Aller au contenu
AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 12 mai 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), en séance publique, avec vidéoconférence, pour étudier la teneur des éléments des sections 9, 18 et 31 de la partie 5 du projet de loi C-19, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d’autres mesures, et à huis clos, pour étudier la teneur des éléments de la partie 9 du projet de loi S-6, Loi concernant la modernisation de la réglementation.

Le sénateur Peter Harder (vice-président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le vice-président : Honorables sénateurs, je déclare la séance ouverte.

Je m’appelle Peter Harder. Je suis un sénateur de l’Ontario et je suis vice-président du Comité des affaires étrangères et du commerce international. En l’absence et à la demande du président, le sénateur Peter Boehm, je présiderai notre réunion aujourd’hui. Avant de commencer, je voudrais présenter les membres du comité qui participent à la réunion. Nous accueillons la sénatrice Gwen Boniface, de l’Ontario, la sénatrice Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse, la sénatrice Marty Deacon, de l’Ontario, la sénatrice Amina Gerba, du Québec, le sénateur Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse, la sénatrice Marie-Françoise Mégie, du Québec et le sénateur Victor Oh, de l’Ontario.

Bienvenue à tous.

[Traduction]

Aujourd’hui, nous tenons une séance hybride. J’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins qui participent à la réunion par vidéoconférence qu’ils sont priés de garder leurs micros éteints en tout temps, à moins que le président leur donne la parole. Je demanderais aux sénateurs qui participent par Zoom d’utiliser la fonction « Lever la main » pour indiquer leur souhait d’intervenir. Les sénateurs présents dans la salle de réunion peuvent le signaler directement à la greffière.

Si un problème technique survient, particulièrement en ce qui concerne l’interprétation, veuillez me le signaler ou en faire part à la greffière, pour que nous puissions le régler le plus rapidement possible.

Aujourd’hui, nous commençons l’étude qui nous a été confiée le 4 mai. Nous allons étudier la teneur des éléments des sections 9, 18 et 31 de la partie 5 du projet de loi C-19, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Précisément, nous examinons aujourd’hui la section 31, qui comporte des modifications à la Loi sur les mesures économiques spéciales, à la loi de Sergueï Magnitski et à la Loi sur l’administration des biens saisis visant à créer des régimes permettant la confiscation de biens qui ont été saisis ou bloqués en vertu de ces lois.

Pour discuter de ces modifications, nous avons avec nous un certain nombre de fonctionnaires, qui comparaissent tous virtuellement. D’Affaires mondiales Canada, nous accueillons à nouveau Alexandre Lévêque, sous-ministre adjoint, Politique stratégique, et Lynn McDonald, directrice générale, Politiques économiques internationales. Du ministère de la Justice, nous recevons Matina Karvellas, directrice exécutive adjointe et avocate générale, Services juridiques AMC, et Carlos De Vera, avocat, Services juridiques d’Affaires mondiales Canada. Du ministère des Finances, nous souhaitons la bienvenue à Jeremy Weil, directeur principal par intérim, Division des crimes financiers et de la sécurité. Enfin, de la Gendarmerie royale du Canada, nous accueillons la surintendante principale Kelly Bradshaw, directrice générale, Criminalité financière, Opérations criminelles de la police fédérale, et le surintendant Denis Beaudoin, directeur, Criminalité financière.

Je vous souhaite tous la bienvenue et je vous remercie pour votre présence. Je crois savoir que, comme à l’habitude, M. Lévêque fera une déclaration liminaire. Je crois que sa déclaration a été distribuée aux membres du comité. Nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous avons prévu une heure pour discuter avec les témoins, mais si la période des questions se termine avant que cette heure soit écoulée, nous allons passer à la deuxième partie de notre réunion. Je ne dis pas cela pour que nous écourtions la discussion, mais simplement pour assurer une gestion efficace de notre temps.

Avant que nous commencions, j’aimerais aussi mentionner que la sénatrice Moncion s’est jointe à nous. Elle vient de l’Ontario.

Monsieur Lévêque, la parole est à vous.

Alexandre Lévêque, sous-ministre adjoint, Politique stratégique, Affaires mondiales Canada : Je vous remercie beaucoup, mesdames et messieurs les sénateurs. C’est un plaisir pour moi de comparaître à nouveau devant votre comité.

Je tiens tout d’abord à vous remercier, vous et votre comité, de nous avoir invités à vous parler des modifications législatives proposées aux sanctions du Canada dans la partie 5, section 31 de la Loi d’exécution du budget. Mes collègues et moi sommes heureux d’être ici aujourd’hui pour donner un aperçu des modifications proposées à la Loi sur les mesures économiques spéciales, la LMES, et la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, la LJVDEC, qu’on appelle aussi la loi Magnitski, ainsi que pour répondre à toutes vos questions.

