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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 27 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 16 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, pour en faire rapport, les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

Le président : Bonjour. Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Avant de commencer, j’inviterais maintenant les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Gerba : Bienvenue au comité. Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, de l’Ontario.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse.

Le président : Bienvenue aux sénateurs. J’aimerais également souhaiter la bienvenue à tous ceux qui, partout au pays, nous regardent aujourd’hui sur ParlVu.

Aujourd’hui, nous poursuivons notre étude sur les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique. Nous avons le plaisir d’accueillir dans la salle avec nous David J. Hornsby, vice-recteur et vice-président associé (enseignement), professeur, École des affaires internationales Norman Paterson, de l’Université Carleton, dont je suis un ancien étudiant; Isaac Odoom, professeur adjoint à l’Université Carleton; et par vidéoconférence depuis New York, George Laryea-Adjei, qui est le directeur du groupe de programmes de l’UNICEF, de l’UNICEF.

Bienvenue à notre comité et merci d’avoir pris le temps d’être avec nous aujourd’hui.

Avant d’entendre vos déclarations et de passer aux questions et réponses, je demanderais à toutes les personnes présentes de bien vouloir mettre en sourdine les notifications sur leurs appareils. J’aimerais également souligner que la sénatrice Krista Ross du Nouveau-Brunswick vient de se joindre à nous. Nous allons maintenant procéder.

Nous allons entendre, pendant cinq minutes chacun, les remarques liminaires des témoins, qui seront suivies des questions des sénateurs, ainsi que de vos réponses.

Monsieur Laryea-Adjei, vous avez la parole.

George Laryea-Adjei, directeur du groupe de programmes de l’UNICEF, UNICEF : Merci beaucoup et bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. C’est un honneur pour moi de m’adresser à vous aujourd’hui.

L’UNICEF est très engagé envers les enfants d’Afrique, et nous travaillons chaque jour pour accroître notre impact. Nous le faisons avec des partenaires comme le gouvernement du Canada et d’autres sur tout le continent. Fort d’une solide expérience en matière d’engagement, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance, ou UNICEF, est actif dans presque tous les pays africains et entretient un partenariat étroit avec l’Union africaine et d’autres institutions continentales, notamment les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies,

Au cours des 25 dernières années, avec l’aide de nombreux partenaires, l’Afrique a réalisé des progrès remarquables. La mortalité juvénile, un indicateur clé que nous utilisons pour le bien-être des enfants, a diminué d’un peu plus de 50 % en Afrique. L’accès à l’eau potable a plus que doublé, profitant à plus de 575 millions de personnes. Vous vous souviendrez tous de la propagation du virus du VIH et du fait que les infections chez les enfants de moins de 15 ans ont diminué de plus de 70 %. L’enregistrement des naissances par l’UNICEF est un indicateur clé, car il permet d’accéder à la citoyenneté et aux services essentiels. L’enregistrement des naissances a augmenté sur tout le continent, permettant à des millions d’enfants d’accéder à la scolarisation et aux systèmes de soins officiels.

Mais nous devons faire face à une réalité indéniable : la transformation démographique de l’Afrique est sans précédent dans le monde entier. Aujourd’hui, l’Afrique compte 689 millions d’enfants de moins de 18 ans, un chiffre qui, selon nos prévisions, atteindra 930 millions dans 25 ans. Imaginez donc près d’un milliard d’enfants dans 25 ans en Afrique. Cela représentera un tiers de la population mondiale d’enfants. Nous prévoyons également que, d’ici la fin du siècle actuel, près de la moitié des enfants du monde vivront en Afrique.

C’est une occasion ou un défi — selon la façon dont on voit les choses — de veiller à ce que les enfants africains puissent contribuer au développement non seulement du continent, mais du monde entier, en raison de la taille de sa population. Notre principale préoccupation concerne l’éducation. En septembre, notre conseil d’administration de l’UNICEF a approuvé une stratégie pour l’Afrique. Nous l’appelons la stratégie relative à la contribution de l’UNICEF aux Programmes de développement africains. L’Afrique, par l’intermédiaire de l’Union africaine, a présenté son propre programme assorti d’objectifs ambitieux, comme il est indiqué dans son Agenda 2063 et son Agenda 2040 pour les enfants d’Afrique.

La stratégie de l’UNICEF pour l’Afrique met l’accent sur trois priorités : la première est l’accélération du développement du capital humain; la deuxième est le renforcement de la résilience, de l’action humanitaire et de l’action climatique; et la troisième est l’intensification de la mise en œuvre de la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant.

La première, le développement du capital humain, est notre priorité absolue. L’avenir de l’Afrique dépend de la santé, de l’éducation et de l’autonomie de ses enfants. Cela commence par des systèmes de santé communautaire solides. À titre d’exemple, l’UNICEF travaille avec de nombreux pays africains pour former et déployer 500 000 agents de santé communautaire supplémentaires sur tout le continent en quatre ans afin de nous permettre de sauver davantage de vies et de veiller à ce que davantage d’enfants soient nourris et puissent s’épanouir. Toutefois, nous savons que des dizaines de millions d’enfants ne sont pas scolarisés et que, parmi ceux qui vont à l’école, beaucoup trop partent sans avoir les compétences nécessaires pour réussir. Nous estimons qu’environ 8 enfants sur 10 à l’âge de 10 ans ne savent pas lire correctement ou rédiger un texte simple de manière adéquate. Les enfants doivent maîtriser les compétences de base en lecture, en calcul et en pensée critique pour exploiter pleinement leur potentiel. C’est le point de départ pour constituer une main-d’œuvre qualifiée et compétente qui peut stimuler la croissance économique de l’Afrique.

En Afrique, environ un tiers des jeunes femmes finissent par se marier avant l’âge de 18 ans, ce qui réduit leur éducation et leur potentiel. Nous savons qu’aucun pays n’a atteint un développement durable sans autonomiser les femmes et les filles.

À cet égard, je tiens à souligner le rôle joué par le Canada dans la lutte contre le mariage des enfants en Afrique. L’UNICEF s’engage à faire en sorte que chaque fille ait la possibilité d’apprendre, de s’épanouir et de diriger. Notre objectif unique est de veiller à ce que chaque fille en Afrique termine au moins ses études secondaires. Nous savons que lorsque les filles réussissent, les communautés prospèrent.

La nutrition est un autre pilier du développement du capital humain, et nous savons qu’en Afrique le retard de croissance continue d’être un problème. La taille d’un enfant en fonction de son âge demeure un problème qui touche près d’un tiers des enfants. C’est pourquoi l’UNICEF lance l’initiative « First Foods », en collaboration avec les gouvernements et les producteurs locaux d’aliments pour garantir que les enfants ont accès à une alimentation abordable et sûre et pour veiller à ce qu’ils disposent d’une base solide pour grandir, apprendre et réussir.

Monsieur le président, je voudrais parler de la question de la crise climatique en Afrique. Les enfants africains sont en première ligne des changements climatiques. J’ai eu l’occasion de visiter de nombreuses communautés en Afrique cette année où la scolarité a été perturbée. Nous estimons qu’environ 25 millions d’enfants sont confrontés à des déplacements ou à des perturbations dans leur vie, y compris dans leur scolarité, en raison d’inondations, de sécheresses et d’autres impacts climatiques. Cela se produit régulièrement dans de nombreux pays du continent. L’UNICEF s’efforce de construire des systèmes résilients aux changements climatiques, en commençant par des écoles qui peuvent résister aux catastrophes et servir de refuge en cas de crise.

Le président : Monsieur Laryea-Adjei, je suis désolé de vous interrompre, mais vous avez largement dépassé les cinq minutes qui vous étaient allouées. Je m’en excuse. Je pense que nous pourrons probablement traiter de certains des points restants de votre exposé au cours de la période de questions. Je dois maintenant donner la parole aux autres témoins et je vous remercie de votre compréhension. Monsieur Hornsby, la parole est à vous, s’il vous plaît.

David J. Hornsby, vice-recteur et vice-président associé (enseignement), professeur, École des affaires internationales Norman Paterson, Université Carleton, à titre personnel : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invité à comparaître devant vous aujourd’hui pour examiner les intérêts et l’engagement du Canada auprès des États africains.

J’ai observé attentivement les délibérations de ce comité et je suis honoré de faire partie de ceux qui peuvent contribuer à éclairer le bon travail du comité.

Monsieur le président, le Canada a pris du retard dans l’établissement d’une relation solide avec les institutions et les États africains. J’estime que nous avons au moins deux décennies de retard. Tout retard supplémentaire risque de reléguer le Canada à un rôle marginal sur le continent et de permettre à d’autres de consolider des positions d’influence.

