LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 4 décembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, pour en faire rapport, les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique.
Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.
Le président : Bonjour, honorables sénateurs. Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario, et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.
Avant de commencer, j’inviterais maintenant les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Greene : Stephen Greene, Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, du Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Adler : Charles Adler, de Winnipeg au Manitoba.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface de l’Ontario.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish en Nouvelle-Écosse.
La sénatrice M. Deacon : Soyez les bienvenus. Marty Deacon de l’Ontario.
Le sénateur Al Zaibak : Mohammad Al Zaibak, de l’Ontario.
Le président : Merci beaucoup, honorables sénateurs. Je tiens à ajouter que le sénateur Adler nous rend à nouveau visite. Nous lui souhaitons la bienvenue au comité.
Je souhaite la bienvenue à tous ceux et celles qui nous regardent aujourd’hui sur ParlVU. Aujourd’hui, nous allons poursuivre notre étude sur les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique.
Nous avons le plaisir d’accueillir, à titre de témoins, M. Jason Nickerson, représentant humanitaire au Canada, Médecins Sans Frontières; Wendy Harris, présidente et directrice générale, Catalyste+; et Steve Gilbert, chef de l’exploitation, Nutrition International. Par vidéoconférence de Montréal, nous accueillons Anne Delorme, directrice générale, Humanité & Inclusion Canada. Bienvenue au comité et merci d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer aujourd’hui. Avant d’entendre vos observations et de passer aux questions et réponses, je demanderais à toutes les personnes présentes de bien vouloir désactiver les notifications sur leurs appareils.
Nous sommes maintenant prêts à entendre les déclarations préliminaires de cinq minutes de chacun des témoins, qui seront suivies de questions de la part des sénateurs.
[Français]
Madame Delorme, vous avez la parole.
Anne Delorme, directrice générale, Humanité & Inclusion Canada : Bonjour et merci beaucoup. Je suis désolée de ma participation à distance, mais VIA Rail a des difficultés avec ses trains ces temps-ci.
[Traduction]
Humanité & Inclusion Canada, aussi connu sous le nom Handicap International, est le co-lauréat du Prix Nobel de la paix pour sa campagne internationale visant à interdire les mines terrestres. Nous fournissons de l’aide humanitaire, un développement inclusif et des programmes visant à réduire la violence armée dans 60 pays du monde, dont 16 en Afrique. Depuis 40 ans, nous travaillons en partenariat avec des personnes handicapées dans le cadre de programmes de santé, d’éducation et de développement économique.
En ce qui concerne les handicaps, entre 10 et 20 % de la population africaine est touchée par des handicaps. Chez les réfugiés en situation de conflit, ce pourcentage passe à 25 %.
À titre de signataire de la Convention relative aux droits des personnes handicapées et lors des sommets mondiaux sur le handicap, le Canada a pris un certain nombre d’engagements à l’égard de l’inclusion des personnes handicapées dans la Politique d’aide internationale féministe, de multiples lettres de mandat ministérielles. De plus, la Loi sur la responsabilité en matière d’aide au développement officielle, ou ADO, mets l’accent sur la réduction de la pauvreté, et personne n’est plus pauvre ou plus marginalisé que les femmes et les enfants handicapés. Pourtant, il existe de graves lacunes dans le financement de l’inclusion des personnes handicapées en Afrique. Une approche plus ciblée est recommandée pour assurer l’atteinte des objectifs de développement durable, ou ODD, et pour tenir la promesse que personne n’est laissé pour compte.
Comme mon temps est limité — et j’aimerais vous donner un peu plus de détails sur les conflits, les droits des femmes handicapées, la santé inclusive ou même le développement économique en Afrique —, je vais me concentrer sur l’éducation inclusive, mais je serai heureuse de répondre à vos questions sur ces autres sujets.
[Français]
De toutes les régions du monde, c’est en Afrique subsaharienne que l’on retrouve le taux le plus élevé d’enfants en situation de handicap exclus de l’éducation. Moins de 5 % de ceux-ci sont inscrits à l’école primaire, ce qui représente 34 millions d’enfants.
Les enfants handicapés font face à de nombreux obstacles comportementaux, physiques et institutionnels pour accéder à une éducation de qualité. La stigmatisation et la discrimination par la communauté et le personnel de l’éducation sont notamment des obstacles majeurs à leur inclusion. Un rapport récent d’Humanité & Inclusion sur l’Afrique de l’Ouest a montré à quel point les coutumes et les croyances entravent l’éducation des enfants en situation de handicap, qui sont souvent rendus invisibles dans leur communauté, parce que leurs parents les cachent ou les gardent à la maison pour les protéger.
[Traduction]
En ce qui concerne les enfants handicapés, on parle souvent du cinquième enfant caché. Dans le camp de réfugiés de Kakuma, au Kenya, j’ai rencontré un garçon du nom de Brian qui, à l’âge de 8 ans, n’était pas scolarisé. Sa mère a expliqué comment elle l’avait enchaîné dans la maison pour l’empêcher d’errer lorsqu’elle partait pour faire des courses ou travailler. Elle avait peur que la collectivité découvre l’existence de son enfant. Aujourd’hui, Brian s’épanouit à l’école grâce au soutien de Humanité & Inclusion, et sa mère fait partie d’un cercle de mères qui cherchent à changer les normes sociales dans sa collectivité afin que d’autres enfants handicapés, que ce soit physiquement ou sur le plan du développement, puissent accéder à l’éducation et s’épanouir.
De plus, les filles handicapées sont l’un des groupes les plus discriminés en ce qui concerne l’accès à l’éducation. L’UNICEF a indiqué que seulement 42 % des filles handicapées avaient terminé leurs études primaires. Elles sont deux fois plus exposées à la violence, au harcèlement et à la traite des personnes, surtout lorsqu’elles se rendent à l’école ou en reviennent.
Humanité & Inclusion, ou HI, a soutenu l’éducation inclusive dans des pays un peu partout en Afrique, actuellement dans 16 pays. L’expérience de HI a démontré que les approches à plusieurs niveaux augmentent les taux d’accès et de réussite chez les enfants handicapés. Quand on parle de plusieurs niveaux, on parle du niveau personnel. Cela signifie offrir un soutien aux enfants, notamment l’accès à des aides et à des services de santé; au niveau scolaire, fournir une formation aux enseignants, du matériel pédagogique, du soutien aux programmes d’études, des outils d’apprentissage, des mises à jour des infrastructures, chaque élément étant adapté aux besoins des enfants; au niveau communautaire, la transformation de ces normes sociales dans les familles, les collectivités et les écoles afin d’assurer aux enfants un environnement favorable, exempt de discrimination; et au niveau national, pour changer les politiques gouvernementales, les programmes de formation des enseignants et les budgets.
En conclusion, j’aimerais mettre en évidence deux recommandations importantes : la nécessité d’affecter des fonds à des programmes ciblés pour l’inclusion des personnes handicapées en Afrique afin de permettre au Canada de respecter ses engagements internationaux de façon responsable et mesurable, particulièrement dans le domaine de l’éducation; et assurer des impacts mesurables, ce qui signifie une mesure de suivi robuste, y compris la collecte de données désagrégées sur les types de déficiences et l’utilisation de l’ensemble de questions du Washington Group. Merci beaucoup.
Le président : Merci. Nous passons maintenant à Mme Harris, s’il vous plaît.
Wendy Harris, présidente et directrice générale, Catalyste+ : Merci et bonjour. Je m’appelle Wendy Harris et je suis présidente et directrice générale de Catalyste+. Vous nous connaissez peut-être sous notre ancien nom, CESO-SACO. Catalyste+ met l’accent sur le développement économique en Afrique, en Asie, en Amérique latine et dans les Caraïbes, et en partenariat avec les peuples autochtones du Canada. Pour ce qui est de nos antécédents, nous avons aidé plus de 120 pays à renforcer leurs institutions gouvernementales et à faire croître leur secteur privé pendant plus de 55 ans. Nous croyons que la bonne gouvernance et le renforcement institutionnel sont les fondements du développement durable et qu’un secteur privé résilient et prospère est le moteur de la croissance économique.
Le continent africain est confronté à d’importants défis liés au développement durable, mais compte tenu de l’abondance de ses ressources naturelles et de sa jeune population, il offre également une multitude de possibilités, étant prévu que la croissance économique devrait dépasser le taux de croissance mondial moyen. De nombreux pays africains ont encore du mal à atteindre les objectifs de développement durable, ces difficultés étant exacerbées par les répercussions des changements climatiques et la pandémie de COVID-19. La région devrait également connaître un important changement démographique, la population en âge de travailler devant presque doubler d’ici 2050.
Cette augmentation spectaculaire de la population en âge de travailler nécessitera des investissements substantiels dans l’éducation, le développement des compétences et la création d’emplois pour exploiter efficacement ce capital humain en croissance. S’il n’est pas géré correctement, l’afflux de jeunes pourrait épuiser les ressources existantes, aggraver le chômage et contribuer aux troubles sociaux et politiques.