[Français]

J’aimerais d’abord souligner que l’invasion injustifiable et non provoquée de l’Ukraine par la Russie a poussé le Canada et ses alliés à élaborer et à mettre en œuvre des mesures qui visent à isoler la Russie du système financier international et à lui imposer des conséquences pour ses actes. À cette fin, le G7 et d’autres pays ont mis sur pied le Groupe de travail sur les élites, les mandataires et les oligarques russes, le REPO. Au sein de ce groupe de travail, nous nous sommes engagés, de concert avec les autres membres, à prendre toutes les mesures juridiques à notre disposition pour trouver, restreindre, geler, saisir et, le cas échéant, confisquer les biens des personnes et des entités qui ont subi des sanctions à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Pour ce faire, le Canada a consacré des ressources fédérales à la collaboration avec ses partenaires, tant au pays qu’à l’étranger, afin de cibler les biens et les gains mal acquis des élites russes et de ceux qui agissent en leur nom.

[Traduction]

Le Canada a déjà la capacité juridique d’imposer des sanctions autonomes contre des personnes et des entités, tant en vertu de la LMES que de la LJVDEC. Parmi les nombreuses mesures en place, le Canada a imposé de nouvelles sanctions contre plus de 1 000 personnes et entités russes, biélorusses et ukrainiennes en vertu de la LMES depuis le 24 février. Il est interdit aux personnes au Canada et aux Canadiens à l’étranger de s’engager dans toute activité liée aux biens de personnes visées par les sanctions ou de leur fournir des services financiers ou connexes, sous réserve de certaines exceptions. Par conséquent, les biens des personnes sanctionnées sont, à toutes fins utiles, gelés.

Bien que la LMES et la LJVDEC prévoient également la saisie ou le gel de biens par l’intermédiaire d’ordonnances du gouverneur en conseil, elles ne permettent pas actuellement au gouvernement de traiter ces biens comme le voudrait l’engagement du Groupe de travail sur les élites, les mandataires et les oligarques russes, le REPO. C’est pourquoi on propose, dans la section 31 de la partie 5, de modifier ces deux lois afin de permettre la confiscation, l’aliénation et la redistribution des biens au Canada détenus par des personnes sanctionnées. Plus précisément, les modifications proposées permettraient aux tribunaux, à la demande du ministre concerné, d’ordonner que certains biens qui ont déjà été saisis ou bloqués soient confisqués par la Couronne.

Les modifications prévoient également l’équité procédurale, y compris l’obligation pour les tribunaux de donner un avis aux tiers qui pourraient avoir un intérêt valide dans le bien en question, afin qu’ils puissent faire valoir leurs revendications et demander réparation.

Les modifications proposées permettraient en outre de disposer des biens confisqués et d’en utiliser le produit à des fins précises, notamment la reconstruction des États touchés, le rétablissement de la paix et de la sécurité internationales et l’indemnisation des victimes. De plus, de nouvelles autorisations de partage des renseignements seraient créées entre les ministères concernés afin de faciliter l’élaboration, l’administration ou la mise en œuvre d’une ordonnance prise en vertu de ces deux lois.

En résumé, ces modifications visent à promouvoir la responsabilisation et à faire en sorte que les personnes qui ont tiré profit du régime de Poutine ne puissent plus accéder à leurs biens au Canada, ainsi qu’à redistribuer le produit de ces biens aux personnes touchées.

[Français]

En ce qui concerne les prochaines étapes, des travaux sont déjà en cours sur les mécanismes de ce nouveau système afin de veiller à ce qu’il soit mis en œuvre avec succès. À cette fin, les discussions avec les parties prenantes concernées, y compris certains ministères et organismes, se poursuivront parallèlement à l’introduction de ces modifications.

J’espère que cet aperçu vous a été utile dans le cadre de votre étude. Nous serons heureux de répondre maintenant à vos questions.

Merci beaucoup, monsieur le président.

Le vice-président : Merci, monsieur Lévêque.

[Traduction]

Avant de passer aux questions, je rappelle aux membres qui participent à distance d’utiliser la fonction « Lever la main » pour être ajoutés à la liste des intervenants tenue à jour par la greffière. Je tiens également à informer les membres que, pour cette série de questions, ils auront chacun un maximum de quatre minutes, une durée que je vous invite à respecter.