Nous vivons une période critique pour la transformation politique, économique et sécuritaire de l’Afrique, et j’espère que la présente étude aidera le Canada à tirer parti de ses réalisations passées, à reconquérir sa réputation de véritable partenaire et à établir des engagements novateurs et ciblés qui profitent aux deux parties.

Je crois que toute stratégie doit être fondée sur des principes de respect mutuel, de réciprocité et de reconnaissance du rôle de l’Afrique en tant qu’acteur clé aux niveaux national, régional et sous-régional.

Étant donné l’importance géopolitique et économique croissante de l’Afrique, la stratégie doit être résiliente, adaptable, durable et soutenue par tous les partis politiques pour que sa longévité soit assurée.

Pendant trop longtemps, la réflexion politique du Canada à l’égard des États africains a été dominée par des mentalités de développement. Bien que ce soit un facteur, ce qui est nécessaire aujourd’hui plus que jamais, c’est un cadre politique plus nuancé qui reconnaît la nature perfectionnée et diversifiée des capacités et des compétences de l’Afrique et l’évolution rapide de la démographie.

Pour ce faire, nous avons besoin d’une expertise au sein de nos capacités d’élaboration de politiques qui peut tisser des liens entre le développement, la politique étrangère, le commerce et la migration.

Permettez-moi d’avancer quelques idées qui, selon moi, pourraient nous aider à redynamiser notre engagement avec les États africains. La première serait d’élargir notre présence diplomatique. Le renforcement des relations diplomatiques par l’augmentation de la présence sur le terrain serait une étape positive. Nous faisons de bons progrès dans ce domaine en ce qui concerne la mission de l’Union africaine et d’autres missions diplomatiques qui ont été récemment ouvertes, mais avons-nous mis tout en œuvre pour réussir?

Actuellement, la mission de l’Union africaine compte trois personnes affectées à la gestion d’une énorme institution multilatérale avec de nombreuses priorités. Notre mission au Burkina Faso est plus grande que celle de l’Union africaine. En outre, nous avons moins de 20 missions pleinement accréditées sur un continent de 54 pays.

La deuxième recommandation que je ferais est de promouvoir des modèles de partenariat intégrés et holistiques qui reconnaissent la nature intégrée des intérêts politiques, économiques, sécuritaires et de développement dans l’ensemble du continent. Cela nécessite d’élaborer des stratégies avec les pays et les régions d’Afrique plutôt que de les élaborer pour eux. Les approches devraient mettre l’accent sur les avantages mutuels et les priorités régionales, telles que celles faisant partie des plans stratégiques et des initiatives de l’Union africaine comme l’Accord portant création de la zone de libre-échange continentale africaine.

Un troisième domaine qui, selon moi, pourrait profiter au Canada dans ses relations avec l’Afrique est le renforcement des écosystèmes scientifiques, technologiques, éducatifs et d’innovation. Pour enrichir nos relations au moyen de partenariats liés aux sciences, à la technologie, à l’innovation et à l’éducation, nous devons reconnaître que nous avons beaucoup à apprendre des expériences africaines, et cet enrichissement permettra non seulement d’investir dans la recherche et les connaissances de pointe, mais aura aussi des retombées dans des domaines de défis communs, comme la virologie, l’immunologie et les changements climatiques, pour n’en citer que quelques-uns. Je crois qu’il existe une base saine sur laquelle nous pouvons nous appuyer pour progresser dans ce domaine.

Une quatrième recommandation qui mérite d’être prise en considération dans la présente étude concerne les visas et les systèmes d’immigration que nous imposons. Toute stratégie doit reconnaître que notre système actuel d’immigration et de visa nuit à notre réputation et à nos engagements sur le continent. Les personnes qui viennent étudier ou participer à des conférences universitaires, ou même en tant que fonctionnaires, pour participer à des expériences de formation, font face à des processus de demande de visa intrusifs et longs, qui, finalement, nous privent de leur expertise et de leur compréhension. Cela nuit également potentiellement à leur vision de notre pays. Il est urgent de réformer ce domaine, et il faut le faire avec courage et empressement.

La dernière recommandation que j’aimerais soumettre à l’examen du comité est de veiller au renforcement des capacités et des connaissances canadiennes sur l’Afrique. Nous avons besoin d’une plus grande expertise au sein d’Affaires mondiales et dans l’ensemble du gouvernement au sujet de l’Afrique et de ses innombrables cultures et sociétés. Nous avons besoin de plus de personnes qui comprennent le continent de manière moderne et nuancée tout en offrant des conseils politiques.

L’importance économique et géopolitique croissante de l’Afrique souligne l’urgence de ces mesures. Rien qu’en 2023, le commerce du Canada dans les zones minières africaines a atteint 37 milliards de dollars. Au chapitre des marchandises, le montant total s’est élevé à 16,2 milliards de dollars.

Malgré les défis comme les menaces hybrides et l’insécurité généralisée, l’Afrique devrait avoir l’économie régionale qui connaîtra la croissance la plus rapide cette année. Elle détient 30 % des minéraux critiques et abritera 25 % de la population mondiale d’ici 2050.

L’Afrique représente également l’un des plus grands blocs de vote aux Nations unies, ce qui en fait un partenaire essentiel pour relever les défis mondiaux.

À l’avenir, le Canada aurait intérêt à se concentrer sur des partenariats cohérents et à long terme, même s’ils sont modestes, pour renforcer la confiance et la crédibilité. Réinvestir dans des organisations indépendantes de politique de développement et engager le dialogue avec la diaspora africaine au Canada sont également des étapes cruciales.

En favorisant un ensemble de relations multidimensionnelles et résilientes, le Canada peut mieux saisir les occasions et les défis de ses partenariats avec le continent. Merci.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Hornsby. Monsieur Odoom, vous avez la parole.

Isaac Odoom, professeur adjoint, Université Carleton, à titre personnel : Merci, monsieur le président et membres du comité, de l’occasion que vous m’offrez de faire partie de cette discussion.

Ma recherche se concentre sur l’économie politique de l’Afrique, les relations entre l’Afrique et la Chine et le rôle du Canada dans le développement mondial.

Aujourd’hui, je tiens à vous faire part de certaines observations sur la façon dont le Canada peut consolider ses partenariats avec l’Afrique dans un monde en évolution. J’aimerais commencer par citer un fait simple et pourtant frappant que certains d’entre vous pourriez connaître. D’ici 2050, une personne sur quatre sur notre planète sera sur le continent africain. Ce changement démographique souligne l’importance géopolitique et économique grandissante de l’Afrique. Pourtant, l’engagement du Canada avec le continent ne reflète pas l’étendue de cette occasion qui s’offre. Le Canada n’a pas encore de stratégie africaine.

Il y a seulement deux mois, lors du sommet Chine-Afrique sur la coopération à Pékin, la Chine a promis de verser plus de 50 milliards de dollars de prêts, d’investissements et d’aide aux nations africaines au cours des trois prochaines années. La Chine a également amélioré ses relations diplomatiques avec plusieurs nations africaines. À peu près au même moment, le Canada a tenu des consultations visant à remodeler son approche face à l’Afrique. Ces deux événements soulignent un fait important : l’Afrique commence à devenir un acteur politique et économique mondial, et le Canada risque d’être laissé pour cause.

La Chine est le plus grand partenaire commercial du continent. Elle construit des routes, des ponts et finance des projets d’énergie qui transforment les économies africaines. Or, cela n’est pas sans défis importants. Bon nombre d’Africains s’inquiètent de la dépendance à la dette, des répercussions environnementales et des questions de transparence liées à ces accords.

En même temps, la Chine présente ses partenariats comme étant mutuels et respectueux, un message qui trouve un écho chez bon nombre d’Africains, qui trouvent que les nations occidentales, dont le Canada, paraissent paternalistes.

Le Canada a l’occasion de se distinguer en offrant quelque chose de différent. Il n’a pas besoin de rivaliser directement avec la Chine. Au lieu de cela, le Canada peut établir des partenariats fondés sur la confiance, sur des objectifs communs et sur ses forces uniques. La marque canadienne est forte en Afrique, mais elle est sous-exploitée.

Je souhaite vous faire part de quatre priorités pour consolider l’approche du Canada. La première est de prioriser les gens. Le système de visa canadien fait qu’il est inutilement compliqué pour les gens d’affaires, les professionnels et les chercheurs africains d’être connectés à l’Afrique. Pour résoudre ce problème, il convient d’investir dans l’augmentation de la présence diplomatique canadienne sur le terrain. Il s’agit d’une étape cruciale visant à démontrer que le Canada a la ferme intention de consolider les relations. Le Canada devrait tirer parti de la diaspora africaine ici dans le pays. Cette communauté est le pont entre le Canada et l’Afrique, et de ce fait, la voix et l’expertise de ses membres devraient orienter la prise de décisions.

