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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 21 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Bonjour à tous. Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Avant de commencer, j’inviterais maintenant les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Gerba : Bienvenue. Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Stephen Greene, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Ravalia : Bienvenue. Mohamed Ravalia, Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Adler : Charles Adler, Manitoba.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, Cap-Breton, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Woo : Bonjour à tous. Yuen Pau Woo, Colombie-Britannique.

Le sénateur Harder : Bonjour à tous. Peter Harder, Ontario.

La sénatrice Busson : Je suis Bev Busson, de la Colombie-Britannique. Bienvenue

La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, Ontario.

La sénatrice Coyle : Bonjour. Mary Coyle, Antigonish, Nouvelle-Écosse.

Le président : J’aimerais souhaiter la bienvenue au sénateur Adler, qui est ici en tant qu’invité aujourd’hui. Bienvenue à vous tous et aux personnes qui nous regardent dans tout le pays sur le service de diffusion ParlVU du Sénat.

Nous nous réunissons aujourd’hui conformément à notre ordre de renvoi général pour entendre des points sur la situation au Soudan et au Myanmar. Nous allons commencer les discussions avec le groupe de témoins venu parler du Soudan, et nous avons le plaisir d’accueillir les témoins suivants d’Affaires mondiales Canada: Caroline Delany, directrice générale, Direction générale de l’Afrique centrale, du Sud et de l’Est, qui comparaît pour la quatrième fois devant ce comité; Giles Norman, directeur général, Direction générale des menaces transnationales et des conflits; Pamela Moore, directrice exécutive, Programme de paix et de stabilisation, Partenariats et programmation de l’aide internationale; et Julie Desloges, directrice adjointe, Direction de l’aide humanitaire internationale.

Nous vous souhaitons la bienvenue au sein du comité. Avant d’entendre vos observations et de passer aux questions et réponses, je demande à toutes les personnes présentes de bien vouloir mettre les avertissements en sourdine sur leurs appareils afin d’éviter toute distraction.

Nous sommes maintenant prêts à entendre vos observations liminaires. Comme d’habitude, elles seront suivies des questions des sénateurs et des réponses de nos témoins. Madame Delany, vous avez la parole.

Caroline Delany, directrice générale, Direction générale de l’Afrique centrale, du Sud et de l’Est : Merci, monsieur le président, et merci de nous avoir invités à discuter de la situation au Soudan. Notre dernière rencontre remonte à un an, et l’ampleur des souffrances humaines, les atteintes significatives portées aux droits de la personne et le risque de déstabilisation de la région font de ce conflit un enjeu important pour le Canada.

[Français]

Le conflit a commencé il y a 18 mois. La situation se complexifie. Plusieurs acteurs soudanais et régionaux cherchent à protéger leurs intérêts, avec de graves conséquences pour les civils.

Les efforts de médiation se poursuivent, avec peu de résultats. Les combats continuent entre les Forces armées soudanaises et les Forces du soutien rapide sans aucun signe de relâchement.

[Traduction]

En avril 2023, les Forces armées soudanaises se sont déplacées pour s’installer à Port-Soudan, dans l’Est du pays, et elles contrôlent cette zone ainsi que le Nord. Les Forces du soutien rapide ont consolidé leur contrôle de la majeure partie du Darfour et, à la fin de l’année dernière, ont commencé à avancer vers le sud et l’est du pays, en direction du territoire des Forces armées soudanaises. Les Forces du soutien rapide contrôlent encore la majeure partie de Khartoum et de ses environs, bien que les Forces armées soudanaises aient récemment repris certaines parties de la ville.

Plus de 8,3 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays. En outre, plus de trois millions de personnes ont fui vers les pays voisins, ce qui fait du Soudan la crise de déplacement la plus importante au monde. Plus de 24 000 personnes ont perdu la vie dans ce conflit.

En août, on a confirmé l’existence d’une famine dans le Nord du Darfour, notamment dans le camp de Zamzam pour personnes déplacées à l’intérieur du pays. Il est probable que la famine frappe également d’autres régions du pays. Le Soudan est confronté aux pires niveaux d’insécurité alimentaire de son histoire. Plus de la moitié de sa population souffre d’une famine aiguë. On estime que 17 millions d’enfants ne sont pas scolarisés.

Des rapports crédibles, émanant notamment des Nations unies, font état de violations généralisées du droit humanitaire international et des droits de la personne par toutes les parties, celles-ci comprennent des attaques menées sans discrimination contre des civils, des violences à caractère ethnique et des violences sexuelles liées au conflit.

Malheureusement, la violence s’est également récemment intensifiée dans tout le pays. En octobre, les Forces du soutien rapide ont intensifié leurs attaques contre les civils dans l’État d’Al Jazirah, en recourant largement à la violence sexuelle. Les combats se poursuivent dans les régions du Darfour et du Kordofan, ainsi qu’à Khartoum.

Depuis la dernière fois qu’Affaires mondiales Canada a comparu devant ce comité pour discuter du Soudan, il y a un an, le Canada a amélioré sa réponse à cette situation sur plusieurs fronts.

[Français]

Premièrement, le Canada apporte de l’aide humanitaire qui répond aux besoins des populations touchées par le conflit. Depuis janvier 2024, le Canada a fourni plus de 100 millions de dollars en aide humanitaire au Soudan et aux pays voisins.

En 2024, le Canada a alloué 31,5 millions de dollars en aide au développement pour le Soudan et les pays voisins, pour répondre à la violence sexuelle et fondée sur le genre, ainsi que pour l’éducation dans les situations d’urgence.

[Traduction]

Deuxièmement, le Canada maintient un niveau de mobilisation diplomatique élevé. Les ministres canadiens évoquent régulièrement ce conflit dans le cadre de rencontres bilatérales, notamment lors du récent dialogue de haut niveau entre le Canada et la Commission de l’Union africaine, et dans le cadre de forums multilatéraux comme les Nations unies et le G7.

Au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le Canada a coparrainé la résolution de 2023 qui a créé la Mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Soudan, dont le mandat est de documenter les violations des droits de la personne et du droit humanitaire international dans le but de demander des comptes pour les crimes commis et de mettre fin à l’impunité.

Le Canada s’est engagé à défendre l’accès aux droits de la personne, notamment en publiant, le 18 octobre, une déclaration commune avec le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Union européenne, entre autres, appelant les parties à faciliter l’accès humanitaire, conformément au droit humanitaire international.

En raison de la suspension prolongée des activités de l’ambassade du Canada au Soudan à Khartoum, le Canada a transféré ses activités à notre ambassade à Addis-Abeba, en Éthiopie, et, en août, y a déployé de nouveaux membres du personnel affectés au Soudan.

[Français]

Troisièmement, la ministre Joly a annoncé en avril de nouvelles mesures de sanctions autonomes en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales. Le Canada a imposé des sanctions à deux individus et quatre entités pour leur implication directe ou indirecte à des activités compromettant la paix, la sécurité et la stabilité au Soudan, ainsi que pour violation des droits de la personne.

[Traduction]

Enfin, le Canada s’efforce de veiller à ce que tout processus de paix futur tienne compte du point de vue des civils. Le Canada fournit des fonds pour soutenir les défenseurs des droits de la personne et les femmes qui militent pour la paix, afin de renforcer leurs capacités, de les réunir et de les faire participer à des efforts de médiation. En août, le Canada a soutenu les efforts déployés par les États-Unis pour amener des femmes soudanaises à Genève afin qu’elles puissent influer sur les pourparlers de cessez-le-feu. Notre ambassadrice du Canada pour les femmes, la paix et la sécurité, Jacqueline O’Neill, les a rejointes sur place.

En conclusion, il est peu probable que la situation au Soudan s’améliore à court terme. Plus les combats dureront, plus la probabilité d’une participation accrue d’autres acteurs augmentera. Il pourrait en découler un enlisement du conflit et une aggravation de la crise humanitaire.

[Français]

Le Canada continue donc de suivre la situation de près. Nous continuons d’identifier des points d’entrée pour les actions canadiennes et d’utiliser les outils disponibles, afin d’amoindrir les impacts du conflit sur les civils et d’encourager un chemin vers la paix et la stabilité et un retour éventuel à une transition vers la démocratie.

Merci pour votre attention.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup, madame Delany. J’aimerais signaler que le sénateur Mohammad Al Zaibak, de l’Ontario, s’est joint à la séance.

Le sénateur MacDonald : Merci aux témoins. Depuis le début du conflit actuel, le 15 avril 2023, le Canada a annoncé une série de sanctions à l’encontre de personnes et d’entités qui encouragent le conflit au Soudan ou qui se livrent à d’autres violations des droits de la personne. Cette annonce a été faite à l’occasion du premier anniversaire du conflit, le 15 avril 2024, et comprenait des sanctions à l’encontre de deux personnes et de quatre entités. Le 23 mai 2024, Nicholas Coghlan, ancien chef du Bureau de l’ambassade du Canada au Soudan et ancien ambassadeur du Canada au Soudan du Sud, a déclaré devant le comité qu’il s’agissait de petites sanctions au regard de la gravité de la situation et qu’elles avaient été prises avec un an de retard.

Mes questions sont les suivantes : Comment a-t-on choisi ces six personnes et entités? Pourquoi seules six personnes et entités ont-elles été sanctionnées? Pourquoi le Canada a-t-il attendu un an pour prendre ces sanctions?

Mme Delany : Merci, sénateur. Affaires mondiales Canada a mis en place un processus rigoureux de diligence raisonnable afin d’examiner et d’évaluer les circonstances qui pourraient justifier le recours à des sanctions. Dans la mesure du possible, nous coordonnons nos efforts avec des partenaires qui partagent nos idées afin de garantir une utilisation efficace des sanctions, et il existe souvent des différences entre les partenaires qui partagent nos idées dans la manière dont chacun de nous impose des sanctions en raison des différences entre nos systèmes juridiques.

Outre les sanctions autonomes que vous avez décrites, le Canada adhère également à la liste des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies, y compris un embargo sur les armes, qui couvre, dans notre cas, l’ensemble du Soudan.

Nos procédures sont très rigoureuses. Elles reposent sur des preuves et des recherches, ce qui signifie qu’il nous faut un certain temps pour déterminer si nous disposons de suffisamment de preuves pour citer des personnes devant faire l’objet de sanctions.

Le sénateur MacDonald : De nombreux rapports suggèrent que les Émirats arabes unis soutiendraient les Forces du soutien rapide, tandis que la Russie, l’Iran et l’Égypte soutiendraient les Forces armées soudanaises.

Le Canada sanctionnera-t-il une personne ou une entité des pays concernés, comme la Russie ou l’Iran?

Mme Delany : Nous surveillons de très près les acteurs internationaux qui défendent leurs différents intérêts dans la région. La Russie pose un problème particulier en raison de son engagement au Soudan, qui semble être largement motivé par son souhait d’accéder à Port-Soudan, par exemple, à l’or du pays. Au cours de l’année écoulée, ce pays a modifié son engagement, passant d’une collaboration avec les Forces du soutien rapide à une collaboration plus étroite avec les Forces armées soudanaises.

En ce qui concerne notre évaluation des acteurs régionaux, il m’est difficile de formuler des commentaires à ce sujet parce que d’autres parties du ministère évaluent ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas pour cerner les réponses à apporter dans ce domaine.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à nos témoins d’être présents aujourd’hui.

