Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Pêches et des océans
Fascicule nº 32 - Témoignages du 22 mai 2018
OTTAWA, le mardi 22 mai 2018
Le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans se réunit aujourd’hui, à 17 h 45, pour étudier les activités de recherche et sauvetage maritimes, y compris les défis et les possibilités qui existent.
Le sénateur Fabian Manning (président) occupe le fauteuil.
Le président : La séance est ouverte. Je m’appelle Fabian Manning, et je suis un sénateur de Terre-Neuve-et-Labrador. Bienvenue au Comité sénatorial permanent des pêches et des océans.
Je vais d’abord demander aux sénateurs de se présenter.
La sénatrice Ringuette : Sénatrice Ringuette, du Nouveau-Brunswick.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Gold : Marc Gold, du Québec.
Le président : Le comité poursuit son étude sur les activités de recherche et sauvetage maritimes, y compris les défis et les possibilités qui existent. Ce soir, nous sommes heureux d’accueillir un représentant du gouvernement du Nunavut, soit Ed Zebedee, directeur des services de protection, ministère des Services communautaires et gouvernementaux.
Au nom des membres du comité, je vous remercie d’être des nôtres aujourd’hui. Je crois comprendre que vous avez préparé des observations préliminaires. Après votre exposé, les membres du comité auront des questions à vous poser. Je suis désolé de notre retard, et je vous remercie de votre présence parmi nous ce soir. La parole est à vous, monsieur.
Ed Zebedee, directeur des services de protection, ministère des Services communautaires et gouvernementaux, gouvernement du Nunavut : Merci, monsieur le président, et bonsoir à tous les membres du Comité sénatorial des pêches et des océans. Je vous remercie de me permettre de vous parler des opérations de recherche et de sauvetage dans l’Arctique.
Je tiens à souligner que la recherche et le sauvetage dans l’Arctique et la région subarctique diffèrent grandement de ce qui se fait dans ce domaine dans de nombreuses autres parties du Canada. Je veux aussi souligner que mes observations d’aujourd’hui ne se limitent pas à la recherche et au sauvetage en mer : il faut envisager les missions de recherche et de sauvetage dans l’Arctique dans un contexte holistique. Dans cette partie du monde, les environnements aéronautique, maritime et terrestre font tous partie d’un seul système complexe; ils se font complément et ils sont étroitement reliés entre eux.
Nous composons avec un climat qui peut être impitoyable et qui peut changer d’une année à l’autre, et il faut ajouter à cela un éloignement que beaucoup ne sauraient imaginer. Cela en fait un des endroits du monde les plus difficiles où mener des opérations de recherche et de sauvetage. Par exemple, la température normale à Iqaluit varie entre 3,4 et 6,8 degrés Celsius entre juin et août. Comme la température quotidienne moyenne se situe à moins 10 degrés Celsius sur une base annuelle, une intervention immédiate peut s’imposer si quelqu’un manque à l’appel ou n’arrive pas à sa destination à l’heure prévue. Les températures de l’eau de l’océan oscillent entre 2 et 4 degrés Celsius.
Bien que bon nombre de nos citoyens possèdent de vastes connaissances sur l’environnement terrestre et marin — connaissances qu’ils ont acquises auprès de leurs ancêtres —, les changements climatiques provoquent des événements météorologiques imprévisibles qui, outre les pannes d’équipement, en surprennent beaucoup qui se sont mal préparés à ces phénomènes.
Comme 25 des 26 collectivités du Nunavut sont installées sur les côtes, l’océan — que les eaux en soient dégagées ou couvertes de glaces — est le moyen privilégié et, dans bien des cas, le seul, si l’on exclut le transport aérien, pour se déplacer d’une collectivité à l’autre ou se rendre aux zones de chasse traditionnelles. Les mammifères marins et le poisson sont des aliments de base importants pour la plupart des Inuits qui entretiennent une relation historique avec l’océan. Cela en a fait le peuple de l’océan.
Comme les scientifiques l’ont déclaré, les changements climatiques et leurs effets touchent l’Arctique beaucoup plus que d’autres régions du monde. Cette situation modifie l’état de la glace; les eaux sont dégagées plus longtemps et au cours de la période de l’année où nous subissons des tempêtes plus fortes. La sécurité nautique préoccupe de plus en plus, chaque année, tous ceux qui vont sur l’océan.