La deuxième recommandation que je propose, c’est de raconter une meilleure histoire sur l’Afrique. Bien trop souvent, l’engagement du Canada envers l’Afrique est axé sur l’aide, les crises humanitaires ou les enjeux de sécurité. Or, les nations africaines désirent les mêmes choses que nous : des emplois, de l’énergie fiable et un gouvernement responsable. Le Canada doit cesser de présenter l’Afrique principalement comme un continent en proie à des problèmes, et devrait, à la place, reconnaître que c’est une région pleine de potentiel et qu’elle a la capacité d’agir.

La troisième recommandation que je propose, c’est d’investir dans le savoir. Contrairement aux autres pays du G7, le Canada semble ne pas comprendre sa relation historique et contemporaine avec l’Afrique. Ce manque de mémoire institutionnelle et de capacité de recherche freine l’engagement systémique. Les partenariats avec les universités et le financement permanent de groupes d’experts et d’ONG visant à développer une expertise sur l’Afrique sont cruciaux au moment de prendre des décisions réfléchies.

La quatrième recommandation que je propose, c’est que le Canada mise sur ses atouts. Le Canada dispose d’avantages uniques, comme l’expertise dans l’énergie renouvelable, l’infrastructure, l’éducation, l’innovation et la technologie. En se concentrant sur ces domaines, le Canada pourra offrir aux nations africaines des partenariats qui créent des emplois et stimulent la croissance durable, ce qui complète les efforts de la Chine au lieu de rivaliser avec elle, qui semble plus se concentrer sur la création d’infrastructures.

D’après mon travail de chercheur, les nations africaines ne sont plus simplement des nations qui reçoivent de l’aide de l’étranger. La plupart d’entre elles sont des partenaires assurés qui forment de nouvelles alliances. Il ne fait aucun doute que les consultations du Canada sur la stratégie africaine constituent un premier pas, mais le Canada doit poursuivre ses efforts de toute urgence et faire preuve d’ambition. L’Afrique s’intéresse déjà à de nouveaux partenaires comme la Chine. Si le Canada désire demeurer pertinent, il doit se présenter comme un partenaire attentif et respectueux envers les priorités africaines, et doit offrir de véritables avantages. Il ne s’agit pas seulement d’une occasion qui s’offre, il s’agit également d’une étape déterminante pour le futur rôle du Canada dans le monde.

Merci, j’attends vos questions avec impatience.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Odoom.

[Français]

C’est maintenant la période des questions. J’aimerais préciser aux sénateurs qu’ils disposent de quatre minutes chacun pour la première ronde, y compris les questions et les réponses. Je demanderais donc aux sénateurs et aux témoins d’être concis. Nous pourrons toujours tenir une deuxième ronde, si le temps le permet.

[Traduction]

Le sénateur MacDonald : Merci, messieurs, de votre témoignage aujourd’hui. Je vais poser ma première question à M. Hornsby.

Récemment, Edward Akuffo, chef du département de science politique de l’Université de la Vallée du Fraser, a témoigné devant le comité. Lors de sa comparution, il a recommandé que le gouvernement du Canada :

[…] augmente le nombre de ses ambassades dans les États africains et établisse des missions permanentes dans chacune des huit communautés économiques régionales afin d’assurer l’efficacité et la visibilité de son engagement sur le continent.

Je me demandais si vous pouviez commenter cette recommandation et nous dire ce que vous pensez de sa justesse.

M. Hornsby : Merci beaucoup, monsieur le sénateur, de la question. J’ai eu l’occasion d’observer le témoignage de M. Akuffo et d’écouter ses commentaires ici devant le comité. Je partage son avis selon lequel il faut augmenter la représentation.

Je pense qu’il est important de reconnaître que si le Canada a maintenu une forte présence sur le continent, on considère que cette présence diminue. Cela s’explique en grande partie par la fermeture d’un certain nombre de nos missions diplomatiques pleinement accréditées. Je suis certain que nos amis d’Affaires mondiales Canada voudront nuancer mon opinion et celle de M. Akuffo en allant jusqu’à dire : « Certes, nous avons fermé des ambassades, mais nous avons créé toutes sortes de bureaux de délégués commerciaux. »

Le problème, c’est que ces bureaux de délégués commerciaux n’ont pas pour objectif de faciliter la diplomatie. Leur objectif n’est pas de stimuler l’engagement à tous les niveaux politiques, et de nouer des relations avec et entre tous les gouvernements. Ils ont pour mission de promouvoir le commerce et l’investissement. Je pense que cela envoie un message très différent à nos partenaires africains sur l’intérêt et le désir du Canada de nouer des relations.

Je partage l’opinion de M. Akuffo selon laquelle nous devons augmenter le nombre de missions diplomatiques et retourner au moins à un certain niveau qui reconnaît l’importance politique des nations africaines.

Cela dit, je reconnais que nous sommes également dans un contexte financier très serré. Le Canada, avec ses 42 millions d’habitants, ne peut pas être partout et tout représenter pour tout le monde. Nous devons être créatifs au sujet de la façon dont nous faisons progresser ce type de représentation.

Je vivais en Afrique du Sud lorsque le ministre John Baird a annoncé que le Canada allait se joindre aux missions du Royaume-Uni pour maintenir une présence. Je me disais que c’était un moyen très créatif de garantir la représentation.

Il y a toutes sortes de moyens de le faire en ligne également, mais en fin de compte, je suis d’accord avec cette première option.

Le sénateur MacDonald : Monsieur Odoom, compte tenu du rôle de la Chine en tant que plus grand partenaire commercial actuel de l’Afrique, et de sa présence militaire et diplomatique croissante, y compris sa participation dans les missions de maintien de la paix de l’ONU, et de l’établissement d’une base militaire à Djibouti en 2017, comment évaluez-vous les répercussions de la participation militaire de la Chine sur la stabilité et la sécurité dans la région?

De plus, comment les intervenants internationaux, comme le Canada, devraient-ils réagir ou s’engager face à l’influence grandissante de la Chine dans les affaires liées à la sécurité de l’Afrique?

M. Odoom : Merci, monsieur le sénateur, de la question. Je pense qu’il s’agit d’une question qui concerne certains des enjeux plus importants auxquels le Canada, en tant que moyenne puissance, est confronté, en ce qui a trait à l’interaction de l’Afrique avec d’autres acteurs, dont la Chine.

La participation militaire de la Chine suppose deux éléments. En réalité, il y a certains aspects de la participation de la Chine qui font partie de ses responsabilités en tant que membre des Nations unies. Cet élément est là. Mais il y a également un autre élément qui est lié à sa propre définition de son intérêt stratégique sur le continent. C’est pourquoi nous voyons des bases militaires de la Chine à Djibouti, au même titre que celles des États-Unis et d’autres pays.

Lorsqu’on s’intéresse au rôle du Canada à l’égard de la Chine dans ce contexte, selon moi, si je me fonde sur mes recherches et sur ce que d’autres chercheurs ont mentionné, on se rend compte que le Canada n’a pas besoin de rivaliser avec la Chine. Je pense qu’il y a bon nombre d’aspects de l’engagement de la Chine qui ne plaisent pas à bien des citoyens et des dirigeants africains, mais il semble toutefois que son engagement en matière de sécurité et de développement soit aligné avec les priorités africaines. C’est, je pense, l’aspect essentiel auquel le Canada devrait accorder davantage d’attention. En effet, il s’agit non pas vraiment de ce que la Chine représente en tant qu’entité, mais plutôt, de ce qu’elle offre aux yeux de bon nombre de décideurs africains.

Le sénateur Ravalia : Merci aux trois témoins de leur présence cet après-midi. Ma première question s’adresse à M. Odoom.

Lors de son témoignage devant le comité, Son Excellence Bankole Adeoye a dit que le Canada « … fait preuve d’une très bonne et très grande volonté sur le continent africain… » Il a mentionné, en particulier, le fait que les peuples des pays africains entretenaient des liens très solides entre eux, et c’est quelque chose sur quoi le Canada devrait mieux se pencher.

Pouvez-vous nous décrire l’engagement de la diaspora canadienne sur le continent et de la diaspora africaine au Canada? Quelle contribution pourraient-elles faire pour améliorer nos liens?

M. Odoom : Merci, monsieur le sénateur. C’est une excellente question. Dans ma déclaration liminaire, j’ai fait référence au fait que le Canada dispose d’un avantage dont bon nombre de pays, y compris les pays du G7, ne disposent pas. En effet, cet avantage, c’est la présence très active de la diaspora africaine, et cela touche des professions différentes. Si vous y réfléchissez, rien que la présence de la diaspora africaine dans la communauté universitaire canadienne représente un énorme atout.

