LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES SOCIALES, DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le vendredi 14 mai 2021
Le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), par vidéoconférence, pour étudier la teneur des éléments des sections 21, 22, 23, 24, 28, 29, 32, 33, 34, 35 et 36 de la partie 4 du projet de loi C-30, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 19 avril 2021 et mettant en œuvre d’autres mesures, et, à huis clos, pour mener l’étude d’un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
La sénatrice Chantal Petitclerc (présidente) occupe le fauteuil.
[Français]
La présidente : Bonjour à tous et bienvenue à cette réunion. Je m’appelle Chantal Petitclerc, je suis sénatrice du Québec. J’ai le plaisir et le privilège de présider cette réunion par vidéoconférence du Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Avant de commencer, j’aimerais vous faire quelques suggestions pour que notre réunion virtuelle soit à la fois efficace et productive.
[Traduction]
Premièrement, nous vous demandons de garder votre microphone en sourdine en tout temps, à moins que la présidente vous donne la parole. Comme vous le savez, vous êtes responsable d’allumer et d’éteindre votre microphone durant la réunion. Avant de prendre la parole, veuillez attendre qu’on vous nomme. De plus, veuillez utiliser la fonction « lever la main ». Avant de prendre la parole, veuillez faire une pause de quelques secondes pour laisser du temps au signal audio et aux services d’interprétation.
[Français]
Si jamais vous éprouvez quelque difficulté que ce soit, n’hésitez pas à le signaler, à moi ou à notre greffier. Un numéro d’assistance technique vous a également été fourni.
[Traduction]
Il se peut que nous devions suspendre la réunion si quelqu’un a besoin d’assistance technique ou si nous éprouvons des difficultés d’ordre technologique, car nous devons nous assurer que tous les membres sont en mesure de participer pleinement.
Pour terminer, je tiens à rappeler à tous les participants que les écrans Zoom ne doivent pas être copiés, enregistrés ou photographiés.
[Français]
Sans plus tarder, je présente les membres du comité qui participent à notre réunion. Merci, chers collègues, de votre présence.
Nous accueillons les vice-présidentes du comité, la sénatrice Frum et la sénatrice Bovey, et le sénateur R. Black, membre du comité directeur. Nous avons aussi parmi nous la sénatrice Dasko, la sénatrice Forest-Niesing, le sénateur Kutcher, le sénateur Manning, la sénatrice Mégie, la sénatrice Moodie, la sénatrice Omidvar et la sénatrice Moncion.
Bienvenue à tous. Nous continuons notre étude du projet de loi C-30 et nous examinerons les sections 23 et 28 du projet de loi. Notre premier groupe de témoins commencera par la section 23, qui modifie la partie 3 du Code canadien du travail afin d’établir le salaire horaire minimum fédéral à 15 $ et de prévoir que, si le salaire minimum prévu par la province ou le territoire est supérieur, le salaire supérieur au minimum devra être versé par l’employeur.
Je vous présente à l’instant nos témoins. D’Emploi et Développement social Canada, nous avons le plaisir d’accueillir David Charter, directeur, Programme du travail, et Sébastien St-Arnaud, gestionnaire, Programme du travail. J’invite maintenant M. Charter à nous faire ses remarques.
[Traduction]
David Charter, directeur, Programme du travail, Emploi et Développement social Canada : Merci. Bonjour.
Je m'appelle David Charter. Je suis le directeur de la Division de la recherche et de l’innovation au Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada. Je suis accompagné aujourd’hui de Sébastien St-Arnaud, le gestionnaire de l’élaboration des politiques au Programme du travail. Nous sommes ici pour discuter des amendements proposés à la partie III du Code canadien du travail au titre 23 de la Loi d’exécution du budget, en lien avec le salaire minimum.
La partie III du Code canadien du travail établit les conditions de travail minimales, telles que les heures de travail, les vacances annuelles, les divers types de congés avec protection de l’emploi, et fixe le salaire minimum des employés du secteur privé sous réglementation fédérale. Le secteur privé sous réglementation fédérale comprend environ 6 % de tous les employés canadiens employés dans des industries telles que les banques, les télécommunications, le transport interprovincial et international, les sociétés d’État fédérales et certaines activités dans les réserves des Premières Nations. La partie III du code ne s’applique pas à la fonction publique fédérale.
À l’heure actuelle, la partie III du code fixe le salaire minimum fédéral comme étant le salaire minimum général établi par la province ou le territoire dans lequel l’employé est habituellement employé. La lettre de mandat du ministre du Travail comprend l’engagement de porter le salaire minimum fédéral à au moins 15 $ l’heure. Le budget de 2021 a annoncé cette loi qui modifie la partie III du Code canadien du travail afin d’établir un salaire minimum fédéral de 15 $ l’heure, qui augmenterait en fonction de l’inflation et de dispositions pour s’assurer que, lorsque le salaire minimum provincial ou territorial est plus élevé, c’est ce salaire qui prévaut.
Le nouveau salaire minimum entrerait en vigueur six mois après la sanction royale. Pour s’assurer que le salaire minimum fédéral demeure pertinent et augmente en fonction de l’inflation, le 1er avril de chaque année après l’année d’entrée en vigueur des dispositions modifiées relatives au salaire minimum, le nouveau salaire minimum serait ajusté selon l’Indice des prix à la consommation de Statistique Canada pour l’année civile précédente.
Je vais conclure en mentionnant que, selon nos estimations, il y a environ 26 200 employés du secteur privé sous réglementation fédérale qui gagnent actuellement moins de 15 $ l’heure et qui bénéficieraient du nouveau taux de salaire minimum.
Sur ce, je vous remercie et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup de votre déclaration liminaire. Nous allons commencer la période des questions avec nos vice-présidentes.
La sénatrice Frum : J’aimerais savoir quelle sorte de consultation vous avez menée avec les provinces et les premiers ministres sur cet amendement et s’il y a eu une réponse à la suggestion que cela pourrait interférer dans la province?
M. Charter : Merci beaucoup de votre question.
Par l’entremise de l’Association canadienne des administrateurs de la législation, qui est un comité fédéral-provincial-territorial de sous-ministres, et aussi par l’entremise des réunions régulières des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables du Travail, le sujet du salaire minimum est à l’ordre du jour à l’occasion.
En ce qui concerne l’incidence que cela pourrait avoir sur les salaires minimums provinciaux, bien entendu, ces modifications à la partie III du Code canadien du travail mettront en place le salaire minimum de 15 $ au niveau fédéral, mais au niveau provincial, les taux de salaire minimum provinciaux continueront de s’appliquer.
La sénatrice Frum : Les premiers ministres ont-ils été consultés à ce sujet? Comme vous le laissez entendre, il y aura vraisemblablement un effet d’entraînement sur la législation provinciale. Je suis curieux de savoir si des consultations ont eu lieu avec les provinces.
M. Charter : Comme je l’ai dit, au cours des réunions régulières des sous-ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux et des réunions fédérales, provinciales et territoriales des ministres responsables du travail, le sujet du salaire minimum a certainement été à l’ordre du jour de temps à autre. Je ne sais pas précisément s’il y a eu des consultations directes avec les premiers ministres, mais il y a certainement eu des conversations aux niveaux fédéral, provincial et territorial avec les ministres et les sous-ministres au cours de ces réunions régulières.
La sénatrice Frum : Merci. Pouvons-nous supposer que ces sous-ministres provinciaux ont donné leur approbation et leur aval?
M. Charter : Je n’ai pas assisté à ces réunions précises, mais, comme je l’ai dit, le salaire minimum fédéral ne s’applique que dans la compétence fédérale et n’a aucune incidence sur les taux de salaire minimum provinciaux. Je ne suis pas au courant des objections qui ont été soulevées à l’égard de l’établissement par le gouvernement fédéral d’un salaire minimum indépendant dans les secteurs privés sous réglementation fédérale.
La sénatrice Frum : Merci.
La sénatrice Bovey : Je veux remercier notre témoin.
Je vais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Frum avec ses questions sur les consultations, et je vais élargir ma question sur le sujet. Des consultations ont-elles été menées avec d’autres secteurs et d’autres gouvernements? Le cas échéant, quel a été le processus de consultation avec les employés et quelles ont été les personnes touchées par cette situation? Je serais vraiment intéressée de le savoir. Vous avez mentionné que 26 200 employés du secteur privé sous réglementation fédérale seraient touchés par cette mesure. Pouvez-vous nous donner une idée des emplois qui seraient touchés?
M. Charter : Je me ferai un plaisir de répondre à vos deux questions.
Je commencerai par la question sur les consultations menées au sujet du salaire minimum. Il y a eu deux séries de consultations assez exhaustives qui ont eu lieu. Les premières ont eu lieu en 2017 et en 2018 dans le cadre de l’engagement du mandat du ministre du Travail de l’époque à moderniser les normes du travail fédérales. Des consultations ont été menées avec un vaste éventail d’intervenants sur un certain nombre de sujets, dont le salaire minimum fédéral. En outre, en 2019, le ministre du Travail de l’époque a nommé un groupe d’experts sur les normes du travail modernes pour examiner cinq questions, dont l’une était la mise en place d’un salaire minimum fédéral.
En commençant par les consultations de 2017-2018 sur les normes du travail modernes, il s’agissait d’un processus assez complet où nous avions un courriel aux intervenants, un forum de discussion d’experts en ligne, une page de consultation publique en ligne qui comprenait un sondage et la possibilité de fournir des mémoires écrits. En outre, des tables rondes de haut niveau ont été organisées. La question du salaire minimum a suscité des avis divergents. Plus des trois quarts des répondants au sondage en ligne étaient favorables à un salaire minimum fédéral indépendant, mais il ne s’agissait pas d’un échantillon représentatif. Les syndicats, les organisations syndicales et les groupes de défense des droits étaient en faveur d’un salaire minimum fédéral indépendant. Les employeurs s’y sont opposés et s’inquiétaient des conséquences négatives potentielles pour les entreprises et du fait qu’un salaire minimum fédéral indépendant pourrait ne pas tenir compte des différences économiques régionales.
Je vais ensuite vous parler un peu des consultations du Groupe d’experts sur les normes du travail fédérales modernes, en 2019. Ce groupe indépendant a consulté plus de 140 travailleurs, groupes de la société civile, syndicats, organisations syndicales, employeurs et organisations patronales, ainsi que des experts. C’était entre février et juin 2019. Encore une fois, nous avons vu que les syndicats, les organisations syndicales et les groupes de la société civile étaient en faveur d’un salaire minimum de 15 $ dans les milieux de travail relevant de la compétence fédérale, alors que les employeurs exprimaient des préoccupations et préféraient maintenir le statu quo selon lequel le salaire minimum était fixé en fonction du taux de salaire minimum de la province ou du territoire où l’employé travaille.
Je vais maintenant répondre à votre question sur les types d’emplois qui seraient touchés par cette mesure. Nous avons fait des estimations, et les types de postes qui devraient être touchés sont par exemple les agents de billetterie et de service des compagnies aériennes, les conducteurs de camions de transport, les chefs de cabine et les agents de bord, certains manutentionnaires, d’autres représentants du service à la clientèle et du service d’information, les représentants du service à la clientèle dans les institutions financières, certains spécialistes des ventes techniques dans le commerce de gros, certains agents de piste dans le transport aérien, ainsi que certains types d’opérateurs d’autobus, de métro et d’autres transports en commun, et quelques conducteurs de services de livraison et de messagerie. Je dirais que, sur les 26 200 métiers, 12 600 entrent dans la catégorie « autres » parce que les nombres sont tout simplement trop petits pour être ventilés en groupes professionnels précis.
La sénatrice Bovey : Merci.
Je me demande si, à l’avenir, vous serez en mesure de suivre ces petits groupes. Je présume — et c’est un mot dangereux, je suppose — que la pandémie a révélé la nature de ces autres emplois, et nous devons en être très conscients, car ce sont des employés très importants en ces temps de crise.
M. Charter : Il est tout à fait vrai que la pandémie a attiré l’attention sur les travailleurs essentiels et vulnérables à bas salaire et sur leur importance. Nous pourrions certainement réaliser une analyse ou refaire cette analyse en cherchant les emplois dont le salaire est inférieur au salaire minimum ou au nouveau taux, ou à tout autre taux que nous pourrions vouloir envisager. Donc oui, nous pourrions certainement mettre à jour cette analyse et nous avons l’intention de le faire.
La sénatrice Bovey : Merci, monsieur Charter. Je vous en sais gré et j’ai hâte de voir ces chiffres.
Le sénateur R. Black : Je veux poursuivre dans la même veine et simplement poser la question suivante. Existe-t-il un plan pour veiller à ce que les provinces et les territoires ajustent le salaire minimum pour les secteurs soumis à la réglementation provinciale afin qu’il corresponde au salaire minimum fédéral, ou pour les encourager ou les aider à le faire?
M. Charter : Merci beaucoup.
Je vais commencer par dire que ces changements particuliers à la partie III du Code canadien du travail mettront en place un salaire minimum de 15 $ pour le secteur privé sous réglementation fédérale. Ce changement n’aura d’incidence que sur le secteur privé sous réglementation fédérale.
Pour ce qui est de savoir si les provinces et les territoires pourraient choisir indépendamment d’augmenter leur salaire minimum, je ne peux pas vraiment me prononcer à ce sujet. Cependant, il est certain que les réunions fédérales-provinciales-territoriales des ministres du Travail et des sous-ministres du Travail continueront de se tenir sur une base régulière, que le salaire minimum est déjà un sujet de discussion à cette table et que cela se poursuivra.
Le sénateur R. Black : Merci.
Comment le taux de 15 $ a-t-il été déterminé? Est-ce que cette décision est étayée par des données qui sont accessibles au public?
M. Charter : Merci de votre question.
Il y a un certain nombre de raisons pour lesquelles on a fixé le taux à 15 $. Je pense que la première est que la lettre de mandat du ministre du Travail comprenait un engagement à fixer un salaire minimum d’au moins 15 $.
En outre, au fil du temps, de nombreux intervenants ont demandé au gouvernement fédéral de mettre en place un salaire minimum fédéral autonome de 15 $. Je pense ici à des campagnes comme Fight For $15 & Fairness.
Comme je l’ai dit, nous avons également consulté les parties prenantes en 2017 et 2018 dans le cadre de consultations visant à examiner la modernisation des normes du travail. Le Groupe d’experts sur les normes du travail fédérales modernes a également consulté un assez grand nombre de parties prenantes. Comme je l’ai mentionné, les syndicats et les organisations syndicales ont appuyé la mise en place d’un salaire minimum de 15 $ l’heure. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un échantillon représentatif, nous avons également tenu un sondage en ligne, et les répondants étaient favorables à un salaire minimum fédéral autonome.
En 2019, le groupe d’experts a publié son rapport final dans lequel il recommandait également la mise en place d’un salaire minimum fédéral autonome qui serait ajusté chaque année. Cette mesure répond donc certainement à cette recommandation.
Enfin, pour donner une idée de la façon dont le taux de 15 $ se compare aux taux des provinces et territoires, les taux de salaire minimum dans les provinces et les territoires varient actuellement entre 11,45 $ en Saskatchewan et 16 $ au Nunavut. Si le salaire minimum fédéral de 15 $ l’heure était en place aujourd’hui, il serait supérieur ou égal à celui des provinces et territoires, à l’exception du Nunavut, où le salaire minimum est de 16 $ l’heure. Comme je le mentionnais dans ma déclaration liminaire, ces changements comprennent également des dispositions qui garantissent qu’en pareil cas, puisque le taux de ce territoire est plus élevé, c’est ce taux qui prévaudra et les employés de ce territoire seront payés 16 $ l’heure.
Le sénateur R. Black : Je vous remercie de vos réponses.
[Français]
La sénatrice Forest-Niesing : Merci aux témoins d’être avec nous et de répondre si complètement à nos questions.