À mesure que le développement de l’Arctique s’accentue, le nombre de membres des collectivités qui trouvent un emploi et qui ont dès lors les ressources voulues pour acheter des bateaux et des véhicules tous terrains augmente. Cependant, leur emploi a aussi limité le temps dont ils disposent pour pratiquer leur mode de vie traditionnel qui est si important pour eux.
Ainsi, beaucoup n’acquièrent et n’entretiennent pas les techniques qu’il faut pour faire face à une situation d’urgence sur l’eau ou sur la terre ferme. Certes, beaucoup ont adopté des technologies, mais pour d’autres, celles-ci sont trop coûteuses et constituent une arme à double tranchant. Quand la technologie vous fait défaut, il ne vous reste plus que les techniques que vous avez apprises. Or, avec les nouveaux équipements d’aujourd’hui, vous risquez de vous trouver à des centaines de milles de chez vous ou de la collectivité la plus proche.
Le développement de l’Arctique a accru les risques d’accident lié à la circulation maritime et aérienne; à cela s’ajoute la croissance du tourisme dans le Nord, ce qui augmente les risques et sensibilise aussi les gens à ces derniers. Les chefs communautaires ont établi qu’ils doivent dresser des plans et offrir une formation pour faire face à un accident grave éventuel. Les collectivités n’ont ni quais, ni brise-lames, ni même une rampe de mise à l’eau qui offriraient aux embarcations de sauvetage un refuge ou un point d’amarrage.
Imaginez à quel point il serait difficile de débarquer des touristes âgés évacués d’un navire en détresse dans un endroit sans quai. L’absence d’une telle infrastructure de base non seulement ajoute aux risques courus par nos intervenants et leur équipement, mais elle accroît aussi les coûts liés au transport maritime annuel. Si un gros navire de croisière subissait des avaries graves, bon nombre des pistes d’atterrissage du Nunavut ne pourraient accueillir les gros avions nécessaires pour assurer le sauvetage ou l’évacuation des passagers.
De nombreuses recherches se terminent très rapidement et nécessitent normalement entre 8 et 12 heures. Il y a, au Nunavut, environ 250 secouristes bénévoles; grâce à eux et à la façon dont les collectivités conjuguent leurs efforts quand quelqu’un s’est perdu ou manque à l’appel, le taux de réussite est très élevé, compte tenu du climat et de l’éloignement de la région.
Je peux énumérer nos principaux défis sur les doigts d’une main : les communications, l’infrastructure et l’équipement de recherche et de sauvetage, les conditions climatiques, le manque d’appui aérien fourni à point nommé et l’épuisement des bénévoles. Je vais essayer de vous en dire plus long sur chacun de ces défis.
Le manque de communication touche non seulement les personnes qui se perdent, mais aussi nos bénévoles secouristes au cours des recherches. Le coût des appareils de communication est très élevé. Dans bon nombre de nos collectivités, la téléphonie cellulaire ou les systèmes de radiocommunication n’existent à peu près pas. En dehors des collectivités, ils sont carrément inexistants.
Les fonctionnaires de la direction de la gestion des urgences examinent actuellement une nouvelle technologie et sont en train de faire une analyse de rentabilité en vue de remplacer l’équipement de communication dont nos équipes de recherche se servent actuellement. Cet équipement nous a été fort utile, mais il est vétuste. Autrement dit, il est parvenu à la fin de son cycle de vie. La technologie offre aujourd’hui un meilleur équipement dont le coût opérationnel est moindre. Cependant, étant donné les budgets actuels et les besoins grandissants en d’autres services, il nous faudra des années pour remplacer tout l’équipement actuel, même celui de nos équipes de recherche et de sauvetage.
Des systèmes répéteurs radioélectriques maritimes sont désespérément nécessaires dans tout le Nunavut et, une fois installés, ces systèmes serviraient à nos citoyens à longueur d’année. Les équipements de recherche, qui comprennent des bateaux et des véhicules tous terrains, par exemple, constituent l’épine dorsale de nos équipes. La plupart d’entre eux appartiennent à des particuliers, et leur utilisation coûte très cher. La cartographie des fonds marins est très incomplète, de sorte qu’il existe des écueils qui causent de nombreux accidents chaque année. Il n’existe à peu près pas d’installations de réparation dans les collectivités, et la plupart des réparations sont faites par les propriétaires ou des amis possédant certaines connaissances dans le domaine. Comme beaucoup de nos bénévoles sont des chasseurs, il devient difficile pour eux de réunir assez de fonds pour tenir leur équipement en bon état de marche en tout temps.