Une grande partie de la diaspora africaine au Canada représente un atout essentiel pour l’engagement du Canada, car elle aide à renforcer nos liens avec nos homologues africains. Une grande partie de la diaspora canadienne représente également le lien dont nous pouvons tirer parti, en ce qui concerne la stratégie du Canada en matière de commerce et d’investissement, car beaucoup de ces personnes, moi y compris, sont venues ici, voilà plusieurs années, en tant qu’étudiants internationaux. Par l’entremise de mon travail en tant que professeur, mais également que personne qui encourage les étudiants à atteindre l’excellence universitaire, je sais que bon nombre de personnes sont parties du continent pour venir au Canada, et ces personnes ont contribué de manière essentielle à l’économie canadienne, et ce, non seulement grâce à leur profession, mais aussi grâce à la communauté qu’ils arrivent à former ici.

Je pense qu’il s’agit d’un atout qui est probablement très unique au Canada. Plus nous tirons parti de la diaspora africaine, et plus, en quelque sorte, nous lui donnons les moyens de réussir, plus nous serons à même de bénéficier des avantages qu’elle pourra nous offrir, car ses membres occupent toutes sortes de professions différentes.

Le sénateur Ravalia : J’aimerais revenir à M. Laryea-Adjei. Pourriez-vous s’il vous plaît décrire votre stratégie actuelle en ce qui concerne l’administration du vaccin dans tout le continent, et la vulnérabilité particulière des enfants dans les régions de conflit qui sont dépourvues de vaccins?

M. Laryea-Adjei : Merci, monsieur le sénateur, de la question. À l’heure actuelle, l’UNICEF fournit environ 60 % des vaccins requis en Afrique. Pour ce faire, nous travaillons avec les fabricants du monde entier pour veiller au respect des normes et pour réduire les prix. De plus, nous fournissons également les équipements essentiels, comme l’équipement de la chaîne froide et nous formons également les travailleurs de la santé.

À l’heure actuelle, il y a huit millions d’enfants en Afrique que nous catégorisons comme étant des enfants « zéro dose », ce qui veut dire qu’ils n’ont reçu aucun vaccin. Ces enfants représentent un groupe qui n’a également pas accès à d’autres services de santé. Nous nous sommes fixé comme objectif de veiller à ce que tous ces enfants y aient accès dans les cinq prochaines années. Les partenaires comme le Canada, qui sont très actifs avec nous dans le cadre de diverses initiatives en matière de vaccin, y compris dans l’alliance mondiale pour la vaccination, sont essentiels pour garantir l’atteinte de ces objectifs.

Les urgences de santé publique ne cessent d’augmenter. Nous sommes confrontés à la variole simienne, par exemple. Nous devons élargir notre surveillance au même titre que nos approches en ce qui a trait à la gestion des vaccins.

Merci beaucoup.

Le sénateur Ravalia : Merci.

[Français]

La sénatrice Gerba : Le gouvernement du Canada a entrepris différentes actions depuis un certain temps afin d’en arriver à redéfinir sa stratégie de partenariat avec le continent africain.

Un des moments forts de ces actions a été la tenue à Toronto du dialogue de haut niveau entre le Canada et l’Union africaine le 7 novembre dernier. Ce dialogue a mis la diaspora au cœur des discussions et il s’en est suivi quelques déclarations.

Donc, sachant l’importance de la diaspora africaine et connaissant la diversité des diasporas africaines au Canada, comment le Canada doit-il exploiter cet atout qu’est la diaspora, à votre avis?

Monsieur Odoom, vous avez parlé d’un atout qui est la diaspora. Comment le Canada doit-il utiliser cet atout pour établir le pont nécessaire avec l’Afrique?

[Traduction]

M. Hornsby : Merci beaucoup, madame la sénatrice. Vous avez soulevé un point important sur les possibilités de la diaspora. Il est certain que le dialogue de haut niveau avec l’Union africaine est un signe très positif. Cela signale clairement les intentions du Canada et son désir d’entretenir des relations solides.

Je crois que le Canada peut créer des ponts avec les groupes de la diaspora à l’échelon gouvernemental d’une foule de façons. Le pays devra adopter une approche très nuancée, parce que les groupes de la diaspora ne partagent pas tous la même opinion ou n’ont pas tous la même relation avec leur pays d’origine.

Mais je crois que nous pouvons envisager différents moyens de le faire. Les liens en matière d’éducation et les occasions scientifiques et technologiques sont le moyen le plus naturel. Nous voulons créer des occasions qui ne sont pas nécessairement apolitiques, mais qui ne sont pas assujetties aux aléas des cycles politiques. Nous pouvons tirer profit de la science, des technologies, de l’innovation et de l’écosystème de l’éducation pour mobiliser les diasporas de manière productive. Cela comprend les permis d’études, les échanges étudiants, la création de liens entre les entités scientifiques et de recherche canadiennes et celles de différents pays du continent africain, et cela peut même comprendre les environnements réglementaires fondés sur la science, comme la salubrité des aliments et d’autres sciences de ce genre. Voilà comment mobiliser la diaspora.

Il y a également le moyen naturel de le faire, c’est-à-dire les échanges commerciaux et les investissements, en considérant les groupes de la diaspora comme des générateurs d’occasions d’entreprises commerciales dans leur pays d’origine, et le Canada pourra jouer un rôle en créant des forums par l’entremise des chambres de commerce, et cetera.

Voilà des manières et des façons de mobiliser efficacement les groupes de la diaspora. M. Odoom a peut-être quelque chose à ajouter.

M. Odoom : Comme je l’ai déjà dit, le Canada a l’avantage de pouvoir gagner la confiance de la diaspora africaine, ici.

Madame la sénatrice, vous avez raison pour la diversité. Il y a deux mois, j’ai participé à un événement organisé par un groupe d’études africain ici, à Ottawa, et j’ai pu voir que les opinions sur le sujet divergeaient.

L’une des choses que j’ai apprises au fil des ans est que beaucoup de gens issus de la diaspora africaine, ici, au Canada, ne cherchent pas seulement des occasions; ils aimeraient voir quelque chose qui va au-delà de la reconnaissance symbolique de leur présence, quelque chose qui s’apparente, par exemple, à ce que je fais ici aujourd’hui. Je crois que nous devons reconnaître le rôle que la diaspora africaine peut jouer au Canada.

Je tiens également à dire que, étant donné notre diversité, il y a des gens — comme moi — qui s’intéressent davantage à des choses comme les partenariats entre les universités canadiennes et africaines. Je sais que c’est quelque chose que fait déjà M. Hornsby. C’est une merveilleuse initiative qui vient parfois de la diaspora africaine, et, lorsque l’institution y adhère, le projet est sur ses rails.

Il y a aussi, évidemment, des gens qui s’intéressent davantage au commerce et aux affaires.

C’est un groupe diversifié de gens qui témoignent de la force de l’influence du Canada, même au-delà du continent africain. Je crois que la communauté apprécie vraiment voir ce genre de signes, de voir que le Sénat veut entendre notre opinion.

La sénatrice M. Deacon : Merci aux témoins d’être parmi nous aujourd’hui. C’est apprécié.

Je vais commencer par poser une question à l’UNICEF. J’ai vu votre rapport un peu préoccupant du mois dernier qui disait que, globalement, les gouvernements africains consacrent la plus grande partie des dépenses sociales, chez les enfants plus âgés, tout en négligeant les plus jeunes, pendant que seulement 6 % des dépenses sociales essentielles ont été consacrées aux enfants âgées entre 0 à 5 ans. J’aimerais comprendre d’où vient cet écart, surtout par rapport aux autres régions du monde.

M. Laryea-Adjei : Merci de la question.

La plupart des pays africains consacrent environ 20 % de leur budget à l’éducation, et ce financement est parfois dirigé vers l’enseignement secondaire au détriment de l’éducation préscolaire. Je crois que c’est un choix difficile que ces pays ont dû faire, alors qu’ils consolident leur capital humain pour favoriser la croissance économique.

Dans l’ensemble, le niveau de dépense est insuffisant pour réaliser leurs objectifs de croissance économique. C’est encore, malheureusement, le prix à payer pour avoir accordé la priorité à un secteur de l’éducation qu’ils croyaient avoir la meilleure valeur ajoutée, principalement l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. Je ne crois pas qu’un pays comme le Canada devrait encourager un tel compromis.

Je crois que le Canada, de concert avec l’UNICEF et d’autres organismes internationaux, devrait encourager les pays africains à investir davantage dans l’éducation en général, et à accorder la priorité à l’éducation préscolaire, la plus rentable, mais le Canada devrait également aider les pays africains avec des modèles de partenariat leur permettant de financer adéquatement l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur.