On en a déjà parlé, nous savons à quel point le coût des aliments et d’autres produits essentiels à la vie ont augmenté en raison de la pandémie. On sait aussi qu’il y a eu et qu’il continuera d’y avoir un très haut taux de faillite d’entreprises de toutes les tailles. Plus particulièrement, nous savons que le domaine du transport aérien a été très durement touché, surtout les aéroports régionaux qui ont subi des pertes de 90 % de leur revenu avec des coûts fixes.
Vous avez parlé un peu du processus de consultation. Je souhaite savoir si, dans vos consultations, vous avez fait une étude comparative des effets économiques de cette mesure, d’une part pour évaluer quelle serait la croissance économique des travailleurs qui vont en bénéficier, contre les risques économiques supplémentaires que cette mesure va faire peser sur les entreprises visées.
M. Charter : Merci de votre question.
[Traduction]
Pour une raison quelconque, l’interprétation ne fonctionne pas pour moi, mais je pense avoir compris tous les éléments de votre question — du moins je l’espère.
Je vais peut-être essayer d’y répondre en plusieurs parties et dire simplement que, comme je l’ai mentionné, il y a certainement des employés des industries sous réglementation fédérale qui seront touchés par cette mesure. Vous en avez cité quelques-uns. Selon notre analyse, des employés seront touchés dans le secteur du transport routier, mais aussi dans le secteur du transport non routier, que vous avez mentionné, ainsi que dans les services postaux et de messagerie, les banques, les télécommunications et la radiodiffusion. J’ai également mentionné un certain nombre d’emplois qui seront touchés, comme les agents de billetterie et les agents de service des compagnies aériennes — un secteur que vous avez signalé —, ainsi que les conducteurs de camions de transport, les commissaires de bord, les agents de bord, également dans le secteur aérien, les manutentionnaires, les autres représentants du service à la clientèle et de l’information, les représentants de la clientèle et du service, les ventes techniques, le transport aérien, les autobus et le métro.
Vous avez également posé une question sur les coûts pour les entreprises et les répercussions sur les entreprises.
La sénatrice Forest-Niesing : En fait, si je peux vous arrêter là juste pour préciser ma question, je souhaite particulièrement savoir si votre processus de consultation a traité, ou cherché à comparer les effets économiques ou les répercussions du salaire minimum sur les entreprises et les avantages qu’il procurera aux particuliers.
M. Charter : D’après moi, le Groupe d’experts sur les normes du travail fédérales modernes a certainement examiné ces détails. Selon l’analyse que j’ai devant moi en ce moment et que nous avons menée pour avoir une idée des répercussions sur les employeurs — par exemple en fonction de la taille —, sur les 26 200 employés qui bénéficieront du salaire minimum fédéral, environ 4 000 travaillent pour des employeurs qui ont moins de 20 employés, donc de petites entreprises, et 4 400 d’entre eux travaillent pour des employeurs qui ont entre 20 et 99 employés, qui sont aussi de petites entreprises, mais 3 500 travaillent pour des employeurs moyens qui ont de 100 à 500 employés. La majeure partie de ces 26 200 employés travaillent dans de grandes entreprises qui ont 500 employés ou plus, donc 14 200 des 26 200, soit 54 %, travaillent pour ces grands employeurs. Nous avons examiné les répercussions financières sur ces grands employeurs, et nous estimons que pour couvrir la différence entre le salaire actuel de ces employés et le taux de 15 $ l’heure, s’il n’y a pas d’autres modifications des heures de travail ou d’autres ajustements de la main-d’œuvre, le coût pour tous les employeurs sous réglementation fédérale au cours de la première année serait d’environ 44,1 millions de dollars, soit 0,1 % de la masse salariale annuelle totale du secteur privé sous réglementation fédérale.
La sénatrice Forest-Niesing : J’ai une dernière question pour revenir à ce que j’essaie de savoir. Plus tôt, en réponse à la question du sénateur Black sur la façon dont on est arrivé à 15 $, vous avez mentionné certaines études et un groupe d’experts. Il semble que tout cela se soit passé avant la pandémie. Je me demande si vous avez mesuré les conséquences de la pandémie au moment de déterminer le montant de 15 $ et, plus précisément, si vous avez tenu compte du fait que les employeurs qui ont déjà été durement touchés par la pandémie pourraient se retrouver dans une position précaire. De plus, avez-vous évalué si le salaire horaire de 15 $ est suffisant compte tenu de l’augmentation du coût de la vie depuis le début de la pandémie?
M. Charter : En ce qui concerne les consultations portant sur la pandémie, comme je l’ai mentionné, la première série de consultations a eu lieu en 2017-2018 et la deuxième, en 2019. Les consultations ont évidemment eu lieu avant que la pandémie nous frappe, mais les chiffres sur les répercussions que j’ai soulignés ou parcourus concernant les employeurs de diverses tailles et les coûts ont été élaborés à partir des microdonnées de l’enquête sur la main-d’œuvre qui sont plutôt récentes. Certains chiffres calculés pendant la pandémie sont peut-être inclus, mais les effets de la pandémie ne sont pas tous pris en compte.
La sénatrice Dasko : Je vous remercie de vos excellentes réponses, monsieur Charter. Elles sont très détaillées. C’est très utile.
J’ai quelques questions. Tout d’abord, en regardant simplement les quelque 26 000 travailleurs qui seront touchés, vous avez mentionné certains emplois. Pouvez-vous nous parler des caractéristiques démographiques des travailleurs qui pourraient être touchés, notamment sur le plan du sexe, de l’âge, de la race, des antécédents, de la région ou autres? Avez-vous des renseignements sur ces gens, outre les emplois qu’ils occupent?
M. Charter : Certainement. Je vais me faire un plaisir de répondre à cette question.
Sur les 26 200 employés, 15 500 sont des hommes et 10 700 sont des femmes. En ce qui concerne l’âge, 8 300 ont moins de 25 ans, 13 900 ont entre 25 et 54 ans, et 4 000 ont 55 ans et plus. De plus, nous avons calculé qu’environ 16 700 personnes sont des Canadiens, tandis que 9 500 sont des immigrants récents.
Je dirais que la plupart des employés se trouvent en Ontario et au Québec. Sur les 26 200, 73 %, soit près de 20 000, se trouvent en Ontario et au Québec. Aucun ne se trouve en Colombie-Britannique et en Alberta. Le salaire minimum de l’Alberta est déjà de 15 $, et le salaire minimum de la Colombie-Britannique devrait passer le mois prochain à un peu plus de 15 $ — à 15,20 $, si je ne me trompe pas.
La sénatrice Dasko : Je vous remercie de votre réponse.
J’ai une autre question qui nous ramène aux répercussions sur les autres secteurs. Je vais essayer de l’aborder d’une manière différente. Lorsque vous avez fait vos recherches économiques — et je parle maintenant du passé... Nous avons eu des questions au sujet des incidences sur les provinces et ainsi de suite, mais sur la base de vos recherches économiques passées, êtes-vous en mesure de dire quels ont été les effets de l’augmentation du salaire minimum fédéral sur un certain nombre de choses? L’une d’entre elles pourrait être l’augmentation du salaire minimum provincial après l’augmentation du salaire minimum fédéral. Bien sûr, le salaire minimum provincial touche tous les travailleurs, sauf ceux qui travaillent dans des secteurs sous réglementation fédérale. Dans le passé, est-ce qu’on a eu tendance à augmenter le salaire minimum des provinces pour qu’il suive le salaire minimum fédéral?
Deuxièmement, dans le secteur des affaires lui-même, indépendamment de ce que pourrait être le salaire minimum réel, les entreprises ont-elles subi des pressions dans le passé pour augmenter leurs salaires en réponse à une augmentation du salaire minimum fédéral? Peut-être que cela n’a pas eu d’incidence parce que nous parlons d’un nombre relativement faible d’employés qui sont réellement touchés. Je vous demande si, dans le passé, cela a eu une incidence sur la main-d’œuvre en général et sur la structure salariale.
Je vais m’arrêter là. J’espère que mes questions sont claires. Ce sont d’autres points de vue par rapport aux questions que certains de mes collègues ont posées.
M. Charter : Je vais me faire un plaisir de répondre à vos questions.
En ce qui concerne les taux antérieurs du salaire minimum fédéral, avant 1996, il y avait un salaire minimum fédéral autonome, mais il était devenu tellement déphasé et très en retard sur les taux provinciaux, et je crois savoir que c’est la raison pour laquelle le salaire minimum fédéral a été fixé en fonction des salaires provinciaux et territoriaux en 1996. Je ne suis donc pas sûr, compte tenu de cela, que le salaire minimum fédéral ait tendance à influencer les taux provinciaux.
En ce qui concerne votre question au sujet des répercussions sur les entreprises, je l’entends dans le sens qu’il pourrait y avoir des retombées ou que les employeurs augmenteraient les salaires de ceux qui gagnent près de 15 $ l’heure ou juste au-dessus. À cela, je répondrais qu’il est possible qu’un nouveau salaire minimum fédéral fixé à 15 $ l’heure ait des retombées sur les personnes qui gagnent actuellement 15 $ l’heure ou un peu plus; elles pourraient voir leur salaire augmenter. Les employeurs pourraient agir de la sorte pour conserver leurs employés ou peut-être même pour attirer de nouveaux employés. Mais l’ampleur des retombées est assez incertaine et difficile à estimer. Il est peu probable que cela ait une incidence sur les personnes qui gagnent, disons, quelques dollars de plus que 15 $.
La sénatrice Dasko : Merci.
La sénatrice Moodie : Je vous remercie, monsieur Charter et votre équipe, d’être là aujourd’hui et de nous donner de superbes réponses, très axées sur les données.
J’aimerais vous demander un point de vue légèrement différent sur les données. Je me demande si vous pouvez faire la lumière sur une différence démographique que vous avez pu constater entre les employés à temps plein et les employés à temps partiel ou les employés temporaires relevant de la réglementation fédérale. Disposez-vous de ce type de ventilation? J’essaie de cerner cet autre groupe qui pourrait être constitué de plus petits groupes d’individus, peut-être des personnes ayant des difficultés socio-économiques. J’essaie de comprendre la différence entre l’emploi à temps plein et à temps partiel, ainsi que les effets du salaire minimum sur ces groupes, de façon différenciée.
M. Charter : Je vous remercie beaucoup de cette question. Je crains de ne pas avoir de données en main concernant les effets sur les employés à temps plein ou à temps partiel. Je pourrais demander à mon collègue Sébastien St-Arnaud s’il a quelque chose, mais je soupçonne qu’il n’a probablement rien.
Sébastien, pouvez-vous confirmer si nous avons cela?
Sébastien St-Arnaud, gestionnaire, Programme du travail, Emploi et Développement social Canada : Non, malheureusement, nous n’avons pas de données sur le temps partiel par rapport au temps plein.
M. Charter : Mes excuses, sénatrice.
La sénatrice Moodie : Aucun problème.
Je vais poser une autre question liée au montant de 15 $. Le rapport déposé en 2019 par le Groupe d’experts sur les normes du travail fédérales modernes recommandait — ou proposait — que le salaire minimum fédéral corresponde à 60 % du salaire médian provincial ou à 60 % du salaire médian de tous les Canadiens. Le montant de 15 $ comme salaire minimum proposé est en deçà de ce que cette médiane pourrait être. Pourquoi ce montant a-t-il été choisi?
M. Charter : Tout à fait. Je serai ravi de répondre à cette question.
Je dirais d’abord, comme vous l’avez mentionné, que le groupe d’experts a recommandé de fixer le nouveau taux de salaire minimum en pourcentage, soit 60 % du salaire minimum fédéral, provincial ou territorial. Bien sûr, nous avons fixé le salaire minimum à 15 $ l’heure et nous l’indexons en fonction de l’indice des prix à la consommation. Dans son rapport final, en utilisant les données de 2018 à l’époque, le groupe d’experts a calculé que 60 % du salaire médian à ce moment-là, avec ces données, équivalait à 15 $, mais comme vous l’avez souligné, avec des données plus récentes, ce n’est peut-être pas 15 $ en ce moment. Je ne dispose pas de chiffres précis sur le calcul du salaire médian actuel.
Dans une réponse précédente, j’ai évoqué un certain nombre de raisons pour fixer le taux à 15 $, notamment l’engagement pris par le ministre dans le cadre de son mandat et aussi ce que nous avons entendu lors des consultations sur un salaire minimum fédéral ou même particulièrement sur un salaire minimum de 15 $, y compris les campagnes des parties prenantes. Il y a aussi la recommandation de ce groupe, qui a recommandé un salaire minimum fédéral autonome — pas votre groupe, mais le Groupe d’experts sur les normes du travail fédérales modernes. Il a recommandé un salaire minimum fédéral autonome indexé en fonction de l’inflation.
Je pourrais aussi ajouter que nous avons fixé le taux à 15 $ pour les raisons que j’ai décrites et que nous l’indexons également en fonction de l’indice des prix à la consommation. Je pourrais aussi ajouter que les provinces ont actuellement tendance à ajuster automatiquement le salaire minimum en fonction de la formule d’indexation. Des provinces comme le Manitoba, le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve-et-Labrador, la Nouvelle-Écosse, l’Ontario, la Saskatchewan et le Yukon indexent toutes leur salaire minimum en fonction de l’indice des prix à la consommation afin qu’il augmente avec l’inflation et le coût de la vie. L’approche que nous adoptons correspond à cela.
Notre taux est fixé à 15 $ l’heure. Cependant, si un taux provincial ou territorial est plus élevé, comme, par exemple celui du Nunavut, de 16 $, qui tient vraisemblablement compte du coût de la vie, les modifications proposées prévoient que ce taux prévaudra et que les employés recevront le salaire minimum de la province ou du territoire en question.
La présidente : Merci.
[Français]
J’aimerais m’assurer que M. Charter reçoit bien la traduction.
[Traduction]
Monsieur Charter, si vous n’entendez pas l’interprétation, veuillez nous le faire savoir.
[Français]
La sénatrice Mégie : Monsieur Charter, merci d’être venu nous parler aujourd’hui. Pendant ses travaux, le groupe d’experts a recommandé l’augmentation du salaire minimum à 15 $ l’heure. Savez-vous s’il a étudié le système qu’utilisent d’autres pays, dont le système est semblable à celui du Canada? Savez-vous quels sont les impacts de cette augmentation?
[Traduction]
M. Charter : Merci beaucoup.
Je dirais que le groupe d’experts a étudié très attentivement la question du salaire minimum. Il s’agissait, bien sûr, d’un groupe d’experts indépendants. Je crois qu’il a examiné des modèles étrangers tels que celui du Royaume-Uni, si je ne me trompe pas, et la façon d’aborder le salaire minimum dans ce pays, par exemple. Je n’ai pas participé personnellement aux délibérations du groupe d’experts indépendants.
J’ai mentionné qu’ils ont examiné des approches étrangères, y compris celle du Royaume-Uni, mais je me tournerais peut-être vers mon collègue Sébastien St-Arnaud pour voir s’il a en main plus de renseignements sur des solutions étrangères comparables que le groupe d’experts a examinées.
M. St-Arnaud : Malheureusement, j’ai un trou de mémoire. Il faudra que je vérifie. Je m’en excuse.
La présidente : Pourrions-nous vous demander de nous communiquer cette information lorsque vous la trouverez? Vous pouvez la transmettre à notre greffier.
M. Charter : Bien sûr. Aucun problème. Pour que ce soit clair, ce que vous cherchez, ce sont les solutions étrangères comparables que le groupe d’experts a examinées en ce qui concerne le salaire minimum. C’est bien cela?
[Français]
La sénatrice Mégie : C’est exact.
M. Charter : Parfait, merci.
La sénatrice Mégie : Quel impact l’augmentation a-t-elle eu sur les entreprises et sur les employés eux-mêmes au moment de l’augmentation?
