radio communautaire, Radio-Canada, un centre communautaire, mais, à moins de 5 p. 100... Hors de l'Église, point de salut. Je crois que c'est foncièrement injuste et que cette question devrait être au cœur des consultations et des considérations qui seront permises par le moratoire.

La sénatrice Gagné : J'imagine que le Conseil du Trésor a l'intention de consulter le futur ou la future commissaire dans le cadre des consultations. Je me suis demandé si le Bureau du commissaire aux langues officielles serait en mesure de s'engager à ce que les propositions au sujet du règlement soient rendues publiques.

M. Fraser : Vous parlez des propositions qui font l'objet de la consultation?

La sénatrice Gagné : Non. Le Conseil du Trésor va mettre en marche tout un processus de consultations, qui ne seront pas nécessairement toutes publiques. Malgré le fait qu'il ne s'agisse pas nécessairement de consultations publiques, je me demandais si le commissaire aux langues officielles serait tout de même en mesure de rendre publiques les recommandations qui seront liées aux modifications réglementaires.

M. Fraser : Je pense que nous pouvons rendre publiques nos propres observations. Par le passé, lors de discussions au sujet des directives données par le gouvernement aux ministères, après la mise en œuvre de la nouvelle version de la partie VII de la loi, il est arrivé que les représentants du ministère de la Justice n'aient pas voulu que nous soyons présents. Nous étions exclus des discussions liées aux conseils juridiques et aux obligations des ministères dans le cadre de la partie VII de la Loi sur les langues officielles.

Tout dépend du seuil de confidentialité qui est imposée. S'il y a une obligation de confidentialité et que nous acceptons de participer, nous sommes liés. Lorsque nous participons à des consultations, nous devons toujours nous montrer vigilants afin que cela n'affecte pas notre indépendance. Cela signifie que, lorsqu'une personne à l'emploi d'une institution fédérale me demande mon avis sur un changement possible à sa façon de faire, je dis toujours que je suis prêt à parler avant qu'une plainte ne soit déposée ou après qu'une plainte a été réglée. Je ne peux jamais me mettre dans une position où je participerais à une discussion dont le résultat pourrait provoquer une plainte. Le ministère serait alors en mesure de dire que le commissaire a participé aux discussions.

C'est souvent une ligne qui est difficile à tracer. Il y a quand même des façons discrètes de partager notre point de vue. Je sais que, dans l'élaboration de la nouvelle version de la partie VII de la loi, notre bureau a joué un rôle discret en coulisse. Il est possible de jouer ce rôle, mais jamais d'une façon qui pourrait compromettre l'indépendance du commissariat.

Le sénateur Mockler : Monsieur le commissaire, un sourire coûte moins cher que l'électricité. J'aimerais que vous nous parliez un peu de l'expérience que vous avez de l'immersion. L'impact est-il différent pour un enfant qui s'inscrit dans un programme d'immersion en première année comparativement à la troisième année? Que pensez-vous des débats qui ont lieu présentement concernant l'immersion pour nos communautés minoritaires?

M. Fraser : Je ne suis pas pédagogue ni expert en pédagogie. Cependant, je peux vous dire qu'il y a eu des études contradictoires. Traditionnellement, selon le consensus, il était très important pour un enfant de commencer en première année. Par la suite, d'autres ont conclu que cela pouvait se faire plus tard, en quatrième ou cinquième année, avec le même résultat. Certaines études prétendent que les jeunes qui ont commencé en quatrième année ou en cinquième année n'ont pas la même facilité, le même accent, plus tard, que ceux qui ont commencé plus jeunes.

Je viens de terminer la lecture d'un livre rédigé par le Dr Norman Doidge qui prétend que la meilleure période pour l'apprentissage d'une langue, soit le moment où le cerveau est malléable et ouvert, c'est avant l'âge de neuf ans. Je trouve le débat entre ces experts fascinant. J'ai toujours pensé que le plus tôt possible apportait les meilleurs résultats. Cependant, certains experts, études en main, affirment que ce n'est pas nécessairement vrai. D'autres, par contre, comme le Dr Doidge, disent qu'il est très difficile d'apprendre une langue seconde plus tard. Pourtant, c'est à l'âge de 18 ans que j'ai appris le français. J'ai un accent, mais beaucoup de gens sont à l'aise de converser dans une langue seconde tout en ayant un accent. Ce n'est pas la fin du monde d'avoir un accent.

Le sénateur Maltais : Langue seconde!