J’essaie d’éviter une dichotomie — soit vous investissez dans l’enseignement secondaire et supérieur, soit vous investissez dans l’apprentissage de base. Je crois que l’aide au développement devrait soutenir l’apprentissage de base et l’éducation des filles, mais il peut aussi exister des occasions de partenariats publics-privés pour l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur. Cela devrait, je l’espère, faire augmenter le niveau de scolarité. Encore une fois, l’éducation demeure le défi le plus important pour l’Afrique du point de vue du capital humain. Je vous encourage à y prêter une attention particulière pendant votre étude de la politique étrangère du Canada.

La sénatrice Coyle : Merci aux trois témoins d’aujourd’hui.

Cela fait toujours l’effet d’une douche froide d’entendre que le Canada est à la traîne, même si nous l’avons déjà entendu. Il y a un écart. Je crois que vous avez dit que c’était un écart de 20 ans. C’est un énorme écart. Nous manquons le bateau pour certains débouchés. Nous devons agir. Nous ne pouvons pas le faire selon la vieille méthode. Nous ne pouvons pas considérer l’Afrique comme un ramassis de problèmes qui doivent être réglés par quelqu’un à l’extérieur du pays. D’ailleurs, le pays nous offre beaucoup d’occasions de s’impliquer à de nombreux niveaux. J’apprécie beaucoup le contexte dans lequel vous avez placé vos commentaires.

Monsieur Hornsby, vous avez parlé du besoin d’établir des liens entre le développement, la politique étrangère, le commerce et l’immigration. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire?

M. Hornsby : Certainement. Merci, madame la sénatrice.

Mon commentaire était axé sur le Canada. C’est-à-dire que, lorsque nous regardons aujourd’hui Affaires mondiales Canada, nous avons vu la fusion. La fusion... Combien d’années se sont écoulées, c’est 10 ou 12 ans? Monsieur le sénateur Harder, vous étiez là, à l’époque, n’est-ce pas? Non? D’accord, vous l’avez manqué. Monsieur le sénateur Boehm, vous étiez là, n’est-ce pas? La fusion a pris 10 ans, et pourtant l’environnement politique est encore très cloisonné.

Je dois dire que l’immigration est pour moi quelque chose d’assez confus. Je le dis un peu sur le ton de la plaisanterie, en partie parce que j’ai l’impression que notre politique et nos approches en matière d’immigration ne cadrent pas avec les intérêts de notre politique étrangère. Je crois qu’il devrait y avoir une plus grande harmonisation à ce chapitre.

Cela étant dit, c’est tout à fait vrai pour la politique étrangère, le commerce et le développement. Dans notre propre département, je crois que nous devons plus explicitement décloisonner la politique et adopter des approches plus globales, inclure cela dans nos engagements envers les États africains et l’Union africaine et trouver des manières de parler des enjeux importants. Peut-être que nous pourrions nous concentrer sur les enjeux importants que nous avons en commun et nous entendre à leur sujet.

C’est ce que j’essayais de dire avec ce commentaire.

La sénatrice Coyle : Merci, c’est utile.

Je m’intéresse aux types de partenariats que vous avez tous deux mentionnés, les partenariats avec les universités et les groupes de réflexion axés sur la science, l’éducation et la société civile. Est-ce que l’un de vous deux pourrait nous en dire plus?

M. Odoom : Je peux vous parler rapidement des partenariats avec la société civile. C’est une excellente question, madame la sénatrice. Un des problèmes que nous observons au chapitre de la gouvernance est que de nombreux pays africains qui excellent en matière de gouvernance se heurtent à une très forte opposition de la part de groupes de la société civile.

Le Canada a l’avantage de soutenir nombre de ces institutions, non seulement pour renforcer la capacité, mais aussi pour instaurer des obligations redditionnelles, souhaitées par les citoyens africains ainsi que certaines des responsabilités redditionnelles qui répondent aux attentes mondiales. C’est très important.

Je crois que quelqu’un a parlé du dialogue de haut niveau qui s’est tenu récemment, à Toronto. C’était un événement important, mais à l’avenir, nous devrions peut-être penser à d’autres engagements avec les leaders de la société civile africaine.

Les jeunes sont aux premières lignes de la prochaine phase de la renaissance de l’Afrique.

La sénatrice Ross : Je vous remercie tous les trois de votre témoignage enrichissant et intéressant d’aujourd’hui.

Monsieur Hornsby et monsieur Odoom, vous avez tous deux fait une liste. J’aime les listes. L’une était une liste de cinq choses. L’autre était une liste de quatre choses que le Canada devrait faire selon vous pour avoir une relation plus solide et plus moderne avec l’Afrique. Quelle serait la première chose que nous devrions faire? Sur quoi devrions-nous nous concentrer et pourquoi? Quel rôle pourrait jouer le Sénat?

M. Hornsby : C’est une excellente question, madame la sénatrice. Merci.

En tant qu’universitaire, je n’aime pas dire qu’une chose a priorité sur une autre. Elles sont toutes essentielles. Si je devais en choisir une, l’idéal, c’est de partir de quelque chose qui est déjà en place pour déclencher l’engrenage.

La théorie fonctionnaliste de l’engrenage, que nous utilisons dans les relations internationales pour expliquer le modèle de l’Union européenne, pourrait s’appliquer à notre relation avec l’Afrique.

Je crois qu’il serait judicieux de renforcer les écosystèmes de la science, de la technologie, de l’innovation et de l’éducation.

Madame la sénatrice, je pourrais en répondant à votre question répondre aussi à la question de la sénatrice Coyle, et dire que nous avons déjà des liens solides du côté de la science et de la technologie.

L’Institut Périmètre est étroitement lié à l’Institut africain des sciences mathématiques, de l’autre côté du continent, dont nous faisons partie.

Le Canada participe actuellement à un projet réalisé en Afrique du Sud qui concerne les sciences astronomiques, le projet du Réseau d’un kilomètre carré.

La semaine dernière, nous avons accueilli une délégation du ministère de la Science, de la Technologie et de l’Innovation de l’Afrique du Sud dans le cadre d’une consultation mixte avec ISDE, pour trouver des moyens et des façons de développer des partenariats.

Je travaille en étroite collaboration avec le réseau Canada-Afrique du Sud des universités, qui vise à promouvoir la collaboration sur les grands problèmes et la recherche fondamentale pour tirer profit de l’expertise des deux pays.

C’est le genre de choses qui nous permettent d’évoluer et sur lesquelles nous pouvions nous appuyer. Le Sénat peut grâce à cette étude favoriser ce genre de liens. Ces liens sont importants en partie parce qu’ils ne sont pas influencés par le cycle politique.

Peu importe le gouvernement au pouvoir dans les deux pays; on s’entend généralement pour dire que la science, la technologie, l’innovation et l’éducation sont des domaines qui se prêtent à la collaboration.

La sénatrice Ross : Monsieur Odoom, j’aimerais entendre votre réponse.

M. Odoom : Selon moi, il y a deux raisons pour lesquelles l’engagement et la présence du Canada sont limités, ou du moins inférieurs au niveau souhaité : premièrement, le Canada se concentre sur d’autres régions, ce qui est légitime; deuxièmement, on comprend de moins en moins la dynamique changeante de l’Afrique. C’est très important, parce que si je devais choisir une chose parmi celles que j’ai mentionnées, c’est que nous devons comprendre les organismes africains et les priorités de l’Afrique.

Dans de nombreuses entrevues que j’ai faites avec des décideurs africains et des personnes ordinaires, j’ai beaucoup entendu dire... J’étudie la Chine, et l’important n’est pas que les investisseurs et les acteurs chinois agissent avec bienveillance, mais que les priorités des uns semblent alignées sur les priorités des autres. C’est probablement une bonne idée de se renseigner sur les priorités de l’Afrique. Je crois que ces genres de consultations nous amènent sur la bonne voie. Je crois que c’est l’étape la plus importante. La dernière chose est que nous voulons réaliser ces ambitions grâce à des étapes concrètes et durables; autrement, cela ne serait pas ce que nous voulons.

Le sénateur Harder : Monsieur Hornsby, vous avez dit que nous avions 20 ans de retard. Je dirais que, au cours de ces deux décennies, trois choses importantes ont changé en Afrique. La première est la démographie, et je ne pourrai jamais trop insister sur l’intervention de l’UNICEF pour nous rappeler ces données démographiques. La deuxième est que l’Afrique se prend en main, dans le sens de la mise sur pied d’institutions régionales et pan-africaines. La troisième est d’ordre géopolitique.