Par ailleurs, ce changement représente une occasion potentielle pour la région, offrant un vaste bassin de capital humain pour la croissance et le progrès économiques. L’un des éléments clés pour s’y retrouver dans ces changements démographiques en vue de réaliser le développement durable sera la création d’institutions publiques solides et responsables.
Le Rapport sur la gouvernance en Afrique 2023 de l’Union africaine souligne la nécessité pour les pays africains d’accorder la priorité aux éléments clés de la gouvernance, notamment la gouvernance économique, la responsabilisation du secteur public, l’ordre constitutionnel, la primauté du droit et les droits de la personne, afin d’assurer la stabilité politique, économique et sociale.
Il est essentiel de s’attaquer à ces problèmes pour s’attaquer à la pauvreté, lutter contre les inégalités et favoriser le développement humain, sans oublier de créer un environnement stable et prévisible qui permettra aux entreprises et aux collectivités de prospérer et d’attirer des échanges commerciaux et des investissements.
Le Programme de développement durable à l’horizon 2030 définit le « commerce international » comme « un moteur d’une croissance économique inclusive et de la réduction de la pauvreté... »
Un autre élément clé est le soutien aux micro-, petites et moyennes entreprises, qui sont le moteur de toute économie. L’entrepreneuriat et l’innovation sont des moteurs clés de la croissance économique, servant à faire croître une classe moyenne dynamique, en s’attaquant aux inégalités et à l’écart de richesse qui mènent souvent à l’exclusion sociale et à l’instabilité politique.
Au fil de décennies d’engagement dans toute l’Afrique, Catalyste+ a activement promu la bonne gouvernance et le renforcement institutionnel parmi les différentes parties prenantes, notamment les ministères nationaux, les régions, les municipalités et les grandes institutions sectorielles.
Notre expérience nous a appris que la bonne gouvernance fournit le cadre et les bases stables nécessaires à la gestion des ressources, à la prestation efficace des services et à la mise en œuvre de politiques qui profitent à tous les citoyens et les mobilisent pour protéger l’environnement.
Des institutions publiques démocratiques solides sont le fondement d’une bonne gouvernance, essentielles pour formuler, mettre en œuvre et gérer des politiques de développement durable axées sur les citoyens et veiller à ce que les initiatives soient efficaces, équitables et durables. En habilitant ces entités à prendre des décisions stratégiques et en renforçant leur capacité institutionnelle, le Canada appuie leur cheminement vers un développement plus durable et inclusif.
Des institutions transparentes et responsables favorisent le développement du secteur privé en attirant le commerce, l’investissement et l’innovation, en améliorant la gestion fiscale et budgétaire, en favorisant un développement participatif et en établissant un cadre juridique transparent et prévisible. En renforçant les politiques, les processus et les systèmes de ces institutions, Catalyste+ les aide à être mieux outillées pour innover et s’adapter aux circonstances changeantes. Cela est particulièrement important dans le contexte du développement durable, où les nouveaux défis comme le changement climatique et les changements économiques mondiaux exigent des stratégies d’adaptation et de résilience.
Les besoins soulignés ci-dessus sont en grande partie constants sur l’ensemble du continent africain. Bien qu’il y ait un nombre croissant d’acteurs qui manifestent un intérêt renouvelé pour l’Afrique, le Canada a encore un rôle important à jouer dans le renforcement de la gouvernance et des institutions solides.
En soutenant la préparation et la résilience des dirigeants africains pour les aider à relever ces défis de façon efficace, le Canada peut contribuer de manière importante à atténuer les risques d’interventions externes et à favoriser plus de résultats en matière de développement durable. Le renforcement des institutions et l’amélioration des cadres de gouvernance créent un environnement plus stable et transparent qui garantit la mise en œuvre efficace de stratégies de développement et une gestion efficiente des ressources.
La participation du Canada dans ces domaines peut fournir un soutien et des ressources cruciaux, relever des défis complexes et interreliés en matière de développement et contribuer à un avenir plus durable et équitable pour le continent. Merci.
Le président : Merci, madame Harris. Nous passons maintenant à M. Jason Nickerson.
Jason Nickerson, représentant humanitaire au Canada, Médecins Sans Frontières : Merci beaucoup. Médecins Sans Frontières est une organisation humanitaire médicale internationale qui fournit des soins médicaux aux personnes touchées par les conflits armés, les catastrophes naturelles, les déplacements forcés et, de plus en plus, les changements climatiques. D’ailleurs, 35 des 74 pays où Médecins Sans Frontières, ou MSF, travaille aujourd’hui se trouvent en Afrique, ce qui représente plus de la moitié des activités de MSF sur le plan des dépenses et un total d’environ 1,15 milliard de dollars canadiens.
En outre, 8 de nos 10 plus importants programmes-pays sont en Afrique. Chacun de ces pays et le travail que nous y effectuons sont complexes et diversifiés, alors je veux me concentrer sur deux pays en particulier aujourd’hui, soit le Soudan et la République démocratique du Congo. Nous avons sonné l’alarme au sujet de la détérioration de la situation humanitaire après plus d’un an de conflit violent au Soudan et d’une réponse qui est à la fois bloquée par les parties belligérantes et totalement inadéquate. Des millions de personnes font face à d’immenses souffrances, y compris la malnutrition, les traumatismes et le manque de soins de santé de base.
Le mois dernier, MSF a été forcée de mettre fin au traitement en clinique externe de 5 000 enfants souffrant de malnutrition aiguë dans le camp de déplacés de Zamzam, qui accueille aujourd’hui au moins 450 000 personnes au Darfour du Nord, parce que les belligérants ont bloqué la livraison de nourriture, de médicaments et d’autres fournitures essentielles.
Plus tôt cette semaine, le camp a été attaqué par les Forces de soutien rapide et, lundi, un obus est tombé près de notre hôpital de campagne, forçant le personnel et les patients à fuir. Tout cela se produit dans le cadre d’un conflit extrêmement violent où nos équipes traitent des milliers de blessés de guerre, y compris des enfants, alors que nous demandons une intensification urgente de l’intervention humanitaire pour les belligérants afin d’assurer la protection des civils, des travailleurs humanitaires et de l’infrastructure des soins de santé, ainsi que la possibilité pour des pays comme le Canada de tirer pleinement parti de son influence diplomatique pour s’en assurer.
Pendant ce temps, dans la province du Nord-Kivu de la République démocratique du Congo, nous réagissons à une crise humanitaire massive à la suite de la reprise des combats depuis 2022, dans un conflit largement négligé qui a déplacé au moins 2 millions de personnes et où la violence contre les civils est généralisée.
À titre d’exemple, en 2023 seulement, les cliniques appuyées par MSF ont fourni des soins à 22 905 survivants de violence sexuelle dans tout le Nord-Kivu. Il s’agit d’une situation alarmante qui s’est détériorée encore plus cette année, puisque nos équipes ont traité, seulement entre janvier et mai 2024, près de 70 % du nombre total de survivants de violence sexuelle traités en 2023.
Pourtant, la réponse humanitaire globale à cette crise a été grossièrement inadéquate, et c’est pourquoi MSF a demandé à maintes reprises une intervention humanitaire plus étendue, notamment un appel particulier pour que le Canada augmente son financement de l’aide humanitaire et qu’il mette à profit toute sa gamme d’outils diplomatiques afin de trouver des solutions à cette crise.
À titre d’organisation humanitaire médicale, nous demeurons extrêmement préoccupés par l’accès de nos équipes et de nos patients aux médicaments essentiels, ce qui pendant la pandémie de COVID-19 est devenu un point chaud à l’intersection de la santé publique, des droits de la personne et du commerce international, et qui a vu de nombreux pays africains privés d’un accès rapide aux vaccins et aux traitements. Malheureusement, ce n’est pas inhabituel compte tenu de la façon dont le marché des médicaments fonctionne, mais il y a certaines leçons à tirer de l’approche du Canada en matière de recherche et développement médicaux. Le Canada a été un chef de file dans la mise au point de vaccins et de traitements pour certaines maladies infectieuses à impact élevé qui sont pertinentes dans certains pays africains, notamment la découverte de vaccins candidats contre des fièvres hémorragiques virales comme Ebola, Marburg et Lassa, mais n’a pas réussi à fournir le soutien nécessaire pour que ces innovations canadiennes parviennent à un prix abordable à tous ceux qui en ont besoin, ce qui laisse une lacune importante dans la boîte à outils de santé publique pour répondre aux crises de santé publique sur le continent.
Le Canada a des options, notamment mettre à profit le Centre de production de produits biologiques actuellement inactif à Montréal pour aider à combler les lacunes mondiales en matière d’accès, mais il doit également redéfinir ses positions sur les instruments mondiaux, comme l’accord sur la pandémie qui est actuellement en cours de négociation et les questions liées aux droits de propriété intellectuelle afin de mieux répondre aux préoccupations soulevées par les pays africains au sujet de l’accès.