Si vous les avez par écrit, ce serait utile pour nous de les obtenir. Merci beaucoup.
[Traduction]
La sénatrice Omidvar : Merci d’être avec nous aujourd’hui, messieurs Charter et St-Arnaud. Je trouve vos explications très utiles. L’avantage d’avoir la parole en dernier, ou presque, c’est que la plupart des questions ont été posées et qu’elles ont reçu d’excellentes réponses. Je vais cependant creuser un peu plus la question des données.
Monsieur Charter, vous avez présenté les données sur les employés par région, âge et sexe, entre autres. Recueillez-vous des données en fonction de la race? Sur ces 26 200 employés, j’aimerais savoir combien sont des minorités raciales, combien sont des Noirs, et si vous avez des chiffres sur la participation des Autochtones, car nous sommes tous préoccupés, comme vous devez l’être aussi, par les inégalités raciales dans notre société.
M. Charter : Certainement. Merci de votre question. Ce sont effectivement des points de données importants à surveiller.
Aux fins de notre analyse des employés qui sont touchés par ce changement visant à mettre en place un salaire minimum fédéral de 15 $, nous avons utilisé les microdonnées de l’Enquête sur la population active pour préparer nos estimations. J’ai fourni les seules données dont je dispose, et elles concernent le statut d’immigrant. Sur les 26 200 employés touchés, 9 500 sont des immigrants. Je n’ai pas de données précises sur les aspects démographiques que vous venez de demander, tous ces aspects particuliers, mais pour l’instant seulement sur les immigrants récents.
La sénatrice Omidvar : Donc vous n’avez pas les données? Vous n’en recueillez pas?
M. Charter : Je ne le fais pas.
La sénatrice Omidvar : Vous ne recueillez pas les données?
M. Charter : Les données que nous utilisons sont tirées de l’Enquête sur la population active réalisée par Statistique Canada. Nous voulions estimer le nombre d’employés qui gagnent moins de 15 $ l’heure dans les secteurs sous réglementation fédérale. Tout ce que nous avons pu tirer des données de Statistique Canada, ce sont les 9 500 immigrants récents.
La sénatrice Omidvar : D’accord. Ces chiffres peuvent nous donner une idée, mais ils ne sont évidemment pas précis.
J’ai une question sur les délibérations du Comité d’experts entourant le salaire minimum fédéral. J’aimerais savoir si le groupe a tenu compte des propositions sur le salaire suffisant. D’après ceux qui le revendiquent, le salaire minimum devrait plutôt se chiffrer à 21 $ l’heure. Je me demande si ces propositions ou conversations ont été prises en compte.
M. Charter : Tout d’abord, j’aimerais préciser que mon collègue Sébastien St-Arnaud a quelque chose à ajouter en réponse à votre question sur les données démographiques. Je pourrais lui céder brièvement la parole à cette fin, après quoi je répondrai à votre question sur le salaire suffisant.
M. St-Arnaud : Je tiens à remercier la sénatrice de sa question.
Même si nous n’avons pas de données, nous avons effectué beaucoup de travaux de recherche pour savoir ce que dit la littérature au sujet des salariés faiblement rémunérés. Nous avons bien sûr constaté que le salaire minimum à 15 $ profitera probablement à tous les travailleurs à faible salaire. Les recherches montrent par exemple que les Autochtones, les membres des minorités visibles et les personnes ayant un faible niveau de scolarité sont plus susceptibles d’occuper ce type d’emploi. Une telle mesure sera donc bénéfique pour ces employés. C’est ce que je voulais ajouter.
La sénatrice Omidvar : Je vous remercie. Je comprends, mais vous constaterez que les sénateurs exigent des données plus précises dans ces domaines. Je vous remercie.
La présidente : Monsieur Charter, vouliez-vous répondre à la deuxième question de la sénatrice Omidvar?
M. Charter : Bien sûr.
Comme je l’ai dit, je n’ai pas participé aux délibérations du Comité d’experts indépendants. Je me souviens cependant que dans son rapport définitif, le groupe a tenu compte de la pauvreté et du taux de salaire pour fixer le salaire minimum fédéral à 15 $ l’heure environ.
De façon plus générale, la question du salaire suffisant fait actuellement l’objet de discussions fort intéressantes et de recherches fascinantes, mais je crois comprendre que le montant ne fait peut-être pas l’unanimité. Voici ce que je peux dire au sujet des changements que nous apportons à la partie III du Code canadien du travail afin de fixer un salaire minimum fédéral. Comme je l’ai mentionné, il s’agit d’établir des mesures de protection tout à fait fondamentales pour les employés sous la forme de normes du travail, mais seulement à l’échelle fédérale. On y trouve notamment des règles sur les heures de travail, sur les vacances, sur les différents congés et, bien sûr, sur le salaire minimum ou le plancher salarial dans le secteur privé qui est assujetti à la réglementation fédérale. C’est donc quelque peu différent du salaire suffisant et de toutes les questions afférentes.
La sénatrice Omidvar : Je vous remercie. Je crois que le nouveau salaire minimum fédéral constitue un pas dans la bonne direction. Même s’il touche un très petit pourcentage de travailleurs, j’espère que la marée montante soulèvera d’autres bateaux. Je vous remercie.
La présidente : Aucun de mes collègues ne semble avoir d’autres questions à poser aux témoins du premier groupe. Je remercie les deux témoins. Comme vous pouvez le constater, nous avons beaucoup de questions sur les données et sur les particularités de la collecte de données. Je pense que le comité est très soucieux de savoir à qui exactement ces mesures profiteront. Si vous avez quoi que ce soit à nous communiquer, n’hésitez pas à nous envoyer l’information. Nous serons bien sûr ravis de la recevoir en tout temps.
Notre prochain groupe de témoins traitera également de la section 23.
[Français]
Nous accueillons aujourd’hui d’Unifor, M. Jerry Dias, président national, et M. Navjeet Sidhu, représentant national. Nous accueillons également, de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, M. Jasmin Guénette, vice-président, Affaires nationales; il est accompagné de Mme Emilie Hayes, analyste des politiques, Affaires nationales.
[Traduction]
Jerry Dias, président national, Unifor : Je vous remercie infiniment de me donner cette occasion ce matin. Je m’appelle Jerry Dias, et je suis le président national d’Unifor. Je suis accompagné aujourd’hui de Navjeet Sidhu, au Service de recherche à l’échelle nationale. Je tiens tout d’abord à remercier les membres du comité de nous donner le temps de vous parler aujourd’hui du projet de loi C-30.
Au nom des 315 000 membres d’Unifor au pays, dont plus de 65 000 travaillent dans des secteurs sous réglementation fédérale, nous aimerions féliciter le gouvernement d’avoir introduit ce projet de loi attendu depuis longtemps qui établit le salaire minimum fédéral à 15 $. Étant donné l’absence de salaire minimum fédéral depuis la fin des années 1990, cette politique aura une incidence considérable sur la vie des quelque 67 000 travailleurs du secteur privé sous réglementation fédérale qui gagnent actuellement moins de 15 $ l’heure.
Depuis plusieurs années maintenant, Unifor unit sa voix à celles d’autres partenaires syndicaux et communautaires au pays pour réclamer activement une hausse des salaires minimums provinciaux et fédéraux. Notre principal argument, c’est simplement qu’aucun travailleur ne devrait vivre dans la pauvreté, quel que soit son statut d’emploi. Malheureusement, c’est encore la réalité de nombreux travailleurs à faible revenu au pays qui peinent à joindre les deux bouts.
Il s’agit non seulement d’une question d’équitabilité, mais aussi de justice économique et d’équité. La pandémie a révélé à quel point les travailleurs essentiels à faible revenu qui se trouvent en première ligne, dont beaucoup sont des femmes, de nouveaux arrivants ou des membres d’une minorité raciale, risquent leur vie chaque jour pour faire rouler l’économie canadienne et faire en sorte que les biens et services continuent à être distribués. Pourtant, nous avons vu de nombreuses entreprises dont les profits ont explosé pendant la pandémie ne pas partager leurs gains avec les travailleurs. Même le supplément de 2 $ l’heure que de nombreux détaillants et chaînes de supermarchés ont accordé à leur personnel en raison de la pandémie a été aboli. Soyons clairs : c’est dégoûtant. Galen Weston, le propriétaire de Loblaws, qui vaut 8 milliards de dollars, devrait avoir honte lorsqu’il se regarde dans le miroir le matin. Il en va de même pour Metro et Sobeys. Les dirigeants ont aboli l’indemnité de pandémie après trois mois sous prétexte que tout allait bien désormais — c’était en juin 2020. Encore une fois, ils devraient avoir honte. En revanche, les actionnaires et les dirigeants des entreprises en ont récolté les fruits. Nous ne pouvons évidemment pas nous attendre à ce que les entreprises fassent ce qu’il faut. Cela ne fait aucun doute.
Le gouvernement doit intervenir afin de fixer un plancher salarial équitable pour tous les travailleurs. C’est pourquoi nous croyons fermement que le gouvernement fédéral peut faire preuve d’audace en établissant un salaire minimum plus élevé que les 15 $ prévus. En réalité, plus de cinq années se sont écoulées depuis que nous avons commencé à réclamer 15 $. Aujourd’hui, ce chiffre n’est plus suffisant pour améliorer la qualité de vie des travailleurs à faible revenu et de leur famille. Une poignée d’instances canadiennes ont déjà atteint ou dépassé ce seuil, notamment la Colombie-Britannique, l’Alberta, le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un salaire minimum fédéral supérieur qui sera un bel exemple à suivre pour toutes les autres provinces.
L’année dernière, Unifor a lancé sa campagne Rebâtir en mieux et a présenté une série de recommandations en matière de politique garantissant que notre stratégie nationale de relance économique repose sur des principes d’équité, d’inclusion et de résilience. Parmi nos recommandations, il y avait l’établissement d’un salaire minimum fédéral correspondant à 60 % du salaire horaire médian des travailleurs à temps plein au Canada. Aujourd’hui, ce chiffre atteindrait 16,73 $ l’heure. Notre recommandation préconise également des augmentations salariales annuelles correspondant au montant le plus élevé entre l’indexation au taux d’inflation, comme le propose le projet de loi C-30, et l’augmentation annuelle moyenne des salaires.
Enfin, nous incitons le gouvernement à profiter de l’occasion pour envisager la création d’une commission fédérale sur les faibles salaires, une recommandation qui a également été formulée par le Comité d’experts sur les normes du travail fédérales modernes, au sein d’Unifor. Une telle commission indépendante serait composée d’intervenants importants, dont le gouvernement, le secteur communautaire, les syndicats et les employeurs, et aurait pour tâche de faire des recherches à propos de la politique du salaire minimum au Canada et de ses répercussions sur les travailleurs, les entreprises et l’économie.
Un modèle souvent évoqué est celui de la Low Pay Commission du Royaume-Uni. Cette commission indépendante a permis de limiter la nature hautement politique et idéologique de la politique sur le salaire minimum. Il s’agit plutôt d’un modèle axé sur la collaboration qui mise sur des recherches et des données à jour et sur l’élaboration de politiques fondées sur des preuves. La commission formule également des recommandations avisées sur des mesures qui tiennent compte des conditions économiques et sociales actuelles. Nous vous avons remis un bref document d’information sur la Low Wage Commission pour accompagner notre déclaration écrite.
Ensemble, ces deux mesures permettraient au Canada de stimuler la reprise économique et d’améliorer la qualité des emplois et de la vie pour les travailleurs à faible revenu au pays.
Je vous remercie, et j’ai hâte de répondre à vos questions.
[Français]
Jasmin Guénette, vice-président, Affaires nationales, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante : Bonjour. Mon nom est Jasmin Guénette et je suis le vice-président aux affaires nationales de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), qui compte 95 000 membres partout au Canada et dans tous les secteurs de l’économie. Je suis accompagné de ma collègue Emilie Hayes, analyste principale des politiques.
Je tiens à remercier la présidente et les membres du comité de cette invitation. Nous sommes très heureux de faire cette présentation aujourd’hui. Je vais faire ma présentation en français et en anglais.
Bien que la majorité de nos membres relèvent de la compétence provinciale, plus de 1 700 de nos membres relèvent tout de même de la compétence fédérale, principalement dans les secteurs du transport, des télécommunications et des élévateurs à grains.
[Traduction]
J’aimerais prendre un instant pour vous présenter quelques chiffres sur la situation des petites entreprises. Seulement 56 % d’entre elles sont pleinement opérationnelles en ce moment, tandis qu’elles sont seulement 29 % à réaliser des ventes normales. D’après nos recherches récentes, une entreprise sur six risque de fermer ses portes à cause de la COVID-19, ce qui représente 2,4 millions d’emplois. Par ailleurs, le fardeau de la dette place les petites entreprises dans une situation difficile. Il semble que 73 % des entreprises se sont endettées pendant la pandémie, une dette moyenne qui atteint 170 000 $ par entreprise. Comme vous pouvez le constater, la situation est loin d’être normale en ce moment; elle est même assez difficile pour un grand nombre de petites entreprises au pays.
Lorsque nous avons demandé à nos membres des secteurs sous réglementation fédérale si un salaire minimum de 15 $ l’heure aurait des répercussions négatives sur leur entreprise, près du quart des petites entreprises ont répondu par l’affirmative, tandis que 30 % ont indiqué que cela n’aurait aucun effet, et que 44 % d’entre elles ont dit n’avoir aucun employé payé au salaire minimum. Ainsi, la majorité de nos membres des secteurs sous réglementation fédérale versent déjà à leurs employés une rémunération supérieure au salaire minimum.
Si le gouvernement a pour objectif d’aider les salariés à faible revenu, nous pensons qu’il serait préférable de hausser les exemptions de base pour ces travailleurs puisqu’ils auront ainsi plus d’argent dans leurs poches. De plus, une politique semblable n’augmenterait pas les coûts de recrutement des petites entreprises qui sont déjà sévèrement touchées par la pandémie.
Alors que les petites entreprises se démènent encore pour se maintenir à flot, il est essentiel que le gouvernement n’alourdisse pas leur fardeau, ce qui pourrait sérieusement entraver leur survie. Elles doivent déjà composer avec les récentes augmentations du Régime de pensions du Canada et du Régime des rentes du Québec, ainsi qu’avec la hausse de la taxe sur le carbone dans les quatre provinces visées par le filet de sécurité fédéral. Par conséquent, une augmentation du salaire minimum serait trop pour de nombreuses entreprises à ce stade-ci. Cette mesure s’ajoute à d’autres changements au Code canadien du travail que le gouvernement prévoit introduire, et qui pourraient accroître encore plus les coûts et la paperasserie pour les petites entreprises.
Nous ne sommes pas encore tirés d’affaire en ce qui a trait à la pandémie. Le moment est mal choisi pour augmenter les coûts des entreprises. Le gouvernement devrait d’abord mettre l’accent sur la réouverture de l’économie et s’assurer que les entreprises peuvent survivre à la pandémie. Même si le gouvernement adopte une loi pour fixer le salaire minimum à 15 $, la mesure n’aidera pas vraiment les travailleurs s’ils n’ont plus d’emploi.
Une politique obligatoire fixant le salaire minimum à 15 $ l’heure pourrait également avoir des conséquences non voulues pour les entreprises. Les employés qui reçoivent déjà cette somme ou plus pourraient demander une augmentation puisque tous les postes de premiers échelons seraient désormais payés à 15 $ l’heure. La politique pourrait donc entraîner une inflation des salaires dans l’entreprise. Elle pourrait également avoir des conséquences inattendues pour les travailleurs, en particulier les travailleurs non qualifiés et les jeunes, puisqu’il serait plus coûteux de les embaucher et que ces derniers seraient devancés par des travailleurs expérimentés. Il pourrait également en résulter une baisse des heures de travail des employés actuels, ainsi que du nombre d’employés dans l’entreprise.