Les nouvelles sont encore bien pires qu’il y a un an. Nous suivons évidemment l’évolution de la situation individuellement depuis notre dernière rencontre. Vous avez mentionné que la situation liée à la sécurité est telle que nous ne pouvons pas ouvrir notre ambassade avec le personnel sur le terrain, mais que nous avons du personnel basé à Addis-Abeba.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? Combien y a-t-il de personnes, quels sont leurs rôles particuliers et comment sont-elles liées aux acteurs sur le terrain qui peuvent nous aider à cerner les mesures à prendre?

Mme Delany : Oui. Notre ambassade à Addis-Abeba, qui est désormais chargée de nos relations avec le Soudan, a intégré certains des postes de l’ambassade de Khartoum en raison de la suspension des activités de cette dernière. Il s’agit notamment du poste de responsable de la politique étrangère canadienne chargé d’assurer la liaison, par exemple, avec des ambassadeurs qui partagent nos idées et d’autres ambassadeurs à Addis-Abeba — il y a tout un groupe d’agents qui sont également chargés du Soudan là-bas — ainsi qu’avec l’Union africaine et l’Autorité intergouvernementale pour le développement. Nous avons également une agente du développement du Canada qui travaille avec les acteurs du secteur humanitaire et du développement qui opèrent à partir d’Addis-Abeba et de Nairobi, et elle se rend également à Nairobi pour travailler avec ces partenaires sur place.

Nous attendons d’eux qu’ils soient, autant que possible, nos oreilles sur le terrain pour ce qui est de l’analyse et de la compréhension du contexte actuel, et qu’ils transmettent ces renseignements à notre équipe ici à Ottawa, qui les soutient en leur apportant des réponses en matière de défense des droits ou de nouveaux programmes, par exemple.

La sénatrice Coyle : Merci pour cette réponse. Voyez-vous un quelconque mouvement ou autre qui vous donne un espoir ou un sentiment d’optimisme quant à la possibilité de réunir les parties? Il y a l’aspect humanitaire, que nous devons absolument traiter, bien sûr, mais les choses s’aggraveront si nous ne nous attaquons pas au conflit.

Que se passe-t-il réellement sur place? Qui sont les principaux acteurs? Quelles autres formes d’aide pouvons-nous apporter? Vous en avez mentionné un certain nombre, mais si vous pouviez approfondir la question, ce serait formidable.

Mme Delany : Je vais demander à mon collègue, M. Norman, de parler de la procédure de médiation.

Je vais commencer par dire que nous estimons que la trajectoire est plutôt négative. Nous allons à une augmentation des combats au cours des prochains mois. Il existe des mécanismes de médiation, mais nous devons être réalistes quant à leur état d’avancement, et M. Norman pourra en dire plus à ce sujet.

Giles Norman, directeur général, Direction générale des menaces transnationales et des conflits : Merci, sénatrice, pour cette question.

Depuis le début des violences, on a mené plusieurs initiatives. De nombreux acteurs régionaux et internationaux ont tenté à plusieurs reprises de réunir les belligérants autour d’une table, d’alléger les souffrances des civils et de faciliter l’accès de l’aide humanitaire.

Plus récemment, en août de cette année, une initiative appelée Aligned for Advancing Lifesaving and Peace in Sudan a tenté de réunir les Forces armées soudanaises et les Forces du soutien rapide en Suisse. Les Forces armées soudanaises n’ont pas envoyé de délégation, contrairement aux Forces du soutien rapide.

L’initiative Aligned for Advancing Lifesaving and Peace in Sudan s’appuie essentiellement sur ce que l’on a appelé les pourparlers de Djedda, qui ont eu lieu auparavant en Arabie saoudite. Il s’agissait d’une initiative menée par les États-Unis et l’Arabie saoudite, soutenue par d’autres pays.

L’Égypte, l’Union africaine et les Nations unies ont tenté d’amener les belligérants à la table des négociations. Malheureusement, malgré tous ces efforts — et il y a beaucoup d’acteurs dans cet espace — les belligérants n’ont montré aucune indication qu’ils étaient prêts à arrêter de se battre. Je pense que l’objectif militaire que les deux camps cherchent activement à atteindre est de vaincre l’autre, bien que leurs forces soient relativement équilibrées.

Le sénateur Ravalia : Merci de votre présence. J’aimerais poursuivre dans la lignée des questions de la sénatrice Coyle. Vous avez parlé de l’échec des pourparlers en Suisse. On entend de plus en plus dire, notamment dans un article récent de The Economist, que Mohamed Hamdan Dagalo, le chef des Forces du soutien rapide, envisage de faire une tournée des capitales africaines où il pourrait être le bienvenu en tant que président en devenir. Il semble que la situation soit favorable au camp des Forces du soutien rapide et que l’on considère de plus en plus les Forces armées soudanaises comme un partenaire secondaire.

Dans quelle mesure collaborons-nous avec nos partenaires internationaux, et en particulier avec l’Union africaine, pour parvenir à un certain degré de dialogue afin de réunir ces parties?

Mme Delany : Merci, sénateur. En ce qui concerne les pourparlers de Genève, je ne les qualifierais pas nécessairement d’échec. Une grande partie de ces pourparlers sont très axés sur le cessez-le-feu et l’accès à l’aide humanitaire, le but étant de concentrer les efforts des médiateurs et des belligérants sur des gains réalisables.

Un accord a été conclu à Genève visant à ouvrir la frontière entre le Soudan et le Tchad pour permettre l’accès à l’aide humanitaire. L’efficacité de cet accord a varié depuis son adoption, mais c’est au moins un point sur lequel les deux groupes ont pu se mettre d’accord.

En outre, M. Norman a peut-être quelque chose à ajouter au sujet de l’Union africaine. Je me contenterai de signaler que nous avons un représentant auprès de l’Union africaine qui est basé à Addis-Abeba — il travaille en collaboration très étroite avec celle-ci pour discuter de la situation au Soudan — ainsi que notre équipe à Addis-Abeba de manière plus générale.

L’Union africaine a annoncé la création d’un groupe de travail de haut niveau sur le Soudan appelé Dialogue politique inter‑soudanais. Il s’agit d’un mécanisme important visant à trouver des solutions que l’Union africaine pourrait soutenir. Toutefois, comme dans le cas des autres mécanismes, les belligérants n’étant pas disposés à négocier ne serait-ce qu’un cessez‑le‑feu, il est très difficile de déterminer la voie à suivre. Les efforts du Canada se concentrent réellement sur le rôle des acteurs civils.

Si j’ai assez de temps, j’aimerais donner à ma collègue, Mme Moore, un moment pour parler de ce que nous faisons pour soutenir les acteurs civils dans l’espace de médiation.

Pamela Moore, directrice exécutive, Programme de paix et de stabilisation, Partenariats et programmation de l’aide internationale, Affaires mondiales Canada : Merci pour cette question, sénateur. J’ajouterai simplement qu’en vue de soutenir le dialogue, nous cherchons notamment à renforcer la société civile. C’est pourquoi nous finançons des activités. Nous finançons un organisme qui est une large coalition de voix de la société civile dirigée par des acteurs influents. Les femmes, les jeunes et d’autres voix soudanaises y sont fortement représentés. Nous leur fournissons des fonds pour les aider à s’organiser et à prendre part au processus de dialogue, afin qu’ils puissent développer leurs positions. En effet, tout type de processus de médiation — lorsqu’il y aura une nouvelle possibilité de discussions entre les parties — ne réussira que s’il adopte une perspective inclusive des points de vue.

Nous effectuons ce travail de soutien en aval pour qu’ils puissent plaider leur cause auprès des parties prenantes internationales, notamment de l’Union africaine, avant la tenue de ces discussions, et pour que le moment venu, ils puissent défendre ce qui devrait selon eux faire partie d’un processus inclusif. Merci.

Le sénateur Ravalia : Quelle est votre opinion au sujet de la situation au Darfour et du concept du Soudan uni par opposition au Soudan divisé?

Mme Delany : Selon notre évaluation, plus le conflit se prolonge, plus il est probable que les deux parties s’enracinent. Nous ne sommes pas nécessairement d’avis que les Forces armées soudanaises sont marginalisées à ce stade-ci. Elles sont reconnues par le gouvernement du Soudan, et il y a une impasse entre les deux parties, même s’il y a un peu de mouvement en marge.

Encore une fois, plus cela dure, plus il risque d’y avoir enracinement.

Nous appuierions tout processus de paix crédible qui permettrait de tirer une conclusion quant aux prochaines étapes pour le pays, alors nous n’avons pas de position précise à ce sujet.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci beaucoup pour cette mise à jour sur la situation au Soudan. C’est vraiment très apprécié. J’aimerais revenir sur la question des ingérences des pays étrangers impliqués dans le conflit au Soudan. On pense à la Russie, à l’Iran, aux Émirats arabes et autres. Je comprends aussi que vous êtes en dialogue avec certains alliés pour mitiger ces ingérences. La concertation que vous avez à nos alliés permet‑elle de lutter contre ces ingérences de façon spécifique?

[Traduction]

Mme Delany : Je vous remercie pour cette question. Je vais commencer par parler de certains des intérêts régionaux et de la façon dont nous dialoguons avec nos alliés, puis je céderai la parole à M. Norman pour qu’il fasse des commentaires sur certains des autres acteurs.

Je ne pourrai pas discuter en détail des intérêts particuliers qui existent dans la région. Ils sont variés, et certains d’entre eux ont trait à des liens économiques, à des engagements historiques, à l’or ou à l’agriculture et à ce genre de choses. Ces intérêts influencent certainement la façon dont les pays de la région appuient ou n’appuient pas les différentes parties. Certains pays sont très actifs à cet égard, et d’autres le sont beaucoup moins.

Nous surveillons la situation de près, et la position du Canada est que nous demandons à tous les acteurs, régionaux et internationaux, de s’abstenir de fournir un soutien précis, en particulier un soutien militaire aux Forces de soutien rapide et aux Forces armées soudanaises. À notre avis, lorsque des acteurs extérieurs fournissent un soutien à des personnes qui se livrent à la violence à l’intérieur du Soudan, cela représente un obstacle important à la paix.

Pour ce qui est de la collaboration avec nos partenaires régionaux et internationaux, nous avons notamment recours à des tribunes comme le G7 pour discuter de cette question avec nos partenaires. Les engagements relatifs à l’aide humanitaire, à l’accès humanitaire et à ce genre de choses font partie intégrante du dialogue du G7 et encouragent toutes les parties à respecter le droit international en matière de droits de la personne.

M. Norman : Si je peux continuer, par exemple, Mme Delany a parlé du G7. Le Soudan figure à l’ordre du jour du G7 depuis un certain temps, et il y a eu de nombreuses déclarations à cet égard au cours des derniers mois. La plus récente a été faite en juin, et le sommet des dirigeants a encouragé tous les acteurs soudanais à tenir un dialogue national, et pas seulement avec les belligérants. Nous avons aussi évidemment soulevé de grandes inquiétudes au sujet de la détérioration de la situation humanitaire.

La Russie est probablement l’acteur le plus visible et le plus difficile, comme en témoigne le fait qu’elle vient de s’opposer à l’appel à un cessez-le-feu du Conseil de sécurité des Nations unies, et qu’elle a été le seul pays à le faire. De plus, la Russie a déclaré publiquement qu’elle appuyait les Forces armées soudanaises et elle continue de leur offrir son soutien.