Le sénateur MacDonald : Je vais poser une question sur un sujet abordé par M. Lévêque. Monsieur Lévêque, vous avez dit qu’il est interdit aux personnes qui sont au Canada et aux Canadiens qui sont à l’étranger de s’engager dans quelque activité que ce soit concernant les avoirs des personnes inscrites sur cette liste ou de leur fournir des services financiers, sauf en cas d’exceptions. Pourriez-vous nous dire quelles sont ces exceptions et si ces dernières sont ponctuelles? Aussi, existe-t-il une liste d’exceptions susceptibles d’être réévaluées?

M. Lévêque : Je vous remercie de me poser cette question et de me permettre d’apporter quelques précisions en la matière.

De façon générale, ces exceptions sont incluses dans le décret qui est promulgué et approuvé lorsqu’une nouvelle mesure est présentée. Par exemple, s’il est décidé que certaines transactions financières sont interdites, il peut y avoir une exception prévue pour l’aide humanitaire. Si une interdiction sur les navires ou les aéronefs russes est mise de l’avant, comme c’est le cas actuellement, c’est la même chose. Des exceptions humanitaires seraient appliquées. Par exemple, si un avion russe se trouve par hasard près de l’espace aérien canadien et qu’il doit déclarer une urgence, cet avion ne serait pas rejeté par le contrôle du trafic aérien. De la même façon, si un navire transportait des biens humanitaires, on examinerait la possibilité de laisser ces biens atteindre les côtes canadiennes. Quel que soit le scénario, ces dispositions sont toujours intégrées au décret que nous publions sur nos sites Web.

Le sénateur MacDonald : Est-ce que les personnes qui subissent ces sanctions ont un mécanisme pour faire appel ou pour demander une exception, ou est-ce que la demande d’exception doit venir de notre côté?

M. Lévêque : Dans le cadre de ce système, toute personne sanctionnée dont les biens ou les opérations financières sont proscrits peut effectivement demander un permis. C’est quelque chose qui est bien indiqué, et il y a une adresse électronique qui renvoie à notre département à Affaires mondiales Canada. Un permis peut être demandé aux fins d’exemption. Le demandeur doit fournir un certain nombre de renseignements, et c’est le ministre des Affaires étrangères qui a la responsabilité et l’autorité d’accorder ou de refuser un tel permis.

Le sénateur MacDonald : Je vous remercie.

Le sénateur Oh : Merci aux témoins. Les reportages des médias concernant les modifications proposées à la section 31 ont fait des liens avec les sanctions actuelles imposées à la Russie aux termes de la Loi sur les mesures économiques spéciales. Quelle est la valeur des actifs russes actuellement gelés ou susceptibles de l’être?

M. Lévêque : Monsieur le président, je vais devoir rediriger cette question à mes collègues de la Gendarmerie royale du Canada qui sont avec nous aujourd’hui. La raison principale en est que les entités déclarantes, comme les institutions financières qui recueillent ces renseignements, ne les communiquent pas à notre ministère. Aux termes des mesures législatives actuelles, Affaires mondiales Canada n’est pas un destinataire pour ces renseignements. Je crois cependant que la GRC en a certains qu’elle peut communiquer.

Le vice-président : Puis-je demander à la surintendante principale Bradshaw de répondre à la question?

Surintendante principale Kelly Bradshaw, directrice générale, Criminalité financière, Opérations criminelles de la police fédérale, Gendarmerie royale du Canada : Bonjour. J’aimerais répondre à cette question, monsieur le président. Le rôle de la GRC est de recueillir des renseignements sur les biens que possède ou contrôle une personne désignée. À ce jour, 85 millions de dollars d’actifs signalés à la GRC ont été gelés. S’ajoutent à cela 253 millions de dollars en paiements qui ont été bloqués. Voilà ce qui a été signalé à la GRC.

Le sénateur Oh : J’ai une question complémentaire. Le gouvernement a-t-il l’intention de demander la confiscation des actifs russes au Canada à grande échelle? Si c’est le cas, qu’adviendra-t-il de ces actifs après leur confiscation?

M. Lévêque : Permettez-moi d’amorcer une réponse à cette question. L’intention de la loi est de permettre au gouvernement d’utiliser de nouveaux outils à sa disposition afin de saisir et de confisquer ces actifs. Il appartiendra au gouvernement de décider de l’étendue et de l’ampleur des mesures à prendre, mais l’intention est assurément de commencer à recenser les biens qui doivent être visés, à les geler et à les confisquer, ce qui se fera peu de temps après que le projet de loi C-19 aura reçu la sanction royale.