Compte tenu de ces trois élans, il me semble que certaines des vieilles solutions ne fonctionnent plus aussi bien. Nous devons participer à plus de missions. Je le comprends, car nous avons probablement trop réduit nos effectifs, mais le fait de participer à plus de missions ne résoudra pas le problème et ne nous rendra pas plus stratégiques non plus. Pourriez-vous me dire, tous les deux, en tant que professeurs, comment nous pouvons renforcer notre capacité à traiter avec les institutions régionales que l’Afrique elle-même est en train de mettre sur pied? Deuxièmement, y a-t-il un pays de taille égale à la nôtre qui fait les choses correctement? Ne dites pas l’Union européenne, car elle a l’avantage de faire partie d’une institution. Je ne sais même pas à qui je fais référence en disant cela, mais il me semble que nous ne pouvons pas dire que nous pouvons être une meilleure Chine ou de meilleurs États-Unis. Nous devons être un meilleur Canada. Pourriez-vous commenter ces idées?

M. Hornsby : Merci, monsieur le sénateur. Vous avez raison. J’apprécie la manière de présenter les trois changements majeurs : la démographie, l’autonomie africaine et les changements géopolitiques.

Pour répondre à votre première question à propos des régionalismes et de la manière dont nous établissons des liens, nous devons tout d’abord trouver un moyen officiel d’avoir une certaine présence accréditée au sein des communautés économiques régionales. Ils les appellent communautés économiques régionales, sur le continent, mais en réalité, elles sont bien plus étendues que cela; elles ont des programmes politiques et des dimensions sociales, et cetera.

Si nous pouvons avoir au sein des communautés économiques régionales un type de représentation similaire à ce que nous avons dans l’Union africaine, ce serait un bon moyen, en tant que puissance moyenne — en tant que pays à capacité moyenne — de nous assurer d’être présents et engagés sans avoir à mettre en place 40 ou 45 nouvelles missions, car elles sont très coûteuses.

Y a-t-il un pays qui fait les choses correctement? Je suis impressionné par la façon dont le Japon tisse des liens. Le Japon est un peu plus grand que nous. Il fait toujours partie du G7. Je crois que c’est en partie pour cette raison qu’il réussit.

Le sénateur Harder : Il ne s’occupe pas bien de la migration.

M. Hornsby : Il ne s’occupe pas bien de la migration. C’est vrai, mais il tisse avec les gouvernements africains des liens s’apparentant à un partenariat d’égal à égal. Je crois que le Japon a beaucoup appris du modèle chinois, qui consistait à aller sur place et à demander : « De quoi avez-vous besoin? Comment pouvons-nous vous aider? » Je crois que ce serait un exemple. L’autre exemple serait celui des Australiens. Ils investissent beaucoup dans les sciences et les technologies en plus d’encourager les échanges transfrontaliers entre établissements d’enseignement. Les Australiens vont dans les universités africaines, et vice versa, et ont de solides échanges de conseils et d’informations scientifiques.

M. Odoom : Merci. C’est une très bonne question. Le Canada doit pouvoir faire ce qu’il peut, considérant ses propres forces. Vous avez raison sur les trois questions que vous avez soulevées : la démographie, l’autonomie africaine et la géopolitique. Toutefois, en ce qui concerne les institutions initiales et le partenariat ou l’engagement du Canada, nous pouvons parler de la façon dont les entreprises canadiennes et le Canada peuvent tirer profit de la zone de libre-échange continentale africaine, désormais une réalité. Il y a plusieurs éléments de cet accord que le Canada pourrait trouver utile pour accroître ses relations commerciales avec certains pays africains.

Le Canada ne devrait pas essayer de concurrencer la Chine, comme je l’ai dit, ou les autres grandes puissances qui investissent, mais, il peut faire quelque chose d’unique. Par exemple, nous pouvons parler des investissements chinois dans les infrastructures, qui représentent des milliards de dollars, mais il est également intéressant de noter que 80 % des projets d’infrastructure planifiés sur le continent ne dépassent pas le stade de la faisabilité. C’est toujours parce qu’il y a le problème de la gestion des projets, un point fort du Canada. Le Canada a des entreprises qui ont une expertise dans ce domaine et qui peuvent tirer parti de cela.

Dans le contexte du G7, je crois que l’un des rôles que le Canada peut jouer, vu en particulier la présidence canadienne du G7 en 2025... Je sais que vous avez dit pas l’Union européenne, mais je tiens à le mentionner, car il y a ici quelque chose que le Canada peut faire, à savoir le G7 dirigé par les États-Unis, le partenariat pour les infrastructures mondiales et l’investissement, qui est comme un contrepoids à l’initiative « Une ceinture, une route ». Étant donné la manière dont cela est déployé sur le continent, en particulier avec le corridor de Lobito qui traverse l’Angola jusqu’à la République démocratique du Congo et la Zambie, il y a là de nombreuses retombées, dont les entreprises et les sociétés canadiennes peuvent tirer parti.

Le président : Je suis désolé, vous avez dépassé le temps imparti pour ce segment, mais ce que vous dites est très intéressant, monsieur Odoom. En fait, je vais enchaîner avec une question, mais j’aimerais d’abord la poser à M. Laryea-Adjei, à New York, car j’ai une question institutionnelle. Je reviendrai ensuite à la question que vous posait le sénateur Harder.

Ma question institutionnelle est la suivante : L’UNICEF est, bien entendu, toujours dépendant et à la merci de la communauté des donateurs. Nous avons subi l’impact de la pandémie, qui a entraîné un changement de politique, jusqu’à un certain point, et il est certain qu’une nouvelle réflexion est en cours au sein du Comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économique, l’OCDE, où les pays donateurs se réunissent et discutent des changements de politique. Est-ce une préoccupation pour l’UNICEF? Quelle est votre plus grande préoccupation en ce qui concerne votre base de financement? Vous êtes le directeur du groupe de programmes.

M. Laryea-Adjei : Merci beaucoup. C’est une question essentielle. Je suis d’accord avec vous pour dire que la pandémie a provoqué un grand changement en Afrique dans la façon dont les Africains envisagent leur propre croissance. Cela a créé d’énormes possibilités pour l’UNICEF ainsi que pour d’autres partenaires dans la manière dont nous mobilisons le continent.

Du point de vue des dirigeants africains, la leçon principale retenue de la pandémie est que le monde n’a pas alloué suffisamment de vaccins au moment où l’Afrique en avait le plus besoin, et cela est devenu une question de politique étrangère pour plusieurs gouvernements africains : il faut investir dans la production locale des produits essentiels à la vie. Les vaccins en sont un exemple, mais cela va des produits pharmaceutiques à la mécanique pour l’approvisionnement en eau, en passant par les matériaux de construction et ainsi de suite.

Cela ouvre au Canada d’immenses possibilités de réorienter sa politique à l’égard de l’Afrique. Une question a été posée visant à savoir quels gouvernements étaient les plus actifs dans cet espace en ce qui a trait à la nouvelle géopolitique. Je ne donnerai pas de noms, mais je sais pertinemment que certains gouvernements aident les pays africains à produire leurs propres vaccins en ce moment même. L’Afrique a besoin que les gouvernements l’aident aussi à développer son système scolaire de manière bilatérale, et non pas par un partenariat multilatéral. Le Canada sera-t-il le partenaire de choix pour aider l’Afrique à invertir et à réimaginer un système d’éducation différent? Oui, le paysage du financement est ingrat, mais ce dont l’Afrique a le plus besoin, c’est de partenaires qui sont toujours engagés à réaliser le programme africain, y compris l’éducation, la santé et la nutrition.

Le président : Merci beaucoup. Il me reste encore un peu de temps, alors j’aimerais revenir aux échanges entre le sénateur Harder et monsieur Odoom et aller un peu plus loin.

Dans ma vie antérieure, dans mes travaux, j’ai entre autres exploré la manière dont les fonds de pensions canadiens, plutôt bien nantis, pouvaient nouer des partenariats, particulièrement en matière d’infrastructure critique, pour que l’on ne se demande pas seulement ce que la Chine peut fournir sur ce front. Il y a eu beaucoup de discussions, mais nous n’avons jamais vraiment avancé dans ce dossier. Je me demandais si vous aviez quelque chose à dire à ce sujet, monsieur Odoom.