D’autres acteurs régionaux jouent un rôle à divers degrés, mais de façon beaucoup moins directe que la Russie. L’Iran, par exemple, appuie publiquement les Forces armées soudanaises.

Le Canada a travaillé avec les États-Unis et d’autres pays en vue d’appuyer les pourparlers de Genève, et nous assumerons la présidence du G7 l’an prochain. Je suis convaincu que le Soudan figurera au programme du Canada au G7. À l’heure actuelle, il est trop tôt pour dire de quelle façon nous nous y prendrons, mais nous sommes conscients que le Soudan est un élément important de ce programme.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie d’être de retour parmi nous. Comme mes collègues l’ont dit, la situation semble assez difficile, et ce conflit ne semble pas recevoir l’attention qu’il mérite. Nos experts de la Munk School disent que c’est la pire atrocité au monde en ce moment; il faut garder cela en tête.

J’aimerais aborder certains des débordements que nous pourrions voir à mesure que la situation continue de se détériorer et devient incontrôlable. Nous avons déjà vu l’influence que les milices de la mer Rouge peuvent avoir sur le commerce mondial. Selon ce que je comprends, le Soudan a un littoral de 800 kilomètres dans la mer Rouge. Je me demande qui contrôle actuellement ce territoire côtier oriental et s’il y a un risque que des seigneurs de la guerre ou d’autres entités se tournent vers des mesures comme le piratage ou autres.

M. Norman : Cette zone est fermement contrôlée par les Forces armées soudanaises. En gros, elles contrôlent l’Est et les Forces de soutien rapide contrôlent l’Ouest. C’est trop simpliste. Il y a des combats dans toutes les provinces, mais c’est à peu près cela. Les Forces armées soudanaises contrôlent la côte et le port de la mer Rouge. C’est l’une des raisons pour lesquelles la Russie en particulier et l’Iran les considèrent comme un partenaire précieux, parce qu’ils veulent avoir accès à cette côte.

Les répercussions potentielles sur l’Égypte en particulier sont très importantes. La sécurité et la stabilité de l’Égypte sont touchées par le flux de réfugiés. De nombreux réfugiés soudanais se sont dirigés vers le nord et, bien sûr, le Nil revêt une importance fondamentale et existentielle pour l’économie et la subsistance de l’Égypte.

Le Tchad est un autre pays qui a été fortement touché par le flux de réfugiés, et ces deux pays ont en quelque sorte supporté une grande partie du fardeau des réfugiés, mais le Soudan du Sud est un autre pays dont l’histoire est très difficile. Bien sûr, il a été créé à la suite de la guerre civile au Soudan. Jusqu’à présent, le Soudan du Sud n’a pas été entraîné dans le conflit, mais on s’inquiète de voir ce conflit s’étendre vers le sud. De nombreux Sud-Soudanais qui s’étaient installés au Soudan, à Khartoum, sont maintenant déplacés pour une deuxième fois. Ce cycle se poursuit.

En ce qui a trait à ce que pourraient faire les belligérants avec leur accès à la mer Rouge, tout cela est hypothétique. Il est difficile de faire un commentaire à ce sujet, mais il est vrai que leur présence et le contrôle qu’ils exercent sur le port revêtent un intérêt pour certains acteurs malveillants — comme la Russie et l’Iran —, et nous ne pouvons pas écarter la possibilité qu’il soit utilisé à d’autres fins.

La sénatrice M. Deacon : D’accord. Lorsque l’on parle des Forces armées soudanaises et du point que vous soulevez ici aujourd’hui, je comprends que la Russie et l’Iran ont tous deux demandé un port de la mer Rouge en échange d’un financement de ces forces. Dans quelle mesure ce résultat est-il réaliste? Quelle en sera l’incidence?

M. Norman : Il faudra voir. En ce moment, il y a Port-Soudan, qui est très achalandé. À l’heure actuelle, Les Forces armées soudanaises ont pris des engagements, mais on ne sait pas encore si elles les respecteront et si elles autoriseront le port.

Ce serait une entreprise et un investissement importants, et rien n’indique que le port est en cours de construction, mais nous ne pouvons pas exclure cette possibilité, surtout si le conflit perdure. À mesure que le conflit se poursuit, les Forces armées soudanaises et les Forces de soutien rapide deviendront de plus en plus dépendantes des partenaires externes et, par conséquent, seront de plus en plus ouvertes à ce genre de demandes.

La sénatrice M. Deacon : Je me demande quelle est la principale source portuaire en ce qui a trait à l’entrée et à la sortie des approvisionnements au pays et dans les sept pays frontaliers. C’est la première partie de ma question.

M. Norman : C’est...

Le président : Je suis désolé, mais nous n’avons plus de temps. Je voulais toutefois poser cette même question plus tard, alors je vais y revenir, sénatrice Deacon, si cela vous convient.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

Le sénateur Harder : Merci de témoigner à nouveau devant nous. J’aimerais que vous nous donniez quelques précisions. Quels sont les pays aux vues similaires? Qui sont les acteurs régionaux? Est-ce qu’ils font partie des pays aux vues similaires? Quel espoir y a-t-il que nous puissions au moins maintenir la situation et éviter qu’elle ne se détériore?

Je reconnais que toutes vos initiatives sont tout à fait appropriées, mais nous sommes des acteurs modestes dans cette affaire, et il faut le reconnaître. C’est formidable d’avoir une déclaration du G7, mais ce ne sera qu’une déclaration parmi tant d’autres. Je ne vous demande pas d’approuver mon désespoir, mais simplement de nous en dire un peu plus sur qui a de l’influence et sur la façon dont nous pouvons coordonner cette influence entre les acteurs aux vues similaires, les acteurs régionaux et les acteurs du G7.

Mme Delany : C’est une bonne question, mais il est difficile d’y répondre. Je vais commencer par l’exemple des pourparlers de Genève, car je pense qu’il fait état de certains des acteurs les plus influents dans cette crise particulière. Ces pourparlers et ceux de Djedda qui ont eu lieu plus tôt dans le conflit étaient dirigés par les États-Unis. Tout au long du conflit, l’un des pays les plus aptes à réunir les deux belligérants a été les États-Unis, tant à Djedda qu’à Genève, mais ils ne l’ont pas fait seuls. L’Arabie saoudite a joué un rôle dans les deux cas et a assuré très activement la médiation entre les deux parties.

La Suisse et l’Arabie saoudite ont coparrainé les pourparlers de Genève. Compte tenu de son expérience en médiation de paix, la Suisse était bien placée pour organiser un événement comme celui-là. Parmi les observateurs, il y avait l’Union africaine, dont nous avons déjà parlé, et qui s’efforce de trouver une voie à suivre. Elle cherche à trouver une solution qui soit la plus inclusive possible.

Les pourparlers de Djedda et de Genève étaient axés sur des questions de cessez-le-feu et d’accès humanitaire, et l’Union africaine cherchait des moyens de faire participer un plus grand nombre d’acteurs et de civils à ce qui pourrait éventuellement être un processus de paix ou un processus de médiation plus complet. Les Émirats arabes unis s’intéressaient aussi beaucoup au pays, tout comme l’Égypte, dont M. Norman a parlé. Les Nations unies étaient également observatrices. L’Autorité intergouvernementale pour le développement, ou IGAD, a également tenté de jouer un rôle de médiation, mais ses efforts n’ont pas porté leurs fruits en raison du grand nombre d’intervenants qui ont pris part au processus.

C’est ainsi que j’illustrerais les entités aux vues similaires qui sont les plus engagées dans la recherche d’une solution positive. D’autres ont exprimé le désir de participer à la médiation, comme le Kenya, par exemple. L’un des défis consiste à savoir combien d’acteurs il y a.

M. Norman : Pour poursuivre dans la même veine — et je ne veux pas être trop pessimiste —, l’effet de levier est limité parce que les belligérants sont tellement déterminés à obtenir un résultat militaire qu’ils n’ont montré aucun signe d’écoute.

Malheureusement, il ne semble pas manquer d’acteurs — dont certains ne sont pas des États — disposés à leur fournir des armes pour poursuivre leur conflit. Ce n’est pas comme si ces forces dépendaient d’une ou deux personnes, et même si c’était le cas, elles pourraient probablement se tourner vers quelqu’un d’autre.

C’est en partie la raison pour laquelle le Canada s’est concentré sur deux objectifs. Premièrement, il faut veiller à ce qu’il y ait au moins un espace pour les acteurs non belligérants, car une solution politique légitime et durable ne se limitera pas à un cessez-le-feu entre les deux forces. Il faut un groupe représentatif de Soudanais. Deuxièmement, il faut assurer l’accès humanitaire. Je pense que nous tentons de garder l’espace ouvert à l’accès humanitaire et de faire valoir la protection des civils, mais c’est difficile.

Le président : Merci, monsieur Norman.

Le sénateur Al Zaibak : Je dois dire que je suis assez impressionné par la profondeur et l’étendue des efforts du Canada au Soudan, et je suis surpris de voir que ces initiatives ne sont peut-être pas bien connues du public. Malgré certaines critiques et des revendications pour le Canada en fasse plus, j’espère que ces initiatives et ces efforts pourront avoir une incidence significative sur le terrain. Je tiens donc à vous remercier, vous et vos collègues qui participez à ces initiatives, pour votre travail et votre dévouement dans le cadre de ces efforts.

Ma question est la suivante : quelles autres mesures le Canada prend-il pour mettre fin au conflit au Soudan, et comment décrirez-vous la situation relative à ces efforts?

Mme Delany : Je vous remercie pour votre question. Lorsque l’on pense à la façon dont le Soudan en est arrivé là où il en est aujourd’hui, on constate que c’est attribuable à la difficulté pour le pays d’avoir un régime démocratique véritablement civil.

En 2019, on avait espoir que la révolution de l’époque mènerait à un véritable changement après une longue et très sombre période pour le pays. Malheureusement, le coup d’État de 2021 a anéanti cet espoir et, plus récemment, la guerre a rendu les choses encore plus difficiles. Je parle de cela parce que c’est pertinent pour ce que nous voyons comme une valeur ajoutée pour le Canada, c’est-à-dire l’engagement avec les acteurs civils pour veiller à ce que le cessez-le-feu et le processus de paix ne visent pas uniquement la médiation entre deux belligérants qui ont mené le pays là où il en est aujourd’hui. Nous pensons qu’il est aussi important de faire la distinction entre les deux belligérants. Il s’agit vraiment d’une lutte entre les Forces de soutien rapide et les Forces armées soudanaises.

Il est vrai que d’autres groupes sont impliqués, mais il ne s’agit pas d’une lutte entre civils, qui sont, dans une grande mesure, les victimes de l’oppression de longue date au Soudan. En appuyant le processus de paix — et je vais laisser Mme Moore en parler un peu plus — et en renforçant les capacités des femmes, des défenseurs des droits de la personne, des artisans de la paix, des acteurs et des dirigeants civils qui tentent de réfléchir avec les militants civils du pays à ce que pourrait être le processus de paix et à la façon dont ils peuvent l’influencer, et en faisant ce travail maintenant, nous espérons que lorsqu’il y aura une ouverture au dialogue sur une véritable paix et une cessation de la violence, les civils pourront y contribuer d’une manière à favoriser la paix et la stabilité au Soudan.

Mme Moore : J’ajouterais simplement qu’en plus des exemples que j’ai mentionnés plus tôt, nous finançons une série d’organisations différentes. J’ai fourni un exemple. Dans le cadre d’autres projets, nous finançons des organisations de la société civile soudanaise pour qu’elles puissent se faire entendre auprès de l’Union africaine et des Nations unies. Nous finançons de nombreuses organisations dans cet espace.