Le gouvernement pourrait envisager diverses façons d’établir ce qu’il conviendra de faire des actifs confisqués, mais comme je l’ai indiqué dans ma déclaration liminaire, l’intention est d’utiliser la valeur financière correspondante du recouvrement de ces actifs pour aider les victimes de l’invasion en Ukraine. Cela pourrait prendre la forme d’une aide humanitaire dans le cadre de la reconstruction ou d’une aide aux victimes de toutes sortes de ce conflit. La forme que cela prendra sera fonction de ce que décidera le gouvernement en temps voulu.

Le sénateur Oh : Madame McDonald, avez-vous des observations à formuler?

Lynn McDonald, directrice générale, Politiques économiques internationales, Affaires mondiales Canada : Bonjour, sénateur Oh. C’est un plaisir de vous revoir. Je n’ai rien à ajouter aux commentaires de M. Lévêque pour le moment.

Le sénateur Oh : Je vous souhaite un bon retour au Canada.

Mme McDonald : Merci beaucoup, sénateur.

Le sénateur M. Deacon : J’essaie de m’assurer de ne rien répéter des questions précédentes, mais je veux revenir à cette partie de la section 31 sur la loi de Magnitski. Je me demande si vous pourriez m’aider à mieux comprendre ou me décrire comment une telle décision peut être prise en vertu de cette loi. La décision appartient-elle toujours au tribunal, ou est-ce le ministre qui décide de la façon dont les biens saisis seront dépensés? Si c’est le tribunal, quelle est la procédure qui doit être suivie? Si c’est le ministre, la loi contient-elle suffisamment de dispositions pour permettre un processus transparent de prise de décisions?

M. Lévêque : Je vous remercie de cette question. Je vais d’abord y répondre, puis je demanderai à mes collègues du ministère de la Justice Canada de fournir l’information technique complémentaire quant au déroulement du processus.

Le sénateur a souligné à juste titre le fait que le processus comporte plusieurs parties. Dans ce cas-ci et en vertu des modifications proposées, la première partie est, essentiellement, qu’un ministre aurait la responsabilité de faire une demande, de proposer les biens qui pourraient être saisis et confisqués, puis de soumettre cela à un tribunal provincial, c’est-à-dire, je crois, à une cour supérieure de la province dans laquelle les biens sont détenus.

Ensuite, bien sûr, la raison pour laquelle ce processus a été choisi, c’était d’assurer l’équité du processus. Pour ce qui est de votre observation sur la transparence, c’est effectivement cela l’intention : veiller à ce qu’un tribunal puisse évaluer la demande du ministre.

Pour ce qui est du reste du processus, mes collègues de la Justice voudront peut-être prendre la relève.

Carlos De Vera, avocat, Services juridiques d’Affaires mondiales Canada, ministère de la Justice Canada : Bonjour, sénateur. Je vous remercie de me donner l’occasion d’ajouter aux commentaires du sous-ministre adjoint, M. Lévêque. En gros, les choses se passent exactement comme il l’a dit. Une fois qu’un bien a été saisi par décret du gouverneur en conseil, le ministre s’adresse à un tribunal pour demander la confiscation. Le tribunal donne alors un avis à toute partie intéressée par cet actif pour qu’elle puisse faire des représentations avant la confiscation. Une fois la confiscation décidée, le titre de l’actif est transféré à la Couronne, qui décide alors de ce qu’il doit advenir de ces produits.

La loi énonce les orientations précises selon lesquelles le produit net peut être appliqué, à savoir, comme il a été mentionné plus tôt, la reconstruction d’un État touché, le rétablissement de la paix et de la sécurité, et l’indemnisation des victimes.

Le sénateur M. Deacon : En approfondissant un peu la question, je pense que nous savons tous que le gel des avoirs est utilisé comme levier pour amener les fonctionnaires étrangers et d’autres personnes à modifier leur comportement et pour faire pression sur eux et sur leurs bienfaiteurs responsables des politiques. Si nous saisissons ces avoirs, y a-t-il un risque que nous les perdions? Dans l’éventualité où un accord était conclu, existe-t-il un moyen de rendre l’argent aux fonctionnaires?

M. Lévêque : Vous avez tout à fait raison de dire que l’intention initiale des dispositions législatives existantes vise à inciter la modification des comportements. Nous parlons ici de situations où le comportement n’a pas encore été modifié. Beaucoup d’avertissements ont été donnés avant l’application des sanctions, après l’application des sanctions, et ceci, dans une certaine mesure, est une façon de passer à la vitesse supérieure. Je suppose que les autres oligarques, les autres personnes sanctionnées, seront incités à modifier leur comportement en constatant qu’ils risquent de perdre leurs avoirs pour de bon.