Je conclurai en soulignant que le Canada est un donateur d’aide humanitaire respecté qui fonctionne selon des principes qui maintiennent séparées l’aide humanitaire vitale et la politique. Cette séparation est importante et doit se poursuivre dans le cadre de la politique étrangère du Canada. Mais je veux insister sur le fait que la résolution des conflits n’est pas du ressort des travailleurs humanitaires; c’est la responsabilité des États. Les crises humanitaires sont créées par des crises politiques qui exigent des solutions politiques et une action diplomatique. Il s’agit de problèmes politiques qui exigent des solutions politiques de votre part et de la part de vos collègues, qui cèdent le contrôle sur les outils diplomatiques, financiers et autres au cœur du règlement de ces crises. Ici, nous aimerions voir une proposition plus claire concernant la diplomatie et l’engagement du Canada dans les États fragiles et touchés par des conflits, notamment dans les pays africains. Merci.
Le président : Merci, monsieur Nickerson.
Steve Gilbert, chef de l’exploitation, Nutrition International : Bonjour et merci d’avoir invité Nutrition International à comparaître devant le comité. Nutrition International, l’organisation mondiale de nutrition du Canada, a été fondée par le Canada il y a plus de 30 ans pour exprimer l’engagement audacieux du Canada à mettre fin aux décès évitables chez les enfants.
La nutrition est le fondement du développement humain et économique. Sans elle, le cerveau ne peut pas se développer complètement, le corps ne peut pas croître correctement et le système immunitaire s’affaiblit, ce qui rend tout le monde plus vulnérable à la maladie. Cela oblige les systèmes de santé à dépenser pour le traitement plutôt que pour la prévention, draine les ressources et mine la santé à long terme. Pour les filles, une bonne alimentation signifie qu’elles restent à l’école, obtiennent de meilleurs emplois et donnent à leur famille et leur collectivité les moyens de réussir. En accordant la priorité à la nutrition, nous bâtissons des sociétés plus fortes, stimulons la croissance économique et promouvons l’égalité entre les sexes, créant ainsi un avenir où chacun peut s’épanouir.
L’approche de Nutrition International pour travailler en Afrique consiste, à titre d’allié expert, à soutenir les gouvernements nationaux et sous-nationaux afin d’appuyer leurs efforts visant à mettre à l’échelle des interventions nutritionnelles fondées sur des données probantes qui s’attaquent directement à leurs fardeaux critiques en matière de santé publique, comme la mortalité infantile, le retard de croissance, l’anémie et les anomalies du tube neural comme le spina bifida, entre autres. Afin de s’assurer que ces efforts se poursuivent au fil du temps, Nutrition International aide les gouvernements à renforcer leurs systèmes de santé qui fournissent des services essentiels. Nous aidons également les gouvernements, les institutions régionales et les banques de développement à allouer plus efficacement les investissements aux interventions qui ont des impacts scientifiquement éprouvés.
Au cours des 30 dernières années, le Canada, par l’entremise de Nutrition International, a évité plus de 7 millions de décès d’enfants, 34 millions de cas d’anémie, et a contribué à l’augmentation de plus de 45 millions de points du QI chez les enfants. Ces résultats ont jeté les bases d’une bonne santé, de la réussite scolaire et de la productivité économique dans de nombreux pays.
Malgré les progrès, la sous-alimentation continue de coûter à l’Afrique plus de 150 milliards de dollars tous les ans. À elle seule, l’anémie touche 60 millions de filles en Afrique et coûte au continent plus de 9 milliards de dollars par année. L’anémie mine la capacité des filles de réussir à l’école et d’y rester. Elle réduit leur productivité et perpétue l’inégalité entre les sexes, emprisonnant les filles et les femmes dans un cycle de pauvreté. Bien qu’il existe des programmes évolutifs pour lutter contre l’anémie chez les femmes et les filles, il s’agit d’un défi mondial en matière de nutrition où nous avons observé une stagnation et même un renversement des progrès dans certains pays. C’est un excellent exemple d’un domaine où le leadership canadien peut avoir une incidence mesurable sur des millions de personnes, répondant du coup à un secteur prioritaire pour de nombreux pays africains.
Il y a trois semaines, le Canada a convoqué un dialogue de haut niveau avec l’Union africaine à Toronto pour discuter du partenariat renouvelé entre le Canada et l’Afrique. Dans le cadre de ces discussions, une chose est ressortie très clairement : compte tenu des défis actuels auxquels l’Afrique est confrontée, y compris les changements climatiques, les conflits et la hausse de la dette, on souhaite que le Canada s’engage davantage à devenir un partenaire pour relever ces défis.
C’est également en Afrique que l’on retrouve le plus grand nombre de jeunes. En sa qualité de membre du conseil d’administration de Nutrition International, l’ancien président de la Tanzanie, Son Excellence Jakaya Kikwete, a souligné au cours du dialogue que pour préparer ces jeunes à assurer l’intendance de l’avenir de l’Afrique, nous devons investir dans les services fondamentaux qui leur permettront de prospérer et d’être des chefs de file, notamment en matière de nutrition. Cela sera bénéfique non seulement pour leur santé, mais aussi pour le commerce en général, la prospérité économique et les efforts de paix et de sécurité dans la région.
Dans ce contexte, le défi qui se pose au Canada est de se positionner comme un allié dans la transformation économique et sociale de l’Afrique. Nous sommes effectivement à un moment charnière où le Canada peut jouer un rôle essentiel à l’appui de cette transformation. Pour formuler des recommandations sur l’engagement futur du Canada envers l’Afrique dans le secteur du développement, le Canada devrait s’impliquer et non pas tourner le dos, ce qui signifie un engagement accru auprès de l’Union africaine, des collectivités économiques régionales et des gouvernements nationaux afin d’appuyer leurs objectifs audacieux.
Il faut d’abord mettre l’accent sur ce qu’il y a de mieux. Nous vivons à une époque où les mégadonnées sont mieux étayées que jamais sur le plan scientifique pour déterminer ce qui a la plus grande incidence au coût le plus bas. Le Canada devrait s’efforcer de répartir les ressources sur cette base. S’aligner sur les priorités africaines : le Programme 2063 de l’Afrique énonce des objectifs clairs que le Canada peut appuyer.
Enfin, il faut reconnaître que le Canada ne peut pas tout faire. Nous devons consacrer des énergies et des ressources à l’intersection des priorités cernées par les Africains et des domaines de force traditionnelle du Canada. La nutrition est l’un des domaines où le Canada est un chef de file depuis des décennies.
Pour vous donner un dernier exemple du rôle de chef de file que le Canada a joué et peut jouer à l’avenir, en 1990, il a dirigé la création du Sommet mondial pour les enfants. Le Canada s’est alors engagé à investir à long terme dans le programme de vitamine A de Nutrition International, qui a permis d’éviter la mort de 7 millions d’enfants. Je pense que c’est quelque chose dont tous les Canadiens devraient être vraiment fiers. Le Canada a beaucoup de points forts que nous pouvons offrir à nos partenaires du monde entier, surtout en Afrique, et je pense que le Canada devrait mettre en œuvre davantage de ces programmes ambitieux. Merci.
Le président : Merci beaucoup.
Je tiens à informer les sénateurs que vous n’aurez qu’un maximum de quatre minutes pour le premier tour de table, ce qui comprendra la question et la réponse, alors je vous demanderais, comme toujours, d’être brefs dans vos préambules et vos questions afin que nous puissions obtenir le plus possible de nos témoins présents aujourd’hui.
Le sénateur MacDonald : Bonjour à tous. Je vais adresser ma première question à M. Nickerson, mais n’hésitez pas à intervenir par la suite.
Au cours des dernières années, plusieurs missions de maintien de la paix de longue date de l’ONU ont pris fin en Afrique, y compris la mission de stabilisation de l’ONU au Mali, la mission d’assistance de l’ONU au Soudan et maintenant une troisième mission, la mission de stabilisation de l’ONU en République démocratique du Congo, va retirer ses Casques bleus. Quel a été l’impact, le cas échéant, de la fin des opérations de maintien de la paix de l’ONU sur le travail de votre organisation en Afrique? Compte tenu du vide potentiel sur le plan de la sécurité laissé par ces missions, comment le Canada et ses partenaires peuvent-ils soutenir efficacement la paix et la stabilité dans ces régions?
M. Nickerson : Merci. Nous œuvrons dans tous les pays où il y a eu des opérations de paix.
Il continue d’y avoir une lacune en matière de protection. C’est fondamentalement le principal problème et la grande question. Si une opération de paix prend fin, qui doit assurer la sécurité et la protection des civils dans ces endroits? Habituellement, il se crée une lacune, et ce sont des opérations de paix imparfaites au départ. Je ne pense pas que nous devrions supposer que la présence d’une opération de paix crée naturellement et définitivement la paix et la stabilité, etc.