M. Odoom : Oui. Merci, monsieur le président, de la question. Pour attirer l’attention sur l’Afrique, de nombreux pays ont adopté une approche innovante consistant à essayer de financer le développement. Certaines approches fonctionnent bien, d’autres moins bien, ce qui ressort de mes recherches et d’autres recherches, c’est que la communauté mondiale, y compris le Canada, peut trouver des façons novatrices de financer le développement du continent. Je crois que vous faisiez référence aux fonds de pensions. Cela comporte des défis, car la situation actuelle, en Afrique et ailleurs, est que de nombreux pays — au moins trois pays sur le continent — n’arrivent pas à rembourser leurs emprunts auprès des institutions financières et les euro-obligations. Le problème est que l’on ne peut pas parler d’annulation de dettes dans ces contextes, car ces types d’accords financiers ne se prêtent pas facilement à cela...

Le président : Merci. Je dois vous interrompre et m’interrompre également car notre temps est écoulé. Nous passerons au deuxième tour, maintenant, chers collègues, en commençant par le sénateur MacDonald.

Le sénateur MacDonald : Merci. Le président a en quelque sorte abordé la question que je voulais poser. Je suppose que les grands esprits se rencontrent; c’est ce que j’aimerais croire.

Vous avez dit, monsieur Odoom, que la Chine est mieux alignée sur les priorités africaines que le Canada, mais c’est une déclaration assez générale. J’aimerais entendre quelque chose de plus précis, si cela est possible. La Chine dépense beaucoup d’argent, mais je ne crois pas que c’est simplement par bonté de cœur. Elle dépense beaucoup d’argent pour construire des infrastructures qui lui permettront d’étendre son influence et son pouvoir. Que pourrions-nous faire pour mieux nous aligner sur les priorités africaines telles que vous les avez décrites?

M. Odoom : Merci, monsieur le sénateur. Ce que nous faisons aujourd’hui et ce que vous faites depuis plusieurs mois va assurément dans la bonne direction. À entendre les différents intervenants sur la façon de bien faire les choses cette fois-ci, sur le continent, cela va vraiment dans la bonne direction.

Beaucoup de pays africains font face à des déficits d’infrastructure, qu’il s’agisse de l’électricité, des transports, des télécommunications ou de l’énergie. Cela semble être un domaine dans lequel, au fil des ans, les Chinois ont cherché à investir et qu’ils ont voulu dans certains cas exploiter. Le problème n’est pas tant que le Canada ne priorise pas les besoins de l’Afrique. Le simple fait que nous ayons cette discussion signifie qu’il y a quelque chose ici que nous pouvons au moins améliorer.

Selon moi, une grande partie du discours ou de la rhétorique que d’autres pays, y compris la Chine, utilisent, en ce qui concerne l’engagement sur le continent trouve écho auprès de nombreux dirigeants africains. C’est un des sujets dont j’ai parlé dans ma déclaration liminaire : il faut voir les débouchés que le continent offre. Je crois que les occasions d’affaires, de commerce et d’investissement sont énormes sur le continent. C’est en partie ce que l’engagement de la Chine a permis, et je crois que le Canada a également des forces dans ce domaine, en priorisant, par exemple, l’énergie.

Si nous avons le temps, je pourrais parler de certaines de ces forces, notamment en ce qui concerne les firmes d’ingénierie qui ne peuvent peut-être pas réaliser de grandes infrastructures à l’échelle du continent, mais qui peuvent jouer un rôle grâce à la compétence du Canada en matière de collaborations et de partenariats publics-privés. Je crois que l’on parle beaucoup de la Chine, mais je crois aussi qu’il y a beaucoup de partenariats avec la Chine, sur le continent, que le Canada pourrait peut-être explorer, car, en matière de gouvernance, les Africains ne s’inspirent pas de la Chine. Ils s’inspirent d’autres pays, y compris nous.

Le sénateur MacDonald : Merci.

M. Hornsby : Si vous me permettez d’intervenir, pour en revenir à ce qu’a dit le sénateur Harder sur nos capacités et sur ce que nous pouvons faire, compte tenu de notre position de « puissance moyenne ». Nous pouvons nous engager et investir dans des instruments africains pour apporter notre aide et faire partie d’un développement réussi.

Prenez la Banque africaine de développement, par exemple; historiquement, le Canada a joué un très gros rôle dans cette organisation. Toutefois, ces dernières années, il n’a cessé de réduire sa contribution. C’est quelque chose que nous pourrions changer facilement dès demain, ce qui placerait le Canada dans une position bien différente. Je pense que nous serions presque immédiatement perçus comme un pays qui contribue au développement de l’infrastructure du continent d’une façon qui reflète les besoins et les souhaits de l’Afrique.

Je pense que c’est ainsi que nous pouvons aider à contrer l’influence chinoise. Si nous tentons d’en faire autant que la Chine, qui est un pays gigantesque, nous ne pourrons pas y arriver.

Le président : Merci de mentionner les banques de développement multilatéral, un aspect important de ce dossier.

[Français]

La sénatrice Gerba : J’aimerais vous entendre davantage sur les partenariats pédagogiques que vous avez avec les universités africaines. Nous avons entendu des témoins indiquer que c’est une voie à suivre parce que, comme vous l’avez dit, le Canada et les universités canadiennes ont une expertise dans plusieurs domaines, et vous êtes en contact avec beaucoup d’universités en Afrique.

Je voulais faire le lien avec la diaspora encore une fois, parce que dans mes déplacements en Afrique, en tant que coprésidente de l’Association parlementaire Canada-Afrique (CAAF), j’entends souvent dire par les parlementaires et par les dirigeants africains que le Canada prend leurs meilleurs cerveaux, qui sont formés par leurs fonds publics.

Comme on l’a déjà entendu à ce comité, croyez-vous qu’il serait possible que le Canada aide l’Union africaine, dans le cadre de son agenda 2063, à bâtir son université panafricaine avec l’appui de toutes les universités, comme c’est déjà le cas en ce moment?

[Traduction]

M. Hornsby : Merci, madame la sénatrice. C’est un très bon point. Si vous me le permettez, je vais parler de la dernière partie de votre question avant de revenir à la première partie.

Nous sommes depuis longtemps perplexes en ce qui concerne l’exode des cerveaux et le fait que le Canada incite les Africains à venir étudier au Canada avant de retourner dans leur pays d’origine pour apporter leur contribution.

Je crois que nous avons l’occasion, grâce au renouvellement d’un ensemble de partenariats et de collaborations, de tisser des liens, d’offrir à des étudiants la possibilité de venir étudier au Canada auprès des meilleurs cerveaux du monde, dans les institutions canadiennes, tout en aspirant à retourner dans leur pays d’origine et d’y apporter leur contribution. Je pense que nous pouvons lier la possibilité d’étudier avec la possibilité de continuer d’investir dans le pays d’origine. On peut faire cela grâce à des subventions offertes par nos organismes des trois conseils. On pourrait le faire en aidant à mettre sur pied des entités similaires dans leurs pays d’origine, en s’assurant que ceux qui sont venus étudier ici occupent un poste d’influence important dans ce genre de systèmes.

J’ai participé à la conception du réseau Canada-Afrique du Sud des universités, entre autres parce que j’ai passé presque 10 ans dans une université sud-africaine en tant qu’universitaire. Au cours de mon passage là-bas, dans un système de 26 universités, j’ai vu beaucoup de capacités et de recherches innovantes avec lesquelles, selon moi, les institutions canadiennes auraient avantage à créer des liens.

Ce n’est pas un jeu à somme nulle. Je me suis concentré sur l’Afrique du Sud en raison des contacts que j’ai là-bas, mais il y a nombre d’excellentes universités partout sur le continent. Le classement des universités de l’Afrique subsaharienne du Times Higher Education a été publié hier, et vous y retrouvez l’Université du Ghana et l’Université du Rwanda. L’Université Makerere est reconnue pour son excellence. Il y a différentes institutions qui émergent.

Je pense que si nous pouvons tisser des relations, créer des dynamiques entre les organismes scientifiques et les lier à la recherche, à l’innovation et au développement, nous pourrons avantageusement faire venir des gens ici, puis les encourager à retourner dans leur pays d’origine.

Le sénateur Ravalia : Monsieur Odoom, j’aimerais revenir sur la question de la Chine. Nous reconnaissons que l’initiative « Une ceinture, une route » est très intéressante pour l’Afrique — les autoroutes, les ponts, les ports, les aéroports —, mais on a inventé une phrase pour désigner cette forme de progrès : c’est le concept de « la diplomatie du piège de l’endettement ». Quand je parle à mes propres contacts, surtout en Afrique subsaharienne, ce qui les préoccupe de plus en plus, c’est que la Chine fait maintenant entrer des travailleurs chinois dans nombre de ces secteurs, et que les divisions que crée ce genre d’approche néocolonialiste des petites colonies causent des problèmes sur le plan du travail pour la diaspora locale et augmentent la tension entre les communautés africaines et chinoises.

Pouvez-vous me parler de cela et des conséquences?