Nous renforçons également les capacités par l’entremise de certains projets et organismes sur le terrain, où nous aidons les organisations locales à créer des comités de paix afin de recueillir les points de vue, encore une fois, dans le but de pouvoir s’exprimer si et quand il y a un processus de paix quelconque.

Par ailleurs, nous nous efforçons d’assurer la protection de certaines de ces personnes. L’un des risques pour les personnes qui participent aux processus de paix et les défenseurs des droits de la personne, c’est qu’ils risquent leur vie pour faire ce genre de travail. Nous finançons des organisations qui accordent de petites subventions à certains de ces défenseurs des droits de la personne afin de leur fournir des conseils ou du soutien très précis en matière d’outils de communication, de sorte qu’ils puissent communiquer de manière plus sécuritaire et s’installer dans des lieux plus sûrs.

Ce sont là quelques exemples de ce que nous faisons en arrière-plan, pour ainsi dire, mais c’est un travail que nous pouvons reconnaître publiquement et qui se trouve dans l’espace public pour soutenir ces efforts. Je vous remercie.

Le président : Merci.

Je vais essayer d’intégrer une petite partie de la question de la sénatrice Deacon dans la réponse que M. Norman a donnée à la question du sénateur Harder, mais je vais l’élargir un peu.

Du point de vue humanitaire, la question est de savoir comment acheminer l’aide. Tous les pays donateurs travaillent avec divers organismes des Nations unies et d’autres agences afin de garantir que les meilleurs efforts possible sont déployés, si cela va au-delà d’un dialogue des pays du G7, et je reconnais que le Soudan est à l’ordre du jour depuis longtemps, même lorsque j’étais encore actif dans l’autre monde.

Y a-t-il un effort concerté, compte tenu du niveau de cette catastrophe au sein du Comité d’aide au développement de l’Organisation de la coopération et du développement économiques, ou OCDE, pour assurer une coordination avec les principaux donateurs? Certains grands donateurs ne sont pas nécessairement membres du G7. Des efforts sont-ils déployés pour acheminer l’aide humanitaire?

Mme Delany : Merci, monsieur le président. Je vais céder la parole à Mme Desloges pour qu’elle réponde à la question sur l’aide humanitaire.

Julie Desloges, directrice adjointe, Direction de l’aide humanitaire internationale, Affaires mondiales Canada : Merci. Je peux parler de certains des défis auxquels nous sommes confrontés.

Plusieurs efforts de coordination sont en cours, que ce soit sur le terrain avec les acteurs que nous soutenons ou le système des Nations unies, mais aussi le Comité international de la Croix-Rouge qui travaille avec les parties au conflit pour négocier l’accès. Nous soutenons également les acteurs humanitaires de la société civile qui participent à ces efforts de coordination.

Je tiens à souligner qu’il ne s’agit pas seulement d’acheminer des fournitures, mais aussi de les distribuer dans le pays, et la frontière d’Adré est un point d’entrée. L’un des enjeux à l’heure actuelle est d’essayer d’ouvrir d’autres passages frontaliers, non seulement à partir du Tchad, mais aussi dans le Soudan du Sud. La communauté des Nations unies déploie également des efforts en ce sens.

L’autre est l’aide à la frontière, qui est très importante pour pouvoir acheminer des fournitures et des marchandises des zones contrôlées par les FSR à des zones contrôlées par les FAS, et vice versa.

Nous avons participé à ces efforts, et je pense que je vais céder la parole à Mme Delany.

Mme Delany : Il y a également une coordination pour promouvoir l’accès humanitaire. Il y a notamment l’exemple d’une lettre envoyée en octobre 2023 au gouvernement soudanais par des pays aux vues similaires — le Royaume-Uni, les pays de l’Union européenne, les États-Unis et d’autres — afin de lever les obstacles bureaucratiques et administratifs. Plus précisément, le gouvernement du Soudan est les FAS, et l’un des défis pour l’accès humanitaire est donc le dédouanement et les visas pour les travailleurs humanitaires. Nous plaidons continuellement pour que le gouvernement lève ces obstacles bureaucratiques.

Puis, en octobre 2024, nos donateurs conjoints ont également publié une déclaration à l’intention des deux parties pour faciliter l’accès transfrontalier et l’accès au passage frontalier. Je pense que c’est une situation très difficile, et tout ce que nous pouvons faire, c’est préconiser et continuer à utiliser les mécanismes de coordination humanitaire qui sont bien établis au Soudan et ailleurs dans le monde en ce qui concerne la manière dont les acteurs humanitaires procèdent. Mais dans un environnement où les deux belligérants ne sont pas très coopératifs, il est difficile d’avoir une réelle influence.

Le président : En quelques secondes, pouvez-vous me dire combien de personnes sont affectées à notre mission à Addis-Abeba et qui se consacrent aux questions humanitaires?

Mme Delany : Pour le Soudan, nous avons un agent responsable de la politique étrangère et un agent responsable du développement qui s’occupera également de l’aide humanitaire. Nous embauchons également du personnel local.

Le président : C’est donc une petite empreinte à cet égard. Merci. Est-ce que d’autres sénateurs aimeraient poser une question au premier tour? Si personne ne veut prendre la parole, nous allons passer à la deuxième série de questions.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je voulais juste revenir sur la collaboration avec l’ONU, parce qu’en décembre de l’année dernière, à la demande des autorités soudanaises, le Conseil de sécurité a mis fin à la mission politique de l’ONU. Dans sa résolution, le conseil réclamait la fin des hostilités, c’est-à-dire que le conseil était alarmé par la poursuite de la violence, la situation humanitaire et les graves violations des droits. Après ce départ, est-ce que vous continuez toujours à collaborer avec l’ONU? De quelle manière le Canada a-t-il poursuivi sa mise en œuvre dans un processus politique viable?

[Traduction]

Mme Delany : La plus récente nouveauté est la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, à laquelle la Russie a opposé son veto, qui réclamait un cessez-le-feu et la protection des civils. Cela préoccupe particulièrement le Canada. Un veto au Conseil de sécurité des Nations unies déclenche un débat à l’Assemblée générale des Nations unies. Le Canada prévoit d’y participer et demandera vraisemblablement le respect du droit humanitaire international et la protection des civils. Notre mission à New York est très active pour discuter du Soudan aux Nations unies et, dans ce contexte, se tient au courant de ce qui se passe au Conseil de sécurité des Nations unies et des rapports du Secrétaire général dans lesquels il exprime une préoccupation croissante concernant la situation dans ce pays et les violations des droits de la personne. Elle utilise également nos moyens, tels que l’Assemblée générale des Nations unies, pour exprimer les points de vue canadiens sur la situation.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci. Et avec le dialogue récent à Toronto et la nomination des deux envoyés spéciaux, est-ce que vous avez déjà une date pour ce qui est de la décision de nommer ces envoyés? Est-ce qu’ils seront aussi responsables du Soudan?

[Traduction]

Mme Delany : Merci, sénatrice. Nous sommes très heureux de l’annonce d’un envoyé spécial canadien pour l’Afrique et d’un envoyé spécial canadien pour le Sahel. Je n’ai pas de date pour cela — il y aura un processus des ressources humaines lié aux nominations pour ces postes ainsi qu’une décision d’ordre politique.

[Français]

La sénatrice Gerba : Est-ce qu’ils seront responsables du Soudan en particulier?

[Traduction]

Mme Delany : Je pense que l’envoyé spécial pour l’Afrique sera responsable de l’ensemble du continent. Au moment de la nomination de cette personne, nous devrons voir comment nous voulons prioriser et structurer son travail. Nous avons aussi, bien entendu, notre représentant pour le Soudan basé à Addis-Abeba qui a une responsabilité précise pour le Soudan et qui doit représenter le Canada au Soudan.

[Français]

Le président : Vous avez encore une minute, si vous voulez.

La sénatrice Gerba : Merci, c’est très apprécié. Je pense qu’on a abordé tous les sujets. Au sein de ce comité, nous avons à plusieurs reprises abordé le Programme mondial sur les femmes, la paix et la sécurité. Nous avons par ailleurs reçu Jacqueline O’Neill, qui nous a parlé des grandes ambitions du Canada en la matière. Le programme compte plusieurs objectifs; pour chacun de ces objectifs, et plus particulièrement dans le contexte du conflit au Soudan, comment décririez-vous cette crise en ce moment par rapport au Programme mondial sur les femmes, la paix et la sécurité?

[Traduction]

Mme Delany : La situation concernant les femmes, la paix et la sécurité est grave. L’un des avantages d’avoir l’ambassadrice pour les femmes, la paix et la sécurité — je pense qu’elle en a parlé lorsque nous étions ici il y a environ un mois — est que, dans le cadre d’un effort mené par les États-Unis en marge des pourparlers de Genève, un engagement précis a été pris avec des femmes bâtisseuses de paix et des défenseurs des droits de la personne. Encore une fois, c’est un autre secteur où le fait d’avoir une ambassadrice pour les femmes, la paix et la sécurité nous donne l’occasion d’influencer réellement ce dialogue et de soutenir les femmes pour qu’elles soient mobilisées dans le domaine de la médiation.

Je pense que, d’une manière générale, la situation de la violence sexuelle et fondée sur le genre découlant de ce conflit est grave. Les médias ont beaucoup parlé de l’utilisation très répandue, par les deux parties au conflit, de la violence sexuelle comme outil de guerre. Nous pourrions planifier d’aborder le sujet plus en détail — nous pourrions tous les trois en parler — en ce qui concerne l’approche du Canada pour tenter de résoudre ce problème particulier.

Le président : Je vous remercie.

La sénatrice Coyle : Il y a quelques semaines, nous avons reçu la visite de l’ancien sénateur Roméo Dallaire. Il a parlé avec certains d’entre nous de ce que nous avons évoqué : la situation désastreuse et dangereuse, en particulier pour les civils, la violence sexuelle et le fait que tout le monde veut protéger les civils, mais qu’il n’y a pas de volonté politique à l’heure actuelle d’avoir une force de maintien de la paix typique à laquelle nous pourrions penser. Il y a un certain nombre d’idées novatrices qui ont été lancées pour avoir une force de protection multinationale plus souple, peut-être une force de protection dirigée par l’Union africaine, avec des troupes fournies par les pays volontaires pour protéger ces civils. Pouvez-vous nous dire si des mesures ont été prises à cet égard? Quel est le rôle du Canada dans tout cela? Nous aimerions savoir si ces démarches ont abouti à quelque chose et ce qui pourrait être fait pour faire avancer les choses.

M. Norman : Je voudrais présenter un scénario un peu plus optimiste. Une partie du défi, bien sûr, est que les Nations unies, comme nous l’avons entendu plus tôt, ont été essentiellement retirées du Soudan à la demande des FAS.

L’envoyé personnel du Secrétaire général des Nations unies pour le Soudan, Ramtane Lamamra, a pour tâche principale de formuler des recommandations sur la protection des civils, en collaboration avec d’autres groupes régionaux comme l’Autorité intergouvernementale pour le développement et l’Union africaine. Le problème est que la dynamique géopolitique est telle — et nous venons de le voir avec le veto russe — que le Conseil de sécurité des Nations unies doit autoriser une mission de maintien de la paix en vertu du chapitre VII. Cela ne se produira pas à court terme, étant donné le point de vue de la Russie. Par ailleurs, le pays hôte doit donner son accord. Le dirigeant des FAS a déjà déclaré qu’il s’opposerait physiquement à toute force d’intervention extérieure. Cela a mis des bâtons dans les roues à ceux qui souhaitent tenter de participer de l’extérieur.