Comme organisation humanitaire, il n’est pas vraiment de notre ressort de dire exactement comment les pays de la communauté internationale devraient rechercher la paix et la stabilité, mais je pense que le Canada doit vraiment tenir compte du rôle qu’il joue ici pour appuyer et faciliter ce genre d’initiatives, que ce soit dans le cadre d’une opération de paix et de sécurité mandatée par l’ONU ou d’autres mécanismes également.
Le sénateur MacDonald : Quelqu’un d’autre?
Mme Harris : Notre organisation se concentre sur le développement. Lorsque des pays ou des régions sont en crise, cela nous empêche de faire notre travail, c’est-à-dire de faire le pont entre une situation de crise et la croissance durable et le progrès. L’effet sur notre travail se produit quand les conditions locales se détériorent pour cet État — par exemple, pendant de nombreuses années, nous avons travaillé au Burkina Faso. Nous ne pouvons plus travailler au Burkina Faso, ce qui met fin à ce travail de développement et maintient la région ou le pays dans cette situation de crise.
À mon avis, la solution passe par des institutions locales solides et une bonne gouvernance. C’est au niveau bureaucratique et politique, n’est-ce pas? Le niveau politique va et vient. La force institutionnalisée peut vraiment contribuer à améliorer la stabilité.
Le président : Merci. Je vais devoir vous interrompre. Mme Delorme a levé la main.
Mme Delorme : Merci. Ce que nous voyons en Afrique, mais aussi partout dans le monde, c’est un démantèlement, une fragilisation de tout le système du droit humanitaire international, les règles qui sont censées gérer ces conflits afin que nous ayons une meilleure protection des civils. Cela est également lié aux traités. Le Canada a joué un rôle de chef de file en ce qui concerne la Convention d’Ottawa sur l’interdiction des mines antipersonnel. On a signé le traité d’Oslo pour interdire les armes à sous-munitions, mais l’utilisation des mines terrestres et des armes à sous-munitions est en hausse. Nous commençons à voir des pays faire des exceptions et dire : « Oh, mais c’est différent quand c’est dans la pratique, c’est différent quand on défend nos frontières. » Mais la réalité, c’est que ces traités ne valent que lorsqu’ils sont mis en pratique dans des situations de conflit.
Le droit humanitaire international est particulièrement utile quand il s’agit de protéger les civils et les travailleurs humanitaires. Les efforts diplomatiques que nous déployons comme Canadiens doivent donc renforcer ce système de droit humanitaire international.
Le président : Merci, madame Delorme. Je suis désolé de vous interrompre. Le temps file. Nous allons passer à la question suivante.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue à nos témoins aujourd’hui. Ma première question s’adresse à Mme Harris. Compte tenu de votre longue expérience sur le continent africain, quelles sont les compétences les plus recherchées aujourd’hui en Afrique pour ce qui est des transferts de technologie, et comment le Canada peut-il aider à rendre ces transferts de technologie plus fluides?
[Traduction]
Mme Harris : Merci. C’est une excellente question. Il faut des compétences pour obtenir un emploi. Nous avons parlé des jeunes. Les emplois sont des emplois, mais il y a aussi l’entrepreneuriat. C’est donc le développement des compétences, que ce soit en entrepreneuriat ou dans les métiers ou quelque chose du genre.
En fait, pour ce qui est du transfert des connaissances, la meilleure chose que je puisse faire, c’est d’expliquer comment nous abordons le renforcement des capacités dans ce domaine. Catalyste+ a une liste de plus de 1 700 Canadiens. Ce ne sont pas des Canadiens ordinaires. Ce sont des Canadiens qui ont au moins 20 ou 25 ans d’expérience dans le domaine où ils seront des conseillers. Ils travaillent en partenariat avec nos clients locaux, et ils travaillent ensemble pour aider à renforcer les compétences et l’expérience locales nécessaires pour que nos partenaires locaux puissent atteindre leurs objectifs, stabiliser et élargir les activités des entreprises, améliorer le fonctionnement des entreprises, accéder au financement, l’égalité entre les sexes et le renforcement du pouvoir économique des femmes.
Pour moi, c’est comme si les matières premières étaient là. Le Canada pourrait jouer un rôle énorme en aidant les partenaires africains locaux à atteindre leurs objectifs grâce à cet apport de connaissances et d’expérience canadiennes.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je vous remercie d’avoir abordé cette question de l’aide locale, parce que durant cette étude, on a entendu beaucoup de témoins parler de changer de paradigmes et de passer de l’aide au développement à des partenariats gagnant-gagnant. Qu’en pensez-vous? Cette question s’adresse à tous nos témoins.
[Traduction]
Mme Harris : Je pourrais peut-être ajouter deux ou trois choses. Un bon développement commence par l’autonomisation et le renforcement des capacités des clients locaux. Je ne pense pas que l’on puisse parler de développement durable à défaut de cela. C’est un modèle efficace de développement durable. S’il y a un changement de paradigme, c’est parce que les gens ont commencé à écouter. Cette approche s’est toujours avérée efficace, c’est celle qui obtient invariablement des résultats, et honnêtement, c’est la bonne façon de s’y prendre. C’est à l’échelle locale que se trouvent les partenaires, la population et le personnel qui sont les vrais connaisseurs des possibilités qui s’offrent à leur collectivité, des obstacles qu’ils doivent surmonter et des nuances interculturelles qui comptent le plus pour eux.
Le président : Madame Delorme, vous aurez la parole à un moment donné, mais le temps est écoulé pour l’instant. Je vous remercie d’avoir levé la main, car cela nous rappelle à tous que vous avez quelque chose à dire. Nous reviendrons à vous, et je suis certain que la sénatrice Gerba aimerait elle aussi poser une question au prochain tour.
Le sénateur Ravalia : Merci à vous tous de votre présence et du travail que vous faites dans des circonstances souvent difficiles.
Ma question s’adresse à M. Nickerson. La Journée mondiale de lutte contre le sida, qui a lieu le 1er décembre, vient de nous rappeler que la lutte contre le VIH-sida demeure un défi de taille à l’échelle mondiale. Je vous félicite pour le travail que vous faites pour le déploiement de médicaments injectables à action prolongée pour la prophylaxie pré-exposition en Afrique australe. Quelles leçons pouvons-nous tirer des activités de Médecins Sans Frontières à ce chapitre en vue d’éclairer les stratégies mondiales visant la santé des groupes vulnérables et marginalisés, et lutter contre leur stigmatisation?
M. Nickerson : Merci beaucoup de la question. Les produits injectables à action prolongée, par exemple le cabotegravir, sont des technologies médicales potentiellement transformatrices. Nous parlons de prévention et de traitement à action prolongée qui peuvent et devraient vraiment être adoptés.
À bien des égards — et je suis heureux de présenter au comité un mémoire plus long qui aborde la question en détail —, nous sommes confrontés à des défis qui persistent depuis des décennies, notamment à cause de la façon dont le marché des produits pharmaceutiques fonctionne. Ce marché accepte qu’il existe un déséquilibre inévitable entre les patients des pays plus nantis qui sont prêts à payer pour ces nouveaux médicaments et ceux des pays défavorisés qui n’ont pas les moyens d’y avoir accès. Ils sont tout simplement exclus du marché. C’est une réalité inacceptable pour nous. Aucun d’entre nous ne devrait l’accepter, mais que voulez-vous, c’est ainsi que fonctionne le marché.
Il y a plusieurs défis à relever, à commencer par le fait que ces médicaments appartiennent à des sociétés privées qui ont donc le choix de les mettre en marché ou pas. On a tout de même réussi à améliorer un peu l’accès en faisant pression pour obtenir des accords de licence volontaire qui permettent l’expansion des médicaments génériques à moindre coût dans les pays à faible revenu. À notre avis, particulièrement pour les technologies dont le développement est financé par le contribuable — comme les Instituts de recherche en santé du Canada, qui financent en bonne partie les recherches en vue d’élaborer de nouveaux médicaments —, ce financement devrait se faire sous réserve de remplir certaines conditions, à savoir que les médicaments soient raisonnablement accessibles et abordables. C’est le genre de rendement sur l’investissement qu’il devrait y avoir quand c’est le public qui paie pour découvrir et mettre au point un nouveau médicament.
C’est une réponse plus générale au problème de l’accès mondial aux médicaments, mais nous voyons certainement des problèmes d’accès et d’abordabilité des antirétroviraux à action prolongée, des problèmes qui, franchement, auraient dû être réglés en amont.
Le sénateur Ravalia : Je vais changer de sujet et poser la question suivante à Mme Delorme. Pourriez-vous nous en dire davantage sur les progrès réalisés dans le domaine des technologies ou des pratiques de déminage, comme l’utilisation de drones, l’intelligence artificielle pour la cartographie ou les outils mécaniques de déminage qui ont eu le plus d’effet en Afrique, surtout dans des pays comme l’Angola et le Mozambique?