M. Odoom : Oui. Merci de la question. Il y a beaucoup de choses à dire à cet égard. J’ai étudié les relations de travail entre les entreprises transnationales chinoises et leurs travailleurs africains. Ce que nous réalisons de plus en plus, c’est que le problème, ce n’est pas seulement que des travailleurs chinois entrent dans le secteur, c’est plus compliqué que cela. C’est évident que cela affecte différents secteurs.

Il y a aussi la question de la diplomatie du piège de l’endettement, ce qui veut dire que beaucoup d’Africains sont débiteurs de la Chine, et cela a une grosse incidence sur la viabilité de la dette. Il est vrai que beaucoup de pays africains sont débiteurs de la Chine, mais si vous regardez la situation dans son ensemble, ce qui se passe à l’heure actuelle dans différents pays, qu’il s’agisse de l’Éthiopie, de la Zambie ou du Ghana, un grand nombre de ces pays... Bien entendu, la dette bilatérale envers la Chine est peut-être la plus élevée, mais, si vous regardez la situation dans son ensemble, c’est en fait une dette intérieure et une dette envers les marchés obligataires internationaux.

La Chine contribue manifestement au problème. Je pense que c’est là que le Canada a un rôle à jouer, pas dans le même contexte, mais dans la mesure où, comme nous l’avons mentionné précédemment, il y a beaucoup de bonne volonté au Canada.

Ce que je veux vraiment dire à cet égard, c’est que, en ce qui concerne la dette des Africains envers la Chine, nous pouvons critiquer nos partenaires africains parce que certaines ententes qu’ils ont signées avec la Chine et d’autres pays ne sont pas vraiment durables. Je pense que nous devons proposer des options. Les pays africains devraient avoir accès à d’autres solutions, outre s’adresser à ceux qui leur donnent ou prêtent de l’argent, ce qui peut être complexe. C’est là que le Canada a un rôle à jouer, peut-être pas en ce qui concerne ces importants fonds, mais plutôt sur le plan stratégique.

Le sénateur Ravalia : Merci.

La sénatrice Coyle : Monsieur Odoom, vous avez dit que le Canada devrait profiter de ses avantages. Le sénateur Boehm a parlé des fonds de pension canadiens. Nous avons parlé des instruments financiers multilatéraux.

Je viens tout juste de revenir de la COP 29, et avant cela, j’ai participé à une réunion du Parlement du Climat. Bon nombre des parlementaires présents venaient de l’Afrique. Vous avez raison quand vous dites qu’il y a de formidables possibilités en matière d’énergie renouvelable et dans d’autres secteurs, mais, même si le coût de la technologie a beaucoup baissé, pour que ce soit viable, le coût du capital est encore très élevé dans de nombreux pays.

Est-ce que l’un de vous peut me dire comment le Canada pourrait aider à structurer le financement pour aider ces pays à accéder à ces possibilités de développement économique, de commerce, et cetera, tout en aidant les pays africains à atteindre leurs objectifs de carboneutralité, ce qui est essentiel pour eux et pour nous tous?

M. Hornsby : De manière générale, madame la sénatrice, pour ce qui est du capital, il serait utile d’arrêter d’écouter les agences de notation, d’arrêter de suivre leurs recommandations au sujet du risque, de trouver différentes façons d’évaluer le risque et peut-être de créer nos propres instruments d’investissement — ou du moins de soutien aux investissements dans le développement de la capacité.

La sénatrice Coyle : Nous pourrions faire des choses pour atténuer le risque.

M. Hornsby : Exactement. Nous pourrions atténuer le risque. Pour en revenir à ce qu’a dit le sénateur Ravalia au sujet de la Chine, la raison pour laquelle les pays africains doivent tellement d’argent à la Chine, c’est parce que celle-ci offre des prêts d’investissement à un taux plus favorable qu’ailleurs. C’est quelque chose que nous devons prendre très au sérieux et qui mérite réflexion.

Pour en revenir à ce que j’essayais de dire plus tôt au sujet de la Banque africaine de développement, trouver des instruments africains pour apporter notre soutien peut aussi être un facteur contributif, ici.

M. Odoom : Merci, madame la sénatrice. Je pourrais ajouter un petit commentaire à ce que M. Hornsby vient de dire.

Partout sur le continent, nous voyons différents modèles dont se servent d’autres pays. Nous savons que les autres pays, y compris la Chine, recourent soit à des sociétés d’État, soit à des entreprises privées, au moment de s’engager sur le plan du développement ou du financement.

Je pense que ce que recherchent un grand nombre de nos partenaires africains va au-delà d’une simple interaction avec le gouvernement. Il est primordial de créer pour les entreprises canadiennes un climat propice, surtout pour celles qui excellent dans des secteurs prioritaires pour le continent africain. Le fait d’avoir une stratégie commune qui aide à coordonner tous ces intérêts du Canada vers le continent africain est un pas dans la bonne direction.

J’ai quelques réserves quand on dit que, puisque la Chine et d’autres pays obtiennent cela de l’Afrique, il est peut-être le temps que le Canada obtienne aussi quelque chose. Là n’est vraiment pas la question. Par exemple, j’étudie présentement l’énergie renouvelable, la technologie et l’innovation. Je regarde comment l’Afrique déploie la technologie, surtout l’intelligence artificielle, et ainsi de suite, dans le cadre de sa gouvernance et de sa gestion du trafic. Je vois les acteurs concernés, et le Canada n’est pas là.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci. C’est très généreux. J’aurais une dernière question par rapport au Canada, qui reçoit le G7 cette année. Vous savez que l’Union africaine a été admise au G20 et que les institutions africaines souhaiteraient aussi avoir une place permanente au Conseil de sécurité. Est-ce une question qui devrait être abordée par le Canada durant la tenue du G7?

[Traduction]

M. Odoom : Merci, madame la sénatrice. Je crois que votre question concerne ce que le Canada peut faire dans le cadre de sa présidence du G7 et la question de savoir si le Canada devrait aborder le sujet de l’intérêt des Africains pour la résidence permanente. C’est une bonne question.

Quand je donne mon cours de politique africaine et que je parle du Canada, je parle toujours de l’importance du rôle que jouent les nations africaines, surtout dans les forums internationaux, comme les Nations unies. Si c’est un enjeu qui a été présenté par les Africains en tant que priorité, je pense que le Canada devrait y réfléchir.

M. Hornsby : Madame la sénatrice, nous avons vraiment deux options ici : soit nous réformons le Conseil de sécurité pour augmenter la représentation au-delà des sièges permanents actuels, soit nous rasons tout ça — nous éliminons tout ça — et nous trouvons un mécanisme différent. Je sais que cette dernière suggestion fait hésiter les Nations unies depuis longtemps. La première suggestion semble être envisagée sérieusement, donc nous devrions peut-être appuyer ce genre de position et demander une représentation régionale.

Est-ce que cela se fera bientôt? J’en doute. Par conséquent, ce que je vous proposerais, dans le cadre de notre présidence du G7, c’est d’appuyer des engagements plus fermes et l’inclusion des États africains au sein des entités multilatérales, de manière équitable, afin de nous assurer que les voix sont entendues. Nous pouvons envisager cela dans plein d’institutions.

Le président : Merci beaucoup.

Je vais formuler une ou deux observations à titre de président. Vous avez parlé de la réforme du Conseil de sécurité. Je me rappelle avoir participé à une initiative à plusieurs pays à cet égard il y a 25 ans. On peut dire que c’est un projet en cours.

Je suis content que la sénatrice Gerba ait posé sa question au sujet du G7 parce que c’est exactement là où je voulais en venir. Rappelons-nous qu’il y a en fait eu un sommet à Kananaskis quand M. Chrétien était premier ministre, et des initiatives axées sur l’Afrique en ont découlé. Aussi, la dernière fois que le Canada a présidé le G7, à Charlevoix, nous avions aussi quelques initiatives qui ciblaient davantage les femmes et les filles — donc qui ciblaient davantage le genre —, en Afrique, et le G7, le système en général, a reçu un généreux financement de la Banque mondiale parce que nous avions fait nos devoirs pour l’obtenir.

Je sais que la planification est en cours et que c’est un aspect sur lequel notre comité pourrait se pencher, aussi, dans le cadre de ses recommandations futures relatives à notre étude sur l’Afrique.

Au nom du comité, j’aimerais remercier M. Laryea-Adjei, à New York, de sa patience. Nous apprécions l’excellent travail que fait UNICEF partout dans le monde, surtout en Afrique. J’aimerais remercier MM. Hornsby et Odoom d’être présents avec nous aujourd’hui.

Chers collègues, nous allons reprendre demain matin à 11 h 30, ici même, pour continuer notre étude sur l’Afrique.

(La séance est levée.)

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