Le sénateur Mockler : Je vais continuer dans l'autre langue officielle du pays et je poursuivrai avec une autre question par la suite.

[Traduction]

La ministre du Patrimoine canadien a comparu devant le comité sénatorial le 24 octobre dernier. Elle a dit que la petite enfance est l'une des priorités du plan pluriannuel en matière de langues officielles, qui sera publié d'ici le 1er avril 2018. Elle n'a pas dit si un investissement suffisant, stable et continu était prévu, comme l'a demandé le commissaire dans son rapport.

Avez-vous d'autres observations?

M. Fraser : Je crois qu'il serait prématuré de la part de la ministre d'offrir ce type de garantie à cette étape-ci du processus, tout comme il serait prématuré de ma part de faire des observations sur ce qu'elle n'a pas dit plutôt que sur ce qu'elle a dit.

Je suis très heureux d'entendre que l'éducation de la petite enfance fera partie du prochain plan pluriannuel. Il en a fait partie dans deux des versions antérieures du plan d'action et de la feuille de route, et il a ensuite été retiré de la feuille de route, soit la troisième mouture. Dans une certaine mesure, ce serait un retour.

Les ministres ne sont jamais en mesure de garantir un investissement suffisant, stable et continu, à moins qu'il s'agisse du ministre des Finances. Il aurait été probablement imprudent de sa part de faire une telle affirmation à cette étape-ci, soit un an et demi avant que le plan soit annoncé.

Comme je l'ai dit plus tôt, j'espère qu'il y aura un financement suffisant, stable et continu. Pour quelque chose d'aussi essentiel que l'éducation de la petite enfance, il faut des infrastructures. Cela requiert aussi la formation du personnel et l'embauche de personnes, et ces gens ne devraient pas avoir l'impression qu'ils ont un emploi pour cinq ans seulement, lorsque le plan sera renouvelé. Cela devrait toujours faire partie du système d'éducation et, si le gouvernement fédéral y participe, il devrait y avoir un engagement à long terme.

Je crois qu'il ne serait pas réaliste que je m'attende à ce que la ministre, un an et demi avant que le programme soit annoncé, probablement deux ans avant le budget qui octroierait le financement, annonce un financement suffisant, stable et continu pour le programme.

[Français]

Le sénateur Maltais : Après 10 ans et quelques mois à la tête du Commissariat aux langues officielles, avez-vous constaté que les deux langues officielles du Canada ont progressé depuis le début de votre mandat? Je ne veux pas revenir sur ce qui n'a pas fonctionné, mais comment voyez-vous l'horizon après toutes ces années?

M. Fraser : Dans notre dernier rapport annuel, l'une des choses que nous avons réalisées, pour pouvoir répondre à cette question, c'est de développer 33 évaluations auprès d'institutions fédérales. Ces institutions ont été choisies parce que nous avions déjà fait leur évaluation auparavant. Certaines avaient mieux performé, un petit nombre d'entre elles avait régressé, et nous avons constaté une stabilité générale dans la majorité de ces institutions. Donc, il y a eu de petits progrès et peu de régression.

L'une des choses que j'ai apprises pendant mes 10 années comme commissaire aux langues officielles, c'est que l'élément crucial pour une institution fédérale, c'est le leadership. Si le ministre ou le sous-ministre envoie un message indiquant qu'il prend la chose au sérieux, qu'il pense que c'est important, ce message est répercuté partout dans le ministère. Par contre, s'il a une attitude insouciante, du genre « on va gérer le risque », cela envoie le message qu'il n'est pas obligatoire de s'en occuper.

Quand il y a un effort soutenu, on peut obtenir de très beaux résultats. Un événement qui m'a beaucoup impressionné et qui a fait des petits, c'est celui des Jeux olympiques de Vancouver. Mis à part les cérémonies d'ouverture, ce fut vraiment un grand succès sur le plan linguistique. Si on compare la tenue de cet événement avec la situation qui aurait prévalu 40 ans plus tôt, il y aurait eu des gazouillis ou des graffitis et une réaction négative. Or, au contraire, les entreprises privées se sont impliquées. On a vu des publicités de Coke et d'IBM. McDonald's a même envoyé des gens de Montréal pour permettre d'offrir un service dans les deux langues officielles.

Par la suite, les Jeux du Canada ont suivi le même exemple. Les Jeux de Sherbrooke ont aussi emboîté le pas. La municipalité de Prince George, qui est située dans une région montagneuse au fin fond de la Colombie-Britannique, où il y a très peu de francophones, a fait la même chose dans le cadre des Jeux d'hiver du Canada. Il était vraiment impressionnant de voir comment ils ont réussi à présenter ces jeux dans les deux langues officielles. Avec de la planification, je crois qu'on peut réussir.