Mme Delorme : Volontiers. Il y a aussi des activités de déminage au Sénégal, par exemple dans la région de Casamance. Le déminage est un procédé assez laborieux où il faut vérifier le moindre mètre, le moindre centimètre. Or, ce que nous avons réussi à faire, grâce à des cartes thermiques, des drones, et même des images satellites, c’est de réduire l’étendue du territoire à analyser. Nous travaillons plus ponctuellement sur chaque mètre carré, car nous avons une idée plus précise des endroits où se trouvent les mines. Il va de soi que cette technologie est très importante.
Je veux aussi ajouter les aspects sociaux du déminage. On a tendance à penser qu’il s’agit d’un domaine très technique réservé à des hommes de différentes forces armées, mais nous formons en fait des femmes et des civils à différents niveaux de déminage. Il y a différents niveaux de certification et nous les certifions. Ce qui est plutôt transformationnel, c’est que ces femmes démineuses deviennent des dirigeantes locales qui peuvent aider à résoudre les conflits.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice M. Deacon : Je remercie nos invités d’être ici et à l’écran. Je pense que nous pourrions passer beaucoup plus de temps cet après-midi à écouter et à apprendre.
Ma première question s’adresse à Mme Harris et porte sur le programme Accélérer le renforcement du pouvoir des femmes, plus précisément sur votre travail auprès de petites exploitations agricoles. Nous avons entendu dans des témoignages précédents que ces femmes passent souvent entre les mailles du filet lorsqu’il s’agit de programmes visant à aider l’agriculture.
D’après votre expérience, pensez-vous que le Canada réussit suffisamment à rejoindre ces agricultrices avec les programmes de développement? Que pouvons-nous changer pour veiller à ce que ces petites exploitations agricoles qui n’ont pas nécessairement réalisé un surplus, mais qui peuvent tout de même représenter une grande partie de l’agriculture en Afrique, obtiennent le soutien qu’il leur faut?
Mme Harris : Merci beaucoup. C’est une question très intéressante. Les femmes constituent la majorité de la main-d’œuvre dans le secteur agricole et agroalimentaire. De la ferme au marché, ce sont surtout des femmes qui s’en occupent. Nous avons de bons exemples d’approches qui fonctionnent et que nous pourrions mettre à l’échelle. Tout le monde veut un projet pilote et en voir les résultats. Nous avons ces projets pilotes. Ils sont plutôt modestes, mais c’est ainsi que nous les préférons. Il s’agit par exemple d’organiser de petites exploitations agricoles en coopératives pour une chaîne de production plus efficace, de les aider à suivre de meilleures normes, ou encore, lorsque les circonstances sont favorables, les amener à faire du commerce régional ou international. Il peut s’agir de travailler avec une femme qui produit ou pourrait produire quelque chose chez elle, du miel, par exemple, et de lui enseigner les compétences à maîtriser pour le faire, lui fournir l’équipement nécessaire et ensuite mettre cette personne en contact avec la chaîne d’approvisionnement d’un grossiste du miel.
Il y a énormément de travail à faire pour que ces femmes comprennent les normes sanitaires que les entreprises agroalimentaires doivent respecter lors de la transformation et du conditionnement des aliments. On leur parle aussi de nutrition. Il y a toutes sortes d’excellents exemples de collaboration avec nos partenaires pour créer un biscuit riche en éléments nutritifs ou autre aliment du genre, ou encore modifier les recettes afin d’utiliser des grains locaux plutôt qu’importés pour soutenir les agriculteurs de la région.
C’est une longue réponse à votre question. Est-ce que je pense que nous pourrions en faire plus? Oui. Est-ce que je pense que nous savons ce qui est efficace? Oui, je le crois, et je pense que nous pourrions investir à cette fin.
La sénatrice M. Deacon : Ainsi, vous avez répondu à la deuxième partie de ma question, qui portait sur la manière d’actualiser notre approche pour donner un nouvel élan à tout cela. Je pense que les exemples que vous m’avez donnés seront très utiles à ces fins. Merci.
Le sénateur Al Zaibak : Ma question s’adresse à Mme Delorme et à M. Nickerson. Vos deux organisations mentionnent que le témoignage est une fonction de votre travail. Pourriez-vous nous en dire davantage? Pourriez-vous préciser ce que vous entendez par « témoigner », nous dire à quel point c’est important et décrire l’aide que le Canada peut apporter à vos deux organisations dans le contexte africain?
Mme Delorme : Merci. C’est intéressant parce que, de par sa nature humanitaire, Humanité et Inclusion est pour ainsi dire un programmeur de liens. Nous faisons tout, de l’aide humanitaire au développement, y compris des programmes liés aux conflits.
Nous sommes censés être impartiaux. C’est une ligne de démarcation très importante que nous suivons, parce que c’est ainsi que nous nous protégeons en vertu du droit humanitaire international, mais en même temps, nous en sommes témoins. Nous sommes présents, surtout à une époque où nous ne savons trop que croire avec autant de désinformation dans les réseaux et les médias. Je crois que les organismes de développement international canadiens et internationaux peuvent agir comme témoins et fournir des données réelles sur ce qui se passe sur le terrain.
Je pense que le Soudan en est un exemple très important. L’utilisation, par exemple, d’armes explosives dans les zones densément peuplées du Soudan cause des dommages épouvantables — destruction des infrastructures, blessures causant une incapacité permanente. Comme l’a expliqué Médecins Sans Frontières, la capacité de soigner ces blessures est très limitée chez les belligérants de part et d’autre, si bien que ces blessures deviennent des invalidités permanentes au fil du temps. C’est pourquoi nous constatons des taux d’invalidité aussi élevés parmi les populations qui ont survécu à un conflit.
M. Nickerson : Je vous remercie de la question. Nous sommes une organisation humanitaire fondée sur des principes. Nous sommes impartiaux, neutres et indépendants, et c’est ce que nous affirmons et faisons partout où nous travaillons. Nous nous sommes aussi donné le mandat de témoigner des souffrances que nous voyons.
Pour nous, l’acte médical humanitaire est profondément personnel. Notre organisation accorde la priorité à la proximité des patients. Nous sommes présents dans les collectivités, nous travaillons dans les hôpitaux et nous fournissons des soins aux gens qui en ont besoin. Lorsque nous parlons de la souffrance dont nous sommes témoins, c’est parce que nous offrons des soins aux patients. C’est le nombre de patients que nous voyons, ce sont les histoires que nos patients nous racontent et les sortes de blessures dont nous sommes régulièrement témoins. C’est ainsi que nous parlons, que nous témoignons.
C’est un mandat que nous nous sommes imposé, mais que nous prenons très au sérieux et que nous intégrons à toutes nos activités parce que c’est la façon dont nous pouvons promouvoir le changement. C’est la façon dont nous pouvons pousser les acteurs, comme le gouvernement canadien, d’autres gouvernements et parties au conflit, à modifier leur comportement, à changer la façon dont les conflits se déroulent et à songer aux populations qui sont si souvent laissées pour compte et oubliées dans les lieux où nous travaillons.
Nos paroles parlent de la vérité. Il s’agit de témoigner de ce que nous voyons dans nos programmes. Nous prenons la parole avec l’intention d’améliorer les conditions de vie des personnes qui sont gravement négligées et souvent victimes de conflits extrêmement violents dans bon nombre des lieux où nous travaillons.
Le président : Je voulais dire que c’était une question parfaite parce qu’elle accordait deux minutes à chaque témoin, ce qui a très bien fonctionné.
La sénatrice Coyle : Je remercie tous nos témoins d’aujourd’hui.
La sénatrice Gerba a soulevé un point qui est probablement partagé par de nombreux Canadiens. Franchement, je pense que ce sont les Canadiens qui ne savent pas qu’il y a un paradigme qui s’éloigne du développement. Je pense qu’il y a un changement de paradigme au niveau du développement et de l’aide humanitaire, et à certains égards, le public n’a pas suivi le virage qui s’est produit.
J’ai entendu aujourd’hui des propos encourageants, à savoir que l’Afrique a d’immenses possibilités; que nous travaillons en vue d’établir des institutions africaines fortes; que nous appuyons les priorités de l’Afrique; que nous envisageons une activité axée sur les citoyens.
Je m’adresse d’abord à vous, madame Harris, puis peut-être à Mme Delorme. Pourriez-vous nous parler de ce changement de paradigme qui s’est produit et continue de se produire dans le secteur canadien très innovateur de la société civile qui collabore avec l’Afrique?