L’Union africaine a suspendu le gouvernement soudanais et ne l’a pas réintégré depuis 2021. Elle continue de discuter avec les belligérants, tout comme l’Autorité intergouvernementale pour le développement, mais pour le moment, personne n’a été en mesure d’obtenir un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies ou d’avoir une indication quelconque que les belligérants n’accueilleraient pas cette force avec violence.

En ce moment, nous avons de bonnes idées, et le Canada est certainement intéressé à essayer de participer à tout ce qui est viable, mais compte tenu de cette dynamique, l’optimisme qu’une intervention ait lieu dans un avenir rapproché n’est pas partagé.

Mme Moore : Merci, sénatrice. Je voudrais simplement ajouter que le contexte, comme M. Norman l’a expliqué, n’est pas particulièrement optimiste. Toutefois, dans toutes les tribunes, que ce soit à l’Assemblée générale des Nations unies ou d’autres discussions sur le Soudan, la protection des civils et la lutte contre la violence fondée sur le genre ou contre la violence sexuelle liée au conflit sont de grandes priorités pour le Canada. Nous militons vigoureusement pour que ces enjeux soient abordés, que ce soit dans le cadre d’un dialogue humanitaire, d’un dialogue sur le développement ou d’un dialogue sur la paix et la sécurité. Nous offrons un soutien financier par l’entremise de tous nos programmes d’affaires étrangères à ces enjeux dans l’espace que M. Norman a décrit, ce qui est très difficile.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie.

Le sénateur Harder : Je voulais poursuivre sur les questions humanitaires. Je m’intéresse au travail qui est fait avec ces réfugiés à l’extérieur du territoire et à l’évolution des interventions de consolidation de la paix et de l’aide humanitaire. Y a-t-il au moins un plus grand espoir avec cette cohorte ou y a‑t‑il toujours une grande division?

Mme Delany : Je vais peut-être expliquer comment, de façon générale, nous voyons la région, puis je fournirai les détails sur l’aide humanitaire apportée aux voisins de la région.

Je pense que la raison pour laquelle ce sujet est si important est qu’il y a des risques pour la région. C’est un environnement assez fragile dans lequel les pays voisins sont confrontés à un certain nombre de défis liés à la fragilité et à la stabilité qui ne sont qu’exacerbés lorsqu’ils se heurtent aux types de problèmes actuels. Citons notamment la circulation d’armes dans le Soudan du Sud et au Tchad, ainsi que le nombre important de réfugiés.

Pour un pays comme le Soudan du Sud, nous avons un peu abordé la question. C’est un pays qui a connu de multiples guerres civiles depuis qu’il a obtenu son indépendance du Soudan en 2011. Les pressions exercées par les flux de réfugiés — je ne sais pas si nous pouvons les appeler des « réfugiés » car bon nombre d’entre eux sont en fait des citoyens sud-soudanais qui se trouvaient au Soudan pour fuir les guerres dans le sud. Ils ont dû y retourner sans nécessairement disposer de beaucoup de ressources, ce qui met à rude épreuve les systèmes existants.

De plus, en ce qui concerne les divisions qui existent au Soudan, comme nous le savons tous, les frontières ne sont pas fermes, si bien que les influences, les préoccupations et les alliances qui existent au Soudan se répercutent également de l’autre côté de la frontière, dans les autres pays. Je pense que les effets potentiels d’un conflit prolongé au Soudan sur les pays voisins sont plus préoccupants qu’optimistes.

Mme Desloges : Compte tenu du nombre considérable de personnes qui sont arrivées dans ces pays voisins qui étaient déjà confrontées à leur propre situation humanitaire, que ce soit le Tchad, le Soudan du Sud ou l’Éthiopie, nous assistons maintenant à des déplacements secondaires vers la Libye et l’Ouganda. Plus de 180 000 personnes sont arrivées en Libye et 61 000 en Ouganda. On s’attend à ce qu’il y en ait d’autres. Au Tchad, une crise complexe existait déjà à plusieurs endroits, et 716 000 personnes sont déjà arrivées dans l’est du pays.

Les défis sont nombreux. De toute évidence, la communauté humanitaire a adapté sa réponse. Elle a augmenté le nombre d’abris et les moyens de transport. Il est parfois très difficile d’accéder à ces régions. Il y a eu des inondations massives dans toute la région. Cela a rendu l’accès encore plus difficile. Des efforts considérables sont déployés pour transporter les nouveaux arrivants de leur point d’arrivée initial à la frontière vers des zones plus sûres situées un peu plus loin. La santé est également une préoccupation importante : la propagation de pandémies en raison du surpeuplement, que ce soit dans les camps ou dans les communautés d’accueil, qui ont également besoin d’être soutenus. Nous avons constaté des inquiétudes concernant des épidémies de choléra en provenance du Soudan dans ces régions également.

Le président : Je vous remercie. Chers collègues, cela fait réfléchir. C’est une grande tragédie qui se poursuit au Soudan. Je donnerai mon avis en tant que président mais aussi en tant que personne qui possède une certaine expérience sur ces questions.

Un sommet a eu lieu il y a longtemps — je pense que c’était le G7 ou peut-être le G8 — à Kananaskis. M. Chrétien était le premier ministre à l’époque, et une stratégie du G7 a été élaborée pour l’Afrique. Le Canada a fait preuve de beaucoup de leadership à l’époque. Un autre sommet se déroulera à Kananaskis en juin. Ce serait aussi une occasion pour le Canada d’exercer des pressions, non seulement auprès des dirigeants, mais aussi lors des réunions ministérielles qui auront lieu. Je vous encourage à insister et à persévérer car il s’agit d’une question mondiale très importante qui est trop souvent négligée de nos jours.

Au nom du comité, j’aimerais remercier Caroline Delany, Giles Norman, Pamela Moore et Julie Desloges d’être de très bons témoins aujourd’hui et de répondre à nos questions. Je suis désolé mais je pense que vous reviendrez nous voir pour aborder cet important sujet.

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous sommes maintenant prêts à ce qu’on nous expose la situation au Myanmar. Nous avons le plaisir d’accueillir les témoins suivants d’Affaires mondiales Canada : Weldon Epp, sous-ministre adjoint, Indo-Pacifique, Julanar Green, directrice, Direction II, Asie du Sud-Est, Louise Corbin, directrice adjointe, Myanmar, Direction II, Asie du Sud-Est, et Jane Palmer, directrice adjointe, Direction de l’Asie du Sud.

Merci de prendre le temps d’être avec nous aujourd’hui. Nous sommes maintenant prêts à entendre vos déclarations liminaires qui, comme d’habitude, seront suivies des questions des sénateurs.

Monsieur Epp, vous avez la parole.

[Français]

Weldon Epp, sous-ministre adjoint, Indo-Pacifique, Affaires mondiales Canada : Merci, monsieur le président. Honorables sénateurs, mesdames et messieurs les membres du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, je vous remercie de nous avoir invités à présenter une mise à jour de la situation au Myanmar, y compris les répercussions dévastatrices du coup d’État militaire de 2021 et la situation critique des Rohingyas, de même que la réponse du Canada face à ces crises interconnectées.

[Traduction]

Je vais commencer par expliquer au comité pourquoi cette situation est considérée comme une double crise. En août 2017, l’armée du Myanmar a lancé une brutale campagne de violence contre la minorité rohingya. Les massacres, les viols à grande échelle et les incendies volontaires ont tué près de 7 000 civils et ils ont provoqué un exode des Rohingyas du Myanmar. Plus de 770 000 d’entre eux se sont réfugiés au pays voisin du Bangladesh.

Ces actions ont suivi des décennies de discrimination systémique, de persécution et de déni des droits, et cette situation perdure. À l’heure actuelle, les Rohingyas forment le plus grand groupe d’apatrides au monde. Plus d’un million de réfugiés rohingyas vivent dans des conditions dangereuses au Bangladesh, avec peu d’espoir pour l’avenir.

En 2020, le Myanmar a organisé des élections, mais en février 2021, les forces armées ont renversé le gouvernement civil et elles ont mis sur pied le Conseil d’administration de l’État. Elles ont arrêté des dirigeants de la société civile, des manifestants, des journalistes et des militants prodémocratie. Leurs actions ont renversé la transition très fragile vers la démocratie qui s’opérait, ainsi que les efforts visant à mettre fin à la crise des Rohingyas.

Leurs actions constituent également un obstacle majeur au retour sûr, volontaire et durable des réfugiés rohingyas, en plus d’aggraver les difficultés que vivent tant les Rohingyas qui sont restés au Myanmar que ceux qui ont fui vers le Bangladesh. Depuis, le régime militaire n’a pas changé de cap, bien qu’il perde du terrain. À la place, il intensifie les attaques qu’il lance au hasard et il commet des violations flagrantes et systémiques des droits de la personne et du droit international dans le but de garder le contrôle et d’écraser la résistance partout au pays.

Le régime persiste malgré les condamnations de la communauté internationale, les appels répétés pour mettre fin à la violence et les efforts diplomatiques, notamment ceux déployés par l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, ou l’ANASE, dans le but d’engager un dialogue inclusif sur la paix avec le régime.

Depuis le coup d’État, une résistance active se répand au pays. Des forces de défense populaires mènent des combats de type guérilla contre le régime, et des groupes prodémocratie comme le Conseil consultatif d’unité nationale et le Gouvernement d’unité nationale s’opposent au régime.

Les conflits entre les organisations ethniques armées et le régime — conflits qui durent depuis des décennies — se poursuivent. À mesure que le régime perd du terrain, ses ripostes gagnent en intensité et en violence. De plus en plus de civils — rohingyas et autres — traversent la frontière pour fuir le conflit et chercher refuge dans les pays voisins. À quelques exceptions près, l’asile leur est refusé.

Maintenant, je vais parler de la réponse du Canada.

[Français]

Depuis 2017, le Canada a joué un rôle de premier plan dans la réponse aux crises touchant le Myanmar et les Rohingyas en s’attaquant à la cause profonde au moyen d’une stratégie en deux phases. Le Canada a fourni plus de 600 millions de dollars en aide internationale pour renforcer la résilience des populations à risque et affectées par le conflit au Myanmar, ainsi que des réfugiés et des communautés d’accueil au Bangladesh. Nous continuons de fournir une aide humanitaire vitale aux Rohingyas et aux populations vulnérables affectées par la crise au Myanmar. Le Canada a condamné sans équivoque le coup d’État militaire et a appelé à une cessation immédiate des violences, à un accès humanitaire sans restrictions et à l’arrêt de fourniture d’armes et de ressources permettant de soutenir les violations flagrantes commises par le régime. Le Canada a accru la pression sur les régimes du Myanmar par le biais de six séries de sanctions ciblées et coordonnées à l’endroit de personnes et d’entités associées au régime. Nous nous engageons activement, par des voies diplomatiques bilatérales et multilatérales, à faire pression sur le régime du Myanmar pour qu’il se conforme au plan d’action de l’ANASE appelé le Consensus en cinq points.

Le Canada soutient également les efforts des Nations unies visant à promouvoir des solutions durables pour le Myanmar, les Rohingyas et l’ensemble de la région.