[Français]
Voilà qui conclut ma présentation. Je remercie encore une fois la présidente et les membres du comité de nous avoir donné l’occasion de faire cette présentation devant eux aujourd’hui. Nous avons hâte de répondre à vos questions.
La présidente : Merci à nos deux témoins pour ces remarques d’ouverture. Nous poursuivons avec la période des questions. Nous allons commencer avec les vice-présidentes du comité, mais d’abord la sénatrice Bovey.
[Traduction]
La sénatrice Bovey : Je tiens à remercier nos témoins. Monsieur Dias, c’est un plaisir de vous revoir. Nous nous rencontrons dans divers contextes.
J’ai deux questions à vous poser, qui portent sur les consultations et sur la réalité du passé. Par ailleurs, je suis vraiment curieuse de savoir quelle instance s’inspire de l’autre dans le cas du salaire minimum. Est-ce que le gouvernement fédéral suit l’exemple des provinces, ou inversement?
Monsieur Dias, je trouve très intéressante votre suggestion de créer une commission sur les faibles salaires, à l’instar du Royaume-Uni. Croyez-vous qu’une telle commission jouerait un rôle important dans les consultations en cours?
Mon autre question s’adresse aux deux témoins. J’ai moi-même déjà dirigé des établissements où j’ai dû composer avec des changements budgétaires attribuables à une hausse du salaire minimum. Je peux honnêtement vous dire qu’il y avait d’abord une crainte quant à la provenance de l’argent, mais je n’ai jamais constaté d’incidence négative. En fait, j’ai toujours trouvé que c’était une source d’inspiration pour le personnel. Je n’ai jamais eu non plus à réduire mon personnel en raison de la hausse du salaire minimum. Peut-être avez-vous subi d’autres augmentations antérieures. Pour ma part, j’ai connu une seule hausse dans un seul secteur.
Ce sont mes deux questions.
M. Dias : Je vous remercie.
Tout d’abord, la commission sur les faibles salaires est impartiale; elle n’est redevable à aucun parti politique et est vraiment objective. C’est le premier point. Si elle est aussi importante, c’est parce qu’elle permet d’éviter toutes les absurdités, en toute franchise. S’il était question aujourd’hui de fixer le salaire minimum fédéral à 13 $ l’heure, les petites entreprises diraient que c’est trop élevé et qu’il faut le ramener à 12 $. Par conséquent, le montant du salaire minimum fédéral dont nous parlons a peu d’importance. Je n’ai jamais vu une fédération d’entreprises dire que c’est une bonne idée. Il y a toujours une prédiction de cataclysme : « Si nous augmentons le salaire minimum, des milliers et des milliers d’emplois seront perdus. » C’est toujours ce que nous entendons. C’est absurde, car les chiffres révèlent le contraire.
Je pense que si nous avions un groupe ou une commission formulant des recommandations avec équité, celui-ci déboulonnerait une grande partie des mythes et des foutaises qui sont véhiculés dans ce genre de débat. Vous constaterez que les comités d’experts de différents pays ont proposé des recommandations équitables. Le gouvernement a toujours le droit de les accepter ou non, mais il bénéficierait au moins d’un avis indépendant et fondé sur des faits.
L’autre partie de la question portait sur l’incidence de la mesure, qui pourrait même entraîner des pertes d’emplois. Je crois que vous en avez parlé. Je pense que c’était le deuxième volet.
La sénatrice Bovey : C’est exact.
M. Dias : Écoutez, ce n’est vraiment pas ce que les chiffres révèlent. L’exemple que vous avez vécu semble être la façon dont les choses se passent dans tout le pays.
Je compose souvent avec cette réalité. Je me retrouve régulièrement dans les aéroports, où des travailleurs gagnent 15 $ ou 16 $ l’heure. Leur contrat finit par changer de main, qu’ils travaillent au stationnement ou comme bagagistes. L’aéroport octroie alors le contrat à une autre entreprise, qui rembauche les travailleurs et leur offre 1 $ l’heure en moins. Deux ans plus tard, le contrat change encore de main, et les services des mêmes personnes sont retenus à nouveau. C’est un cycle de pauvreté auquel nous devons remédier.
[Français]
M. Guénette : Merci, madame la présidente. Je suis accompagné de ma collègue Emilie Hayes, qui répondra également à certaines questions. Je ne suis pas aussi théâtral que M. Dias. Je vais répondre en vous exposant certains faits.
À l’heure actuelle, 29 % seulement des PME canadiennes génèrent un revenu habituel pour cette période-ci de l’année. Si on ajoutait des charges sur les épaules de celles-ci, cela pourrait être dévastateur pour un très grand nombre de PME. Je l’ai mentionné durant ma présentation : elles ont beaucoup de difficulté à générer des revenus et à payer leur loyer. Plusieurs d’entre elles ont besoin de la Subvention d’urgence du Canada pour le loyer pour payer les loyers. Les PME ont beaucoup de difficulté à payer les salaires et un très grand nombre de celles-ci utilise la Subvention salariale d’urgence du Canada pour payer les salaires. Elles ont aussi traversé diverses périodes de confinement et de restrictions économiques.
En Ontario, beaucoup de mesures de restrictions sont encore en vigueur, tout comme au Manitoba, en Alberta et en Nouvelle-Écosse. Plusieurs provinces ont restreint davantage les activités des PME, ce qui limite encore plus leur capacité à générer des revenus.
Si on devait augmenter le salaire minimum pour les entreprises qui relèvent de la compétence fédérale, alors qu’elles ont déjà beaucoup de difficultés financières, ce serait certainement un dur coup pour un très grand nombre d’entre elles.
Avant toute chose, le gouvernement devrait s’assurer que le plus grand nombre possible de PME passe à travers la crise, et ensuite discuter de nouvelles politiques publiques, une fois que l’économie sera véritablement rouverte et que nos PME seront complètement relancées. À l’heure actuelle, ce n’est pas le moment de mettre en place une telle politique publique.
Si vous me le permettez, madame la présidente, je vais passer la parole à ma collègue.
[Traduction]
Emilie Hayes, analyste des politiques, Affaires nationales, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante : Oui, j’aimerais compléter les propos de M. Guénette.
Il ne faut surtout pas oublier le contexte actuel. Nous sommes en pleine pandémie. Comme M. Guénette l’a dit, ce ne sont pas des circonstances normales pour les petites entreprises.
En ce qui concerne la création d’une commission chargée d’étudier la question, je pense que nos membres y seraient favorables. Il faut une analyse coûts-avantages pour être dûment informé, surtout dans le cadre des consultations. À Seattle, nous avons vu le taux d’emploi chez les jeunes reculer dans certaines circonstances, même en l’absence de pertes d’emplois. Nous savons qu’au lendemain de la pandémie, de nombreux jeunes qui n’ont pas eu l’occasion d’entrer sur le marché du travail et d’acquérir une expérience professionnelle nécessaire seront perdants. Nous craignons qu’une augmentation du salaire minimum en ce moment, en pleine pandémie, multiplie les difficultés et les obstacles pour les jeunes, surtout à leur entrée dans la vie active. Je pense que les sénateurs ne doivent pas l’oublier pendant qu’ils étudient le projet de loi, car c’est le contexte général dans lequel nous nous trouvons actuellement. Ce ne sont pas des circonstances normales.
La présidente : Sénatrice Bovey, j’ignore si vous souhaitez poursuivre. Je vois que M. Sidhu veut lui aussi dire une chose. Êtes-vous d’accord?
La sénatrice Bovey : Oui. J’ai toutefois une petite question avant de céder la parole.
La présidente : M. Sidhu a la main levée. Je veux m’assurer qu’il puisse parler.
Navjeet Sidhu, représentant national, Unifor : J’aimerais céder mon temps à M. Dias, je vous prie.
La présidente : D’accord.
M. Dias : Je vous remercie.
Écoutez, il est franchement malhonnête d’invoquer l’emploi des jeunes pour justifier le refus d’appuyer cette mesure. On prétend que cette priorité leur ferait perdre des occasions, mais je n’y crois pas une minute. Je doute que quiconque ici présent croie à cette prise de conscience. En réalité, il ne fait aucun doute que la pandémie a causé un stress à tout le monde. Mais même si ce groupe tombait sur des billets de 100 $, à aucun moment il ne serait favorable à une augmentation du salaire minimum fédéral. C’est un peu comme une affiche disant : « Bière gratuite demain. »
La présidente : D’accord. Je vous remercie.
M. Dias : Nous savons qu’il n’y aura jamais de bière gratuite. En définitive, je n’avale pas cet argument.
La présidente : Je vous remercie, monsieur Dias. Je pense que nous comprenons votre point de vue. Je veux simplement m’assurer que les sénateurs aient la possibilité de poser leurs questions. Nous avons seulement une heure avec vous tous.
La sénatrice Bovey : Je veux simplement préciser que vous avez tout à fait raison au sujet du contexte. Je pense que nous examinons plusieurs contextes différents ici. Il y a en effet celui de la pandémie, mais aussi celui des employés et du salaire minimum. Sauf erreur, la disposition serait en vigueur six mois après la sanction royale du projet de loi. Je suis une éternelle optimiste qui espère que, d’ici là, le contexte de la pandémie sera du passé. Sur ce, j’ai hâte d’entendre les questions de mes collègues.
La présidente : Je vous remercie. De nombreux sénateurs veulent poser des questions. Je vais donc demander aux sénateurs d’être brefs, mais aussi aux témoins de répondre avec concision.
La sénatrice Frum : Je questionne M. Guénette et Mme Hayes. D’après les notes d’information que notre comité a reçues, le projet de loi devrait majorer les charges des employeurs de 44,1 millions de dollars dans la première année, si les entreprises ne réduisent pas le temps des employés et n’apportent pas d’autres correctifs aux effectifs. Bien sûr, c’est toujours le sujet de préoccupation quand on ne fixe pas le salaire minimum au bon niveau. La loi instituant le salaire minimum fédéral s’applique à l’ensemble des provinces et des territoires, où le coût de la vie est variable. Il est certain que nous croyons tous en des salaires équitables pour tous les Canadiens, mais, monsieur Guénette, nous ne voulons pas des mises à pied non voulues auxquelles vous avez fait allusion dans votre déclaration préliminaire.
Détenez-vous une analyse du nombre d’entreprises qu’on prévoit d’être obligées de prendre des mesures telles que la réduction des heures de travail des employés, des mises à pied ou la fermeture complète, faute de pouvoir absorber ces coûts accrus, particulièrement après une pandémie? Je sais que vous en avez déjà parlé en partie. Je vous demanderais de bien vouloir axer votre réponse sur l’existence d’éventuelles différences régionales. Les régions sont-elles touchées différemment? Merci.
[Français]
M. Guénette : Je vous remercie, madame la sénatrice. Je vais laisser ma collègue, Mme Hayes, apporter des éléments de réponse à votre question.
[Traduction]
Mme Hayes : Merci beaucoup pour la question.
Nous n’avons fait aucune recherche sur le salaire minimum en particulier, dans le contexte de la pandémie, mais, d’après notre recherche à l’échelle des provinces, l’immense majorité de nos membres affirme qu’ils devront d’abord réduire le nombre d’heures de travail, le nombre d’employés et certainement prendre d’autres mesures. Mais si on y superpose le contexte de la pandémie, je crois que ce serait encore pire.
Seulement pour répondre à l’une des observations d’un de vos collègues, bien sûr, la loi entrera en vigueur dans six mois d’ici, mais, alors, les entreprises ne seront probablement pas revenues aux volumes normaux de leurs ventes. Comme l'a dit mon collègue, M. Guénette, elles sont actuellement lourdement endettées et, dans certains secteurs, il faudra, par exemple, des années avant leur rétablissement complet.
Les différences régionales jouent aussi, parce que, comme vous l’avez dit, le coût de la vie n’est pas le même partout. Nous en avons eu un aperçu quand, par exemple, le salaire minimum en Ontario a été majoré. Dans le nord de la province, la vie est beaucoup moins chère que dans le sud, de sorte que les entreprises qui y versaient alors le salaire minimum ont trouvé que c’était beaucoup plus difficile à supporter.
En fin de compte, nous tenons à dire que les employeurs — particulièrement les petites entreprises — sont convaincus de la vertu des salaires équitables, parce qu’ils sont en concurrence. Particulièrement avant la pandémie, l’embauche souffrait de gros problèmes. Un nombre important d’emplois étaient vacants dans les petites entreprises. Pour embaucher, les entreprises doivent promettre des salaires attrayants.
En fin de compte, nous ne croyons pas que le moment soit bien choisi pour majorer le salaire minimum.
[Français]
M. Guénette : Merci encore une fois pour votre question, madame la sénatrice.
J’ajoute que, parmi les impacts de l’augmentation du salaire minimum à 15 $, quand on parle à nos membres, on découvre entre autres qu’ils devront augmenter le prix de leurs produits et de leurs services; cela pourrait être une conséquence de l’augmentation du salaire minimum.
Comme ma collègue l’a mentionné, cette mesure aura pour effet de réduire le nombre d’heures pour les plus jeunes travailleurs ou ceux ayant moins d’expérience. Un autre impact serait la réduction des heures pour certains employés, comme on l’a mentionné plus tôt, et également la réduction du nombre d’employés que l’entreprise pourrait embaucher.
C’est pour cette raison que l’on propose que le gouvernement augmente l’exemption de base. Si l’objectif est de permettre aux travailleurs à plus faible revenu d’avoir plus d’argent dans leurs poches, l’exemption de base est une politique publique plus adaptée. Premièrement, les travailleurs auraient plus d’argent dans leurs poches, et cela n’entraînerait pas de coûts additionnels pour les entreprises.
La présidente : Merci, monsieur Guénette.
[Traduction]
Le sénateur R. Black : Monsieur Dias, d’après le budget de 2021, la pandémie de COVID-19 a également mis en vedette les emplois essentiels occupés par une forte proportion de personnes touchant le salaire minimum. Pouvez-vous nous éclairer sur certains des impacts ressentis par ces salariés, partout au Canada, en ces temps difficiles? Croyez-vous que cette augmentation contribuera à atténuer ces impacts? Je sais que vous avez dit qu’elle devait être plus grande, mais sera-t-elle utile?
M. Dias : Ça ne fera certainement pas de tort. Mais je représente 25 000 membres du secteur de la santé, notamment des fonctionnaires qui ont travaillé dans des établissements de soins de longue durée et qui occupent deux ou trois emplois. Nous savons, bien sûr, qu’ils ont contribué à répandre la pandémie d’un établissement à l’autre. Il est sûr qu’un salaire de subsistance et la promulgation de certains règlements qui n’obligeront pas à prendre deux ou trois emplois, ça se tient dans une économie florissante.
Je représente des salariés d’épiceries. Chaque mois, plus de 1 000 d’entre eux quittent leur emploi pour en chercher un autre, parce que, à 14 $ l’heure, le salaire minimum ne vaut pas qu’on mette en danger sa vie et celle des membres de sa famille.
Je peux reprendre tout ce qui s’est dit sur le sujet, mais, finalement, sur ce moment mal choisi, essayez de comprendre le cas des résidences Chartwell pour personnes âgées, qui viennent d’accorder à leur PDG la prime la plus généreuse qu’il ait jamais reçue, parce qu’il a su tenir le gouvernail. Drôlement, faut-il préciser. Galen Weston, la chaîne Loblaws, qui font, aujourd’hui, plus d’argent que jamais. Ils ont annulé l’indemnité de pandémie et ils ne feront foutûment rien d’autre que de verser le salaire minimum.