Mme Harris : Absolument. Permettez-moi de commencer par dire qu’il y a 14 ans, je suis arrivée à Catalyste+ après avoir travaillé dans le domaine des finances. Je ne comprenais rien au développement international, pas un traître mot. C’est ce qui m’a fait dire à mes collègues ici présents que ma courbe d’apprentissage était verticale. J’ai la chance d’avoir des mentors au sein de l’organisation qui m’ont initiée aux principes fondamentaux du développement.
Ce que j’ai retenu de cette première leçon, c’est que les priorités doivent être déterminées localement et qu’il faut chercher à renforcer les capacités de la population et des institutions locales.
À mesure que je m’aventurais un peu plus loin dans le monde et dans le dialogue sur le développement international, j’ai été très étonnée de constater que tout le monde n’avait pas la même optique. C’est un changement extrêmement positif que de nous diriger vers des initiatives de développement beaucoup plus locales, voire conçues à l’échelle locale.
En même temps, il faut éviter de donner l’impression d’avoir trouvé une toute nouvelle façon d’aborder le développement. Je pense que c’est artificiel.
L’autre aspect qui, selon moi, est vraiment important, c’est que nous devons accompagner nos clients. En parlant du changement de paradigme, l’exemple le plus simple c’est que les bailleurs de fonds pourraient verser des fonds pour la programmation directement aux bénéficiaires, sans passer par un intermédiaire comme mon organisation. C’est parfait si le bénéficiaire a la capacité de gérer l’argent, d’exécuter les programmes, de faire un suivi et des évaluations et de rendre compte du financement. Autrement, c’est vouer ce partenaire à l’échec.
Une bonne localisation est un continuum. Nous devons reconnaître les mesures de soutien dont nos partenaires locaux ont besoin pour avancer le long de cette voie.
Mme Delorme : Puis-je intervenir? Ce ne sont pas de vieux concepts.
[Français]
Au Québec, on parlait beaucoup de la solidarité internationale.
[Traduction]
J’ai fait carrière dans le domaine du développement international et chaque organisation a sa propre approche. Nous avançons. Nous voyons le secteur se mobiliser, absolument.
On ne saurait sous-estimer l’importance des initiatives locales. Travailler avec nos partenaires à l’échelle locale et les laisser nous dire quels sont leurs besoins est au cœur des pratiques exemplaires en matière de développement.
Je vais vous donner un exemple. Nous avons un fabuleux projet appelé Making It Work. Il s’agit d’organisations dirigées par des femmes handicapées partout en Afrique. Il y a un regroupement dans divers pays francophones africains et un autre dans des pays anglophones. Nous les avons réunis et ils se rencontrent en formant une tribune. Nous renforçons leur capacité d’administrer de bons programmes. Oui, ces organisations ont un budget moyen qui atteint à peine les 25 000 $ par année. Le Canada ne commencera pas à disperser les chèques. Nous pouvons fournir ce système de soutien pour renforcer les organisations, pour financer leurs programmes en fonction de leurs priorités, mais aussi leur offrir des locaux afin qu’elles puissent échanger des pratiques exemplaires entre elles, voire défendre les droits des femmes handicapées, comme elles commencent à le faire, à l’échelle nationale et régionale. C’est ce qui importe le plus...
Le président : Je suis désolé de vous interrompre. Tout cela est fort intéressant, mais nous devons passer à autre chose.
La sénatrice Boniface : J’ai deux questions. Tout d’abord, monsieur Gilbert, je vais vous laisser répondre. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que le Canada doit aller de l’avant et non reculer. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes et ce que nous devons faire?
M. Gilbert : Le Canada peut intervenir de bien des façons. J’ai mentionné que le Canada avait eu un dialogue récemment. C’est certainement ce qu’ont dit les représentants de l’Union africaine; ils veulent que le Canada joue un rôle dans bien des dossiers. Il y a de nombreux domaines. Le Canada assumera bientôt la présidence du G7. Il est possible de promouvoir certaines idées et de faire quelque chose d’audacieux. C’est la façon d’aller de l’avant. Il y a beaucoup de choses à faire en matière de développement. J’ai dit que le Canada ne peut pas tout faire. Une chose que nous pouvons faire, c’est peut-être de briser certains silos. Il y a quelques éléments que nous appuyons. Nous pouvons voir les possibilités d’établir des liens entre certaines choses. Dans le domaine où je travaille, par exemple, je verrais bien un tandem entre l’éducation et la nutrition.
Le Canada ne peut peut-être pas tout financer ou tout faire, mais il peut réunir et rassembler les gens. Nous l’avons déjà fait avec l’Initiative de Muskoka. J’ai mentionné le Sommet mondial pour les enfants. Le Canada peut beaucoup faire. Je pense que nous sommes vraiment bien placés pour cela. J’ai constaté une grande réceptivité de la part des dirigeants africains à l’égard de la participation du Canada.
La sénatrice Boniface : Merci. Ma deuxième question s’adresse à M. Nickerson. J’aimerais que vous nous donniez plus de détails sur le Soudan. Je sais qu’on en a beaucoup parlé dans la presse dernièrement.
M. Nickerson : Oui. C’est un conflit atroce. Il s’agit de millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays ou qui ont fui vers les pays voisins, le Tchad, la République centrafricaine et le Soudan du Sud. Nous en voyons les effets corollaires dans ces pays où tant de gens ont été déplacés de force et vivent comme ils le peuvent dans des conditions on ne peut plus insalubres et inhumaines.
La situation de l’accès à l’intérieur du Soudan est incroyablement complexe. Comme dans le cas de bien d’autres organisations, on nous a interdit à maintes reprises d’avoir accès aux populations dans le besoin. Il y a des hôpitaux qui ne fonctionnent plus parce qu’ils n’ont tout simplement pas de fournitures ou de personnel. Nous ne pouvons pas les atteindre. D’autres organismes ne le peuvent pas non plus. Il y a une crise humanitaire massive ici qui est certainement sous-estimée — pour ne pas dire qu’elle passe carrément inaperçue — par la communauté internationale.
Les répercussions de cette crise sur des millions de personnes sont immenses. Comme je l’ai dit dans ma déclaration, comme organisation humanitaire, notre rôle consiste à faire de notre mieux pour fournir des soins médicaux vitaux aux gens à l’intérieur du Soudan et dans les pays voisins.
Fondamentalement, ce qu’il faut ici, c’est que la communauté internationale exerce des pressions diplomatiques efficaces pour trouver une solution à cette crise. Il ne s’agit pas de ce que nous pouvons faire comme organisation humanitaire, mais de la manière dont le Canada et d’autres pays peuvent intervenir, à savoir opter pour une forme de diplomatie efficace pour trouver une solution.
Le président : Merci. J’ai une question pour M. Gilbert.
Dans une vie antérieure, je travaillais dans le domaine du développement international et je me souviens d’un ancien président de la Banque mondiale qui m’a dit que le plus gros problème, selon lui, était le retard de croissance chez les enfants.
Pourriez-vous nous donner une idée de la progression ou de la régression de ce problème et quelle est la réaction internationale dans le milieu des donateurs?
M. Gilbert : Il y a environ 150 millions d’enfants souffrant de retard de croissance, dont 60 millions en Afrique seulement, je crois. C’est une façon terrible de commencer sa vie. Il y a une corrélation entre le manque d’éducation et toutes sortes de séquelles atroces, dont la mort. La vérité, c’est que le cerveau d’un enfant qui souffre d’un retard de croissance ne croît tout simplement pas au même rythme que celui d’un enfant qui grandit normalement.
Le taux du retard de croissance s’améliore à l’échelle mondiale. En 1990, 12 millions d’enfants mouraient chaque année. Aujourd’hui, c’est environ 5 millions. C’est un progrès énorme, mais pour l’amour du ciel, nous ne voulons pas que 5 millions d’enfants meurent ou que 150 millions d’enfants souffrent d’un retard de croissance.
Il existe des solutions claires à ces problèmes. C’est ce que je soulignais tout à l’heure. Nous avons les données scientifiques; elles sont connues. Nous savons quoi faire. Ce n’est pas si difficile. Nous devrions suivre les interventions qui ont fait leurs preuves et qui peuvent être mises en pratique à un prix modique.
Il y a des façons de s’attaquer au retard de croissance. C’est une chose sur laquelle nous devrions nous appuyer. J’aimerais bien voir un projet canadien. Éliminons le retard de croissance. Nous avons fait un travail incroyable pour réduire le nombre de décès d’enfants. Éliminons le retard de croissance.
Le président : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Monsieur Gilbert, vous avez évoqué le manque de coordination pour expliquer pourquoi on évalue mal la situation ou pourquoi on n’est pas au courant de ce qui se fait, parce que c’est un travail en silo. Quelle serait votre recommandation pour qu’il y ait moins de fragmentation et pour qu’il y ait une certaine coordination? Est-ce qu’il faudrait un retour de l’ACDI, qui chapeautait l’aide au développement? Aujourd’hui, on a l’impression qu’on va dans tous les sens.