La réponse à la deuxième partie de la question du sénateur est non. Selon les dispositions législatives modifiées proposées, une fois que les actifs sont confisqués et réaffectés, c’est fini, ils sont perdus pour toujours. C’est pour cette raison qu’il est important d’avoir une procédure de droit régulière et d’assurer que ces procédures soient cautionnées par un tribunal.

Le vice-président : Merci, monsieur Lévêque.

[Français]

La sénatrice Mégie : Ma question s’adresse aussi à M. Lévêque. Merci aux témoins d’être parmi nous. Selon les valeurs canadiennes, quelqu’un est présumé innocent jusqu’à ce qu’on le trouve coupable. Comment le gouvernement fédéral sera-t-il en mesure de déterminer que les biens sont mal acquis, justement parce qu’ils viennent d’un gouvernement réputé corrompu? Un gouvernement peut être réputé corrompu par tout le monde, mais la personne elle-même peut avoir accumulé ses richesses sans avoir commis des vols ou des malversations. Quels outils sont à la disposition du gouvernement fédéral pour vérifier tout cela?

M. Lévêque : C’est une excellente question. Je vais répéter ce que je viens de dire lors de la dernière réponse, qui est la raison principale pour laquelle nous avons développé cette modification dans la législation pour introduire un processus qui passerait par les cours de justice. Cependant, vous avez tout à fait raison de dire que par le passé, le seul mécanisme qui existait pour confisquer des biens ou une propriété privée, c’était des lois qui portaient sur des biens ayant été acquis au moyen de processus illégaux ou criminels.

Il s’agit d’une sphère différente; en fait, il ne s’agit pas ici de la manière adoptée par les individus pour acquérir leurs biens et leurs richesses. Leur culpabilité est plutôt liée au fait qu’ils sont eux-mêmes étroitement associés à un régime que l’on considère comme étant en situation de violation du droit international et qui a commis de graves entraves à la sécurité internationale. Cette association est donc l’élément qui assujettit la personne à la suspension de ses biens. Encore une fois, le processus légal devra déterminer ce qu’il est juste ou non d’imposer, selon le régime juridique canadien.

Le vice-président : Merci, monsieur Lévêque.

[Traduction]

La sénatrice Coyle : Merci à M. Lévêque et à tous nos témoins. Plusieurs de mes questions ont été posées, mais j’en ai maintenant une qui m’est venue à l’esprit au sujet des biens saisis ou confisqués qui en sont maintenant au stade de la réaffectation.

J’aimerais comprendre un peu mieux ce dont il est tenu compte lors de la prise de décisions quant à la façon de réaffecter ou de redistribuer ces actifs, et qui sont les intervenants qui peuvent aider à prendre ces décisions. Par exemple, l’État ukrainien est-il sollicité à cet égard? Si ces actifs ont été acquis illégalement, peut-être sur le dos du peuple russe, par exemple, envisage-t-on de les redistribuer également en Russie? J’aimerais savoir comment ces décisions seront prises.

M. Lévêque : Je pense qu’il est juste de dire que la façon dont les dispositions législatives ou les amendements proposés sont développés est de donner au gouvernement la possibilité de décider où la réparation sera optimale, comment nous pouvons maximiser l’incidence sur les victimes les plus touchées.

Pour le moment, aucun processus précis n’est inclus dans la loi. La décision sera probablement prise en consultation avec les ministères clés, mais aussi avec la société civile, les groupes de la diaspora et les partenaires sur le terrain, le but étant de bien cerner les besoins les plus importants à ce moment-là. Il y a donc ici un peu de flexibilité, précisément pour être en mesure de répondre aux besoins les plus criants sur le terrain.

La sénatrice Coyle : Je devrais probablement connaître la réponse à cette question, mais je ne la connais pas, alors je vais la poser. Parce que c’est une chose tellement nouvelle pour le Canada — et je l’appuie —, je suis curieuse de savoir ce que nous allons mettre en place pour examiner les fruits de ce processus et tirer des leçons de ces premiers exemples de la mise en œuvre de cette modification.

M. Lévêque : Merci, sénatrice. Vous soulevez un très bon point. Je dirais qu’en général, l’approche d’Affaires mondiales Canada pour tout programme, pour toute activité, est toujours d’intégrer dès l’étape de la conception une façon d’évaluer les résultats. Cette approche n’est pas propre à notre ministère; c’est tout le gouvernement qui procède ainsi.