C’est pourquoi ils hésitent à entreprendre une recherche à court préavis et, s’ils le font, ils savent qu’ils s’exposent à un risque supplémentaire. Cela retarde souvent les recherches. Je ne sais pas combien de fois on m’a dit : « Nous avons les secouristes nécessaires, mais nous n’avons pas l’équipement en ce moment pour les envoyer en mission. »
Les conditions climatiques, comme je l’ai déjà dit, changent. Les fonctionnaires collaborent de près avec d’autres intervenants tels qu’Environnement Canada, la Garde côtière canadienne ou SmartICE pour diffuser des renseignements auprès des collectivités non seulement sur les conditions météorologiques de l’heure, mais aussi sur des aspects tels que l’état des glaces, les itinéraires de voyage sûrs et la cartographie océanique. Ils s’efforcent aussi d’améliorer ces renseignements et d’établir des programmes de prévention de manière que nous puissions transmettre les connaissances à ceux qui en ont besoin.
Parlons maintenant du manque d’appui aérien fourni à point nommé. Je tiens à dire clairement qu’au Nunavut, nous ne cherchons pas à critiquer l’appui que nous ont fourni les Forces canadiennes ou la Garde côtière canadienne. Je parle plutôt des énormes distances que les aéronefs doivent franchir pour arriver sur les lieux des recherches. Le temps presse quand vous dérivez sur un radeau de glace en train de s’effriter ou que vous êtes tombé à l’eau et que vous avez besoin d’une aide médicale.
Dans le Nord, il n’y a pas assez d’avions et d’hélicoptères commerciaux disponibles quand un incident survient. Il y a très peu d’hélicoptères, et ceux qui existent sont basés à quelques endroits seulement. Plusieurs ne sont là que pendant certaines saisons et sont exploités par des sociétés minières, ce qui en limite la disponibilité. Le coût typique d’utilisation d’un hélicoptère du système d’alerte du Nord pendant la période minimale de quatre heures varie de 6 000 $ à 10 000 $.
Aucun des appareils actuellement en service dans l’Arctique n’est muni d’un treuil. Le fait que nous n’ayons pas la bonne plateforme a entraîné des accidents au cours des missions de sauvetage, et les équipages aériens ont alors couru des risques qu’ils ne prendraient jamais normalement pour sauver des vies humaines.
L’épuisement des bénévoles est en train de devenir un de nos plus grands défis. Bon nombre de nos bénévoles assument de nombreux rôles : ils sont membres des équipes de recherche et de sauvetage, des Rangers canadiens, de la Garde côtière auxiliaire et des pompiers, et certains font aussi partie de nombreux autres groupes communautaires de bénévoles. Par ailleurs, la plupart des bénévoles passent beaucoup de temps à suivre leur mode de vie traditionnel axé sur la chasse et la pêche pour subvenir aux besoins de leur famille. C’est là un aspect dont nous nous préoccupons depuis un bon moment et dont nous avons parlé avec les Forces canadiennes et la Garde côtière canadienne pour trouver des moyens de mieux appuyer nos bénévoles.
En terminant, il a toujours valu mieux par le passé — et il continue d’en être ainsi — de laisser aux personnes qui connaissent le territoire et aux collectivités où elles vivent le soin d’exécuter les missions de recherche et de sauvetage dans l’Arctique. Leur savoir traditionnel, conjugué à la technologie moderne, leur permet de surmonter la plupart des obstacles.
Ils ont besoin de ressources financières, d’équipement, de formation et de soutien de la part de tous les ordres de gouvernement pour continuer à fournir les nombreux services à l’appui de nos collectivités et de leur population. Nous ne pouvons pas continuer à miser sur l’aide des bénévoles, de leur famille et de leur collectivité, à moins d’être disposés à leur fournir le soutien qu’il leur faut. Le coût en vies humaines est trop grand, et le fardeau financier pour nos gouvernements est trop lourd.