Donc, en fin de compte, on ne peut s’en remettre à l’ensemble des entreprises pour le faire elles-mêmes, parce qu’elles ne feront rien. Comme le code d’éthique des entreprises est le moins épais de tous les codes du monde, l’État doit s’en charger. Toute la journée, nous entendrons comme arguments « Oh! Les pauvres jeunes! Oh! Les pauvres ci! Oh! Les pauvres ça! Impossible de relever le taux de salaire. Nous perdrons toutes sortes d’emplois ». C’est toujours la fin du monde. Finalement, jamais les conseils de gens d’affaires n’ont reconnu que c’était le bon moment pour relever le salaire minimum. Jamais! Retournez en arrière. Jamais une de leurs études n’a affirmé que le moment était bien choisi. Il faut en tenir compte. Est-ce qu’il augmentera? Oui. Et ce sera très utile.
Le sénateur R. Black : Merci.
J’ai une question pour M. Guénette. Vous avez dit qu’une augmentation salariale n’était pas indiquée pour le moment, mais, en application de la section 23, la majoration du salaire minimum à 15 $ sera ajustée annuellement d’après l’indice des prix à la consommation. Considérez-vous comme raisonnable cette méthode d’ajustement? Dites-nous pourquoi. Merci.
[Français]
M. Guénette : Merci, sénateur Black, de votre question. Je tiens à rappeler que la proposition du gouvernement est de réglementer les entreprises qui relèvent de la compétence fédérale, c’est pourquoi je pense que nous devons faire des commentaires sur les entreprises qui relèvent de la compétence fédérale, parce que c’est le sujet qui nous intéresse aujourd’hui.
Pour répondre précisément à votre question, sénateur Black, avant toute chose, avant de parler d’un processus d’ajustement salarial, nous demandons qu’une étude coûts-bénéfices soit faite, d’abord pour mieux comprendre l’effet d’un salaire minimum à 15 $ l’heure pour les entreprises qui relèvent de la compétence fédérale. À la suite de cette analyse seulement, on pourra peut-être tenter d’établir des mécanismes d’ajustement subséquents.
Pour l’instant, on demande qu’une étude soit faite pour comprendre l’effet d’un salaire minimum horaire de 15 $ pour les entreprises qui relèvent de la compétence fédérale. Merci.
Madame la présidente, puis-je passer la parole à ma collègue, si elle souhaite ajouter un élément?
[Traduction]
La présidente : Sénateur, auriez-vous voulu réagir à cette réponse?
Le sénateur R. Black : Non, ça me va. Mais je veux entendre Mme Hayes.
Mme Hayes : Je tiens à souligner le fait que nos membres ne sont pas des salariés de Loblaws ou de Chartwells, mais des entreprises familiales vraiment petites. Simplement pour vous en faire une idée, prenez celles de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, majoritairement de moins de 20 employés. Nous représentons donc vraiment les plus petites parmi les petites, même si elles sont assujetties à la réglementation fédérale. L’immense majorité est assujettie à des lois provinciales. Environ 1 700 sont assujetties à des lois fédérales, et ce sont vraiment les plus petites. Des actionnaires à qui elles sont redevables, des PDG grassement payés et des primes généreuses, elles ne connaissent pas ça. En fin de compte, ce sont vraiment de petites boutiques familiales typiques.
Le sénateur R. Black : Merci.
La présidente : Merci. Je pense que le sénateur Black voulait vraiment connaître votre position sur les détails précis de l’indexation par rapport à l’inflation.
Le sénateur R. Black : Est-ce la bonne façon de faire?
Mme Hayes : Je pense que M. Guénette a répondu quand il a dit que nous n’étions pas sûrs tant que nous ne détenions pas les résultats d’une étude coûts-bénéfices. Nous préférerions vraiment que le gouvernement fasse d’abord cette étude avant d’examiner des options.
Le sénateur R. Black : Je vous remercie pour vos réponses.
La sénatrice Dasko : Je remercie les témoins d’être ici et de rendre la discussion très instructive.
Monsieur Dias, je tiens à vous remercier encore pour votre rôle très central dans le retour de General Motors à Oshawa. L’issue, pour cette ville et pour l’Ontario, a été très heureuse et je continuerai de le répéter chaque fois que je vous verrai. Bravo!
Nous discutons ensemble de l’augmentation du salaire minimum. Je tiens à ce que nous en distinguions bien les bénéficiaires directs et les effets indirects, sur d’autres entreprises, d’autres salariés et ainsi de suite. Monsieur Dias, les fonctionnaires qui sont venus témoigner ici ont dit que 26 000 salariés en profiteraient. Vous avez dit 67 000. La différence est donc de taille. Je me contenterai de le mentionner en passant. Ce pourrait être une différence de définition ou n’importe quoi d’autre. J’ignore si vous voulez en parler maintenant, mais j’ai vraiment une question principale, sur autre chose.
M. Dias : Le moment est donc venu pour moi de céder la parole à M. Sidhu, mon attaché de recherche qui possède tous mes autres renseignements.
M. Sidhu : Précisons que les 67 000 sont des fonctionnaires fédéraux dont le salaire, en ce moment même, est inférieur à 15 $, tandis que le premier nombre que vous avez cité est celui des fonctionnaires payés actuellement au salaire minimum.
La sénatrice Dasko : D’accord. Compris. Merci.
Revenons à la question des répercussions de cette mesure. J’ai posé cette question au groupe précédent de témoins. Tout d’abord, en ce qui concerne les petites entreprises, je dois avouer que la pandémie leur a réservé un sort navrant : à Toronto, tous ces petits restaurants, boutiques et points de vente au détail fermés, c’était vraiment pénible. Je suis requinquée par les statistiques récentes sur la croissance économique qui montrent que l’économie reprend vie. J’espère que nous ne serons pas déçus. Tout comme la sénatrice Bovey, je suis optimiste, je suis convaincue que le retour à la normale sera manifeste. Donc, ma question se rapporte à des situations normales, plutôt qu’à des situations pendant la pandémie.
En ce qui concerne le salaire minimum, que dit la recherche antérieure, dont nous avons les résultats, qui existe, sur son impact réel sur d’autres secteurs? Nous avons appris que les salaires minimums dans les provinces n’ont pas vraiment subi l’impact de la mesure fédérale, parce que, pendant de nombreuses années, le salaire minimum fédéral a traîné derrière celui des provinces. Mais en ce qui concerne les répercussions subies par le secteur des petites entreprises, y a-t-il un effet sur les salaires des autres salariés à l’extérieur des entreprises qui emploient du personnel qui verront l’augmentation du salaire minimum? Est-ce que ça exerce une pression?
Les témoins du gouvernement m’avaient déjà répondu. Je voudrais que M. Dias ou que M. Guénette essaie de répondre. Je sais que, d’après vos études, vos membres affirment subir des répercussions, mais l’effet sur les salaires réels n’est pas évident. Je pose la question à tous ceux qui voudraient y répondre. Merci.
[Français]
M. Guénette : Merci beaucoup, sénatrice Dasko, de cette question.
Je vais également demander à ma collègue Emilie Hayes si elle désire ajouter quelque chose à ma réponse, si c’est possible.
D’abord, madame la sénatrice Dasko, vous avez raison.
[Traduction]
Le spectacle de toutes ces petites entreprises fermées dans de nombreux quartiers de nos centres-villes fend le cœur.
[Français]
J’apprécie beaucoup votre commentaire. L’un des éléments les plus dévastateurs de la pandémie est l’impact que celle-ci a eu sur nos petites entreprises, nos restaurants de quartier, notre commerce de détail de proximité. Les petites entreprises familiales ont beaucoup de difficulté à traverser la tempête. C’est pour cette raison que nous faisons le point avec vous ce matin, pour vous dire qu’en ce moment, ce n’est pas le temps d’ajouter des charges fiscales sur les épaules des entreprises qui ont beaucoup de difficulté à traverser la tempête sur le plan financier.
On peut s’imaginer quelle sera la situation dans six mois, on peut s’imaginer quelle sera la situation dans un an, mais nous ne savons pas quelle sera véritablement la situation. Par conséquent, avant de mettre en place une politique comme celle-ci, qui pourrait avoir des impacts négatifs majeurs pour les toutes petites entreprises canadiennes, le gouvernement devrait entreprendre une étude des coûts et bénéfices de ces mesures. Une telle étude pourrait permettre de répondre à certaines questions que nous nous posons ce matin quant à l’impact que cela pourrait avoir sur le salaire minimum dans les provinces ou sur le salaire minimum dans d’autres secteurs qui ne sont pas de compétence fédérale.
Je le répète, l’impact pour les entreprises et les PME est une réduction potentielle du nombre d’heures travaillées et du nombre d’employés, et une diminution de l’embauche de jeunes et de gens moins qualifiés au sein des entreprises.
De plus, si le gouvernement fédéral va de l’avant et augmente le salaire minimum pour les travailleurs relevant de la compétence fédérale, cela pourrait avoir un effet d’entraînement sur les PME relevant de la compétence provinciale, et celles-ci ont les mêmes difficultés.
Il faut donc être prudent. À ce moment-ci, plusieurs PME, celles que nous aimons et qui sont dans nos quartiers, éprouvent beaucoup de difficultés et une telle politique pourrait mettre en péril encore davantage celles qui réussiront peut-être à traverser la crise actuelle.
[Traduction]
M. Dias : C’est toujours le même argument. La question, c’est toujours celle de moduler les augmentations selon l’inflation. Elle ne trouvera pas de réponse. Jamais les paramètres ne diront que le moment est bien choisi. En fin de compte, c’est au gouvernement d’agir. Les plus grands bénéficiaires seront les préposés d’aéroport, incontestablement. Mais, également, on voit bien que le gouvernement fédéral s’est chargé de rappeler aux provinces qu’elles doivent faire beaucoup mieux. C’est un élément important de la discussion, puisque ça traduit l’impact réel chez les salariés assujettis à la réglementation fédérale.
La présidente : Merci.
Sénatrice Dasko, est-ce que ça répond à votre question?
La sénatrice Dasko : J’avais très envie de connaître ce que la recherche antérieure avait révélé sur les répercussions des augmentations du salaire minimum fédéral chez les salariés du secteur privé. Plutôt que ce qui pourrait arriver, quelles ont été les répercussions avérées dans le passé? Voudriez-vous en parler dans votre réponse?
La présidente : Je veux m’assurer que nous aurons le temps pour toutes les questions, mais peut-être que nos témoins doivent se rappeler que nous essayons d’obtenir — pardonnez-moi, sénatrice, si je fais erreur, mais vous voulez également savoir si cette mesure a des effets indirects dans d’autres secteurs, n’est-ce pas?
La sénatrice Dasko : Oui. Dans d’autres secteurs, absolument. Les répercussions du salaire minimum, les pressions exercées dans d’autres secteurs, ce que la recherche antérieure peut avoir révélé à ce sujet.
La présidente : Peut-être essaierons-nous plus tard d’obtenir cette réponse.
La sénatrice Dasko : Oui. Je vous en remercie.
La présidente : Il faut s’assurer que les sénateurs pourront poser leurs questions.
Le sénateur Kutcher : Avant de poser ma question, je tiens à souligner l’importance de celle de la sénatrice Dasko : quel est l’effet de report, comment a-t-il été démontré dans le passé, et quels modèles avons-nous construits pour le mesurer pour cette question particulière?
Je pose ma question aux représentants de la fédération. Nous nous en faisons tous beaucoup pour la santé de nos PME. Je vous remercie d’avoir envoyé d’avance de votre exposé. Je l’ai épluché et j’ai trouvé particulièrement intéressante la diapo 3. J’ai suivi le lien qui conduisait aux données, et ma question tient toujours.
Dans cette diapo, on lit qu’une entreprise sur six risque de fermer. Je suppose que ça ne se limite pas seulement aux entreprises sous réglementation fédérale, mais que ça englobe également toutes les PME. Bien sûr, c’est à l’époque de la pandémie. Le mot « risque » est très émotif, mais dans une discussion réservée, il faut en quelque sorte maîtriser ses émotions. De fait, une relation mathématique permet de déterminer le risque, I fois P, c’est-à-dire l’impact multiplié par sa probabilité. Vous avez été très explicite sur l’impact, c’est la fermeture. C’est donc un impact important. Mais je ne trouve nulle part dans la recherche votre mesure de la probabilité.
Comme c’est complexe, je m’exprimerai plus lentement. Quelle mesure de probabilité a servi à multiplier l’impact pour déterminer le risque? Ensuite, quel sera l’impact proportionnellement plus grand de l’ajout d’un salaire minimum de 15 $ l’heure à votre calcul actuel de probabilité sur la construction logique du risque? Voilà ma question.
Mme Hayes : Merci beaucoup pour vos questions.
Pour répondre à la première, nous devons faire les vérifications nécessaires auprès de notre équipe d’attachés de recherche. M. Guénette et moi ne sommes ni économistes ni mathématiciens, et notre fédération possède une équipe de ces attachés. Nous serons heureux, peut-être par l’entremise de la présidente ou du greffier de votre comité, de vous communiquer la réponse.
Quant à la deuxième, nous devrions sonder de nouveau nos membres, en nous fondant sur l’éventualité d’un salaire minimum de 15 $, en sus de la question que nous leur avons posée, à l’automne je crois, sur le risque de fermeture. Ça exigerait un peu plus de recherches de notre part pour pouvoir vraiment vous communiquer une réponse claire et cohérente.
Mais, pour votre première question, permettez-nous de faire les vérifications, puis de vous informer plus tard, si vous voulez.
Le sénateur Kutcher : Merci beaucoup. Il serait vraiment important de comprendre ce que signifient vos données. Nous vous en serons très reconnaissants.
Est-ce que cette mesure du risque a été analysée de façon proportionnelle, au cours de la pandémie de COVID? Par exemple, étant sénateur de Nouvelle-Écosse, où, jusqu’à tout récemment, la COVID a eu beaucoup moins d’impact, je suis désireux de connaître le découpage chronologique de cette analyse, par opposition à Toronto, par exemple.
Mme Hayes : Absolument. Je sais que nous pouvons répartir les données par région. Il se peut que nous ayons posé cette question à deux dates différentes. Permettez-moi de vérifier auprès de notre équipe d’attachés de recherche et d’essayer de vous communiquer une réponse claire, qui comprendra les données que vous cherchez. Est-ce que ça vous dérangerait de nous faire parvenir la question par courriel, soit par l’entremise du greffier ou de la présidente? Je tiens à m’assurer de vous communiquer la réponse que vous cherchez sans, entretemps, commettre d’erreur d’interprétation ou lancer notre équipe sur une fausse piste.
Le sénateur Kutcher : Je le ferai avec plaisir. Merci beaucoup
La présidente : Merci beaucoup. Nous ferons le suivi sur cette question.
La sénatrice Moodie : Je remercie les témoins de s’être déplacés.
Je reconnais le point de vue que vous représentez et que vous présentez, mais je vous demande de bien vouloir, tous les deux, saisir de façon plus générale les répercussions à l’extérieur de vos propres organisations. C’est un effort qu’on pourrait également faire en prévision d’un plus grand débat, à venir. La pandémie a mis en lumière des salariés en position précaire, par exemple des salariés vivant de petits boulots ou des salariés non syndiqués. On s’attend à ce que les répercussions de la pandémie durent plus longtemps que la pandémie elle-même. La reprise prendra plus de temps. En proposant cette augmentation salariale, le gouvernement va-t-il assez loin pour appuyer comme il se doit ces catégories de salariés? Je suis bien consciente que beaucoup d’entre eux ne correspondent pas au profil de vos membres, mais je voudrais une réflexion élargie de votre part et vos impressions à ce sujet. Merci.
M. Dias : Je vous remercie beaucoup de votre question.
Vous avez raison. Nous parlons d’un salaire minimum de 15 $ depuis probablement 8 ou 10 ans. Je pense aux manifestations. C’est la raison pour laquelle nous affirmons que le gouvernement devrait envisager de modifier le modèle qui parle de 60 % de la moyenne du salaire médian, ce qui, à l’échelle du pays, signifierait un nouveau salaire minimum de 16,73 $ de l’heure. C’est considérable, et cela aura un impact incroyable.