[Traduction]
M. Gilbert : J’ai peut-être trop insisté là-dessus. Je ne veux pas donner l’impression que tout est terriblement cloisonné. C’est un principe de notre organisation que d’essayer de briser les silos. C’est quelque chose que nous voyons souvent. Nous disons qu’il n’y a pas d’occasions manquées.
La vaccination, la nutrition et l’immunisation vont de pair. Il est important que ces secteurs travaillent ensemble. Nous travaillons ensemble, oui, mais nous pourrions mieux faire.
Si je demandais ce que le gouvernement canadien pourrait faire pour améliorer la situation, il financerait l’immunisation et aussi la nutrition. Il pourrait imposer certaines conditions, par exemple exiger que l’on travaille ensemble.
Il y a des outils que le gouvernement pourrait utiliser. À bien des égards, il fait du bon travail. Je ne veux pas laisser entendre que tout va mal. C’est simplement qu’il y a manifestement moyen de mieux conjuguer les choses. Cela permettrait d’économiser de l’argent en plus d’améliorer les interventions. Nous devrions favoriser cela chaque fois que c’est possible.
Il y a de bons exemples. Le programme de vitamine A dont j’ai parlé tout à l’heure est administré conjointement avec le vaccin antipoliomyélitique. C’est une mesure intelligente. Tout le monde doit être protégé de la polio. Nous y ajoutons des gélules de vitamine A et le tour est joué : tous les enfants sont couverts. Il faut qu’il y ait davantage de formules de la sorte.
L’élargissement des programmes de vaccination offre actuellement des possibilités d’intégrer les interventions en matière de nutrition. C’est un exemple. L’éducation et la nutrition en sont un autre. Il y en a beaucoup. Le gouvernement canadien pourrait commencer à insister là-dessus auprès de ses partenaires, et en particulier auprès de certaines organisations mondiales avec lesquelles il travaille. C’est logique, n’est-ce pas?
Le sénateur Ravalia : Monsieur Nickerson, si vous me permettez de revenir à vous, le récent déploiement du vaccin R21/Matrix-M contre le paludisme au Nigeria, un pays qui compte pour près d’un tiers des décès liés au paludisme dans le monde, met en évidence sa capacité à réduire considérablement les taux de mortalité. Votre organisation participe-t-elle à cette initiative et, si ce n’est pas le cas, quelles sont les possibilités de transférer ce type d’initiative à d’autres secteurs?
M. Nickerson : C’est une excellente question. À ma connaissance, nous ne participons pas précisément à ce projet. Nous en sommes encore à évaluer notre rôle dans les campagnes de vaccination contre le paludisme.
Il y a un certain nombre de limites importantes aux vaccins antipaludiques, au R21. Nous en sommes encore à examiner les répercussions opérationnelles de cela, parce que c’est toute une affaire que d’organiser une nouvelle campagne de vaccination.
En tant qu’organisation humanitaire d’urgence, nous voulons nous assurer que la distribution de ce vaccin ne se fera pas au détriment du traitement prioritaire du paludisme. Nous constatons déjà, par exemple, dans des endroits comme le Soudan du Sud, une augmentation importante du nombre de patients hospitalisés dans nos ailes pédiatriques en raison de paludisme grave, ce qui exige de nombreuses transfusions sanguines, entre autres.
C’est à cause d’un manque de ressources dans le système de santé au niveau plus communautaire. Les gens ne reçoivent pas de traitement pour le paludisme simple, alors ils développent un paludisme complexe et doivent être hospitalisés.
Nous sommes toujours déterminés à répondre aux besoins les plus pressants. Nous avons actuellement plusieurs projets qui portent précisément sur notre rôle dans l’utilisation de ce vaccin. Mais un vaccin efficace contre le paludisme serait transformateur, et pourrait éviter des millions de décès.
Le sénateur Al Zaibak : Ma question s’adresse à M. Nickerson. En ce qui concerne votre modèle de financement, je ne sais pas si Médecins Sans Frontières dépend oui ou non du financement du gouvernement ou s’il accepte de se faire financer par les divers gouvernements.
À part la voie de la diplomatie que le Canada pourrait selon vous emprunter pour aider, y a-t-il d’autres choses que le Canada peut faire pour garantir l’accès de vos organisations aux régions en difficulté? Pourriez-vous préciser?
M. Nickerson : Je vais d’abord répondre à votre première question.
Nous sommes principalement une organisation financée par le secteur privé. Dans les deux situations d’urgence dont j’ai parlé, au Soudan et dans l’est de la République démocratique du Congo, ou RDC, nous sommes entièrement financés par le secteur privé. C’est un choix opérationnel que nous avons fait pour préserver une indépendance, une impartialité et une neutralité réelles et perçues. Nous faisons des choix opérationnels qui reposent sur notre modèle de financement qui accorde la priorité au financement privé, parce que, premièrement, à notre avis, il protège cette intervention humanitaire fondée sur des principes. Cela nous permet également d’intervenir très rapidement en cas d’urgence. Nous n’attendons pas les cycles de financement. C’est un modèle de financement que nous avons façonné au cours de nos 50 années de fonctionnement.
La deuxième chose que je veux dire, c’est que le gouvernement du Canada est l’un des trois seuls donateurs gouvernementaux auprès desquels nous demandons du financement, précisément parce qu’à notre avis, dans les endroits où nous attribuons du financement, le Canada est un bon donateur et respecte notre façon de travailler fondée sur des principes.
Ce que je veux dire, c’est que c’est ainsi que fonctionne Médecins Sans Frontières, MSF. Nous nous sommes structurés de cette façon, de sorte qu’en tant qu’organisation qui représente plus de 2 milliards d’euros par année, nous pouvons être financés en grande partie par le secteur privé. Ce n’est pas la réalité de la plupart des autres organisations.
On ne comprend pas encore à quel point les besoins humanitaires ont augmenté au cours des cinq dernières années. En fait, ils ont doublé en l’espace de cinq ans. À l’heure actuelle, plus de 300 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire vitale sur la planète. Ce chiffre a à peu près doublé depuis 2019. Nous avons constaté une augmentation massive du nombre de personnes qui ont besoin d’aide humanitaire vitale en raison de crises majeures comme au Soudan, en République démocratique du Congo, la RDC et au Soudan du Sud. Et la liste s’allonge encore et encore.
Le financement n’a pas suivi la croissance de ces besoins. Le Canada a fait une bonne chose en augmentant son budget d’aide humanitaire l’année dernière. Il s’agissait, je crois, d’une augmentation limitée à deux ans. Mais le financement à l’échelle mondiale n’a pas suivi la cadence, et il sera important pour le Canada de continuer d’augmenter son budget d’aide humanitaire afin de faire en sorte qu’il y ait un financement adéquat pour les organismes qui en ont besoin, parce que les besoins sont immenses.
Le sénateur Al Zaibak : Merci.
La sénatrice Coyle : Je ne savais pas, monsieur Nickerson, que le Soudan et la RDC étaient financés à 100 % par le secteur privé.
Je m’intéresse à votre travail auprès des personnes qui ont subi de la violence sexiste. Vous avez parlé du fléau du viol utilisé comme arme de guerre. Pourriez-vous nous dire quels sont, selon vous, les meilleurs remèdes ou les meilleures solutions à ce problème? Où sont-ils? Y a-t-il des choses que le Canada pourrait apprendre de cela, par rapport à ce qui se fait ailleurs? Je suis sûre que nous travaillons dans ces régions, mais peut-être simplement pas avec vous.
M. Nickerson : D’accord. Deux choses : nous sommes partiellement financés en RDC, mais pas dans les provinces de l’est du Kivu, et nos deux autres bailleurs de fonds sont le Japon et la Suisse.
Pour répondre à la violence sexuelle et sexiste, il y a un certain nombre d’éléments. Il y a les soins immédiats et urgents qui doivent être prodigués, c’est-à-dire des soins médicaux et psychologiques. C’est dans ce domaine que nous excellons. C’est ce que nous avons intégré dans pratiquement tous les projets que nous menons partout. Cela comprend notamment la vaccination contre l’hépatite B, la contraception d’urgence, la prophylaxie post-exposition pour les maladies infectieuses et le VIH, et ainsi de suite, mais aussi la prestation de soins psychologiques aux survivantes d’actes de violence sexuelle et sexiste pendant cette période immédiate. Nous avons de nombreuses cliniques spécialisées dans l’aide aux victimes de violence sexuelle et sexiste qui fournissent des soins continus aux patientes pendant des jours, des semaines et des mois, parce que c’est une épreuve horrible à laquelle ces personnes ont survécu.
Là où nous constatons constamment des lacunes dans les programmes, c’est de part et d’autre de ce que nous faisons. Tout d’abord, il y a des lacunes en matière de protection, dont j’ai déjà parlé. Quand je parle de « lacunes en matière de protection », je veux dire que les personnes sont exposées à des situations qui les placent dans une position vulnérable où elles deviennent victimes d’un acte horrible. C’est la protection préventive initiale qui fait défaut dans tous les conflits qui existent sur la planète aujourd’hui.