Enfin, je vis dans l’Arctique depuis près de 38 ans. Tous les programmes qui y ont été couronnés de succès sont le fruit de consultations, de collaboration et de compromis. Je pense que l’investissement de fonds plus considérables dans les milieux de la recherche et du sauvetage dans l’Arctique rapportera des dividendes pendant de nombreuses années. Sinon, on assistera à la lente érosion des fondements du système actuel, et le fardeau des gouvernements continuera de s’alourdir. Pareille solution serait nettement moins efficace et se solderait tôt ou tard par des pertes de vie.
Je vous remercie, monsieur le président.
Le président : Merci à vous, monsieur Zebedee. Au moins, votre témoignage a été consigné au compte rendu et, si nous avons besoin de précisions, nous communiquerons avec vous.
Nous devrons aller voter au Sénat à 18 h 20, mais j’aimerais vous poser une brève question, et peut-être que le sénateur Gold aurait, lui aussi, une petite question à vous poser.
Plusieurs témoins ont proposé que le ministère de la Défense nationale conclue des marchés avec des entreprises privées d’hélicoptères de recherche et de sauvetage, comme Cougar Helicopters Inc., afin d’assurer une couverture en matière de recherche et de sauvetage dans l’Arctique canadien. Ils ont expliqué que ces entreprises disposent déjà de l’équipement et de l’équipage appropriés pour participer à des missions de recherche et de sauvetage. Certains intervenants ont laissé entendre que ces hélicoptères pourraient être stationnés à Cambridge Bay ou à Iqaluit.
Qu’en pensez-vous? À votre avis, le comité devrait-il envisager ce genre de recommandation?
M. Zebedee : Nous nous sommes entretenus avec certaines entreprises, notamment Cougar Helicopters. Cette dernière offre probablement l’un des meilleurs programmes en ce moment et dispose de l’un des meilleurs équipages. Le déploiement d’hélicoptères dans l’Arctique, selon l’endroit où ils sont stationnés, serait très utile et permettrait probablement de sauver beaucoup de vies.
Je sais que divers endroits ont été mentionnés. Je ne veux pas en recommander un plutôt qu’un autre. J’ai déjà dit que Rankin Inlet serait peut-être un choix bien meilleur parce qu’on pourrait ainsi desservir le Nord du Québec, du Manitoba et de l’Ontario, tout en couvrant l’Arctique. Certains étaient en désaccord avec moi, et il n’y a absolument rien de mal à cela.
Le président : Je voulais connaître votre opinion générale à ce sujet.
Le sénateur Gold : Merci d’être des nôtres, et je regrette que notre temps ensemble soit limité.
J’aimerais revenir sur une observation que vous avez faite vers la fin de votre exposé au sujet des consultations. Pourriez-vous nous dire quelques mots sur l’ampleur des consultations entre le gouvernement territorial, le gouvernement fédéral et d’autres organismes comme la Garde côtière en ce qui concerne les améliorations à apporter aux opérations de recherche et de sauvetage au Nunavut?
M. Zebedee : La Garde côtière canadienne et les Forces canadiennes ont non seulement lancé, mais aussi mené de très bonnes consultations au cours des 18 à 24 derniers mois. Nous avons beaucoup travaillé avec elles. J’ai d’ailleurs envoyé des membres de mon personnel dans des collectivités, en compagnie de représentants de la Garde côtière canadienne, afin de préparer le terrain, de donner l’exemple et, au besoin, d’offrir des services de traduction.
Dans le cadre de la mise en œuvre du programme de la Garde côtière auxiliaire, les représentants ont tenu compte de nos recommandations et ils les ont mises en application. C’est pourquoi ce programme sera couronné de succès. Ils ont donc fait un excellent travail sur le plan des consultations.
Le président : Merci, monsieur Zebedee. Encore une fois, je suis désolé de la courte durée de notre réunion, mais nous voulions entendre votre témoignage, qui est maintenant consigné au compte rendu, de pair avec les excellentes recommandations que vous nous avez faites. Vous avez exprimé quelques préoccupations, et nous comptons nous pencher là-dessus dans le cadre de notre comité. Merci de nous avoir accordé de votre temps ce soir.
M. Zebedee : Merci, monsieur le président.
(La séance est levée.)