[Traduction]

Finalement, j’aimerais parler brièvement de l’importance du Myanmar.

La situation au Myanmar revêt une importance capitale pour la paix et la stabilité dans la région. C’est sans doute le plus grand conflit armé dans toute la région indo-pacifique. Il a débordé dans les pays voisins, y compris ceux qui hébergent des réfugiés déplacés contre leur gré. De plus, le pays est considéré depuis longtemps comme une plaque tournante du crime international, de la production de drogues illicites, des centres d’escroquerie en ligne et du blanchiment d’argent.

Non seulement ces problèmes prennent de l’ampleur, mais ils ne se limitent plus à la région; ils deviennent des problèmes d’envergure mondiale. Ils toucheront de plus en plus la population canadienne.

Le Myanmar est un pays riche en ressources naturelles, dont les pierres précieuses, les minéraux critiques, le bois d’œuvre et les terres rares. Ces ressources sont importantes, tant pour une trajectoire négative que pour une trajectoire potentiellement positive pour l’avenir. À l’heure actuelle, toutes sortes de groupes les exploitent à des fins criminelles pour soutenir le conflit; or l’avenir du Myanmar pourrait suivre une autre voie.

En tant que pays membre de l’ANASE, le Myanmar met vraiment à l’épreuve l’unité diplomatique de l’association. C’est l’épreuve la plus difficile que l’ANASE a jamais eu à surmonter. Le conflit déstabilise la région, et l’instabilité est à la hausse. En 2024, il s’est classé au troisième rang des conflits mortels, selon l’indice des conflits armés. Le pays se dirige vers l’échec, l’effondrement économique et, par conséquent, l’aggravation de la crise humanitaire.

Le mois dernier, à l’Assemblée générale des Nations unies, le rapporteur spécial Tom Andrews a déclaré que le Myanmar est devenu invisible. La majorité du monde ignore ce qui s’y passe. Malheureusement, mais avec raison, la communauté internationale a tourné son attention vers une myriade d’autres crises mondiales.

Au nom d’Affaires mondiales Canada, je remercie le comité pour l’attention et le temps qu’il consacre à ce dossier d’importance capitale.

Le Canada, le gouvernement du Canada et la population canadienne sont toujours résolus à soutenir la population du Myanmar, à dialoguer avec les forces prodémocratie et à renforcer la coopération avec les autres États pour donner aux gens du Myanmar, y compris les Rohingyas, la possibilité de vivre dans la paix au sein d’une société démocratique inclusive.

Je vais conclure en disant que je suis accompagné de collègues remarquables, dont certains ont servi au Myanmar, ont travaillé à maintes reprises sur le Myanmar ou ont assumé des fonctions pour le Myanmar depuis les pays voisins. Si le président le permet, je ferai aussi appel à leur expertise pour répondre à vos questions.

Merci.

Le président : Merci, monsieur Epp. Non seulement je le permets, mais je vous encourage à le faire.

[Français]

Honorables sénateurs, j’aimerais préciser que vous disposez d’un maximum de quatre minutes pour la première ronde, y compris les questions et les réponses.

[Traduction]

Je vous prie d’être concis dans vos questions et vos préambules, et j’encourage les témoins à faire de même dans leurs réponses.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci pour la mise à jour sur la situation au Myanmar. Selon le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme au Myanmar, la Chine est l’un des plus importants fournisseurs d’armes pour la junte, avec la Russie. Pourriez-vous nous expliquer les objectifs de la Chine dans ce conflit au Myanmar? Comment pourrait-elle participer à sa résolution?

M. Epp : D’abord, merci beaucoup pour la question. C’est une question très importante. La Chine joue un rôle clé, comme pays voisin et comme puissance dans la région.

[Traduction]

Je dirais que la situation actuelle au Myanmar pose plusieurs défis peut-être inattendus à la Chine.

La Chine a fait des investissements majeurs au Myanmar, notamment dans les infrastructures. C’est l’un des plus grands investisseurs au pays. Toutefois, la gestion transfrontalière lui pose des problèmes depuis longtemps. La Chine parie sur la stabilité de l’administration centrale du Myanmar.

Or depuis un an, avec l’intensification des conflits civils dans plusieurs régions et par différentes voies, ce pari est de plus en plus difficile à gagner.

Le gouvernement chinois garde l’espoir que les autorités à Naypyidaw reprendront le contrôle du pays et le pouvoir de l’administration centrale. On s’attend à ce que la Chine continue à tenter de soutenir la stabilisation au moyen de l’établissement d’un gouvernement central. De son point de vue, les élections potentielles à venir — qu’elles soient réelles ou truquées — pourraient entraîner la stabilisation de l’autorité centrale; ce sera donc son objectif, et ses ventes d’armes soutiendront les efforts en ce sens.

La Chine s’oppose toujours à l’idée — elle l’a répété hier à l’ONU — que la situation au Myanmar représente un enjeu pour le Conseil de sécurité de l’ONU et une menace pour la sécurité transnationale ou internationale.

Le Canada et la majorité des autres pays — dont la plupart de nos partenaires dans la région — ne sont pas du même avis. Ce n’est manifestement plus strictement un problème civil d’envergure nationale; c’est aussi un problème transfrontalier. Franchement, ce problème a aussi des répercussions sur la Chine, dont une augmentation de la criminalité, une multiplication des centres d’escroquerie, et cetera.

On ne s’attend pas à ce que la Chine change sa position, mais d’après moi, elle continuera de vendre des armes au régime. Les actions de la Chine, son ardeur et son intérêt à l’égard du Myanmar montrent qu’elle a perdu le contrôle de la situation à la frontière.

Le sénateur MacDonald : Compte tenu des difficultés constantes que connaît la junte militaire du Myanmar et les répercussions importantes d’événements comme l’opération 1027, comment Affaires mondiales Canada collabore-t-il avec les acteurs régionaux, dont l’ANASE et d’autres partenaires, pour favoriser la stabilité et soutenir les efforts en vue d’une résolution pacifique de la crise au Myanmar, tout en assurant la sécurité globale dans la région indo‑pacifique?

M. Epp : Merci pour la question. Je vais faire quelques commentaires généraux, puis je demanderai à mes collègues d’ajouter des détails.

Je dirais que les déplacements et les travaux suivent deux ou trois axes principaux. Affaires mondiales Canada travaille depuis plusieurs années maintenant sur la reddition de comptes par l’intermédiaire de plusieurs voies diplomatiques. Nous participons à des processus menés par la Cour pénale internationale et la Cour internationale de justice, ainsi qu’à un mécanisme qui recueille des éléments de preuve pour des procès éventuels, le Mécanisme d’enquête indépendant pour le Myanmar. Nous pouvons vous donner plus de détails là-dessus.

Nous fournissons également des fonds de soutien et nous dirigeons des actions diplomatiques. De plus, par le truchement de l’ambassadeur Rae auprès des Nations unies, le Canada préside le Groupe des amis sur le Myanmar. Il organise régulièrement des séances pour veiller à ce que les Nations unies ne relèguent pas le Myanmar à l’arrière-plan.

Nous offrons aussi du financement par l’intermédiaire du Programme pour la stabilisation et les opérations de paix, ou le PSOP, d’Affaires mondiales Canada. Les sénateurs connaissent peut-être ce programme, qui vise à soutenir les efforts de gouvernance. Il comprend un fonds multidonateurs actuellement présidé par l’ambassadeur du Canada au Myanmar. Nous participons à un certain nombre d’efforts liés à la reddition de comptes.

Ensuite, nous fournissons de l’aide humanitaire, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Nous continuons à offrir du soutien ponctuel et du soutien à long terme au moyen d’outils gérés par Affaires mondiales Canada. Nous soutenons notamment les Rohingyas qui se trouvent au Bangladesh, une situation qui requiert de l’aide à long terme.

Le dernier élément que je vais mentionner, ce sont les actions diplomatiques. Dans le cadre de la Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique, le gouvernement a augmenté les ressources afin de déployer plus de personnel sur le terrain, particulièrement en Asie du Sud-Est. Nous acceptons le fait que la solution à la situation au Myanmar doit venir à la fois du Myanmar et de la région.

En toute humilité, il faut reconnaître qu’il y a des limites à ce que nous pouvons faire depuis Ottawa et depuis le Canada pour faire bouger les choses. Nous devons continuer à collaborer étroitement avec nos collègues des pays de l’ANASE qui sont saisis de la question, et c’est ce que nous faisons.

Je suis le haut fonctionnaire qui représente le gouvernement du Canada auprès de l’ANASE. À chaque réunion, je demande une évaluation. Quel est son pronostic? Quelles occasions y a-t-il de dialoguer? L’Indonésie, entre autres, a organisé des discussions récemment. Malheureusement, l’administration de Naypyidaw n’y a pas participé. C’était la première fois que les diverses organisations ethniques armées — le Gouvernement d’unité nationale et d’autres — se rencontraient.

Nous devons continuer à soutenir nos homologues de l’ANASE, ainsi qu’à pousser pour que ce dossier demeure au premier plan.

Avez-vous des détails à ajouter sur d’autres éléments de notre boîte à outils?

Le président : Malheureusement, le temps imparti tire à sa fin.

Le sénateur MacDonald : Vous êtes manifestement versé dans ce sujet.

En 2022, Affaires mondiales Canada a annoncé qu’on nommerait un envoyé spécial. Allons-nous le faire? Deux ans se sont écoulés depuis.

M. Epp : Dans l’immédiat, on n’a pas l’intention de nommer un envoyé spécial, mais la possibilité n’est pas exclue.

Le rôle d’un envoyé spécial était particulièrement important au début de la crise, après le coup. C’était une période occupée. Il y avait beaucoup de réunions. Il fallait que le Canada soit représenté.

Je dirais que le Canada est toujours très bien représenté, y compris aux Nations unies, et c’est là que beaucoup de choses se passent.

Nous n’excluons pas la possibilité que le gouvernement décide qu’il est nécessaire de nommer un envoyé spécial, mais en attendant, nous ne voulons pas non plus nuire à l’excellent travail réalisé par nos ambassadeurs. S’il faut des envoyés spéciaux pour soutenir un processus de paix ou des efforts multidonateurs, je pense que le gouvernement députera quelqu’un qui joue déjà ce rôle ou nommera quelqu’un, mais dans l’immédiat, ce n’est pas nécessaire.

Le président : Merci.

La sénatrice Coyle : Je vais tourner nos regards vers un autre pays, sans perdre de vue les Rohingyas. Je m’interroge sur la situation au Bangladesh. J’ai eu la chance de rencontrer un vieil ami et collègue à la COP la semaine dernière, le prix Nobel Muhammad Yunus. En tant que chef du gouvernement intérimaire du Bangladesh, il a beaucoup de pain sur la planche pour rétablir la stabilité au Bangladesh.

Il a également beaucoup de pain sur la planche parce que, comme vous l’avez dit, le Bangladesh héberge près d’un million de réfugiés, je crois, du Myanmar.

Pouvez-vous faire le point sur la situation des Rohingyas qui vivent dans les camps de réfugiés et ailleurs au Bangladesh? La situation d’instabilité qui règne actuellement au Bangladesh a‑t‑elle des répercussions sur eux? Je m’interroge là-dessus.

Jane Palmer, directrice adjointe, Direction de l’Asie du Sud, Affaires mondiales Canada : Merci beaucoup pour la question. Nous reconnaissons l’immense générosité du Bangladesh, qui héberge plus d’un million de réfugiés depuis 2017, et d’autres réfugiés continuent de traverser la frontière.