Vous soulevez quelque chose de très important et un enjeu auquel nous devons réfléchir. Je retiens de ma comparution devant le comité que, dans la conception et la mise en œuvre mêmes de ce nouveau régime, je dois m’assurer que nous intégrons un moyen d’évaluer l’efficacité de ce que vous avez mentionné, à savoir la réaffectation et la destination des fonds réaffectés.

J’aimerais remercier la sénatrice de sa suggestion et de son rappel de l’importance de veiller à ce que cela soit intégré à la conception même de ce projet.

Le vice-président : Merci, monsieur Lévêque.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci à M. Lévêque et à toute son équipe de leur présence ici. Ma question s’adresse notamment aux représentants d’Affaires mondiales Canada.

Monsieur Lévêque, vous avez dit tout à l’heure que les exemptions possibles aux sanctions et à la délivrance de permis prévues au paragraphe 440(1) autorisent le ministère à délivrer des permis qui permettraient de réaliser des activités faisant l’objet d’une interdiction au titre de la Loi sur les mesures économiques spéciales, la LMES. La firme d’avocats McCarthy Tétrault a avancé que cela permettrait à AMC de traiter en masse les nombreuses demandes de permis qu’elle reçoit actuellement de la part des Canadiens et des entreprises canadiennes au sujet des conduites qui pourraient constituer une violation des sanctions prévues dans cette loi.

Que pensez-vous de cette affirmation de la firme McCarthy Tétrault? Ces permis d’application générale seraient-ils de nature à simplifier le travail d’AMC?

M. Lévêque : Merci pour la question. Il est exact que, selon les autorités qui sont accordées au ministère des Affaires étrangères, une possibilité d’accorder des permis en masse ou en grands groupes fait tout à fait partie des autorités. C’est une option qui peut être utilisée.

Je dirais que l’obtention ou la livraison de permis n’est pas mise sur pied pour faire de l’évasion de sanctions. C’est vraiment pour accorder, dans des cas exceptionnels, des exceptions si l’on constate que les intérêts du Canada ou de Canadiens, y compris des intérêts humanitaires, seraient affectés de façon démesurée par rapport à l’impact des sanctions. C’est un mécanisme qui est utilisé avec parcimonie, mais toujours en respectant l’intention initiale de l’imposition des sanctions. C’est pourquoi ce sont des exceptions, et pas la norme.

D’un point de vue technique, est-il possible de délivrer des permis sur une base, disons, plus inclusive ou en plus grands groupes? Oui, tout à fait, c’est un mécanisme qui existe et qui peut être mis la disposition de la ministre des Affaires étrangères.

La sénatrice Moncion : Monsieur Lévêque, ma question porte sur le retour d’ascenseur qui pourrait venir des autorités russes. En imposant des sanctions comme on le fait présentement, est-ce qu’on a évalué les risques que la même situation se reproduise, avec une riposte des Russes, par exemple, par rapport à certains Canadiens plus fortunés qui feraient des affaires en Russie?

M. Lévêque : Vous avez tout à fait raison. D’ailleurs, c’est une approche de la politique russe que nous avons sans doute observée. « Œil pour œil, dent pour dent » est visiblement une devise du gouvernement russe. On a vu que, chaque fois qu’on a sanctionné des individus, le gouvernement russe a répondu en inscrivant sur des listes des politiciens, des hommes et femmes d’affaires, des bureaucrates, et cetera. Oui, on s’attend tout à fait à ce que la Russie fasse de même si le projet de loi est adopté et si nous en profitons pour la mettre à exécution. Cela fait partie des risques, et c’est pourquoi le gouvernement veut se garder une certaine flexibilité sur le plan de l’identification des individus sanctionnés, ainsi que des avoirs et des biens identifiés pour confiscation.

En même temps, il s’agit de maintenir le dialogue avec les entités et individus canadiens qui ont des opérations, des avoirs, des acquis et des biens en Russie, afin qu’ils soient pleinement informés des risques liés à leurs propres opérations.

Nous avons une certaine idée des investissements et des présences commerciales canadiennes en Russie. Nous faisons de la sensibilisation de façon proactive auprès d’eux. Évidemment, ils savent déjà qu’ils sont dans un marché où la règle de droit n’est pas toujours suprême. Il y a des risques inhérents à mener des opérations en Russie. Ceci augmenterait assurément ces risques, et nous en sommes tout à fait conscients.

Du point de vue de l’équilibre, nous pensons que c’est un risque qu’il vaut la peine de prendre, mais la communication et la transparence avec les parties prenantes vont continuer de faire partie de notre modus vivendi.

La sénatrice Moncion : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le vice-président : Nous allons passer à la deuxième série de questions.