Vous avez également soulevé la question plus générale des travailleurs indépendants. Honnêtement, dans le système actuel, seulement 38 % des travailleurs sont admissibles à l’assurance-emploi. Je reconnais les mérites du gouvernement, car dans le dernier budget fédéral, les chiffres ont considérablement changé. Maintenant, 75 % des travailleurs seraient admissibles à l’assurance-emploi et cette proportion monterait à 80 % dans le cas des femmes.
Je pense que nous devons modifier les politiques sociales structurelles du pays afin de compenser. Dans l’ensemble, je pense que nous devrions parler sérieusement d’un salaire de subsistance garanti et de ce que cela signifie. La pandémie va donner lieu à de nombreuses conversations sur la définition des travailleurs essentiels, sur leurs salaires actuels et sur les salaires auxquels ils devraient avoir droit. Je suis très heureux que vous ayez posé cette question. Je vous remercie.
[Français]
M. Guénette : Merci, sénatrice Moodie, de votre question. Quand on répond à ce genre de question, notre devoir est de bien représenter nos membres et de faire valoir le point de vue de notre association quant à l’enjeu qui nous intéresse aujourd’hui. Il est donc difficile pour moi de répondre à votre question.
Cependant, je souhaite réitérer notre message — et la séance d’aujourd’hui en est un bel exemple : avant toute chose, il serait souhaitable de mener une analyse bien détaillée de la proposition du gouvernement avant de mettre en œuvre une telle politique. Une telle analyse donnerait justement l’occasion aux intervenants et aux gens qui s’intéressent à cet enjeu de connaître davantage les impacts que cela pourrait avoir sur les petites et les grandes entreprises, les travailleurs autonomes, les travailleurs qui font partie de secteurs où les emplois sont à temps partiel ou à la carte.
Ce manque d’information risque certainement d’être problématique. Si le gouvernement réalisait son projet, il y aurait certainement des impacts néfastes, principalement pour les PME canadiennes.
[Traduction]
La sénatrice Omidvar : Je vous remercie. Comme d’habitude, les questions importantes ont déjà été posées et elles ont reçu une réponse. Je remercie donc nos témoins d’être ici aujourd’hui.
Je suis frappée par les arguments et les analyses des deux côtés, mais ce que je cherche, ce sont des preuves. Ce n’est pas la première fois que nous augmentons le salaire minimum fédéral. Monsieur Dias et monsieur Guénette, quelles preuves avez-vous pour étayer l’affirmation selon laquelle ces augmentations ont entraîné des mises à pied importantes et qu’elles ont poussé les employeurs à prendre des mesures telles la réduction des heures de travail ou la fermeture de leur entreprise? Est-ce que cela s’est réellement produit dans votre cas, monsieur Guénette? Et s’il vous plaît, si nous n’avons pas de preuves, disons-le ouvertement. Monsieur Dias, quelles preuves avez-vous que l’augmentation du salaire minimum fédéral a eu un impact sur la réduction de la pauvreté?
[Français]
M. Guénette : Merci, sénatrice Omidvar. Je vais donner la parole à ma collègue Emilie Hayes, qui répondra à votre question.
[Traduction]
Mme Hayes : Je vous remercie, sénatrice Omidvar.
Pour ce qui est des preuves, nous avons un document de l’Université de Washington que nous serions heureux de faire parvenir au greffier. Ce document explore les répercussions de l’augmentation du salaire minimum sur la ville de Seattle. Dans ce cas, les mises à pied ont été moins importantes que la réduction des heures de travail. On s’est rendu compte qu’en raison de la réduction des heures de travail, les personnes dont le salaire avait augmenté s’en sortaient moins bien au bout du compte. Certes, leur salaire horaire était plus élevé, mais en raison de la diminution des heures de travail, elles gagnaient en réalité moins d’argent par mois à cause des rajustements que les employeurs devaient apporter. Je serais heureuse de vous envoyer ces renseignements.
La sénatrice Omidvar : À ma connaissance, la ville de Seattle avait un salaire de subsistance, et non un salaire minimum. Mais c’est un exemple tiré des États-Unis. Ce que vous me dîtes, c’est que vous n’avez pas de preuves antérieures pour soutenir votre hypothèse d’aujourd’hui. Acceptons donc cette réalité.
Monsieur Dias, avez-vous des commentaires à formuler au sujet de la question que j’ai posée à M. Guénette ou avez-vous une opinion sur le sujet?
M. Dias : J’ai une opinion, mais je vais demander à M. Sidhu de répondre à votre question liée à l’aspect technique.
M. Sidhu : En ce qui concerne les preuves, nous utilisons de nombreuses sources secondaires. Par exemple, nous pouvons évaluer l’impact du salaire minimum en Alberta depuis que la province l’a augmenté à 15 $ de l’heure. Une recherche effectuée par l’institut Parkland a révélé qu’il n’y a pas eu de baisse importante de l’emploi. En fait, il y a eu des augmentations pendant trois années dans le secteur de l’hébergement et de la restauration, où se trouve une plus grande concentration de travailleurs à faibles salaires. De plus, en ce qui concerne l’impact sur les niveaux d’emploi, si l’on se réfère encore une fois aux recherches de la Low Pay Commission du Royaume-Uni, qui mène ces types de travaux depuis 1997, l’une de ses principales conclusions concernant les augmentations du salaire minimum, c’est qu’il n’y a pas de lien entre les augmentations du salaire minimum et la diminution des heures de travail ou du nombre d’emplois total chez les travailleurs à faible salaire.
La sénatrice Omidvar : C’est la réponse que je cherchais.
Connaissez-vous les recherches effectuées par le professeur David Green sur l’impact du salaire minimum? Il conclut que les affirmations selon lesquelles les augmentations de salaire minimum entraîneront des coûts énormes pour l’économie et un chômage généralisé ne sont pas crédibles et que les effets estimés sur l’emploi des adultes sont minimes. Il admet toutefois que les augmentations de salaire minimum entraîneront des pertes d’emplois chez les adolescents. Je cherche toutefois des preuves à cet égard. En effet, ce n’est jamais complètement unilatéral, car il y a des nuances. Avez-vous des commentaires à formuler sur les recherches de M. Green?
M. Sidhu : Je ne connais pas ses recherches de mémoire. Il faudrait que je les consulte. Toutefois, j’ai vu des recherches semblables sur les impacts sur les jeunes travailleurs. Mais encore une fois, d’un autre côté, certaines recherches indiquent qu’il y a eu une augmentation de l’embauche chez les travailleurs plus âgés. Pour un exemple provincial précis au Canada, en Colombie-Britannique, en une seule année, à savoir 2011, le salaire minimum a augmenté de 28 %. Pourtant, cette augmentation de 28 % n’a pas entraîné de pertes d’emplois importantes.
La sénatrice Omidvar : Je vous remercie.
La présidente : Je remercie les témoins d’avoir répondu à nos questions et d’avoir énoncé très clairement les différentes positions. Cela nous sera très utile dans notre étude de cette partie du projet de loi.
[Français]
Chers collègues, mercredi dernier, vous vous souvenez, nous avons entendu des représentants officiels nous parler de la section 28. Aujourd’hui, notre dernier témoin de la journée nous parlera aussi de la section 28, qui modifie la Loi sur le Conseil national de recherches afin de conférer au conseil le pouvoir de se livrer à la production de drogues ou d’instruments aux termes de la Loi sur les aliments et drogues.
Notre témoin, pour la prochaine demi-heure, est le Dr Abraham Fuks, professeur au Département de la médecine, Section de la médecine expérimentale, à l’Université McGill. Bienvenue chez nous; on vous invite à faire vos observations liminaires.
Dr Abraham Fuks, professeur, Département de la médecine, Section de la médecine expérimentale, Université McGill, à titre personnel : Merci à vous.
[Traduction]
Bonjour tout le monde. Je vous suis très reconnaissant de me donner l’occasion de vous rencontrer et de vous communiquer plusieurs idées et préoccupations importantes.
Je m’appelle Abraham Fuks. Je suis professeur à la Faculté de médecine de l’Université McGill et j’ai eu le privilège d’en être le doyen de 1995 à 2006. Aujourd’hui, je ne suis pas ici pour représenter l’université, mais pour vous faire part du point de vue d’un groupe de collègues universitaires qui ont à cœur la recherche canadienne en sciences fondamentales et sa contribution au bien-être de nos concitoyens. Nous nous désignons de manière plutôt informelle comme une coalition de personnes préoccupées.
Permettez-moi d’abord de vous annoncer une très bonne nouvelle. Le vaccin contre la COVID-19 représente la stratégie qui permettra au monde de sortir de cette horrible pandémie. Ces composantes biologiques ont été produites en quelques mois de travail intense, et leur impact est clairement visible. Deux aspects importants sont cependant moins connus.
Premièrement, des scientifiques et des entrepreneurs canadiens ont contribué à ces réussites. Par exemple, Nahum Sonenberg, de l’Université McGill, est un pionnier en matière d’études sur l’ARN messager et il a travaillé à titre de consultant pour Moderna. Frank Graham, qui a travaillé à l’Université McMaster dans les années 1970 et 1980, a avancé l’idée des vecteurs adénoviraux qui sont utilisés dans les produits d’AstraZeneca et de J&J. Pieter Cullis, de l’Université de la Colombie-Britannique, a fondé l’entreprise Acuitas, qui fabrique les liposomes qui enveloppent les vaccins de Pfizer et de Moderna. En résumé, des décennies de soutien des Instituts de recherche en santé du Canada ont contribué à la mise au point des vaccins vitaux dont nous disposons aujourd’hui.
Pensez un instant au rendement des investissements. En effet, ces millions de dollars en financement pour la recherche sur deux ou trois décennies ont permis d’économiser des milliards de dollars en raccourcissant la pandémie, en éliminant, par exemple, la nécessité d’offrir la Prestation canadienne d’urgence, en évitant le désastre économique actuel et en mettant fin aux tragédies humaines des 18 derniers mois.
Deuxièmement, si les vaccins sont apparus comme s’ils sortaient de nulle part, les fondements scientifiques qui les soutiennent remontent en réalité à des décennies. Le fondateur de CureVac était un étudiant de cycle supérieur dans les années 1990, lorsqu’il a naïvement injecté un ARN messager à des souris et découvert que ces animaux pouvaient produire des protéines et fabriquer des anticorps. Cette société, CureVac, a été fondée en 2008, tout comme BioNTech. Et Moderna, dont le président-directeur général a été formé au Canada, a été créée en 2011.
Permettez-moi d’élargir le tableau en précisant que 210 nouveaux médicaments ont été approuvés par la Food and Drug Administration des États-Unis entre 2010 et... [Difficultés techniques].
Pour nous donner une perspective plus vaste, j’ai souligné qu’entre 2010 et 2016, la Food and Drug Administration des États-Unis avait approuvé 210 nouveaux médicaments. Du financement des National Institutes of Health — c’est-à-dire le financement qui soutient la recherche fondamentale — était lié à chacun de ces 210 nouveaux traitements. Plus de 90 % du financement des National Institutes of Health était destiné à la recherche fondamentale sur les cibles biologiques pour l’effet des médicaments plutôt que sur les médicaments chimiques eux-mêmes. Autrement dit, le financement des National Institutes of Health a appuyé la recherche et le développement de l’industrie plutôt que de s’y substituer. La recherche fondamentale visait à comprendre les maladies sous-jacentes et à cerner les points d’accès vers lesquels de nouveaux agents devaient être mis au point. L’industrie, quant à elle, a consacré ses ressources au développement et aux applications.
Enfin, pour les sceptiques qui s’inquiètent de l’inutilité et du gaspillage potentiel des fonds consacrés à la recherche ouverte, ces analystes ont démontré que 20 % du budget total des National Institutes of Health entre 2000 et 2016 a soutenu la recherche qui a contribué à l’approbation de ces nouveaux médicaments, un taux de réussite remarquable pour la recherche à l’initiative des chercheurs, qu’on qualifie souvent de recherche de durée indéterminée.
Ces travaux nous ont appris que le processus qui lie la recherche fondamentale à la recherche appliquée n’est pas un trajet linéaire. En effet, les laboratoires universitaires et les entités de recherche des entreprises sont imbriqués dans un réseau d’activités interactives et complémentaires. Il n’est donc pas étonnant que les auteurs de cette analyse déclarent ce qui suit :
Ce travail souligne la portée et l’importance de l’investissement public dans le développement de nouveaux traitements et le risque qu’une réduction du financement de la recherche ralentisse le processus de traitement des maladies graves.
Nous devrions tous être fiers que la recherche fondamentale canadienne soutenue par nos organismes de financement fédéraux ait contribué à résoudre une urgence de santé publique. Néanmoins, d’autres crises sont manifestement prévisibles et inévitables dans notre monde interconnecté, où tout va très vite. Toutefois — et c’est le cœur de nos préoccupations —, les investissements canadiens dans la recherche fondamentale sont restés très en deçà de nos propres normes historiques en matière d’excellence et ne sont plus que l’ombre de ceux des autres pays industrialisés. Alors que nous devrions investir plus et non moins d’argent dans les mécanismes de la résistance antimicrobienne, par exemple — et il s’agit certainement d’un enjeu clé dans le milieu de la santé publique —, les gouvernements et l’industrie pharmaceutique sont loin de répondre aux besoins urgents à cet égard.
L’impératif de soutenir la recherche fondamentale au Canada a été souligné dans un récent rapport au Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada préparé par le Conseil des académies canadiennes et par un comité présidé par Shirley Tilghman. Voici un extrait de son rapport :
[...] les bailleurs de fonds doivent rester conscients que la recherche axée sur les découvertes menée à l’initiative des chercheurs qui est proposée aujourd’hui pourrait s’avérer essentielle pour résoudre les défis de demain — une réalité clairement démontrée par la mise au point récente de nouveaux vaccins contre la COVID-19 qui s’appuient sur des principes scientifiques qui remontent à plusieurs décennies. Le CRSNG et d’autres organismes de financement des SNG devraient donc éviter de laisser la part du financement axé sur les priorités augmenter au détriment de la recherche fondamentale à l’initiative des chercheurs.
Mais nous ne pouvons pas recréer de telles réussites canadiennes lorsque le budget des Instituts de recherche en santé du Canada n’a pratiquement pas obtenu d’augmentation de financement d’une année à l’autre cette année pour les programmes de recherche fondamentale. Notre écosystème de recherche est instable et menacé. À ce grave problème s’ajoute l’augmentation de 23 % du budget des National Institutes of Health aux États-Unis, soit une augmentation de 9 milliards de dollars d’une année à l’autre. Par conséquent, le budget des National Institutes of Health des États-Unis sera bientôt plus de 50 fois supérieur à celui des Instituts de recherche en santé du Canada. Un tel appauvrissement menacera notre capacité à retenir et à recruter les meilleurs talents et ne nous aidera certainement pas à attirer les instituts et les investissements pharmaceutiques. Après tout, l’industrie pharmaceutique veut des partenaires qui offrent des collègues, des collaborateurs et des étudiants talentueux et formés qui deviendront le personnel hautement qualifié de ses propres laboratoires.
Si nous ne corrigeons pas le tir et que nous n’investissons pas de manière énergique, le Canada n’aura pas de dot intellectuelle à offrir ni à la prochaine génération de scientifiques et de cliniciens ni aux partenaires de l’industrie pharmaceutique dont il a besoin. C’est la raison pour laquelle nous avons créé cette coalition de personnes préoccupées.
Je vous remercie de votre temps et de cette occasion spéciale, et j’ai hâte de participer à la discussion.
La présidente : Je vous remercie d’être parmi nous, de nous communiquer ces observations et de répondre aux questions qui suivront.