Le gouvernement intérimaire dirigé par Muhammad Yunus s’est engagé à appuyer la réponse à la situation des Rohingyas. Chaque fois que l’occasion se présente, il demande aux donateurs et à d’autres de l’aider à gérer et à soutenir cette énorme population.

En même temps, comme vous l’avez souligné, le Bangladesh fait aussi face à ses propres difficultés. Au début de la révolution, la situation avait des répercussions sur les camps de réfugiés, mais aujourd’hui, les choses sont revenues plus ou moins à la normale.

En reconnaissance du fait que c’est un enjeu très important pour le Bangladesh, le gouvernement a annoncé cette semaine la nomination d’un haut représentant spécial qui travaillera spécifiquement sur les questions liées aux Rohingyas. Il assumera aussi les fonctions d’envoyé spécial pour le Bangladesh.

La sénatrice Coyle : Aidons-nous le Bangladesh à soutenir les Rohingyas?

Mme Palmer : Oui. Jusqu’à 2024, nous avons offert du soutien aux Rohingyas dans le cadre d’une stratégie en deux phases. En fait, la dernière phase se poursuit aujourd’hui, même si les fonds ont été dépensés il y a deux ou trois ans.

Nous soutenons la santé, l’éducation, les compétences et la subsistance. Nous offrons aussi du soutien pour des produits comme les gaz utilisés pour la cuisson. Cela peut sembler sans importance, mais en fait, c’est très important pour l’environnement et pour la protection des femmes qui doivent sortir pour ramasser du bois.

En outre, nous soutenons l’aide humanitaire en fonction des besoins. Chaque année, nous adoptons notre réponse aux besoins.

Le sénateur Woo : Je vous remercie, monsieur Epp, vous et les membres de votre équipe, d’être des nôtres. Quand nous parlions du Soudan du Sud il y a quelques minutes, nous avons appris au sujet des efforts déployés par Affaires mondiales Canada en vue de promouvoir la participation de la société civile à toute résolution éventuelle de la crise. J’aimerais que vous nous parliez d’initiatives semblables, particulièrement en ce qui touche la diplomatie parallèle. Je crois comprendre que des efforts diplomatiques sont en cours.

Ces efforts ou d’autres efforts de diplomatie parallèle sont-ils déployés au Myanmar, ou travaille-t-on uniquement auprès de réfugiés, essentiellement, à l’extérieur du pays?

M. Epp : Je dirais deux ou trois choses. D’abord, Affaires mondiales Canada a pu financer plusieurs initiatives au fil des années — y compris des programmes — par l’intermédiaire de fédérations. Nous avons soutenu le renforcement des capacités. Nous avons aussi appuyé des discussions avec divers éléments de la société pour voir au-delà du désastre immédiat; pour imaginer un avenir où la démocratie est rétablie au pays, où la gouvernance est plus inclusive, et où la diversité et la complexité de l’État sont reflétées, par exemple, dans une forme de fédéralisme. À ce jour, nous avons beaucoup investi dans les efforts en ce sens.

Ensuite, des outils comme le Fonds canadien d’initiatives locales ont beaucoup servi. Vous avez raison : aujourd’hui, une grande partie des discussions se passent à l’extérieur du Myanmar.

Après que le premier ministre a participé au sommet de l’ANASE, je me suis rendu à Bangkok, où j’ai eu la chance de rencontrer un de nos partenaires de longue date établi dans cette ville. Bien qu’il puisse toujours y avoir des discussions au Myanmar, malheureusement, un nombre croissant de décideurs ou d’influenceurs — d’acteurs de la société civile — prennent la fuite.

Je pense que le Canada peut continuer de mettre la table et d’utiliser les outils à sa disposition pour susciter des discussions et des idées, mais ce sera de plus en plus autour du Myanmar, et non au Myanmar. Et ce n’est pas parce que nous voulons encourager la fuite des cerveaux, si on peut dire, mais lorsque le gouvernement du Myanmar a rétabli ou qu’il s’est mis à appliquer sa loi sur la conscription, en particulier, on a commencé à voir un grand nombre de Myanmarais urbains, qui avaient en quelque sorte pris leurs distances du régime ou attendaient peut-être la fin de la guerre civile, prendre des décisions sur l’endroit où ils voulaient vivre.

Julanar Green, directrice, Direction II, Asie du Sud-Est, Affaires mondiales Canada : Merci beaucoup pour cette question. Comme l’a mentionné M. Epp, nous finançons diverses organisations locales de défense de la démocratie et des droits de la personne présentes au Myanmar grâce au Fonds canadien d’initiatives locales.

Nous avons aussi un autre projet par l’intermédiaire du Centre de recherches pour le développement international, avec des universités canadiennes, qui consiste à offrir de la formation, des bourses et du mentorat à de jeunes universitaires, chercheurs, défenseurs des droits de la personne et acteurs de la société civile du Myanmar, afin de les aider à se préparer à un éventuel retour dans leur pays. Nous avons eu l’occasion de les rencontrer récemment, et c’était très inspirant de les entendre parler de leurs plans pour rentrer chez eux et y apporter un peu de ce qu’ils ont appris ici.

Le sénateur Woo : J’ai récemment rencontré mes homologues de l’ANASE à Vientiane, et je peux vous confirmer que les gens des autres pays de l’ANASE sont très mal à l’aise avec ce qui se passe au Myanmar, et ce, de plus en plus.

Mais nos amis de l’ANASE nous disent aussi qu’ils veulent que nous traitions toujours l’ANASE comme un groupe à part entière et que nous n’évitions pas le Myanmar ou que nous ne l’excluions pas des discussions avec l’ANASE dans son ensemble.

Quelle est la politique d’Affaires mondiales Canada là-dessus? Avez-vous des conseils à donner à la diplomatie parlementaire lorsqu’il s’agit de travailler avec des homologues de l’ANASE?

M. Epp : Il y a quelques lignes directrices à ce sujet. Tout d’abord, nous avons une politique d’engagement limité. Nous appliquons des sanctions, mais comme je l’ai mentionné dans mon exposé, elles visent des individus et non des entités. Il ne s’agit pas de sanctions générales sur toute l’activité économique, comme c’était le cas auparavant, à une autre période de l’histoire du Canada avec le Myanmar.

Il y a encore des entités canadiennes qui sont présentes là-bas depuis longtemps et qui sont toujours là, comme Manuvie. Il y a divers vecteurs d’engagement. L’un d’eux est la filière commerciale.

L’autre est celui des relations de gouvernement à gouvernement, et sur ce plan, nos relations demeurent très limitées. Selon cette politique, nous n’avons pas de contacts directement avec la junte militaire, mais par le truchement de l’ANASE, avec laquelle nous continuerons d’entretenir des relations — et nous devons rester engagés auprès de l’ANASE dans son ensemble, avec l’ANASE, collectivement —, il y a un plan de consensus en cinq points, qui réduit essentiellement la participation du Myanmar, comme vous le savez peut-être, à une certaine présence apolitique, bureaucratique de bas niveau. J’ai quelques communications avec ces personnes. Nous avons entendu le représentant du Myanmar lorsque le premier ministre a participé au sommet de Vientiane.

Je pense qu’il y a des éléments de la bureaucratie qui tentent de continuer de participer aux discussions, y compris, comme vous le savez, dans le cadre des négociations de l’accord commercial entre le Canada et l’ANASE. Le fait est que si un accord commercial devait être adopté, il serait tout de même assujetti aux restrictions imposées par le Canada au Myanmar. Mais il n’est pas possible d’aller de l’avant avec les pays de l’ANASE et de fixer des conditions à l’extérieur de cette organisation fondée sur le consensus, qui fait preuve d’une grande franchise à l’interne comme à l’externe. Si vous regardez les commentaires des États membres dans des forums tels que l’ONU, ils ne se retiennent pas d’exprimer leur pensée. Mais, comme vous l’avez mentionné, sénateur, ils sont déterminés à garder la porte ouverte pour travailler avec le Myanmar aux tables de l’ANASE.

Le président : Merci, monsieur Epp. Je vous interromps. Nous avons largement dépassé les quatre minutes imparties, mais il semble bien que je sois généreux aujourd’hui.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie de vos précieuses observations et de votre contribution. Je m’interroge sur le statut des réfugiés qui se sont retrouvés à l’extérieur du Bangladesh — au Pakistan, en Indonésie ou en Inde —, dont certains ont été rapatriés. Il s’agit surtout de gens qui ont fait le voyage difficile vers l’Indonésie, où ils ont souvent été victimes de représailles et d’attaques de la part de la population locale du pays. Sommes‑nous en mesure de suivre la situation et d’aider ces personnes?

M. Epp : Le Canada collabore avec ces pays partenaires et l’Organisation internationale pour les migrations en vue de la réinstallation d’un certain nombre de réfugiés rohingyas. Je parlerai des chiffres dans un instant; je pense qu’ils sont intéressants. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a pris des engagements assez récemment pour la réinstallation d’un certain nombre de réfugiés au Canada, afin de hausser ses seuils.

Nous travaillons en étroite collaboration avec la Malaisie, en particulier, vers où une grande partie des mouvements terrestres qui n’ont pas abouti au Bangladesh se dirigent. Le gouvernement malaisien apprécie beaucoup nos efforts de réinstallation par le système des Nations unies et les reconnaît. Les efforts de réinstallation se poursuivent. Bien sûr, le plus grand nombre de réfugiés se trouve au Bangladesh, comme nous l’avons dit. Toutes les parties conviennent que les conditions ne sont pas propices à un retour au pays, mais ultimement, la solution n’est pas qu’un million de réfugiés quittent le Bangladesh pour s’installer dans des pays tiers. Le nombre de personnes qui attendent de rentrer dans leur pays est trop important.

La solution tient en deux volets. Nous faisons partie des quelques grands donateurs qui fournissent non seulement une aide humanitaire, mais qui offrent également une voie d’accès au Canada par la filière des réfugiés, et nous continuons de le faire. En même temps, nous travaillons avec d’autres à la recherche d’une solution plus durable pour la grande majorité des personnes qui se trouvent au Bangladesh.

Je ne sais pas si vous avez les chiffres. Je pourrais vous les fournir si cela vous intéresse.

Le sénateur Ravalia : Dans un tout autre ordre d’idées, le Telegraph, au Royaume-Uni, a publié des articles selon lesquels plus de personnes auraient été tuées ou mutilées par des mines terrestres au Myanmar que dans n’importe quel autre pays en 2023. Il y aurait au moins un millier de victimes. Ces mines sont posées à la fois par la junte et par les forces anti-régime. Compte tenu de notre expertise en matière de déminage, avons‑nous voix au chapitre d’une quelconque manière à cet égard?

M. Epp : Mes collègues me corrigeront peut-être, mais depuis le coup d’État au Myanmar, je crois que nous ne travaillons pas avec les autorités sur ce plan. Dans la région, évidemment — les sénateurs sont probablement au courant —, il y a beaucoup de travail qui se fait au Cambodge et au Laos. Donc, oui, nous sommes présents dans la région. Mais pour l’instant, je ne crois pas que nous ayons de programme là-bas. Bien sûr, nous ne travaillons pas avec la junte, et nos sanctions imposent des restrictions, même en ce qui concerne l’assistance financière directe au régime. Dans la mesure où il s’agit de neutraliser les mines posées par les différentes forces armées qui les utilisent, je ne pense pas que nous soyons dans une situation où la guerre civile sur le terrain le permettrait.