Le sénateur MacDonald : J’aimerais passer à la section 18 du projet de loi. Je suis intrigué par la disposition qui parle des crimes dans l’espace. Les dispositions de la section 18 étendent essentiellement le droit canadien...

Le vice-président : Nous traiterons de la section 18 la semaine prochaine. La séance d’aujourd’hui est consacrée à la section 31, alors je vous mets sur...

Le sénateur MacDonald : Je continue d’être intrigué par la section 18.

Le vice-président : Vous pouvez les avertir.

Le sénateur MacDonald : J’ai une question sur la section 31, qui stipule :

La présente loi a pour objet de permettre au gouvernement du Canada de prendre des mesures économiques contre certaines personnes dans le cas où une organisation internationale d’États ou une association d’États dont le Canada est membre incite ses membres à prendre de telles mesures...

Sont ensuite présentées toutes les précisions afférentes. Ce sont là des objectifs avec lesquels nous sommes tous d’accord. Cependant, la section 31 semble également placer un pouvoir énorme entre les mains du gouvernement :

[...] faire saisir ou bloquer, de la façon prévue par le décret, tout bien situé au Canada et appartenant à un État étranger, à une personne qui s’y trouve ou à un de ses nationaux qui ne réside pas habituellement au Canada ou détenu ou contrôlé, même indirectement, par lui.

Est-il exact de dire qu’en vertu de ces dispositions, les biens d’un ressortissant étranger pourraient être saisis même s’ils n’ont absolument aucun lien avec les actions commises par l’État dont il est citoyen? Est-ce possible? Qu’est-ce qui empêche des ressortissants étrangers, par ailleurs innocents, d’être éventuellement ciblés simplement parce qu’ils possèdent des biens que l’État pourrait vouloir saisir?

M. Lévêque : Je vous remercie de la question. Je veux parler d’une étape, juste avant ce que le sénateur a mentionné. Ce ne sont pas les biens ou les actifs de tout ressortissant étranger qui pourraient être saisis au titre de cette mesure législative. Les actifs doivent appartenir à une personne ou à une entité qui fait déjà l’objet de sanctions. Il faut donc que le travail et la recherche nécessaires pour identifier les personnes dont le nom apparaît sur la liste de ceux qui sont visés par les sanctions aient été faits avant que les actifs puissent être saisis et confisqués.

Deuxièmement, au risque de me répéter, c’est la raison pour laquelle nous voulons nous assurer qu’un processus judiciaire soit en place. Une fois que le gouvernement ait dressé la liste des actifs devant potentiellement être confisqués, l’affaire serait renvoyée à la cour supérieure de la province où se trouvent les actifs, et le processus judiciaire habituel s’appliquera alors.

J’ajouterais que dans notre régime de sanctions actuel, il est possible pour une personne ou une entité de demander à voir son nom retiré de la liste. Il revient à la personne, bien entendu, de s’acquitter du fardeau de la preuve et de prouver avoir pris ses distances du régime ou des activités que nous dénonçons, mais cela fait aussi partie des recours dans la Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus.

Le sénateur MacDonald : J’ai une question complémentaire. L’article 441 crée l’alinéa 5.4(1)b), qui prévoit :

Sur demande du ministre, le juge ordonne la confiscation du bien faisant l’objet de la demande au profit de Sa Majesté du chef du Canada s’il conclut, à partir de la preuve déposée devant lui, que (...) le bien (...) appartient à la personne visée par ce décret ou est détenu ou contrôlé, même indirectement, par elle.

L’objectif ici est-il de donner très peu de recours concrets et peu de pouvoir discrétionnaire au juge, ou est-ce que le recours dont dispose un ressortissant étranger dans cette section m’échappe?

M. Lévêque : Selon mon interprétation de ce nouvel alinéa, il s’agit de la possibilité de recours qui est prévue, mais mon collègue M. De Vera pourrait vouloir vous fournir plus de détails techniques à ce sujet.

M. De Vera : C’est exact. On veut accorder l’équité procédurale à la personne touchée par la saisie et la confiscation potentielle de son bien par la cour. Il s’agirait essentiellement de la même information que le gouverneur en conseil avait pour obtenir l’ordonnance de saisie au départ, mais cette fois, vue à travers le prisme judiciaire.

[Français]

La sénatrice Mégie : Le comité a récemment étudié le projet de loi S-217, qui avait des caractéristiques semblables à la section 31 du projet de loi C-19. Je vais vous référer à une partie du projet de loi S-217 qui est absente de la section 31 du projet de loi C-19. C’est un article qui parle de la création d’un registre accessible au public, contenant des renseignements sur le nom de toute personne ou entité associée aux biens bloqués et sur la valeur des biens bloqués, ainsi que des dispositions ayant trait à l’obligation, pour la personne ou l’entité qui reçoit des sommes, de rendre compte au tribunal de leur utilisation.