Nous entendrons d’abord les vice-présidentes. Je tiens à rappeler à mes collègues que le Dr Fuks ne peut pas rester avec nous pendant toute l’heure impartie et que nous devons donc en tenir compte dans le temps dont nous disposons pour les questions.
La sénatrice Frum : Docteur Fuks, je vous remercie sincèrement de vous joindre à nous aujourd’hui.
Docteur Fuks, malgré notre expérience avec le SRAS et la grippe H1N1, ce que nous avons appris au début de la pandémie de COVID-19, c’est que notre gouvernement n’était pas du tout préparé, malgré le fait que l’Agence de la santé publique du Canada a été créée en 2004 en réponse au SRAS dans le but précis de préparer le pays à une pandémie. La création de l’ASPC a été influencée par le rapport Naylor, qui souligne l’importance de renforcer l’infrastructure de santé publique du Canada et de veiller à ce que les responsables de la santé publique possèdent les compétences requises pour faire face à un large éventail de menaces.
Le gouvernement propose maintenant que le CNRC participe à la production de médicaments ou de dispositifs. Ma question est donc la suivante : comment pouvons-nous veiller à ce que dans 16 ans — ce qui représente l’intervalle entre la pandémie de SRAS et celle de la COVID-19 —, on ne verse pas à nouveau dans la complaisance, ce qui ferait en sorte que cette capacité du CNRC serait abandonnée en raison de compressions budgétaires et d’autres formes de négligence, comme nous l’avons vu lorsque le Canada s’est débarrassé de son approvisionnement en équipement de protection individuelle ou a négligé la recherche sur les vaccins, comme vous venez de le mentionner dans votre témoignage?
Si vous me le permettez — je sais que je prends un peu plus de temps, madame la présidente —, voici une idée précise à laquelle j’aimerais que vous réagissiez. Ensuite, je serais heureuse d’entendre vos idées, mais tout d’abord, que pensez-vous de la création d’un comité sénatorial permanent, par exemple, dont les membres se réuniraient une fois par année pour examiner l’état de préparation du Canada en cas de pandémie ou d’une autre forme de supervision parlementaire des activités du CNRC?
Dr Fuks : Je vous remercie, sénatrice Frum, de cette question très perspicace et très importante.
Permettez-moi d’abord de préciser que la toile de fond culturelle dans laquelle nous vivons tous est caractérisée par un manque de mémoire organisationnelle et sociale. En effet, nous oublions trop vite. Lorsque les choses ne se sont pas bien passées, les humains ont tendance à les oublier encore plus rapidement. Je suis donc d’accord avec vous, il faut faire face à cette situation.
Une approche consiste à s’assurer que ce dont vous venez de parler, comme la réponse de l’ASPC ou la réponse qui aurait dû être beaucoup plus robuste... Dans le cas du rapport de David Naylor auquel vous avez fait référence, et qui a été produit à la suite de l’épidémie de SRAS à Toronto et ailleurs, on constate que la mise en œuvre des mesures n’a pas été suffisamment rigoureuse. Elle n’a pas fait l’objet d’une surveillance adéquate, comme vous le laissez entendre.
Il y a deux réponses à cette question. Premièrement, oui, je pense que la création d’un comité sénatorial sur la question est une bonne idée, mais si je peux me permettre de faire une recommandation, ce comité ne devrait pas se concentrer uniquement sur l’état de préparation à la pandémie. Il devrait également se concentrer sur l’état global de la recherche, de la science et des soins de santé. Par exemple, nous pouvons nous concentrer sur l’équipement de protection individuelle, un élément important, mais oublier que la résistance antimicrobienne est une énorme menace pour la tuberculose résistante aux médicaments qui n’est pas « sur le point d’arriver », mais qui est déjà là. Je me réjouis d’avoir vu, à la Chambre, une proposition visant à créer un comité de la Chambre des communes sur les politiques scientifiques qui s’occuperait d’enjeux comme celui-ci. J’aime votre suggestion d’un comité sénatorial, mais je demanderais un mandat élargi, afin que ses membres puissent se pencher sur d’autres enjeux que les pandémies. En effet, les pandémies ne surgissent pas de nulle part; elles découlent des changements sociaux. Attendez de voir l’impact du changement climatique sur les épidémies à l’échelle mondiale.
Enfin, les membres de ce comité pourraient également dire que le Canada investira dans le CNRC, mais qu’il ne peut pas investir dans le CNRC en tant que tel, en tant que bâtiment, sans un plan stratégique sur la manière dont ce financement s’intègre à l’ensemble de nos réponses, non seulement en ce qui concerne les pandémies, mais aussi la santé en général. Par exemple, il ne faut pas organiser un bâtiment pour y fabriquer seulement un type de vaccin. Il faut planifier davantage. Quels sont les types de vaccins dont nous aurons besoin? Cette installation sera-t-elle facilement adaptable? Pouvons-nous compter sur des partenaires?
J’aime vraiment votre idée d’un comité sénatorial responsable de superviser la situation et d’appuyer celui de la Chambre, mais veuillez prévoir un mandat suffisamment large pour que l’on puisse se faire une vue d’ensemble, car si tout le monde examine les petits détails d’un tableau surréaliste, nous ne verrons pas l’image principale — un tableau pointilliste serait un meilleur exemple. Nous avons vraiment besoin d’une vue d’ensemble, et en raison de l’expertise et de l’expérience de longue date de ses membres, le Sénat est l’organisme parfait pour effectuer ce genre de travail. J’aime donc beaucoup cette idée.
La sénatrice Frum : Je vous suis reconnaissante de votre réponse. Merci beaucoup.
La sénatrice Bovey : Je vous remercie, docteur Fuks. C’est très intéressant. J’aimerais vous féliciter pour votre article d’opinion sur le recrutement et la rétention des talents.
Dr Fuks : Je vous remercie.
La sénatrice Bovey : Puisque je viens du milieu des beaux-arts, j’ai aimé l’analogie avec le pointillisme que vous venez tout juste de faire.
Je veux nous remettre en valeur sur la scène internationale. Ma question est simple — du moins je l’espère. J’aimerais savoir comment ces nouveaux pouvoirs aideraient le CNRC et le ministre de l’Innovation à réagir aux pandémies et aux futures pandémies, mais aussi à repositionner la recherche canadienne sur la scène internationale. C’est une question qui m’a préoccupée tout au long des discussions sur l’Union européenne, avec le départ de la Grande-Bretagne et les répercussions sur les étudiants canadiens en recherche qui travaillent à l’étranger.
Dr Fuks : Oui, en effet.
La sénatrice Bovey : Comment pouvons-nous nous repositionner sur la scène internationale? Cet élément du projet de loi nous permet-il d’y arriver?
Dr Fuks : Pour parler honnêtement, je pense que cet élément du projet de loi, si c’est le seul élément à cet égard, ne permettra pas d’atteindre votre objectif ou le mien. Autrement dit, nous devons voir la réalité dans son ensemble.
La capacité de remettre le Canada en valeur sur la scène mondiale dépend d’un simple chiffre, à savoir la proportion du PIB investie dans la recherche et le développement — et elle est de 1,5 % ou moins dans notre pays. Elle a diminué. Ces proportions sont de 3,3 % et de 3,4 % en Suède et en Suisse respectivement. Le président américain, M. Biden, a promis de pousser les États-Unis bien au-delà de 2 %.
Mais laissons de côté la concurrence, car il faut également se pencher sur la question de la santé au Canada. Il s’agit aussi, comme vous le soulignez — et je suis d’accord avec vous —, du rayonnement ou de l’image du Canada sur la scène mondiale. Comme vous le laissez entendre, cette image est importante pour attirer les meilleurs jeunes talents du monde entier qui seront heureux de venir au Canada en raison de tous les éléments culturels dont nous profitons tous.
Le moment est venu d’investir à plus grande échelle. C’est pour cette raison que je vous dis que cet aspect dont vous parlez ne peut pas être considéré isolément si nous voulons que l’initiative soit couronnée de succès. Il ne faut pas oublier que la recherche est également importante pour la santé des Canadiens. Elle n’a pas une valeur uniquement pour les entreprises. J’en ai mentionné certaines qui ont réagi de façon remarquable en faisant montre d’une grande capacité d’innovation, mais nous devons aussi nous employer à établir des noyaux de recherche en nous inspirant de ce qui se fait ailleurs dans le monde, le tout dans le but de pouvoir attirer les meilleurs talents qui soient. Lorsque j’ai voulu recruter des gestionnaires provenant de différentes régions du monde pour les départements de ma propre faculté, les candidats ne me demandaient pas quelle rémunération ils allaient toucher; ils voulaient savoir combien de postes j’allais les autoriser à créer au sein du département pour leur permettre de recruter de jeunes talents.
Comme vous le recommandez, et j’abonde tout à fait dans le même sens, nous devons avoir une vision plus globale. Nous ne pouvons pas permettre que les choses se passent de cette manière. On a réagi rapidement comme la situation l’exigeait, mais ce genre d’action a généralement une portée limitée. Nous avons besoin d’un horizon à long terme plus vaste et plus riche. C’est la sénatrice Frum qui posait la question. Qu’est-il advenu du rapport sur le SRAS après toutes ces années? Malheureusement, nous n’aurons pas à attendre 12 ans pour vivre une nouvelle crise. Cela va arriver beaucoup plus tôt qu’on le croit.
La sénatrice Bovey : En conclusion, une approche fragmentée n’est pas nécessairement indiquée dans ce contexte d’après ce que vous nous dites, mais nous devrions également faire montre de leadership. Il est prévu dans le dernier budget d’en faire davantage notamment en matière de recherche sur le diabète et d’équipement. Vous avez donc raison d’affirmer que c’est une problématique beaucoup plus vaste. Merci, docteur Fuks.
Dr Fuks : Merci, sénatrice. Je me réjouis avec vous de constater qu’il y a dans le budget des fonds prévus, par exemple, pour l’oncologie pédiatrique et les essais cliniques. C’est formidable. Cela ne doit toutefois pas se faire au détriment de la recherche libre menée à l’initiative des chercheurs. C’est le dilemme dans lequel je me trouve. Je vois d’un bon œil ces investissements ciblés, mais on ne peut pas déshabiller Pierre pour habiller Paul. Cela ne fonctionnera pas.
La présidente : Sénateur Black, vous aviez une question?
Le sénateur R. Black : Je vais passer mon tour et laisser la chance à mes collègues médecins. Je reviendrai peut-être à la charge s’il reste du temps à la fin; sinon, tout va bien pour moi.
La présidente : Je vais garder cela à l’esprit.
La sénatrice Forest-Niesing : Eh bien, je ne fais pas partie des collègues médecins. Je viens plutôt du domaine juridique, mais je peux essayer de m’immiscer un peu dans le secteur médical pour les fins de la discussion.
Merci beaucoup, docteur Fuks. J’ai trouvé très intéressant de vous entendre souligner la contribution du Canada à l’intervention rapide face à la pandémie.
J’aimerais que vous nous en disiez davantage sur la façon dont nous pouvons nous assurer que la mesure prévue dans ce projet de loi va effectivement produire les résultats escomptés, mais aussi cadrer dans la planification stratégique dont vous parlez et que j’estime moi aussi tout à fait essentielle si nous voulons extraire la substantifique moelle de tout cela.
Dr Fuks : Merci pour ce commentaire. Je peux vous dire que je n’ai rien personnellement contre les avocats et que j’ai beaucoup appris de mes collègues de la Faculté de droit au fil des ans, je vous prie de me croire.
Vous avez parlé d’un plan stratégique, et c’est absolument nécessaire. À titre d’exemple, si vous visitez le site Web de ce projet du Conseil national de recherches, vous verrez qu’on parle de consultations auprès des gens de l’industrie et des universitaires. On affiche pourtant également une photo de l’édifice dont la construction est à moitié achevée. J’estime donc que la planification stratégique doit se faire un peu plus tôt.
En votre qualité de sénateurs, d’experts et de citoyens engagés, vous pourriez réclamer que l’on vous présente le plan stratégique et que l’on vous démontre qu’il y a une certaine continuité d’action et que les universitaires et les gens de l’industrie sont bel et bien consultés. À mon sens, on ne peut pas diriger une installation devant se conformer aux bonnes pratiques de fabrication qui est approuvée par Santé Canada et la FDA sans pouvoir compter sur l’expertise des intervenants de l’industrie, car ce sont eux qui possèdent le savoir-faire. Le processus de fabrication de ces vaccins est en effet extrêmement complexe.
Le milieu universitaire peut certes apporter sa contribution. C’est aussi le cas du Conseil national de recherches. Il faut toutefois qu’un tel partenariat soit établi d’emblée. C’est ce qui correspond au programme global que vous appelez un plan stratégique et que j’appelle une vue d’ensemble. Sénatrice Bovey, nous parlons tous de la même chose en fait. Il s’agit de prendre un peu de recul pour observer le portrait général de la situation avant de cibler l’un des éléments à considérer.
La sénatrice Forest-Niesing : Qui serait chargé d’élaborer un tel plan? Quelle pourrait être à ce titre la contribution des professionnels de la santé ou des groupes représentatifs du secteur?
Dr Fuks : Je crois qu’il y a effectivement des groupes représentatifs des universitaires et des spécialistes en recherche clinique au Canada. Nous avons vu bon nombre de nos collègues mettre l’épaule à la roue pour lutter contre la pandémie. Il y avait notamment au moins deux comités qui conseillaient le gouvernement concernant l’élaboration des vaccins, un autre pour le dépistage et le comité présidé par Tim Evans sur la santé mondiale. Il y a une foule de ces personnes véritablement engagées dans le contexte canadien. On peut même penser à ce rapport du Conseil des académies canadiennes qui a permis de bien orienter le débat sous la direction de Shirley Tilghman, une ancienne présidente de Princeton. Bien des gens sont désireux de mettre la main à la pâte.
Je ne saurais vous parler sans une plus ample réflexion de la structure de gouvernance, l’élément qui vous intéresse, mais je peux vous dire que l’on ne parviendra pas à nos fins sans partenariat. L’une des trois parties en cause ne saura y arriver à elle seule. Il faut à la fois l’apport du gouvernement, des universitaires canadiens et de l’industrie pharmaceutique nationale et internationale. Permettez-moi de vous rappeler les merveilleux exemples que nous connaissons tous le long de la route 128 à Boston, au MIT à Cambridge, à San Francisco, et maintenant à Londres, où l’on a établi des partenariats pour des motifs de contiguïté ou parce que l’on a su planifier en amont, mais pas nécessairement avec un objectif de mainmise.
Le sénateur Kutcher : Je dirais à mon estimée collègue, la sénatrice Forest-Niesing, que l’expression « extraire la substantifique moelle » est tout à fait digne du domaine médical, et je l’en remercie.
Docteur Fuks, un grand merci d’être des nôtres aujourd’hui. Je vous entends dire que la science fondamentale n’est pas un luxe, mais plutôt une nécessité si on veut protéger la santé de tous les Canadiens, mais que l’on ne retrouve pas dans notre pays la stratégie et le cadre de financement permettant de veiller à ce que de telles activités soient maintenues.
J’ai une brève question concernant ce nouveau centre qui sera mis en service selon les bonnes pratiques de fabrication à Montréal. On y produira des vaccins. Je crois toutefois comprendre qu’il est plutôt rare qu’une installation semblable puisse fabriquer dans des quantités suffisantes tous les types de vaccins. Nous savons aussi que la demande pour ces vaccins va fluctuer en fonction des menaces virales qui vont se manifester ou non. Pourriez-vous nous aider à mieux comprendre toutes les complexités associées à la fabrication des vaccins et, dans un esprit très critique, nous préciser ce qu’il faut mettre en place pour assurer la viabilité de ces installations de production pendant les périodes où nous n’aurons pas à composer avec une menace virale et où il n’y aura pas une demande très forte pour les vaccins? Ne serait-il pas judicieux de prévoir une répartition de la capacité de production dans différentes régions du Canada de manière à ne pas nous retrouver dans le pétrin si une pandémie frappe l’un de ces centres?