Mais c’est effectivement un domaine où le Canada est connu dans la région pour son leadership, et je pense qu’à l’avenir, si l’occasion se présentait, on s’attendrait probablement à ce que nous fassions partie des donateurs qui proposeraient leur expertise et du financement pour effectuer du déminage.

Le sénateur Harder : Je vous remercie d’être parmi nous. Ma question s’adresse au sous-ministre adjoint et comporte deux volets. Tout d’abord, vous avez dit que le travail en Indonésie était « terminé ». Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les activités des différents membres de l’ANASE et sur la façon dont nous travaillons avec eux, le cas échéant? La deuxième partie de ma question est la suivante : avons-nous suffisamment rétabli nos relations avec la Chine pour avoir avec elle une discussion constructive à ce sujet?

M. Epp : Je vous remercie. La deuxième question est difficile. J’y reviendrai. Rapidement, nous avons des conversations avec les principaux États voisins non immédiats membres de l’ANASE : l’Indonésie, la Malaisie, évidemment, Singapour et Brunei. Nous appuyons leurs propres initiatives diplomatiques. J’ai mentionné tout à l’heure que l’Indonésie tentait d’organiser et de favoriser le dialogue. Il sera intéressant de voir ce qu’il adviendra lorsque la présidence de l’ANASE passera, dès la prochaine année, de la République démocratique populaire lao à la Malaisie. La Malaisie semble défendre beaucoup l’intégrité de l’ANASE sur cette question, mais poursuivre aussi sa propre diplomatie en parallèle. D’après les commentaires de son ministre des Affaires étrangères à l’ANASE, mais aussi aux Nations unies, je pense que la Malaisie joue un très grand rôle en matière de responsabilité au sein de la communauté. L’Indonésie, en revanche, semble jouer un rôle plus actif en coulisses, d’après ses interventions antérieures.

Ce que je dirais, cependant, c’est que le Canada — et mes homologues de ces pays le savent grâce aux diverses réunions que nous avons eues — exerce des pressions sur eux en ce sens. Il n’est pas possible pour nous d’appuyer la centralité de l’ANASE et sa terminologie, qui est très importante, étant donné le rôle essentiel que joue l’ANASE dans l’architecture de sécurité et les conversations sur la sécurité dans la région. Nous avons donc besoin que l’ANASE en fasse plus. Nous avons besoin de voir autant d’énergie de la part de l’ANASE, en tant qu’organisation, que de la part de ses États membres concernant le Myanmar, et les Rohingyas en particulier, comme ils le font sur d’autres questions aussi éloignées que le Moyen-Orient.

Nous constatons une formidable énergie de leur part sur d’autres grands enjeux mondiaux. Nous aimerions les voir investir autant d’énergie sur le plan diplomatique et, franchement, dans la mobilisation publique à l’intérieur de leurs propres frontières, sur les enjeux difficiles qui touchent leur propre région.

En Indonésie, nous observons une résistance locale croissante envers les Rohingyas qui arrivent en bateau. La situation est très difficile. En Malaisie, comme je l’ai dit, nous joignons notre voix à la conversation et avons dit que comme nous avons une filière de réfugiés, nous voulons aider à atténuer la pression en faisant partie de la solution.

Ce sont là quelques-uns des moyens que nous déployons pour essayer d’encourager les grands membres de l’ANASE à exercer activement leur leadership. Nombre d’entre eux le font. Comment pouvons-nous les aider?

En ce qui concerne la Chine, je ne dirais pas qu’il y a un obstacle à la discussion. J’ai rencontré le ministre Wang Yi avec la ministre Joly il y a quelques jours, à Lima, et tout est sur la table. Nous avons de solides conversations avec les Chinois à tous les niveaux. Il y a beaucoup de sujets qui sont abordés. Comme il s’agit là de l’un de leurs voisins, je ne suis pas sûr que les Chinois soient particulièrement ouverts aux idées du Canada sur la façon de gérer cette situation transnationale très difficile, mais nous en discutons.

Le sénateur Harder : Cette question a-t-elle été soulevée lors de cette réunion bilatérale?

M. Epp : Il faudrait que je vérifie mes notes, mais nous avons eu une brève rencontre à Lima, et je ne crois pas que nous ayons abordé la question du Myanmar.

Le sénateur Harder : Merci.

Le président : Merci beaucoup. Je vais poursuivre dans la même veine que le sénateur Harder, sur la question du leadership. Nous avons plus de discussions avec les pays de l’ANASE que nous n’en avons eu pendant longtemps. Nous sommes notamment en train de négocier un accord commercial.

Monsieur Epp, vous avez mentionné que le Canada préside le Groupe des amis à New York. J’aimerais bien savoir ce que fait le Groupe des amis et comment il pourrait éventuellement jouer un rôle de coordination. Mais ce à quoi je veux en venir — et cela ne vous surprendra pas du tout —, c’est qu’à partir de janvier, nous occuperons la présidence du G7. Il y a beaucoup de voies de communication là aussi, y compris celles des ministres des affaires étrangères et d’autres, et, bien sûr, celles des dirigeants.

La situation au Myanmar offre-t-elle au Canada l’occasion d’exprimer certaines de ses préoccupations aux pays de l’ANASE, ou estimons-nous que le Japon a plus d’intérêts dans la région et plus d’influence? J’aimerais connaître votre avis là‑dessus, si possible.

M. Epp : Sur le plan stratégique, je dirais que nos partenaires, comme le Japon, ont plus de poids que nous dans la région. Ils ont tout un bagage historique dans la région que nous n’avons pas.

Nous faisons également du travail en dehors du G7, mais de manière adjacente, si je puis dire, en étroite collaboration avec des pays comme la Corée, qui est sous l’administration des Nations unies; la Corée a une politique étrangère plus ouverte à la contribution, ce qui est très bienvenu. Des pays comme la Corée et le Japon, qui ont des investissements beaucoup plus importants que nous au Myanmar — et dans le cas du Japon, cela se poursuit en grande partie — jouissent d’une influence que nous n’avons pas sur le terrain. Nous devrons continuer de travailler en étroite collaboration avec eux — je ne veux pas dire de les suivre, mais je ne suis pas sûr que nous soyons en mesure d’exercer plus d’influence dans la région que d’autres pays du G7, comme le Japon.

Il faut dire que dans le cadre de notre stratégie indo-pacifique, l’un des fronts sur lesquels je pense que nous avons progressé le plus vite, c’est avec les pays de l’ANASE, ce qui nous permet d’accroître notre influence et de participer davantage au dialogue. Lorsque le premier ministre a fait le voyage incroyablement long jusqu’à Vientiane dans le seul but d’écouter ses homologues de l’ANASE et de leur parler, récemment, l’une des prémisses explicites était que nous allions bientôt présider le G7. Nous devons entendre les points de vue de l’ANASE sur les grands enjeux mondiaux, y compris sur les questions régionales. Je pense qu’ils apprécient que ce canal soit ouvert à tous les niveaux. C’est ce qui ressortait des conversations que le premier ministre a eues encore à Lima.

Vous avez raison, nous avons l’occasion et les relations nécessaires pour pouvoir insuffler une certaine énergie à l’élan, s’il devait y avoir des possibilités de faire avancer les choses, surtout pendant l’année de présidence de la Malaisie — si elle prend des initiatives qui trouvent davantage écho auprès du régime du Myanmar que celles de ses homologues jusqu’à présent.

En ce qui concerne les Nations unies, je demanderais à Mme Green ou à Mme Corbin si elles souhaitent ajouter quelque chose. Nous y sommes actifs, nous y étions pas plus tard qu’hier.

Louise Corbin, directrice adjointe —Mayanmar, Direction II, Asie du Sud-Est, Affaires mondiales Canada : Merci beaucoup de votre question sur le Groupe des amis. Le Canada y fait preuve d’un grand leadership au sein des Nations unies. Nous avons la chance que l’ambassadeur Rae préside ce groupe, compte tenu de sa longue expérience dans ce domaine.

Le Groupe des amis sert essentiellement d’organe de coordination et de discussion sur le Myanmar. Il joue en quelque sorte un rôle symbolique en maintenant la question du Myanmar et des Rohingyas au cœur des discussions entre les États membres à New York, mais aussi, plus concrètement, en facilitant la coordination entre les différents acteurs. Il y a aussi des discussions avec des groupes de la société civile, de la diaspora et des groupes d’intérêt de toutes sortes. En outre, le Groupe des amis a récemment eu des conversations approfondies avec le rapporteur spécial des Nations unies sur le Myanmar, afin de saisir la gravité de la situation, mais aussi de débattre des autres mesures que les États membres peuvent prendre pour maintenir la pression sur le régime. Le Canada fait assurément preuve de leadership sur ce plan, pour maintenir la pression, que ce soit par le biais de sanctions ou d’autres moyens coordonnés, afin de tenter d’amener le régime militaire à changer de cap.

Le président : Merci beaucoup. C’est très utile.

Le sénateur Woo : Vous attendez-vous à ce que l’ADMM-Plus débouche sur quelque chose de nouveau concernant le Myanmar? De manière plus générale, essayons-nous toujours d’y obtenir un siège, et comment cela se passe-t-il?

M. Epp : Pour être clair, je répondrai brièvement à la première question par « non ». Pour ce qui est de la deuxième, oui, nous cherchons toujours à y obtenir un siège. Ce siège à l’ADMM-Plus ne servirait pas que dans un dossier et puis c’est tout. Le Canada a participé à divers groupes de travail, et nous espérons avoir bientôt des nouvelles concernant le renouvellement auquel nous nous attendons...

Le président : Puis-je vous interrompre au bénéfice de certaines personnes ici présentes et de nos téléspectateurs? Pouvez-vous définir de quoi il s’agit ici?

M. Epp : Oui. L’ADMM-Plus est la réunion des ministres de la Défense de l’ANASE. Le « Plus » renvoie au fait qu’elle rassemble les États membres de l’ANASE, plus d’autres membres du noyau régional, mais d’au-delà aussi, comme la Chine. Pour ce qui est des sièges à cette réunion, ils sont consentis par consensus. C’est en quelque sorte le « Plus » qui nous pose problème, si vous voyez ce que je veux dire.

Je ne sais pas si nous y obtiendrons bientôt le statut de membre à part entière, mais nous continuerons probablement de participer aux groupes de travail connexes.

Le sénateur Woo : [Difficultés techniques].

M. Epp : Sénateur, je suis là. La question me reviendra dans un instant.

Le sénateur Woo : C’est hors sujet, je sais.

M. Epp : Il s’agit du groupe de travail sur la consolidation de la paix, je crois, je vous récrirai à ce sujet. Oui, pour l’instant, je ne m’en souviens pas.

Le président : Je vous remercie. Cela me rappelle des souvenirs. J’y ai travaillé il y a 10 ans.

Il n’y a pas d’autres questions de la part des sénateurs. Au nom du comité, j’aimerais remercier Weldon Epp, Julanar Green, Louise Corbin et Jane Palmer d’avoir été d’excellents témoins aujourd’hui. Nous vous remercions de vos observations sur le Myanmar. De toute évidence, il s’agit d’un enjeu important, qui demeure d’actualité, donc nous vous sommes reconnaissants.

Chers collègues, je vous remercie de vos questions.

(La séance est levée.)

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