Un sondage a été mené tout récemment, comme je l'ai dit dans ma déclaration, qui a révélé que 88 p. 100 des Canadiens appuient les objectifs de la Loi sur les langues officielles. Nous sommes très loin de la division et du débat qui ont entouré les questions linguistiques en 1969, lorsque la loi a été adoptée. Il y a même eu des conflits linguistiques dans certaines provinces à une époque plus récente. Je suis donc optimiste.

Il y a toujours des défis à relever. Lorsqu'on accueille 250 000 ou 300 000 nouveaux arrivants chaque année, on doit veiller à sensibiliser de façon continue la population à l'importance des deux langues officielles au Canada et à la façon dont elles s'inscrivent dans notre identité nationale. Bien souvent, les immigrants embrassent cette idée. Ils trouvent cela génial comme point identitaire. Ils veulent inscrire leurs enfants dans les écoles d'immersion. Ils comprennent que le français est la langue de l'ambition au Canada.

Je suis optimiste, mais aussi vigilant.

Le sénateur Maltais : Sans doute, les francophones du Canada retiendront de votre passage ce que vous avez fait pour les Jeux olympiques et aussi pour les Jeux pancanadiens. Ce fut, je crois, un succès extraordinaire. N'eût été votre intervention et le travail de votre bureau et de vos employés, on aurait manqué le bateau. Ce fleuron, vous pouvez l'accrocher au-dessus de votre foyer avec les remerciements des 10 ou 11 millions de francophones du Canada.

Merci et bonne chance!

La sénatrice Gagné : Ma question sera rapide, et la réponse aussi, je présume.

La présidente : Nous voulons respecter le temps que nous a accordé M. le commissaire.

La sénatrice Gagné : Je vous pose une dernière question, et il sera libre à vous d'y répondre ou pas.

Étant donné que ce rapport est l'un des derniers que vous aurez publiés, j'aimerais m'attarder à votre vision d'un cadre national. C'est une idée qui a déjà été évoquée, qui est disparue du discours du gouvernement pendant plusieurs années, et qui refait surface dans votre recommandation.

Nous le savons tous — et vous l'avez mentionné —, le secteur de la petite enfance est primordial à l'épanouissement et au développement des communautés francophones. J'aimerais donc connaître votre vision au sujet du cadre national que vous recommandez.

M. Fraser : Vous savez, j'étais ici en 1988 lorsque, à la dissolution du Parlement, le projet de loi visant à créer un système national et fédéral de centres de la petite enfance est mort au Feuilleton, en raison du déclenchement des élections. J'ai toujours regretté que des groupes critiquent ce projet de loi en disant que ce n'était pas suffisant, qu'il fallait un meilleur programme. C'était aussi dans le contexte des dispositions de l'accord du lac Meech, qui auraient permis au gouvernement fédéral d'intervenir dans des domaines de compétence provinciale, à condition d'en payer le prix. Tout cela est du passé. Ce sont des occasions manquées. Toutefois, depuis, j'ai toujours regretté un peu le fait que le hasard et les circonstances du débat de l'époque aient fait en sorte qu'il devienne très difficile maintenant de revenir à un système fédéral pour la petite enfance, qui était un rêve possible à réaliser avant 1988 et avant la mort de l'accord du lac Meech.

Je crois que l'on pourrait tout de même procéder avec un cadre national qui permettrait, avec toute la diplomatie nécessaire dans les relations fédérales-provinciales, de créer une entente ou un accord pour faire du progrès dans ce domaine essentiel qu'est celui de la petite enfance.

La présidente : Monsieur le commissaire, comme vous avez pu le constater, nous avons voulu profiter de votre sagesse, de votre expérience et de votre expertise en vous posant des questions sur un ensemble de sujets.

M. Fraser : J'aurais été étonné du contraire.

La présidente : Au nom des membres du Comité sénatorial permanent des langues officielles, je tiens à vous remercier de votre leadership, de votre engagement et de votre dévouement à servir le Canada et les Canadiens pendant plus de 10 ans.

Merci beaucoup, monsieur le commissaire. Nous vous souhaitons une bonne retraite bien méritée.

M. Fraser : Merci beaucoup. Ce fut toujours un plaisir de comparaître devant vous.

(La séance est levée.)

Haut de page