Dr Fuks : Ce sont là des questions très importantes. Je peux répondre à une partie d’entre elles, mais les autres exigent une plus longue réflexion.
Comme vous l’indiquiez, il existe effectivement une variété de vaccins qui nécessitent des procédés de fabrication assez différents. Cela peut aller des vaccins pour la grippe généralement produits à partir de virus cultivés dans des œufs de poule jusqu’aux très complexes vaccins à ARN qui exigent 300 ingrédients différents, y compris les liposomes conçus au Canada. Ainsi, Pfizer doit compter sur trois centres dans différentes régions du monde pour le contrôle de la qualité de ses vaccins. Entre ces deux extrêmes, on retrouve notamment les vaccins à adénovirus et ceux à protéine. Je ne pourrais pas vous en dire davantage sur les particularités de la fabrication de ces vaccins, mais je trouverais étonnant que l’on puisse utiliser la même méthode pour tous.
Le deuxième point que vous faites ressortir est tout à fait crucial. Nous ne sommes pas à l’abri d’une pandémie, mais ce n’est heureusement pas un phénomène fréquent. Alors, que fait-on avec un centre semblable entre deux pandémies? Est-ce qu’on y fabrique des vaccins pour la grippe? Est-ce qu’on accepte des commandes extérieures? Je dirais que c’est une décision que nous ne devons pas prendre en vase clos. Il faut parler aux entreprises pharmaceutiques qui ont su détecter l’an dernier les lacunes au chapitre de la fabrication. Il y a désormais une excellente collaboration dans ce secteur avec notamment des entreprises comme Merck et Sanofi qui travaillent en coopération avec d’autres fabricants de vaccins. Il faut pouvoir compter sur une certaine expertise technique, même pour des activités comme le remplissage des fioles et l’expédition des vaccins.
Quant à savoir s’il est possible de répartir la capacité de production, je dirais qu’on pourrait le faire avec une planification en amont permettant de déployer dans les divers centres l’expertise pour les différents types de vaccins. Il faut d’ailleurs se demander s’ils sont différents à ce point qu’il pourrait être rentable de les produire dans divers endroits. Il n’en demeure pas moins qu’il faut trouver le moyen de maintenir un certain niveau d’activité dans chacun de ces centres pendant toute l’année. Je pense que c’est possible seulement si on travaille en partenariat avec les grandes sociétés pharmaceutiques. Vous savez bien qu’elles ne figurent pas parmi mes favoris, mais ce n’est pas le moment de débattre de ces considérations. Ces entreprises ont un rôle important à jouer lorsque des efforts de la sorte doivent être déployés. Les sociétés pharmaceutiques n’auraient pas pu fabriquer ces vaccins sans le travail des scientifiques dont j’ai parlé, mais les scientifiques eux-mêmes ne possèdent pas toutes les compétences requises pour fabriquer un vaccin. Il est donc nécessaire de pouvoir s’appuyer sur cette vision à long terme et cette collaboration à laquelle vous faites allusion. Nous pourrions donc peut-être effectivement fabriquer les vaccins dans plusieurs centres, mais il faudrait réfléchir à la manière dont on doit s’y prendre. Même les laboratoires Connaught qui fabriquaient des vaccins, et aussi de l’insuline dans les années 1920, l’ont fait en collaboration avec Eli Lilly, un partenariat qui a produit d’excellents résultats. Il y a eu ensuite une éclipse de plusieurs années avant que Sanofi reprenne le flambeau.
Il faut une planification en amont pour que nous ne nous retrouvions pas avec des installations très coûteuses qui sont inactives en attente de la prochaine épidémie et qui risquent, lorsque cela se produira, de devoir composer avec des équipements désuets qu’il faudra remplacer. Il faut voir à ce que ces centres demeurent constamment en activité. Il faut aussi avouer que les sociétés pharmaceutiques ont le pouvoir du nombre. Elles peuvent amortir leurs investissements en fabriquant de nombreux vaccins différents dont certains sont destinés à l’Europe, l’Afrique ou l’Australie, car nous ne devons pas limiter notre perspective au seul Canada. Il faut inscrire le tout dans un cadre international pour que cela fonctionne.
La présidente : Merci pour ces précisions.
[Français]
La sénatrice Mégie : Merci, docteur Fuks, pour votre témoignage.
Ma question vient d’une personne préoccupée par l’envoi de vaccins dans les pays moins bien nantis. Je voudrais savoir si le fait de suspendre temporairement les brevets serait une solution pour faciliter l’envoi de ces vaccins ou si cela ne serait qu’un élément d’un groupe de solutions.
[Traduction]
Dr Fuks : Merci pour la question. C’est une intervention très à propos qui touche, comme vous le savez fort bien, sénatrice, un aspect crucial de la problématique.
La question des droits attachés aux brevets n’est que l’un des éléments à prendre en compte. En fait, c’est devenu l’aspect qui émerge de ce débat et qui, je le crains, pourrait nous faire dévier des discussions que nous devrions avoir actuellement pour déterminer à quels endroits dans le monde il faut envoyer les vaccins supplémentaires à notre disposition. On pense tout de suite aux pays en développement. Nous voyons tous comment les choses se passent en regardant les actualités, et je ne voudrais pas que nous passions des mois à discuter des droits attachés aux brevets, alors que nous devrions plutôt nous employer à envoyer partout dans le monde les vaccins disponibles. Ces vaccins ont été en grande partie payés à même les fonds publics. Je crois possible de conclure des accords pour l’octroi de licences. J’ai bien peur, comme vous semblez le laisser entendre, que l’on mette indûment l’accent sur la problématique des brevets. C’est un élément parmi d’autres, alors que nous devrions considérer les choses dans une perspective planétaire. Nous devons tendre la main aux autres pays. Nous devons agir en citoyens du monde en cherchant à savoir qui a besoin de notre aide. Je peux vous assurer que les brevets ne feront pas obstacle à l’aide que nous allons apporter. Nous devons agir sur différents tableaux. Soit dit en passant, nous pouvons bien vendre les brevets ou octroyer des licences à qui nous voulons, mais ce n’est pas tout le monde qui a les capacités de fabriquer un vaccin. Si les entreprises concernées ne sont pas disposées à faire les transferts technologiques nécessaires, les brevets à eux seuls ne serviront à rien. Je préférerais pour l’instant que l’on transfère des vaccins prêts à être injectés.
La sénatrice Moodie : Docteur Fuks, merci pour votre témoignage.
Je me sens comme un enfant dans un magasin de bonbons. J’ai tellement de questions à vous poser, mais je vais commencer par celle-ci. Vous avez parlé des réductions de financement pour la recherche libre et du fait qu’une grande partie des ressources ont été plutôt dirigées vers la science appliquée, et ce, même si la recherche fondamentale est essentielle à l’innovation. La pandémie nous a apporté son lot de difficultés, mais nous discutons maintenant de la construction d’un centre pour la production de vaccins et d’autres médicaments.
Voici donc ma question. Comment pouvons-nous créer une synergie entre la recherche fondamentale — une fois qu’elle sera financée adéquatement —, l’innovation et nos chaînes d’approvisionnement de telle sorte que ces installations biomédicales puissent poursuivre leurs activités de façon viable et durable entre les périodes d’éclosion où il est nécessaire de pouvoir livrer certains produits de toute urgence?
Ma deuxième question est juste un peu différente. Même si le Canada ne fait pas partie des pays de premier plan en matière de fabrication de produits pharmaceutiques, nous générons de la propriété intellectuelle en quantité considérable. Comment pouvons-nous convertir ces capacités intellectuelles en technologies sanitaires qui vont bénéficier aux Canadiens?
Dr Fuks : Sénatrice Moodie, voilà d’excellentes questions qui ont toutes leur importance.
Comme je l’indiquais, je suis favorable à certaines formes de recherche ciblée, mais je conviens avec vous que ce n’est pas pour rien que la recherche fondamentale est qualifiée de cette manière. Elle est vraiment essentielle. Si on pense aux exemples que j’ai donnés, on peut mentionner les noyaux d’activité. Les spécialistes de la gestion nous ont démontré que l’industrie pharmaceutique investit dans certains secteurs géographiques, comme San Francisco et le Massachusetts, par exemple. Pourquoi agit-on de la sorte? À cause de la contiguïté entre les instituts de recherche, les chercheurs et les universités, et nous en avons beaucoup qui sont très bonnes. Les sociétés pharmaceutiques apprécient les milieux cosmopolites où la qualité est au rendez-vous, ce que de nombreuses villes canadiennes peuvent leur offrir. Elles veulent avoir accès à un vaste bassin de travailleurs spécialisés, ce que l’on trouve également chez nous. Elles veulent se retrouver à proximité d’universités prestigieuses.
À titre d’exemple, Merck Europe a annoncé au mois d’août la construction d’un centre de recherche de 220 000 pieds carrés au coût de 1,32 milliard de dollars dans ce qu’on appelle le quartier de la connaissance, au centre de Londres. Voici ce que disait à ce sujet leur vice-président responsable de la recherche :
Nous sommes très heureux de pouvoir nous installer à Londres à proximité d’universités et d’hôpitaux parmi les meilleurs au monde — dont bon nombre figurent déjà parmi nos collaborateurs [...] Les recherches que nous menons à l’interne sont au diapason avec ce qui se fait de mieux à l’échelle internationale.
Je vous rappelle que nous avions le même genre de collaboration dans l’ouest de l’île de Montréal et à Mississauga, notamment. Nous avions à l’époque des collègues de Merck qui avaient des rendez-vous à mon école de médecine et des étudiants qui faisaient la navette entre les deux. Nous devons attirer les sociétés pharmaceutiques en leur offrant ce dont elles ont besoin. Elles n’ont pas besoin de notre argent. Elles ont besoin de nos talents, de nos idées et de la contiguïté, de la collaboration et de la connectivité que nous pouvons leur offrir. C’est la raison pour laquelle elles viennent chez nous. C’est pourquoi également elles y restent. Nous avions le meilleur exemple qui soit de cette collaboration. Vous vous souviendrez que nous accueillions à Laval, au Québec, l’un des joyaux de ce secteur, BioChem Pharma. C’était avant que la société Shire d’Angleterre en fasse l’acquisition et ferme les installations de Laval. Où vont-ils maintenant? À Cambridge, près du MIT. Nous pourrions leur offrir la même chose, mais il faudrait que nous puissions compter ici sur une infrastructure stable pour la recherche fondamentale et des perspectives de cheminement professionnel pour les nouveaux talents. Les scientifiques ne peuvent pas travailler en ne sachant pas ce que l’avenir leur réserve d’un budget à l’autre. Il faut leur dégager un horizon à plus long terme.
Vous m’excuserez pour cette longue réponse, mais c’est une question très importante. C’est en investissant dans la science fondamentale de grande qualité partout au pays et en offrant une certaine stabilité pour le développement professionnel que nous pourrons le mieux faire comprendre aux sociétés pharmaceutiques que nous n’avons pas besoin de leur argent, mais que nous voulons qu’elles s’installent ici parce que nous pouvons leur offrir tout cela. C’est un peu comme si c’était notre dot en quelque sorte.
La sénatrice Moodie : Depuis un an et demi, les représentants des sociétés pharmaceutiques avec lesquels j’ai eu la chance de m’entretenir m’indiquent volontiers que l’on est attiré au Canada par le haut degré de capacité intellectuelle lié à la recherche novatrice.
Dr Fuks : Précisément.
Hélas, comme l’une de vos collègues le mentionnait, nous avons discuté sur ces deux tribunes de la question des droits attachés aux brevets, alors que ce n’est pas ce qui est en jeu. C’est plutôt, comme vous l’avez si bien dit, que ces entreprises cherchent à pouvoir compter sur la collaboration voulue, mais ce n’est pas chose possible si le budget consacré à la recherche fondamentale n’est jamais haussé d’une année à l’autre. Il faut que nos étudiants puissent voir ceux qui leur servent de modèle connaître du succès, plutôt que d’être déçus parce qu’ils n’obtiennent pas le financement nécessaire à leurs travaux.
Un pays comme le nôtre doit être prêt à investir dans l’avenir de la science pour créer un climat propice à l’enthousiasme et aux plus grandes aspirations. Autrement dit, nos échanges avec le reste de la planète ne doivent pas se limiter à nos formidables ressources naturelles, minières et humaines, mais aussi inclure les idées et les talents.
[Français]
La sénatrice Moncion : Le gouvernement propose de modifier la Loi sur le Conseil national de recherches afin de permettre la constitution d’une société et l’acquisition d’actions dans une société. Pourriez-vous commenter le bien-fondé de ce changement dans le contexte de la recherche, des brevets et du droit d’auteur?
[Traduction]
Dr Fuks : Merci pour votre question.
Je dois admettre que l’un de vos collègues spécialisés en droit serait mieux à même d’y répondre, mais voici tout de même ce que j’en pense. À mon avis, on passe à côté de la question en considérant que c’est une affaire d’actions que l’on peut acquérir dans une société. Il faut plutôt se demander comment cela s’inscrit dans un plan stratégique global pour la recherche au Canada. Comment cela permet-il de donner suite au rapport Naylor et aux autres rapports sur la recherche fondamentale dans notre pays?
Bien honnêtement, je n’arrive pas à comprendre le bien-fondé de ce changement. Je lis la section 28 où l’on parle d’actions dans des sociétés, et je me demande ce que cela signifie exactement. Allons-nous créer nos propres entreprises? Allons-nous collaborer avec d’autres? S’il y a une chose que j’ai apprise, c’est bien qu’on procède à l’envers en s’intéressant d’abord à la gouvernance, plutôt qu’à la mission. Élaborons dans un premier temps l’idée, le concept et le cadre général, après quoi nous pourrons déterminer si la constitution d’une société par actions est l’approche qui convient.
Je ne peux pas honnêtement vous répondre par un « oui » ou un « non », car je ne sais pas trop quel objectif on vise en permettant l’acquisition d’actions et comment cela s’inscrit dans l’ensemble du processus. Je suis désolé, mais c’est une question d’ordre plus technique qui touche la constitution des sociétés. J’estime qu’il faut d’abord régler les aspects fondamentaux avant de s’intéresser à la structure. Il y a un vieux principe qui dit que la forme doit suivre la fonction, et nous ne semblons pas le respecter.
La sénatrice Moncion : Merci.
Je veux seulement dire que je crois qu’il y a collaboration avec les chercheurs. À un moment donné, les chercheurs pourront créer leur propre entreprise et bénéficier d’investissements. Je pense que c’est ce qui motive ce changement, mais je voulais seulement connaître votre point de vue à ce sujet. Je vous remercie.
Dr Fuks : Certainement. Je suis d’accord avec vous, sénatrice, mais il faut dire que les chercheurs peuvent d’ores et déjà constituer une société. En Colombie-Britannique, AbCellera produit des anticorps monoclonaux qui servent à traiter les patients aux premiers stades de la COVID. Il y a des investissements qui sont consentis dans certaines régions du pays. Les chercheurs et les scientifiques de talent peuvent donc créer leur propre entreprise. Je ne sais pas trop pourquoi on a jugé nécessaire d’inclure ces dispositions dans le projet de loi pour intensifier les activités en ce sens. C’est l’aspect qui m’échappe un peu.
[Français]
La présidente : Merci beaucoup à notre invité d’avoir répondu à nos questions.
[Traduction]
Tout cela était fort intéressant. Je suis persuadée que nous aurons l’occasion de vous accueillir de nouveau. Un grand merci pour votre participation à notre séance d’aujourd’hui.
[Français]
Chers collègues, s’il n’y a pas d’objection, notre séance se poursuivra à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)