D’un autre côté, en plus des soins médicaux et psychosociaux que nous sommes capables de fournir, les personnes ont besoin d’un logement sûr où retourner. Selon l’identité de l’agresseur, il n’est pas sécuritaire pour les victimes de retourner dans leur collectivité ou chez elles. Il y a un réel manque de places dans les refuges et dans cette transition hors du modèle de soins médicaux et psychologiques que nous sommes capables d’offrir, mais aussi dans la reddition de comptes et l’accès à des outils juridiques, pour les personnes qui veulent poursuivre dans cette voie.
Il y a d’énormes lacunes partout sur la planète. Nous pouvons offrir des soins médicaux et psychologiques d’urgence, mais il ne s’agit pas seulement de cela; c’est une question de prévention et aussi de réfléchir aux répercussions à long terme et au soutien dont les personnes auront besoin.
La sénatrice M. Deacon : Monsieur Nickerson, j’aimerais approfondir la question et vous demander, avant de terminer, comment vos programmes communiquent et travaillent auprès de leur population cible. Je pense à des exemples comme le programme BRIGHT en Tanzanie, qui s’adresse aux filles de 10 à 19 ans et qui vise à corriger les idées fausses concernant l’utilisation de contraceptifs, les normes sociétales, le régime alimentaire, la nourriture et ainsi de suite.
J’essaie de déterminer quelles sont vos pratiques exemplaires, parce qu’il s’agit de programmes axés sur le savoir qui permettent à ces jeunes filles de revenir à la maison et de mettre en application les programmes comme ils doivent l’être. Selon vous, quelle est la meilleure façon de procéder? Qu’est-ce qui vous en empêche? Quels sont les obstacles qui vous empêchent probablement de le faire?
M. Gilbert : Je peux peut-être commencer par les obstacles. Certains pays n’ont pas nécessairement les mêmes valeurs que le Canada. Parfois, cela rend le fonctionnement un peu difficile. Il faut établir un lien de confiance pour pouvoir mettre en place des programmes qui ne sont peut-être même pas légaux dans certains pays.
Pour répondre à votre première question sur la façon dont nous travaillons avec les jeunes, il est très important que les jeunes participent même à l’étape de la conception du programme. Dans le cas de BRIGHT et d’autres projets du genre, nous faisons participer les jeunes femmes même à l’étape de la recherche formative, quand nous essayons de cerner les problèmes et les obstacles au progrès. Elles mènent les entrevues et agissent en tant que pairs pour d’autres jeunes. Si elles participent à la conception, tout d’abord, nous obtenons de meilleurs plans de projets et nous formons littéralement des championnes du projet. Des programmes comme BRIGHT sont également offerts dans les écoles, et ils peuvent être mis en œuvre dans ces écoles.
Nous croyons vraiment à ce principe — en particulier avec les jeunes, mais avec d’autres groupes avec lesquels nous travaillons également — et nous voulons nous assurer qu’elles participent dès le début. Puisque nous travaillons surtout avec le gouvernement, nous essayons de rendre les systèmes de santé plus responsables envers les jeunes. Si une jeune fille est enceinte, il arrive souvent qu’elle ne puisse pas passer par le système de soins prénataux. Puisque c’est socialement inacceptable, elle n’y va pas et elle ne reçoit pas l’aide dont elle a besoin. En travaillant avec les filles et le système de santé, nous essayons d’apporter certains des changements nécessaires pour que les filles puissent vraiment en bénéficier à long terme, et pour que le prochain groupe de filles bénéficie d’un système amélioré.
Le président : Merci.
Le sénateur Adler : Pardonnez-moi de mêler la politique à une question sur le développement humanitaire, mais je dois vous demander si la démocratie — plus de démocratie — pourrait vous aider dans vos efforts. Pensez-vous que la communauté internationale, y compris le Canada, bien sûr, devrait en faire davantage pour appuyer les mouvements démocratiques en Afrique?
Le président : Je vais intervenir un instant pour dire que nous aimerions entendre les quatre témoins aujourd’hui. Si vous êtes d’accord, monsieur le sénateur, nous allons commencer par Mme Delorme et demander à tout le monde de faire un commentaire.
Mme Delorme : Oui, je pense qu’il est très important de travailler à ce que j’appellerais la transformation des conflits, le renforcement de la démocratie et le développement communautaire. Ce sont quelques-uns des projets pour lesquels nous recevons du financement du gouvernement canadien dans le cadre du Programme pour la stabilisation et les opérations de paix.
Ce que je trouve le plus important en ce moment, c’est que nous sommes dans un système où il y a deux poids, deux mesures. On s’attend à ce que certains pays suivent les règles pendant que d’autres ont le champ libre, et ces pays commencent à prendre des notes.
Je reviens sur ce point du droit humanitaire international, ces règles — notamment la démocratie — auxquelles nous croyons et qui font partie de cet ordre fondé sur des règles ne fonctionnent que si nous appliquons les mêmes règles partout. À l’heure actuelle, de nombreux pays d’Afrique se tournent vers le Canada pour voir s’il exercera son leadership avec cohérence et s’il fera aussi preuve de cohérence dans la façon dont il juge, informe ou dénonce différents pays. Cette cohérence est très importante.
Mme Harris : Merci. Votre question va au cœur de ce en quoi nous croyons en tant qu’organisation, c’est-à-dire que des institutions solides et qu’une saine gouvernance constituent le fondement d’un développement durable, équitable et inclusif. Si l’on pense à long terme, et non à court terme, il s’agit d’un investissement dans la création de ces institutions solides qui peuvent fonctionner et faire face aux changements de parti ou de ceci ou de cela. Cela joue un rôle énorme. Nous constatons que, dans la pratique, là où nous travaillons et où les institutions sont plus solides, nos actions ont plus de poids. Il y a donc là une relation de cause à effet.
Je veux simplement répéter ce que Mme Delorme a dit au sujet de la façon dont le monde observe comment le Canada réagit aux différents comportements sur la scène mondiale, et il est important que nous réagissions avec équité.
M. Nickerson : En tant qu’organisation humanitaire qui travaille dans des conflits dans certains des endroits les plus difficiles de la planète, avec le modèle de gouvernance en place, ce n’est pas vraiment notre rôle de commenter ce qui est bon et ce qui est mauvais. Ce qu’il nous faut, ce sont des garanties de sécurité et de protection pour notre personnel, et c’est ce que nous obtenons au moyen de la négociation.
Nous n’avons pas recours à des escortes armées ou à la force, rien de tout cela. Il faut qu’il y ait une négociation et une acceptation de notre présence et du fait que nous sommes là pour fournir de l’aide médicale. Cela peut se produire indépendamment du modèle de gouvernance. Nous travaillons dans des environnements extrêmement difficiles avec des gouvernements ou des entités extrêmement exigeants qui contrôlent le territoire, et nous avons besoin de protections et d’acceptation de notre présence et du respect de principes comme ceux du droit humanitaire international pour faire ce travail.
M. Gilbert : La seule chose que j’ajouterais peut-être, c’est qu’en ce qui concerne les problèmes de nutrition et de santé à l’échelle mondiale, ils ne connaissent pas vraiment les frontières. Peu importe qu’un pays soit démocratique ou non. Je ne préconiserais certainement pas que nous rendions cette aide conditionnelle à la démocratie, peu importe ce que j’en pense personnellement, comme le disait M. Nickerson.
Je pense qu’il y a des mesures que le Canada peut prendre, et l’une d’entre elles est — nous l’avons fait et d’autres groupes le font, mais pas autant que Nutrition International — de bâtir la société civile et de l’appuyer. Je pense que cela fonctionne dans de nombreux domaines, y compris la santé mondiale, et ce sont des contributions importantes que le Canada a faites et qu’il peut continuer à faire.
Le président : Merci beaucoup. Nous avons dépassé le temps alloué à cette séance. Elle ne devait durer qu’une heure, et nous avons déjà pris une heure et 15 minutes. Si nous avons réussi à le faire, c’est parce que nous avions l’avantage de ne pas avoir un groupe de témoins après vous et d’avoir encore la salle. Au nom du comité, je tiens à remercier nos témoins, Wendy Harris, Jason Nickerson, Steve Gilbert et Anne Delorme, d’avoir pris le temps de venir nous rencontrer aujourd’hui et d’avoir répondu très franchement aux questions des sénatrices et des sénateurs. Merci beaucoup.
Chers collègues, nous reprendrons nos travaux demain matin à 11 h 30 dans cette salle. La première heure sera consacrée à une discussion à huis clos, et la deuxième heure, à partir de 12 h 30, à un panel public au sujet de notre étude sur l’Afrique. Sur ce, je vous remercie. La séance est levée.
(La séance est levée.)