Comment, le cas échéant, le gouvernement du Canada pourra-t-il envisager la mise en œuvre de ces deux dispositions entre le projet de loi S-217 et la section 31 du projet de loi C-19?

M. Lévêque : Merci pour la question. En effet, il y a beaucoup de similarités et quelques différences entre le projet de loi S-217 et les modifications dont on parle aujourd’hui. J’ai eu le plaisir d’être parmi vous il y a quelques semaines justement pour discuter du projet de loi S-217.

La disposition à laquelle la sénatrice fait allusion n’est pas incluse dans les propositions de modifications du projet de loi sur l’exécution du budget, pour la simple raison que des préoccupations relatives au respect de la vie privée et de l’information privée pourraient être soulevées si un tel registre contenant des renseignements sur des individus et sur leur propriété privée devait être publié.

Cela étant dit, j’attire votre attention sur le fait suivant. Dans le projet de loi d’exécution du budget, il y a une proposition visant à créer un registre national — veuillez me pardonner, car je ne connais pas l’expression en français — de beneficial ownership, ce qui serait une première au Canada. Cette proposition permettrait de publier un registre des sociétés enregistrées à l’échelle fédérale. Il s’agit d’un outil de plus pour améliorer la transparence et pour éviter que la possession de sociétés et de biens, notamment par des acteurs étrangers, soit camouflée dans des compagnies à numéro ou des entités corporatives un peu obscures.

La sénatrice Mégie : Merci.

La sénatrice Gerba : La liste consolidée des sanctions autonomes canadiennes comprend actuellement plus de 2 500 personnes et entités. On constate en particulier que deux pays africains sont concernés, soit le Zimbabwe et l’Afrique du Sud, pour un total de près de 180 entrées dans la liste. Les amendements contenus dans la section 31 de la partie 5 du projet de loi C-19 pourraient-ils s’appliquer à toute personne et entité sanctionnée à l’heure actuelle?

M. Lévêque : La réponse très simple est oui. Cela n’est pas réservé exclusivement à la situation en Ukraine qui a été provoquée par la Russie. Ces modifications à la législation donneraient un outil de plus au gouvernement et l’autoriseraient à avoir recours à la saisie, la confiscation et la redistribution des biens saisis, ou du moins de leur valeur monétaire nominale, pour n’importe quel individu ou entité sanctionnés.

Donc, oui tout à fait, les propositions de modifications s’appliqueraient à toute entité sanctionnée, conformément aux deux lois dont nous parlons, soit la Loi sur les mesures économiques spéciales (LMES) et la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (LJVDEC).

La sénatrice Gerba : Merci.

[Traduction]

Le vice-président : Monsieur Lévêque, je vais vous poser une question complémentaire à la première question du sénateur MacDonald. Vous avez parlé de l’exception qui est prévue dans le décret. Je trouve cela tout à fait logique, mais j’aimerais savoir comment la divulgation publique serait faite, le cas échéant, lors de l’utilisation de ces exceptions.

M. Lévêque : Les décrets sont, bien entendu, publics. Une fois qu’ils ont été signés par la gouverneure générale, ils sont publiés sur divers sites Web. Comme je ne suis pas certain à 100 %, je vais sans doute devoir m’en remettre à mes collègues du ministère de la Justice, car j’ai un doute à savoir si les permis sont rendus publics. Je ne pense pas qu’ils le soient, mais c’est le seul outil dont nous disposons pour demander une exception aux sanctions appliquées. M. De Vera pourrait confirmer mes dires à ce sujet.

M. De Vera : C’est exact. Les permis ne sont pas rendus publics. Les exceptions, qui sont établies, par exemple, dans le cas de la Russie, dans le règlement visant la Russie, sont publiques et en ligne. Si quelqu’un se demande si une activité particulière est interdite au titre du règlement visant la Russie, il peut vérifier si des exceptions à ces dispositions se trouvent dans ce même règlement. Ils peuvent procéder à ce moment.

En règle générale, les permis s’appliquent à des activités interdites qui ne sont pas visées par une exception.

Le vice-président : Je vous remercie.

Chers collègues, il ne semble pas y avoir d’autres questions. Nous sommes donc arrivés à la fin de cette partie de la séance. J’aimerais remercier les représentants des ministères d’avoir répondu à nos questions et de nous avoir informés de certaines préoccupations dont on leur a fait part.

(La séance se poursuit à huis clos.)

Haut de page